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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 41 - Témoignages du 22 mars 2018


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 36, pour étudier ce projet de loi, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui pour poursuivre son examen de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

Le délai qui nous est accordé dans le calendrier parlementaire est très serré : nous devons déposer notre rapport d’ici au 1er mai. Nous sommes donc très reconnaissants aux témoins d’avoir fait preuve de compréhension relativement à notre dilemme et d’avoir répondu à notre demande rapidement.

Je suis ravie d’accueillir aujourd’hui M. Steven Hoffman, professeur à la faculté de la santé et à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York. Nous recevons également, par vidéoconférence, M. Mark A. R. Kleiman, professeur de politique publique au Marron Institute of Urban Management de l’Université de New York.

Puis-je essayer la communication avec M. Kleiman? Il n’est pas là. J’avais espoir puisqu’il est apparu à l’écran.

Monsieur Hoffman, nous commencerons par votre exposé, puis nous passerons aux questions. Nous espérons pouvoir établir la communication avec M. Kleiman. Je crois comprendre que vous suivez nos séances; vous connaissez donc la procédure habituelle.

Avant de vous céder la parole, je vais me présenter. Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan, présidente du comité.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La présidente : Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Hoffman. La parole est à vous. Je vous assure qu’il y aura des questions. Merci d’être ici.

Steven Hoffman, professeur, faculté de la santé et Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : Merci beaucoup de m’accueillir parmi vous. C’est un honneur d’être ici à titre personnel. Comme vous l’avez entendu, je suis professeur titulaire de droit et de santé à l’Université York, et à ma connaissance, je suis le seul spécialiste du droit public international au Canada dont le travail est axé sur les questions liées à la santé. Je suis donc très heureux d’être ici comme spécialiste pour aider le comité à s’y retrouver dans le dédale des dimensions juridiques internationales de la légalisation du cannabis.

Je vais mentionner d’abord la mauvaise nouvelle, dans une certaine mesure, que le comité a entendue hier soir, je crois : à savoir que le projet de loi enfreindra indubitablement trois traités des Nations Unies sur le contrôle des drogues, qui ont été décrits hier.

Or, la bonne nouvelle, c’est que des solutions s’offrent au Canada, et nous pouvons espérer que le Canada sera en mesure de légaliser le cannabis sans causer de dommages collatéraux relativement au droit international.

Je vais vous donner un aperçu des traités et vous présenter certaines solutions. Elles ne sont pas excellentes, mais elles existent.

Je vous ai remis un article approfondi que j’ai rédigé avec une collègue, Mme Roojin Habibi. Cet article contient une analyse juridique détaillée. Il sera publié bientôt dans la Revue de droit d’Ottawa. Plus précisément, les pages 12 à 19 de la version anglaise contiennent une description en profondeur des dispositions des traités auxquelles la mesure législative proposée contreviendra.

En résumé, les obligations découlant des traités sont très claires. Il y a très peu de contestation quant au fait que nous allons les enfreindre. Je vais vous donner quelques exemples des articles principaux concernés. Il y a d’abord l’alinéa 4c) de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, qui limite l’usage de drogues « uniquement à des fins médicales et scientifiques ».

De plus, l’alinéa 36(1)a) du même traité exige que les États imposent des sanctions pour la possession, la production, la vente et la livraison de ces substances.

En outre, le paragraphe 3(2) de la convention de 1988 contre le trafic criminalise précisément la possession de drogues, même si elles sont destinées à la consommation personnelle. Toutefois, je tiens à souligner qu’il y a des termes contestables et des échappatoires liés à cela, de sorte que personnellement, ce sont plutôt les autres articles mentionnés qui me préoccupent.

Bien sûr, les traités offrent toujours une certaine latitude, ce qui est très bien puisque les pays diffèrent tous les uns des autres. Les trois traités en question accordent tous une grande liberté à leurs parties.

Par exemple, l’un des traités exige que les États imposent des sanctions pour la possession, l’usage et la vente de drogues, mais il ne précise pas exactement quelles doivent être ces sanctions. Le Portugal a donc exploité cette liberté : au lieu d’infliger des sanctions pénales, il a établi des sanctions telles que des programmes d’éducation obligatoires sur les drogues.

Les traités exigent aussi que les États aient des sanctions prévues par la loi, mais ils n’obligent pas les États à appliquer ces dispositions législatives. Les Pays-Bas ont donc profité de cette liberté : la possession du cannabis continue à être une activité criminelle, mais la police, avec l’appui du gouvernement, a déclaré qu’elle ne ferait pas respecter ces interdictions criminelles.

Les traités autorisent également des dérogations fondées sur la constitution. Ce que j’entends par là, c’est qu’on ne s’attend pas à ce que les pays enfreignent leur propre constitution pour respecter les dispositions des traités. La Bolivie a tiré parti de cette souplesse en modifiant sa constitution en 2009 afin d’accorder à ses citoyens le droit de posséder des feuilles de coca, les feuilles de coca ayant une importance culturelle dans ce pays.

Le Canada a choisi la légalisation plutôt que l’imposition d’une sanction différente ou la non-application des dispositions. Par conséquent, il a encore cinq options, dont trois ne sont pas très bonnes. Je vais vous expliquer pourquoi dans un instant.

Premièrement, nous pourrions modifier la Constitution. Deuxièmement, nous pourrions renégocier les traités. Troisièmement, nous pourrions tenter d’obtenir des exceptions spéciales. Selon moi, nous pouvons écarter rapidement ces trois solutions en songeant simplement au fait que convaincre les 32 pays punissant actuellement la contrebande de drogues par la peine de mort de revoir les traités ou de consentir au Canada une exception spéciale semble aussi possible sur le plan politique que l’ajout d’une disposition à la Charte canadienne des droits et libertés accordant aux Canadiens le droit de posséder du cannabis. Je ne pense pas que ce soit réaliste, et la renégociation des traités non plus.

Il reste donc deux options. La première est de trouver une solution de rechange créative, et la deuxième est de nous retirer des traités.

Pour ce qui concerne la solution de rechange créative, comme vous le savez, je suis avocat spécialisé en droit international. Du point de vue de la santé publique, la légalisation du cannabis est une mesure positive. Je me suis donc efforcé de trouver le plus d’arguments juridiques créatifs possible pour faire en sorte que la légalisation ne contrevienne pas aux traités de droit international. En ma qualité d’avocat spécialisé en droit international, je suis d’avis qu’il serait préférable de ne pas enfreindre les traités.

Dans mon travail professionnel, j’ai collaboré avec des étudiants pour tenter de mettre au point ce que nous avons appelé une exemption pour motifs scientifiques. Les traités stipulent clairement que les pays peuvent autoriser l’usage du cannabis et d’autres drogues à des fins scientifiques. Par conséquent, nous pourrions interpréter juridiquement la légalisation comme une grande expérience scientifique, effectuée dans des conditions naturelles, dans le but d’évaluer les effets intergénérationnels de la légalisation du cannabis sur la population.

Nous pourrions avancer cet argument, mais il faudrait qu’il soit vrai, et ce qui constitue un motif scientifique raisonnable est établi par la jurisprudence de la Cour internationale de Justice. Il faudrait faire de grands investissements dans la recherche, et le gouvernement n’a jamais inclus les avancées scientifiques dans les objectifs énoncés pour justifier la légalisation; ce serait donc difficile d’étayer cette assertion devant la Cour internationale de Justice. Cependant, c’est la solution de rechange la plus créative que j’aie trouvée.

L’option la plus réaliste et, selon moi, la plus faisable est que nous nous retirions des traités. Je tiens à souligner qu’en ma qualité d’avocat spécialisé en droit international, normalement, je ne recommanderais pas à un pays de se retirer d’un traité, mais il est de loin préférable de se retirer d’un traité que de violer le droit international. C’est permis de se retirer d’un traité. C’est légal. La plupart des traités contiennent des dispositions à cet effet. En réalité, se retirer d’un traité est en quelque sorte une façon d’affirmer sa souveraineté, tout comme le fait d’y adhérer. Cette solution n’est pas idéale, mais elle vaut mieux que la violation de la loi.

Le problème, c’est qu’un pays est tenu de donner avis de son intention de se retirer d’un traité. Ainsi, si notre intention ou notre objectif était de légaliser le cannabis d’ici au 1er juillet 2018, il aurait fallu que nous en donnions avis avant le 1er juillet 2017, c’est-à-dire il y a plusieurs mois.

Si le Cabinet signalait aujourd’hui son intention de se retirer des traités, il faudrait attendre le 1er juillet 2019 pour légaliser le cannabis sans les enfreindre.

On me demande toujours quelles sont les conséquences de violer le droit international. Je peux répondre que notre réputation en sera entachée. Or, la raison principale pour laquelle le droit international me tient tellement à cœur, c’est qu’à mon avis, il s’agit du meilleur mécanisme dont nous disposions pour régler les problèmes mondiaux actuels. Ce n’est pas un mécanisme parfait. En réalité, il laisse plutôt à désirer, mais c’est le meilleur que nous avons.

Devant les grands problèmes mondiaux auxquels nous faisons face aujourd’hui, nous comptons de plus en plus sur les autres pays pour suivre un ordre fondé sur les règles. Le Canada souhaite probablement être en mesure de maintenir cet ordre fondé sur les règles et de le promouvoir. Du moins, c’est la politique que le Canada a suivie pendant longtemps. Il suffit de lire les journaux au quotidien pour en comprendre l’importance.

Je comprends que les Canadiens n’accordent peut-être pas d’importance au droit international en matière de cannabis, mais ils se soucient probablement du droit international pour ce qui concerne les armes chimiques, la non-prolifération nucléaire, les agents neurotoxiques, les violations des droits de la personne et les obstacles illégaux au commerce.

Malheureusement, le Canada ne peut pas choisir de respecter certains traités internationaux et d’en enfreindre d’autres sans encourager d’autres pays à faire de même.

En conclusion, je tiens à souligner l’importance de votre rôle. Je dis toujours à mes étudiants que la pratique du droit international, ce n’est ni ce que je fais ni ce qu’ils font en classe : étudier les traités. La pratique du droit international, c’est l’ensemble des décisions infimes qui sont prises chaque jour dans des pièces comme celle-ci, par des comités comme le vôtre et par des gens comme vous, qui décident quotidiennement si le droit international est suffisamment important pour qu’on le respecte.

Par conséquent, lorsque vous étudiez le projet de loi C-45, vous ne faites pas qu’en examiner les dispositions. D’une certaine façon, le Parlement est aussi en train de trancher sur l’importance du droit international.

Je suis donc ravi d’être ici comme spécialiste pour vous aider. C’est vraiment un grand honneur pour moi. Merci beaucoup de m’avoir invité.

La présidente : Merci, monsieur Hoffman. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Oh : Bienvenue, monsieur Hoffman. Ma question porte sur ce que vous avez dit un peu plus tôt. M. Mark Gwozdecky, sous-ministre adjoint de la sécurité internationale et des affaires politiques chez Affaires mondiales Canada, a témoigné devant le comité. Il nous a dit que nous retirer des traités internationaux sur le contrôle des drogues représentait une mesure nuisible, « excessive et inutile ». Il a ajouté que le gouvernement fédéral avait l’intention de violer nos obligations découlant de ces conventions. J’aimerais savoir ce que vous pensez de cette réponse.

Plus précisément, j’aimerais vous entendre sur ce qui suit. Vous avez dirigé la rédaction d’un rapport intitulé : Reconciling Canada’s Legalization of Non-Medical Cannabis with the UN Drug Control Treaties. Les auteurs du rapport ont conclu que les obligations juridiques internationales actuelles du Canada sont incompatibles avec le plan du gouvernement fédéral de légaliser l’usage récréatif de la marijuana. En outre, ils ont recommandé que le gouvernement fédéral obtienne une exemption pour motifs scientifiques afin de ne pas avoir à se retirer des conventions sur le contrôle des drogues.

Pouvez-vous nous expliquer comment les auteurs du rapport en sont arrivés à cette recommandation et pouvez-vous nous dire si vous êtes d’accord avec eux? Je crois comprendre que vous êtes d’avis que cette exemption serait extrêmement difficile à obtenir et que le retrait est l’option la plus praticable pour le gouvernement fédéral.

M. Hoffman : Merci. Pour répondre à votre première question, je préciserais qu’il ne s’agit pas de nous retirer de l’ensemble du régime de contrôle des drogues établi par les traités. Je pense que c’est sur cela que portait le témoignage d’hier. Il serait inutile de nous retirer complètement de toute coordination internationale des efforts visant le contrôle des drogues.

Je parle plutôt de la possibilité pour le Canada de se retirer des traités, mais de continuer à participer au régime. Pour ce qui concerne le processus décisionnel officiel, le Canada pourrait continuer à être observateur durant les réunions portant sur les traités. Plus important encore, il pourrait continuer à suivre presque toutes les dispositions. Il pourrait toujours se conformer aux traités, sans en être signataire. C’est ce que font de nombreux pays. Par exemple, certains pays ont de la difficulté à faire ratifier les traités par le Sénat ou par d’autres groupes dont il faut l’autorisation. Ce n’est pas le cas au Canada. C’est ce que font souvent les gouvernements en déclarant : « Nous nous conformerons au traité même si, sur le plan juridique, nous n’en faisons pas partie. » Voilà la distinction qu’il faut faire.

Ainsi, il ne serait pas excessif de nous retirer des traités. Cette mesure nous libérerait simplement de nos obligations juridiques internationales, ce que le Canada a le droit souverain de faire, tout en continuant à être actif au sein de la communauté internationale. D’après moi, les conséquences seraient limitées.

Pour ce qui est du rapport, je vous remercie d’en parler. C’est celui auquel j’ai travaillé avec mes étudiants en droit pour tenter de trouver les solutions les plus créatives possible. Nous essayons d’être de bons avocats, et je tentais d’apprendre à de futurs avocats à faire preuve de créativité. Nous nous sommes concentrés sur l’exemption pour motifs scientifiques. Ce rapport a été publié il y a un an. À ce moment-là, nous avions encore suffisamment de temps pour nous retirer des traités, mais aussi pour financer de la recherche et pour déclarer que le Canada entreprenait une expérience dans des conditions naturelles pour montrer aux autres pays quelle était la meilleure façon de s’attaquer à ces problèmes.

Il n’est pas trop tard pour suivre cette voie, mais l’argument est moins convaincant aujourd’hui, après une année de plus de commentaires et d’explications. C’est pour cette raison que selon moi, la meilleure option est de nous retirer des traités.

Le sénateur Oh : Il faut un an pour se retirer des traités. Il aurait donc fallu que nous nous en retirions le 1er juillet 2017, c’est bien cela?

M. Hoffman : Pour que le Canada légalise le cannabis le 1er juillet 2018 sans enfreindre les traités, il aurait fallu que le Cabinet donne avis de son retrait avant le 1er juillet 2017.

Le sénateur Oh : L’adoption expéditive du projet de loi nuira-t-elle à notre réputation dans l’application des traités?

M. Hoffman : La conduite à suivre désormais par le gouvernement serait de se retirer de ces traités, puis soit y adhérer immédiatement, en formulant une réserve, ce qui est plus facile pour les traités auxquels on veut adhérer que pour ceux auxquels on a déjà adhéré. Le Canada pourrait aussi choisir de se faire objecteur bruyant ayant des principes et préconisant, de l’extérieur, des modifications aux traités. Ce régime imparfait présente beaucoup de problèmes.

À mon avis, après s’être retiré d’un traité, on a le choix d’y adhérer de nouveau ou d’adopter une position de principe.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie pour les idées que vous lancez. Je tiens à revenir au retrait et à l’adhésion, procédé que nous connaissons peut-être mal.

Le Canada pourrait donc se retirer, puis adhérer de nouveau au traité avec telle exception ou sous telle condition. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Hoffman : Oui. Merci pour la question. En droit international, un État, en signant une nouvelle obligation, a toujours le loisir d’exprimer certaines réserves à l’égard du traité en question. Ce mécanisme vise à l’autoriser à participer au système juridique international, malgré un petit détail qui pourrait l’en empêcher.

Habituellement, les réserves présentent l’inconvénient d’introduire des variantes de lois internationales pour différents pays. En principe, une réserve excessive à l’égard d’un traité — par exemple s’affirmer non lié par aucune des clauses d’un traité pour la lutte antidrogue ne serait pas considéré comme admissible par la Cour internationale de Justice.

Mais, au contraire, le droit international autoriserait l’adhésion à toutes les clauses, sauf à celles qui visent le cannabis. La difficulté réside cependant dans les deux façons de formuler une réserve. L’une s’applique quand on adhère déjà à un traité. Dans ce cas, le traité précise qu’il faut qu’un nombre suffisant de pays accordent au demandeur l’exception qu’il réclame. Quand la Bolivie l’a tenté pour la feuille de coca, pas assez de pays étaient disposés à se donner le mal nécessaire pour la lui accorder. Je ne crois pas que le Canada l’obtiendrait non plus.

Nous pourrions l’obtenir en procédant comme la Bolivie. Après son retrait des traités, elle y a adhéré de nouveau comme nouveau membre. Elle a alors signalé ses réserves. Les règles régissant la formulation des réserves sont différentes. Dans ce cas, il faut un nombre suffisant de pays pour effectivement s’y opposer. Ce nombre n’a pas été suffisant dans le cas de la Bolivie, qui, même si elle est soumise à ce régime, a cependant formulé une réserve qui s’applique, dans son cas, à la feuille de coca. Le Canada pourrait l’imiter.

La sénatrice Bovey : Dans ce cas, quels seraient ensuite les échéanciers? Combien de temps pour se retirer d’un traité? Combien avant de pouvoir demander d’adhérer de nouveau au traité avec réserves? Je ne suis pas juriste. Éclairez-moi.

M. Hoffman : Excellente question. En fin de compte, ça dépend des clauses particulières des traités. Les traités en question exigent un préavis qui n’est pas exactement d’un an; c’est un peu plus, arrondi au 1er juillet ou au 1er janvier. C’est ainsi qu’on s’harmonise avec les différents traités. Si, aujourd’hui, le Cabinet décidait de se retirer des traités, ça n’arriverait, légalement, que le 1er juillet 2019, alors que le Canada pourrait ensuite y adhérer de nouveau.

La sénatrice Bovey : L’adhésion doit se faire le jour même du retrait, comme ça, sans attendre?

M. Hoffman : On peut croire que le Canada adhérerait de nouveau au traité en formulant une réserve, ce qui ouvrirait une période pendant laquelle les États signataires sont autorisés à s’opposer à cette réserve.

La sénatrice Bovey : Il s’agit ici des trois traités, n’est-ce pas?

M. Hoffman : Des trois, exactement.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup d’être ici.

Comme ma collègue Bovey a posé les questions que je me posais, allons un peu plus loin en nous questionnant directement sur la politique, l’objectif de la politique publique et les aspects juridiques. Je voudrais en quelque sorte que vous exposiez point par point, comme ça, votre réflexion sur ce sujet.

Si nous devions suivre le scénario que vous venez d’exposer et de conseiller au gouvernement et qui pourrait découler d’une observation émanant des comités ou il serait peut-être consacré par la loi, en quoi souffrirait la crédibilité de l’État si le gouvernement annonçait aujourd’hui sa volonté de se retirer des traités?

Nous savons que ça n’entrera pas en vigueur avant juillet 2019, mais nous avons l’intention de présenter notre demande avec une réserve, et en voici le texte. Essentiellement, nous disons être conscients que ç’aurait dû survenir un an auparavant, mais nous le faisons maintenant et nous sommes conscients que, techniquement, nous enfreindrions les traités dès le début du processus d’environ six mois, à compter de septembre ou octobre 2018.

Quel serait le préjudice pour la crédibilité de notre participation aux traités internationaux?

Au début, je pensais que nous pouvions nous accommoder de cette ambiguïté pendant un certain temps. Ce n’est probablement pas une ambiguïté, notamment quand on commence à parler d’autres traités internationaux et de leur importance, et cette question ne devrait vraiment pas être traitée différemment. Je vous saurais gré de me dire ce que vous en pensez.

M. Hoffman : Merci beaucoup pour votre question. En ma qualité d’avocat, je suppose que l’idéal est de toujours respecter la loi, y compris les lois internationales. Cela étant dit, du point de vue de la règle du droit international et pour soutenir cette règle, il serait beaucoup mieux de procéder comme vous le proposez, de se retirer d’abord, mais, ensuite, d’annoncer son adhésion de nouveau. Le message serait que, effectivement, le Canada enfreint le droit international. Mais nous reconnaissons que c’est le droit international et nous reconnaissons que ce droit est important, témoin des mesures que notre pays prend pour s’y conformer.

Tous les jours, des Canadiens, accidentellement, se trouvent à enfreindre la loi, puis, en général, si c’est à cause d’un détail technique, si c’est accidentel, s’ils n’en savaient rien, on s’arrange pour leur permettre de rapidement se conformer à la loi. C’est mieux, mais ce serait encore mieux si, en premier lieu, ils n’enfreignaient pas la loi.

La sénatrice Lankin : Sur le plan juridique, je comprends ce que vous dites. Quand j’ai posé la question, j’ai aussi demandé que vous teniez compte non pas de l’aspect politique dans son sens partisan, mais de la réalité politique de ce que le gouvernement a fait, en passant dès maintenant à l’action, et des dates prévues pour la mise en exploitation des points de vente au détail et des investissements consacrés à des installations de production et ainsi de suite. Une partie de moi-même observe la situation d’un point de vue pratique, pour ce que nous pouvons faire maintenant. La publication éventuelle d’un avis de retrait et une durée d’attente d’un an pour la mise en œuvre, que certains adopteront rapidement comme la réponse idéale pour se conformer au droit international, semblent avoir d’autres conséquences réelles sur les provinces et les territoires, les entreprises et toutes sortes de choses de ce genre, ici, au Canada.

Ce sont vraiment deux aspects importants. Je vous demande seulement de nous donner une idée du préjudice porté à notre crédibilité, pour que nous puissions choisir d’annoncer notre retrait réfléchi et temporaire et notre « réadhésion » suivant telles ou telles modalités, plutôt que d’attendre, en nous conformant aux traités, l’entrée en vigueur du retrait, l’année prochaine.

M. Hoffman : D’un point de vue pratique, c’est une excellente idée, qui réduirait au minimum le préjudice, parce que le Canada annoncerait qu’il fait grand cas du droit international et qu’il s’arrange pour bien le respecter.

La sénatrice Lankin : Le gouvernement a-t-il fait mine de le faire? Oui, d’après les déclarations d’hier soir, mais la proposition n’a pas réellement été faite, pas à ce que je sache. Ne se bornait-elle pas au retrait?

La présidente : Planifié.

La sénatrice Lankin : Oui. Donc elle concerne le retrait.

La présidente : On parlait au nom de...

M. Hoffman : Je ne suis pas un initié. Je témoigne à titre personnel. Dans les témoignages d’hier, on a annoncé que le gouvernement ne prévoyait pas de prendre de mesures à l’égard des traités, y compris, je suppose, agir dans le sens que vous proposez.

La présidente : En fait, nous avons appris que l’Uruguay ne prévoit pas bouger. Reste à savoir si nous ferons de même. Exactement. Telle était la question.

Puis-je, monsieur Hoffman, enchaîner par une petite question? Je pense que la sénatrice Lankin a parlé de l’aspect pratique. Parlons du fait que, au Canada, le pouvoir de signer et de ratifier des ententes appartient à l’exécutif du gouvernement national. Ces traités ont été négociés par un gouvernement dans le passé puis signés. Le Comité sénatorial des droits de la personne a produit un rapport très épais sur les traités internationaux portant sur les droits de la personne, et, pour se conformer aux traités, le Canada devrait prendre des mesures analogues. Certaines de nos conventions étaient simplement conformes. Donc, quand nous siégeons au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et à d’autres comités, nous demandons si le Canada se conforme aux traités internationaux qu’il a signés?

Le gouvernement — en fait, ç’a été quelques gouvernements — dira qu’il se conforme aux traités. C’est une raison qu’il donne. L’autre est que nous devons parachever nos négociations avec les provinces, parce qu’une partie de la mise en œuvre relève d’elles.

Dans le cas qui nous occupe, un retrait des trois traités autoriserait-il ou nécessiterait-il des pourparlers avec les provinces ou est-ce, d’après votre compréhension du droit canadien, un domaine de compétence fédérale?

M. Hoffman : Il est sûr que la décision d’adhérer à des traités ou de s’en retirer est de ressort fédéral, que ça relève de la décision de l’exécutif fédéral. Bien sûr, dans le système fédéral fort du Canada, ce pouvoir s’exerce habituellement en consultation avec les provinces et les territoires.

Je ne crois pas que ces traités l’exigeraient, parce que, si le gouvernement décidait de se retirer des traités, mais tout en continuant de se conformer au régime en vigueur et en annonçant au monde qu’il continuerait de respecter les clauses des traités, excepté en ce qui concerne le cannabis, ça signifierait le maintien des systèmes en vigueur, qui continueraient de fonctionner normalement.

Alors, sous ce rapport, je ne crois pas qu’il faille exiger des provinces et des territoires qu’ils renforcent leur participation.

La présidente : Donc, d’après votre réponse antérieure, nous nous retirerions — nous ne nous conformerions pas au traité, mais nous pourrions ensuite essayer d’y adhérer de nouveau en formulant une réserve. Je vous pose la question que j’ai posée aux fonctionnaires du ministère. Le Canada a été un important ténor de l’ordre international. Les pays ne partagent pas tous cette position. Le Canada a donc été un joueur actif dans la conclusion de ces traités. Comme tous nos accords commerciaux et tout le reste, un traité est un compromis. Vous avez dit que ce n’était pas les meilleurs traités, mais que c’était des compromis à employer quand on voulait mettre d’accord tant de pays aux opinions si divergentes, particulièrement en matière de drogue, parce que dans certains pays, comme vous dites, l’usage de la marijuana est passible de la peine de mort. Nous allons dans la direction opposée. Il y a donc une accumulation de clauses.

L’ordre international actuel est très fragile. Les observateurs de la politique étrangère se demandent s’il tiendra le coup, parce que beaucoup de grands joueurs, des joueurs incontournables, violent beaucoup de traités.

Dans quelle mesure croyez-vous que le Canada perdrait son ascendant moral dans les négociations? Parce que, à l’ONU, on compte bien qu’il n’invoquera pas de réserves.

M. Hoffman : Vous avez raison. Je pense que, en préconisant sans cesse le multilatéralisme, la primauté du droit, la règle du droit international, notre pays s’est bâti une réputation sur ces valeurs. Si le projet de loi est adopté, bien sûr que le Canada n’enfreindrait pas une première fois le droit international, mais ce serait la première fois qu’il le ferait d’une manière controversée, parce que ces traités ont été négociés. Ce sont des compromis, et notre pays se conduit ainsi au moment où, plus que jamais, il a besoin du droit international.

Comme vous l’avez dit, dans la cacophonie des déclarations des différents acteurs, le monde a vraiment besoin du Canada et d’autres pays pour appuyer cet ordre fondé sur le respect des règles. C’est certainement ce que le gouvernement a toujours prétendu, ce qui est excellent. Je suppose que, en fin de compte, après l’adoption du projet de loi, le Canada pourrait constater qu’il est difficile d’obtenir l’accord d’autres pays sur les armes nucléaires, les armes chimiques. Bien sûr, cannabis et armes chimiques diffèrent beaucoup. Notre position pourrait être que le cannabis n’est qu’une drogue parmi de nombreuses autres, ce à quoi un autre pays pourrait répliquer que la guerre c’est la guerre et que, en amour comme à la guerre, tous les coups sont permis. L’argument pourrait donc être invoqué. Ou, encore : « C’est seulement une petite arme nucléaire, pas une grosse ».

La présidente : Et semblablement choquant.

M. Hoffman : Voilà pourquoi, notamment, pour un pays comme le Canada, possédant une très haute réputation de conformité au droit international, champion du droit international, les éventuelles conséquences que vous avez évoquées m’inquiètent effectivement.

La présidente : Ai-je raison de croire que notre comité pourrait souhaiter rappeler au gouvernement d’y réfléchir sérieusement et de cesser d’en minimiser l’importance? Le problème n’est donc pas seulement la légalisation de la marijuana; il en va de même pour notre réputation et notre participation internationales. D’où la recommandation d’une réflexion plus poussée à ce sujet.

M. Hoffman : L’idée maîtresse à retenir est que le Canada ne peut pas choisir les traités internationaux auxquels il veut se conformer sans encourager d’autres pays à l’imiter.

La présidente : Merci d’être ici. Vous avez eu toute l’heure à vous seul.

La sénatrice Cools : Pourrions-nous aborder la question de notre position avec l’Uruguay? J’avais l’impression que ce pays était en voie de suivre l’exemple du Canada dans la légalisation du cannabis. Est-ce qu’il l’a déjà fait?

La présidente : Oui, et il a signalé son…

La sénatrice Cools : Nous faisons donc comme lui.

La présidente : Je suppose que vous pouvez soulever la question dans un autre comité.

La sénatrice Cools : Une autre fois.

La présidente : Disons que je ne crois pas qu’il a consulté le Canada sur sa décision, mais je pourrais me tromper. Je pense qu’il a agi unilatéralement.

Merci. Ç’a été très utile. Bonne chance à vos étudiants dans l’étude de ces questions que je crois très importantes pour le Canada, parce que nous sommes bien plongés dans une dynamique mondiale et que nous tenons à en être des acteurs à part entière. Bonne chance à vous aussi.

M. Hoffman : Merci beaucoup.

La présidente : Nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

Par vidéoconférence depuis New York, nous accueillons Mark Kleiman, qui est professeur de politique publique au Marron Institute of Urban Management de la New York University.

Merci, monsieur Kleiman, d’être là. Je vais demander aux membres du comité de se présenter.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, d’Halifax.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La présidente : Je me suis déjà présentée. Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan. Je suis la présidente du comité.

Je vais présumer, monsieur Kleiman, que vous nous avez tous entendus.

Mark A. R. Kleiman, professeur de politique publique, Marron Institute of Urban Management, New York University, à titre personnel : Oui, je vous ai entendus. Merci.

La présidente : Je remarque qu’il y a un peu d’attente, mais nous allons poursuivre en espérant être en mesure de vous entendre et de passer aux questions après votre exposé. Nous étudions les effets que le projet de loi C-45 pourrait avoir sur nos obligations internationales. Je sais que vous avez été en contact avec la greffière du comité. Si vous avez une déclaration liminaire à prononcer, nous serons heureux de l’entendre. Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité.

Nous vous souhaitons la bienvenue.

M. Kleiman : Merci, sénatrice. Il me fait grand plaisir de témoigner devant votre comité. J’ai relativement peu de choses à dire sur les obligations vis-à-vis des traités internationaux. C’est une question qui concerne les avocats du droit international, et je suis un simple analyste des politiques. J’aimerais prendre un moment pour parler des conséquences pratiques du projet de loi C-45 et des lois connexes.

Je suis d’avis qu’indépendamment de ce que les traités internationaux stipulent, la prohibition du cannabis n’est plus une politique réalisable, tant pour le Canada que pour les États-Unis. Aux États-Unis, la vente illicite de cannabis est un marché annuel d’environ 40 milliards de dollars. Au Canada, ce marché est probablement proportionnel au PIB du pays. À moins d’être prêt à mettre beaucoup de gens en prison, il n’est pas vraiment possible de faire respecter les lois actuellement en vigueur. J’estime donc qu’il est plus logique d’adapter les lois que de les laisser en place sans être en mesure de les appliquer et de se retrouver avec un grand marché illicite, avec tous les effets sociaux secondaires indésirables que cela entraîne.

Cela dit, si le Canada va de l’avant et légalise officiellement le cannabis — comme je crois que cela est en train de se faire aux États-Unis —, il devra y aller avec toute la prudence nécessaire en ce qui concerne les dommages possibles à la santé publique. La conséquence la plus plausible d’une légalisation intégrale sera une chute marquée des prix. C’est ce que nous avons constaté dans les États des États-Unis qui ont légalisé le cannabis malgré le fait qu’il soit toujours interdit par l’administration fédérale. Or, la conséquence de cette chute marquée des prix est une augmentation de la consommation effrénée.

C’est quelque chose que nous avons déjà constaté au cours du dernier quart de siècle, à la fois aux États-Unis et au Canada. J’ai des données pour les États-Unis. La proportion d’Américains qui indiquent avoir consommé du cannabis au moins une fois au cours du dernier mois, mais qui rapportent aussi en avoir consommé tous les jours ou presque tous les jours est passée de 9 à 40 p. 100. Cela signifie qu’il y a environ 8 millions de personnes aux États-Unis qui avouent d’eux-mêmes avoir fumé du cannabis au moins 25 jours dans le mois — sinon plus —, et que la plupart d’entre eux en ont fumé plusieurs fois par jour. Ce groupe de personnes consomme 85 p. 100 de tout le cannabis vendu légalement ou illégalement.

Environ la moitié de ces personnes avouent aussi avoir des symptômes de troubles associés à la consommation de cannabis. Je crois que nous pouvons maintenant dire que ce n’est pas une drogue inoffensive.

Par conséquent, je crois que l’objectif serait de légaliser, mais en veillant à ne pas provoquer une augmentation marquée de la consommation. Cela veut dire qu’il faudra maintenir le prix actuel ou à peu près, ce qui ne pourra se faire que par taxation et, de façon plus précise, par une taxe d’accise particulière fondée sur la teneur en THC, et non par une taxe ad valorem fondée sur le prix puisque, comme nous le voyons dans l’État de Washington et au Colorado, la baisse du prix de détail attribuable aux forces du marché entraîne nécessairement une diminution de la taxe perçue lorsque cette taxe correspond à un pourcentage du prix.

Nous devrions également avoir d’autres politiques en place pour soutenir la modération. Bien sûr, tout cela est conforme aux objectifs de protection de la santé énoncés dans la Convention unique sur les stupéfiants et dans les autres traités internationaux.

Tout en protégeant la santé publique, je pense que nous pouvons soutenir — et l’Uruguay s’est servi de cet argument — que le régime d’interdiction actuel ne sert plus à protéger la santé publique et qu’il doit être remplacé, mais pas par une simple légalisation commerciale comme celle dont l’alcool fait présentement l’objet. Je préférerais de beaucoup des politiques qui se rapprocheraient de celles que nous avons actuellement à l’égard du tabac, et que j’ai appelées, dans d’autres contextes, la « tolérance à contrecœur ». Il s’agit d’envoyer le message suivant : « Nous n’allons pas rendre cela illégal. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions mettre les gens en prison pour en avoir consommé, ou même pour en avoir vendu, mais nous voulons les dissuader d’en consommer. » C’est la position que la plupart des gouvernements du monde ont adoptée à l’égard du tabac. Il convient de comparer cela à l’alcool, que nous traitons comme un simple produit commercial, mais qui a tous les effets catastrophiques que l’on sait.

Un autre aspect que j’inviterais le comité ou le gouvernement à examiner dans le cadre du projet de loi, c’est la possibilité de réduire l’influence que les intérêts commerciaux pourraient avoir sur l’industrie, attendu que toute société visant à faire le commerce du cannabis dépend entièrement de ces grands consommateurs abusifs. Ce sont eux qui forment le gros du marché. Le consommateur responsable de cannabis — qui devrait être l’objectif de la politique — ne présente pas le moindre intérêt sur le plan commercial parce qu’il ne consomme pas suffisamment pour faire vivre l’industrie.

Les commis de vente au détail, qui sont le dernier point de contact avec le consommateur, ne devraient pas être de simples barmans. Ils devraient être formés en pharmacologie et en matière de prévention des troubles liés à la toxicomanie. Ils devraient avoir une responsabilité fiduciaire envers le consommateur et donner des conseils dans l’intérêt du consommateur et non dans celui du propriétaire du magasin.

Nous devrions limiter la commercialisation. Nous devrions exiger que l’élaboration et l’étiquetage des produits se fassent de manière à aider les gens à jauger leur consommation. L’un des avantages des consommateurs d’alcool est qu’ils peuvent simplement compter leurs boissons et avoir une assez bonne idée de leur degré d’intoxication. Il n’y a pas de mesures d’équivalence pour le cannabis, comme c’est le cas pour la boisson; une bouffée n’est pas une unité standard. Nous devrions aller dans cette direction.

Si nous voulions faire preuve d’une plus grande sévérité à ce sujet, nous pourrions même exiger que chaque utilisateur se fixe une limite personnelle : combien de THC voulez-vous être autorisé à acheter ce mois-ci? Cette limite pourrait être modifiée par la personne, mais seulement, disons, avec un préavis d’une semaine. Une telle mesure contribuerait à empêcher l’achat impulsif et à réduire les risques de voir des gens s’embarquer dans une spirale descendante de consommation excessive et devenir dépendants.

Je ne suis pas certain de savoir dans quelle proportion ces mesures pourraient fonctionner. Je pense que nous allons nous retrouver avec un important problème de cannabis, quelle que soit la politique que nous adopterons. Néanmoins, je crois que nous devons viser une politique qui permettra de contenir le problème autant que possible. En faisant cela, je pense que le Canada pourra dire sans se tromper qu’il travaille dans le même sens que les objectifs des traités.

Merci de votre attention. Je peux maintenant répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Kleiman. Il y a effectivement des gens qui veulent vous poser des questions.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Les commentaires que vous avez faits au sujet de l’emballage, de l’information, des concentrations de THC et des interdictions concernent la commercialisation sont toutes des choses qui ont récemment été annoncées par le gouvernement dans le cadre d’un train de mesures. Je pense que, du point de vue de la santé publique, ces dispositions sont très robustes, mais le passage à la commercialisation différera d’une province à l’autre.

Dans ma province, l’Ontario, il a été décidé que cela allait être traité de la même façon que pour l’alcool, qui est distribué, mis en marché et vendu dans des magasins qui appartiennent au gouvernement et qui sont contrôlés par lui. Le cannabis sera vendu dans des magasins distincts, mais l’idée générale est la même que pour l’alcool. D’autres provinces ont adopté d’autres façons de faire.

Pourriez-vous nous dire si vous pensez qu’un système de distribution contrôlé par le gouvernement est une bonne façon d’éviter la commercialisation axée sur les intérêts commerciaux associés aux grands consommateurs? Assurément, c’est quelque chose dont nous pourrions parler. Il s’agirait d’un conseil lancé à l’intention des provinces. Ce n’est pas quelque chose que le gouvernement fédéral envisage de contrôler. Je pense que ce serait difficile à gérer sur le plan des compétences. Mais je ne suis pas certain de cela, car je n’ai pas examiné en quoi consisterait le cadre juridique à cet égard.

Pourriez-vous me dire ce que vous pensez de cela? Ensuite, j’aurais peut-être une deuxième question à vous poser.

M. Kleiman : Merci, sénatrice. C’est une question très pointue qui, j’en ai bien peur, demande une réponse compliquée. La chose la plus frustrante qu’un universitaire peut répondre à une question comme celle-là, c’est « eh bien, cela dépend », et malheureusement, dans ce cas-ci, je crois que c’est la réponse qui convient.

Aux États-Unis, il existe des endroits où la vente d’alcool a été organisée et contrôlée par l’État afin de décourager la consommation abusive. Malheureusement, la tendance est à la baisse et, de plus en plus, les offices de commercialisation des États se tournent vers la maximisation des recettes.

On me dit que c’est la même chose qui se passe en Ontario, à savoir que la Régie des alcools de l’Ontario est en fait un revendeur d’alcool assez efficace et peu scrupuleux, ce qui profite beaucoup aux coffres de la province, mais au grand détriment de la santé des résidents.

Je dirais donc que la vente au détail contrôlée par l’État est une excellente idée si elle est confiée au ministère de la Santé, mais pas une aussi bonne idée si elle est confiée au ministère du Revenu. C’est probablement mieux que la commercialisation directe, mais ce n’est probablement pas aussi bon que d’exiger que les fournisseurs soient des entreprises à but non lucratif, entreprises qui pourraient même être organisées en coopératives de consommateurs.

L’objectif est de ne laisser personne qui porterait une cravate passer ses journées entières à essayer de trouver les meilleures façons de faire en sorte que de plus en plus de gens se mettent à consommer de plus en plus de cannabis. L’objectif devrait être de rendre le cannabis accessible aux gens qui veulent l’utiliser avec modération, sans encourager les excès. Or, ce n’est pas un ministre cherchant à maximiser les recettes ou un PDG. cherchant à maximiser les profits qui va s’atteler à réaliser cet objectif.

La sénatrice Lankin : Deuxièmement, je reviendrais sur les observations que vous avez faites sur la possibilité d’encourager un régime où les gens pourraient fixer et contrôler leur propre limite — et la changer, peu importe. Quoi qu’il en soit, c’est une façon de les inciter à réfléchir à leur consommation. Cela a piqué ma curiosité, parce qu’un autre secteur qui rapporte beaucoup aux gouvernements, c’est celui du jeu.

Cela dit, l’Ontario continue d’avoir certains réflexes victoriens à ce sujet, et ce n’est pas une bonne chose, mais disons qu’un travail considérable a été fait pour tenter de contrer les problèmes liés aux jeux. Bien qu’une partie des recettes provenant de ce secteur contribue aux recettes générales du gouvernement, on en met beaucoup de côté pour financer les programmes d’intervention et toutes les autres mesures en ce sens.

L’une des mesures qui ont été prises — elle a été reconnue comme l’une des meilleures de ce genre et elle est maintenant adoptée dans d’autres pays —, c’est celle des systèmes intégrés aux systèmes d’exploitation des machines à sous, qui permettent aux joueurs de se fixer une limite lorsqu’ils commencent à jouer. Il s’agit d’une limite sur le nombre de dollars qu’ils veulent dépenser. Une partie de la commercialisation de la responsabilité sociale gravite autour d’un message qui ressemble à « connaissez votre limite et jouez en restant à l’intérieur de cette limite ». Maintenant, des contrôles ont été mis en place pour essayer d’encourager cela. Il est trop tôt pour dire si ces mesures seront efficaces. On s’est beaucoup intéressé à la façon dont fonctionnent ces contrôles, et des études longitudinales sont menées en parallèle.

J’aimerais savoir si vous connaissez des endroits où cette approche a été mise en place à l’égard du cannabis et si vous avez déjà vu ces mesures d’interventions relatives aux problèmes de jeu. Croyez-vous qu’il y aurait un bon parallèle à faire entre les deux secteurs, et que nous pourrions apprendre quelque chose de cela?

M. Kleiman : Oui, je crois qu’il y a un bon parallèle à faire avec le jeu. Ma connaissance des études sur les problèmes de jeu est limitée. Je vous aiguillerais sur ma collègue de la New York University, la professeure Natasha Dow Schüll, qui a écrit un livre sur les machines de jeu intitulé Addiction by Design: Machine Gambling in Las Vegas, un ouvrage très approfondi sur le jeu et la dépendance, qui a été écrit au terme de 20 ans d’échanges auprès de concepteurs de jeux et de « membres » de Gamblers Anonymous, les joueurs anonymes. C’est un véritable chef-d’œuvre d’ethnographie.

Le seul élément de preuve que j’ai pour affirmer que ce genre de limite personnelle est efficace, je l’ai obtenu de façon indirecte. Au Massachusetts, où cette règle a été mise en place, l’industrie du jeu a fait pression — avec succès — pour que ladite règle soit modifiée afin de permettre au joueur de changer sa limite tout en restant assis à la machine. Il semble donc que l’industrie ait trouvé cette réglementation suffisamment efficace pour essayer de la contourner, mais je laisserais au professeur Schüll le soin de vous renseigner sur les jeux de hasard.

En ce qui concerne la consommation de cannabis, à cause des traités, il y a eu très peu d’expérimentation dans le but de mettre au point des mesures de contrôle originales. Le seul exemple que je peux vous donner, c’est celui du système suédois. Pendant de nombreuses années, la Suède avait un quota personnel pour les spiritueux. Il s’agissait d’un quota fixe qui n’était pas déterminé par l’utilisateur. Or, cette limite a été abrogée dans les années 1950, et après cette abrogation, toutes les statistiques ont indiqué une augmentation des dommages liés à l’alcool, y compris la violence. Donc, ce quota imposé par l’État était apparemment efficace, mais bien sûr, il l’était dans les conditions « suédoises », c’est-à-dire appliqué à une population remarquablement respectueuse de la loi.

La sénatrice Lankin : Merci.

La présidente : J’ai une question complémentaire. La culture de la marijuana fera l’objet d’une grande commercialisation, et nous constatons l’arrivée d’un grand nombre d’entreprises et d’investisseurs de l’extérieur du Canada. Il y a aussi des entreprises canadiennes qui s’y intéressent et une possibilité qu’une partie du marché noir se convertisse à la culture.

Vos observations sur la commercialisation de la vente s’appliquent-elles aussi à la culture?

M. Kleiman : Je crois que oui, du moins, en partie. L’alcool nous fournit un bon exemple. Dans les États américains où les régies des alcools ont le monopole de la vente au détail et où elles cherchent à décourager la vente en limitant la publicité, le vide publicitaire est rempli par les fabricants. Ainsi, vous pouvez facilement imaginer une situation où les détaillants se montreraient responsables, mais où les producteurs chercheraient à pousser le produit avec beaucoup d’insistance. Si vous voulez être vraiment stricts à ce sujet, il vous suffit de refuser les marques de commerce dans le commerce du cannabis, ce qui aura pour effet de désactiver la publicité sans pour autant porter atteinte à la liberté d’expression.

Quoi qu’il en soit, je serais très préoccupé par la possibilité que les producteurs interviennent et cherchent à combler le vide commercial, et j’estime que la commercialisation devrait être restreinte. Selon moi, la commercialisation du cannabis devrait se limiter à des indications sur la composition du produit, sur son prix et sur les endroits où vous pouvez l’acheter. J’imagine que ce serait l’équivalent du genre d’annonce que les courtiers en valeurs mobilières sont autorisés à faire aux États-Unis : cette valeur mobilière est offerte à tel ou tel prix et en voici les perspectives. Je ne vois aucune raison de permettre l’utilisation de formules persuasives pour encourager les gens à augmenter leur consommation de cannabis.

La présidente : Merci.

M. Kleiman : À cet égard, je suis plutôt puritain.

La sénatrice Bovey : Merci, monsieur. J’ai trouvé votre exposé intéressant. Je voudrais revenir à l’aspect des politiques internationales, si vous le permettez, et à la discussion que nous venons d’avoir au sujet des traités et des démarches qu’il conviendra de faire pour nous retirer de ces traités et pour nous y joindre à nouveau.

Vous avez parlé de l’ampleur du marché illicite du cannabis aux États-Unis. Vous avez aussi dit que les États-Unis légaliseront la marijuana, et je me demande si vous avez une idée du moment où cela se fera. Le cas échéant, même si des mesures sont prises en ce sens, quels effets cela aura-t-il sur les traités dont sont signataires les États-Unis et le Canada?

M. Kleiman : Je dois vous prévenir que mes pouvoirs en matière de prévisions politiques sont quelque peu limités. J’avais prédit dans les années précédant les élections de 2016 que nous légaliserions le cannabis au cours du deuxième mandat d’Hillary Clinton. Je prédis encore que c’est ce qui se passera. Je crois que le président qui sera élu en 2020 inclura probablement dans son programme la légalisation du cannabis et fera élire un Congrès qui le permettra. Je suis d’avis qu’il faudra que les États-Unis se posent la même question à laquelle vous répondez actuellement. Que se passera-t-il avec les traités?

Nous avons l’option, comme nous l’avons entendu plus tôt, de nous retirer des traités et d’y réadhérer en formulant une réserve. C’est certainement une possibilité, et il semble très improbable qu’un tiers des signataires rejette le renouvellement de l’adhésion du Canada ou des États-Unis.

L’autre approche que j’ai entendue est présentée dans un article récemment publié par des chercheurs de Transcrime qui se sont penchés sur les aspects internationaux de cette question et qui proposent ce que nous appelons un accord inter se, qui permet à certaines parties à un traité actuel de conclure un accord parallèle. Les points de droit abordés dans cet article dépassent mes compétences, mais les chercheurs font valoir que le Canada, l’Uruguay et peut-être les États-Unis et d’autres pays qui voulaient faire l’essai d’une autre forme de politiques ayant trait aux cannabis pourraient, conformément au droit, conclure un accord inter se, mais je vais laisser aux avocats le soin de se prononcer sur cet aspect. Je me sens dépassé lorsque les gens se mettent à citer la Convention de Vienne sur le droit des traités.

La sénatrice Bovey : Merci de votre réponse. Je crois que c’est intéressant et que cela vaut la peine d’explorer cette question.

La présidente : Avant de poursuivre, M. Kleiman a dit qu’il n’était pas avocat et qu’il laissait à d’autres le soin de se prononcer. Je vois que M. Hoffman souhaite faire un commentaire à ce sujet. Voulez-vous ajouter quelque chose? Nous pouvons amorcer ce débat.

M. Hoffman : Merci beaucoup de me donner l’occasion de faire un commentaire.

J’aimerais seulement préciser quelque chose au sujet des accords inter se. Ces accords existent bel et bien en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, sauf qu’il s’agit d’un mécanisme qui vise à permettre à des pays d’avoir des règles plus strictes que ce qu’exigent les traités. Par exemple, un tel accord permettrait au Canada et à d’autres pays non seulement d’avoir un régime pour réglementer certaines drogues, mais aussi d’en inclure d’autres. Ces accords ne sont pas conçus en vue de permettre à des pays de réduire leurs obligations. Cette option est possible dans le cas inverse, mais pas dans le cas présent.

La sénatrice Bovey : Merci de cette précision.

Revenons donc à la situation qui prévaut. Nous avons des États américains qui ont légalisé le cannabis. Expliquez-moi comment cette situation s’inscrit dans les traités internationaux. Nous en avons un de 57 ans, un autre de 46 ans et un autre de 30 ans. Nous savons tous que la société évolue; nous en avons été témoins tout au long de notre vie. La société a évolué depuis 30,46 et 57 ans.

Étant donné que le Canada envisage d’aller dans cette direction et que je crois que quatre États américains ont déjà légalisé le cannabis, quels effets cela a-t-il sur les accords internationaux?

M. Kleiman : Ce sont en fait maintenant neuf États qui ont légalisé le cannabis.

La sénatrice Bovey : Merci de m’avoir corrigée.

M. Kleiman : Notamment la Californie, qui est plus ou moins un pays à elle seule. Je souligne que la Californie a seulement légalisé le cannabis à certains égards. Lorsque les gens font référence au marché du cannabis dans l’État de Washington, je dois leur rappeler que ce n’est pas un marché légal du cannabis. Tout ce qui se passe dans ce marché contrevient à la loi fédérale.

Lorsque mon cabinet a conseillé la régie des alcools de l’État de Washington, au moment de sa transition vers la régie des alcools et du cannabis de l’État de Washington, au sujet de l’élaboration de son système réglementé, je devais rappeler aux personnes qu’elles délivraient des permis pour commettre des crimes fédéraux. Nous nous retrouvons donc dans un contexte très inconfortable aux États-Unis où les États délivrent des permis et perçoivent des taxes sur des choses que la loi fédérale considère comme des infractions. Je ne crois pas que c’est une situation stable.

Je vais laisser M. Hoffman se prononcer sur les aspects ayant trait au droit international en la matière. Selon ce que j’en comprends, nous entendons deux histoires différentes. L’histoire que racontent maintenant les États-Unis, c’est que les traités reconnaissent l’existence des systèmes fédéraux et qu’ils n’insistent pas pour que les États des parties aux traités exercent un pouvoir qu’ils n’ont pas. Le gouvernement fédéral américain n’a pas le pouvoir en vertu de la Constitution d’exiger qu’un gouvernement d’un État interdise le cannabis. Le gouvernement fédéral peut adopter sa propre loi, mais il ne peut pas exiger que les États adoptent une loi similaire.

Selon une interprétation, les États-Unis n’ont rien à se reprocher, et les divers États sont des signataires distincts et ne contreviennent pas à la Constitution, parce qu’ils n’ont pas l’obligation d’adopter la même loi que le gouvernement fédéral. Mes collègues avocats spécialisés en droit international affirment que non et que cela ne tient pas vraiment la route. Comme ils sont signataires, les États-Unis ont la responsabilité de veiller à l’application de leur loi dans l’ensemble de leur territoire.

Le problème aux États-Unis est que le gouvernement fédéral n’a pas la capacité opérationnelle d’appliquer les lois sur le cannabis à moins que les États veuillent lui prêter main-forte. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à cela, si ce n’est que je m’attends à ce que cette tendance se poursuive. Je m’attends à ce que de plus en plus d’États légalisent le cannabis. L’opinion publique aux États-Unis appuie maintenant à plus de 60 p. 100 la légalisation.

La sénatrice Bovey : C’est intéressant. Je crois comprendre que la consommation de cannabis chez les jeunes au Colorado est passée de 12 à 9 p. 100 d’après les données de l’enquête nationale de 2017 sur la consommation de drogues.

M. Kleiman : Vous devez être très prudents lorsque vous utilisez les données ventilées par État et tirées des enquêtes nationales sur la consommation de drogues et la santé et les fluctuations interannuelles. Dans l’ensemble des États-Unis, la consommation de cannabis chez les jeunes ne connaît pas une croissance aussi marquée que la consommation de cannabis chez les adultes. C’est partiellement parce que la consommation de cannabis et le tabagisme sont étroitement liés et que le tabagisme chez les jeunes aux États-Unis diminue heureusement très rapidement. Je ne crois pas que nous puissions actuellement dire ce que seront les effets de la légalisation à l’échelle de l’État sur la consommation chez les jeunes à long terme, mais nous pouvons certainement dire que les résultats sont jusqu’à présent relativement encourageants.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.

La présidente : Je crois que nous avons épuisé nos questions. Nous nous excusons des problèmes que nous avons eus avec la vidéoconférence plus tôt.

La sénatrice Lankin : Je viens de me rendre compte de quelque chose au sujet de la question qui m’intéresse concernant la relation entre la légalisation dans les États et la violation des traités internationaux. Je devrais le savoir, mais je ne sais pas si les États-Unis en sont des signataires. C’est peut-être le cas. M. Hoffman pourrait-il également faire un commentaire à ce sujet?

M. Hoffman : Certainement. Merci de m’en donner l’occasion. Je confirme ce que les collègues spécialistes en droit international de M. Kleiman lui ont dit, c’est-à-dire que les États contreviennent à ces traités. La raison pour laquelle il est difficile de dire que c’est entièrement la faute des États-Unis, c’est que le gouvernement fédéral américain ne détient pas le pouvoir en matière de droit pénal. Contrairement au Canada, où le même ordre de gouvernement s’occupe des relations étrangères et du droit pénal, aux États-Unis, ce n’est pas le même ordre de gouvernement qui s’en occupe.

C’est une caractéristique commune du fédéralisme. Donc, au Canada, avant de pouvoir pleinement mettre en œuvre un accord commercial, le gouvernement fédéral collabore et négocie avec les diverses provinces pour faire en sorte que cela fonctionne. C’est la responsabilité du gouvernement fédéral américain de collaborer avec ses États pour s’assurer du respect des traités internationaux, mais il est difficile de jeter la faute sur le gouvernement fédéral, étant donné qu’il a comme politique de respecter rigoureusement les traités, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose compte tenu des aspects liés à la santé publique. D’un point de vue juridique, c’est difficile de jeter le blâme sur le gouvernement fédéral.

La sénatrice Lankin : Donc, les États y contreviennent, et ce, depuis longtemps, n’est-ce pas?

M. Hoffman : Oui.

M. Kleiman : La situation réelle aux États-Unis est légèrement... Aux États-Unis, nous avons des systèmes de justice pénale parallèles. D’un côté, nous avons le système du gouvernement fédéral; de l’autre, nous avons celui des États. Il y a donc une loi fédérale qui criminalise le cannabis, mais la majorité de nos ressources en matière d’application de la loi se trouvent en fait dans les États et les municipalités. Bref, lorsqu’un État légalise le cannabis et arrête d’appliquer la loi fédérale, le gouvernement fédéral n’a tout simplement pas suffisamment d’agents pour s’en occuper. Les villes et les États américains ont environ 500 000 policiers, alors que la DEA a seulement 4 000 agents. Le gouvernement fédéral ne peut quasiment pas combler ce vide, mais il détient le pouvoir en matière de droit pénal et il l’exerce.

La présidente : Si je comprends bien votre conclusion, les États-Unis respecteraient techniquement les traités, parce que le gouvernement fédéral n’a pas indiqué son intention de légaliser le cannabis d’une manière ou d’une autre. Est-ce que je vous comprends bien?

M. Kleiman : Certains ont fait valoir cet argument, mais M. Hoffman et mes collègues qui se spécialisent dans le droit international affirment que ce n’est pas exact.

La présidente : D’accord. Est-ce la position du gouvernement fédéral? Est-ce bien ce que vous dites?

M. Kleiman : La position du gouvernement fédéral est que les États-Unis respectent les traités, parce que nous avons une loi fédérale et que les traités permettent une certaine souplesse. Lorsque le Colorado et l’État de Washington ont légalisé le cannabis, nous avons changé notre fusil d’épaule quant à la question de savoir si les traités permettent une certaine souplesse. Auparavant, les États-Unis insistaient pour dire que les traités étaient complètement rigides et que la Bolivie, par exemple, ne devrait pas pouvoir réadhérer à la convention en formulant une réserve relativement à la consommation traditionnelle de la feuille de coca. Toutefois, dès que nos États ont choisi d’aller dans l’autre direction, le département d’État a fait volte-face.

La présidente : Il est donc question ici davantage de relations internationales ayant trait à la politique plutôt qu’au droit.

M. Kleiman : Ou nous pourrions dire que nous sommes revenus au Code d’Hammourabi; tout dépend du bœuf qui est égorgé.

La présidente : Ce n’était pas la note sur laquelle je souhaitais conclure notre réunion, mais nous devrons nous en contenter.

Messieurs Hoffman et Kleiman, vous nous avez aidés dans notre étude et vous nous avez peut-être aussi donné des renseignements concernant d’autres aspects qui nous aideront peut-être dans nos travaux futurs. Merci d’avoir accepté notre invitation. Nous nous excusons encore une fois des problèmes avec la vidéoconférence, et nous espérons que cela n’a pas nui à nos discussions.

(La séance est levée.)

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