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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 35 afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite le bonjour à mes collègues sénateurs et à nos invités. Nous sommes prêts à commencer.

Ce matin, nous allons entendre des représentants du Bureau du vérificateur général du Canada qui vont nous parler du chapitre 4 du rapport que leur bureau a publié un peu plus tôt ce mois-ci. Je vais maintenant présenter les sénateurs qui sont avec nous ce matin. À ma droite, le sénateur Peterson, de la Saskatchewan et près de lui le sénateur Gustafson, également de la Saskatchewan. À ma gauche, le sénateur Dyck, elle aussi de la Saskatchewan. Et moi, qui ai le privilège et l'honneur d'être votre président, je viens de la Colombie-Britannique. L'Ouest étend son emprise.

Honorables sénateurs, souhaitons ensemble la bienvenue aux représentants du Bureau du vérificateur général du Canada, M. Ronald Campbell, vérificateur général adjoint, et M. André Côté, directeur. Messieurs, nous comptons sur vous pour nous renseigner sur les défis qui se présentent dans le secteur des services à l'enfance et à la famille des Premières nations. Une fois que vous aurez présenté vos observations préliminaires, les sénateurs ici présents et d'autres qui se joindront à nous d'ici là, vous poseront des questions. J'espère que vous êtes prêts à y répondre. Je n'ai aucun doute à ce sujet, puisque vous avez déjà eu l'occasion de venir témoigner par le passé et que vous vous êtes très bien tirés d'affaires.

Monsieur Campbell, je vais maintenant vous laisser la parole pour que vous puissiez présenter vos observations préliminaires, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Monsieur, la parole est à vous.

Ronald Campbell, vérificateur général adjoint, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, nous vous remercions de nous donner l'occasion de discuter du chapitre de notre rapport de mai 2008 qui porte sur les services à l'enfance et à la famille des Premières nations. Je suis accompagné de M. André Côté, directeur de cette étude.

[Français]

Dans le cadre de cette vérification, nous avons examiné la façon dont Affaires indiennes et du Nord Canada gère son programme des services à l'enfance et à la famille des Premières nations. Notre collègue, le vérificateur général de la Colombie-Britannique, a mené une vérification simultanée qui portait sur les services d'aide à l'enfance pour les Autochtones en Colombie-Britannique.

Monsieur le président, au Canada, certains des enfants les plus vulnérables sont des enfants des Premières nations. À la fin de mars 2007, environ 8 300 enfants résidant dans des réserves étaient pris en charge, ce qui correspond à plus de 5 p. 100 de tous les enfants qui vivent dans des réserves. Ce pourcentage est environ huit fois plus élevé que le pourcentage des enfants vivant à l'extérieur des réserves qui sont pris en charge.

En 2007, Affaires indiennes et du Nord Canada a dépensé 180 millions de dollars pour couvrir les coûts de fonctionnement et d'administration des services d'aide aux enfants et aux familles qui vivent habituellement dans des réserves.

[Traduction]

Avec ce financement, Affaires indiennes et du Nord Canada a soutenu 108 organismes des Premières nations qui fournissent un éventail de services d'aide à l'enfance à environ 442 Premières nations. Le ministère a également utilisé ces fonds pour payer les services fournis dans les réserves par les provinces. De plus, le ministère a dépensé 270 millions de dollars pour les coûts liés à la prise en charge d'enfants par les organismes des Premières nations et les provinces.

En 1990, le gouvernement fédéral a adopté une politique en vertu de laquelle les services fournis aux enfants des Premières nations vivant dans des réserves doivent respecter les normes provinciales, être raisonnablement comparables aux services offerts aux enfants à l'extérieur des réserves et être adaptés aux particularités culturelles. Nous avons constaté que le ministère n'a pas défini ce que signifient « raisonnablement comparables » et « adaptés aux particularités culturelles ». De plus, le ministère ne tient pas suffisamment compte des normes provinciales et d'autres exigences de la politique au moment d'établir les niveaux de financement pour les organismes des Premières nations qui assurent la prestation des services d'aide à l'enfance dans les réserves.

Monsieur le président, la formule de financement du ministère date de 1988. Elle n'a pas été substantiellement modifiée pour tenir compte des différences dans la législation des provinces et de l'évolution des services d'aide à l'enfance. Par ailleurs, la formule de financement est fondée sur l'hypothèse que tous les organismes des Premières nations prennent en charge le même pourcentage d'enfants — soit 6 p. 100 — et que les enfants ont tous des besoins semblables. Cette hypothèse donne lieu à des iniquités dans le financement des organismes puisqu'en réalité le pourcentage d'enfants pris en charge ainsi que les besoins de ces enfants varient grandement. L'utilisation d'une formule de financement dépassée a pour résultat que certains enfants et certaines familles ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin.

Monsieur le président, l'an dernier, grâce à une collaboration entre le gouvernement fédéral, la province et les Premières nations, la formule de financement a été modifiée en Alberta. Cette modification a permis de lier le financement fourni aux organismes des Premières nations en Alberta à la législation provinciale. Quand la formule aura été complètement mise en œuvre en 2010, le financement accordé aux organismes pour le fonctionnement et les services de prévention aura augmenté de 74 p. 100. Bien que ce changement soit encourageant, nous avons constaté par contre que la nouvelle formule se fonde toujours sur l'hypothèse qu'un pourcentage fixe d'enfants et de familles des Premières nations ont besoin de services d'aide à l'enfance. Les organismes qui ont un pourcentage d'enfants pris en charge supérieur à 6 p. 100 continueront d'éprouver des difficultés à fournir des services de protection tout en travaillant à établir des services d'aide aux familles.

[Français]

Nous estimons que la formule de financement ne doit pas simplement être un moyen de répartir l'enveloppe budgétaire du programme; elle devrait également tenir compte des besoins variables des différentes collectivités des Premières nations.

Le financement n'est pas le seul problème qui se pose. À notre avis, pour assurer la protection et le bien-être des enfants, Affaires indiennes et du Nord Canada, les provinces et les organismes des Premières nations doivent bien comprendre quels sont leurs responsabilités respectives. Il est donc essentiel que des accords à jour soient en place. Nous avons constaté qu'aux Affaires indiennes et du Nord Canada n'avait signé aucun accord sur les services d'aide à l'enfance avec trois des cinq provinces visées dans le cadre de cette vérification.

[Traduction]

Enfin, nous avons observé qu'Affaires indiennes et du Nord Canada a peu de données sur les retombées de son financement en ce qui concerne la sécurité, la protection et le bien-être des enfants vivant dans les réserves. Le ministère ne sait pas si le programme a des effets positifs dans la vie des enfants ni si ces effets sont importants.

Compte tenu du fort pourcentage d'enfants des Premières nations qui sont pris en charge, il faut que tous les intervenants du système d'aide à l'enfance, y compris les Premières nations et les provinces, trouvent de meilleures façons de répondre aux besoins de ces enfants. Affaires indiennes et du Nord Canada a indiqué qu'il allait demander l'autorisation d'étendre l'approche adoptée en Alberta aux autres provinces d'ici 2012.

Monsieur le président, les membres du comité voudront peut-être inviter les représentants d'Affaires indiennes et du Nord Canada afin qu'ils fournissent des renseignements sur le plan de travail élaboré par le ministère pour donner suite à nos recommandations. Le comité pourrait également envisager d'inviter des représentants des organismes des Premières nations pour qu'ils donnent davantage d'information sur les questions d'aide à l'enfance dans les réserves.

Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture. Mon collègue et moi serions heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Campbell, pour cet excellent exposé, remarquable pour sa précision et sa concision. Le sénateur Sibbeston, notre vice-président, et le sénateur Dallaire, du Québec, se sont joints à nous.

Le sénateur Dallaire : Veuillez excuser mon retard.

Le président : Ma première question s'adresse à vous, monsieur Campbell, puisque vous êtes vérificateur général adjoint. Depuis 25 ans que je suis ici, plus les choses changent, plus c'est pareil, dans le cas des Premières nations. Que l'on pense à l'approvisionnement en eau, au développement économique, à l'éducation ou au bien-être et aux services à l'enfance, domaine sur lequel nos nous penchons actuellement, ne pensez-vous pas qu'il est temps de réexaminer tout le programme dans le but de concevoir quelque chose qui soit fonctionnel?

De nombreux et excellents fonctionnaires travaillent dans ce ministère mais celui-ci, à cause de sa conception ou de sa composition, ne parvient pas à atteindre dans de nombreux domaines les objectifs de service à la population qu'on lui a confiés. Plusieurs d'entre nous ont déploré cet état de choses. Ce n'est pas une question partisane. Il s'agit tout simplement d'offrir aux Premières nations les mêmes services qu'aux autres segments de la population canadienne.

Je ne sais pas si votre ministère a déjà fait une recommandation. Il va sans dire que le vérificateur général et le Bureau du vérificateur général sont très respectés au pays. La CRPA et d'autres organismes ont recommandé des changements mais, comme je l'ai dit un peu plus tôt, plus ça change, plus c'est pareil.

Je ne sais pas si vous avez un point de vue ou si on peut vous demander quel est votre point de vue sur ce qu'il faudrait faire et quelle approche on devrait, selon vous, adopter. Beaucoup d'entre nous réclamons des changements, mais nous ne voyons pas comment un seul ministère serait en mesure d'accomplir tant avec si peu de moyens. Malgré la bonne volonté et le travail de ses fonctionnaires, AINC est comme un avion qui ne peut pas décoller.

M. Campbell : Bien sûr, j'ai un point de vue là-dessus. Je crois que les membres du comité reconnaîtront que tout repose essentiellement sur une question de politique, domaine sur lequel le vérificateur général ne se prononce pas. Cependant, votre question contient plusieurs éléments qui méritent quelques commentaires.

Tout d'abord, je reconnais avec vous qu'il y a de nombreux fonctionnaires au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui travaillent avec sérieux et s'efforcent de prendre les mesures qui s'imposent. Vous avez mentionné quelques-unes des vérifications que nous avons consacrées par le passé à l'éducation et à l'eau, ainsi que la vérification actuelle. J'aimerais rappeler aux membres du comité un rapport de suivi que nous avons présenté en 2006, dans lequel nous revenions sur plusieurs vérifications que nous avions effectuées au sujet de programmes concernant les peuples autochtones. Certains de ces programmes relevaient de Santé Canada, mais la plupart étaient gérés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord.

Nous avions effectué un suivi afin de faire l'inventaire des lacunes et des progrès qui avaient été accomplis. Nous avons ensuite poussé plus loin notre démarche et tenté de cerner ce que nous avons appelé les facteurs décisifs nuisant à la capacité du gouvernement à faire de réels progrès dans ce domaine. Il faut reconnaître que bon nombre des programmes dont AINC est responsable offrent en fait des services semblables à ceux que fournissent les provinces, comme c'est le cas avec l'éducation, ou des services de type municipal tels que l'approvisionnement en eau et, dans le cas qui nous préoccupe, les services à l'enfance et à la famille. Contrairement aux autres gouvernements, AINC ne peut s'appuyer sur un fondement législatif pour offrir ces programmes.

Dans le cas de l'eau, nous nous sommes demandé comment cela se passe ailleurs. Les provinces adoptent des lois et des normes qu'elles transmettent ensuite aux municipalités qui sont chargées de les appliquer. Rien de tel n'existait ou n'était offert dans les réserves. Bien souvent, je pense que nous avons noté la même lacune dans le cas des services à l'enfance et à la famille.

Alors que les programmes ont progressé et évolué dans les provinces, AINC a fait face à deux défis : le premier a consisté à faire du rattrapage afin de se mettre au niveau des normes appliquées dans les provinces; le deuxième est de devoir se contenter de politiques ministérielles plutôt que de s'appuyer sur un fondement législatif.

La question que vous avez soulevée est très valable. Notre bureau ne s'est pas directement penché sur cette question, puisque nous ne présentons pas de commentaires sur les aspects de politique. Cependant, il y a un fil commun qui court dans plusieurs de vos commentaires et dans plusieurs des vérifications précédentes que nous avons effectuées.

Le sénateur Peterson : Ma question va peut-être dans le même sens. D'après votre rapport, le conflit de compétences semble poser ici un problème grave. Des enfants souffrent et vous affirmez que vous n'avez reçu aucune garantie que les services offerts se conforment aux normes provinciales. Peut-on remédier à cette situation? Les provinces ont l'air de dire que c'est la responsabilité du gouvernement fédéral; le gouvernement fédéral, quant à lui, reconnaît qu'il doit faire sa part, mais que les provinces doivent elles aussi faire la leur. Comment progresser dans une telle situation? Avez-vous des suggestions à nous faire?

M. Campbell : Notre bureau ne fait pas directement de commentaire sur le financement, mais dans ce cas, nous l'avons fait. La formule de financement joue un rôle clé dans cette situation. Les Affaires indiennes ont établi un objectif de financement qui est conforme aux normes provinciales. Une partie de la solution au problème que vous avez posé est liée au fait que les Affaires indiennes doivent connaître les normes provinciales qui s'appliquent et connaître les composantes qui intéressent le ministère, afin d'être en mesure de leur consacrer un financement approprié. C'est un élément indispensable et un pas énorme vers le financement des services que l'on a l'intention de financer. Lorsque la formule de financement est étrangère à l'objectif que l'on tente d'atteindre, il n'est pas étonnant qu'il y ait des lacunes dans les services que l'on peut se permettre d'offrir.

Le sénateur Sibbeston : Là où j'habite, dans les Territoires du Nord-Ouest, c'est le gouvernement territorial qui s'occupe des services d'aide à l'enfance. Souvent, ce sont des organismes dirigés par un conseil d'administration autochtone qui gère toutes les questions relatives au bien-être social. Dans ma région, il s'agit de la Dehcho Health and Social Services Authority. Il semble que l'on a fait de réels progrès. Les Autochtones sont très engagés et les enfants ne sont plus envoyés dans le Sud. Les services sociaux s'efforcent dans la mesure du possible de placer les enfants autochtones dans des familles autochtones. Dans ce domaine, ces choses-là sont gérées raisonnablement bien, tout au moins dans ma région, le Nord. L'étude se rapporte plutôt aux réserves des Premières nations dans le Sud où il existe une certaine disparité entre les services que reçoivent les Autochtones et ceux dont bénéficient les autres membres de la société.

C'est une question de financement. Une des questions que vous soulevez concerne le besoin de financement. Il semble que rien n'a changé depuis 1988. La formule de financement qui est en place actuellement date de cette époque. Voilà un aspect à améliorer.

Cela étant dit, il faut s'interroger sur la situation générale de la société autochtone. On peut se demander pourquoi tant d'enfants se trouvent avoir besoin de soins prodigués par des personnes autres que leurs parents. Cela en dit long sur la société autochtone et sur la nécessité d'améliorer son niveau de vie et le reste.

Pouvez-vous nous donner vos commentaires?

M. Campbell : Comme nous l'avons mentionné dans notre rapport de vérification, il ne suffira pas de régler ce programme pour trouver un remède à tous les maux dont souffrent les enfants des Premières nations. De nombreuses études ont montré que la pauvreté, le chômage, les carences du logement, et cetera, ont un impact sur les enfants et leurs besoins.

Je partage le point de vue présenté par le sénateur Sibbeston. Notre vérification n'a pas porté sur les territoires. Elle s'est limitée à cinq provinces situées au sud du soixantième parallèle.

Le sénateur Gustafson : Au troisième paragraphe de votre exposé, vous avez dit que 8 300 enfants résidant dans des réserves étaient pris en charge. Est-ce là le nombre total d'enfants visés par les activités d'AINC?

M. Campbell : M. Côté est mieux placé que moi pour répondre à cette question.

André Côté, directeur, Bureau du vérificateur général du Canada : Oui, c'est le nombre d'enfants dont AINC finance les soins parce qu'ils vivent à l'extérieur du foyer familial.

Le sénateur Gustafson : Connaissez-vous le nombre total d'enfants?

M. Côté : Les enfants vivant dans des réserves?

Le sénateur Gustafson : Oui.

M. Côté : Nous ne divulguons pas le nombre exact, mais c'est de l'ordre de 5 p. 100. Il y a environ 160 000 enfants de 18 ans et moins.

Le sénateur Gustafson : Au quatrième paragraphe de votre exposé, vous avez dit qu'AINC a dépensé 180 millions de dollars pour couvrir les coûts de fonctionnement et d'administration. Combien cela représente-t-il par enfant?

M. Côté : Nous ne précisons pas ce montant, car les coûts varient d'un enfant à l'autre. Les coûts dépendent du type de prise en charge. Un enfant placé dans un foyer d'accueil coûte relativement moins cher qu'un enfant placé dans une institution spécialisée. Il faut répondre aux besoins différents.

Dans notre rapport, nous précisons que la formule s'appuie sur un montant d'environ 800 $ par enfant, qu'il soit pris en charge ou non.

Le sénateur Gustafson : Votre travail consiste à analyser la situation et à en faire rapport. Pensez-vous que la somme de 180 millions de dollars est suffisante?

M. Campbell : Notre vérification ne porte pas sur les organismes de services à l'enfance et à la famille. Toutefois, au cours de nos travaux, les vérificateurs se sont rendus dans plusieurs collectivités des Premières nations, comme nous avons coutume de le faire. Dans ce cas, nous avons visité 12 collectivités et 18 organismes des Premières nations.

Le montant de 180 millions de dollars qu'a mentionné le sénateur Gustafson est la somme consacrée au fonctionnement de ces organismes. La formule de financement n'a pas changé depuis 1988 et les organismes et les provinces nous disent que les organismes de prestation de services ont de la difficulté à attirer, embaucher et conserver des travailleurs sociaux et autres employés qualifiés. En effet, les salaires qu'ils proposent sont inférieurs à ceux des organismes provinciaux, par exemple. On nous dit qu'ils se tournent vers des employés jeunes et sans expérience qui obtiennent des offres plus alléchantes dès qu'ils ont commencé à travailler. Par conséquent, le roulement de la main- d'œuvre est considérable. Voilà les répercussions que peut avoir l'insuffisance du financement à leur niveau.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Je suis prêt à dire qu'il est vrai que des gens travaillent fort dans l'édifice où se trouve le ministère des Affaires indiennes, mais il est également vrai que des laveuses et des sécheuses y travaillent fort.

La qualité et l'orientation du travail de ce ministère me semblent suspectes compte tenu des résultats que nous pouvons régulièrement observer, et ce quant à leur méthodologie ou à leur incapacité d'aller au devant des coups. Au contraire, il semblerait qu'ils tendent à vouloir maintenir ou qu'ils sont incapables de revoir des procédures ou des méthodologies périmées qui sont loin d'être à la hauteur des exigences.

La dernière fois que vous êtes venu, vous nous avez dit qu'il n'y avait presque aucune nouvelle initiative de méthodologie pour faire face aux problèmes complexes de ce ministère pour exercer son mandat, qu'il n'y avait pas une nouvelle philosophie, et qu'il n'y avait même pas un désir de permettre une réforme massive à l'interne pour combler ces besoins.

Ce n'est qu'un exemple d'un endroit où des gens travaillent comme des machines, un endroit qu'on ne semble pas vraiment être en mesure de moderniser afin d'y apporter des changements significatifs, et ce même si les résultats sont absents.

Y a-t-il une problématique de fond au niveau de la culture de cette organisation qui permettrait cela, c'est-à-dire survivre tant d'années sans poser de gestes d'envergure en vue d'une réforme?

[Traduction]

M. Campbell : Je ne suis pas certain de me souvenir précisément des commentaires auxquels le sénateur Dallaire fait allusion, mais la question est bien posée.

Au sujet de cette question, il y a plusieurs choses qui méritent d'être signalées. Tout d'abord, j'aimerais revenir à la réponse que j'ai faite un peu plus tôt à la question posée par le président. Le ministère tente de combler cette lacune provinciale. Il essaie de faire du rattrapage dans un secteur où les provinces ont normalement compétence et où elles bénéficient d'un fondement législatif.

Dans le rapport, nous signalons que le personnel du siège central du ministère n'apporte pas une attention extraordinaire à ce programme important. Les ressources humaines consacrées au siège social aux niveaux supérieurs sont insuffisantes. Le fait de confier le programme à un petit groupe d'employés qui n'occupent pas des postes aux niveaux les plus élevés a une incidence négative sur la perception et la gestion d'un programme. Il faut reconnaître cependant que les choses commencent à changer au ministère, mais on ignore quelle sera la portée de ces changements. En Alberta, on a tenté de réfléchir au menu de services sans cesse changeants et différents offerts aux enfants des Premières nations.

La formule de financement comporte deux défauts graves. Premièrement, elle n'a pas été conçue pour répondre aux besoins des enfants et des services actuellement offerts; et deuxièmement, les fonds consacrés à l'administration de ces organismes sont insuffisants dans bien des cas.

L'Alberta a commencé à reconnaître que l'on assiste à une certaine évolution dans les services offerts aux enfants. Beaucoup de gens nous ont dit que le programme fonctionne de manière telle que le financement est accordé en fonction des interventions. Par exemple, le programme financera l'opération consistant à enlever des enfants de leur milieu familial. C'était peut-être la façon de procéder il y a quelque temps, mais aujourd'hui, toutes les provinces que nous avons visitées appliquent une approche préventive et préconisent la prestation précoce d'une gamme plus vaste de services à la famille, avant qu'il soit nécessaire d'extraire les enfants de leur milieu familial. En Alberta, nous avons assisté à la première tentative de l'AINC de financer des services offerts selon cette approche particulière. Le gouvernement a affirmé qu'il étendrait cette approche à d'autres provinces. Nous verrons ce que cela donnera.

Le sénateur Dallaire : J'ai succédé au sénateur Pearson au comité qui s'intéressait au sort des enfants exploités dans le monde entier. J'ai donné au comité une nouvelle orientation axée sur l'exploitation sexuelle des enfants autochtones. J'ai découvert de grands écarts dans la façon dont les deux sociétés assurent la protection, les soins, la réadaptation et la réintégration de ces enfants. Souvent, les références et les ressources sont inexistantes et les gens ne savent pas où se tourner pour obtenir de l'aide. Lorsqu'ils en trouvent, elle est généralement de qualité inférieure, car le financement n'est pas suffisant pour attirer du personnel dûment qualifié pour traiter ces problèmes exacerbés de notre société. Les gens qui sont appelés à intervenir dans le Nord doivent être plus qualifiés. On ne semble pas adopter une attitude proactive pour s'attaquer à ces problèmes et prendre l'initiative pour échapper aux scénarios catastrophes. Il faut soit adopter la gestion de crise, soit changer. Cependant, nous ne sommes pas à une époque de changement, mais plutôt une époque de réforme et de révolution puisqu'il faut tenter de répondre non plus aux besoins en matière de qualité de la vie, mais aux exigences d'une société complexe.

J'essaie de vous amener à me donner une réponse réfléchie concernant l'attitude, la culture et la philosophie du ministère dans ses programmes d'aide aux enfants autochtones. Ne pensez-vous pas que le ministère n'a pas la capacité intrinsèque de prendre l'initiative et d'élaborer des approches innovatrices à l'égard de ces problèmes? Est-ce parce que le ministère ne dispose pas des ressources ni de la volonté nécessaires pour obtenir des résultats dans une culture privilégiant le désir d'aboutir?

M. Campbell : Oui, je partage votre point de vue. Dans votre question, vous demandez entre autres pourquoi le ministère est incapable d'obtenir les résultats que vous mentionnez. J'aimerais respectueusement souligner qu'il y a une certaine utilité à convoquer des fonctionnaires pour leur demander d'expliquer le monde dans lequel ils vivent. La comparaison que vous avez faite me paraît tout à fait justifiée. Vous avez parlé de proactivité et, de mon côté, j'avais évoqué un contexte de rattrapage. Ce sont deux choses extrêmement différentes et je pense que le sénateur a fait une excellente remarque.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que je peux continuer, monsieur le président?

Le président : Certainement.

Le sénateur Dallaire : L'objectif est de réformer une organisation dont l'attitude consiste à ne rien changer tant que cela fonctionne. Pour le moment, nous ne disposons pas des outils nécessaires pour le faire. Je vais vous donner un exemple. Nous avons le plan opérationnel quinquennal. Les gens travaillent sur l'année en cours, parce qu'il y a de l'argent sonnant et trébuchant dans le budget. Ils préparent l'année suivante, car il faut présenter un budget des dépenses. La troisième année devient un peu plus floue, et quant à la quatrième et à la cinquième année, ce n'est pas de l'argent réel. Je pourrais m'adresser à une organisation comme le ministère et demander qui travaille sur la sixième année et je suis à peu près certain que personne ne se préoccupe de la sixième année, qui, l'an prochain, sera la cinquième année. Est-il exact qu'aucune entité ne cherche à projeter l'organisation en avant en faisant appel aux capacités scientifiques, aux aptitudes de gestion et de direction pour comparer la sixième à la dixième année et faire bouger les normes sociétales? Il est tout simplement impossible de se contenter de prendre une décision cette année en espérant être tranquilles pour les 20 prochaines années. En effet, on traite ici avec des êtres humains et il faut se pencher sur le problème tous les deux ou trois ans afin de réviser la politique et éviter que rien ne fonctionne plus parce que les gens ont changé. Pensez-vous que j'ai raison?

M. Campbell : Je pense que c'est une description assez juste. Le sénateur a parlé d'une entité distincte, et c'est justement un élément clé dans le fonctionnement du programme. Il ne s'agit pas d'un programme distinct destiné aux enfants des Premières nations, car c'est un programme qui fait partie d'AINC. Le financement de ce programme provient de la même enveloppe qui alimente les programmes visant le logement, l'infrastructure et d'autres secteurs. Au sein du ministère, les fonctionnaires essaient d'intervenir sur de nombreux plans différents, empruntant souvent à un programme pour en financer un autre. Il n'existe pas d'entité distincte axée essentiellement sur les services à l'enfance et à la famille, un organisme dirigé par des fonctionnaires supérieurs. Il n'y a pas de budget distinct consacré à ce secteur. Par conséquent, la plupart des éléments évoqués par le sénateur n'existent pas.

Le sénateur Dallaire : J'ai rencontré le ministre actuel et le ministre précédent et il me semble qu'il y a un écart considérable entre leurs discours et les activités de leur bureaucratie. Je ne sais pas si cette influence politique ne peut pas s'exercer parce qu'elle se heurte à la procédure. Pensez-vous que la structure de l'organisation est si dense et si introvertie que l'influence politique perd de sa force avant de pouvoir inspirer des réformes importantes au sein de la bureaucratie?

M. Campbell : Monsieur le sénateur, je ne suis pas en mesure de répondre à une question sur les rouages politiques et bureaucratiques.

Le sénateur Dallaire : Ne l'avez-vous pas noté dans votre travail lorsque vous recevez des orientations importantes de la part du ministre? Je sais que vous n'analysez pas les politiques, mais vous devez bien voir les directives lorsqu'elles arrivent de chez le ministre.

M. Campbell : Il serait peut-être utile de revenir à notre étude précédente consacrée aux facteurs décisifs qui influencent la capacité des Affaires indiennes à provoquer des changements. Un des facteurs que nous avions repérés concernait les rôles et responsabilités du ministère. On peut considérer qu'il s'agit parfois de conflits de responsabilités. Il y a beaucoup de choses. La plupart des autres bureaucrates qui administrent les programmes peuvent s'appuyer sur la loi adoptée par leur assemblée législative qui précise les décisions prises par les politiciens et comment les appliquer. La Loi sur les Indiens ne mentionne pas de manière précise bon nombre des activités qu'ils entreprennent. Les provinces entreprennent de nouvelles activités et le ministère fédéral s'efforce de rattraper son retard sans les instruments ni les directives que les autres bureaucrates s'attendent à avoir à leur disposition.

Le sénateur Dallaire : J'apprécie votre franchise.

Le président : J'ai pris part à une réunion avec le ministre Prentice à l'hôtel Fairmont, à l'aéroport de Vancouver. Un des chefs des Premières nations qui était présent pour accueillir le ministre Prentice a déclaré qu'il œuvrait depuis 25 ans dans la sphère politique des Premières nations et que M. Prentice était le 23e ministre avec qui il était amené à traiter.

Le sénateur Dyck : J'ai écouté attentivement les réponses que vous avez données. Au chapitre des soins aux enfants dans les collectivités autochtones, trois grandes questions me viennent à l'esprit. Premièrement, je me demande pourquoi les enfants autochtones sont beaucoup plus nombreux que les autres enfants canadiens à avoir besoin de soins. Deuxièmement, les programmes offerts disposent-ils d'un financement suffisant et sont-ils appropriés sur le plan culturel? La troisième question concerne les résultats obtenus par les programmes d'aide à l'enfance.

Je vais parler maintenant du bien-fondé des programmes. Comme l'a dit le sénateur Dallaire, il semble qu'AINC met l'accent sur le financement, probablement parce que sa culture est telle qu'il est habitué à des programmes qui dispensent des ressources financières sans que le ministère ait réfléchi à leur énoncé de mission et aux objectifs que cette composante doit poursuivre. Le ministère ne semble pas disposer d'une unité spécialisée ayant un mandat ou un objectif précis autre que la répartition de ressources, ce qui est très différent. C'est un peu la même chose que dans le cas des revendications territoriales, secteur où le ministère n'a pas saisi l'esprit et l'intention des programmes et se préoccupe uniquement du financement.

Vous avez donné quelques idées sur la façon d'augmenter la formule de financement, mais il me semble que ce serait seulement une solution à court terme. Vous signalez, au point 13 de votre exposé, que seulement trois des cinq provinces ont conclu des accords avec AINC au sujet des programmes d'aide à l'enfance. Quelles sont les conséquences de ceci pour les deux provinces qui n'ont pas signé d'accord? Quels sont les points couverts par ces accords? Si ces accords sont vraiment importants, que pouvons-nous faire pour inciter les autres provinces et AINC à s'entendre? De tels accords permettraient-ils de faciliter la prestation de meilleurs programmes de soins aux enfants autochtones pris en charge?

M. Côté : Nous avons constaté que deux des cinq provinces que nous avons examinées ont signé un accord. Votre question vise à savoir comment les autres provinces s'organisent sans un accord?

Le sénateur Dyck : Oui. Est-ce une bonne chose de signer un accord?

M. Côté : Absolument. Nous avons noté que dans ces deux provinces, les responsabilités et les obligations de financement sont mieux définies. Dans les trois provinces qui n'ont pas signé d'accord, nous avons noté de l'incertitude quant à l'utilisation du financement fédéral et à la façon dont les provinces contrôleront les services financés.

Le sénateur Dyck : Il semble que les accords servent plutôt à surveiller l'utilisation des fonds, noter les montants reçus par les organismes et la façon dont les fonds sont administrés.

M. Côté : Non, pas nécessairement. Les deux accords sont très différents. Le premier a été signé avec l'Ontario et l'autre avec l'Alberta. On a tendance à suivre l'utilisation des fonds, mais les ressources financières sont liées aux programmes et aux services que les provinces sont censées mettre à la disposition des Premières nations.

Dans le cas de l'Alberta, par exemple, il pourrait y avoir une certaine ambiguïté quant au rôle de la province lorsqu'elle délègue les services aux Premières nations, alors que le financement provient du gouvernement fédéral. Cependant, comme nous l'avons signalé dans notre rapport, l'Alberta est en train de changer la formule de calcul du financement aux Premières nations en tenant compte de la loi provinciale. Cela devrait donc éliminer cette difficulté.

Le sénateur Dyck : Serait-il possible de faire pression sur AINC pour que le ministère conclue des accords avec les provinces qui n'en ont pas encore signés?

M. Côté : Comme M. Campbell l'a indiqué, vous pourriez peut-être demander au ministère quels sont ses projets actuels à l'égard des autres provinces. Nous savons, d'après les travaux de vérification que nous avons effectués, que des pourparlers sont en cours avec d'autres provinces, mais nous ne savons pas exactement où ils en sont rendus.

Le sénateur Dyck : Votre rapport ne fait pas état des services offerts aux enfants des Premières nations et autres enfants autochtones à l'extérieur des réserves. Le programme est-il réservé uniquement aux enfants des réserves?

M. Côté : Oui, le programme que nous avons vérifié s'adresse uniquement aux enfants vivant dans les réserves. Les Affaires indiennes ont pour mandat de financer uniquement les services offerts dans les réserves, alors que les provinces sont censées financer les services offerts à l'extérieur des réserves.

Le sénateur Dyck : Avez-vous l'impression qu'un enfant qui ne vit pas dans une réserve obtient sans doute de meilleurs services à l'extérieur qu'à l'intérieur d'une réserve?

M. Côté : Généralement, c'est le cas. Le vérificateur général de Colombie-Britannique a effectué une vérification des services offerts dans les réserves et à l'extérieur des réserves. Ce document pourrait vous intéresser.

Le sénateur Peterson : Vous signalez dans votre rapport qu'il y a peu d'information sur la mesure des résultats. Quel type d'indicateur doit-on élaborer et à qui doit-on confier cette tâche, pour permettre à votre ministère de quantifier les résultats de manière plus adéquate et efficace?

M. Campbell : D'après nos observations, c'est un domaine dans lequel personne ne fait des prouesses. Les Affaires indiennes font l'objet des plus grandes critiques de la vérificatrice générale dans ce chapitre, mais nous avons cherché à connaître les services qui offrent de bons résultats et quelles sont les normes appliquées. Beaucoup d'intervenants du secteur avec qui nous avons communiqué nous ont avoué qu'il reste beaucoup à faire dans ce domaine, mais le bien- être des enfants doit rester au cœur du travail de toute personne qui est chargée d'appliquer un programme comme celui-ci. En Colombie-Britannique, l'action du protecteur du citoyen permet de faire des progrès dans ce domaine. Certaines personnes en parlent, mais ce n'est pas un domaine où les mesures sont bien établies.

Le sénateur Peterson : Pensez-vous qu'il y a un lien entre le financement et la prestation des programmes et que cela donne de bons résultats? D'après ce que j'ai lu, dans certains cas le financement est prévu pour trois ans, alors que le programme dure quatre ou cinq ans. Qu'est-ce qui se passe au terme de la période de trois ans? Serait-il utile d'harmoniser le financement et la prestation du programme?

M. Campbell : Il est essentiel de lier le financement à la prestation des services. Le financement ne doit pas être assujetti à une disposition de temporarisation, comme si le programme prenait fin dans trois ou cinq ans. Comme l'a mentionné le sénateur Dyck, il est important de conclure des accords avec les provinces. Et comme l'a dit M. Côté, lorsque l'accord précise quels sont les services qui seront offerts aux enfants, le financement en découle tout naturellement et n'est plus considéré comme un montant fixe. C'est le problème, car l'enfant a parfois besoin de services différents de ceux qui sont offerts à l'aide des fonds disponibles. S'il est possible de lier le financement aux services disponibles, les enfants ont beaucoup plus de chances d'obtenir les services dont ils ont besoin.

Le président : Monsieur Campbell, je sais que votre ministère ne commente pas les politiques. Vous l'avez dit clairement; cependant, vous avez dit également qu'il y a dans le processus des éléments communs pour lesquels nous n'assumons pas nos responsabilités à l'égard des Premières nations. Pour un non-Autochtone, le financement de l'éducation peut aller jusqu'à 11 000 $ par étudiant et par an et se situe, dans la plupart des cas, autour de 9 500 $, alors que dans le cas des Premières nations, ce chiffre est de 6 300 $. C'est une moyenne que j'ai pu constater ici dans mes fonctions.

Que pourrions-nous faire pour pousser les gouvernements à l'action? Mon commentaire ne se veut pas partisan. Le gouvernement actuel a décidé de mettre l'accent sur des situations urgentes telles que l'approvisionnement en eau et les revendications territoriales qui sont sources de conflit. Nous disposons de textes législatifs au sujet des revendications territoriales particulières. Par le passé, le ministre Nault avait proposé des recommandations assez substantielles, mais avait été incapable de les faire adopter par le gouvernement.

Cela fait plusieurs années que j'occupe mes fonctions actuelles au sein de ce comité et j'y avais déjà siégé auparavant. Le Bureau du vérificateur général est un organe non partisan du gouvernement. Dans notre structure parlementaire, il faut qu'un organe non partisan du gouvernement envoie un message particulièrement fort pour faire bouger les choses dans ce domaine. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, le ministère est une machine qui ne décolle pas. Peu importe que Billy Bishop, Jan Zurakowski, Yeager ou Armstrong soient à bord, si l'avion ne décolle pas, il ne pourra jamais voler.

Je sens l'impatience monter, chez moi et chez beaucoup d'autres membres du comité. Nous étudions ces questions et elles reviennent toutes au point de départ. Devant l'échec du processus, nous avons l'impression qu'AINC est à la source du problème. Je ne sais pas dans quelle mesure vous pouvez formuler d'autres commentaires, mais nous avons besoin aussi d'une influence de l'extérieur pour effectuer le changement qui est nécessaire.

Je sais qu'au Parlement la situation est compliquée, car je suis moi-même parlementaire. J'ai siégé à la Chambre des communes et je siège maintenant ici. Je sais que la situation est compliquée, que le gouvernement soit minoritaire ou majoritaire et compte tenu de tous les autres enjeux.

Pensez-vous que votre organisation, le Bureau du vérificateur général du Canada, pourrait nous aider à enclencher les changements nécessaires qui ont été évoqués par tous les sénateurs présents aujourd'hui à cette réunion de notre comité?

M. Campbell : Monsieur le président, nous voulons vraiment aider. Cependant, nous avons un mandat. Vous avez raison de dire que nous ne faisons pas et que nous ne devrions pas faire de commentaires sur la politique.

Cela étant dit, je dois reconnaître que je suis déjà venu ici dans un cadre différent et que j'ai donné des réponses analogues à des questions analogues après avoir signalé des lacunes analogues. Dans ce cas, vous avez tout à fait raison. Vous avez mentionné certains enjeux que le Parlement doit prendre en considération. Je ne peux imaginer de solution à l'échelon des programmes sociaux sans la signature d'accords avec les Premières nations et comme nous l'avons dit plus tôt, avec les provinces.

Cependant, j'irai plus loin et je dirai ceci : pour ce qui est de la prestation des programmes sociaux, je ne connais aucune autre entité qui procède de la sorte. Cela dit, j'espère que vous respecterez le fait que notre mandat nous interdit de commenter les politiques. Cependant, si l'on voulait faire des comparaisons, je ne suis pas certain que l'on pourrait facilement trouver d'autres éléments pour comparer. Je n'en dirai pas plus.

Le président : Merci. Vous avez bien répondu.

Le sénateur Dyck : J'aimerais revenir à la première question que j'ai soulevée dans le tour de questions précédent. Il s'agit de la présence accrue des enfants autochtones dans les programmes de bien-être social. Pourriez-vous nous aider à comprendre pourquoi les chiffres sont plus élevés et pourquoi ils semblent augmenter à un rythme plus rapide dans la population autochtone que dans le reste de la population canadienne?

M. Campbell : Comme je l'ai mentionné, les vérificateurs ont passé beaucoup de temps à communiquer avec les habitants des collectivités des Premières nations, mais également avec les représentants des organismes de services à l'enfance et à la famille des Premières nations. Une des plus grandes préoccupations soulevées par nos interlocuteurs portait sur le fait que le financement existe pour la prise en charge des enfants, mais par contre que le financement des autres services fait souvent défaut. Comme je l'ai dit plus tôt, les provinces se sont orientées peu à peu vers des programmes de type préventif et, dans plusieurs cas, ces programmes sont inexistants dans les collectivités des Premières nations.

Selon une des craintes exprimées, comme nous le mentionnons dans le rapport, le financement des programmes de prévention risque d'entraîner le retrait de certains enfants pris en charge, car dans bien des cas, la prise en charge est le seul service financé.

Le sénateur Dyck : Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur les types de programme de prévention qui ne sont pas financés? J'ai l'impression que vous nous dites que les enfants sont pris en charge parce que ce type de service est financé, au lieu de bénéficier d'un autre programme de prévention, parce que ce type de programme n'existe pas. Est-ce que je vous ai mal compris?

M. Campbell : Non, c'est exactement ce que je voulais dire et c'est en tout cas ce que les spécialistes du domaine nous ont indiqué.

Le sénateur Dyck : Pouvez-vous me donner un exemple d'un autre service qu'un enfant pourrait recevoir plutôt que d'être pris en charge par un programme de services à l'enfance?

M. Côté : Par exemple, lorsque nous parlons de services de prévention, nous devons expliquer aux parents de l'enfant en quoi cela consiste. Plutôt que de séparer l'enfant de ses parents et de le placer dans un foyer d'accueil, le service de prévention consiste à intervenir auprès de l'unité familiale, des parents et de l'enfant, afin d'améliorer les compétences des parents pour qu'ils soient mieux en mesure de s'occuper de leurs enfants.

Il faut faire appel à différents services et différentes ressources pour offrir de telles prestations. Comme l'a souligné M. Campbell, il n'y a aucun financement pour ce type de prestation dans bon nombre de collectivités ou d'organismes, mais ce genre de services serait offert si l'enfant était sorti du système de prise en charge. Dans le domaine de la prévention, il est indispensable également de collaborer avec les parents.

Le sénateur Dyck : Devons-nous remplacer cette approche fragmentée par un programme plus holistique prenant en compte les besoins de l'unité familiale et peut-être ceux de l'ensemble de la collectivité?

M. Côté : Oui, vous avez raison. Comme nous l'avons dit dans notre rapport, lorsque les enfants d'une collectivité sont nombreux à être pris en charge, il faut se pencher sur les besoins de la collectivité dans son ensemble. Il ne suffit peut-être pas d'étudier un élément des services, mais l'ensemble du secteur. On est alors confronté à une situation qui est très différente de celles que traite généralement ce type de programme.

Le sénateur Dyck : À votre avis, quelle est l'influence de la misère dans tout ceci, de la différence de statut socioéconomique entre bon nombre d'habitants des Premières nations vivant dans des réserves, par rapport au reste de la société canadienne?

M. Côté : Nous avons consulté des études qui ont tenté de définir les facteurs susceptibles d'expliquer de tels écarts parmi les enfants nécessitant des services et il semble que les facteurs les plus courants dans les Premières nations soient la pauvreté et le logement.

Nous précisons aussi dans notre rapport que les mêmes études révèlent que l'on rencontre souvent des cas de négligence dans les collectivités des Premières nations. Par contre, l'incidence des mauvais traitements et d'autres situations plus graves est à peu près la même qu'ailleurs. Cependant, la négligence est souvent liée à la pauvreté et au logement. Voilà le type de facteurs que ces études ont notés.

Le sénateur Dyck : C'est important de le signaler, car je pense que les médias ont tendance à décrire les collectivités des Premières nations comme des endroits où la violence sexuelle et physique est courante, alors que la pauvreté est un facteur qui est souvent négligé et sous-estimé. Merci d'avoir donné cette précision.

Le président : Sénateur Dyck, je pense déjà avoir raconté qu'un chef des Premières nations du Manitoba m'avait rapporté le cas de six familles vivant dans une maison de 1 000 pieds carrés. Je ne sais pas comment elles pouvaient s'organiser. Il s'était effondré dans mon bureau et il m'avait dit qu'il était découragé parce que les enfants de ces familles ne pouvaient pas étudier et que, dans un tel contexte, l'éducation était un échec et la violence omniprésente. Je pense que nous en avons bien conscience, mais le plus difficile est de trouver un moyen de remédier à de telles situations.

Le sénateur Gustafson : Au point 15 de votre exposé, vous avez dit qu'il faut que tous les intervenants du système d'aide à l'enfance conjuguent leurs efforts pour offrir des services aux enfants des Premières nations pris en charge. Vous poursuivez en disant que l'Alberta offre un service que vous recommanderiez aux autres provinces. De quoi s'agit-il exactement?

M. Côté : Je vous remercie pour votre question. Dans le cas de ce programme particulier, nous avons observé que l'Alberta lie le financement accordé aux Premières nations aux textes législatifs de la province. C'est le modèle qu'ont adopté le ministère et la province. Il nous paraît tout à fait logique de lier le financement à la mission qui est confiée à ces organismes.

Mais en plus, l'Alberta a modifié ses lois il y a quelques années afin d'offrir un plus grand nombre de services de prévention dans la province et réduire ainsi le nombre d'enfants devant être pris en charge. Selon les chiffres préliminaires recueillis lorsque le ministère est entré en communication avec eux, cette approche a donné d'assez bons résultats et permis de réduire le nombre d'enfants pris en charge. L'Alberta offrant également ce type de services dans certaines collectivités des Premières nations, ces résultats positifs ont pu être constatés aussi bien à l'intérieur des réserves qu'à l'extérieur.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir à votre commentaire concernant votre obligation de vous abstenir de porter un jugement sur les politiques. Lorsque je travaillais dans un ministère, il était impossible de réclamer un trombone si cet accessoire de bureau ne figurait pas dans les énoncés de politique du ministère — le livre blanc étant la grande référence — et toute fonction qui n'était pas reliée à la politique n'avait aucune autorité. Il était impossible d'acheter du matériel pour l'armée si cela n'était pas inscrit dans la politique régissant les actions de l'armée.

Je suis ensuite passé à un autre secteur, celui du développement international où la direction des politiques n'avait aucun pouvoir. Elle n'avait qu'un simple rôle consultatif et n'avait aucun pouvoir, se contentant de mettre ses compétences au service des différentes directions. Les vice-présidents des différentes directions avaient énormément d'autonomie.

Il me semble que la politique n'est pas un facteur négligeable lorsqu'il s'agit d'évaluer comment les critères sont appliqués. La politique peut également servir de guide stratégique pour les intervenants et définir les limites des tâches qu'ils accomplissent.

Avez-vous noté l'existence au sein d'AINC d'un organe jouissant d'une grande autorité et capable d'imposer sa volonté au ministère? Vous n'avez sans doute pas vérifié cet organe, mais avez-vous pu à tout le moins constater d'où proviennent ces orientations?

M. Campbell : Oui. La plupart des programmes possèdent une direction ou une section des politiques. Nous vérifions la mise en œuvre des politiques, mais nous nous abstenons de nous prononcer sur le bien-fondé d'une politique particulière.

Dans ce cas précis, nous avons observé un important programme de services sociaux dont la prestation est directement liée à la politique. Lorsque nous avons vérifié la mise en œuvre de cette politique, nous avons remarqué, entre autres choses, que le financement n'était pas lié aux services que le programme était censé offrir, ni aux objectifs de la politique, et que les informations sur les résultats n'étaient pas suffisantes.

Le sénateur Dallaire : Si vous le permettez, j'aimerais poursuivre un peu plus loin. Supposons que la politique soit désuète, qu'elle ne soit plus adaptée à la réalité du moment ou qu'elle ne soit plus conforme au nouveau texte législatif, ne pensez-vous pas que votre rôle serait de souligner que si le programme respecte cette politique, la politique elle- même est loin de répondre aux exigences?

M. Campbell : Je suis certain que beaucoup de fonctionnaires ont l'impression que nous faisons un commentaire sur les politiques, alors que nous nous contentons de vérifier la mise en œuvre de ces politiques.

Le sénateur Dallaire : J'ai été dans ce cas-là. Ou bien est-ce seulement la mise en œuvre de la politique qui ne respecte pas les exigences?

M. Campbell : Nous ne voulons pas être placés dans une telle situation, car par la suite, nous aurons à vérifier la mise en œuvre de la politique. Nous ne devrions pas avoir d'opinion au sujet de la politique dont nous devons vérifier la mise en œuvre, car cela nuirait à notre indépendance et nous voulons éviter cela.

Nous pouvons passer en revue les nombreuses vérifications que nous avons effectuées. Nous nous sommes prononcés sur la mise en œuvre de diverses politiques, mais c'est à d'autres de décider si les politiques en question peuvent être améliorées et bénéficier donc d'une meilleure mise en œuvre, ou si elles doivent être remplacées. Il arrive dans certains cas que nous approuvions l'efficacité d'une politique, mais nous devons maintenir une ligne de séparation très claire.

Le sénateur Dallaire : Vous arrive-t-il cependant de signaler l'absence d'un cadre légal?

M. Campbell : Oui.

Le sénateur Dallaire : L'interprétation se fait souvent par l'intermédiaire des politiques.

M. Campbell : La remarque est juste. Nous l'avons déjà observé, mais je pense que ce n'est pas à nous de dire qu'il faudrait adopter un autre texte législatif pour remédier à la situation. C'est aux autres ministères de décider.

Nous l'avons fait il y a quelques années, lors de vérifications d'un programme de services de santé non assurés, programme vaste et complexe dont la prestation est régie par une politique. Au cours d'une de nos nombreuses comparutions devant le comité des comptes publics, je me souviens d'avoir entendu des bureaucrates concéder, en réponse aux questions, qu'il était préférable pour un bureaucrate de dispenser un programme ayant une assise législative plutôt que régi uniquement par une politique. C'était le point de vue à l'époque.

Il est important pour nous de signaler que bon nombre des programmes dispensés par AINC sont offerts ailleurs dans un cadre régi par la loi. Les programmes d'AINC sont régis par des politiques et c'est au gouvernement de décider s'il souhaite maintenir cet état de choses. Si le gouvernement souhaite continuer à dispenser des programmes régis par des politiques, nous continuerons à vérifier la mise en œuvre de ces politiques.

Le président : Il est clair que votre indépendance et votre neutralité doivent être préservées. Je peux vous assurer, monsieur Campbell, que nous ne voulons absolument pas vous placer dans une situation à risque vis-à-vis du gouvernement actuel ou d'autres gouvernements futurs.

Cependant, si l'on veut sortir des paradigmes habituels — je déteste ce mot — il faut se tourner vers les réussites, celles du chef Clarence Louie, de la Première nation des Osoyoos et du chef Robert Louie à Westbank, dont je peux parler, puisqu'ils habitent la province que je représente. Ils se sont tournés vers l'extérieur et, dans certains cas, comme à Westbank, ils ont réclamé l'autonomie gouvernementale.

On dénombre plus de 600 Premières nations. Je suis convaincu qu'aucun gouvernement au monde ne peut traiter de manière complète et efficace avec autant d'entités différentes. A-t-on déjà recommandé la création d'une structure de gouvernance en fonction des groupes linguistiques ou des groupes signataires de traités afin d'obtenir une plus grande efficience?

Compte tenu de ces 600 Premières nations environ, lorsqu'un problème intervient dans une de ces entités, le gouvernement se précipite et traite chaque cas individuellement. C'est de la microgestion plutôt que de la macrogestion.

Cela me ramène à ce qui avait été recommandé il y a quelques années, à savoir la mise en place d'une meilleure structure de gouvernance. Avec 600 entités différentes dans les diverses régions du pays, il faudrait être ministre pendant dix ans pour pouvoir rencontrer chacune d'entre elles et comprendre leurs problèmes, car les problèmes sont tous différents.

Pourriez-vous présenter un commentaire à ce sujet?

M. Campbell : Je vais m'exécuter avec le plus grand soin, monsieur le président. Lorsque nous faisons la vérification de programmes, nous nous posons la simple question suivante : que font les autres dans des cas semblables? Dans le domaine de l'éducation ou de la santé, le reste de la société organise par exemple des conseils scolaires qui regroupent un certain nombre d'écoles. Ces conseils scolaires bénéficient d'une certaine capacité pour l'élaboration de programmes scolaires, la formation des enseignants et d'autres aspects qui profitent à toutes les écoles du conseil scolaire. Les écoles qui fonctionnent entièrement sur une base individuelle se distinguent des autres établissements scolaires que l'on rencontre dans la société. C'est la même chose dans le domaine de la santé. Nous nous organisons en conseils de santé.

Nous avons déjà évoqué par le passé la nécessité de constituer une capacité institutionnelle pour les Premières nations. Ce n'est pas à nous de définir cette notion. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, d'autres secteurs de la société disposent de cette capacité institutionnelle qui permet d'appuyer, d'orienter et de développer les programmes qui sont offerts à la collectivité. Le tableau est tout à fait différent lorsque les services sont répartis en 600 morceaux différents et qu'il faut tenter de les gérer individuellement.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Campbell et monsieur Côté. Je vous remercie pour les réponses franches et directes que vous nous avez fournies sur ce sujet difficile. Nous remercions la vérificatrice générale et son bureau de vous avoir permis de venir témoigner ce matin. Au nom des sénateurs, je vous souhaite bonne chance dans la poursuite de vos activités auprès des Premières nations.

La séance est levée.


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