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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 5 mars 2008


OTTAWA, le mercredi 5 mars 2008

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 18 h 17 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis, et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

[Traduction]

Marcy Zlotnick, greffière du comité : Honorables sénateurs, le quorum est atteint.

À titre de greffière du comité, je dois vous informer de l'absence inévitable du président et du vice-président et il m'appartient donc de présider à l'élection d'un président suppléant. Je suis prête à recevoir une motion à cet effet.

Le sénateur Campbell : Je propose le sénateur Hubley.

Mme Zlotnick : Y a-t-il d'autres propositions? Sinon, l'honorable sénateur Campbell propose que l'honorable sénateur Hubley soit élue présidente suppléante du comité. Voulez-vous adopter la motion?

Des voix : Oui.

Mme Zlotnick : J'invite donc le sénateur Hubley à assumer la présidence.

Le sénateur Elizabeth Hubley (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante : Merci beaucoup.

Bonsoir, sénateurs et invités. Comme nous avons le quorum, nous allons commencer.

Nous poursuivons ce soir notre étude de la mise en œuvre des revendications territoriales globales. Pour nous aider dans ce travail, nous avons deux représentantes de PricewaterhouseCoopers, Joanne Johnson, directrice principale, Services-conseils, et Roxanne Anderson, associée, Services-conseils. Je vous souhaite la bienvenue à toutes les deux.

J'aimerais présenter les sénateurs. Nous avons avec nous le sénateur Roméo Dallaire du Québec, le sénateur Lillian Dyck de la Saskatchewan, le sénateur Larry Campbell de la Colombie-Britannique et le sénateur Robert Peterson de la Saskatchewan. Je m'appelle Elizabeth Hubley et je représente l'Île-du-Prince-Édouard.

Le cabinet PricewaterhouseCoopers a été engagé pour étudier de manière indépendante la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Il a publié en mai 2006 son rapport d'étude qui portait sur la période allant de janvier 1999 à juillet 2005. Son mandat consistait à faire le bilan de la mise en œuvre de chacune des dispositions de l'accord, à cerner les obstacles à la mise en œuvre, à trouver des options pour surmonter ces obstacles, à identifier des exemples de réussite, à évaluer l'efficacité du Comité de mise en œuvre du Nunavut et du Conseil d'arbitrage du Nunavut, et à formuler des recommandations pour rendre la mise en œuvre plus efficace.

Madame Johnson, vous avez la parole.

Joanne Johnson, directrice générale, Services-conseils, PricewaterhouseCoopers : Je crois comprendre que vous attendez de nous un exposé des principaux obstacles que nous avons constatés, ainsi que nos recommandations sur la mise en œuvre des revendications territoriales au Canada. Je tiens à vous remercier sincèrement de nous avoir invitées à partager avec vous les conclusions de notre étude.

Bien que tout mon travail sur les revendications territoriales ait porté sur le Nunavut, je crois que les questions que je vais aborder devant vous valent pour toutes les revendications territoriales au Canada. Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à votre travail car j'estime que ce processus, ainsi que les recommandations que vous pourrez formuler, pourront vraiment améliorer la situation.

Permettez-moi de commencer par exposer le contexte général de la mise en œuvre au Nunavut, qui a fait l'objet d'un certain nombre de mesures concrètes. Des édifices ont été construits, des lois ont été adoptées, des politiques et programmes ont été formulés. Toutefois, les Inuits ne sont pas satisfaits des progrès réalisés. De même, la plupart des agents gouvernementaux se disent frustrés par l'absence de progrès.

Tout d'abord, les résultats économiques sont mauvais. Je sais que vous le savez mais je manquerais à mon devoir en ne vous disant pas que la population craint que le gouvernement fédéral ne comprenne pas bien la gravité de la situation du Nunavut. Elle craint notamment qu'on ne saisisse pas bien la réalité qui se cache derrière des statistiques comme celles-ci : la moitié des Nunavummiuts ne mange pas à sa fin par manque d'argent, ce qui est sept fois la moyenne nationale; les taux de suicide atteignent presque sept fois la moyenne nationale; le chômage est plus du double de la moyenne nationale. La population locale estime qu'on ne saisit pas bien toute la portée de ces facteurs.

L'accord sur les revendications territoriales ne contient aucune obligation particulière dans la plupart de ces domaines. Toutefois, le quatrième objectif, énoncé dans le préambule, consiste à contribuer à la prospérité économique et au bien-être social. On trouve peu d'indications que la situation se soit améliorée à ce chapitre. Tout comme moi, les Inuits pensent que le gouvernement s'attendait à ce que les choses s'améliorent, pas du jour au lendemain, certes, mais en avançant peu à peu dans la bonne voie. Or, rien n'indique que ce soit le cas.

La situation économique n'est peut-être d'ailleurs pas le problème le plus grave. Dans l'ensemble, les Inuits ne participent pas à l'élaboration des politiques ou à la mise en œuvre des programmes comme c'était prévu. Ils n'ont pas atteint un niveau représentatif au sein du gouvernement et, ce qui est encore plus important, il n'existe encore aucun plan indiquant ce qui doit se produire, et dans quels délais, pour que cette obligation soit satisfaite. La plupart des gens qui nous ont parlé durant le processus nous ont dit que le IQ — le terme désignant le savoir Inuit traditionnel — n'est pas intégré au processus de décision.

Finalement, lors de nos entrevues dans les collectivités, les Inuits n'ont cessé de nous dire qu'ils n'ont pas été assez consultés et beaucoup ont ajouté qu'ils craignent que les choses ne changent pas. Voilà pourquoi je pense que cette étude était tellement importante.

Cela dit, il y a certains succès dont on peut tirer des leçons. Par exemple, le Nunavut Water Board a souvent été cité comme exemple d'une initiative qui marche bien, nonobstant les problèmes actuellement mentionnés dans les médias. Cet organisme entretient une bonne relation avec le gouvernement et il répond aux besoins des Inuits en leur dispensant des services en inuktitut et en intégrant le IQ à son processus de décision. Nous avons constaté que l'intégration efficace de la langue et de la culture est cruciale pour le succès de la mise en œuvre.

Autre exemple, la manière dont des ententes sur les répercussions et les avantages prévus dans l'Accord sur les revendications territoriales ont été établies pour les parcs nationaux. Parcs Canada a investi des ressources importantes dans l'évaluation de ce qui serait nécessaire et a négocié l'obtention de fonds avec Affaires indiennes et du Nord Canada — AINC — avant la mise en œuvre de l'accord. Parcs Canada a collaboré étroitement avec Nunavut Tunngavik Inc. — NTI — pendant tout le processus, et la mise en œuvre est en cours. La principale leçon est qu'il importe de consentir cet effort soutenu avant même la mise en œuvre de l'accord si l'on veut que celle-ci réussisse.

Un troisième exemple est la politique exhaustive destinée à permettre aux entreprises inuites de décrocher des marchés du gouvernement territorial. Dans ce contexte, on a dressé la liste des principales mesures à prendre, des activités de surveillance, des résultats attendus et des principaux domaines à améliorer. Le taux de succès des entreprises inuites dans l'obtention des marchés du gouvernement n'est certes pas idéal mais, au moins, toutes les parties savent où elles en sont et ont formulé un plan d'action auquel elles croient toutes. En revanche, on ne sait même pas combien d'entreprises inuites sont candidates à l'obtention des marchés du gouvernement fédéral et il n'existe aucun plan d'action accepté par toutes les parties pour atteindre l'objectif.

De ce fait, traduire les obligations de l'accord sur les revendications territoriales en plan d'action explicite sera la seule manière d'assurer le succès de ces objectifs. Le fil conducteur des succès enregistrés est que la solution doit impliquer les Inuits plutôt qu'être formulée pour les Inuits, et qu'il faut dresser des plans d'action concrets en tenant les gens redevables de leur mise en application.

Pendant le temps qu'il me reste, je parlerai de ce que nous estimons être les principaux obstacles à la mise en œuvre et je vous communiquerai nos recommandations. Je précise immédiatement que les problèmes n'émanent pas des individus eux-mêmes car nous pensons qu'ils sont systémiques et structurels. Pendant les années où j'ai travaillé avec les parties, je n'ai cessé d'être impressionnée par la passion, l'intelligence et le souci d'apporter des changements positifs de la plupart des gens, à quelques exceptions près. Les problèmes dépassent les individus et je ne pense pas qu'il puisse y avoir des changements si les cadres du gouvernement ne prêtent pas une attention particulière à la situation.

À notre avis, le facteur entravant le plus la mise en œuvre est l'absence de mécanisme de résolution des différends. Certes, il y a une clause d'arbitrage dans l'accord sur les revendications territoriales mais elle n'a jamais été invoquée. De ce fait, un différend peut traîner des années sans qu'on ait même dressé un plan pour le résoudre. Par exemple, les questions relatives à l'article 23 restent sans solution depuis une décennie.

Il existe des différences d'interprétation importantes et, dans bien des cas, légitimes. En outre, la méfiance est devenue un problème grave. Or, la confiance est une chose qu'on peut bâtir ou détruire avec chaque interaction. En l'absence de processus clair de règlement des différends, assorti de conséquences, on ne saurait espérer régler les litiges en cours ni établir un climat de confiance entre les parties.

Nous pensons que le processus de règlement des différends devrait comporter plusieurs éléments fondamentaux, notamment un processus officiel de documentation du problème, comprenant la description du problème, la raison pour laquelle il est apparu et ce qu'on a fait pour tenter de le résoudre.

Deuxièmement, il devrait y avoir un processus clair de résolution du problème, indiquant quelles mesures doivent être prises, par qui et quand.

Troisièmement, il devrait y avoir des conséquences pour s'assurer qu'on arrivera à une résolution définitive du problème dans un délai raisonnable.

Ce processus doit être empreint de certitude et de clarté. Nous décrivons un processus détaillé dans notre rapport et nous recommandons qu'il soit examiné, en l'adaptant s'il y a lieu et en le mettant à l'essai avec deux ou trois des questions les plus pressantes et les plus anciennes.

Un autre obstacle important à la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, et j'y ai fait allusion un peu plus tôt, est qu'il y a des différences d'interprétation concernant les objectifs et les obligations de l'accord. Cela peut causer des problèmes sur le plan de la mise en œuvre. Il est donc crucial de préciser ces éléments car les plans d'action ou les résultats ne donneront pas satisfaction aux parties s'il y a des différences d'opinion fondamentales quant à leurs responsabilités respectives.

Notre deuxième recommandation est donc que les parties énoncent explicitement dans le contrat de mise en œuvre, ou dans un autre document, leur interprétation commune de ce que signifie la mise en œuvre de l'objectif.

L'un des principaux obstacles à la mise en œuvre, en tout cas au Nunavut où la portée de la revendication est tellement vaste, est que la liste des problèmes à régler est très longue. Il est essentiel de comprendre que tout ne peut pas être réglé en même temps. Les parties devraient donc s'entendre sur une liste de priorités à court, moyen et long terme, et dresser un plan d'action exhaustif pour réaliser des progrès réels. On devrait aussi indiquer dans ce plan dans quel délai devraient être atteints les objectifs et obligations qui sont importants mais qui ne sont pas des priorités pour le moment.

L'absence de suivi continu est un autre obstacle important à la mise en œuvre de l'accord sur les revendications territoriales. Le gouvernement est de plus en plus conscient qu'il est important d'élaborer et d'appliquer des mesures du rendement pour assurer le succès, identifier les carences et appuyer la prise de décision. Par conséquent, notre quatrième recommandation est d'élaborer et de surveiller des mesures de rendement avec les peuples autochtones, de manière continue.

Le dernier obstacle dont je souhaite parler aujourd'hui concerne la participation concrète des Inuits au processus dans le respect de leur spécificité culturelle. Durant nos déplacements dans la communauté, nous avons continuellement entendu dire que les Inuits estiment ne pas avoir été suffisamment consultés. En revanche, maints représentants du gouvernement affirment avoir entendu dire qu'ils avaient été trop consultés. Il est donc essentiel de déterminer pourquoi les Inuits pensent ne pas avoir été consultés et de modifier le processus de communication en conséquence.

J'ai dit que l'absence de mécanisme de règlement des différends est à notre avis l'obstacle le plus important au succès de la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut mais je crois que la principale défaillance du processus de mise en œuvre est le manque de participation des Inuits à la prise de décision. Bon nombre d'Inuits commencent à perdre confiance. Ils ne s'attendaient pas à ce que tout change du jour au lendemain mais ils comptaient participer au processus de changement et ils sont déçus que cela n'ait pas été le cas.

Durant les groupes de discussion que nous avons organisés dans les collectivités, il est souvent arrivé que des Inuits s'effondrent en larmes tellement ils étaient déçus d'avoir été exclus et étaient démoralisés. Bon nombre nous ont dit que les Anciens n'étaient pas respectés, en ajoutant : « On adopte des politiques sans nous demander ce que nous en pensons ».

Notre dernière recommandation est donc de prendre deux initiatives en matière de communication. Premièrement, nous croyons qu'il faut entreprendre une étude spéciale pour déterminer ce que serait une participation efficace et culturellement adéquate. Il y a clairement des différences d'opinion et il faut résoudre cette question.

Deuxièmement, les résultats d'études comme la nôtre doivent être communiqués aux Inuits de manière efficace et culturellement adéquate. Par exemple, publier notre étude sous forme écrite ne constituerait pas une communication conforme aux méthodes de communication traditionnelles des Inuits. Nous recommandons que l'étude leur soit communiquée oralement et qu'ils aient la possibilité d'exprimer leurs réactions.

Nous comprenons que l'on puisse hésiter, au sein du gouvernement, à communiquer une étude exposant essentiellement des défis et des problèmes sans que des solutions aient encore été formulées et acceptées. Toutefois, les Inuits ont le droit de connaître l'état de la situation et de participer au processus de décision. Beaucoup craignent que leurs opinions ne soient pas pleinement exposées dans l'étude. Partager l'étude avec eux pourrait contribuer à rétablir une confiance qui a commencé à se dissiper.

Je vous remercie à nouveau de nous avoir invitées à contribuer à cette initiative importante et nous espérons que notre témoignage vous sera utile. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Anderson?

Roxanne L. Anderson, associée, Services-conseils, PricewaterhouseCoopers : Non, je pense que ma collègue a bien exprimé notre position.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup d'être venues ce soir pendant cette tempête quasi arctique. De toute façon, comme je viens de la Colombie-Britannique, c'est tous les jours un climat arctique pour moi à Ottawa.

Votre exposé est extrêmement intéressant. Nous avons déjà entendu plusieurs témoins au sujet de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. La situation est parfaitement claire et, très franchement, tout à fait déprimante. Comme vous, j'ai passé beaucoup de temps dans le nord. J'étais médecin légiste dans la région avant qu'elle ne devienne le Nunavut et je connais donc bien Hall Beach, Iglulik, Resolute, Grise Fiord, et cetera. Ce que vous dites est parfaitement cohérent.

Cette situation n'est pas apparue au cours des deux dernières années. Elle est l'aboutissement d'un long processus. Y a-t-il un service unique au gouvernement fédéral auquel vous pourriez vous adresser au sujet de la mise en œuvre? Par exemple, pour un problème de parcs, je m'adresse à Parcs Canada. Y a-t-il la même chose ici?

Mme Johnson : Permettez-moi de dire tout d'abord que je ne suis évidemment pas une experte sur l'organisation du gouvernement mais, si j'en crois mon expérience, non. Plusieurs ministères fédéraux peuvent être concernés par chaque objectif différent et il peut aussi avoir différents niveaux d'approbation. Par exemple, en ce qui concerne les parcs territoriaux — qui n'ont pas encore été créés alors qu'ils auraient dû l'être il y a longtemps — , il faut négocier avec Parcs Canada, puis avec AINC et le dossier s'en va ensuite au Conseil du Trésor. Il faut passer par toutes les étapes, l'une après l'autre, et le dossier peut être rejeté à n'importe quelle étape. Il n'y a pas de bureau unique auquel on peut s'adresser pour demander : « Quelle est votre décision? »

Le sénateur Campbell : Vous dites qu'il faudrait dresser une liste des priorités. Aux yeux des Inuits, quelles sont les questions les plus urgentes? Laissons le gouvernement fédéral de côté. Toute cette question, à mon avis, ne concerne que les Inuits. Nous avons passé un accord avec ces Autochtones pour faire certaines choses et nous ne les avons pas faites.

Comment peut-on dresser cette liste de priorités s'il y a différents paliers de gouvernement en cause, avec différents ministres? Qui va décider de ce qui est prioritaire? Est-ce que les Inuits ne peuvent dire ce qui est prioritaire à leurs yeux? Ce sont eux qui devraient dresser la liste, à mon avis.

Mme Johnson : En préparant mon intervention d'aujourd'hui, j'ai discuté avec l'un des entrepreneurs inuits qui m'a dit que les Inuits tiennent à avoir la possibilité de préciser les objectifs de l'ARTI et de dire ce qu'ils en attendent. Ils veulent que cela se fasse dans un processus de consultations publiques. Il faut que ce processus soit très large et inclusif. Je ne peux pas vous donner d'autres informations à ce sujet mais, si vous le voulez, je pourrais m'informer pour vous donner une réponse plus tard.

Le sénateur Campbell : On trouve parfois des organisations gouvernementales qui comprennent la nécessité d'agir avec les Inuits, qui comprennent leurs problèmes et leur culture, qui utilisent leur savoir, et cetera, mais il y en a aussi d'autres qui n'en ont aucune idée et qui ne savent rien de tout cela. Ce qui m'inquiète, c'est que cette situation existe depuis de nombreuses années et qu'il est grand temps d'y mettre fin.

Je n'arrive toujours pas à voir comment nous, en tant que comité, pourrions formuler une recommandation pour les Inuits eux-mêmes afin qu'ils en arrivent à dire ensemble : « Nous en avons assez. Voici nos problèmes, avec l'ordre de priorité ».

Je suis d'accord avec vous. Vous avez deux ans pour régler ça. Sinon, il y aura une pénalité à payer. Je ne sais pas ce qu'elle pourrait être, cependant. Est-ce comme ça que la situation va évoluer, d'après vous? Est-ce là une recommandation qui pourrait être utile?

Mme Johnson : Je pense que ce serait très utile. Il faudrait dire : asseyez-vous, identifiez vos priorités et fixez les délais. Si vous ne parvenez pas à une solution dans un délai raisonnable, voici quelles seront les conséquences.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé. Il y a un accord signé, n'est-ce pas?

Mme Johnson : Oui.

Le sénateur Peterson : On y trouve toutes les questions sur lesquelles les deux parties se sont entendues?

Mme Johnson : Oui.

Le sénateur Peterson : Depuis lors — il y a beaucoup d'années — il ne s'est rien passé. Qu'est-il arrivé ensuite? Ils sont rentrés chez eux avec l'accord et c'est tout? Quel est le processus?

Mme Johnson : Je crois que beaucoup de choses ont été faites, en particulier pendant les cinq premières années. Si vous lisez le premier rapport d'examen quinquennal, on y parle de choses qui ont été créées. Par exemple, le gouvernement du Nunavut a été créé et différentes politique ont été adoptées. La vérificatrice générale a dressé la liste des choses qui ont été faites. Toutefois, elle a aussi mentionné certains problèmes résultant de différences d'interprétation des objectifs.

L'un des gros problèmes concerne l'article 23, sur l'emploi inuit. Que signifie-t-il? Que doit faire chacune des parties? Où commencent et se terminent les responsabilités respectives?

De même, il y a de grosses différences au sujet de l'article 24. Beaucoup de choses ont été faites. Cet article est le plus nébuleux et je crois qu'il n'y a même pas d'entente sur ce que signifie sa mise en œuvre. Voilà pourquoi on n'a pas fait beaucoup de progrès.

Le sénateur Peterson : Il y a une clause d'arbitrage pour régler les différends mais elle n'a jamais été invoquée?

Mme Johnson : Elle n'a jamais été utilisée.

Le sénateur Peterson : Après tant d'années et tant de problèmes, que doit-on en conclure? Que cet accord ne marche pas. Pour quelle raison?

Mme Johnson : Le gouvernement n'a jamais accepté qu'un problème aille en arbitrage.

Le sénateur Peterson : Il n'a jamais accepté?

Mme Johnson : Pour aller en arbitrage, il faut l'accord des trois parties. NTI a proposé que certaines choses aillent en arbitrage mais le gouvernement du Canada ne voulait pas que ces choses-là soient réglées en arbitrage.

Le sénateur Peterson : Il s'oppose à tout, n'est-ce pas? Vous dites maintenant qu'ils veulent des consultations publiques. Je suppose que c'est déjà prévu dans l'accord? Ce n'est pas nouveau?

Mme Johnson : Non.

Le sénateur Peterson : Il y a donc cet accord prévoyant des consultations publiques. C'est bien ce que vous dites?

Mme Johnson : Ce qu'on nous dit, à mon avis, c'est que les Inuits n'avaient pas de pouvoir auparavant et qu'ils veulent maintenant prendre un peu de recul en disant : « Attendez, nous n'avons pas été assez impliqués dans cette situation et nous voulons qu'il y ait plus de consultations ». Je crois que c'est ce qui explique cette demande de consultations publiques. Je pense que c'est différent du problème d'arbitrage.

Je devrai corriger quelque chose. Je crois comprendre que le gouvernement envisage peut-être maintenant d'aller en arbitrage mais, au moment où nous avons rédigé notre rapport, il n'avait encore rien laissé aller en arbitrage.

Le sénateur Peterson : Nous allons presque devoir tout reprendre à zéro parce que rien ne se fait à leur satisfaction. Vous dites qu'ils perdent confiance dans le système, ce qui n'est pas étonnant après tant d'années.

Nous devrions peut-être recommander de reprendre tout à partir de zéro, et peut-être même sans participation d'AINC. Il faudrait recommencer avec des gens qui ont un pouvoir réel et qui peuvent vraiment décider.

Mme Johnson : Je répète qu'il ne s'agit pas d'un problème d'individus particuliers. Je pense que c'est systémique. Il faut envisager ça du point de vue structurel. Il n'y a pas une personne particulière qui puisse résoudre le problème à AINC. Il faut prendre du recul et se demander quelles structures il faudrait mettre en place pour faire en sorte que cet accord fonctionne.

Je devrais préciser aussi que la plupart des gens semblent penser que l'accord, en soi, est satisfaisant. Dans l'ensemble, nous n'avons entendu personne demander qu'on le jette aux orties et qu'on en négocie un autre. Beaucoup de gens nous ont dit qu'ils acceptent l'accord mais qu'ils tiennent à participer à sa mise en œuvre.

Le sénateur Peterson : D'après vous, qui aurait le pouvoir de faire ça? Vous devez comprendre que c'est une chose très difficile. Nous en avons déjà beaucoup discuté. Vous venez d'achever une étude et il y aura une autre étude quinquennale dans deux ans, puis une autre. Il va bien falloir que quelqu'un prenne le taureau par les cornes et décide de régler la question une fois pour toutes.

Vous parlez de problème structurel et systémique, mais est-ce bien là la difficulté? Nous allons devoir nous demander comment nous attaquer à ça ou non.

Mme Johnson : Je suis désolée mais je ne connais pas la solution. Ce que nous disons dans notre rapport, c'est qu'il faut être clair sur qui a le pouvoir de décision, de façon à ce que, quand on entreprend des discussions et qu'on essaie de résoudre les problèmes, l'on puisse traiter avec de vrais décideurs. Il ne devrait pas y avoir tous ces paliers différents où les décisions peuvent être renversées.

Le sénateur Peterson : Votre rôle est-il terminé, maintenant? Vous avez déposé votre rapport et c'est fini pour vous?

Mme Johnson : Vous le savez peut-être déjà mais nous venons de terminer le deuxième examen quinquennal, sauf en ce qui concerne l'article 23, ce qui doit aussi être fait. Nous avions cru comprendre que nous ferions aussi l'examen de l'article 23 mais on ne nous a pas encore donné le feu vert.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais examiner le processus en vous posant plusieurs questions. Où se trouve le siège du comité de mise en œuvre?

Mme Johnson : Le gouvernement fédéral et le gouvernement du Nunavut ont chacun un représentant, et NTI en a deux.

Le sénateur Dallaire : Où se trouve le comité?

Mme Johnson : Nulle part, c'est virtuel.

Le sénateur Dallaire : Il n'a pas de locaux, pas de bureaux?

Mme Johnson : Non, il n'a pas de bureaux.

Le sénateur Dallaire : Qui détient l'autorité suprême au comité?

Mme Johnson : Il n'y a pas d'autorité suprême.

Le sénateur Dallaire : C'est un monstre à trois têtes?

Mme Johnson : Oui. Toutefois, NTI détient deux des quatre voix.

Le sénateur Dallaire : À quel niveau se trouve le comité, si on le compare à une structure gouvernementale? Quel est son niveau de pouvoir?

Mme Johnson : Le représentant fédéral est le directeur général.

Le sénateur Dallaire : Votre étude est la deuxième concernant la mise en œuvre. Durant vos recherches, avez-vous vu un budget à ce sujet?

Mme Johnson : Nous avons posé la question pendant notre étude mais n'avons pas reçu de réponse.

Le sénateur Dallaire : Vous ne savez donc pas si chacune de ces initiatives de mise en œuvre, au sujet desquelles il semble y avoir des différences d'opinion, a reçu un budget ou s'il y avait un budget adéquat ou non? Vous n'avez rien vu à ce sujet?

Mme Johnson : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : Dans le même ordre d'idées, quand le représentant Inuit dit que les Inuits n'ont pas pu participer pleinement et que, selon leur analyse de ce que dit le plan de mise en œuvre, selon leur interprétation linguistique et culturelle, qu'il ne correspond pas à ce qu'ils croyaient avoir signé, quelle valeur cela a-t-il par rapport à l'interprétation du gouvernement selon le dictionnaire Webster?

Mme Johnson : Je pense que cette question n'a pas encore été examinée assez attentivement. Je pense qu'on commence seulement à réaliser que tout le monde a tenu des consultations mais que ce n'était peut-être pas la bonne sorte de consultations. On commence à réaliser qu'on emploie le même mot pour des réalités différentes. Voilà pourquoi il importe de clarifier cette question.

Le sénateur Dallaire : Au gouvernement, quand on produit un document, on indique si c'est la version française ou la version anglaise qui fait foi, n'est-ce pas?

Mme Johnson : Exact.

Le sénateur Dallaire : Dans ces projets, propositions ou programmes de mise en œuvre, quelle est la version dominante? La version du gouvernement? Est-ce le gouvernement qui tient le gros bout du bâton? Est-ce la version inuite? Quelle est la version qui fait autorité selon la loi?

Mme Johnson : Je ne saurais vous donner de réponse aujourd'hui.

Le sénateur Dallaire : Le DG ne vous a pas dit : « Ce qu'ils disent m'importe peu, voici le facteur déterminant »?

Mme Johnson : Non, et je n'ai jamais entendu dire non plus qu'il y avait un problème parce que quelque chose avait été interprété différemment dans la version en inuktitut et la version en anglais.

Le sénateur Dallaire : Ceci m'amène à la question de l'interprétation. Si vous pensez qu'il y a des différences d'interprétation entre les deux parties, elles ne proviennent pas nécessairement d'un problème linguistique. Diriez-vous alors qu'il s'agit d'un problème culturel?

Mme Johnson : Non, je pense que ça pourrait être un problème linguistique. Par exemple, si je prends l'article 21, je pense qu'il dit que les contrats du gouvernement doivent être remplis en respectant les firmes inuites... J'oublie le texte exact. Qu'est-ce que ça veut dire? Qu'ils doivent être remplis en inuktitut? Qu'ils ne doivent être accordés qu'à des firmes inuites? Ou qu'ils doivent être annoncés dans Nunatsiaq News?

Le sénateur Dallaire : Autrement dit, il n'y a pas dans l'accord de lexique indiquant ce que veut dire le mot « respect »?

Mme Johnson : C'est bien ça.

Le sénateur Dallaire : Ça ne faisait pas partie de la documentation de mise en œuvre?

Mme Johnson : Exactement.

Le sénateur Dallaire : La pleine participation des Inuits au programme exige peut-être des compétences différentes. Il y a toute une multitude de dispositions de mise en œuvre.

Dans le plan de mise en œuvre de chacun de ces programmes, y avait-il une phase de développement ou une composante pour les Inuits? Y avait-il une phase de développement pour permettre aux gens du gouvernement de comprendre dans quoi ils s'embarquaient, ou étaient-ils juste à Ottawa en visite, ou quelque chose comme ça?

Il y a d'un côté l'acquisition d'un ensemble de compétences adaptées à leur culture pour relever ce défi et, de l'autre côté, la question de comprendre exactement ce qu'ils étaient censés surveiller ou à quoi ils étaient censés participer. Y avait-il un plan de formation définitif, un cours ou des dates-butoirs en vertu desquels ces objectifs devaient être atteints ou confiés à leur responsabilité?

Mme Johnson : Non. Il y a eu un plan de formation initiale sur la mise en œuvre mais il n'a pas donné le résultat dont vous parlez. Vous évoquez quelque chose qui touche au cœur même de la problématique de l'article 21. La question de savoir ce qui était nécessaire en matière de formation, de développement et de transition est très controversée.

Le sénateur Dallaire : Avez-vous l'impression qu'il y a dans cet accord une telle multitude de choses différentes qu'il s'agit avant tout d'un problème de finasseries administratives? Le problème est réglé mais il y a encore des vérifications parce qu'on a d'autres choses à faire. Pensez-vous qu'on a confié le dossier à un autre palier bureaucratique pendant qu'on est parti s'occuper d'autre chose?

Mme Johnson : Non. Tous ceux avec qui j'ai traité s'intéressent sincèrement à la question. Ils sont mécontents de l'absence de progrès et voudraient que les choses avancent. Toutefois, j'ai le sentiment que les gens pensent qu'il y a énormément de domaines dans lesquels ils n'ont pas assez de responsabilités et qu'ils ont les mains liées. Ce qu'ils peuvent faire est limité et ils ne peuvent donc pas produire le changement espéré.

Le sénateur Dallaire : Voyons ce qui se passe du côté gouvernemental qui, pourrait-on penser, devrait être le mieux organisé. Du côté gouvernemental, avez-vous le sentiment d'un projet omnibus à ce sujet, un personnel de projet réservé, ayant la responsabilité d'assurer les contacts avec les autres ministères? Avez-vous le sentiment qu'il y a un ministère chef de file qui tient les autres ministères redevables, qu'il y a quelqu'un qui surveille réellement l'utilisation des fonds et qui demande de nouveaux fonds pour faire avancer cette mise en œuvre? Avez-vous le sentiment qu'il y a vraiment quelqu'un qui dirige l'opération, avec un pouvoir réel?

Mme Johnson : Non, et je pense que c'est l'une des principales raisons pour lesquelles ça n'avance pas.

Le sénateur Dallaire : Que vous a dit le DG quand vous lui avez parlé?

Mme Johnson : Qu'il y a certaines choses qui ne relèvent pas de son contrôle. Il a besoin du Conseil du Trésor pour faire quelque chose — c'est lui qui a le dernier mot, ou TPSGC, ou un autre ministère — et n'a pas la possibilité d'imposer sa décision ou la manière dont les choses devraient se faire.

Le sénateur Dallaire : Le document a été signé. Porte-t-il la signature de 26 ministères différents? A-t-il été signé par 26 DG, plus les Inuits comme partenaires égaux, ou a-t-il été signé par le gouvernement du Canada qui aurait confié à un ministère la responsabilité d'être le chef de file de ce dossier? Avez-vous vu ça dans la documentation?

Mme Johnson : Je devrais vérifier. Je sais que les choses n'avancent pas, sur le plan fonctionnel. Je sais que, sur le plan fonctionnel, AINC ne peut pas obliger les autres ministères à agir.

Le sénateur Dallaire : Il y a ici un DG, qui est frustré et très positif, j'en suis sûr, un fonctionnaire ayant le sens des responsabilités conformément à l'éthique de la fonction publique, et cetera. Au cours des 10 dernières années, selon les deux examens qui ont été effectués, quelles initiatives ce DG ou ses prédécesseurs ont-ils prises pour changer ce niveau d'autorité afin d'obtenir réellement les outils nécessaires pour régler cette question? Quels nouveaux processus ont-ils inventé, ou quelle nouvelle manière de gérer cet accord ont-ils proposée et qui aurait été rejetée à un autre niveau? Avez-vous vu ça dans les dossiers?

Mme Johnson : Non, je n'ai rien vu de tel.

La présidente suppléante : En 2003, la vérificatrice générale a conclu que le MAINC « s'attarde à exécuter à la lettre les plans de mise en œuvre des ententes, mais il fait fi de l'esprit des ententes. Les fonctionnaires croient peut-être qu'ils ont honoré leurs obligations, mais en réalité ils n'ont pas essayé de respecter l'intention véritable des ententes sur les revendications territoriales ».

Cette attitude, selon la Land Claims Agreement Coalition, a amené certains groupes autochtones à conclure, en substance, qu'il y a eu des efforts délibérés et continus de la part du gouvernement fédéral pour minimiser, entraver, voire éteindre les droits et les bénéfices que les parties autochtones s'attendaient à voir découler de leurs traités.

Dans votre examen de la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, avez-vous perçu une tendance similaire des représentants du gouvernement à interpréter les choses de manière étroite et technique au lieu d'adopter une interprétation plus large des dispositions de l'accord? Est-ce là le vrai problème systémique?

Mme Johnson : Comme je l'ai dit au sénateur Dallaire, le gouvernement fédéral n'est pas une seule personne ou un seul organisme et je ne peux donc pas vous dire que le gouvernement fédéral a fait ceci ou cela. Y a-t-il certains ministères qui se comportent comme vous venez de le dire? Oui, je le pense. Est-ce que tout le monde se comporte de cette manière? Je dirais que non. Par exemple, dans tous les contacts que j'ai eus avec AINC, personne ne m'a jamais dit : « Où dit-on dans l'accord que je dois faire telle ou telle chose? » J'ai plus eu le sentiment que les gens se sentent frustrés de ne pas pouvoir contrôler et gérer le changement.

À mon avis, la vérificatrice générale a parfaitement atteint la cible dans le sens où il y a beaucoup de gens au gouvernement qui comprennent sincèrement la position qu'ils doivent adopter mais qui ont les mains liées quant à ce qu'ils peuvent réellement faire, ou qui le pensent en tout cas.

La présidente suppléante : Nous essayons de leur délier les mains et de trouver les points de friction afin que nos recommandations puissent indiquer avec pertinence comment nous pourrions favoriser l'élimination totale de ces choses.

Mme Anderson : Je suis sûre que je ne suis pas la première à vous dire que ces questions sont très compliquées et exigent beaucoup d'efforts. Comme l'a dit ma collègue, les gens essayent sincèrement d'agir mais il ne s'agit pas de dire simplement : « Voici le plan ». Comme chacun sait, quand on passe un accord, chaque partie le fait dans un certain état d'esprit et, une fois qu'on commence à le mettre en application, on constate que les parties avaient compris certaines choses différemment, et c'est la réalité.

Cela nous ramène à ce que disait Mme Johnson sur la nécessité de s'assurer qu'on met en place les bons processus pour bâtir la confiance afin de pouvoir régler les questions difficiles qui se posent quand on donne son accord pour quelque chose qui se réalise différemment de ce qu'on avait prévu et qu'on ne sait pas comment s'en sortir.

Le sénateur Meighen : Où se trouve la tribune permettant de dialoguer? Est-ce une tribune qu'on peut imaginer avoir été conçue par des gens se trouvant à Ottawa? « Si ça ne vous convient pas, remplissez ce formulaire en triple exemplaire et envoyez-le à telle adresse ». Existe-t-il un cadre pour créer un lieu de dialogue là où le problème existe? J'ai l'impression que je ne m'exprime pas très clairement.

Mme Johnson : C'est très clair. Hélas, je n'ai pas de réponse à vous donner. C'est le problème qui se pose à tout le monde. Je ne sais pas. Il me semble qu'il y a plusieurs manières d'aborder cette situation. On peut dire : « Peut-il y avoir une structure suprême qui sera le mécanisme déterminant la manière de faire? » On peut imposer un processus de cette manière mais on bute alors sur le problème soulevé par Mme Anderson.

Par contre, on peut dire aussi : « Prenons un ou deux des gros problèmes et essayons de voir si nous pouvons avancer sur ceux-là seulement pour trouver la bonne solution ». Je ne sais pas. C'est pour cette raison que nous parlons dans notre étude du processus de règlement des différends en disant qu'il faudrait peut-être essayer cette méthode.

Certains ministères ont très bien fait. Parcs Canada a très bien fait. Comment cela se fait-il? Il vaudrait peut-être la peine d'examiner comment il a fait et de tirer les leçons de ses succès.

Le sénateur Meighen : Quelle est la réponse?

Mme Johnson : Il faudrait creuser plus profondément. Nous n'avons pas pu effectuer ce genre d'analyse en profondeur pour essayer de comprendre pourquoi ce ministère a adopté une démarche différente.

Le sénateur Meighen : Je ne sais pas quel est le bon qualificatif mais disons que nous, les gens d'Ottawa, les bureaucrates ou les fonctionnaires, avons un certain mode de pensée qui régit la manière dont nous essayons de régler les différences d'opinion ou les malentendus. Il est clair que cela ne concorde pas avec les sentiments des Inuits.

Je me demande si nous n'avons pas besoin d'une sorte d'intermédiaire à temps plein, sur place, pour faciliter le dialogue sur place, et pas en triple exemplaire dans la salle du courrier à Ottawa.

Mme Johnson : Je crois que le Comité de mise en œuvre du Nunavut devrait avoir un facilitateur pour s'assurer que des plans d'action sont dressés, que des réunions sont tenues, que des responsabilités sont attribuées et que les choses sont documentées. Il n'y a même pas de procès-verbaux des réunions. Vous avez des gens qui se réunissent sans qu'on tienne de procès-verbal. Ce n'est pas normal.

Le sénateur Dallaire : Ma question concerne le fait qu'il n'y a pas de siège du comité, pas de bureaux, pas de secrétariat et, comme vous venez juste de le dire, même pas de procès-verbaux des réunions. C'est bien ça?

Mme Johnson : Pour la plupart des réunions.

Le sénateur Dallaire : Le comité n'a même pas de secrétariat permanent?

Mme Johnson : Non, il n'en a pas. Il y a une présidence tournante pour les réunions.

Le sénateur Dallaire : Ce n'est pas nécessairement mauvais mais il pourrait quand même y avoir un secrétariat permanent. Avez-vous eu l'impression, du côté du gouvernement, qu'on n'a tout simplement pas le pouvoir requis pour proposer des solutions novatrices à ces problèmes complexes? Vous a-t-on dit : « Nous n'avons tout simplement pas les ressources. Nous n'avons pas assez de gens pour faire le nécessaire et régler le problème correctement »? Avez- vous eu ce genre de réaction?

Mme Johnson : Le problème est que les gens n'ont pas le pouvoir d'obliger les autres ministères à s'entendre pour apporter des changements, pour faire ce qu'il faut. Ils peuvent éduquer et informer mais ils ne peuvent pas imposer de conséquences à un ministère qui ne réagit pas en temps opportun ou d'une manière qu'ils jugent inadéquate.

Le sénateur Dallaire : Pour Parcs Canada, ce n'était pas trop complexe car il s'agissait d'arpentage, de cartographie, et cetera. Au MDN, on peut appliquer beaucoup de solutions car il s'agit souvent de choses simplement techniques. Par contre, quand il s'agit de développement humain, de changements sociaux, et cetera, c'est beaucoup plus complexe et c'est interministériel. Comme c'est complexe, avez-vous le sentiment que c'est simplement qu'ils ne pensent pas pouvoir prendre les initiatives nécessaires pour trouver des solutions ou que c'est toujours cette abdication reliée au fait qu'ils n'ont pas de pouvoir?

Mme Johnson : Je ne saurais répondre à cette question. Je ne peux pas me mettre à leur place et deviner leurs motivations. Je peux simplement dire ce que je constate.

Le sénateur Peterson : Je pense que cet accord a été signé par le gouvernement du Canada en tant que nation, pas par un ministère quelconque. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation? Il a été signé par le gouvernement du Canada. Autrement dit, ce n'est pas AINC ou Parcs Canada qui a la responsabilité ultime de sa mise en œuvre mais le gouvernement du Canada lui-même.

Mme Johnson : Vous avez raison.

Le sénateur Peterson : Pourrait-on penser qu'on a signé l'accord pour mettre le problème de côté, pour le faire disparaître, et qu'on regrette peut-être aujourd'hui de l'avoir signé?

Mme Johnson : Ce n'est pas à moi de le dire mais je n'ai constaté aucune résignation ou apathie à l'égard de cette situation. Les gens sont très sincèrement troublés — en tout cas ceux à qui j'ai parlé — par l'absence de progrès.

Le sénateur Peterson : Ce sentiment que le dossier n'a pas été traité correctement est-il récent? Est-il apparu seulement pendant l'étude que vous venez de faire, l'an passé?

Mme Johnson : On disait déjà dans la première étude quinquennale que certains progrès auxquels on aurait pu s'attendre n'avaient pas été réalisés. Il y a déjà longtemps qu'on sait que ça ne marche pas comme il faut.

Le sénateur Peterson : Et pourtant personne ne fait rien. C'est ça qui est triste. On lit continuellement des rapports indiquant que tout le monde est profondément attristé par cette situation, qu'il est urgent de faire quelque chose, mais rien n'est jamais fait.

Mme Johnson : Voilà pourquoi nous disons que ce n'est pas un problème attribuable aux individus. C'est un problème de nature systémique, et vous avez tous identifié l'élément central : il faudrait mettre sur pied une structure ou un organisme ayant le pouvoir d'imposer le changement.

Le sénateur Dyck : Avez-vous une idée du genre d'organisme qui pourrait jouer ce rôle? Dans un monde idéal, quelle serait la structure ou l'organisme qui pourrait faire avancer ces dossiers de revendications territoriales?

Mme Johnson : C'est une question importante et je ne pense pas pouvoir y répondre correctement sans y réfléchir attentivement. Si vous me le permettez, je prendrai le temps d'y réfléchir et je vous communiquerai ma réponse plus tard.

Le sénateur Dyck : Nous vous en serions très reconnaissants.

Pour revenir aux consultations, je crois comprendre que les Inuits ont signé l'accord en pensant qu'ils étaient des partenaires égaux. Si tel était le cas, on pourrait s'attendre à ce qu'ils soient consultés à chaque étape de l'élaboration des différents programmes, et à ce qu'ils soient des partenaires à part entière à ce chapitre.

Dans votre exposé, vous n'avez cessé de répéter que les Inuits n'ont pas été assez consultés. En disant cela, pensiez- vous aux gens de la communauté ou à des personnes particulières aux différents paliers de gouvernement? De qui parliez-vous?

Mme Johnson : Des gens dans les collectivités. C'est pendant nos voyages dans les collectivités que nous avons souvent entendu ce commentaire.

Le sénateur Dyck : Il y a probablement là un facteur culturel car, dans maintes cultures autochtones, les membres de la collectivité participent activement à toutes les décisions. En contrepartie, les agents du gouvernement fédéral pensaient qu'il y avait eu trop de consultations.

Pensez-vous que cela s'explique par le fait qu'ils sont habitués à un autre style de gouvernement, dans lequel on prend les décisions pour les gens au lieu de les consulter?

Mme Johnson : Oui. C'est une question difficile à bien saisir. Selon certaines théories que nous avons entendues, les Inuits sont habitués à ce que chacun ait son mot à dire, ce qui signifie qu'on n'a pas l'habitude de s'exprimer au nom des autres, rôle avec lequel on est mal à l'aise. C'est peut-être ce qui explique que les fonctionnaires fédéraux ont pu avoir l'impression que les Inuits avaient été trop consultés. C'est sans doute ce qui explique ce paradoxe apparent.

Le sénateur Dallaire : Qui vous a rémunérée pour cette étude?

Mme Johnson : AINC.

Le sénateur Dallaire : AINC. C'est le ministère qui vous a attribué le contrat mais les résultats sont communiqués aux trois?

Mme Johnson : C'est bien ça.

Le sénateur Dallaire : Il n'y a pas de secrétariat pour s'occuper de ça et tout le monde recevra un exemplaire?

Mme Johnson : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : Le fait qu'on ait commandé cette étude est en soi un geste positif. Même s'il n'y a rien qu'ils puissent apparemment mettre en œuvre, ils recevront le rapport et entendront les recommandations, mais il n'y aura pas moyen de les mettre en application et on pourrait donc être tenté de penser, après le premier examen, qu'ils diront : « Pourquoi avoir fait ça une deuxième fois, sans parler d'une troisième? »

Dans votre étude, vous deviez vous pencher sur les questions de financement, les budgets, et cetera. Avez-vous constaté que les trois acteurs emploient une méthodologie particulière à ce chapitre? Y a-t-il un ensemble de normes qu'ils appliquent pour déterminer le niveau de financement des différents programmes, par exemple, ou est-ce que chaque ministère aborde ces questions différemment?

Mme Johnson : On ne nous a pas donné d'informations sur la manière dont cela se fait. Je ne peux vous répondre. Je sais qu'il y a eu des discussions sur le financement des IPG — les institutions gouvernementales — en novembre dernier.

Je ne sais pas quel processus on a employé pour parvenir à une entente mais je sais que Berger a animé cette discussion.

Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Avez-vous terminé vos questions?

Le sénateur Dallaire : Oui, veuillez m'excuser. Je suis simplement abasourdi de constater qu'il y a des ministères qui, pour surveiller des dépenses de cinq sous, commandent 50 dollars de rapports, ce qui donne des choses comme ça. À l'ACDI, c'est encore mieux.

La présidente suppléante : Je tiens à remercier Joanne Johnson et Roxanne L. Anderson d'être venues partager avec nous les conclusions de leur rapport, ce qui nous sera très utile. Je remercie aussi les sénateurs.

La séance est levée.


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