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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 4 - Témoignages du 23 février 2000


OTTAWA, le mercredi 23 février 2000

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, saisi du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif Nisga'a, se réunit ce jour à 17 h 50.

Le sénateur Jack Austin (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous sommes ici pour examiner le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif Nisga'a.

Notre premier témoin est Michael de Jong, député provincial et critique de l'opposition à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Je vous souhaite la bienvenue.

M. Michael de Jong, député provincial, Parti libéral de la Colombie-Britannique: Merci beaucoup, honorables sénateurs, de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui.

En répondant à votre invitation, je vise deux objectifs.

Premièrement, j'espère réussir à vous convaincre que je peux critiquer les dispositions du traité envisagé sans que vous doutiez une seconde de mon engagement envers le principe de traités justes et équitables. Trop souvent, les gens qui ont osé reculer devant un appui inconditionnel, ou simplement osé poser des questions, ont été injustement accusés d'insensibilité à l'égard des peuples autochtones.

Trop souvent, la réponse des partisans de ce traité a été fondée exclusivement sur l'idée que tout accord recueillant l'appui des nisga'as devrait être purement et simplement accepté tel quel, étant donné les années de patience et la détermination dont ils ont dû faire preuve face à d'innombrables injustices. À mon avis, une réaction aussi sommaire fait manifestement fi de la responsabilité qui nous appartient à tous de veiller à ce que le fruit de cet accord constitue un modèle réaliste qui nous aidera vraiment à atteindre nos objectifs de réconciliation et de véritable égalité.

Deuxièmement, je viens ici pour sensibiliser les membres de votre comité à nos -- et quand je dis «nos», je parle de l'opposition officielle en Colombie-Britannique -- préoccupations particulières au sujet des dispositions fondamentales du traité. Pendant le temps qui m'est imparti, j'aborderai essentiellement la question du modèle d'autonomie gouvernementale qui est proposé.

Troisièmement, je voudrais communiquer aux membres du comité quelques informations générales sur l'action en justice qui a été lancée par le chef de l'opposition et par moi-même, en ma qualité de critique des affaires autochtones en Colombie-Britannique, tout simplement pour faire le point sur cette question.

Honorables sénateurs, le document intitulé «The Nisga'a Template», que l'on vous a distribué, contient quasiment tous les arguments que je vais présenter aujourd'hui. Je m'excuse d'ailleurs de ne pas vous l'avoir transmis à temps pour qu'on ait pu le traduire en français.

La première question que l'on peut se poser au sujet du traité est celle-ci: pourquoi ce traité suscite-t-il un débat? C'est ce que se demandent beaucoup de résidents de la Colombie-Britannique. Ils ne peuvent s'empêcher de penser que les gouvernements d'Ottawa et de Victoria ont mis des oeillères et refusent toute analyse critique du document, et encore plus toute opposition. Cela ne saurait à l'évidence être accepté.

Par exemple, le gouvernement provincial avait promis un débat complet et détaillé mais cela ne l'a pas empêché d'imposer la clôture du débat avant que la moitié même des dispositions du traité aient pu être examinées en détail.

Le gouvernement provincial avait promis que toutes les recommandations d'un comité permanent qui avait tenu des audiences dans toute la Colombie-Britannique au sujet de l'accord de principe seraient prises en considération et mises en oeuvre. J'ai apporté ces recommandations avec moi et j'en remettrai un exemplaire au greffier du comité, ainsi que des exemplaires des autres documents auxquels je vais faire référence.

On avait promis aux résidents de la Colombie-Britannique que les membres du Comité consultatif de négociation du traité pourraient analyser chaque chapitre du traité envisagé, avant la signature. Cela ne s'est pas fait.

On leur avait dit que les problèmes de chevauchement de revendications seraient réglés avant que des traités ne soient signés. Cela ne s'est pas produit. J'ose d'ailleurs dire qu'il s'agit là d'une question qui reviendra hanter les gouvernements et les négociateurs du traité.

Ici même, à Ottawa, on a imposé la clôture du débat en deuxième lecture après quelques jours à peine.

Nous sommes donc nombreux à nous demander ceci: pourquoi les gouvernements ont-ils peur du débat? Pourquoi sont-ils réticents à répondre à nos questions?

Deux possibilités viennent à l'esprit. La première est qu'ils n'ont pas les réponses demandées; la deuxième, qu'ils ont les réponses mais qu'ils ne veulent pas les communiquer aux résidents de la province et aux autres Canadiens. Quelle que soit la réalité, c'est inacceptable. On ne peut à mon avis espérer que des traités imposés soient efficaces.

Ce qui est paradoxal, dans toute cette affaire, c'est qu'aucun des deux gouvernements n'a le mandat de faire ce qui est envisagé par le traité Nishga'a. Des membres de la Chambre des communes et de ce comité ont à juste titre souligné qu'il devrait y avoir un débat sur les principes devant fonder les traités modernes. Cela ne s'est jamais produit.

Le deuxième sujet dont j'ai parlé dans mes remarques liminaires englobe plusieurs préoccupations fondamentales des membres de l'opposition officielle qui sont exposées dans le document qui vous a été remis. Aujourd'hui, je vous parlerai de notre principale préoccupation, qui concerne le modèle d'autonomie gouvernementale sans précédent que l'on va enchâsser dans notre appareil constitutionnel. À notre avis, c'est anticonstitutionnel car cela créera un troisième palier de gouvernement, doté d'un statut spécial. Dans 14 champs de compétence, qui sont énumérés à la page 6 ou 7 du document que je vous ai remis, les lois des Nishga'a primeront sur les lois fédérales et provinciales. Certes, on peut être pour ou contre mais, à ma connaissance, aucun autre gouvernement autochtone du Canada ne possède de tels pouvoirs enchâssés dans la Constitution. Pour ma part, on m'a toujours appris que tous les champs de compétence ont été répartis exhaustivement entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, de par la Constitution. Ce traité, peut-être avec les meilleures intentions du monde, tente de modifier cette répartition en douce pour ce que j'estime être des raisons d'opportunisme politique.

Que l'on ne s'y trompe pas, cela aura des conséquences considérables. Par exemple, les non-Nishga'a qui seront assujettis aux lois des Nishga'a seront privés du droit de voter pour un gouvernement possédant le pouvoir de régir leur vie. J'ai toujours pensé, honorables sénateurs, que le Canada avait commis une faute en privant les Canadiens autochtones et les sino-Canadiens du droit de vote à cause de leur ethnicité. Serait-il donc aujourd'hui d'un seul coup légitime de priver un autre groupe du droit de vote à cause de son ethnicité? Deux torts font-ils un bien?

En vertu de l'article 30 du chapitre relatif à l'autonomie gouvernementale, les gouvernements provinciaux auront l'obligation constitutionnelle de respecter quatre critères pour pouvoir modifier leurs propres lois. Ne sous-estimez pas, je vous en prie, l'énorme fardeau consultatif et administratif que cela imposera aux gouvernements provinciaux. En examinant ce document, demandez-vous si ce modèle d'autonomie gouvernementale, reproduit 50 ou 60 fois, constituera une solution réaliste au désir légitime des Premières nations de régir leurs propres affaires. Ne sommes-nous pas plutôt en train de jeter les bases d'un cauchemar bureaucratique brutal qui hantera notre pays pendant des générations?

Demandez-vous comment les autres provinces, celles dont vous êtes originaires, réagiront quand ce modèle d'autonomie gouvernementale leur sera imposé, puisque cela arrivera. Les parties aux traités numérotés et les autres Premières nations voudront rouvrir leurs propres accords pour obtenir quelque chose de comparable. Pourquoi pas?

Quand cela arrivera, les réserves que nous avons essayé d'exprimer et sur lesquelles j'essaie d'attirer votre attention aujourd'hui deviendront beaucoup plus pertinentes pour les Canadiens qui estiment sans doute que nous parlons actuellement d'un document ne touchant qu'un tout petit groupe de personnes dans un coin très reculé du pays.

Je tiens à dire que je crois à la notion d'autonomie gouvernementale autochtone. En revanche, je dois préciser que je crois aussi à une autonomie gouvernementale qui est déléguée en vertu des lois fédérales et provinciales. C'est le modèle que l'on a employé il y a quelques années au Yukon. Apparemment, quelque chose a changé depuis sans que je m'en rende compte.

Le troisième et dernier sujet que je voudrais aborder est l'action en justice qui a été lancée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique à l'automne de 1998. Les plaignants sont le chef de l'opposition et les critiques pour les affaires autochtones et pour le Bureau du procureur général. Les défendeurs sont la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique, et la Couronne du chef du Canada. Les parties sont convenues de joindre les Nishga'a à leur action, sur leur demande.

Les questions en jeu sont essentiellement reliées à celles dont je viens de parler, pour ce qui concerne l'autonomie gouvernementale -- le fait que l'on se propose de changer en douce la répartition constitutionnelle des pouvoirs. Certes, comme nous demandons une déclaration affirmant que cela représente un amendement constitutionnel, il n'est pas sans importance de savoir qu'il y a en Colombie-Britannique une loi obligeant le gouvernement provincial à tenir un référendum pour faire approuver tout amendement constitutionnel comme celui qui est envisagé ici. Dans cette action, nous demandons aussi à la Cour d'exprimer un avis sur le droit de vote et sur notre argument voulant que limiter ce droit en fonction de l'ethnicité va à l'encontre des dispositions de la Charte. L'affaire doit être plaidée en avril ou mai et je crois savoir que les avocats des parties discutent actuellement d'une audience qui durerait environ deux à trois semaines. Ensuite, on peut penser que la Cour sera en mesure de prendre une décision.

Je conclus cette intervention en disant que je n'ai exprimé que l'avis d'un résident de la Colombie-Britannique. J'ai la conviction que mes concitoyens sont favorables à des traités qui permettraient vraiment de concilier, d'une part, les droits constitutionnellement protégés des peuples autochtones et, d'autre part, la souveraineté de la Couronne. Je crois qu'ils veulent que de tels traités soient négociés et non pas que les questions en jeu soient renvoyées devant les tribunaux pour y être décidées. Je pense qu'ils veulent que l'on négocie des accords corrigeant les obstacles et injustices historiques auxquels ont fait face les peuples autochtones, mais en veillant bien en même temps à ce que ces accords n'aboutissent pas à remplacer une série d'injustices par une autre.

Certitude, finalité, réalisme et, manifestement, constitutionnalité sont les objectifs et les critères à l'aune desquels ce traité historique doit être évalué. Or, après mûre réflexion, notre opinion est que le traité actuel n'atteint pas ces objectifs sous sa forme actuelle.

Merci à nouveau de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui et je répondrai bien sûr à vos questions.

Le président: Merci de votre déclaration, qui va certainement susciter des questions.

Le sénateur St. Germain: Vous dites que vous êtes extrêmement préoccupé par les chevauchements mais je ne sais pas si cette question peut être réglée à si brève échéance.

Vous parlez d'un référendum. Croyez-vous honnêtement qu'un référendum serait la bonne solution? Je préférerais quant à moi avoir la possibilité d'examiner le processus de négociation avant que le document définitif ne soit signé. Je ne pense pas qu'un référendum fonctionnerait dans un cas comme celui-ci. C'est un référendum qui a causé la ruine du système d'enseignement en Californie. Qu'en pensez-vous?

M. de Jong: L'idée d'un référendum suscite des controverses dans ce contexte. Je vais donc préciser mon opinion au sujet des référendums et de leur utilisation. Je ne pense pas que l'on puisse soumettre un document de 250 pages aux gens de la Colombie-Britannique ou aux Canadiens en leur demandant de répondre par oui ou par non. À mon avis, cela ne donnerait rien de positif. Souvenez-vous toutefois qu'il s'agit de la première de 50 ou 60 négociations. Si nous voulons que le processus aboutisse à des règlements qui soient efficaces et qui recueillent l'appui des collectivités, il faut trouver le moyen d'y faire participer la population. Je ne comprends donc pas pourquoi on hésite à soumettre à nos concitoyens une série de questions concernant des principes fondamentaux, afin que les résultats servent à guider le travail de l'équipe de négociation provinciale lorsqu'elle prendra place aux 50 ou 60 tables de négociation à venir. Il y aurait alors vraiment un mandat provincial, dans la mesure où une telle chose puisse exister. Les négociateurs de la province pourraient dire à leurs homologues: «Vous avez vu le mandat que nous avons reçu. Vous connaissez les principes que nous sommes chargés d'appliquer pendant ces négociations.» La difficulté vient peut-être en partie du fait que l'on parle aujourd'hui d'un référendum concernant un document déjà négocié. Mon idée de la manière dont un référendum pourrait être utilisé est fort différente.

Le sénateur St. Germain: Ces questions de référendums sont apparues en Colombie-Britannique, dans notre régime parlementaire, du fait du Parti réformiste qui tente d'y intégrer des mécanismes que l'on utilise ailleurs, mais je n'insiste pas là-dessus.

M. de Jong: C'est un gouvernement précédent de la Colombie-Britannique qui a adopté une loi exigeant la tenue d'un référendum lorsqu'on veut amender la Constitution canadienne. C'est une obligation légale.

Le sénateur St. Germain: Je sais.

Vous dites que l'on a imposé la clôture des débats. D'autres témoins nous ont dit qu'il y avait eu un long débat. D'aucuns disent que cela a été le plus long débat de toute l'histoire de l'Assemblée législative provinciale.

M. de Jong: Je crois que c'est vrai.

Le sénateur St. Germain: On a donc imposé la clôture mais après un débat de durée raisonnable?

M. de Jong: Replaçons les choses dans leur contexte. Quand on parle du plus long débat, je tiens à vous dire que les débats de comités en Colombie-Britannique se tiennent à l'Assemblée législative. Le gouvernement avait dit que l'on aurait la possibilité d'examiner ce traité article par article. Nous avons donc pris le gouvernement au mot et nous avons commencé cette étude article par article. Pendant l'étude des dispositions d'autonomie gouvernementale, le procureur général -- qui allait devenir premier ministre de la province -- a exprimé une certaine frustration et nous a dit, à mon collègue, M. Plant, et à moi-même: «Pourquoi posez-vous toutes ces questions? Vous ne faites pas confiance aux Nishga'a ou aux autochtones?» Cette question m'a piqué au vif parce que je comprenais sa frustration. Au bout de trois semaines, j'ai finalement pu lui donner une réponse: «Ce n'est pas la question, monsieur le procureur général. Je ne fais confiance à aucun gouvernement. Nous sommes ici pour examiner quelque chose de tout à fait nouveau, qui n'a jamais été mis à l'épreuve nulle part. Et c'est quelque chose de complexe, vous en convenez vous-même. La moitié des dispositions de ce traité -- et qu'on parle ou non de précédent à ce sujet, elles auront de profondes ramifications sur les négociations futures -- n'a pas fait l'objet d'un examen assez exhaustif ni assez détaillé. C'est dangereux.»

Le sénateur Tkachuk: Nous avons recueilli des témoignages disant que le processus de consultation a commencé après l'accord de principe. Quand le processus a-t-il vraiment commencé? S'agissait-il du point de départ du traité définitif lui-même ou d'une étape intermédiaire avant la rédaction du traité?

M. de Jong: Tout ce que je peux vous dire à ce sujet, c'est que la situation a évolué. Le gouvernement avait mis sur pied un comité multipartite qui a beaucoup voyagé dans la province après la signature de l'accord de principe. Ce comité a reçu un très grand nombre de mémoires et a ensuite formulé des recommandations que le gouvernement a dit qu'il allait mettre en oeuvre. Il y a eu en fait deux séries de recommandations, c'est-à-dire un rapport majoritaire et un rapport minoritaire. Laissons de côté le rapport minoritaire de l'opposition et parlons du rapport majoritaire.

Ce rapport contenait des recommandations qui, si elles avaient été mises en oeuvre par le gouvernement, auraient empêché de signer l'accord définitif. Ces recommandations ont été laissées de côté. Il y a eu des «consultations» supplémentaires. Le représentant de l'opposition que je suis vous dirait que la campagne de vente du traité a commencé dès sa signature.

Il est difficile aux gens d'obtenir un avis impartial. Le document que je vous ai remis aujourd'hui expose notre analyse du traité, de ses limites et de ses carences. Toutefois, il y a dans ce traité des choses que le gouvernement ne voulait pas que la population sache.

Le sénateur Tkachuk: Si les consultations ont été si longues -- et je sais que vous et d'autres avez dit que le débat a été long -- cela a-t-il changé quoi que ce soit en fin de compte?

M. de Jong: C'est une excellente question à laquelle la réponse est «Non». Il avait clairement été indiqué dès le début, surtout après la signature du traité, qu'il n'y aurait aucune possibilité de changement.

Le sénateur Tkachuk: Quel était donc le but des consultations?

M. de Jong: Je me le demande.

Le sénateur Tkachuk: J'ai demandé aux représentants de la Nation Nishga'a qui sont venus devant le comité la semaine dernière comment ils avaient l'intention de financer leur gouvernement. Ils ont une base de population à peu près équivalente à la ville de Melfort, en Saskatchewan, soit environ 5 000 personnes. Dans notre province, cela ne suffit même pas pour constituer une municipalité.

J'ai pensé que leur réponse était très floue. Dans le document que vous nous avez remis aujourd'hui, «The Nishga'a Template», vous mentionnez que ce gouvernement aura le pouvoir de prélever des impôts directs sur les citoyens Nishga'a résidant sur les terres des Nishga'a. Voulez-vous dire qu'il ne pourra pas prélever d'impôt sur le revenu? D'où tirez-vous cela?

M. de Jong: Les négociateurs vous diront que l'on a prévu dans le traité la possibilité d'ententes fiscales entre les divers paliers de gouvernement. Dans ce document, nous avons essayé d'être objectifs en indiquant bien dans quels domaines existe actuellement un pouvoir de taxation et dans lesquels il pourrait être négocié à l'avenir. C'est une question particulièrement importante si l'on considère que le gouvernement Nishga'a pourrait éventuellement imposer des impôts aux non-Nishga'a.

Cette question n'est pas réglée dans l'accord actuel mais nous nous sommes laissé dire par les négociateurs que celui-ci est structuré de manière à permettre un tel transfert de pouvoir du gouvernement fédéral à l'avenir.

Le sénateur Tkachuk: Les journaux et les témoins ont avancé plusieurs estimations différentes de ce que pourrait coûter cet accord. Quelle est la position officielle de votre parti sur le coût de l'accord pour le contribuable canadien?

M. de Jong: Notre analyse nous mène au chiffre d'environ 490 millions de dollars, soit près de 500 millions. C'est le point numéro 11 de la page 5 du document que j'ai distribué.

Cette analyse était loin d'être le fruit d'une science exacte. Quand on se penche sur des questions comme les droits forestiers et miniers, qu'ils existent ou non, nous leur avons attribué une certaine valeur. Lors du débat à l'assemblée provinciale, il a été incroyablement difficile de savoir sur quelle base reposaient les chiffres. La meilleure réponse que nous ayons obtenue était: «Cela a été négocié». Par exemple, la valeur des droits forestiers a été évaluée pendant le processus de négociation mais pas de manière particulièrement scientifique.

Le sénateur Tkachuk: Serait-il donc juste de dire que les trois groupes -- vous, le ministère et les Nishga'a -- n'avez pu qu'estimer le coût?

M. de Jong: Je l'ai reconnu dès le départ. Cela vous paraîtra peut-être très partisan mais les défenseurs du projet de loi ont avancé un chiffre sensiblement inférieur, leur argument étant que c'était au moins un chiffre certain. Toutefois, nous avons appris depuis que le coût est loin d'être certain.

Je ne tiens pas particulièrement à m'attaquer aux Nishga'a, qui ont fait preuve de patience et de détermination et qui méritent donc un accord. Toutefois, il y a un coût caché dont personne ne veut parler, c'est-à-dire le coût des consultations futures. Le gouvernement provincial considère que toute personne occupant un poste de responsabilité doit pouvoir identifier et quantifier tous ses coûts. Cela ne s'est pas fait dans ce cas.

Le sénateur Sparrow: J'ai trois questions à vous poser. Premièrement, pourquoi pensez-vous que le projet de loi est anticonstitutionnel?

Deuxièmement, s'il l'est et que l'accord est entériné, en vertu de l'article 35, et qu'il devient donc constitutionnel, comment devrait-il être modifié, à votre avis? On y affirme que les trois parties peuvent s'entendre sur des modifications mais, s'il est «constitutionnalisé», faudra-t-il adopter une modification en vertu de la formule d'amendement constitutionnel?

Troisièmement, le ministre et le Conseil tribal des Nishga'a nous ont déclaré, lorsqu'ils ont témoigné, que cet accord ne peut être modifié d'aucune manière car cela le détruirait. C'est un argument très sérieux. Si le Sénat adoptait une modification quelconque, elle devrait probablement être soumise aux Nishga'a ainsi qu'aux gouvernements fédéral et provincial. Cela semble raisonnable.

Si les dispositions d'autonomie gouvernementale étaient soustraites de l'accord pour être adoptées séparément, cela changerait-il votre analyse générale du projet de loi, et quelles conséquences cela aurait-il sur toute cette question?

M. de Jong: Je crois avoir entendu cinq questions. Pour répondre rapidement à la dernière, je vous dirais que ce serait probablement le cas. Prenons une question comme la fiscalité et le fait que les Nishga'a assumeront peu à peu, au cours des années, certains des pouvoirs d'imposition des particuliers que possèdent d'autres Canadiens. On peut bien débattre du temps que cela prendra mais ça dépendra uniquement des négociations.

Sénateur, vous venez de mettre le doigt sur l'une de nos principales préoccupations, la présence de dispositions d'autonomie gouvernementale dans le traité lui-même. Bon nombre de nos réserves disparaîtraient si l'on parlait d'un modèle du Yukon, ou même d'un modèle sechelt.

Pour ce qui est des amendements, cette question a été soulevée à maintes reprises. Comme l'accord a été signé, il faut le ratifier. Si on le modifie d'une manière quelconque, ou si on le rejette, tout est perdu. J'estime donc que les Nishga'a se devaient de le ratifier. Ils ont tenu un lourd processus de consultation qui leur a permis d'informer le mieux possible et de consulter leur population. Si vous les interrogez, ils vous diront que cela leur a été extrêmement difficile. L'accord a été adopté, mais pas par une majorité écrasante.

Que serait-il arrivé si les négociateurs Nishga'a avaient été confrontés à un rejet? Je suppose qu'on serait retourné à la table de négociation.

Les négociateurs auraient reçu de leurs populations l'instruction de négocier quelque chose de mieux. Cela aurait certes été frustrant pour tout le monde, mais certainement pas catastrophique comme on nous le dit aujourd'hui quand on prétend qu'examiner, analyser, critiquer et, éventuellement, modifier des parties de l'accord le serait. Je m'élève vivement contre cet argument.

Je ne pourrai répondre à votre question d'ordre constitutionnel aussi bien que des experts le feraient. Fondamentalement, toutefois, puisque nous disposons d'une Constitution qui contient une répartition exhaustive des pouvoirs entre deux paliers de gouvernement, fédéral et provincial, il est envisageable que l'on puisse créer un troisième animal. On pourrait créer un troisième palier de gouvernement qui détiendrait des pouvoirs primordiaux dans 14 champs particuliers. Rien ne nous empêcherait de le faire, en tant que nation. Toutefois, cela constituerait incontestablement une modification de la Constitution actuelle.

Notre Constitution est difficile à modifier. Il y a dans cette salle des gens qui le savent bien mieux que moi. En revanche, il n'est pas sérieux de prétendre purement et simplement que, puisque la cause est juste et noble, nous allons cette fois faire fi de la procédure d'amendement intégrée à la Constitution.

J'ai du mal à répondre aux gens qui me demandent: pourquoi avoir une Constitution si on est prêt à la sacrifier en douce sur l'autel de l'opportunisme politique, ou lorsque la cause est suffisamment juste? J'aurais bien du mal à justifier ça.

Le sénateur Grafstein: Il n'appartient pas à notre comité d'examiner les questions de processus dans ce domaine. Nous nous occupons d'un processus sénatorial. Ce que font les autres paliers de gouvernement, c'est leur affaire.

Nous pensons avoir un processus transparent et juste. Nous avons eu un débat discret mais important, et le président du comité m'a assuré que nous pourrions examiner ces questions de manière exhaustive. Il ne serait donc pas très utile pour nous d'essayer de deviner ce que feront les autres paliers de gouvernement. Je vous dis ça parce que je préférerais que vous vous en teniez au coeur même du problème, plutôt que de parler du caractère injuste du processus antérieur. Nous, nous serons justes. Deuxièmement, je ne parlerai pas de questions constitutionnelles, je laisserai cela aux experts.

Je veux pour ma part traiter de questions d'ordre politique. Dans leur témoignage, les représentants des Nishga'a ont dit des choses qui m'ont amené à réexaminer certains principes fondamentaux. Vous avez soulevé cette question de justice politique fondamentale, dont je souhaite parler. Votre position est que la situation actuelle est injuste, pour maintes raisons différentes. Prenons un exemple.

Hier soir, je lisais la Proclamation de 1754, qui date donc d'avant la création du Canada. Dans une affaire portée devant la Cour suprême du Canada, l'avocat des Nishga'a y a fait référence en tant que principe fondamental sur lequel ceux-ci s'appuient pour affirmer leurs droits.

En lisant la Proclamation, il est devenu évident à mes yeux que, tout comme on l'affirme dans la Constitution du Canada, des droits existaient auparavant, même s'ils n'étaient pas définis. C'est ça, la Charte des droits.

Si j'entends bien, les Nishga'a essaient de formuler et de définir ces droits particuliers dans le contexte constitutionnel. Comment peut-on réagir à cela, du point de vue de la justice, quand on constate, comme on nous l'a dit, qu'on a laissé à un processus de négociation le soin de définir ces droits? Ils en ont attentivement scruté tous les aspects.

Ce qui me trouble dans votre proposition -- et c'est la proposition avec laquelle je suis arrivé au Sénat, mais que j'essaie maintenant de modifier -- c'est comment on pourrait dire à des gens qui ont fait, à mon sens, des concessions importantes au cours des négociations sur des questions de terres, de droits et autres: «Une seconde, je veux ajouter quelque chose. Pourrions-nous revoir le tout?» Où serait la justice alors? Je conviens avec vous que le processus est vicié.

Nous sommes cependant bien obligés de prendre le problème tel qu'il existe. Comment répondriez-vous aux Nishga'a, qui nous ont dit qu'ils ont fait des concessions importantes pendant les négociations? Pensez-vous qu'il faudrait rouvrir le processus et en demander plus?

L'idée d'un simple amendement est très attrayante à mes yeux, mais comment puis-je me convaincre que ce serait juste et que les Nishga'a ne reviendraient pas alors nous dire: «Je veux ceci, ceci et cela» qui serait peut-être plus extravagant? Comme faire ça et être un politicien juste?

M. de Jong: Pourquoi sommes-nous ici alors, sénateur?

Le sénateur Grafstein: Je comprends le dilemme auquel nous sommes confrontés. Du point de vue de la théorie politique, je voudrais savoir comment on pourrait être juste, sur le plan politique, alors que nous avons déjà accepté, dans la Charte des droits, que les autochtones jouissent de droits préexistants qui n'étaient au demeurant pas définis. C'est l'accord qui a été le processus de définition.

Ce n'est pas un processus qui me plaît beaucoup, je n'en suis pas satisfait mais, en dernière analyse, les parties ont négocié une entente. Pensez-vous qu'il soit juste que nous venions casser leur compromis? Je me pose la même question.

M. de Jong: Je vais essayer de vous répondre.

La théorie politique que vous venez de présenter me force à conclure que le critère permettant de savoir si un projet de traité mérite d'être appuyé est simplement de savoir si les Nishga'a l'ont signé ou non.

Le sénateur Grafstein: Non, les gouvernements provincial et fédéral aussi l'ont signé. Ce n'était pas seulement les Nishga'a. C'est un accord tripartite.

Le président: Je préférerais que vous laissiez le témoin répondre, après quoi nous passerons à une autre question.

M. de Jong: Je ne sais pas si je peux répondre comme il faut à une question que je sais très réfléchie, mais j'aimerais beaucoup avoir la possibilité de poursuivre ce débat avec vous plus tard.

Les Nishga'a ont fait des concessions. Les Gitanyows vous diront, pour leur part, que des concessions leur sont imposées du fait même de la manière dont cet accord a été signé. Nous pouvons tous prétendre que nous avons fait des concessions.

Je conviens avec vous, sénateur, que l'objectif était de remplacer un groupe de droits non définis par quelque chose de plus solide. C'était certainement de cela qu'il s'agissait.

Je vous demande cependant ceci: l'autonomie gouvernementale enchâssée dans la Constitution est-elle un droit inhérent? Elle le deviendra, et je peux vous dire ceci: les Premières nations des traités numérotés concluront de cet accord que l'autonomie gouvernementale est un droit inhérent.

Il y a eu un processus de négociation qui a produit des concessions. Le processus a été difficile mais je pense qu'il n'est pas acceptable de limiter le débat une fois que la branche exécutive des deux paliers de gouvernement a dit qu'elle était satisfaite.

Le sénateur Andreychuk: Vous critiquez ce processus tout comme il nous arrive de le faire lorsque nos gouvernements, sur la scène internationale, participent à des négociations qui débouchent sur des traités au sujet desquels nous n'avons aucunement notre mot à dire. Lorsque la branche exécutive négocie un traité international, c'est aussi à prendre ou à laisser. Il s'agit là d'une caractéristique usuelle de tout système de traités, et il ne faut pas faire du traité Nishga'a un cas unique.

Si l'on décidait de modifier ce traité, quelles seraient à votre avis les conséquences en Colombie-Britannique? Pour l'heure, la situation est incertaine et le traité est remis en question. Pensez-vous qu'une modification créerait plus ou moins de difficulté?

M. de Jong: L'objectif, sénateur, a toujours été de négocier des traités efficaces avec les Premières nations car on suppose que c'est bénéfique. On estime généralement que, tant que cette revendication, aussi floue soit-elle, relative au titre de propriété n'aura pas été réglée, cela freinera l'investissement. Toutes les questions qui ont été soulevées devant votre comité par les autres témoins continueront de faire problème.

On a demandé à la Cour de juger la validité constitutionnelle du traité. Mais il aurait été préférable de faire cela il y a longtemps car, si les Nishga'a constatent, après le long processus par lequel ils viennent de passer, que les tribunaux de ce pays estiment que non seulement le processus mais aussi son résultat sont viciés, ils seront furieux et frustrés, et cela aura des répercussions dans toute la collectivité autochtone. Il eût donc été de loin préférable, à mon avis, d'obtenir cette opinion de la Cour beaucoup plus tôt, mais on ne peut pas revenir sur le passé.

Le sénateur Chalifoux: Merci d'être venu témoigner. Cette discussion est très intéressante.

Quelle est votre définition d'un «modèle»? Comme vous avez intitulé votre mémoire «The Nishga'a Template», ce qui veut dire «modèle», pourriez-vous expliquer ce mot?

M. de Jong: On s'est beaucoup demandé en Colombie-Britannique si ce traité constituerait un modèle pour l'avenir. Le premier ministre de l'époque, M. Clark, avait dit que oui mais, plus tard, le gouvernement a dit que non. Pour ce qui est des Premières nations, elles n'ont cessé de dire que le traité Nishga'a était loin d'être un modèle et elles ne se sentent aucunement liées par ses dispositions. L'un des principaux représentants de la communauté autochtone a déclaré qu'il s'agissait d'un minimum, pas d'un maximum, pour les prochaines négociations.

Que l'on parle modèle, de précédent ou d'idéal, c'est le premier traité contemporain et il aura certainement une influence sur les négociations suivantes. Vous aurez beaucoup de mal à trouver une Première nation prête à négocier pour moins que ce qu'elle estime avoir été offert dans ce traité.

Le sénateur Chalifoux: Je ne partage pas votre avis là-dessus. J'ai participé à la négociation de revendications territoriales depuis les années 70 dans les Territoires du Nord-Ouest, en Alberta et en Colombie-Britannique, et j'ai pu constater que chaque revendication est totalement différente des autres, ce qui produit des négociations totalement différentes. On parle en effet ici de nations différentes, de cultures différentes et de langues différentes. Je pense que le mot «modèle» est tout à fait trompeur et je vous recommanderais d'intituler votre rapport «Le traité Nishga'a», puisque ce n'est que de cela qu'il s'agit. Ce n'est pas le Traité no 8 ni aucun autre traité. Ce n'est pas l'accord sur la revendication territoriale des Lubicons. C'est le traité Nishga'a. J'estime donc que vous devriez l'envisager tout à fait séparément car, si vous commencez à mettre toutes les revendications territoriales dans le même sac, vous rendez la situation beaucoup plus trouble.

Vous parlez en outre du coût pour le contribuable canadien. Bien que les Autochtones ne constituent que 2 p. 100 de la population canadienne, ils représentent plus de 60 p. 100 des détenus dans nos prisons. Il faut aussi tenir compte de la pauvreté. Plus de 49 p. 100 des Autochtones sont sans abri, ce qui coûte également très cher au contribuable.

Voulez-vous dire que l'argent qui sera versé aux Premières nations par le truchement du traité des Nishga'a, pour les aider à devenir autonomes, n'améliorera pas le système de justice, les services sociaux ou la situation des sans-abri? Avez-vous tenu compte des bienfaits beaucoup plus généraux qu'un tel traité apportera à l'ensemble du Canada?

M. de Jong: Même si je fais une analyse plus critique que d'autres de ce document, sénateur, ne doutez pas, je vous prie, de ma volonté et de celle de mes collègues de remédier aux torts considérables qui ont été causés aux Autochtones dans le passé et auxquels vous venez de faire allusion, à juste titre. Le fait que j'estime qu'il serait préférable de corriger ces torts d'une manière différente de celle qui est prévue dans ce traité ne m'interdit aucunement de participer au débat. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. J'espère que ce traité vise bien à remédier aux injustices, aux inégalités et au manque de perspectives économiques dont nous sommes tous ici conscients. En revanche, je doute sincèrement que ce document y contribuera.

Pour ce qui est de votre remarque au sujet du mot «template», je la communiquerai à qui de droit. Il y a actuellement une cinquantaine de commissions des traités indépendantes en Colombie-Britannique.

Le sénateurChalifoux: J'apprécie vos remarques et je suis certainement sensible à vos préoccupations. Il faut être juste et tenir compte de toute la situation.

Le président: Je voudrais vous poser une question au sujet du témoignage de Gordon Campbell, député provincial et chef de l'opposition officielle, devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, le 18 décembre 1999. Il avait dit à cette occasion:

Je suis résolu à offrir à tous les résidents de la Colombie-Britannique un référendum provincial unique sur les principes qui guideront le mandat de négociation de la province pour les traités du futur.

Ne vous y trompez pas, le gouvernement que je dirigerai n'acceptera pas de faire du traité des Nishga'a le modèle des traités de l'avenir. Nous n'appuierons aucun traité tant que l'on n'aura pas fait sincèrement l'effort de faire participer tous les résidents de la province à un débat sérieux sur les principes qui devraient fonder les traités.

Est-ce bien la position du Parti libéral de la Colombie-Britannique?

M. de Jong: Oui.

Le président: M. de Jong et moi-même convenons donc que son parti et le Parti libéral fédéral sont des partis totalement indépendants.

M. de Jong: Merci, sénateur.

J'ai fait allusion à plusieurs documents dont vous avez parlé aussi. Je n'ai pas 25 exemplaires de chacun mais, par exemple, j'ai avec moi un classeur sur l'action en justice que nous avons intentée. Si cela vous intéresse, j'en laisserai un exemplaire au greffier.

Le président: Nous vous en remercions car c'est un document de référence important. Je tiens aussi à vous remercier, monsieur de Jong, d'être venu témoigner ce soir. Votre témoignage était très important.

Le prochain témoin est Gordon Gibson. M. Gibson est agrégé supérieur de recherche en Études canadiennes à l'Institut Fraser. Avant cela, il a exercé des fonctions officielles à Ottawa et a aussi été chef du Parti libéral de la Colombie-Britannique. Il s'est également fait connaître par les articles qu'il publie dans divers journaux et magazines sur les questions canadiennes. Monsieur Gibson, merci d'être venu.

M. Gordon Gibson, agrégé supérieur de recherche en Études canadiennes, Institut Fraser: Monsieur le président, lorsque j'étais chef du Parti libéral de la Colombie-Britannique, les deux partis étaient les mêmes. Les choses ont changé depuis.

Je suis très heureux de faire suite à M. de Jong car cela me permet de me joindre à lui quand il dit que les résidents de la province souhaitent généralement un règlement juste et équitable des questions autochtones qui, pour des raisons historiques que je n'aborderai pas aujourd'hui, n'a pas encore été trouvé.

Comme l'a dit le président, je suis à l'Institut Fraser. J'écris essentiellement sur le fédéralisme, la gouvernance et les questions autochtones. Jusqu'à présent, l'Institut Fraser a publié quatre rapports sur le traité Nishga'a au cours des 18 derniers mois. Mon exposé d'aujourd'hui sera surtout fondé sur un cinquième rapport de recherche, publié cette semaine et intitulé «Principles for Treaty Making». Ce rapport part du principe que les opposants au traité Nishga'a ont le devoir de proposer d'autres solutions. J'ai remis au greffier un exemplaire de chacun des quatre premiers rapports, ainsi que de nombreux exemplaires du dernier.

Si vous me le permettez, je voudrais parler surtout de principes fondamentaux, en laissant un peu de côté les autres questions importantes. Je voudrais d'abord souligner l'importance de ce traité. Si les choses évoluent comme je le pense, ce ne sera que le premier d'une soixantaine qui verront le jour en Colombie-Britannique. J'ai tendance à y voir plus un minimum qu'un modèle. C'est un minimum au sens où on peut l'envisager, par exemple, dans le cadre de négociations syndicales. Lorsqu'un syndicat obtient certaines choses, il est politiquement très difficile à un autre du même secteur d'accepter moins. Politiquement, c'est un plancher important.

Jusqu'au traité Nishga'a, on estimait généralement que l'argent et l'équivalent en ressources requis pour donner satisfaction aux revendications autochtones en Colombie-Britannique représenterait une dizaine de milliards de dollars. Avec le traité nishga'a, cette somme a augmenté et elle est aujourd'hui plus proche de 15 milliards de dollars. Lorsque l'arrêt Delgamuukw aura été complètement mis en oeuvre, on atteindra plus de 30 milliards de dollars. On peut donc dire que ce traité aura une incidence directe pour tous ceux et celles d'entre vous qui représentez l'est du Québec et la majeure partie des Maritimes, où il n'existe pas encore de traités autres que de paix et d'amitié. Dans l'ensemble, on n'y a pas encore ratifié de traités sur les revendications territoriales. Ajoutons à cela que le traité aura une incidence sur la réouverture des traités numérotés dans d'autres parties du pays.

La question la plus importance que pose le traité Nishga'a est la question humaine, dans la mesure où il entérine, aggrave et fige 133 années d'échec de nos politiques.

J'aimerais prendre quelques instants pour dresser le contexte général de la situation. Suite au Traité de l'Oregon, la Cour suprême du Canada a noté que la souveraineté britannique avait été étendue en 1846 au territoire qui constitue aujourd'hui la Colombie-Britannique. Elle a par ailleurs conclu que la souveraineté britannique et le droit de propriété sous-jacent étaient grevés du droit de propriété indien. C'est ce que nous a appris l'arrêt Delgamuukw, et c'est aujourd'hui la loi au Canada.

L'une des questions fascinantes qu'il convient de poser est celle-ci: outre le droit de propriété indien, y a-t-il aussi un degré quelconque de souveraineté indienne qui ait été préservé?

Voyons ce qui s'est passé en 1867. À l'époque, six mots terribles ont été ajoutés à la Constitution pour confier au gouvernement fédéral la responsabilité des «Indiens et terres réservées aux Indiens». La société de 1867 était sexiste, raciste et intolérante sur le plan religieux. Les femmes, les juifs, les catholiques, les Chinois et les Indiens étaient tous des citoyens de seconde classe en Colombie-Britannique. Seuls les Indiens ont été mentionnés dans la Constitution, et toutes les autres catégories se portent aujourd'hui fort bien. Pourtant, on se propose maintenant de constitutionnaliser un autre chapitre de cette triste histoire.

Avançons dans le temps et arrivons à l'époque des lumières qui a vu naissance après la Deuxième Guerre mondiale avec l'octroi de l'affranchissement. L'une des premières choses qu'a faites la nouvelle province de la Colombie-Britannique a été d'abolir l'affranchissement des Indiens. Les pensionnats ont peu à peu été fermés. En 1969, on a publié le Livre blanc Trudeau-Chrétien, document indispensable pour quiconque souhaite se pencher sérieusement sur cette question. En 1973, il y a eu le fameux arrêt Calder dans lequel la Cour suprême du Canada concluait que le droit de propriété indien avait existé, mais avec une décision de 3 contre 3 sur la question de savoir s'il existait encore en Colombie-Britannique.

Je dois rendre hommage à Doug McArthur, l'ex-sous-ministre du premier ministre de la province de la Colombie-Britannique, et qui est aujourd'hui à la Faculté de sciences politiques de l'Université de la Colombie-Britannique, où j'ai enseigné en tant qu'un de ses associés cet automne. Je vais en effet évoquer l'un de ses rapports inédits. Je ne veux certainement pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, étant donné que je sais qu'il n'est pas d'accord avec moi sur le traité lui-même. Toutefois, il dit dans ce rapport que la réaction des gouvernements à l'arrêt Calder de 1973 fut la confusion et l'inquiétude. Une décision fondamentale a alors été prise au sujet des négociations de traités qui venaient de commencer: essayer d'éviter de faire référence au passé, et éviter de traiter des questions de droit de propriété et d'indemnisation, étant donné qu'on estimait qu'elles étaient impossibles à résoudre, trop vagues et, peut-être même, trop coûteuses. Au lieu de cela, on a décidé de se tourner vers l'avenir. De ce fait, on a commencé à tout négocier sans aucun paramètre. Au fond, aucun principe n'a été établi pour la négociation de traités. Le seul but a été simplement d'aboutir à un traité.

Après 1973, nous voyons se développer la théorie d'un droit inhérent collectif qui serait distinct d'un droit individuel reconnu à l'autonomie gouvernementale. Il s'agit là d'une doctrine qui, jusqu'à présent, n'a encore été entérinée par aucun tribunal et a même en fait été rejetée par plusieurs.

Dans ce contexte, voici les principales erreurs du traité Nishga'a. La première et le plus importante, qui est aussi une erreur de toute notre politique, consiste à traiter les Indiens comme des êtres fondamentalement différents des autres Canadiens.

La deuxième est d'instaurer un gouvernement basé sur l'appartenance à une société fermée. Tous les autres gouvernements en Colombie-Britannique sont fondés sur l'appartenance à une société ouverte.

La troisième est de constitutionnaliser un troisième palier de gouvernement.

La quatrième est l'érosion qui s'ensuivra au chapitre des valeurs de citoyenneté communes à tous les Canadiens.

La cinquième consiste à constitutionnaliser une structure de pouvoir omniprésente octroyant aux gouvernements indiens un degré de contrôle tout à fait inusité sur leurs sujets.

La sixième consiste à faire primer la propriété collective sur la propriété privée.

La dernière, qu'il est très important de souligner même si elle n'est pas directement reliée aux travaux de votre comité, est que l'on fait fi des plus de 50 p. 100 de citoyens Nishga'a qui ne résident pas sur le territoire. Cela constitue l'un des principaux problèmes dans les territoires touchés par le traité. Bien des gens pensent que ce traité réglera le problème des relations entre Autochtones et non-Autochtones mais il ne fera strictement rien, ou alors très peu, pour les Nishga'a de milieu urbain.

Si le traité est mauvais, comme je le pense, qu'est-ce qui serait bien? Pour répondre à cette question, on a besoin de principes fondamentaux, et on a aussi besoin de prendre conscience de certains obstacles.

Notre politique actuelle au sujet des Indiens repose sur l'idée qu'ils sont différents et elle est le fruit de l'accumulation des mesures prises pendant de nombreuses générations. Beaucoup de gens ont un intérêt acquis et tirent leur propre statut voire, dans certains cas, leur revenu, du fait que les Indiens sont différents des autres Canadiens. Aller à l'encontre de cette idée est la garantie d'engendrer beaucoup de controverse. Les intérêts acquis se défendent toujours le mieux qu'ils peuvent.

Je vais énoncer deux catégories de principes. Pour la première, je passerai rapidement sur les questions de procédure et de règlement. Pour la deuxième, qui est importante, je traiterai des questions de gouvernance.

En matière de procédure et de règlement, le mandat des négociateurs était totalement insuffisant. Un sénateur a demandé à M. de Jong comment votre comité pourrait revenir sur ce qui a été fait. Mon argument est que la difficulté vient du fait que les gouvernements n'ont pas sollicité de mandat le moindrement détaillé, même de leur assemblée législative. Des principes fondamentaux tels que l'égalité des Canadiens n'ont jamais été pris en considération par les gouvernements avant d'entreprendre la négociation. Cela est tout à fait essentiel: il n'y avait pas de mandat fondamental.

Je parle dans mon rapport de l'objectif de réconciliation et des différents motifs des négociateurs concernant des questions telles que l'égalité et la certitude, c'est-à-dire de ce que j'appelle le «problème de pour toujours». Quand on décide de mettre quelque chose dans la Constitution, l'accord nécessaire doit être beaucoup plus difficile à atteindre. Je parle des problèmes de clarté et d'équité. Tout le monde convient certainement que le montant du règlement est très élevé. Quand je parle d'une trentaine de milliards de dollars, je n'exagère pas. Quand je parle de 20 p. 100 des terres forestières de la Colombie-Britannique, je n'exagère pas.

En termes économiques, il importe peu de savoir qui va gérer telle ou telle forêt de la Colombie-Britannique, le chef ou le premier ministre. De fait, on peut même envisager la privatisation, mais il n'en reste pas moins que les chiffres sont très gros.

Finalement, en ce qui concerne la procédure et le règlement, il y a la question d'élimination des chevauchements. Je reviens à ce que disait M. de Jong au sujet du gros problème auquel sera confronté le gouvernement de la Colombie-Britannique, surtout si l'on doit envisager plus d'une soixantaine de traités. Ce gouvernement sera tenu de consulter chaque gouvernement de troisième palier avant d'apporter des amendements aux lois touchant n'importe laquelle des très nombreuses responsabilités provinciales mentionnées dans cet accord.

Je passe maintenant à la gouvernance. Le principe le plus important des traités doit être de contribuer à l'égalité politique. Soulignons le mot «politique». En droit, les Indiens jouissent de droits spéciaux qui n'appartiennent à aucun autre Canadien, des droits de propriété. J'affirme que tous les traités devraient contribuer à réduire l'inégalité politique entre les Indiens et les autres Canadiens et j'affirme aussi qu'il ne devrait pas y avoir de troisième palier de gouvernement.

Je vais vous indiquer les trois arguments avancés pour justifier l'existence d'un troisième palier de gouvernement et vous me direz ce que vous en pensez.

Le premier est que les Indiens sont tellement différents des autres Canadiens qu'ils ont besoin d'un régime de gouvernement différent. Le régime actuel unit jeunes et vieux, riches et pauvres, hommes et femmes, homosexuels et hétérosexuels, communistes et capitalistes, Écossais et Chinois, catholiques, musulmans et athées, ermites solitaires et huttérites communautaires. Je rejette donc l'argument de la différence comme étant une absurdité patente.

Le deuxième argument est qu'il faut établir un troisième palier de gouvernement ayant la forme du gouvernement autochtone qui existait à l'époque du contact avec les Européens. En réponse à cela, j'affirme que tous les gouvernements du monde ont immensément changé au cours des deux derniers siècles et que le critère d'évaluation d'un gouvernement moderne doit être l'utilité, pas l'histoire.

Le troisième argument est qu'il faut des gouvernements indiens distincts pour préserver la culture. Je constate toutefois que d'autres cultures ont parfaitement bien survécu dans le monde entier sans reconnaissance juridique et, souvent, face à la persécution. Plus fondamentalement -- et j'aborde ici un débat interminable au Canada -- la préservation de la culture doit être assurée par ses membres, pas par les gouvernements, et en tout cas pas au moyen d'une loi coercitive.

Cela étant, je vais soumettre à votre comité une question d'ordre moral. Envisagez deux nouveau-nés canadiens.

Le premier est ordinaire à tous égards et jouit de la protection de la Charte des droits et libertés. Ses parents assument la responsabilité de sa culture et de sa morale. L'école s'occupe de son éducation. L'État est prêt à donner son soutien si quelque chose ne va pas.

Le deuxième est un Indien inscrit. Il est assujetti à un régime de droit distinct et à un système distinct d'incitations financières ou autres qui sont imposés non pas par les parents mais par la société canadienne dans son ensemble. La question morale que je vous pose est celle-ci: de quel droit lui imposons-nous cela?

Ma conclusion au sujet du troisième palier de gouvernement est que le meilleur modèle est celui des municipalités.

Parlons brièvement d'un petit gouvernement qui posséderait de vastes pouvoirs. Imaginez que vous vivez dans une ville dont le maire et le conseil contrôlent la quasi-totalité de l'argent qui circule entre ses murs. Ce sont eux qui décident si vous avez une maison, si votre plomberie sera réparée à temps, si vous avez accès à un service de transport, si vos enfants auront une bourse et qui occupera la plupart des emplois. Le résultat net est que ce ne sont pas les gens qui contrôlent leur gouvernement mais le gouvernement qui contrôle les gens.

Cette situation n'est pas imaginaire, elle existe dans certaines parties du Canada. Elle n'a rien à voir avec les Nishga'a ou avec les Indiens. Elle a à voir avec ce que disait lord Acton au sujet du pouvoir, force de corruption. C'est cela qui a toujours été le problème fondamental dans le monde entier, et le génie de la société moderne est précisément de savoir comment contrôler le gouvernement, comment établir un système de contrepoids.

Le gouvernement qui sera créé par ce traité possédera un pouvoir immense sur ses citoyens. Il eût été bien préférable d'envisager le modèle de gouvernement municipal, avec les pouvoirs municipaux.

L'Accord Nishga'a impose un régime de gestion collective. S'il y a une leçon économique fondamentale que nous a apprise le XXe siècle, par l'échec du régime communiste, c'est que la gestion collective des biens ne marche pas, que ce soit sur le plan de l'efficience ou de la liberté.

Ma conclusion est que la collectivisation forcée est inacceptable et ne devrait pas être constitutionnalisée. L'autre solution est la responsabilisation individuelle, c'est-à-dire l'octroi aux individus du droit de choisir telle ou telle partie d'un règlement donné comme étant leur propriété privée individuelle.

Cette approche aurait deux effets. Elle donnerait la primauté à l'individu plutôt qu'à la collectivité, et elle constituerait le seul moyen concret d'être équitable envers les membres situés en dehors du territoire, sur le plan aussi bien financier que politique. Je constate que les Nishga'a hors territoire représentent plus de 50 p. 100 de la population mais qu'ils n'auront que 10 p. 100 de représentation au conseil, en vertu de la Constitution des Nishga'a.

Mon dernier argument au sujet des principes concerne la transparence. Celle-ci est fondamentale en démocratie et le traité n'a rien de rassurant à cet égard. Le Parlement lui-même, comme c'est actuellement le cas mais cela pourrait être changé par une loi, serait dans l'impossibilité de savoir en détail comment les deniers publics sont utilisés -- 33 millions de dollars par an dans le cas des Nishga'a. Certes, on parle de transparence dans le traité mais, malheureusement, pas selon les normes élevées des municipalités, plutôt selon celles des paliers de gouvernement supérieurs. La relation entre le gouvernement Nishga'a et le gouvernement fédéral sera protégée par le privilège intergouvernemental et sera tenue secrète.

En résumé, monsieur le président, mon conseil est celui-ci: dans un domaine aussi truffé d'échecs, c'est la souplesse qui est nécessaire en matière de gouvernance, plutôt qu'une approche constitutionnalisée et donc, à toutes fins pratiques, figée.

Pour revenir à la question du sénateur Grafstein, j'ai une réponse simple à lui proposer. Il suffirait de dire que les dispositions de gouvernance du traité Nishga's ne sont pas enchâssées dans le cadre de l'article 35. Il n'y aurait rien d'autre à changer au traité, même pas les dispositions mêmes de gouvernance.

Le deuxième principe est celui-ci: la dignité de l'individu doit primer sur celle des collectivités, qui ne sont au fond que des utilités publiques.

Troisième observation: il faut que les solutions jouissent d'un appui général de la population, ce qui n'est pas le cas du traité Nishga'a en Colombie-Britannique -- de fait, la majorité de la population s'y oppose, selon mes dernières informations -- sinon l'échec est garanti. Les solutions que n'approuvent pas les Canadiens dans leur ensemble ne seront pas à long terme financées par les Canadiens dans leur ensemble.

Plus fondamentalement encore, des valeurs canadiennes telles que l'égalité, la démocratie, la responsabilité, le couplage des droits et des responsabilités, la tolérance de la diversité, la citoyenneté et les droits de circulation, entre autres, sont tellement fondamentales et chères à la population qu'il est difficile de voir comment toute relation qui ne serait pas fondée sur ces notions pourrait durer. Ces valeurs ne sont pas de simples platitudes ni de nouveaux concepts mais elles sont mises en relief par cet enchâssement constitutionnel des fautes du passé. Ce sont des questions importantes quand on parle d'enchâsser par traité de petites sociétés à but spécial, fermées et culturellement homogènes situées à l'intérieur d'une vaste société pluraliste et ouverte.

Le président: Merci, monsieur Gibson. Votre exposé était très bien structuré.

Le sénateur Comeau: Je suis heureux que vous n'ayez pas parlé de référendums, j'ai horreur de ces choses-là.

Vous parlez d'une soixantaine de traités qu'il reste à négocier en Colombie-Britannique, ainsi que des traités qui le seront ailleurs au Canada. Dans ce contexte, vous parlez notamment du Québec et des Maritimes. Comme je viens des Maritimes, je peux vous dire que j'y ai vu fort peu de débats, publics ou dans la presse, sur le traité Nishga'a. Je m'y suis intéressé au cas où il aurait une incidence sur la région des Maritimes. Étant donné que je m'intéresse de près au problème des pêches depuis plusieurs années et que j'ai entendu dire que cette question a été mentionnée dans le cadre du traité des Nishga'a, j'ai fait quelques recherches.

Je ne parlerai pas de «modèle», je crois comprendre qu'on n'aime pas ce mot. Je parlerai plutôt de «précédent». La semaine dernière, j'ai reçu une réponse d'un représentant du ministère de la Justice qui me disait essentiellement que l'attribution du poisson est aujourd'hui considérée non pas comme un domaine relevant exclusivement de la pêche, c'est-à-dire de la Loi sur les pêches, mais comme quelque chose que le gouvernement peut maintenant attribuer à des groupes ce qui, si je ne me trompe, ne s'était encore jamais vu au Canada. Maintenant, c'est possible, et toute nouvelle modification de cette attribution sera décidée par le Parlement, ce qui est encore une fois un précédent.

Qu'est-ce qui pourrait empêcher le ministre Nault de signer un traité dans les provinces maritimes pour attribuer 50, 70 ou 75 p. 100 du homard, du crabe des neiges, du thon ou du poisson de fond aux Micmacs? Qu'est-ce qui l'empêcherait si le traité Nishga'a était appliqué? Le représentant du ministère de la Justice m'a dit: «Ce n'est pas une attribution, cela relève parfaitement de nos droits à titre de gouvernement». Avez-vous examiné cette question et comment réagissez-vous?

M. Gibson: Si je voulais plaisanter, je vous dirais qu'on pourrait l'en empêcher par une élection.

Le sénateur Comeau: Ça ne l'a pas empêché la dernière fois.

M. Gibson: Plus sérieusement, dans l'arrêt Marshall, que vous avez certainement lu, bien que la Cour suprême se soit complètement engloutie dans son amendement à cette décision, il a clairement été dit qu'il existe des droits autochtones de propriété à l'égard des pêches de l'Atlantique et je suppose qu'il appartiendra au ministre Nault, à ses collaborateurs et au gouvernement du Canada de décider, évidemment par la négociation, n'en doutons pas, des quantités correspondantes. J'ai lu un article disant que l'on mettait de côté une somme pouvant atteindre 500 millions de dollars pour racheter les permis des non-autochtones, ce qui nous donne peut-être une idée du montant.

Le sénateur Comeau: Ce n'est pas tant le montant en lui-même qui me préoccupe, si nous dépensions cet argent -- et je suis d'accord avec ça -- pour encourager les autochtones à participer à la pêche de l'Atlantique. Pour des raisons que j'ignore, ils ne l'ont jamais fait dans le passé et j'espère qu'ils feront à l'avenir partie de la pêche commerciale.

Cela dit, qu'est-ce qui pourrait empêcher le ministre Nault de faire exactement ce qui s'est fait sur le côte Ouest -- réserver une partie de la pêche à un groupe particulier? Cela ne s'est jamais vu dans l'histoire du Canada, la pêche étant une ressource publique. Qu'est-ce qui empêcherait le ministre Nault de passer de ce qui est envisagé à court terme, c'est-à-dire le rachat des permis pour les remettre aux Micmacs, à quelque chose de beaucoup plus vaste, leur réserver concrètement une partie de la pêche?

M. Gibson: Dans la mesure où le ministre entérinait les droits de propriété des Micmacs, tels qu'ils ont été définis par la Cour suprême, je ne pense pas que rien puisse l'empêcher et, en fait, je pense qu'il serait obligé de le faire.

Essayons toutefois de distinguer la question des droits de propriété de celle des droits politiques. Les droits de propriété sont là. Ils existent en droit et c'est quelque chose que nous acceptons.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir sur la notion de troisième palier de gouvernement. Je conviens avec vous que ce concept est la pierre angulaire des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones. Je conviens aussi avec vous qu'aucun tribunal n'en encore trouvé de justification constitutionnelle de cette idée. L'arrêt Delgamuukw occupe une place centrale et on n'y trouve aucune reconnaissance comme telle d'un troisième palier de gouvernement. Je ne sais pas ce que la Cour suprême dira dans un, deux ou trois ans. Évidemment, elle continuera à rendre des arrêts sur la question des droits autochtones, des droits collectifs et des droits issus des traités, mais ce n'est pas la même chose qu'un troisième palier de gouvernement.

Vous semblez être favorable à un certain type de gouvernement pour les nations autochtones. Le fait qu'il s'agisse de nations ne fait aucun doute en droit. Si je vous ai bien compris, vous concluez qu'il devrait s'agir d'un gouvernement de type municipal, ce qui est évidemment une possibilité. Toutefois, j'en discute fréquemment avec les nations autochtones et, à mon avis, elles n'accepteront jamais cela car elles ne veulent pas de pouvoir délégué. Elles veulent tirer leur pouvoir de la Constitution elle-même. Voilà le problème constitutionnel auquel nous sommes confrontés. Voyez-vous, s'il s'agissait de délégation de pouvoir, ça ne vaudrait rien du tout et ça ne poserait pas de problème.

Il est facile de déléguer des pouvoirs aux municipalités. Par contre, si les Autochtones tiennent à ce que leurs pouvoirs soient issus de la Constitution elle-même, nous devons nous en remettre à leurs droits issus des traités et à leurs droits collectifs, étant donné qu'il s'agit d'une chose tout à fait différente. J'aimerais donc savoir si vous pensez vraiment qu'un système de gouvernement de type municipal réglerait le problème.

M. Gibson: Dans ce que je dis sur la réconciliation, j'affirme que cela constitue le but fondamental apparent des traités, bien que le but réel des gouvernements soit de régler les revendications foncières. Quoi qu'il en soit, ils disent que leur but est la réconciliation.

Le grand public tient à ce que tout le monde puisse vivre en paix et en harmonie. En conséquence, il est fortement souhaitable que les arrangements soient volontaires. Je dis ensuite dans mon rapport:

C'est ce très fort désir de la majorité des Canadiens qui donne un grand pouvoir de négociation à la partie autochtone numériquement minuscule lors des négociations. Il faut que les Autochtones soient d'accord sinon le résultat risque de ne pas passer le critère de la «réconciliation».

Toutefois, cela n'implique pas un droit de véto autochtone sur tous les arrangements futurs. Dans toutes les démocraties, quelles qu'elles soient, la majorité se réserve le droit d'imposer en fin de compte des règles de base raisonnables aux minorités si c'est la seule manière de résoudre des questions urgentes et importantes.

Le sénateur Beaudoin: Certes mais, dans la répartition des pouvoirs en vertu du traité Nishga'a, il n'existe pas de droits exclusifs des Autochtones, si je ne me trompe. Je poserai également la question au professeur Morse mais, à ma connaissance, ils possèdent des pouvoirs partagés avec le gouvernement fédéral, avec la primauté dans quelques secteurs. Cela veut dire qu'ils ont le dernier mot dans ces secteurs. Peut-on concilier cela avec les deux paliers de gouvernement qui constituent la fondation même de notre pays? Le fédéralisme est un système à deux paliers de gouvernement. Cette primauté revient-elle à ajouter une troisième palier? Ce n'est pas ce que je dis. La Cour suprême du Canada possède le dernier mot en matière d'interprétation et, si une loi ou la Constitution doit être interprétée, c'est toujours elle qui a le dernier mot. Ce serait peut-être tout à fait acceptable mais j'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. Que pensez-vous de la notion de primauté dans certains secteurs?

M. Gibson: Je conviens que c'est le problème clé à ce sujet. Il n'est pas nécessaire que le fédéralisme soit limité à deux paliers de gouvernement. La Constitution actuelle de la Belgique, par exemple, en permet trois ou quatre.

Le sénateur Beaudoin: Non, c'est un État fédéral.

M. Gibson: Oui, mais il y a des communautés culturelles aussi bien que territoriales, et il y a ensuite le pouvoir central. C'est une combinaison intéressante qui dépasse le modèle traditionnel des deux paliers.

Le sénateur Beaudoin: C'est plus complexe mais ça marche.

M. Gibson: Si l'on tient à modifier la Constitution canadienne, et je reprends ici l'expression de M. de Jong, il faut le faire franchement. Que disent les tribunaux à ce sujet? Dans l'arrêt Delgamuukw, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a été parfaitement claire au sujet de l'autonomie gouvernementale. Les Gitxsans réclamaient le droit de propriété et la souveraineté sur leur territoire et la Cour d'appel a dit qu'il «n'y a pas de place pour une souveraineté additionnelle». Le champ de la souveraineté est entièrement occupé par les deux paliers de gouvernement. La Cour suprême du Canada, quant à elle, s'est refusée à porter un jugement. Dans l'arrêt Pamajewon, cependant, où elle a constaté qu'il n'existe aucun droit d'autonomie gouvernemental autochtone en matière de réglementation du jeu, elle a ajouté en passant que, s'il existait un quelconque droit à l'autonomie gouvernementale autochtone, il serait extrêmement circonscrit. C'est tout ce que nous savons de l'opinion de la Cour Lamer. Je ne saurais que dire au sujet de la nouvelle Cour. Si l'on remonte à 1846, on constate que c'est non seulement le droit de propriété britannique qui était grevé, ce qui est un concept de common law qui n'est pas difficile à comprendre, mais aussi la souveraineté britannique, ce qui est beaucoup plus difficile.

Le sénateur Beaudoin: Certes.

Le président: Sénateur Beaudoin, pourriez-vous poursuivre ce débat avec le professeur Morse? Nous devrions aller de l'avant car beaucoup de personnes souhaitent intervenir.

Le sénateur St. Germain: Ma question concerne les accords qu'il reste à négocier en Colombie-Britannique. Comme je parle de ma province, c'est une préoccupation qui me touche directement. C'est une question qui a une incidence directe sur nous tous, de la Colombie-Britannique.

Un sénateur a parlé de justice ou d'injustice. J'aimerais quant à moi vous demander ceci: si cet accord est ratifié sans que l'on ait chassé le nuage qui subsiste actuellement en Colombie-Britannique -- et je ne parlerai pas du pourcentage de gens qui sont en faveur ou en défaveur -- quelle chance avons-nous, d'après vous, de régler la cinquantaine environ d'autres revendications? Pensez-vous que cela placera en péril les autres groupes autochtones, comme celui qui est derrière moi, les Gitxsans, qui sont dans une situation de chevauchement? Croyez-vous que les futurs gouvernements provinciaux seront réticents soit à signer de tels accords, soit à poursuivre ces négociations si le traité actuel constitue le plancher que vous dites?

M. Gibson: M. Richardson, qui comparaîtra plus tard, pourra incontestablement vous parler des difficultés du processus actuel de négociation des traités. Il paraît incontestable que le refus des gouvernements de discuter du droit de propriété et d'indemnisation cause beaucoup de difficulté. La partie autochtone a toutes les raisons d'être mécontente car c'est exactement ce que l'arrêt Delgamuukw lui avait accordé. C'est là une question difficile à résoudre pour le futur gouvernement de la Colombie-Britannique. M. de Jong vous a peut-être déjà permis d'en avoir une idée. Je ne saurais m'exprimer en leur nom mais je peux dire avec grande certitude que le processus de négociation de traités court à l'échec s'il ne recueille pas l'appui de la population provinciale. J'affirme de fait que ce que nous voyons avec le traité Nishga'a ne marchera tout simplement pas. Ce ne sera pas appuyé par la population. Je ne parle pas ici des sommes en jeu ni du territoire. Je suis tout à fait prêt à dire qu'il y aura un changement de propriétaire pour une bonne partie de la province. Par contre, la condition finale irréductible, pour beaucoup de gens, c'est l'égalité politique de tous les Canadiens.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur Gibson je vous remercie de ces remarques très réfléchies. Il est clair que vous avez longuement analysé la question. Quand vous dites qu'il faut faire «le bien pour les habitants de la Colombie-Britannique, pour les Autochtones et pour les habitants du reste du Canada», je vois que vous y croyez vraiment. Il m'arrive encore d'être surpris quand j'entends dire que nous n'avons traditionnellement pas été bons envers les Autochtones. Il y a eu un point tournant. Vous avez dit que l'arrêt Calder a joué un rôle important pour transformer l'attitude des Canadiens face à l'éventualité que les Autochtones possèdent un droit de propriété territorial. Les choses ont beaucoup évolué depuis. La Cour suprême a participé à la délimitation des droits autochtones, et le public canadien a aussi contribué à entériner les droits autochtones dans le cadre constitutionnel. Toutes ces choses ont eu un effet positif pour les Autochtones du pays.

J'ai donc beaucoup de mal à comprendre pourquoi des gens comme vous ne comprennent pas ni n'admettent pas le processus qui a été mis en oeuvre pour les Nishga'a. C'est un processus historique. Ils essaient depuis plus de 100 ans d'affirmer leurs droits et d'en obtenir la reconnaissance. C'est finalement en 2000, après des années et des années d'effort, qu'ils peuvent avoir le sentiment que leur vie pourra s'améliorer.

J'estime que ce traité moderne, ce projet de loi, est l'apogée de ce qu'il y a de mieux au Canada. Le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les Autochtones eux-mêmes ont passé des années à négocier cet accord.

Pourquoi pensez-vous que cet accord ne marchera pas, considérant tout le temps et les efforts que l'on y a consacrés? On a investi beaucoup d'effort, beaucoup d'énergie et beaucoup d'argent dans ce processus. Les Autochtones sont maintenant conscients du système. Ce n'est pas comme autrefois, lorsqu'ils devaient négocier des traités en étant désavantagés et qu'ils acceptaient des perles et des couvertures. Les Autochtones d'aujourd'hui négocient des traités en sachant parfaitement ce qu'ils font.

Vous pensez que des pouvoirs délégués seraient suffisants mais n'est-il pas vrai que le système actuel de délégation de pouvoirs aux bandes du Canada ne fonctionne pas? C'est le principe qui fonde la Loi sur les Indiens et il est évident que cela ne suffit pas aux Nishga'a ou aux autres Autochtones.

N'avez-vous donc aucun espoir? Ne faites-vous donc pas confiance aux Autochtones? Ils essaient d'améliorer leur sort et ils pensent que cet accord leur offrira un meilleur avenir.

Je pense à d'autres peuples du continent, comme les Navajos, qui possèdent des droits d'autonomie gouvernementale. Le Nunavut a un gouvernement public. D'autres bandes autochtones ont déjà acquis certaines des mesures prévues dans le traité Nishga'a.

Nous essayons tous, comme Canadiens, d'améliorer notre sort. C'est maintenant aux Autochtones eux-mêmes qu'il appartient d'achever le travail en affirmant leurs propres droits et en améliorant leur vie afin de pouvoir devenir des citoyens canadiens heureux et contribuant à la société.

M. Gibson: Il y a une phrase clé dans votre question, sénateur, qui me dit que je n'ai manifestement pas réussi à communiquer avec vous. C'est: «Ne faites-vous donc pas confiance aux Autochtones?»

Sénateur, je ne fais aucune distinction que ce soit entre les Autochtones et les Canadiens ordinaires. Voilà le fond de mon argument. Les arrangements politiques qui renforcent et élargissent cette distinction iront à l'encontre de la notion de citoyenneté canadienne pour l'ensemble de la société. Ils iront à l'encontre de l'intérêt même des Indiens. De fait, ils représentent l'aboutissement de 133 années d'échec de nos politiques.

J'affirme cela sans contester du tout la bonne foi des gens qui ont conçu ce traité. Toutefois, les données historiques, la logique, la raison et l'évolution de la pensée politique occidentale me disent que c'est une erreur. Il y a beaucoup de choses à sauver dans ce traité mais ce serait une erreur de traiter les Indiens comme une entité différente.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, j'aimerais comprendre la suggestion de M. Gibson qu'il y a une «immaculée conception» touchant les réserves que certains d'entre nous avons face à l'idée de casser cet accord. Vous dites qu'un simple amendement serait acceptable et ne nuirait pas aux négociations. Pourriez-vous vous expliquer un peu plus à ce sujet? Comment un simple amendement pourrait-il neutraliser toutes nos inquiétudes?

M. Gibson: Évidemment, je ne dis pas qu'un amendement ne changerait rien. Cela changerait des choses importantes, sur le plan de la théorie et des principes, mais pas sur le plan pratique. Je recommande un simple amendement affirmant que les dispositions de gouvernance figurant dans ce traité sont préservées -- sans qu'on y change une seule virgule -- mais qu'elles ne sont pas considérées comme faisant partie des droits entérinés par l'article 35. De cette manière, on préserverait l'expérience qui a été conçue par ces négociateurs, mais tout en gardant la possibilité de revoir et d'améliorer le traité si l'on constate qu'il ne marche pas.

Le sénateur Grafstein: Comment?

M. Gibson: Comment? Tant que la structure de gouvernance reste déléguée, les gouvernements concernés peuvent la modifier, notamment les gouvernements fédéral et provincial.

[Français]

Le sénateur Gill: Votre exposé est très fort. Je pense comprendre votre message.Vous souhaitez que les affaires des autochtones ou des Premières nations de ce pays soient gérées selon des valeurs occidentales. C'est ce que j'ai compris par l'entremise de la traduction.

Est-ce ces affaires ont été gérées selon des valeurs occidentales ou orientales jusqu'à ce jour? Qui a créé la Loi sur les Indiens? La gestion des affaires des autochtones a été faite selon quelles bases et quelles valeurs jusqu'à maintenant? Êtes-vous satisfait des résultats?

Comme je suis un nouveau sénateur qui vient de l'Est et que vous venez de l'Ouest, j'essaie de comprendre la perception des non-autochtones et des autres Canadiens au sujet des Premières nations. Est-ce que l'institut Fraser représente une majorité des gens de la Colombie-Britannique? Qui représentez-vous?

[Traduction]

M. Gibson: Sénateur, je répondrai facilement et en premier à la dernière partie de votre question. Je ne représente que moi-même. Si mes idées ont une certaine valeur à vos yeux, tant mieux. Sinon, elles n'ont pas de valeur et ne comptent pas. Ni moi ni aucun autre analyste de l'Institut Fraser ne s'expriment au nom de l'Institut. Nous nous exprimons tous à titre individuel. J'espère que cela répond à cette question.

Pour ce qui est de votre autre question, la Loi sur les Indiens a effectivement été concoctée par des non-Autochtones, et c'est précisément ce qui fonde ma critique. Elle a lamentablement échoué.

Si j'ai bien compris l'interprétation, vous dites que les Autochtones devraient continuer à être gérés selon les valeurs nord-américaines. Ce n'est pas du tout ma position. Ma position est que chaque Canadien devrait être politiquement égal et libre de choisir sa culture et son mode de vie, sous réserve des lois canadiennes communes, sans aucune série de lois spéciales dépendant de qui sont vos parents. Voilà ma position.

Le sénateurWilson: Vous avez dit que l'hypothèse que les Autochtones sont différents est absurde. Vous avez dit aussi que simplement leur accorder l'affranchissement au sens usuel serait la meilleure solution, et j'estime pour ma part que cela est absurde.

Si l'on parle de préserver la culture autochtone, je pense qu'il faut aussi parler de l'identité d'un peuple. Prétendre simplement qu'ils ne sont pas différents des autres Canadiens reviendrait à nier leur contexte culturel historique, ainsi que les politiques fédérales qui, pendant des années, ont tenté d'assimiler, d'éliminer ou de détruire cette culture. Mes discussions avec les Autochtones m'ont permis de comprendre que la collectivité est le fondement même de leur culture, contrairement à ce que vous dites, alors que le fondement de la société canadienne est la propriété privée et le choix individuel. Fort heureusement, vous avez précisé que ce n'était là que votre avis personnel.

Cela dit, si la collectivité n'est pas le fondement de la culture de bon nombre de peuples autochtones, quelle logique peut vous amener à dire que tout ce traité représente une collectivisation forcée? N'ont-ils pas participé au processus? Est-ce que quelqu'un leur a forcé la main? N'ont-ils pas pu participer à la négociation en tant que partenaires à part entière?

M. Gibson: Quand la proposition a été soumise au vote, selon la ministre Stewart, 3 300 personnes avaient le droit de voter. En fait, seulement 2 400 l'ont fait. Je suppose que la plupart des autres ne se trouvaient pas sur le territoire, bien que je n'en sache rien. Quoi qu'il en soit, en fin de compte, moins de 50 p. 100 des Nishga'a ayant le droit de voter sur ce traité l'ont effectivement approuvé. C'est ma première remarque.

Deuxième remarque, c'était un vote sans option. Aucune alternative n'était proposée, comme «Voulez-vous de ce traité ou préféreriez-vous ne pas avoir de traité?» ou «Voudriez-vous des terres et de l'argent qui vous appartiendraient, avec telle proportion pour vous et telle proportion pour le gouvernement?»

Ce que je réclame, sénateur, c'est que l'on n'impose pas de règles à quiconque. Je revendique le droit de choisir.

Le sénateur Wilson: Vous avez parlé du nombre de personnes qui ont voté. Je ne saisis pas la force de cet argument.

M. Gibson: Vous venez de dire que les Nishga'a ont obtenu ce qu'ils voulaient.

Le sénateurWilson: Non, je vous ai demandé pourquoi vous avez parlé de «collectivisation forcée» si les Nishga'a ont en fait participé aux négociations sur un pied d'égalité.

M. Gibson: C'est parce que ce traité établit un système de fiducie et de propriété collective des ressources en vertu duquel tous les biens de la communauté appartiendront et seront à toutes fins pratiques gérés par l'État. C'est comme si tout le territoire du Canada appartenait au gouvernement fédéral. C'est la même idée. Je dis que c'est imposé au sens où ça l'est par le traité.

Le sénateurWilson: Donc, à vos yeux, c'est imposé?

M. Gibson: Oui.

Le président: Merci de votre témoignage, monsieur Gibson. Vous pouvez constater que vous avez suscité beaucoup d'intérêt parmi nos sénateurs et je vous remercie beaucoup du travail que vous avez fait pour préparer votre mémoire.

Nous allons maintenant entendre Miles Richardson, commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Monsieur Richardson, j'espère que vous donnerez aux sénateurs quelques informations générales sur la Commission avant de parler du projet de loi C-9.

M. Miles Richardson, commissaire en chef, Commission des traités de la Colombie-Britannique: La Commission des traités de la Colombie-Britannique comprend cinq commissaires, soit un nommé par le gouvernement du Canada, un par le gouvernement de la Colombie-Britannique et deux par les Premières nations, collectivement. Une fois que ces commissaires sont nommés, nous devenons un organisme indépendant et nous agissons de façon neutre et impartiale pour faciliter la négociation de traités. Tel est notre mandat. Nous n'avons aucunement le pouvoir d'arbitrer quoi que ce soit. Nous exerçons notre mandat en surveillant l'évolution des négociations et en facilitant l'élimination des obstacles ou le règlement des litiges éventuels, à la demande collective des parties.

Notre rôle consiste aussi à éduquer le public de la Colombie-Britannique au sujet du processus de négociation des traités. Les trois entités mandataires nous ont donné la responsabilité de gérer les fonds de soutien des négociations pour assurer la participation des Premières nations à la négociation de traités dans la province. Cela s'explique très simplement, c'est pour créer un terrain de jeu le plus égal possible. Il ne faudrait pas que les parties qui se trouvent de l'autre côté de la table soient chargées de financer les négociations des Premières nations. Voilà donc, en quelques mots, une description de la Commission des traités.

Je tiens à dire dès le départ que je m'adresse à vous ce soir pour formuler une recommandation très simple: la Commission des traités de la Colombie-Britannique demande à votre comité de recommander la ratification du traité Nishga'a le plus tôt possible, de façon à ne pas retarder ni faire dérailler le processus d'élaboration de traités en Colombie-Britannique.

Ne pas ratifier le traité Nishga'a causerait un grave préjudice à l'honneur de la Couronne et il serait ensuite difficile, voire impossible, pour le Canada de continuer à négocier des traités en Colombie-Britannique. S'il y a un message que je tiens à vous adresser ce soir, c'est celui-là.

Je vais vous parler des négociations de traités en Colombie-Britannique, de manière générale, après quoi je serais très heureux de vous donner tous les éclaircissements que vous voudrez et de répondre à vos questions.

La Commission des traités agit par consensus. Nous vous sommes reconnaissants de nous permettre de nous adresser au Comité sénatorial des affaires autochtones. La Commission a été créée en 1993 pour faciliter la négociation de traités en Colombie-Britannique. Bien que n'ayant pas participé aux négociations avec les Nishga'a, la Commission a suivi ces négociations de près pendant les six dernières années.

La négociation avec les Nishga'a était en cours depuis longtemps lorsque la Commission a été constituée et elle ne fait donc pas partie du processus des traités. Toutefois, lorsque la province s'est jointe aux négociations avec les Nishga'a, en 1990, cela marquait le début de l'ère moderne des traités en Colombie-Britannique. À peu près à la même époque, le Congrès des Premières nations de la Colombie-Britannique et les gouvernements du Canada et de la province ont établi le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique et l'ont chargé de recommander une démarche pour la négociation de traités modernes dans la province. Les 19 recommandations figurant dans le rapport du Groupe ont été acceptées par le Canada, la province et les Premières nations en 1991. Le rapport et ses recommandations constituent le plan d'exécution du processus des traités que facilite la Commission dans la province. Ces 19 recommandations et le rapport reflètent les engagements fondamentaux, les principes fondamentaux acceptés par toutes les parties pour bâtir une nouvelle relation au moyen de traités.

Avec ces 19 recommandations, les parties ont pris un engagement fondamental les unes envers les autres et envers la population de la Colombie-Britannique et du Canada. L'une des responsabilités principales de la Commission est de veiller à ce que les parties respectent ces engagements.

Le rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique donnera à votre comité un aperçu de ces engagements, notamment de l'ampleur des négociations envisagées. D'aucuns affirment que la population ne savait pas à quoi nous nous engagions en entamant ces négociations et que divers éléments de l'Accord définitif Nishga'a sont pour elles une surprise. Rien ne saurait être plus faux.

Le rapport du Groupe de travail indiquait clairement la portée des négociations envisagées en 1991. Si l'on examine l'Accord définitif nishga'a, on peut conclure que le Groupe de travail avait donné une image précise de ce à quoi les gens pouvaient s'attendre en matière de négociation de traités et d'accords.

Le public savait à quoi s'attendre, sinon en 1991 lorsque les questions autochtones ont suscité un intérêt considérable dans la population à la suite d'une période d'agitation sociale accrue, du moins en 1993 lorsque le processus des traités fut amorcé en Colombie-Britannique. Depuis lors, les négociations de traités ont été largement transparentes et constituent en fait le processus le plus ouvert et le plus accessible de ce genre que connaisse la Commission.

Les Nishga'a ont ouvert la voie dans la négociation de traités, mais l'Accord définitif Nishga'a n'est pas un modèle pour les traités futurs. Bon nombre de Premières nations affirment qu'il est loin de répondre à leurs attentes. Laissons-leur le soin d'en juger, ce n'est pas notre rôle.

L'Accord définitif Nishga'a s'adresse au peuple Nishga'a, à la population du Canada et à celle de la Colombie-Britannique. Il respecte l'engagement des parties de négocier volontairement en toute connaissance de cause. De par sa nature même, le traité est une entente obtenue par la négociation politique, pas par des interprétations juridiques strictes. L'Accord répond aussi aux obligations juridiques du Canada et de la province à l'égard du peuple Nishga'a, de manière mutuellement acceptable.

Dans son rapport, le Groupe de travail disait que:

La négociation de traités en Colombie-Britannique donne l'occasion de reconnaître les gouvernements des Premières nations sur leurs territoires traditionnels. Il est important que les traités, qui jouiront d'une protection constitutionnelle, soient explicites sur les questions de compétence.

Un des éléments de l'assise historique du droit des Premières nations de participer à la négociation de traités réside dans le fait que les Premières nations étaient autrefois des nations distinctes et autosuffisantes, ayant chacune leur propre langue, leur économie, leurs lois, leur gouvernement et leur territoire. Ce droit ne découle pas simplement du fait que les Premières nations possédaient leurs territoires mais du fait qu'elles l'administraient.

S'il est vrai que les tribunaux n'ont pas encore été appelés à déterminer si l'autonomie gouvernementale est un droit ancestral, leurs jugements sur la nature du droit de propriété autochtone donnent une idée de leur ligne de pensée. En disant que le droit de propriété autochtone appartient à la communauté qui possède le territoire, la Cour suprême semble indiquer que le droit autochtone exige une certaine forme d'arrangement collectif de pouvoirs pour son exercice même et pour sa réglementation. On peut logiquement en déduire qu'une certaine forme d'autonomie gouvernementale est un élément nécessaire des droits ancestraux et du titre autochtone.

L'histoire de la Colombie-Britannique est celle d'un déni du titre et des droits autochtones, mais la Cour suprême du Canada a clairement déclaré que cela doit changer. Ces questions n'ont plus à faire l'objet de débats ou d'enquêtes. Le plus haut tribunal du pays a poussé la question territoriale, le conflit entre la Couronne et le titre autochtone, dans l'arène politique en préconisant des négociations.

Cette préférence pour des négociations politiques par rapport à des poursuites judiciaires n'a cessé d'être réitérée dans les arrêts les plus récents de la Cour. Les dispositions d'autonomie gouvernementale du traité Nishga'a sont le fruit de négociations politiques donnant-donnant. D'aucuns prétendent que, s'il faut vraiment avoir des traités, ceux-ci devraient être réglés par un versement forfaitaire en espèces à chaque Autochtone. L'arrêt Delgamuukw de la Cour suprême montre clairement que cette option n'est pas envisageable, du fait de l'existence du titre autochtone.

La notion de titre autochtone, que l'on retrouve dans de nombreuses régions du monde, repose sur le principe fondamental que les peuples ayant historiquement occupé et utilisé un territoire en sont propriétaires. C'est un aspect fondamental des systèmes de propriété fondés sur la common law ou le droit civil.

L'une des caractéristiques du titre autochtone est qu'il est détenu par des groupes et non pas par des individus. En conséquence, lorsque la Cour suprême du Canada a confirmé l'existence du titre autochtone en Colombie-Britannique, il était clair que les gouvernements se devaient de répondre aux besoins des Premières nations, détentrices du titre, pas à ceux de leurs membres individuels.

Une majorité écrasante de Britannico-Colombiens admet qu'il est nécessaire de négocier des traités avec les Premières nations si l'on veut résoudre la question de la propriété foncière et de l'exercice des pouvoirs dans la province. La plupart des gens conviennent que ces questions ont été pendant beaucoup trop longtemps laissées de côté ou niées et que, pendant beaucoup trop longtemps, la population de la province a dû payer le prix de l'incertitude économique.

C'est le processus de négociation des traités qui a inspiré les négociations des Nishga'a, tout comme celles-ci ont influé sur le processus lui-même.

N'oublions pas que la négociation des traités a le changement pour objet. Les traités signifient un changement dans des aspects fondamentaux de notre vie: Qui possède le territoire? Qui exerce les pouvoirs? Qui gère le territoire? Les traités signifient aussi un changement dans la répartition des ressources et des revenus qui en découlent.

Pour des raisons de clientélisme politique, on a tout tenté pour qu'il n'y ait aucun changement dans ces domaines, ce qui a nui à la négociation du traité. Si le processus continue en coûtant des millions de dollars, et s'il faut trop longtemps pour parvenir à des ententes, cela causera du tort aux relations et menacera sérieusement la volonté des Premières nations de négocier.

Il faut que le gouvernement du Canada respecte les engagements qu'il a pris lorsqu'il a entamé les négociations avec les Premières nations de la Colombie-Britannique. Il doit respecter les engagements qu'il a pris de bonne foi.

Je tiens à souligner cet élément suite à la dernière remarque de mon bon ami, M. Gibson, contestant la ratification du traité par les Nishga'a. Au début de chaque train de négociations, l'une des premières questions que l'on aborde est celle de la procédure de ratification. Avant d'investir beaucoup d'effort et d'argent et de s'engager à négocier une nouvelle relation aussi fondamentale, il faut s'assurer que les gens donnant le mandat de négocier sont aussi ceux qui devront ratifier le résultat. C'est ce sur quoi les parties s'étaient entendues avant d'entamer les négociations et il est essentiel que la procédure de ratification soit respectée jusqu'au bout. C'est un aspect fondamental de toute négociation de bonne foi. C'est l'élément logique du processus de ratification convenu par le gouvernement du Canada, tout comme le référendum Nishga'a faisait partie de la procédure de ratification convenue par la Première nation.

À cette époque tendue de négociation de traités en Colombie-Britannique, il faut que les Premières nations sachent bien que le Canada et la Colombie-Britannique restent déterminés à obtenir des résultats. L'Accord définitif Nishga'a est l'expression de cet engagement. Nous devons maintenir le cap que nous avons pris lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique s'est joint au gouvernement du Canada pour négocier avec les Nishga'a en 1990. Ce processus est pour les Premières nations l'aboutissement d'un cheminement qui a débuté il y a 150 ans. Depuis lors, les Premières nations de la province n'ont cessé de réclamer la reconnaissance de leurs droits autochtones et de leur titre de propriété au moyen de pétitions, de manifestations, de poursuites et de négociations.

L'époque du déni est révolue. Les Canadiens ont choisi la voie de la négociation politique. Bien des raisons d'ordre juridique militent en faveur de la conclusion de traités maintenant, et il y a toujours eu de fortes raisons d'ordre historique et économique pour conclure des traités. Il est temps de passer à l'action.

Les Nishga'a et les gouvernements fédéral et provincial se sont entendus sur la marche à suivre. L'Accord a été difficile à négocier, tout comme le seront les traités du futur si l'on veut qu'ils répondent aux besoins et intérêts de toutes les parties.

Je répète que la Commission des traités invite le comité à recommander la ratification du traité Nishga'a le plus tôt possible, afin que le processus de négociation en Colombie-Britannique ne soit ni retardé ni déraillé.

Ne pas ratifier le traité Nishga'a causerait un grave préjudice à l'honneur de la Couronne et il serait difficile, voire impossible, au Canada de continuer à négocier des traités en Colombie-Britannique. Ne pas ratifier le traité Nishga'a rendrait d'autres options, comme des poursuites judiciaires et une action directe des Premières nations, beaucoup plus attrayantes.

Merci d'avoir permis à la Commission des traités d'exposer sont avis. Mes quatre collègues de la Commission se joignent à moi pour vous souhaiter du succès dans vos délibérations.

Le sénateurChristensen: Vous dites que ce n'est pas un modèle mais, pourtant, plusieurs témoins nous ont dit que c'était précisément cela. Qu'est-ce qui les amène à cette conclusion?

M. Richardson: Ce n'est pas un modèle. Ceux qui ont exprimé cette opinion devront s'expliquer eux-mêmes. Certes, je conviens que l'Accord Nishga'a a précédé les négociations de traités dont je parle dans mon rapport mais l'engagement a été pris au début de chaque négociation de traité d'agir en fonction des objectifs et des besoins de chaque Première nation concernée et des autres parties, et que les dispositions particulières figurant dans tel ou tel traité négocié antérieurement ne seraient pas considérées comme étant exécutoires sur les suivants. Cela dit, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont des objectifs qu'ils sont juridiquement tenus de respecter. En conséquence, il y aura des points communs dans tous les traités, mais la manière dont ceux-ci seront adaptés aux intérêts et objectifs des Premières nations dépendra de chaque négociation.

Le président: Vous avez entendu M. Gibson dire que cet accord constituerait un plancher tout comme, dans des négociations syndicales, par exemple, on part de la dernière convention négociée. En qualité de commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, pensez-vous que les négociations futures viseront à obtenir plus que les Nishga'a ou sera-t-on prêt à accepter moins?

M. Richardson: J'ai des opinions très arrêtées à ce sujet, de manière générale, mais elles ne s'expriment pas en termes de plus ou de moins. J'estime que les négociations seront différentes à chacune des autres tables. Bon nombre des éléments pris en considération dans le traité Nishga'a le seront aussi aux autres tables. La compétence sur le territoire central sera fort probablement l'un de ces éléments. De même, les pouvoirs de gouvernance sur ces territoires et sur les services dispensés à la population -- santé, éducation, culture -- seront aussi en toute probabilité placés sur les prochaines tables de négociation. Même chose pour les questions d'ordre financier. Comment tous ces éléments s'intégreront les uns aux autres dépendra cependant de la situation qui règne sur chacun des territoires pour lesquels on va négocier.

Des possibilités différentes se présenteront dans les différentes parties de la province et dans les différents territoires. La prudence impose d'ailleurs que la manière dont ces divers éléments seront intégrés diffère d'un traité à l'autre. Certaines questions auront plus d'importance pour certains traités que pour d'autres. L'engagement fondamental pris au début des négociations est que les traités ne seront pas tous les mêmes et que chaque traité définitif dépendra de la situation dans chaque région.

Le président: Je voudrais une réponse très brève à cette question: pensez-vous que les dispositions fiscales du projet de loi C-9, notamment l'accord des Nishga'a de payer des taxes au bout de 12 ans, constitue un modèle pour l'ensemble de la province?

M. Richardson: Il n'appartient pas à la Commission des traités d'exprimer un avis à ce sujet. La manière dont les Nishga'a ou n'importe quelle autre Première nation négocient leurs dispositions de gouvernance, dans les traités, c'est leur affaire.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Richardson, il faudrait peut-être expliquer pourquoi on emploie le mot «modèle». C'est le premier ministre de la province lui-même qui l'avait employé.

M. Richardson: Il a changé d'avis depuis.

Le sénateur St. Germain: Ceux d'entre nous qui ne sommes pas originaires de la Colombie-Britannique ne le savent pas nécessairement et il est donc important de le préciser. C'est l'une des raisons pour lesquelles on parle de «modèle».

J'ai eu l'occasion de discuter avec votre prédécesseur, Alec Robertson, du processus de négociation des traités et de la manière dont il allait évoluer, à son avis, ainsi que de la manière dont fonctionneraient les divers traités. Il nous a remis un document indiquant clairement qu'aucun accord ni aucun traité ne devait être signé avec aucun groupe autochtone tant que tous les chevauchements avec d'autres groupes autochtones n'auraient pas été réglés. Je sais que cette entente a été négociée en dehors de la Commission des traités de la Colombie-Britannique mais je crois savoir que la Commission a participé au processus de financement, entre autres, et on me corrigera si je me trompe.

Comment un chef autochtone de la province peut-il en conscience accepter d'entreprendre des négociations quand on sait qu'il y a entre les Gitanyows et les Gitxsans un chevauchement qui leur cause des difficultés? Je pense que c'est dans l'arrêt Luuxhon qu'un juge a déclaré que les négociations avec les Gitanyows devaient être menées de bonne foi.

Les paramètres de la revendication énoncés dans l'arrêt Calder de 1973 ont sensiblement changé. Ne pensez-vous pas que ces chevauchements devraient être réglés avant de continuer? Vous parlez à la fin de votre mémoire d'action directe.

Je me suis laissé dire que les collectivités autochtones pourraient passer à l'action directe. Pensez-vous que ce soit la meilleure solution?

M. Richardson: Ce n'est pas vraiment à moi de le dire. Je ne m'exprime pas à vous en tant que chef autochtone mais en qualité de commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Le document auquel vous faites allusion et que mon prédécesseur, Alec Robertson, vous a communiqué est le rapport annuel de 1998 de la Commission où nous parlons très franchement de l'un des obstacles les plus complexes et les plus sérieux à la négociation de traités dans la province. Je veux parler de la définition d'une Première nation, des limites territoriales de cette définition, et du fait qu'il existe des chevauchements entre les limites territoriales de la plupart des Premières nations participant aux négociations.

Dès le début de mon exposé, j'ai précisé que la Commission des traités ne détient aucun pouvoir d'arbitrage. Nous ne pouvons forcer aucune des parties à faire quoi que ce soit. Nous pouvons faire des recommandations et suggérer qu'elles adoptent telle ou telle démarche, comme nous l'avons fait à ce sujet dans notre rapport de 1998.

Nous avons réitéré le principe fondamental nécessaire pour résoudre cette question, c'est-à-dire que les Premières nations se définissent elles-mêmes. C'est un principe que chacune des parties a adopté. En conséquence, les chevauchements ne peuvent être réglés qu'entre les Premières nations elles-mêmes.

La Commission des traités a recommandé que le Canada et la Colombie-Britannique facilitent ce processus en ne signant pas d'entente de principe avec toute Première nation qui n'aurait pas réglé ses problèmes de chevauchement, à moins d'avoir déployé tous les efforts possibles. C'est ce que nous avions recommandé.

Comme vous le dites à juste titre, sénateur, les négociations avec les Nishga'a ont précédé le processus des traités de la Colombie-Britannique. Toutefois, les Gitanyows et les Gitxsans font partie de ce processus. Je n'ai aucun problème de conscience à ce sujet, sénateur St. Germain. Je sais parfaitement que je n'ai pas le pouvoir, et la Commission non plus, de résoudre ce problème. Tout ce que nous pouvons faire, c'est demander à chaque Première nation concernée d'entamer les négociations de bonne foi et de faire tous les efforts possibles pour trouver une solution. Je pense que cette option reste ouverte.

Si cela n'aboutit pas, il me paraît tout à fait évident que les tribunaux devront intervenir. De fait, certaines de ces questions ont déjà été portées devant les tribunaux, mais cela ne nous regarde pas. Nous souhaitons simplement que le problème puisse être réglé adéquatement par la négociation. Si l'on examine toutes les autres options, il ne fait aucun doute à nos yeux que c'est la plus constructive.

Je regrette d'avoir pris longtemps pour répondre, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Richardson, c'était une réponse très utile.

Le sénateur Grafstein: J'ai l'impression de suivre un cours de maîtrise en négociations autochtones. Je vous remercie de vos remarques.

Au sujet des 19 conditions préalables dont vous avez parlé, vous dites que:

À peu près à la même époque, le Congrès des Premières nations de la Colombie-Britannique et les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont établi le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique pour recommander une démarche de négociation.

Ensuite:

Les 19 recommandations contenues dans le rapport ont été acceptées par le Canada, la Colombie-Britannique et les Premières nations en 1991.

Je suppose que ce serait votre réponse à M. Gibson, qui se demandait si l'on avait établi des principes de négociation. Ai-je raison de penser que ces 19 recommandations représentaient 19 principes?

M. Richardson: Oui.

Le sénateur Grafstein: Je sais qu'il y a une différence entre les droits de propriété et les droits politiques. Dans ce traité, ils sont plus ou moins amalgamés, ce qui complique l'analyse. Est-ce que l'octroi de droits politiques minoritaires exhaustifs faisait partie des 19 recommandations? Autrement dit, la Commission a-t-elle recommandé l'octroi de tels droits politiques minoritaires sur les terres des Nishga'a?

M. Richardson: Je ne saisis pas votre question.

Le sénateur Grafstein: Des témoins précédents nous ont révélé qu'il y a une centaine de propriétaires non Nishga'a sur les terres des Nishga'a. Je me demande donc si ces propriétaires, ou d'éventuels résidents futurs de la même catégorie, ont obtenu des droits politiques minoritaires exhaustifs comme condition des négociations? Cela faisait-il partie vos 19 recommandations?

M. Richardson: Non. Je suis tout à fait prêt à vous donner des précisions à ce sujet si on en a le temps.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais en avoir mais je sais que le temps passe vite.

Le président: Je pense que la réponse à cette question serait tout à fait importante, monsieur Richardson, et nous aimerions l'entendre.

M. Richardson: Le but de la négociation de traités en Colombie-Britannique, comme l'indiquait le Groupe de travail sur les revendications et comme l'expriment les 19 recommandations, était d'arriver à la certitude juridique en Colombie-Britannique, par le truchement de négociations juridiques volontaires. Autrement dit, qui possédait le titre de propriété? Qui possédait le pouvoir de légiférer sur quoi?

À l'aube des négociations, la Commission des traités a clairement indiqué que le point de départ des négociations exprimé par ce rapport était la reconnaissance mutuelle. Les pouvoirs de la Couronne sont connus, ils sont énoncés aux articles 91 et 92. Les Premières nations ont admis cette réalité en venant à la table de négociation, et la Couronne a reconnu que les Premières nations ont également une revendication constitutionnelle légitime.

On trouve à la page 4 du mémoire de la Commission des traités des extraits du rapport du Groupe de travail, notamment cette remarque:

L'assise historique du droit des Premières nations de participer à la négociation de traités réside dans le fait que les Premières nations étaient autrefois des nations distinctes et autosuffisantes, ayant chacune leur propre langue, leur propre économie, leur propre régime de droit et de gouvernement, et leur propre territoire.

Cette notion a été précisée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Delgamuukw où elle a dit que ce droit continue d'exister en Colombie-Britannique, qu'il appartient à ce que j'appelle les Premières nations, ce qui est une expression politique, et qu'il s'agit d'un droit unique, exclusif et équivalent au droit de propriété. C'est un droit très important.

Qu'est-ce que cela veut dire quand on entreprend des négociations? Il existe un chevauchement complet entre les pouvoirs fondamentaux et le but de la négociation de traités est précisément de trouver des accommodements à ce sujet. Comment faire cela par le truchement de négociations à caractère politique? Le Groupe de travail sur les revendications n'a formulé dans son rapport aucune hypothèse quant à la manière dont cela pourrait se faire, il a simplement dit qu'il fallait le faire avec le consentement de toutes les parties.

Le président: Monsieur Richardson, mes collègues et moi-même vous remercions beaucoup d'être venu témoigner ce soir. Vous êtes manifestement l'un des experts en matière de négociation de traités et nous apprécions beaucoup votre aide.

Le prochain témoin est le professeur Bradford Morse. Professeur, vous êtes ici depuis un certain temps et vous avez entendu plusieurs témoins évoquer la Constitution. Comme vous êtes un expert sur les questions constitutionnelles et les droits autochtones, nous allons vous écouter avec beaucoup d'attention.

M. Bradford Morse, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Je sais qu'il est tard et je vais essayer d'être raisonnablement bref. J'espère que je pourrai vous donner des informations utiles en réponse aux questions que vous vous posez sur ces questions complexes. Je crois comprendre que mon mémoire vous a été remis. Je regrette qu'on n'ait pas pu vous le remettre avant ce soir mais vous savez que je n'ai pas eu beaucoup de temps pour préparer cette comparution.

Je vais d'abord résumer brièvement mon mémoire avant de tenter de répondre à vos questions. C'est évidemment un grand honneur pour moi d'avoir été invité à comparaître devant votre comité. J'estime que vous participez actuellement à l'une des tâches peut-être les plus importantes de cette session parlementaire. Quand vous réfléchirez plus tard à votre carrière dans cette auguste institution, vous pourrez peut-être conclure que vous avez participé à l'une des tâches les plus importantes pour contribuer à l'édification de cette grande nation. Vous vous souviendrez que vous aurez contribué à reconstruire la relation de partenariat qui est absolument essentielle entre les propriétaires d'origine de cette terre et les vagues d'immigrants qui sont arrivées ensuite, génération après génération.

Je me présente aujourd'hui devant vous avec beaucoup d'humilité considérant la qualité des nombreuses personnes qui participent depuis tant de mois et d'années, tant à Ottawa qu'en Colombie-Britannique, à des débats publics sur ce traité. Il y a eu des débats à la Chambre des communes, dans des comités parlementaires, à l'Assemblée législative de la province et dans des centaines de réunions publiques, pendant que se poursuivait la négociation de ce traité. Et je vois aussi aujourd'hui autour de moi des personnes remarquables -- auxquelles j'ajoute les représentants de la Nation Nishga'a qui étaient ici hier -- qui ont consacré beaucoup d'énergie et de dévouement, certaines pendant des décennies, pour arriver à une solution juste, dans la meilleure tradition canadienne, la négociation pacifique.

Il n'est pas inutile de rappeler que c'était il y a plus de 113 ans que le chef des Nishga'a s'était rendu à Victoria, en Colombie-Britannique, pour inviter le gouvernement provincial à négocier un traité afin d'adhérer au cercle de la Confédération. Hélas, on lui a fermé la porte au nez. Il y aura quelque 87 ans ce printemps que les Nishga'a ont adressé une pétition au roi et à son Conseil privé, en Angleterre, afin d'obtenir une intervention royale pour encourager la négociation d'un traité, mais sans succès.

Les Nishga'a n'ont cessé d'inviter le gouvernement fédéral à négocier un traité. Malheureusement, le gouvernement n'a cessé de rejeter leur demande car il n'avait en fait aucun désir d'acquérir les terres des Nishga'a dans l'intérêt de la Colombie-Britannique sans participation provinciale.

Le refus de nos gouvernements et de tous les citoyens non Nishga'a de faire face à la réalité historique fondamentale et indéniable qu'il s'agissait là du territoire des Nishga'a, auquel nous n'avions aucun droit légal sans négocier une relation de traité, ne nous a pas empêchés de saisir de vastes parties du territoire traditionnel et de l'exploiter dans notre intérêt économique, ce qui leur a fort peu rapporté.

La Nation Nishga'a a toujours agi avec honneur et dignité et a toujours possédé une culture et une histoire riches. Elle s'est toujours conduite dans la plus belle tradition du Canada. Elle a tenté d'obtenir un résultat juste et équitable pour tout le monde, par une diplomatie discrète et pacifique et en s'efforçant toujours d'obtenir des négociations. N'est-il pas paradoxal que nous, qui attachons tant d'importance à ces valeurs et qui voulons croire qu'elles font partie de nos ressources nationales, même s'il ne s'agit pas de ressources naturelles, les avons tellement rarement mises en oeuvre dans les relations entre la Nation Nishga'a et nos gouvernements fédéral et provincial, pendant toutes ces années?

La Nation Nishga'a a été obligée de s'adresser aux tribunaux canadiens pour faire confirmer son droit dans le célèbre arrêt Calder de 1973. En outre, alors même que la Cour avait confirmé à l'unanimité que le titre autochtone faisait et avait toujours fait partie de la doctrine de common law constituant l'assise de la majeure partie du droit canadien -- même si je m'empresse d'ajouter qu'il n'y avait pas d'unanimité quant à l'existence continue de ce droit -- la Nation Nishga'a a dû attendre 18 années supplémentaires pour que la province accepte de se présenter à une table de négociation.

Il a dû être incroyablement frustrant pour des chefs Nishga'a comme Frank Calder de déployer tous ces efforts et d'assumer toutes ces dépenses pour aller jusqu'en Cour suprême afin de faire reconnaître leurs droits, ce qui allait entraîner une révision fondamentale du droit et de la politique du Canada à l'égard des Premières nations, sans en recevoir aucun bienfait direct. De fait, ils ont dû faire preuve de patience alors que de nouveaux traités étaient négociés au Nord du Québec, dans l'Arctique occidental, dans l'Arctique oriental, au Yukon et dans la vallée du MacKenzie. Ils ont attendu avec patience en rappelant constamment aux populations du Canada et de la Colombie-Britannique que le dossier restait pendant.

N'est-il pas tragique que tant de chefs Nishga'a comme James Gosnell n'aient pas vécu assez longtemps pour voir la signature de l'ADN? Ils n'ont pas pu voir l'accord ratifié par le peuple Nishga'a, l'Assemblée législative de la province et, aujourd'hui, le Parlement.

Le président: Je précise à mes collègues que l'ADN est l'accord de principe négocié en 1996 qui a fait l'objet d'innombrables réunions en Colombie-Britannique. Veuillez poursuivre.

M. Morse: En revanche, les accusations, les mythes et les mensonges les plus fous qui ont été répandus par certains, et je souligne bien le mot certains, des critiques de l'accord doivent faire un mal considérable à quiconque a consacré une longue partie de sa vie à obtenir une solution juste à cette longue infraction aux droits de la personne. Certes, je ne suis pas membre de la Nation Nishga'a et je n'ai jamais travaillé pour elle mais je ne peux m'empêcher d'être profondément attristé par les remarques cruelles, grossières, voire racistes, de certains de mes concitoyens.

La vraie critique est toujours bénéfique tant qu'elle se veut constructive et qu'elle est formulée de bonne foi, avec honnêteté. Hélas, je crains qu'une trop grande partie de ce qui passe pour de la critique du traité résulte de l'ignorance, de la colère et des préjugés.

Permettez-moi de prendre quelques minutes pour parler de ce que j'estime être les erreurs les plus flagrantes.

La première est l'idée que ce traité instaure un système de taxation sans représentation. C'est tout simplement faux. Les Nishga'a paient des impôts aux gouvernements fédéral, provincial et Nishga'a. Les non-Nishga'a de la région continueront de payer de l'impôt sur le revenu et des taxes de vente et foncières, comme ils le font actuellement, aux gouvernements fédéral et provincial, et ils pourraient payer des taxes foncières à un gouvernement régional ou municipal si un tel gouvernement était créé et que la législation provinciale pertinente était modifiée.

La deuxième erreur est de penser que les gens seront traités de manière différente en vertu de ce traité, du fait de leur race. Voilà un aspect fondamental du traité que bon nombre de critiques ne comprennent pas. Les droits des Autochtones ne sont pas des droits qui sont reconnus à un groupe distinct en vertu de sa race. Plutôt, comme la Cour suprême des États-Unis l'a clairement et souvent répété pendant les 177 dernières années, et comme sa propre jurisprudence vient de l'entériner plus récemment, certains peuples possèdent leur territoire depuis des temps immémoriaux en qualité de nations indépendantes dotées de leurs propres systèmes juridique, culturel, linguistique et politique.

C'est cette situation juridique particulière, comprenant l'affirmation du droit à l'autodétermination, qui exprime la différence des Premières nations comme entités politiques, non pas leur appartenance à des groupes raciaux distincts. C'est ce statut politique et juridique que l'on reconnaît.

Je sais que certaines réserves ont été exprimées, notamment au sein de votre comité, sur la question de la citoyenneté. Certes, on dit dans le traité que les membres de la Nation Nishga'a sont des citoyens mais, à mon avis, cela ne crée pas deux catégories de citoyenneté au Canada. Seule la Loi fédérale sur la citoyenneté fixe les règles d'acquisition de la citoyenneté en droit national ou international.

Les Nishga'a choisissent de dire que ceux de leurs membres qui partagent les droits communs à la collectivité Nishga'a sont des «citoyens» de leur nation de la même manière que cela se fait dans le contexte des ententes de règlement des revendications territoriales négociées au Yukon jusqu'à présent. Il s'agissait là d'un choix délibéré et sage de leur part car il exprime une relation politique de l'individu au gouvernement qui n'est pas liée à la résidence, comme dans le cas des liens politiques provinciaux et municipaux.

Étant donné que plus de la moitié de leurs membres ne résident pas dans la vallée de la Nass, c'est-à-dire sur le territoire de leur gouvernement, le concept de résidence ne refléterait pas avec exactitude la porté de l'Accord. J'estime plutôt que la notion de citoyenneté exprime la décision de l'individu de faire partie du peuple Nishga'a et d'accepter son gouvernement, même s'il réside en dehors de ce territoire, tout en exprimant aussi la décision des Nishga'a d'accepter cet individu comme membre à part entière. Je ne vois pas quel autre terme pourrait exprimer cette réalité aussi exactement. Si l'on parle de «membres», cela vaut plus pour des individus choisissant d'adhérer à des associations ou à des groupes et pouvant aussi choisir de les abandonner. Cette fois, il s'agit beaucoup plus de la recherche d'une relation politique. Comme je l'ai dit, comme plus de la moitié de leurs membres résident en dehors de leur territoire, le concept de résidence ne convient pas.

Troisièmement, d'aucuns affirment que le traité mine la Charte canadienne des droits et libertés. Franchement, c'est faux. C'est d'autant plus paradoxal que tant de ceux qui avancent cet argument semblent en contrepartie fréquemment reprocher à la Charte d'octroyer trop de pouvoir aux juges pour casser les lois adoptées par les assemblées législatives, les conseils municipaux et le Parlement. Comme vous le savez, le traité indique précisément que la Charte s'applique, ce qui est réitéré dans le préambule du projet de loi dont vous êtes saisis.

On a dit aussi qu'il ne sera plus possible de faire des changements une fois que le projet de loi C-9 aura été adopté. Cela aussi est faux. Il y a dans le traité une formule d'amendement qui prouve que l'on envisage que les trois parties puissent s'entendre sur des modifications à l'avenir. De plus, il y a une formule d'amendement dans la Constitution elle-même. Certes, elle n'est pas facile à utiliser mais elle l'a quand été avec succès à plusieurs reprises. De plus, l'accord lui-même sera en fin de compte interprété par les tribunaux canadiens, ce qui nous amènera à le voir sous un angle légèrement différent et à en modifier notre compréhension. Bien qu'il ne s'agisse pas là d'une formule d'amendement officielle, cela produira des différences de compréhension et d'application du traité et du projet de loi avec le temps.

Comme nous le savons tous, nous venons d'entrer dans un nouveau millénaire. Certains Autochtones ne cessent de nous rappeler qu'ils ont subi pendant les 500 dernières années dans les Amériques à la fois l'oppression, le colonialisme, le racisme et de fausses notions de supériorité. Je vois mal quel meilleur cadeau pourraient recevoir les Canadiens, et les Canadiens adresser au reste du monde, que la proclamation de ce traité -- fruit de négociations longues et difficiles et plein de compromis qui font, je n'en doute pas, qu'aucune des parties n'en est totalement satisfaite -- dans les termes fort peu poétiques, c'est le moins que l'on puisse dire, du paragraphe 4(1) -- «approuvé, mis en vigueur et déclaré valide; il a force de loi».

Le traité est-il parfait? Pas du tout, mais quel accord l'est-il jamais quand il exige des compromis? Devez-vous exiger la perfection avant de l'approuver? Si tel était votre critère, vous n'adopteriez probablement jamais aucune loi, et aucun accord valable ne serait jamais signé, puisque le mieux est ici l'ennemi du bien. Transformer les relations politiques, juridiques et économiques entre une majorité et une minorité qui sont voisines et concitoyennes est toujours un tour de force. Le faire avec un sentiment de paix et de bonne volonté, la main tendue, c'est quelque chose qui mérite sincèrement d'être célébré et partagé.

Voilà pourquoi je vous invite instamment à adopter le projet de loi C-9.

Le président: Merci.

Le sénateur Beaudoin: J'ai tendance à accepter votre distinction entre la citoyenneté Nishga'a et la citoyenneté canadienne. Je suis porté à croire que, s'il y a jamais un litige qui est porté devant la Cour suprême à ce sujet:

Seule la Loi fédérale sur la citoyenneté peut déterminer les critères d'acquisition de la citoyenneté en droit national ou international.

Je n'ai aucun problème avec ça.

Par contre, vous n'avez rien dit, me semble-t-il, sur la question dont nous parlions il y a un instant, le troisième palier de gouvernement. Ce n'est pas un élément direct du projet de loi mais c'en est certainement un élément indirect. Vous connaissez fort bien, j'en suis sûr, toutes les causes qui ont été portées devant la Cour suprême au cours des 10 dernières années au sujet des Autochtones. Comme on l'a dit il y a quelques minutes, la Cour n'a pas rendu de décision sur la question de savoir s'il existe ou non un troisième palier de gouvernement. En revanche, elle a rendu de nombreux jugements, de manière adéquate à mon avis, sur les droits des Autochtones, et nous sommes tous d'accord avec ça.

J'aimerais savoir si vous considérez qu'il y a dans l'article 35 un droit inhérent à un troisième palier de gouvernement, ou si cette question reste pendante.

M. Morse: Je répondrai à votre question -- qui contient presque deux volets -- par un double oui. J'estime que le paragraphe 35(1), tels qu'y sont formulés les droits ancestraux existants et les droits issus des traités, comprend un droit inhérent des peuples autochtones à régir leurs propres affaires.

Cela dit, toutefois, je n'irais pas jusqu'à dire que les tribunaux canadiens ont réglé cette question une fois pour toutes. Il existe un certain degré d'incertitude, et il y en aura toujours un tant que l'on n'aura pas de décision définitive de la Cour suprême. Et même alors, d'ailleurs, vous le savez bien, la Cour pourrait changer d'avis plus tard, ce qui veut dire que les choses ne sont jamais définitives que temporairement.

Plusieurs raisons m'amènent à cette conclusion. Premièrement, je m'appuie sur l'approche de la Cour suprême des États-Unis dans ce domaine. Dès ses premiers jours, avec Fletcher c. Peck, et particulièrement avec la trilogie Johnson c. McIntosh, Cherokee Nation c. Georgia et Worcester c. Georgia, la Cour suprême a parlé des tribus indiennes des États-Unis comme étant des nations en situation de dépendance. Cela reflétait dans une certaine mesure un compromis politique de la part des tribunaux et, aussi, le reflet de la réalité démographique, économique et militaire des États-Unis à l'époque.

C'était aussi en partie un effort de prise en compte de la réalité exprimée récemment par la Cour suprême du Canada, avec les Cours Dickson et Lamer, qui est que, lorsque les immigrants sont arrivés, le territoire était déjà occupé par des Indiens qui vivaient comme nations dotées de gouvernements politiques et ayant clairement la capacité de négocier des traités. Le droit américain autant que le droit canadien, avec l'arrêt Sioui, a reconnu qu'il s'agit là d'une réalité qui a clairement continué longtemps après.

L'effort américain de prise en compte de cette réalité, tout en affirmant la souveraineté internationale des États-Unis nouvellement créés, s'est traduit par l'imposition d'un compromis aux tribus indiennes, en leur disant: «Vous êtes encore souveraines mais vous êtes désormais souveraines à l'intérieur de notre sphère internationale et à l'intérieur de nos frontières extérieures». Ces décisions ont constamment et favorablement été évoquées par les tribunaux canadiens, y compris par la Cour suprême du Canada, au sujet du concept de droit de propriété autochtone, étant donné que ces arrêts portaient aussi sur cette question.

S'il est vrai que la Cour suprême du Canada ne s'est pas penchée sur la question de l'autonomie gouvernementale et du droit inhérent à l'autodétermination -- ou à la souveraineté, pour employer l'expression américaine -- elle a incontestablement adopté les mêmes thèses. Cela me porte à croire que nous avons en fait embrassé la doctrine américaine de droit de propriété autochtone.

Cela s'est accompagné d'une reconnaissance de la souveraineté résiduelle continue des tribus indiennes. C'était ma première réponse.

La deuxième est que nous voyons naître une jurisprudence canadienne fondée sur la reconnaissance de la capacité des nations autochtones à signer des traités. Autant aux États-Unis qu'au Canada, les tribunaux ont clairement affirmé que ces termes ont été choisis par les gouvernements non autochtones.

Si nous avons chois le mot «traité», considérant notre expérience de la signature de traités avec d'autres nations en Europe, c'était pour une raison. C'est parce que nous considérions que nos partenaires avaient la capacité de signer des traités. Dire aujourd'hui qu'ils n'ont pas hérité de la même capacité à se gouverner qu'ils possédaient autrefois, et donc de la même capacité de signer des traités, oblige à demander comment ils auraient perdu cette capacité. La seule explication serait qu'ils auraient au fond cédé volontairement ce pouvoir par traité, ce qui n'est manifestement pas le cas. Peut-être ce pouvoir a-t-il été expressément éteint par le truchement d'un pouvoir supérieur de la Couronne avant 1982, mais personne n'est en mesure d'identifier une telle action. Donc, rien ne permet de penser que ce pouvoir soit disparu.

À la lumière de l'arrêt Delgamuukw, la Cour suprême a déclaré que notre approche du droit de propriété autochtone au Canada doit être de reconnaître que le contenu de ce droit est déterminé d'après le droit autochtone traditionnel.

Pendant près de 150 ans, les tribunaux canadiens ont reconnu les droits autochtones traditionnels dans certains domaines choisis, notamment dans celui du droit de la famille régissant le mariage, le divorce et l'adoption. Nous avons admis le droit cri, déné ou inuit comme étant un droit valide qui doit être respecté, reconnu et mis en oeuvre dans le cadre du droit canadien.

Aujourd'hui, la Cour suprême nous dit que cela vaut aussi pour la détermination du titre autochtone. Si c'est le droit autochtone traditionnel qui détermine la teneur du droit de propriété autochtone, quelle est donc la source de ce droit autochtone si ce n'est un droit continu de se gouverner, le droit d'adopter des lois qui sont maintenant reconnues en common law?

C'est surtout avec cet arrêt que la Cour suprême du Canada, suite à ses commentaires antérieurs dans les arrêts Pamajewon et Sioui, exprime sans le dire la reconnaissance que les peuples autochtones ont non seulement le pouvoir de négocier des traités mais aussi le pouvoir continu de déterminer la teneur de ce qui est aujourd'hui le droit canadien positif. Si vous pouvez adopter une loi, vous êtes un gouvernement. Si c'est cette loi qui est reconnue par l'article 35, alors ce droit en fait partie.

Le sénateur Beaudoin: C'est intéressant. J'ai tendance à être d'accord avec vous mais le problème n'est pas encore complètement réglé. Dans Delgamuukw, et dans d'autres arrêts, la Cour suprême n'est pas allée aussi loin, même si elle le fera peut-être plus tard. Je n'en serais pas surpris. Le juge en chef Lamer était très prudent et clair. Je suis satisfait de cette réponse.

Le sénateur Grafstein: J'ai trouvé votre exposé tout à fait fascinant mais j'aimerais aborder une question qui m'intéresse beaucoup en ce moment, l'essence de la citoyenneté canadienne. Vous m'avez donné la même réponse que le ministre, c'est-à-dire que la citoyenneté qui s'applique aux Nishga'a est différente de la citoyenneté en vertu de la Loi canadienne sur la citoyenneté.

Je vous expose mon problème. Vous avez dit au sénateur Beaudoin qu'il existe une souveraineté à l'intérieur de la souveraineté. Autrement dit, il existe une souveraineté nationale dans l'enveloppe de la souveraineté fédérale. En conséquence, à l'intérieur du cercle de la souveraineté, l'une des expressions de celle-ci est le pouvoir d'adopter des lois.

Les Nishga'a ont décidé de se définir comme citoyens Nishga'a -- nous avons recueilli des témoignages à cet effet et vous avez exprimé votre accord. La citoyenneté, telle que nous l'entendons au Canada et dans la Loi sur la citoyenneté, est une notion très claire et peu compliquée. La Loi sur la citoyenneté indique clairement que «citoyen» veut dire «citoyen canadien». Telle est la définition dans la Loi.

Ce qui en découle est plus intéressant. Évidemment, l'essence de la citoyenneté est l'égalité de traitement mais, plus important encore, le droit politique de voter, y compris le droit d'être candidat à une élection. Ces droits sont primordiaux.

Les Nishga'a ont décidé, à cause de leur souveraineté à l'intérieur de la souveraineté, de ne pas étendre ce droit aux minorités situées à l'intérieur de leur champ de pouvoir, même s'il paraît évident que la minorité concernée ne poserait jamais de problème puisqu'il s'agit d'une centaine de gens à peine par rapport à quelques milliers.

Si l'on accepte la notion européenne que le concept de nation ou de souveraineté s'accompagne de celui de citoyenneté, pourquoi ne pas faire le pas suivant selon cette thèse européenne au sujet des droits de la minorité inclus dans la citoyenneté? Autrement dit, pourquoi prendre les deux tiers de la définition et pas le reste? Il ne semble y avoir aucun risque évident ou immédiat que la minorité cause un préjudice à la souveraineté culturelle ou linguistique des Nishga'a sur le territoire Nishga'a. C'est un argument politique, pas constitutionnel.

M. Morse: Je comprends. Votre postulat est en partie que les citoyens canadiens non Nishga'a de la région ne sont pas nombreux aujourd'hui et ne posent donc pas de problème. Je soupçonne que les ancêtres des Nishga'a, comme les autres Premières nations du pays, ont dû penser ça aussi autrefois. On a vu le résultat. Rien ne garantit aux Nishga'a que leur situation dans la vallée de la Nass ne changera jamais.

Du point de vue politico-juridique, l'accord donne à la nation Nishga'a le pouvoir d'adopter des lois au sujet de ses citoyens et non pas, dans l'ensemble, au sujet des non-citoyens. Si vous poussez l'argument, la logique serait que les non-Nishga'a devraient avoir le droit de voter s'ils sont pleinement gouvernés par le gouvernement Nishga'a. Par contre, si le pouvoir de ce gouvernement est essentiellement limité à ses propres citoyens, pourquoi ce gouvernement donnerait-il le droit de vote à des gens qui ne sont pas pleinement assujettis à ses lois? Les résidents non Nishga'a de la vallée de la Nass sont des propriétaires fonciers qui paient toujours leurs taxes foncières et qui sont toujours régis par les autres paliers de gouvernement présents sur le territoire.

En conséquence, ils continueront de voter pour les gouvernements qui les touchent directement en tant que résidents.

S'ils devaient voter lors des élections des Nishga'a, à titre de citoyens, je suppose qu'ils ne devraient pas voter lors des élections pour un gouvernement régional quelconque.

Le sénateur Grafstein: Je n'insiste pas sur ce point. Quand je dis qu'il n'y a pas de danger évident ou imminent, cet accord prévoit la propriété collective des terres. Toutes les terres sont sous le contrôle total du gouvernement Nishga'a. Il ne fait aucune doute que ces terres sont les terres des Nishga'a. Il y a par contre quelques parcelles qui n'en font pas partie, et ce sont celles qui m'intéressent ici. On nous a dit qu'il y a des résidents -- c'est-à-dire des gens qui travaillent dans la communauté Nishga'a -- qui sont des non-Nishga'a. Puisqu'on adopte les thèses européennes, qui étaient étrangères aux Autochtones avant la soi-disant découverte, ceux-ci ont adopté en partie les notions de nation et de citoyenneté. Il n'existe aucun danger évident ou imminent que la minorité écrasera jamais la majorité dans le contexte actuel. J'en reste là.

Le président: Merci beaucoup, professeur Morse. Je me souviens qu'un ancien président, le sénateur Marchand, avait l'habitude de dire que les Autochtones avaient eu une mauvaise politique de l'immigration.

Nos derniers témoins sont des représentants de la Nation gitxsane, que j'invite à s'avancer.

Les honorables sénateurs ont beaucoup entendu parler ce soir de l'arrêt Delgamuukw. Vous allez avoir l'occasion de rencontrer ce monsieur puisqu'il fait partie du prochain groupe de témoins.

C'est la Nation gitxsane qui, par sa détermination, a obtenu l'arrêt Delgamuukw qui joue un rôle tellement important et crucial sur le plan des droits autochtones d'aujourd'hui.

Je crois comprendre que Charlotte Sullivan va commencer.

Mme Charlotte Sullivan, Nation gitxsane: Honorables sénateurs, collègues chefs, mesdames et messieurs, je tiens d'abord à remercier le comité sénatorial qui nous a invités à comparaître pour exprimer nos préoccupations au sujet du projet de loi C-9. C'est le coeur lourd que nous soulignons les insuffisances du texte législatif crucial que le Canada est sur le point d'adopter. Nous avons le coeur lourd parce que, tout comme d'autres nations autochtones du Canada, nous attendions depuis longtemps le jour où justice serait rendue en ce qui concerne le titre et les droits autochtones.

Ce n'est pas sans regret qu'il nous faut souligner que le projet de loi C-9 empiète sur le titre et les droits de plusieurs centaines de membres de la Nation gitxsane. En particulier, les dispositions relatives à la gestion des pêches et de la faune, ainsi que celles concernant quelques-unes des terres attribuées en fief simple, touchent des terres qui se trouvent sur le territoire de la Nation gitxsane. En outre, rebaptiser plusieurs sites importants du patrimoine gitxsan revient tout simplement à réécrire l'histoire.

Les Gitxsans ont déployé des efforts sérieux et sincères pour résoudre ce problème directement avec les Nishga'a mais ils ont fait face à un manque de bonne foi de la part de leurs voisins. La Canada s'est opposé aux tentatives destinées à s'assurer que le titre et les droits des Gitxsans ne soient pas enfreints, ce qui a entraîné une poursuite intentée par les chefs gitanyows de la Nation gitxsane.

Il importe de comprendre que les Gitxsans ne peuvent pas appeler les questions en jeu un «chevauchement». À nos yeux et selon les lois gitxsanes, les actes des Nishga'a, dont le Canada et la Colombie-Britannique sont complices, équivalent carrément à une saisie de nos terres. Comme l'ont déclaré certains de nos chefs, de tels actes équivalaient dans le passé à une déclaration de guerre. La Couronne est clairement partie à une agression.

La région de la Nass de l'Accord définitif Nishga'a, qui constitue le territoire réclamé par le Conseil tribal des Nishga'a, englobe approximativement un quart des territoires de la Nation gitxsane. L'ADN accorde aux Nishga'a certains droits à l'intérieur des territoires de la Nation gitxsane, notamment des droits communs de pêche au saumon et de gestion de la faune, ainsi que des terres en fief simple.

En exagérant la superficie de ses territoires, le Conseil tribal des Nishga'a a négocié des terres visées par le règlement, les terres des Nishga'a, qui représentent 25 p. 100 de leur revendication légitime. Le Conseil tribal des Nishga'a a revendiqué plus de trois fois ses territoires historiques et il se retrouvera avec 1 930 kilomètres carrés, sur un total approximatif de 7 800 kilomètres carrés, pour lesquels il peut prouver un titre. Cette déclaration inexacte peut avoir des répercussions sur les règlements définitifs qu'obtiendront d'autres nations autochtones en Colombie-Britannique.

Je voudrais maintenant aborder la question des chevauchements.

La Cour suprême du Canada a fait des déclarations sur le chevauchement des territoires revendiqués, dont la Couronne devrait avoir connaissance. Dans son exposé final de l'affaire Delgamuukw, le juge en chef Lamer a dit:

En ordonnant la tenue d'un nouveau procès, je n'encourage pas nécessairement les parties à introduire une instance et à régler leurs différends devant les tribunaux. Comme il a été dit dans Sparrow, à la page 1105, le paragraphe 35(1) «procure un fondement constitutionnel à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises». Devraient également participer à ces négociations les autres nations autochtones qui ont un intérêt dans le territoire revendiqué. En outre, la Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi.

Tom Molloy, lorsqu'il était négociateur en chef pour le Canada à la table gitxsane, a, dans une lettre datée du 11 janvier 1996, prié instamment les Gitxsans de conclure un accord de chevauchement avec les Nishga'a. Il citait un document intitulé «Lignes directrices fédérales pour le règlement de revendications ou de traités globaux chevauchants, 15 février 1994», qui indiquait clairement que l'on préférait permettre aux groupes autochtones ayant des territoires traditionnels chevauchants d'arriver entre eux à un accord sur l'utilisation future de ces territoires. En l'absence d'une telle entente, les lignes directrices «énoncent une série de mesures que les négociateurs peuvent suivre pour aider les groupes autochtones à résoudre les impasses».

Finalement, les lignes directrices stipulent que le gouvernement fédéral est prêt à aller de l'avant en l'absence d'une entente de chevauchement si (a) le groupe qui est prêt à régler a négocié de bonne foi avec ses voisins; (b) les mesures prises pour résoudre l'impasse se sont révélées infructueuses; et (c) le traité contient une déclaration explicite qu'il n'affectera aucun droit ancestral ou issu d'une traité de n'importe quel autre groupe autochtone.

Même si la Cour suprême du Canada n'a fixé son orientation qu'après la conclusion de l'ADN, les Gitxsans auraient dû être invités à participer directement aux négociations avec les Nishga'a.

Le gouvernement fédéral connaissait la transgression du titre et des droits par le Conseil tribal des Nishga'a. Le négociateur fédéral dans le dossier Nishga'a connaissait directement l'incidence de l'ADN sur les Gitxsans. Tom Molloy, avant sa nomination à la table des Nishga'a, était le négociateur en chef pour le Canada aux tables des Gitxsans et des Gitanyows. En outre, les Gitxsans ont envoyé de nombreuses lettres aux gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique pour que leurs préoccupations soient examinées sérieusement avant l'époque où les trois parties se sont engagées elles-mêmes à mettre en oeuvre l'ADN.

À maintes reprises au cours des 30 dernières années, les chefs gitxsans et gitanyows ont rencontré les Nishga'a pour essayer de résoudre une revendication toujours plus vaste du Conseil tribal des Nishga'a. Finalement, en 1995, en vertu d'un protocole conjoint entre les Gitxsans et les Nisga's, les Gitxsans ont présenté aux dirigeants Nishga'a une étude exhaustive de toutes les preuves connues, portant sur la question du chevauchement, qui concluait que la frontière Nishga'a se situe entre les rivières Tchitin et Kinskuch. Certains d'entre vous ont vu les preuves dans l'ouvrage intitulé «Tribal Boundaries in the Nass Watershed».

Nous ne comprenons toujours pas pourquoi la Couronne tient à transgresser notre titre et nos droits. Nous savons pourquoi l'impératif politique du Nouveau parti démocratique a pris le dessus en Colombie-Britannique et nous survivrons aux événements qui se déroulent sur le front politique. Les gens de la Colombie-Britannique sont gens tolérants et optimistes, en dépit des jeux qui se jouent dans l'arène politique provinciale. Nous croyons que les personnes présentes dans cette Chambre se doivent de prendre les mesures sérieuses qui s'imposent pour assurer que l'Accord définitif Nishga'a soit efficace pour tous les Canadiens, y compris pour ceux d'entre nous qui n'ont pas l'heur d'être dans les bonnes grâces du ministère des Affaires indiennes.

En dépit d'une politique fédérale raisonnable que Tom Molloy nous a citée, nous sommes les victimes d'une série de négociations entreprises pour de mauvaises raisons politiques. Le ministre est convenu que l'ADN a été négocié en dehors du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Il sait que la politique fédérale en matière de chevauchement ne s'applique pas et n'a pas été appliquée à l'Accord définitif Nishga'a.

Tom Molloy reconnaît l'existence de chevauchement non seulement avec les Gitxsans et les Gitanyows, mais aussi avec les Tahltans et les Tsimshians. En admettant cela et comme il connaissait la politique fédérale en matière de chevauchement, comment peut-il venir aujourd'hui se dire en faveur de l'adoption d'un projet de loi qui sera inévitablement contesté devant les tribunaux? Nous implorons les membres de cette Chambre de prendre la bonne décision pour éviter que l'ADN ne soit soumis aux rigueurs inutiles des tribunaux. Il reste assez de temps pour arriver à un accord qui résistera à toute contestation.

Comme nous l'avons dit, les Gitxsans ont préparé un ensemble de preuve que l'on trouve dans le document intitulé «Tribal Boundaries in the Nass Watershed». Ce document, conjugué aux preuves que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a en mains, suffit à prouver le titre de propriété des Gitxsans sur tous les territoires de la nation gitxsane. Les fonctionnaire fédéraux connaissent parfaitement ces preuves.

Quand le sénateur Lawson a demandé au ministre de prendre la bonne décision, celui-ci a déclaré que la politique du Canada en matière de chevauchement est la bonne. Nous sommes d'accord. Le ministre devrait ordonner immédiatement à ses fonctionnaires de se présenter à la table de réconciliation avec les Gitxsans afin que nous puissions traiter en priorité du problème du chevauchement. La table de réconciliation des Gitxsans, où la Colombie-Britannique a occupé et occupe toujours un siège, a assez de place pour accueillir un négociateur fédéral.

Si nous prenons à coeur les directives de la Cour suprême du Canada, nous pouvons constater que celle-ci ne limite pas notre interaction avec la Couronne aux discussions concernant les traités. Le processus des traités se situe là où nos droits ancestraux et notre titre autochtone sont éteints en faveur des avantages spécifiques d'un traité, incluant habituellement un faible pourcentage du territoire initial, un accès spécifique aux ressources et une indemnisation en espèces étalée sur un certain nombre d'années. L'héritage de ce processus durant le siècle dernier est une longue suite de promesses non tenues, de chômage massif, d'assimilation continue, et de peuple opprimé et dysfonctionnel.

Dans sa sagesse, la Cour suprême a déclaré que les négociations sont la bonne solution pour concilier la préexistence de la société gitxsane avec le titre de la Couronne. Notre préexistence englobe les lois gitxsanes, l'histoire et un système de gouvernance qui a des responsabilités et des rôles clairs pour tous les citoyens des territoires gitxsans.

Nous n'avons pas à renoncer à être Gitxsans ni à perdre nos droits au profit de la Couronne. Notre place dans la fédération canadienne peut être celle d'un peuple libre qui a accès aux ressources que le Créateur nous a données. En tant que peuple libre, nous pouvons apporter notre contribution au Canada et assumer nos responsabilités de citoyens dans des conditions raisonnables. Les nouvelles relations dont nous parlons doivent englober la construction de notre avenir en nous appuyant sur les fondations de la culture gitxsane.

Les Gitxsans s'engagent à entreprendre des négociations. Nous espérons que cette Chambre respectera l'honneur de la Couronne et que deux choses se feront. Premièrement, résoudre avec célérité et de bonne foi la question du chevauchement; deuxièmement, ordonner au ministère des Affaires indiennes de se présenter à notre table de réconciliation pour négocier les conditions requises afin que le Canada puisse nous aider à devenir des Gitxsans libres au sein du Canada.

Le sénateur St. Germain: Je voudrais connaître votre avis sur la question de négocier de bonne foi. Pouvez-vous dire que vous avez amplement négocié et que vous avez négocié de bonne foi?

Je vous adresse cette question, monsieur Derrick, parce que je crois savoir que vous avez participé au processus de négociation, s'il y en a eu un. Je parle du problème du chevauchement.

M. Elmer Derrick, Nation gitxsane: Beaucoup de tentatives ont été faites, au cours des 30 dernières années, pour résoudre ces questions, mais je crois que les négociations du traité des Nishga'a ont été phagocytées et impulsées par la situation politique de la Colombie-Britannique, ainsi que par la nécessité pour le gouvernement fédéral de conclure l'accord relativement vite.

Nous avons participé directement à des négociations pendant environ 18 mois. Comme on l'a dit, le négociateur en chef pour le Canada était à l'époque Tom Molloy. Hélas, le gouvernement provincial a quitté la table de négociation, ce qui a tout arrêté. Nous n'avons pas participé depuis lors au processus de la Commission des traités.

Le sénateur St. Germain: Le problème des chevauchements est beaucoup moins grave dans votre cas. M. Molloy et d'autres ont laissé entendre qu'il est insignifiant dans le cas des Gitxsans, mais pas dans celui des Gitanyows.

Est-il vrai qu'il n'y a pas eu de négociations pendant près de quatre ans?

M. Derrick: Cela fait plusieurs années qu'il n'y a pas de négociations avec nous. Le gouvernement provincial s'est retiré en février 1997, ce qui nous a obligés à retourner devant les tribunaux. Nous n'avons pas pu convaincre le gouvernement fédéral de reprendre les négociations. Il insiste plus ou moins pour que celles-ci se fassent dans le cadre de la Commission des traités, et nous ne voulons pas renoncer à être Gitxsans pour être Canadiens.

Le territoire sur lequel empiète l'Accord définitif Nishga'a représente les territoires de 11 groupes différents de notre nation.

Le président: Sénateur St. Germain, voulez-vous connaître la taille de l'empiétement, en hectares?

Le sénateur St. Germain: Non, j'ai sous les yeux une carte indiquant la zone contestée.

Le président: La carte fera partie des pièces déposées devant le comité.

D'après vous, monsieur Derrick, quelle est la taille totale de la zone contestée?

M. Derrick: Le territoire au sujet duquel on empiète sur notre droit de propriété représente environ 775 000 hectares.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Muldoe, je crois comprendre que vous avez une propriété le long du lac Kwinageese. Je ne sais pas si c'est une propriété en fief simple ou si cela fait partie de votre droit inhérent comme membre de la nation. Toutes les terres en fief simple ont été accordées aux Nishga'a dans des secteurs relativement stratégiques des zones de chevauchement. Il y en a cinq concerne les Gitanyows et il y en a une juste en dehors de la frontière des Gitanyows, qui concerne les Gitxsans sur le lac Kwinageese.

Savez-vous pourquoi ces terres leur ont été cédées, alors qu'on savait qu'elles risquaient de faire l'objet d'un litige?

M. George Muldoe, Nation gitxsane: Les terres en fief simple constituaient notre foyer. Deux groupes de notre nation y résident et, avant eux, il y avait d'autres groupes de notre nation qui s'y trouvaient depuis plusieurs siècles. C'est la troisième fois que ces groupes sont remplacés.

Je ne sais pas pourquoi on les a cédées en fief simple car, il y a 30 ou 40 ans, nous les avons désignées zone protégée. On y trouve des habitats de cygnes et de grizzlis. Il y a aussi une célèbre zone de frai du saumon dans la rivière Kwinageese, qui se déverse dans la Nass.

Je ne comprends pas pourquoi les Nishga'a ont obtenu ces terres en fief simple, à moins qu'on ait voulu attaquer de front l'arrêt Delgamuukw. C'est comme ça que je vois les choses. Ces terres, qu'elles soient accordées en fief simple ou non, n'ont pas été occupées par les Nishga'a.

Le sénateur St. Germain: Pensez-vous qu'il y a un conflit dans le fait que M. Molloy ait négocié pour vous pendant plusieurs années puis soit passé ensuite aux Nishga'a? Possédait-il des informations qui auraient pu lui donner un avantage lorsqu'il négociait pour eux, après avoir été de votre côté?

M. Derrick: Je ne dirais pas nécessairement qu'il s'agissait d'un conflit mais nous sommes troublés de savoir qu'il connaissait énormément de choses à notre sujet, du point de vue de nos territoires, de notre histoire et des intérêts des Gitxsans-Gitanyows dans la vallée de la Nass.

Je sais qu'on lui donne des instructions pour négocier et qu'il doit les respecter. Je ne vois pas de raison qu'il ne connaisse pas nos intérêts.

Le sénateur St. Germain: Les négociations touchant vos revendications territoriales sont un processus qui coûte cher. Je crois comprendre que vous devez retourner devant la Commission des traités de la Colombie-Britannique pour solliciter des fonds. Votre nation représente 54 groupes et environ 7 000 membres inscrits. Pensez-vous avoir été traités de manière adéquate, à cette étape critique du processus, alors que la propriété de vos terres est remise en question par une autre revendication? Pouvez-vous nous dire quel appui vous avez reçu de la Commission et si vous pensez que celle-ci a été équitable?

M. Derrick: Nous faisons régulièrement des démarches auprès du ministre et des fonctionnaires. On nous dit toujours qu'il faut passer par le processus de la Commission des traités.

Comme nous l'avons déjà dit, ce n'est pas un traité que nous voulons. Nous voulons une entente qui nous permettra de concilier nos intérêts avec ceux de la Couronne. Il n'est pas nécessaire pour celle-ci de nous enterrer pour que nous soyons de bons Gitxsans au sein du Canada.

Le sénateur St. Germain: Vous n'essayez pas de négocier un accord comme celui des Nishga'a?

M. Derrick: Non.

Le sénateur Sparrow: Est-il vrai que votre seul recours, si cet accord est ratifié, sera d'aller devant les tribunaux, ce qui coûte cher?

M. Derrick: Oui, c'est ce que je pense. Ce sera notre seule solution pour protéger nos droits.

Le sénateur Grafstein: Le témoin a dit -- et j'espère que je ne le cite pas hors contexte -- qu'il souhaite trouver une entente plutôt qu'obtenir un traité. Je conclus de cela -- et vous me direz si je me trompe -- qu'il souhaite régler ses droits de propriété plutôt qu'obtenir la satisfaction de «droits politiques». Ai-je raison?

M. Derrick: Nous avons déjà négocié une série d'ententes qui sont efficaces avec les deux gouvernements. Nous avons une entente sur la pêche qui marche bien. Nous avons des ententes dans certains secteurs comme la santé et l'éducation, et elles marchent bien. Comme nous sommes engagés dans un processus d'édification de la nation avec le reste de la Colombie-Britannique et avec le Canada, nous ne pensons pas qu'il soit opportun pour le moment de conclure ce que l'on pourrait appeler un «traité».

Le sénateur Christensen: Avez-vous des inquiétudes au sujet des négociations futures au cas où ce traité ne serait pas ratifié?

M. Derrick: Nous pensons que des gouvernements responsables et honnêtes pourraient régler cette question dans les prochaines années ou dans les deux prochaines décennies. Vous savez, nous ne pensons pas que notre objectif ultime, qui est d'être des Gitxsans libres au sein du Canada, puisse être atteint avant une centaine d'années. Il nous a fallu plus de 100 ans pour arriver dans la situation actuelle où nous sommes totalement dépendants, beaucoup de nos membres sont désespérés et nos droits sur les ressources naturelles nous ont été pris. Il faudra donc un certain temps pour que nous puissions nous rétablir. Nous pensons que le gouvernement du Canada devrait nous y aider au lieu de jouer le rôle de gardien de prison.

Comme on l'a déjà dit, c'est le coeur lourd que nous sommes venus ici exposer notre position sur le projet de loi C-9. Nous avons en effet lutté aux côtés des Nishga'a, des Tsimshians et des autres nations de la Colombie-Britannique et du pays pour faire reconnaître nos droits. La Cour suprême a reconnu la légitimité de notre position en décembre 1977. Nous sommes prêts à forger de nouvelles relations sur cette base. Nous ne souhaitons pas être un fardeau pour la Couronne mais nous ne souhaitons pas non plu que celle-ci en soit un pour nous. Je pense que nous pourrions fort bien entreprendre des pourparlers, en tenant compte de l'Accord définitif Nishga'a, pour forger de meilleures relations entre nous tous, y compris avec la Couronne et avec les Nishga'a.

Le président: Merci beaucoup de cette réponse positive.

Le sénateur Andreychuk: Je ne saisis pas très bien le déroulement des événements. Est-ce que l'accord Nishga'a avait été négocié lorsque vos négociations se sont interrompues et que vous êtes partis de la table, où que la province l'a fait?

M. Derrick: La réponse à cette question pourrait prendre beaucoup de temps. Je dois revenir sur ce qui s'est passé, bien qu'on l'ait probablement expliqué plus d'une fois devant votre comité.

Les négociations des Nishga'a ont commencé dans le cadre de la politique du gouvernement du Canada sur les revendications globales. À l'époque, cette politique disait qu'il n'y aurait qu'une seule série de négociations en Colombie-Britannique. Lorsque le processus de la Commission des traités a démarré, nous nous sommes adressés à la Commission et nous avons commencé à négocier. C'est un processus qui possède ses propres échéanciers. Nous sommes arrivés assez rapidement à la quatrième étape, mais les négociations des Nishga'a ont été entreprises sans être synchronisées avec les nôtres.

Le sénateur Andreychuk: Y a-t-il eu des discussions avec le gouvernement fédéral, où celui-ci vous a-t-il contacté pour discuter des conséquences que cela aurait sur les territoires contestés? Vous a-t-on donné l'assurance que votre revendication serait prise en compte? Que vous a-t-on dit? Nous connaissons le point de vue des Nishga'a, j'aimerais connaître le votre.

M. Derrick: Comme je l'ai dit, chaque fois que nous avons essayé de discuter avec le gouvernement fédéral, il a surtout essayé de se sauver. L'un des ministres précédents, M. Irwin, était passé maître dans l'art de la fuite, tout comme ses assistants. Ils n'ont jamais accepté de discuter directement avec nous pour que nous puissions leur exposer notre point de vue et entamer des négociations sur le chevauchement.

Le sénateurAndreychuk: Et c'est toujours la même chose aujourd'hui?

M. Derrick: C'est toujours la même chose.

Le sénateur St. Germain: Je crois me souvenir que M. Richardson a dit que la Commission des traités de la Colombie-Britannique avait publié une politique sur les chevauchements en 1997. Dans le document que j'avais, on indiquait clairement qu'il n'y aurait pas de traités ou d'ententes qui seraient négociées s'il existait un problème de chevauchement avec des Premières nations voisines. Par opportunisme politique, ou pour d'autres raisons qui me restent assez mystérieuses, cela a changé et c'est pourquoi nous sommes aujourd'hui confrontés à ce dilemme. Certains d'entre nous, au sein de ce comité, avons la conviction qu'il ne faut pas trop aller dans les détails à ce sujet. Pour ma part, le problème du chevauchement est le principal écueil de cet accord. Certes, les problèmes de citoyenneté, par exemple, sont également importants -- je ne veux pas les trivialiser. Toutefois, comme je viens de la Colombie-Britannique, je connais votre nation, les Gitanyows, ainsi que les Nishga'a. Je pense que ceci est la bonne solution et que c'est la bonne chose à faire pour les Nishga'a.

Espérez-vous parvenir à une solution et avez-vous une idée du temps que cela prendrait, ou est-ce qu'on ne vous parle pas du tout? Pensez-vous que votre problème de chevauchement et celui des Gitanyows est assez sérieux pour bloquer l'Accord Nishga'a jusqu'à ce qu'il ait été résolu?

M. Derrick: Nous pensons qu'il est assez sérieux pour que votre comité intervienne et joue son rôle de chambre de réflexion. Nous vous demandons de nous écouter très attentivement. Vous devez prendre nos arguments au sérieux car la réconciliation en Colombie-Britannique est cruciale. Et il faut qu'elle se fasse correctement. Notre seul recours est d'aller devant les tribunaux, ce qui va encore une fois nous obliger à dépenser beaucoup d'argent pour nous battre avec la Couronne.

Comme nous l'avons dit, le comité devrait donner au ministère des Affaires indiennes l'instruction de faire au moins un pas vers nous et d'ouvrir la porte, afin que nous puissions entamer des pourparlers et obtenir les ressources nécessaires pour mener une négociation correcte.

Le sénateur St. Germain: Pourriez-vous nous dire brièvement pourquoi l'affaire Luuxhon a été portée devant les tribunaux et de quoi il s'agissait exactement. Je crois me souvenir que cela touchait le problème du chevauchement, n'est-ce pas?

M. Derrick: Oui. La délégation des Gitanyows vous donnera de meilleures réponses que moi à ce sujet. Quoi qu'il en soit, négocier de bonne foi est un principe fondamental qu'il conviendrait de rappeler aux représentants de la Couronne. Tous les petits jeux que jouent les fonctionnaires ne devraient pas être tolérés par cette Chambre.

Le sénateur St. Germain: Ma dernière question portera sur la négociation de bonne foi. Si vous ne négociez pas du tout, on peut difficilement vous accuser de mauvaise foi. Diriez-vous que vous avez été prêts à négocier et à faire preuve de coopération afin de régler cette question de chevauchement et de négocier quelque chose qui conviendrait aux Nishga'a, aux Gitanyows et aux Gitxsans?

M. Derrick: Nous avons publiquement déclaré que, si un autre organisme était prêt à examiner toutes les preuves que nous possédons au sujet de notre droit de propriété sur tous les territoires de la Nation gitxsane qui sont délimités sur nos cartes et qu'il rendait un jugement défavorable à notre endroit, nous l'accepterions.

Le sénateur St. Germain: Je pense que c'est l'un des aspects les plus importants de tout cet accord, et c'est pourquoi ces audiences sont tellement importantes. Elles permettent aux Gitxsans et aux Gitanyows, pour qui les conséquences de l'accord seront manifestement très importantes, si l'on en croit ces cartes, d'exprimer leur position. Quand quelqu'un vient nous dire très calmement qu'il est prêt à accepter une décision qui serait au fond une décision d'arbitrage, c'est qu'il doit vraiment avoir la conviction que son dossier est solide. J'implore tous les honorables sénateurs de réfléchir sérieusement à ça.

Le président: Je ferai un remarque quand toutes les questions seront terminées.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais faire une suggestion, puisque tout ceci est une nouveauté pour moi. Je ne suis pas membre du comité mais il y a ici une question factuelle de fond que je voudrais éclaircir. De fait, je ne saisis pas très bien si c'est vraiment une question de fond. Il serait peut-être utile au comité, notamment après ce que vient de dire le sénateur St. Germain, d'obtenir les cartes conflictuelles. Autrement dit, obtenons leur carte et celle des Nishga'a pour voir clairement de quoi il s'agit.

J'ai eu du mal à suivre toute cette discussion, depuis le début, et je ne voudrais certainement pas retarder l'audience, mais le témoin a déclaré dans sa déclaration liminaire:

En exagérant la superficie de ses territoires, le Conseil tribal des Nishga'a a négocié des terres visées par les règlements (les terres des Nishga'a) qui représentent 25 p. 100 de leur revendication légitime. Le Conseil tribal des Nishga'a a revendiqué plus de trois fois ses territoires historiques et se retrouvera avec 1 930 kilomètres carrés, sur un total approximatif de 7 800 kilomètres carrés, dont il peut prouver un titre de propriété.

Je ne veux pas commencer un contre-interrogatoire à ce sujet mais il serait utile de voir ce que cela représente sur une carte. Au moins, nous aurions une idée claire des enjeux.

Le sénateur St. Germain: C'est une carte du ministère.

Le sénateur Grafstein: C'est juste une suggestion.

Le sénateur Comeau: Il faut faire tout ça correctement. Je suis d'accord avec le sénateur Grafstein. Ces audiences ont été pour moi une source de confusion car j'ai eu l'impression, ces derniers jours, qu'on nous demande de régler tout ça en très grande vitesse. Or, nous avons devant nous un groupe de témoins qui, à nos yeux, présente des arguments tout à fait valides pour qu'on évite toute précipitation.

Je tiens à recevoir plus de renseignements. Puisque je ne viens pas de l'Ouest, je peux vous dire que le témoignage que nous venons d'entendre me paraît extrêmement important, et je rappelle que je devrais en fin de compte voter sur un projet de loi très important qui aura une incidence profonde non seulement pour ce groupe autochtone mais aussi pour beaucoup d'autres du reste du pays. Il est donc crucial que nous prenions tout le temps nécessaire pour bien faire.

On nous accusait l'autre jour de pinailler mais, après avoir entendu ce que j'ai entendu ce soir, je rejette cette accusation.

Le président: Cet argument venait de l'un des sénateurs. Je ne sais pas s'il portait sur une question particulière mais il n'en reste pas moins que le problème de chevauchement mérite d'être examiné très attentivement.

Nous n'avons entendu que brièvement les Nishga'a sur cette question. Il est clair que nous allons devoir entendre toutes les parties concernées, de manière plus détaillée. Il est clair aussi que nous voudrons recueillir le témoignage de Tom Molloy et, peut-être même, du ministre, avant de mettre fin à ce processus.

M. Molloy a entendu les témoins de ce soir et je suis sûr qu'il aura des choses très intéressantes à nous dire.

Nous allons essayer d'organiser les futurs témoignages pour pouvoir aborder la question du chevauchement dans un jour ou deux, sous forme de ce que les avocats appelleraient «un procès dans un procès».

Il n'appartient pas au comité de résoudre le litige, monsieur Derrick, comme vous le savez fort bien. La réaction de mes collègues vous montre toutefois que nous prenons un très vif intérêt à cette question mais, en fin de compte, le pouvoir de régler la question ou de poursuivre les négociations appartient à d'autres que nous.

Je vous remercie beaucoup d'être venus témoigner. Je voulais demander à Barbara Clifton si elle souhaitait s'adresser à nous ce soir au nom de la B.C. Women's Society. Je sais que c'est aussi une Ancienne. Peut-être aimerait-elle s'adresser à nous une autre fois?

M. Derrick: Mme Clifton fait partie de notre délégation. Elle est chef de l'un de nos groupes. Elle n'est pas ici en qualité de représentante de l'Association des femmes autochtones du Canada.

Le président: Merci. Nous avions essayé d'obtenir une représentante de cette organisation. Je tenais à lui demander si elle souhaitait s'adresser à nous mais je comprends parfaitement qu'elle ne soit pas prête à le faire dans ce contexte.

La séance est levée.


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