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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 2 - Témoignages du 4 décembre 2007


OTTAWA, le mardi 4 décembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 33 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Honorables sénateurs, je vois qu'il y a quorum.

D'abord, je vais présenter les sénateurs qui sont avec nous aujourd'hui. À ma gauche, vous voyez le sénateur Sibbeston, vice-président du comité. Le sénateur Hubley est originaire de la côte Est, et le sénateur Dyck, de la Saskatchewan. Le sénateur Dallaire représente le Québec. À ma droite, il y a le sénateur Peterson et puis le sénateur Gustafson, de la Saskatchewan, et nous avons le privilège d'accueillir ce matin le sénateur Adams, du Nunavut. Nous allons commencer la réunion d'aujourd'hui en écoutant les témoins en séance publique, puis nous passerons à la séance à huis clos pour discuter d'ébauches de budget.

Ce matin, nous accueillons deux organismes membres de la Coalition pour une entente de règlement des revendications territoriales. La Nation Nisga'a est représentée par Kevin McKay, président exécutif; et Jim Aldridge, avocat-conseil. De Nunavut Tunngavik Inc., nous accueillons Joe Kunuk, PDG; John Merritt, conseiller constitutionnel et législatif; et Udlu Hanson, conseiller principal en matière de politiques et liaisons. Nos témoins vont mettre en lumière pour nous certains des défis qu'ils ont à relever en rapport avec le processus de mise en œuvre des ententes sur une revendication territoriale.

Kevin McKay, président exécutif, Nation Nisga'a : Merci et bonjour. Honorables sénateurs, nous sommes heureux de venir témoigner devant vous au nom de la Coalition pour une entente de règlement des revendications territoriales.

Pendant notre déclaration et la période de questions, nous allons nous reporter surtout aux ententes que nous connaissons le mieux, soit celles du Nunavut et des Nisga'a. Nous comparaissons au nom de la coalition, de sorte que l'information que nous prenons dans ces ententes particulières est présentée à titre d'illustration.

La coalition a été formée en 2003 au moment de la première conférence nationale sur la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales. Elle avait pour titre « Repenser nos relations : apprendre d'une décennie de mise en œuvre des revendications territoriales ». Une autre conférence, baptisée « Achieving Objectives : A New Approach to Land Claims Agreements in Canada », a eu lieu en 2006.

La coalition représente tous les groupes autochtones ayant conclu un traité moderne, c'est-à-dire une entente sur une revendication territoriale ou l'autonomie gouvernementale. Un de nos membres, la Société Makivik, doit conclure cette semaine une entente sur l'autonomie gouvernementale du Nunavik dans le Nord du Québec.

Voici, d'est en ouest, nos membres : du Labrador, le gouvernement du Nunatsiavut; du Québec, le Grand Conseil des Cris, la Nation Naskapi et la Société Makivik; du Nunavut, la société Nunavut Tunngavik Incorporated; des Territoires du Nord-Ouest, l'Inuvialuit Regional Corporation, le Gwich'in Tribal Council, le Sahtu Secretariat Incorporated et le gouvernement du Tlicho; du Yukon, le conseil des Premières nations du Yukon; et de la Colombie- Britannique, la Nisga'a Nation. Nous disons former une coalition; cela est vrai. Nous ne formons pas un organisme politique ou commercial distinct, ni un autre organisme national. L'Assemblée des Premières nations, le Congrès des Peuples Autochtones et Inuit Tapiriit Kanatami demeurent des organismes-cadres qui représentent les Autochtones, et nos membres peuvent être affiliés à l'un de ceux-là. La coalition n'est pas un organisme apparenté.

La coalition prend ses décisions par consensus et compte des coprésidents. À l'heure actuelle, les coprésidents sont M. Nelson Leeson, de la Nation Nisga'a, et M. Paul Kaludjak, de la NTI.

À la suite de notre conférence de 2003, nous avons décidé de travailler ensemble aux questions touchant la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales. Nous avons adopté quatre points principaux, qui sont le point de départ de notre « déclaration quatre-dix ». Je vais vous décrire les points en question au cours des quelques prochaines minutes.

Premièrement, la reconnaissance que la Couronne du chef du Canada, et non le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, est partie à nos accords sur les revendications territoriales et sur l'autonomie gouvernementale.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral doit s'engager à atteindre les principaux objectifs des accords sur les revendications territoriales et sur l'autonomie gouvernementale dans le contexte de cette nouvelle relation, plutôt que de s'en tenir à de strictes obligations. Cela exige notamment d'assurer le financement nécessaire à la réalisation de ces objectifs et obligations.

Troisièmement, des hauts fonctionnaires fédéraux compétents représentant l'ensemble de l'administration canadienne doivent être chargés de la mise en œuvre de ces accords. Quatrièmement, un organe indépendant de mise en œuvre et d'examen, distinct du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le MAINC, s'impose. Qu'il s'agisse du bureau du Vérificateur général ou d'un autre bureau relevant directement du Parlement, ce bureau devra préparer des rapports annuels en consultation avec les groupes concernés par les accords sur les revendications territoriales.

Les points que nous faisons ainsi valoir ont pour arrière-plan la frustration et la déception éprouvées face à la manière dont les accords sont mis en œuvre. Si le gouvernement du Canada acceptait ces quatre points, cela nous tirerait de l'impasse actuelle. Déçus et frustrés, dites-vous? Pourquoi? Est-ce que ce ne sont pas là des ententes ayant force obligatoire? Ne sont-elles pas reconnues constitutionnellement? Ne sont-elles pas appliquées? Si c'était seulement le cas. De grandes sommes d'argent n'ont-elles pas été transférées dans le cadre de ces ententes? Nous avançons toujours que l'argent ne suffit pas à régler la situation très compliquée à laquelle nous faisons face.

Très simplement : nos traités ne sont pas mis en œuvre comme il se doit. Nous ne sommes pas les seuls à le penser. Le 30 octobre, la vérificatrice générale a déposé son rapport annuel à la Chambre des communes. Le chapitre 3 porte sur la mise en œuvre de la Convention définitive des Inuvialuit. L'accord en question a été conclu en 1984. Il représente la nouvelle mouture de traité, à la suite de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Un communiqué de presse du bureau de la vérificatrice générale renferme le passage suivant :

[...] même si la Convention est en vigueur depuis 23 ans, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'a pas encore fait preuve du leadership et de la volonté nécessaires pour assurer le respect des obligations fédérales et l'atteinte des objectifs de la Convention.

La vérificatrice générale ajoute :

En 2003, nous avions fait des observations semblables au sujet de l'approche du Ministère relativement aux ententes avec les Gwich'in et les Inuit. Il est décevant de constater que le Ministère a continué d'axer ses efforts uniquement sur certaines obligations et qu'il n'a pas travaillé en partenariat avec les groupes autochtones pour atteindre les buts fixés par ces ententes.

Au cas où on oublierait la distinction entre les obligations et les buts en question, je citerai la politique du gouvernement canadien sur les revendications territoriales globales, annoncée en 1987 :

[...] Les négociations sur les revendications territoriales représentent plus que des transactions sur des biens immobiliers. Dans l'esprit des peuples autochtones et du gouvernement du Canada, repenser leurs relations signifie s'assurer que la poursuite des intérêts des demandeurs de règlements est reconnue. Cette reconnaissance favorisera l'autonomie et le développement économique de même que le bien-être culturel et social. Les négociations sur les revendications territoriales devraient s'engager vers l'avenir et donner le signal que les groupes autochtones et le gouvernement fédéral peuvent poursuivre des objectifs communs comme l'autonomie gouvernementale et le développement économique.

Comparons cet énoncé de politique prospectif d'il y a 20 ans et la constatation de la vérificatrice générale de 2007. Elle dit, en partie :

Les représentants du Ministère [...] MAINC considèrent que la responsabilité d'atteindre les objectifs de base de la Convention ne revient pas au Ministère; ils estiment aussi que ces objectifs sont ceux des Inuvialuit et non du Canada. Ils ont fait observer que la Convention ne les oblige ni à atteindre les objectifs établis ni à mesurer les progrès accomplis pour les réaliser.

La vérificatrice générale s'est penchée sur trois ententes de revendications territoriales globales depuis 2003. Dans chacun des cas, les autorités ont omis de reconnaître les objectifs de base des ententes en question. Dans chacun des cas, elles ont omis de travailler de concert avec les signataires autochtones en vue d'une mise en œuvre efficace de l'entente.

Joe Kunuk, PDG, Nunavut Tunngavik Inc. : On pourrait citer d'autres études. En 2006, PricewaterhouseCoopers a réalisé un examen indépendant de la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, ou NLCA. Il s'agit d'une étude détaillée de presque 300 pages qui couvre la période commençant en 1998. La conclusion : le rapport conclut qu'il y a encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs de l'Accord dans tous les domaines, que le travail accompli souffre de certaines grandes lacunes qui ont empêché le respect des obligations énoncées et une progression vers les objectifs fixés et, enfin, si les exemples de réalisations importantes sont nombreux, cela se limite souvent à des cas isolés, précis — il n'y a pas eu de progrès général sur l'ensemble des fronts.

L'an dernier, le 7 décembre 2006, la NTI a déposé à la Cour de justice du Nunavut une plainte contre le gouvernement du Canada en rapport avec une longue liste de violations de l'Accord, notamment le manquement de la Couronne à ses obligations fiduciaires.

Il n'y a pas que la NTI qui recourt aux tribunaux pour assurer la mise en œuvre de l'accord qu'elle a conclu sur ses revendications territoriales. En octobre, les Cris du Québec ont approuvé par référendum une entente visant à régler les problèmes de mise en œuvre qui s'étaient accumulés depuis l'adoption de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Entre autres, il est prévu que le Canada verse 1,4 milliard de dollars sur 20 ans pour s'acquitter de ses obligations sous le régime de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. À la suite du référendum, le grand chef Matthew Mukash a déclaré :

Cela fait 32 ans que nous essayons de nous entendre là-dessus. Enfin, nous nous sommes entendus. Ça devait se faire depuis très, très longtemps, et c'est pourquoi je suis très heureux que la nation crie ait décidé d'accepter l'accord.

Il a fallu 32 ans pour que le Canada respecte une obligation énoncée dans un accord conclu en 1975.

La question du financement découle forcément de discussions comme celle-là. Les traités modernes comprennent divers engagements que le gouvernement et les Autochtones ne peuvent respecter en l'absence d'un financement adéquat. Les difficultés éprouvées à obtenir un tel financement posent justement un problème. Sous le régime de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, un contrat de mise en œuvre a été négocié en 1993 pour le financement de la mise en œuvre au cours des dix années à venir. L'engagement financier ainsi prévu a pris fin en 2003; il doit être renouvelé. Il n'a pas été renouvelé, même si les négociations à cet égard ont commencé en 2001. En 2004, le MAINC a quitté la table de négociations. En 2005, l'ex-juge Thomas Berger a été nommé conciliateur dans le dossier. La NTI a approuvé ses rapports provisoires et final. En décembre 2006, la NTI a entamé l'action en justice dont j'ai parlé plus tôt.

Le mois dernier, une autre mesure limitée a été prise. Le gouvernement a annoncé qu'il allait financer les commissions de gestion du Nunavut conformément à la recommandation de M. Berger. Pour que vous saisissiez bien les délais d'action dont il est question, voici un extrait du communiqué de presse du MAINC du 28 novembre :

Ces nouveaux investissements sont le résultat d'un consensus sur les niveaux de financement appropriés pour les commissions du Nunavut qui a été établi en janvier 2006 par le gouvernement du Canada, la Société Nunavut Tunngavik Incorporated et le gouvernement du Nunavut.

C'est presque deux ans après l'établissement du consensus; plus de deux ans depuis que le conciliateur a produit son rapport provisoire en août 2005, et quatre ans après la fin du contrat de mise en œuvre.

Pour donner une idée encore, disons que le financement est prévu pour des commissions ayant des responsabilités à l'égard de la gestion de l'environnement du Nunavut, notamment l'examen et l'approbation des projets de développement. Il s'agit du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, de la Commission du Nunavut chargée de l'examen des répercussions, de la Commission d'aménagement du Nunavut et de l'Office des eaux du Nunavut. Les organisations en question se chargent d'assumer les responsabilités du gouvernement sur le plan du développement des ressources du Nord. Est-il logique que le gouvernement les affame sur le plan financier alors qu'elles ont d'importantes responsabilités? Pour que les conseils et commissions puissent faire un travail efficient et rapide, il faut un financement adéquat et stable. Cela permettrait de s'acquitter de ses obligations d'une manière qui profite à l'industrie, au gouvernement et aux bénéficiaires. Ne nous faudrait-il pas essayer cela? Les organisations en question ne sont-elles pas chargées d'exécuter les responsabilités du gouvernement?

Dans le communiqué du 28 novembre, le ministre Strahl déclare :

Les commissions jouent un rôle important pour ce qui est de l'administration des activités accrues d'exploration minérale et d'utilisation des terres et de l'eau, ainsi que des nouveaux défis liés à la gestion de la faune.

Nous sommes d'accord, et nous ne tenons pas le ministre Strahl responsable des retards à cet égard. Il n'a été nommé à son poste que récemment. Le problème est plus profond : ce n'est pas qu'un ministre ou même un gouvernement particulier qui est en cause. Pour reprendre les mots du grand chef Mukash, « Cela fait 32 ans que nous essayons de nous entendre là-dessus. »

Notre problème est emblématique de relations globales entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada.

Je vais invoquer un autre type de différend. Sous le régime de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, les gouvernements — fédéral et territorial — doivent mettre au point une politique des marchés en consultant la NTI. Cela s'est fait dans le cas du gouvernement du Nunavut, malgré des différends survenus à l'occasion. Quant au gouvernement du Canada, 14 ans après la conclusion de l'accord du Nunavut, nous ne nous sommes toujours pas entendus sur ces questions, exception faite de l'entente conclue avec le ministère de la Défense nationale concernant le nettoyage des vieilles stations du réseau DEW.

Honorables sénateurs, nous sommes au courant du travail important que votre comité a accompli récemment à certains égards, notamment l'étude de revendications particulières et le développement économique chez les Autochtones. Un point de vue comme le vôtre, celui d'un comité qui connaît le gouvernement mais demeure indépendant, pourrait se révéler un facteur important qui ferait évoluer l'approche de mise en œuvre des accords en matière de revendications.

Honorables sénateurs, la coalition sollicite votre aide en rapport avec la question suivante :

La Coalition pour une entente de règlement des revendications territoriales invite le Canada à honorer l'esprit, l'intention et les objectifs socio-économiques d'ordre général de toutes les ententes modernes sur les revendications foncières — de manière à assurer le développement et l'inclusion des peuples autochtones dans ce pays moderne et prospère qui s'appelle Canada.

Votre comité peut nous aider à répondre aux besoins ainsi énoncés en examinant de manière approfondie le processus de mise en œuvre des traités modernes. Nous vous demandons en particulier d'examiner la situation en rapport avec les points suivants, tout en formulant des recommandations sous la forme d'un rapport spécial à ce sujet : s'assurer que la Couronne met bel et bien en œuvre les éléments voulus pour s'acquitter de ses obligations en matière d'ententes sur les revendications foncières; établir des mécanismes bureaucratiques efficaces pour prendre en charge les responsabilités en question; créer un organisme d'examen indépendant du MAINC, qui soit directement comptable au Parlement; et établir un système de gestion des finances qui ne met pas les ententes en matière de revendications en concurrence entre elles ou avec d'autres objectifs du gouvernement, mais qui fait que la Couronne honore ses obligations solennelles d'une manière qui soit conforme à l'esprit et à l'intention des accords ainsi conclus.

Le président : Merci, messieurs. Je me souviens que, il y a bien des années de cela — et j'imagine que le sénateur Sibbeston pouvait être au comité avec moi à ce moment-là —, les Cris et les Naskapis nous déclaraient que la mise en œuvre était l'un des grands obstacles. La situation s'est manifestement aggravée, et le rapport de la vérificatrice générale corrobore vos dires.

Les membres du comité doivent faire preuve de sagesse et déterminer quels sont les champs d'étude que nous allons choisir. Nous nous sommes penchés sur deux questions : la consultation et la mise en œuvre.

Le sénateur Sibbeston et moi-même oeuvrons au comité depuis un bon moment déjà. Je vais ouvrir la période de questions en faisant appel au sénateur Sibbeston, que j'invite à poser toute question qu'il veut bien poser. J'ai moi- même une question à poser, mais je le ferai après l'intervention du sénateur Sibbeston.

Le sénateur Sibbeston : Quand je suis devenu sénateur il y a sept ou huit ans, la première entente sur une revendication territoriale que nous avons eu à regarder était celle des Nisga'a. Il est décevant de constater qu'il y a des problèmes qui se présentent, car là où une revendication territoriale se règle et que toutes les parties s'entendent, c'est la source d'un grand espoir et d'un grand enthousiasme face à l'avenir; puis, plusieurs années plus tard, des problèmes commencent à faire surface. Au printemps et à l'hiver, nous nous occupions de revendications particulières. Les revendications particulières qui existent portent sur l'ensemble des griefs historiques liés aux traités. Je vois ici un problème précis qui se présente en ce qui concerne une entente moderne sur une revendication. On a conclu des traités et, même si cela ne fait pas encore dix ans, il commence à y avoir des problèmes. Je crois que c'est une question grave. Je ne sais pas si le gouvernement fédéral est entièrement à blâmer ou si l'un des demandeurs est jamais à blâmer à ce sujet, mais, évidemment, il y a un problème réel qui tient au fait que le gouvernement fédéral ne s'acquitte pas des obligations que lui confère l'entente.

Je vais poser la question à M. McKay et à M. Kunuk en même temps, sinon à leur avocat-conseil : je soupçonne que, de manière générale, les ententes sont respectées — pour le transfert général des terres et des ressources, et des sommes d'argent qui doivent être versées aux demandeurs d'après l'accord conclu — et ça doit être à un niveau différent que les conditions de l'entente ne sont pas respectées. À quel niveau est-ce? Quels sont les genres de dispositions que la Couronne ne respecte pas?

M. McKay : Je vais commencer par présenter les choses du point de vue des Nisga'a, puis j'inviterai M. Aldridge à faire des observations supplémentaires. Je souhaite préciser au comité que les Nisga'a ne sont pas malheureux de l'entente sur les revendications territoriales que nous avons signée avec le gouvernement fédéral et la province de la Colombie-Britannique. Nous sommes tout à fait heureux des conditions de l'accord final. Bien entendu, il va sans dire que les occasions dont il est question représentent pour les Nisga'a des décennies de travail acharné, de sacrifices et de compromis. Honorables sénateurs, les conditions de l'accord ne nous posent aucun problème.

Tandis que nous approchons rapidement du terme de la huitième année de mise en œuvre des occasions en question, disons que nous ne sommes pas d'accord avec la façon dont le gouvernement du Canada en particulier choisit de mettre en œuvre les occasions importantes qui figurent dans l'accord. C'est pourquoi, à titre de membres de la Coalition pour une entente de règlement des revendications territoriales, nous préconisons que le gouvernement du Canada adopte une politique nationale de mise en œuvre qui sera plus efficace quand il s'agit d'aider toutes les parties aux accords modernes de règlement des revendications territoriales à mettre en œuvre les accords.

À propos de la question que soulève l'honorable sénateur, il n'est pas productif pour nous de nous installer et d'essayer, après avoir cerné une question où il y a frustration sinon un défi à relever, de déterminer à qui revient la faute. Cela ne serait pas utile. Nous sommes tous à monter du doigt. Nous avons tous signé l'accord en question. Si le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique tiennent tout autant que le gouvernement de la Nation Nisga'a à respecter leurs obligations, nous accepterons alors notre juste part de la responsabilité, là où les défis n'ont pas été relevés à la satisfaction des gens — j'ose dire les bénéficiaires des occasions prévues dans les accords en question, c'est-à-dire la nation nisga'a, directement, et les citoyens du Canada et de la Colombie-Britannique, indirectement.

Jim Aldridge, avocat-conseil, Nation Nisga'a : De manière générale, le gouvernement du Canada s'acquitte des obligations juridiques strictes qui figurent dans les traités en question. Quand le gouvernement du Canada omet de le faire, le signataire autochtone a bien entendu la possibilité d'intenter une action en justice. Cela s'est déjà fait. Ça s'est fait dans le cas de la Convention de la baie James et du Nord québécois et, comme nous l'avons dit dans notre déclaration préliminaire, cela s'est fait dans le cas de nos collègues au Nunavut.

Pour répondre à la question posée par le sénateur Sibbeston, la frustration que constatent les membres de la coalition provient en partie du fait que le gouvernement du Canada tient d'abord et avant tout à respecter uniquement ce qu'il qualifie d'obligations, les obligations étroites et légalistes en termes techniques — ce qu'il doit faire — et qu'il ne se soucie pas suffisamment, comme la vérificatrice générale l'a souligné, de travailler à la réalisation des objectifs d'ensemble de l'accord dans son intégralité.

Nous avons essayé d'expliquer cela à d'autres tribunes, à divers moments, en affirmant que la question de la mise en œuvre définit la relation et l'attitude affichée à l'égard de la relation. C'est la meilleure méthode que j'aie pu trouver pour expliquer en quelques mots les différentes façons de regarder la question.

De manière générale, du côté du signataire autochtone, conclure un accord sur une revendication foncière est comme contracter un mariage : il faut définir les rôles et responsabilités de chacun, communiquer et échanger pour se donner ensemble une vie heureuse et prospère. Cependant, du côté du gouvernement du Canada, au contraire, ça semble être perçu davantage comme un divorce : nous établissons une entente, nous divisons les biens, nous déterminons les paiements mensuels ou annuels, et nous nous demandons ce que nous devons faire exactement, sans verser un cent de plus, pour éviter d'être poursuivis en justice ou de côtoyer l'autre plus qu'il ne le faut.

Évidemment, l'analogie est tranchée, mais voilà le genre de différence d'attitude ou de culture avec laquelle nous composons en essayant de promouvoir une nouvelle politique fédérale.

Le président : Je ne suis pas sûr de la justesse de l'analogie : 50 p. 100 des mariages finissent en divorce. J'espère que nous allons faire mieux!

M. Kunuk : Pour ajouter aux observations de mon collègue, je dirais que les Inuits ont renoncé à leur titre foncier ancestral en échange de 1,4 milliard de dollars, le dernier paiement ayant été versé en mai, cette année. Le gouvernement du Canada a eu ce qu'il voulait, soit 80 p. 100 de nos terres. Nous avons laissé filer les droits que nous avions en tant qu'Autochtones sur les terres, et nous attendons toujours que se règlent bon nombre des questions de mise en œuvre que le gouvernement du Canada n'a pas réglées. Nous relevons 39 violations dans notre action en justice.

Autre exemple de l'inaction du gouvernement du Canada : l'article 23, qui traite de formation et d'emploi. Le taux d'emploi chez les Inuits au gouvernement du Canada, au Nunavut, et au gouvernement du Nunavut lui-même devrait s'élever au taux représentatif de 85 p. 100. Le gouvernement du Nunavut a enfin atteint les 50 p. 100 cet automne, alors que le taux au gouvernement du Canada est passé de 41 p. 100, l'an dernier, à 37 p. 100, cette année. Il n'existe toujours pas de plan de formation préalable à l'emploi au gouvernement du Canada. Le gouvernement du Nunavut a mis la dernière main à ses plans d'emploi pour les Inuits en 1989, au moment où le bureau a remis les responsabilités entre les mains du premier ministre et de son gouvernement.

Lorsque le gouvernement du Canada lance un programme pour Autochtones, dans la plupart des cas, les Inuits du Nunavut en sont exclus. C'est le cas notamment des programmes de logement, même si l'article 2 de notre accord précise que, même si l'accord existe, nous ne devrions pas être exclus des autres programmes conçus pour les Autochtones. Nous perdons de nombreuses occasions socioéconomiques du fait que le taux d'emploi des Inuits est peu élevé au Nunavut en ce qui concerne le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut.

Selon le rapport de PricewaterhouseCoopers, les Inuits du Nunavut ont perdu au moins 65 millions de dollars en occasions ratées depuis dix ans du fait que les gouvernements du Canada et du Nunavut continuent de recruter des non-Inuits provenant du Sud. Ce sont les coûts réels qui ont fait l'objet de l'étude; ce ne sont pas des statistiques prises dans les airs.

Il y a pour nous une autre grande source de frustration en rapport avec l'accord. Il y est dit que cinq ans après la signature de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, le gouvernement du Canada doit signer des accords touchant les répercussions et les avantages pour les Inuits des aires de conservation, ce qui n'a pas encore été fait.

Nous continuons à faire face à différents obstacles du côté du gouvernement du Canada. Les responsables fédéraux disent qu'ils vont régler le problème. Ils s'adressent au Secrétariat du Conseil du Trésor ou au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ou à un autre ministère. Vous appelez un ministère, où on vous dit : ce n'est pas notre responsabilité, appelez donc l'autre ministère. Vous appelez l'autre ministère, et on vous envoie encore à un autre ministère. C'est pourquoi, et je fais allusion à la déclaration préliminaire de M. McKay et aux questions qu'il a soulevées, selon nous, le MAINC ne devrait pas être le principal interlocuteur pour les questions de mise en œuvre.

Le président : Je crois que M. McKay a affirmé que le MAINC ne se dit pas responsable de la mise en œuvre. Ai-je bien entendu? Si tel est le cas, pouvez-vous nous dire qui est responsable?

Le sénateur Peterson : J'aimerais avoir une précision. Vous avez affirmé tous les deux être heureux de l'accord que vous avez signé; néanmoins, les accords remontent à 1993 et à 2000, et il y a une liste d'autres cas qui remontent à 1975. La mise en œuvre semble être le point qui achoppe, et vous dites que ça ne devrait pas être la responsabilité du MAINC. Avez-vous des idées ou des suggestions quant à savoir qui devrait être responsable? Quelle est la structure qu'il faudrait pour faire progresser les choses et obtenir un modèle et des délais pour que vous puissiez définir les enjeux?

M. Aldridge : La coalition propose entre autres que l'organisme responsable de la mise en œuvre soit un organisme central quelconque.

À l'heure actuelle, la frustration éprouvée tient en partie au fait que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, même lorsqu'il s'applique et fait de son mieux pour que se réalisent les objectifs de l'accord, éprouve lui- même de la frustration devant d'autres ministères auxquels il a affaire, sur lesquels il n'a pas une influence suffisante. Dans les autres ministères, on estime que c'est l'accord du MAINC et pas le leur, alors que nous, nous disons que c'est l'accord de la Couronne du chef du Canada.

D'autres ministères ayant un budget pour des programmes pourraient contribuer à l'entente sur l'autonomie gouvernementale, mais les responsables affirment qu'ils ne peuvent le faire en raison de problèmes de partage des compétences, leurs programmes n'étaient pas conçus pour un accord sur une revendication foncière.

Nous ne prétendons pas avoir une solution miracle au problème, mais nous proposons un mécanisme administratif qui relèverait le pouvoir des personnes responsables de la mise en œuvre au point où elles pourraient obtenir que les autres ministères les écoutent. Au mieux de notre connaissance, c'est une fonction qui relèverait d'un organisme central.

Tout de même, nous proposons quelque chose de distinct. Un de nos quatre points, c'est qu'il devrait y avoir un organisme quelconque qui aurait pour responsabilité de déterminer si les objectifs de l'accord ont été atteints et de faire rapport au Parlement et aux parties. Si les objectifs ne sont pas atteints, tout au moins, il y aurait une étude, et quelqu'un saurait à qui revient la responsabilité. Nous y avons déjà fait allusion : laquelle des parties doit procéder différemment? Toutes les parties doivent-elles procéder différemment? Il s'agit de l'organisme qui pourrait avoir son siège, par exemple, selon nous, au bureau du Vérificateur général. Cet organisme serait différent de celui qui serait responsable de la mise en œuvre.

Le sénateur Peterson : Vous dites que ce ne serait certainement pas au MAINC et que ce serait lié au Vérificateur général, qui semble comprendre ce qui ne se fait pas?

M. Aldridge : Oui. Nous proposons quelque chose qui s'apparente au bureau du Vérificateur général, pour déterminer si les objectifs sont atteints.

Depuis un certain temps, nous voulons engager un dialogue avec le gouvernement du Canada pour explorer les options qui seraient peut-être les plus efficaces. Il serait faux d'affirmer que tous les membres de la coalition ont une opinion nette et tranchée sur ce à quoi devrait ressembler précisément la structure destinée à remplacer le MAINC, si tant est que ce n'est pas le MAINC qui devrait simplement être amélioré.

Le sénateur Peterson : Il faut certainement faire quelque chose.

Le sénateur Hubley : Par mes questions, je voudrais creuser le même sillon que le sénateur Peterson a commencé à creuser. Vous avez bien invité le Sénat à préparer un rapport spécial. Pour faire cela, il faudrait que nous sachions très clairement quel est le genre d'organisme qui devrait être chargé selon vous du pouvoir d'agir, du financement et de la responsabilité dont s'accompagne le travail en question. Je crois que c'est pour cela, peut-être que la question a commencé à ce point-là.

Si on pousse ça un peu plus loin, pensez-vous que la solution, c'est de créer encore un nouvel organisme? Est-ce que, en faisant cela, nous n'éloignons pas la responsabilité de l'organisation qui devrait la porter, et, plutôt que de la responsabiliser, est-ce que nous ne faisons pas que créer un nouvel organisme duquel nous devrons espérer la même responsabilité si un problème survient? C'est ma première question.

Vous avez dit qu'on devrait examiner la possibilité d'élaborer une politique nationale de mise en œuvre. Je me demande si l'empreinte est suffisamment bien définie pour ce genre de travail. Je me pose également la question de savoir si chacun de ces traités s'assortit du même processus de mise en œuvre. Pourrions-nous comparer l'un et l'autre pour déterminer quel est le meilleur processus?

John Merritt, conseiller constitutionnel et législatif, Nunavut Tunngavik Inc. : J'ai participé aux efforts déployés au jour le jour pour mettre en œuvre les accords sur les revendications territoriales. Cet exercice a été une source de frustration pour tous les gens ici présents dans les différentes parties du pays.

L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a été signé en 1993 au nom de la Couronne du chef du Canada. Il a un statut constitutionnel. Le premier ministre Mulroney l'a signé dans le cadre d'un événement public fortement médiatisé qui s'est déroulé au Nunavut, sous le regard attentif de la majeure partie de la population du territoire. L'accord a été ratifié par le Parlement. Il est clair que l'attention accordée à la conclusion de cet accord a donné à croire que le gouvernement garantissait aux Inuits qu'il était de bonne foi en échange de leur signature au bas du document. On pourra décrire cet accord comme une sorte d'entente de cohabitation ou de mariage. Quoi qu'il en soit, les Inuits, qui sont établis ici depuis des millénaires, concluaient à ce moment-là une entente solennelle avec la nation canadienne. Au nom de sa souveraineté, le Canada a promis de respecter cette entente.

Cependant, peu de temps après, comme mon collègue l'a mentionné, le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada a abandonné les négociations dans le cadre desquelles on tentait de mettre en œuvre l'accord. Un rapport de conciliation bien fait qu'a rédigé un ancien juge de la Colombie-Britannique repose sur une tablette, malgré le fait que Nunavut Tunngavik Incorporated l'ait appuyé.

Au quotidien, lorsque nous rappelons cela, nous nous perdons en discussions avec des fonctionnaires d'AINC situés très bas sur le totem et qui disent ne pas avoir le mandat nécessaire pour agir. Il y a peut-être toutes sortes de façons de régler le problème du point de vue institutionnel, mais je dirais que la Couronne, le pays, ne s'acquitte pas de son devoir d'honneur de façon efficace. Cette façon de faire les choses ne va pas non plus permettre d'éviter l'inévitable pluie, sinon le déluge, de poursuites judiciaires et d'impasses — la prochaine génération de revendications spécifiques, comme le sénateur Sibbeston l'a dit. La situation est sans issue.

Le groupe que forme la coalition ne prétend pas être spécialiste de la machine gouvernementale. Nous savons qu'il y a de multiples possibilités de reconfiguration du gouvernement du Canada pour lui permettre d'obtenir de meilleurs résultats. Nous savons qu'une tentative visant à isoler un petit élément à un niveau peu élevé d'un ministère ne va pas permettre d'obtenir la coordination, l'énergie bureaucratique et l'orientation politique nécessaires.

Le sénateur Dallaire : Comme je viens du Québec, je demeure perplexe. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour essayer de résoudre les problèmes liés à l'histoire des Canadiens d'origine européenne et des Autochtones. La question est très bien documentée et fait l'objet d'un bon suivi, et, sur le plan politique, elle demeure toujours à l'avant-plan. C'est pour cela que je suis consterné, parce que les Autochtones semblent sortir de l'écran radar souvent, et que je suis préoccupé du fait que des nations qui vivent sur le territoire souverain du Canada ne semblent pas en mesure d'obtenir un engagement de la part du gouvernement.

Êtes-vous confronté à un groupe de gens dont l'argument est que ça va coûter trop cher? Au fond, le gouvernement n'essaie-t-il pas d'échapper à ses responsabilités, d'une part, ou simplement de tout réduire au minimum, en disant qu'il coûte moins cher d'emprunter la voie juridique que de payer pour tout ça? Avez-vous entendu dire que c'était un problème de trésorerie?

M. Aldridge : Il serait injuste de dire que c'est le facteur principal, mais c'est sûr que ça en fait partie.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Dans le cadre de l'Accord nisga'a, dont nous sommes en mesure de parler, il y a un engagement, une obligation découlant du traité pour toutes les parties de négocier et de conclure une nouvelle entente de financement budgétaire tous les cinq ans. L'entente actuelle en est à sa septième année, et les fonctionnaires fédéraux avec lesquels nous traitons nous disent qu'ils n'ont pas le mandat nécessaire pour fournir de l'argent. Nous ne savons même pas quelle est leur situation; les négociations ne mènent à rien, même si près de deux années se sont écoulées depuis le moment où l'entente devait être renouvelée.

Vous pensez peut-être que c'est une situation inhabituelle. Nos amis de NTI me corrigeront si je me trompe, mais je crois que leur contrat de mise en œuvre, qui joue un rôle analogue à notre entente de financement budgétaire, est expiré depuis trois ou quatre ans. Nos collègues du Yukon nous disent que leur entente de financement budgétaire, qui était valide pour cinq ans, en est à sa neuvième année. Dans tous les cas, le simple fait de demander aux négociateurs d'obtenir le mandat nécessaire pour parler des chiffres pose problème.

La situation est complexe, et il serait injuste de blâmer AINC pour tout ça. Le ministère n'a pas un budget réservé à la mise en œuvre et au financement des accords de revendications territoriales. C'est quelque part dans la machine gouvernementale que notre coalition se perd. Nous avons l'impression que les représentants demandent parfois respectueusement aux autres ministères de leur remettre quelques dollars de leur budget, pour qu'ils puissent les consacrer aux ententes de financement budgétaire et ainsi financer les accords de revendications territoriales sans qu'il y ait de coûts supplémentaires nets pour le gouvernement. En général, les autres ministères répondent qu'ils n'ont pas à le faire et qu'ils ne le feront pas. Nous entendons aussi dire qu'il y a des problèmes liés à l'autorité, et ainsi de suite. AINC demeure incapable de fournir cet argent supplémentaire.

Je ne suis pas sûr, cependant, qu'il s'agisse de la question d'une quantité suffisante de dollars; plutôt, le problème est d'ordre organisationnel et consiste à faire passer l'idée que les traités ont été conclus avec la Couronne, et non avec AINC.

Le sénateur Dallaire : Il ne faut pas déresponsabiliser AINC. Cela reviendrait à dire que la défense est la responsabilité du gouvernement, mais que c'est le ministère de la Défense nationale qui va s'en occuper tout seul; il s'agit du gouvernement canadien représenté par ce ministère.

La méthode de fonctionnement de la fonction publique fédérale est en quelque sorte axée sur la résolution de problèmes. C'est comme un projet d'ingénierie. Prenons par exemple un camion qui ne fonctionne plus parce qu'il est vieux. La fonction publique fait s'acquisition d'un nouveau camion et suit tout le processus, y compris les coûts d'achat, d'entretien et de formation, puis elle règle le problème. Les fonctionnaires disent : « Nous avons acheté un nouveau camion, alors ne nous parlez plus de camions; nous avons réglé le problème. »

D'après ce que vous avez dit, je n'ai pas l'impression que AINC traite vos négociations comme des projets; j'ai plutôt l'impression que le ministère les voit comme une espèce de débat sur les enjeux stratégiques liés à toute une série de facteurs qui peuvent éventuellement aboutir à un versement d'argent par l'intermédiaire peut-être des organismes centraux. S'adresser au Conseil du Trésor pour obtenir du financement pour un projet qui consiste en la mise en œuvre d'un accord n'est pas un processus logique.

Trouvez-vous que AINC ne joue pas bien son rôle qui consiste à présenter ses projets au gouvernement pour obtenir des fonds et à régler les choses?

M. Aldridge : Oui.

Le sénateur Dallaire : Ne devrions-nous pas envisager de réformer le ministère? Nous avons mis l'accent sur une tentative de réforme de l'ACDI. Les budgets de l'ACDI et de AINC sont loin d'être les mêmes. Nous sommes obsédés par l'idée d'envoyer de l'argent un peu partout dans le monde, alors que l'un de nos organismes ou ministères semble totalement inefficace, mais personne n'a proposé de réformer AINC. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'on devrait transformer complètement AINC pour moderniser la façon dont le ministère s'acquitte de ses tâches, du point de vue de l'attitude et du point de vue technique?

M. Aldridge : À nos yeux, la logique est implacable. Ce ne sont pas tous les membres de la coalition qui sont du même avis quant à la question de savoir si la solution est la réforme, l'amélioration, la revitalisation d'AINC, comme le sénateur l'a décrit, ou si le ministère ne peut plus être sauvé et doit être remplacé par un autre organisme. C'est une question qui continue de donner lieu à des débats au sein de la coalition. Pour être équitables envers nos collègues qui ne sont pas ici aujourd'hui, nous devons l'admettre.

Il serait injuste de passer sous silence le fait que AINC s'est engagé dans un processus en ce qui concerne les démarches de mise en œuvre. Les gens là-bas n'aiment pas utiliser le mot « politiques », pour une raison ou pour une autre. Ils parlent plutôt d'un cadre servant à déterminer les points à améliorer et les problèmes qui peuvent découler de la mise en œuvre, et d'autres mots du genre.

Ils ont conçu et organisé une série de réunions de consultation de leur propre chef. Les membres de la coalition vont participer de bonne foi à cette activité. En ce moment même, la séance de compte rendu a lieu de l'autre côté de la rue, au Centre de conférences. Nos collègues assistent à cette séance pour discuter avec les fonctionnaires de AINC. Cependant, c'est un peu comme un dialogue de sourds, si je peux m'exprimer ainsi, puisque les membres de la coalition utilisent le même vocabulaire que le sénateur a utilisé tout à l'heure en ce qui concerne la nécessité d'une nouvelle politique, d'une nouvelle démarche et d'un changement d'attitude qui permettrait d'accorder plus d'importance au dossier, tandis que les fonctionnaires parlent d'un moyen d'améliorer la communication entre les ministères. En gros, le gouvernement propose des solutions bureaucratiques visant à rationaliser la circulation des documents plutôt que de proposer une nouvelle démarche générale comme celle que, nous l'espérons, le comité va étudier, s'il entreprend de rédiger ce rapport.

Le sénateur Dallaire : Il ne fait aucun doute qu'il y a au sein du gouvernement des processus enchevêtrés, dans le cadre desquels plusieurs ministères s'associent lorsqu'ils ont un projet à mettre à exécution. Cependant, si l'initiateur, ou le directeur de projet, n'a pas de budget, alors c'est une perte de temps, parce qu'il n'a pas de pouvoir. Il peut bien avoir certaines responsabilités découlant de la loi, s'il n'a pas le budget nécessaire pour appuyer le projet, alors il n'y a pas de projet — le projet est inexistant. Ils sont déjà trop engagés à exécuter les projets financés pour s'engager à mener à terme quelque chose qui n'est même pas défini. Il s'agit d'une espèce d'entente, de politique, de cadre de référence qui a un fondement juridique, mais qui n'est pas nécessairement quelque chose de concret, de pratique que je pourrais définir. Ainsi, pensez-vous que AINC devrait adopter une autre méthode de financement pour mettre à exécution certains des projets complexes et généraux devant lesquels le ministère est placé?

M. Aldridge : Oui.

Le sénateur Campbell : Je ne suis pas fier de dire que je sais de quoi il s'agit lorsqu'on parle de divorce, mais malheureusement, c'est le cas. Votre description était tout à fait à propos. Depuis que je suis membre du comité, c'est- à-dire depuis deux ans, j'entends la même chose. Pour être tout à fait sincère, je ne sais même pas pourquoi nous parlons de AINC, parce que c'est une organisation qui n'a pas d'existence. Elle n'a pas réussi à sortir du Moyen Âge pour s'adapter à la société d'aujourd'hui. Vous dites que le ministère ne mérite aucun respect, alors je ne sais pas pourquoi nous nous posons la question de savoir s'il faut le remplacer ou le transformer. Nous devons avoir comme point de départ un organisme qui désire vraiment faire quelque chose de plus que de s'en tenir à ce cadre.

Le problème le plus important, c'est que le gouvernement dans l'ensemble doit modifier profondément son attitude. Il ne peut se contenter de signer un document comme celui que nous avons devant nous ou comme l'Accord nisga'a ou d'autres traités pour ensuite attendre et ne rien faire pour mettre en œuvre le traité avant d'être obligé de le faire. Comment modifier l'attitude du gouvernement à cet égard? Il s'agit non pas seulement du gouvernement actuel, mais aussi des gouvernements précédents. Ça remonte à quand? Au moins jusqu'à l'époque où Brian Mulroney était premier ministre.

Comment modifier cette attitude? Les témoins qui viennent ici disent toujours la même chose. Comment modifier cette attitude? Comment faire en sorte que le gouvernement respecte et comprenne le fait qu'il s'agit d'une relation de nation à nation? Il est certain que le gouvernement ne traiterait jamais une nation étrangère de cette façon; néanmoins, ici, il s'en tire toujours. Comment modifier l'attitude du gouvernement?

M. McKay : Merci, sénateur Campbell. C'est un débat qui a lieu actuellement au sein de la Coalition des revendications territoriales. Nous sommes d'accord pour dire que la question de l'attitude doit être au cœur du débat. Nous faisons ce que nous pouvons pour rencontrer les politiciens, et nous sommes très honorés de témoigner devant le comité, mais nous avons besoin de votre aide. Nous aimerions demander aux honorables membres du comité de nous aider à faire voir au gouvernement qu'il est nécessaire d'envisager cette question avec sérieux.

Pendant les décennies qu'ont duré les négociations en vue de son traité, la Nation Nisga'a a affirmé qu'elle cherchait à négocier sa place au sein du Canada, et non à l'extérieur du pays. Nous souhaitions faire partie du Canada, et c'est ce que nous avons réussi à faire. Maintenant que nous y sommes, nous aimerions prendre la place qui nous revient. Nous sommes d'accord avec ce qu'on dit, c'est-à-dire que, pour que la mise en œuvre d'un accord de revendications territoriales moderne, comme l'Accord définitif nisga'a ait lieu, il faut que le gouvernement trouve une façon de nous laisser occuper la place qui nous revient, pour que nous puissions discuter et travailler avec lui dans le cadre d'une relation de gouvernement à gouvernement. C'est sûr que nous avons élaboré notre propre modèle de ce que les Canadiens appellent en général le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, mais c'est tout ce que nous pouvons faire. Il est clair que nous avons besoin que le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces et des territoires travaillent avec nous à ces changements.

Encore une fois, pour conclure, nous voudrions insister pour que le comité nous aide à obtenir ce que nous demandons, si c'est possible. Il nous permettrait ainsi d'obtenir l'attention dont nous avons besoin. Il est nécessaire de transformer profondément le cadre institutionnel du gouvernement du Canada. Cette transformation va exiger beaucoup d'efforts.

M. Kunuk : Pour revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure au sujet du fait que AINC tente de réduire les coûts au minimum ou envisage les choses du point de vue de l'argent, c'est en gros ce qu'on nous a dit avant 2004, lorsque le gouvernement a laissé tomber les négociations. Plutôt que d'admettre que le gouvernement avait des obligations quant à la mise en œuvre de l'accord, on nous a dit qu'on ne pouvait travailler qu'en fonction de l'augmentation du coût de la vie. On nous a dit que le taux était de 2,1 p. 100 et que c'est ce que nous obtiendrions, sans admettre les obligations réelles et le coût lié au respect de ces obligations.

Je vais vous décrire un peu les événements liés au contrat de mise en œuvre conclu avec la Fédération Tungavik du Nunavut, la FTN, et la Nunavut Tunngavik Incorporated, NTI. La FTN a négocié l'accord de revendications territoriales, et le contrat de mise en œuvre a été signé par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et par le gouvernement du Canada. Les Inuits n'ont pas signé cet accord.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ayant accepté de diviser le territoire en deux, il y avait trop de choses à faire pour pouvoir s'inquiéter de ce qui allait se produire au cours des dix années suivantes.

En ce qui concerne la question de savoir si AINC fait l'acquisition d'un nouveau camion ou détermine que le camion ne fonctionne plus, d'après les processus que nous avons vus l'organisation suivre, elle crée d'abord un comité, puis un groupe de travail dont l'objectif est de déterminer si c'est vrai que le camion ne fonctionne plus. C'est le cycle par lequel nous passons. Pour ce qui est des comités auxquels nous avons participé, nous finissons par utiliser l'argent des bénéficiaires pour nous rendre à Ottawa ou pour que les fonctionnaires du ministère se rendent dans les autres collectivités pour parler de créer des groupes de travail, des comités, des sous-comités et pour organiser la séance d'aujourd'hui, par exemple. Tous ces comités, toutes ces réunions, et cetera, coûtent aux Inuits de l'argent qui était censé profiter aux bénéficiaires.

Il y a chez nous des aînés qui se sont occupés des questions des revendications territoriales, des aînés qui n'ont jamais fréquenté l'école, qui sont nés dans des igloos, des tentes ou des huttes de terre, et qui ont traité avec des ministres, des sous-ministres et des avocats. Je suis fier de mes aînés qui ont pris cette initiative. Ils sont très nombreux, mais je pense particulièrement à Raymond Ningeocheak, notre second vice-président, qui a participé aux revendications territoriales pendant plus de 15 ans et qui n'a jamais eu peur de se présenter devant des comités comme le vôtre. Il a comparu devant un comité parlementaire il n'y a pas très longtemps, et il n'a pas apporté de notes ou quoi que ce soit d'autre; ce qu'il a dit venait tout simplement du cœur. Il y a chez nous des aînés qui prennent des initiatives. Ils demandent; « quels sont les avantages qu'il y a à signer cet accord? Je pensais que nous allions obtenir telle ou telle chose. » Nous leur répondons que nous pensions que c'était le cas aussi, mais que nous devons participer à une suite sans fin de réunions de comités afin de déterminer si on est d'accord avec les modalités d'intervention pour répondre aux besoins ou pour se faire dire qu'on refuse notre demande de financement pour participer à l'élaboration des politiques ou à d'autres comités parlementaires ou du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.

Le sénateur Campbell : Monsieur Kunuk, le gouvernement du Canada semble s'intéresser de près au Nord en ce moment. Qu'arriverait-il si le Nunavut disait que le Nord est à lui, qu'il ne veut pas la présence du gouvernement fédéral sur son territoire? Je n'en peux plus de participer à des réunions qui sont vouées à l'échec dès le départ. Le sénateur Dallaire avait raison. Je suis surpris du fait que vous n'ayez pas de comité chargé de vérifier si c'est vraiment un camion. Qu'arriverait-il si la nation Nisga'a ou les jeunes du Nord disaient « Nous ne voulons pas de vous ici, au revoir? » Que ferait-on? Que pourrait-on faire? Est-ce que cela permettrait de faire passer le message que la blague est finie? Pourriez-vous dire : « Si vous êtes sérieux, nous le sommes aussi. Si vous n'êtes pas sérieux, au revoir. C'est notre territoire »?

M. Kunuk : La semaine dernière, nous étions à Rankin Inlet, à l'occasion de l'assemblée générale annuelle de NTI, et la frustration des membres de l'organisation était palpable. Je vous donnerai un exemple. Le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut utilisent, d'une façon ou d'une autre, des seringues projectiles pour obtenir des mesures relatives aux ours polaires. Les quotas diminuent de plus en plus. Les autorités reconnaissent les scientifiques, les professeurs et les personnes accréditées. Il y a ce que nous appelons le savoir inuit traditionnel. Comme M. Merritt l'a dit, les Inuits vivent dans le Nord depuis des milliers d'années. Ils connaissent le milieu et savent ce qui arrive aux ours polaires, aux bélugas et aux oies, mais on ne reconnaît jamais leur savoir, parce qu'ils n'ont pas de doctorat ou ne sont pas des chercheurs. Nous continuons de lutter contre ça.

Depuis qu'il a commencé à parler de la question de la souveraineté dans le Nord, le premier ministre n'a jamais parlé des Inuits. Si on jette coup d'œil sur le texte des discours qu'il a prononcés, que ce soit à Iqaluit ou ailleurs au Canada, on constate que son gouvernement n'a jamais parlé des Inuits qui vivent là-bas et qui vont continuer d'y vivre. Notre président a écrit des lettres au premier ministre pour lui dire que s'il voulait parler de souveraineté, il fallait nous inclure. Notre président a écrit une lettre en février. Il a envoyé une note au ministre de la Défense, qui lui a dit que le premier ministre allait répondre à sa lettre, mais, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas reçu de réponse.

Les Inuits commencent à être frustrés des programmes gouvernementaux, que ce soit des programmes fédéraux ou territoriaux, et ils disent : « Nous n'allons pas faire ça tant que vous n'aurez pas reconnu le savoir traditionnel inuit. » C'est là qu'on est en train d'en venir. Depuis la relocalisation du Nord du Québec vers la baie Resolute et le fjord Grise, nous n'avons participé à aucune discussion au sujet de la souveraineté, et le gouvernement ne nous a jamais donné de réponse. Certains Inuits veulent tout simplement faire comme si le gouvernement n'existait pas. Cela se produit dans différentes parties du Nunavut, comme, j'en suis convaincu, au sein d'autres groupes de revendications territoriales.

Le sénateur Dyck : Merci, messieurs de l'exposé très intéressant que vous nous avez présenté. Les réponses que vous nous avez données jusqu'à maintenant ont été tout à fait éclairantes.

Nous avons présentement devant nous un projet de loi qui porte sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik, et la question simple qu'on pourrait poser, c'est : pourquoi le signer? C'est lié à ce que le sénateur Campbell disait. Compte tenu des enjeux actuels liés à la souveraineté, pourquoi signeriez-vous si vous êtes en mesure d'obtenir quelque chose de plus avantageux? Est-ce que les frustrations que vous avez vécues dans le passé ont permis d'inclure des améliorations dans le nouvel accord avec le Nunavik, et est-il possible de faire en sorte que ce nouvel accord prévoie de meilleures façons de réaliser la mise en œuvre?

M. Merritt : Comme il a été mentionné au début, c'est précisément la raison d'être de la coalition, qui est une assemblée de groupes de revendications territoriales modernes qui essaient de travailler ensemble sur leurs points communs.

Chacun des accords est différent des autres, et chacun des groupes évolue dans un milieu de négociation différent de celui des autres. Makkovik, soit l'organisation qui représente les Inuits du Nord du Québec qui ont négocié cet accord, a signé cet accord et pense que c'était la meilleure entente qui pouvait être négociée vu le contexte. Je pense qu'il y a eu un vote chez les Inuits des différentes collectivités, et que les Inuits ont voté en faveur de l'adoption de l'accord.

Je pense que, à titre de représentant de la coalition, tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous respectons le fait que chacun de nos membres doit prendre des décisions difficiles au chapitre des choix et des compromis. Ainsi, nous ne sommes pas vraiment en mesure de vous aider en vous donnant un quelconque conseil par rapport à la question précise que vous avez posée. Nous vous encouragerions à rencontrer les représentants de Makkovik pour discuter de ce genre de chose.

Pour en revenir à quelque chose de plus général — et mon collègue, M. Kunuk, a mentionné cela —, tout accord est un échange. Le gouvernement ne fait rien par simple bienveillance. Les choses restent à être mises en œuvre ou non, selon la façon dont le gouvernement organise ses institutions ou ses finances. Ce sont des échanges. Ce sont des contrats.

La poursuite intentée par NTI en décembre denier a pour objet un contrat. Nous constatons que deux parties avaient conclu un accord, qu'on était arrivé à une entente et qu'on avait formulé certaines hypothèses. La mise en œuvre n'est plus laissée à la discrétion des fonctionnaires. Il semble évident que ces accords sont en fait des échanges et des contrats, et qu'ils ont le statut de contrat et s'assortissent du même devoir d'application, mais j'ai bien peur qu'on l'oublie trop souvent.

Nous finissons par avoir un échange avec les fonctionnaires qui croient — je présume qu'ils le disent sincèrement — que s'ils perdent la possibilité d'affecter les ressources eux-mêmes, cela explique de façon adéquate pourquoi un engagement contractuel n'est pas respecté. Nous savons tous que cette idée ne tient pas debout sur le plan logique, et encore moins sur le plan juridique.

J'ai une dernière chose à dire. Le sénateur Dallaire a mentionné tout à l'heure que les choses sont axées sur les projets. C'est ainsi que j'envisage mon travail. Je pense que le problème fondamental, c'est que le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada ne définit pas le projet de façon suffisamment ambitieuse ou efficace.

C'est chez les Inuits du Nunavut qu'on trouve les pires logements du pays, un des plus hauts taux de suicide au monde et un taux de décrochage de 75 p. 100 au secondaire. À mon avis, il est absurde de croire que quiconque pourrait penser que la mise en œuvre de l'Accord de revendications territoriales du Nunavut a été un succès, si ces problèmes fondamentaux n'ont pas été réglés. Je pourrais vous montrer des rapports et de la correspondance provenant du gouvernement dans lesquels on explique avec complaisance que, en quelque sorte, le gouvernement fait ce qu'il est tenu de faire dans le cadre de ces accords. À mon avis, cette idée est absurde. Cela signifie que le projet est fondamentalement mal défini.

Si le comité avait la possibilité de réviser les dispositions de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et de reprendre les définitions liées au projet — je m'exprime en mon nom personnel —, je pense qu'il ferait une contribution très importante pour la population du Canada.

Le sénateur Dyck : Monsieur Aldridge, je pense que vous disiez tout à l'heure que AINC ne disposait pas d'un budget réservé à l'application de ce genre d'accords. Devrait-il y avoir un budget prévu à cette fin? Si c'était le cas, la gestion de ce budget devrait-elle être laissée à l'AINC? Y a-t-il d'autres mécanismes qui permettraient de protéger cet argent?

M. Aldridge : Nous avons proposé que le coût de mise en œuvre de chacun des accords, en fonction à la fois des obligations strictes qui en découlent et du projet ou de l'ensemble d'objectifs généraux, soit évalué, et que l'argent soit réservé à l'application de l'accord, de façon à ce que toutes les parties sachent à quoi s'en tenir. Comme je l'ai déjà dit, le problème, en ce moment, c'est que tout est en pièces détachées.

Je ne sais pas si c'est vrai, mais de notre point de vue, il semble que le gouvernement du Canada a décidé que, une fois qu'il a effectué le transfert de capitaux, et ainsi de suite, le jour de l'entrée en vigueur de l'accord, il ne veut pas dépenser plus d'argent qu'avant de conclure des accords de revendications territoriales pour le processus continu de mise en œuvre de ces accords. Il va chercher l'argent où il peut le trouver dans les budgets ministériels, et plutôt que de parler de fonds réservés aux bandes visées par la Loi sur les Indiens, il parle de fonds de mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale des nations. Devinez quoi? L'argent vient du même endroit. Si vous parcourez la liste, vous allez voir le nom d'un document très utile que le Conseil du Trésor a publié il y a quelques années, et vous verrez qu'on a pigé dans des fonds existants, qu'on leur a donné un nouveau nom et qu'on a dit qu'il s'agissait de fonds pour la mise en œuvre.

Ainsi, nous ne savons pas exactement comment la machine fonctionnerait. Nous ne sommes pas des spécialistes. L'idée, c'est que chacun des accords ferait l'objet d'une évaluation des coûts et du financement distincte, de façon que tout le monde puisse savoir ce qui est accessible sans qu'on grappille de l'argent auprès des autres ministères.

Le sénateur Adams : [Le sénateur Adams s'exprime dans sa langue maternelle.]

Ma question ressemble à celle du sénateur Dyck. Avant les dernières vacances, en juin, nous avons travaillé sur les ententes de revendications territoriales intervenues entre le Nunavik, le Nunavut et AINC. Ça a commencé avec le projet de loi C-51, mort au Feuilleton, l'automne dernier. Nous travaillons maintenant à la même question, mais dans le cadre du projet de loi C-11. C'est habituellement un chiffre élevé tout de suite après la conclusion des accords de revendications territoriales au Nunavut.

L'organisation qui faisait partie de l'association s'intéressait aux droits de chasse et aux eaux de la baie d'Hudson et de la baie d'Ungava. À l'époque, en 1975, on a fini par élaborer la Convention de la baie James et du Nord québécois, intervenue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec, et qui portait notamment sur les droits de chasse.

Le sénateur Watt a fait venir certaines personnes au début du printemps, avant l'introduction du projet de loi C-51 au Sénat. Il a fait venir des gens du nord du Québec, notamment des maires et quelques personnes qui avaient fait l'objet de poursuites judiciaires en rapport avec les quotas de chasse au béluga et à la baleine.

D'après le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, c'est lui qui était chargé de l'administration des eaux entre la baie d'Hudson et la baie d'Ungava, jusqu'à Terre-Neuve-et-Labrador. À l'époque, j'étais membre du conseil territorial, de 1970 à 1974, membre de l'assemblée législative pour Keewetin.

Dans le nord du Québec, la limite correspond à la ligne de la marée, et les hauteurs sont exclues. L'accord de revendications territoriales le précise. D'après mon collègue, le sénateur Watt, la signature de cet accord a été une erreur. Monsieur Merritt, peut-être votre groupe sait-il quelque chose de l'accord conclu avec NTI.

Dans l'intervalle, les premiers ministres ont signé un accord relatif au Nunavut conclu entre le gouvernement du Canada et Makkovik. Je me demandais si cet accord posait véritablement problème? Je sais que les gens aimeraient que les quotas soient plus élevés le printemps venu, mais qu'ils se demandent comment faire pour obtenir cela dans le cadre de l'accord conclu avec le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Je n'ai entendu personne dire que ce projet de loi ne devrait pas être adopté.

M. Merritt : En ce qui concerne NTI et Makkovik, les deux organisations ont essentiellement élaboré des accords qui se recoupent. Certaines des eaux dont le sénateur Adam a parlé sont visitées à la fois par les Inuits du Nunavut et ceux du Nord du Québec. Il y a des accords fondés sur la reconnaissance réciproque des droits d'utilisation.

Ainsi, l'accord sur les eaux au large du Nunavik que le Sénat doit ratifier est l'accord que les Inuits du Nunavik souhaitent conclure avec la Couronne. Ils ont, en fait, fini de s'occuper de la partie du nouvel accord proposé qui les touche. Ils ont respecté le fait que les décisions quant au type de régime qu'ils aimeraient voir appliquer près de leur collectivité doivent maintenant être prises par les Inuits du Nunavik.

Comme le sénateur l'a dit, les Inuits du Nunavik se sont appuyés sur bon nombre des éléments établis dans le cadre de l'accord conclu avec le Nunavut pour conclure des accords de gestion du même genre. On pourrait débattre de la possibilité de les améliorer ou de les remplacer. Cependant, NTI ne représente pas les gens qui font ces choix. Nous sommes donc réticents à nous prononcer sur le fait que l'accord soit bon, mauvais ou neutre. Nous n'avons pas négocié cet accord, et nous respectons le fait que les gens doivent pouvoir faire leurs propres choix.

Le président : Chers collègues, je pense qu'il ne fait aucun doute que la mise en œuvre pose un défi. Sénateur Dallaire, voulez-vous poser une question?

Le sénateur Dallaire : Oui, rapidement. Je m'intéresse toujours à la question des relations provinciales-fédérales. Je veux que les régions soient fortes, mais seulement si elles permettent de rendre le Canada plus fort, et non si elles sont plus indépendantes.

Êtes-vous placé devant ce genre de scénarios pour ce qui est de la mise en œuvre? Est-ce que la mise en œuvre de l'accord pose les mêmes difficultés à l'échelon provincial que celles que vous connaissez à l'échelon fédéral, au chapitre des droits et des obligations des parties?

M. Aldridge : De façon générale, du point de vue de la Nation Nisga'a, non; le gouvernement provincial a beaucoup agi. Rien n'est parfait, cependant.

Le sénateur Dallaire : Il a mieux agi au chapitre de ses responsabilités par rapport à la mise en œuvre?

M. Aldridge : Oui.

Une question qui a été posée tout à l'heure et à laquelle on n'a pas bien répondu, c'est celle de savoir si M. McKay a lu la citation de la vérificatrice générale comme il faut. En fait, oui. La citation exacte est la suivante :

Les représentants du Ministère considèrent que la responsabilité d'atteindre les objectifs de base de la Convention ne revient pas au Ministère; ils estiment aussi que ces objectifs sont ceux des Inuvialuit et non du Canada. Ils ont fait observer que la Convention ne les oblige ni à atteindre les objectifs établis ni à mesurer les progrès accomplis pour les réaliser.

Ils laissent entendre qu'ils vont remplir leurs obligations, mais il ne leur appartient pas de réaliser des objectifs. Puisque vous avez posé cette question tout à l'heure, je voulais être sûr de vous donner une réponse.

Le président : Merci de la précision, monsieur Aldridge.

Chers collègues, je pense qu'il ne fait aucun doute que la mise en œuvre pose un réel défi, et je pense que nous le savions avant de nous présenter ici ce matin. Les spécialistes du sujet et les brillants exposés que nous avons écoutés ce matin l'ont confirmé. Par ailleurs, la vérificatrice générale a dit que les fonctionnaires fédéraux avaient fait preuve d'une constante aversion face au recours à l'arbitrage pour tout ce qui a rapport aux finances. Il est évident qu'il y a une certaine résistance pour ce qui est des choses d'ordre financier. La vérificatrice a suggéré l'établissement d'un nouvel accord de revendications complet ou d'un tribunal moderne chargé d'évaluer la mise en œuvre des traités pour soutenir ce processus. Des suggestions ont donc été formulées.

J'aimerais remercier les témoins de l'excellent exposé qu'ils nous ont présenté et des réponses franches et directes qu'ils ont données aux sénateurs. Le comité est aussi non partisan qu'il est possible de l'être à Ottawa. Il s'agit non pas de nous, mais des Premières nations. Je remercie tous les honorables sénateurs de leur présence ici ce matin.

Nous allons poursuivre la séance à huis clos pour discuter d'ébauches de budgets, et j'aimerais que quelqu'un propose d'autoriser le personnel à demeurer avec nous pour la séance à huis clos. Si la mention est proposée, nous allons pouvoir poursuivre. Le sénateur Hubley la propose. Tout le monde est d'accord?

Des voix : D'accord.

Le comité se poursuit ses travaux à huis clos.


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