Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 28 - Témoignages du 18 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 18 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (la situation des migrants en Asie du Sud-Est).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a pour mandat d'étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude de la situation des migrants en Asie du Sud-Est.

Avant d'en venir au rapport, je dois vous signaler que ce sera malheureusement aujourd'hui la dernière séance à laquelle prendra part la sénatrice Fortin-Duplessis. Au nom du comité, je tiens à lui rendre hommage pour le travail qu'elle a accompli. À son arrivée au Sénat, elle a choisi les affaires étrangères et le commerce international. Je sais qu'elle a été députée et qu'elle a une vaste expérience du Parlement. Mais je n'avais pas réalisé à quel point elle connaît les enjeux des affaires étrangères et du commerce international. La vaste expérience qu'elle a acquise de l'autre côté nous a été très utile. C'est probablement le sénateur le plus assidu. Elle s'est toujours bien préparée et a toujours été prête à répondre aux questions, en cédant la parole aux autres lorsque je le lui demandais.

Sans trop m'étaler parce que je sais qu'elle se soucie toujours du contenu, je tiens à dire que le service public a été la priorité dans sa vie. Pour nous tous et en particulier pour les jeunes femmes, elle a été un exemple et un modèle tout au long de ces années. En effet, elle écoutait attentivement les jeunes femmes qui venaient lui rendre visite à son bureau. En fait, certaines d'entre elles étaient ses collaboratrices et elle a été très présente pour elles. Il faudrait signaler à l'occasion d'une séance télévisée que des sénateurs tels que Mme Fortin-Duplessis se distinguent tout particulièrement, mais qu'elle n'est pas la seule. Elle fait partie de ces sénateurs qui prennent leurs responsabilités très au sérieux.

Au nom de tous les membres ici présents, je tiens à vous dire, madame la sénatrice, à quel point nous avons apprécié votre travail et votre contribution. Quand on dit que vous manquerez à beaucoup de monde, madame la sénatrice Fortin-Duplessis, vous nous manquerez certainement au comité. Nous vous sommes très reconnaissants de votre amitié. Nous espérons que vous continuerez à suivre nos travaux et à nous conseiller, et nous savons que vous continuerez d'accorder une attention toute particulière au service public.

À l'occasion de cette dernière séance avec nous et au nom de tous les membres, nous vous présentons nos meilleurs vœux pour l'avenir.

Des voix : Bravo!

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'aimerais faire un petit commentaire. Moi aussi, j'ai beaucoup aimé travailler avec vous, madame la présidente, j'ai aussi bien aimé voyager avec vous et avec tous nos collègues. Vous allez tous me manquer, je vous remercie pour votre gentillesse et pour tout ce que vous avez pu faire pour moi au cours de ces six années et demie.

Alors, je quitte le Sénat; il est évident que le monde parlementaire, les interventions au Sénat, et le travail lié aux projets de loi et aux comités vont beaucoup me manquer. D'autre part, je commençais à trouver un peu difficiles tous ces déplacements. Ceux qui ont décidé de faire en sorte que la retraite du Sénat commence à notre 75e anniversaire l'ont fait avec beaucoup d'expérience. Merci infiniment pour les commentaires que vous avez faits à mon endroit, ils sont très positifs, et je vais m'en souvenir longtemps.

[Traduction]

La présidente : Je suis sûre que la sénatrice dirait : « Et maintenant, mettons-nous au travail. » Et c'est ce que je vais faire.

Nous passons maintenant à la situation des migrants en Asie du Sud-Est, justement au moment où nous finissons l'étude de cette région. Le rapport va aller sous presse et n'a pas encore été déposé. Nous avons examiné la question de la population Rohingya en Birmanie et dans la région. Nous avons pris connaissance des problèmes de réinstallation de ces populations. Depuis notre rapport, il y a eu de nouveaux développements dans la région et l'enjeu a pris de l'importance. Voilà pourquoi nous avons pensé qu'il fallait nous mettre au courant de la situation actuelle, aux fins de nos prochains travaux.

Nous avons donc le plaisir d'accueillir des représentants d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada qui ont accepté, à court préavis, de nous présenter une brève mise à jour. Nous avons avec nous Mme Susan Gregson, sous-ministre adjointe, Asie-Pacifique; M. Peter MacArthur, directeur général, Asie du Sud, du Sud-Est et de l'Océanie; et M. Jeff Nankivell, directeur général, programmation en Asie.

Comme vous connaissez tous très bien le comité, nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue. C'est vous qui commencez, madame Gregson. Bienvenue au comité. Vous savez que nous aurons des questions à vous poser.

[Français]

Susan Gregson, sous-ministre adjointe, Asie-Pacifique, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Je vous remercie de cette invitation à prendre la parole aujourd'hui pour faire le point sur la situation récente des migrants de la mer d'Andaman et de la baie du Bengale.

[Traduction]

Pendant des années, des passeurs ont transporté des migrants des côtes du Bangladesh et de l'État de Rakhine, en Birmanie, vers d'autres endroits de l'Asie du Sud-Est, avec pour principale destination la Malaisie. L'itinéraire le plus fréquent consistait à se rendre par la mer dans le Sud de la Thaïlande. Les migrants étaient alors souvent retenus dans des camps jusqu'à ce qu'eux-mêmes ou des parents puissent payer des frais additionnels aux passeurs. De là, ils étaient transportés par voie terrestre en Malaisie.

La brutalité sous forme de coups, de violence sexuelle et même de meurtres était monnaie courante en mer et dans les camps. Dans certains cas, lorsque les familles étaient incapables de payer les passeurs, les migrants étaient vendus comme main-d'œuvre corvéable. Selon l'Organisation internationale pour les migrations, l'OIM, de 2012 à 2015, 160 000 migrants rohingyas et bangladais auraient payé des passeurs pour faire ce voyage. Sur ce nombre, on en comptait 25 000 pendant le premier trimestre de cette année seulement, soit le double par rapport à la même période de l'année précédente.

Le 4 mai 2015, après la découverte de fosses communes contenant supposément les corps de migrants rohingyas et bangladais, dans des camps de passeurs dans le Sud de la Thaïlande, la crise actuelle a commencé à faire l'objet d'une large couverture médiatique. Cette situation a incité le gouvernement thaïlandais à sévir contre les réseaux de passeurs. Des camps installés par les passeurs, y compris des preuves d'emprisonnement et de tortures, de même que 139 tombes ont aussi été découverts en Malaisie. Par crainte d'être arrêtés, les passeurs sur le continent ont fui les camps, en abandonnant les migrants dans la jungle, tandis que les équipages en mer les ont laissés à bord de bateaux voguant à la dérive, dans certains cas, sans nourriture ni eau et sans moteurs fonctionnels.

Lorsque les gouvernements thaïlandais, malaisiens et indonésiens ont découvert la présence de bateaux de migrants dans leurs eaux territoriales, leur première réaction a été de fournir aux migrants des embarcations ainsi que du carburant, des vivres et de l'eau en quantité limitée, puis de les repousser dans les eaux internationales. Cette situation a soulevé un tollé des organisations internationales, qui estimaient que 7 000 personnes environ pouvaient avoir été abandonnées en mer.

Le 20 mai 2015, en réponse à la pression internationale, et à la suite d'une réunion des ministres thaïlandais, malaisiens et indonésiens des Affaires étrangères, la Malaisie et l'Indonésie ont signé une entente qui autorise les migrants à débarquer sur leur territoire. En contrepartie, il est prévu que la communauté internationale les aide à prendre soin d'eux et qu'elle les réinstalle ou les rapatrie dans un délai d'un an. Ultérieurement, le 29 mai 2015, la Thaïlande a organisé une réunion plus générale pour discuter des migrations irrégulières dans l'océan Indien. L'ambassadeur du Canada en Thaïlande y a participé à titre d'observateur.

Plusieurs propositions et recommandations ont alors été présentées. Elles visaient, par exemple, à intensifier les opérations de recherche et sauvetage ainsi qu'à renforcer les capacités des forces de l'ordre nationales pour réprimer le trafic des migrants et la traite des êtres humains. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l'UNHCR, en date du 9 juin 2015, environ 2 000 personnes pouvaient encore se trouver en mer.

[Français]

Les raisons qui ont poussé tant de Rohingyas et de Bangladais à faire appel à des passeurs sont multiples et complexes.

Le gouvernement birman ne reconnaît pas les Rohingyas de la Birmanie (Myanmar) comme des citoyens. Même si bon nombre d'entre eux vivent dans ce pays depuis des générations, ils sont largement perçus comme des migrants économiques issus du Bangladesh. Entre juin et octobre 2012, des tensions latentes et persistantes entre la majorité bouddhiste de l'État de Rakhine et les Rohingyas musulmans ont donné lieu à des vagues de violence, si bien que des centaines de milliers de Rohingyas ont fui leurs foyers. Près de trois années plus tard, environ 140 000 d'entre eux vivent dans des conditions abjectes, dans des camps de personnes déplacées où ils n'ont pas accès à des services de base et où leur liberté de mouvement est réprimée sévèrement.

[Traduction]

Il est à noter, cependant, que l'afflux de migrants, au cours des derniers mois, ne semble pas découler d'une détérioration importante des conditions locales. En effet, la situation sécuritaire est meilleure maintenant qu'il y a un an ou deux, même si les conditions générales pour les Rohingyas, notamment dans les camps, demeurent extrêmement difficiles. Cet afflux semble davantage imputable à la présence de nombreux trafiquants qui aident des personnes cherchant déjà à partir. De même, ces trafiquants peuvent investir dans de nouvelles capacités. Une forte demande de main-d'œuvre non qualifiée en Malaisie exerce aussi une grande force d'attraction.

La Birmanie estime que la situation actuelle est un problème régional de criminalité liée à la traite des êtres humains et aux migrations illégales, ce qui est vrai en partie. De même, selon elle, toute affirmation selon laquelle la principale cause réside dans le traitement réservé aux Rohingyas ne vise qu'à « entacher sa réputation ».

Le gouvernement du Bangladesh estime qu'entre 200 000 et 500 000 Rohingyas se trouvent sur son territoire. De ce nombre, 32 000, seulement, sont inscrits au registre des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Il a autorisé la prestation de services à certains de ces réfugiés, mais il craint également que cela attire encore plus de Rohingyas au Bangladesh. Il continue d'affirmer catégoriquement que la seule solution à long terme pour les Rohingyas est de retourner en Birmanie. Il reste à savoir si les Rohingyas avec l'aide des passeurs résidaient au Bangladesh depuis quelque temps ou s'ils ont franchi la frontière du Bangladesh en vue d'accéder aux bateaux de migrants.

[Français]

Les ressortissants bangladais quittent le pays, surtout pour des raisons économiques, car les possibilités d'emplois légitimes outre-mer, en particulier en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et en Malaisie, ont considérablement diminué au cours des dernières années. Le Bangladesh a accepté de rapatrier tous les ressortissants et les Rohingyas qui sont déjà inscrits au registre des réfugiés, mais il n'acceptera pas d'autres Rohingyas.

[Traduction]

En 2014, le Canada a offert 8,1 millions de dollars d'aide humanitaire à des partenaires expérimentés en Birmanie pour répondre aux besoins immédiats des populations touchées par la guerre et déplacées dans le pays, y compris les Rohingyas dans l'État d'Arakan. Le Canada a également offert 800 000 $ d'aide à des agences humanitaires des Nations Unies au Bangladesh pour répondre aux besoins immédiats des réfugiés rohingyas. Des fonds supplémentaires de 2,1 millions ont également été procurés à l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, pour soutenir ses efforts visant à assurer des services et une protection de base aux réfugiés, aux personnes déplacées et aux autres populations vulnérables dans la région de l'Asie-Pacifique. Le Canada examine actuellement les besoins dans l'ensemble des régions touchées par des crises humanitaires prolongées en 2015, y compris en Birmanie.

De plus, depuis 2011, le Canada a accordé plus de 16,9 millions de dollars à l'appui de l'exécution de la loi et du renforcement des capacités de sécurité frontalière aux pays du Sud-Est asiatique dans le cadre d'efforts continus pour empêcher et dissuader les réseaux criminels de mener des activités de passage de clandestins qui visent le Canada. Si la situation actuelle ne concerne pas les bateaux à destination du Canada, la capacité créée grâce à ces programmes renforce la sécurité de la région dans son ensemble.

[Français]

Le Canada a ouvert une ambassade en Birmanie l'année dernière. Les représentants de l'ambassade se sont rendus dans l'État d'Arakan plus tôt cette année, y compris dans le camp près de Sittwe, et ont visité l'ensemble de la partie nord de l'État, notamment des villages dans lesquels se sont réinstallés des survivants des conflits. Au cours de ces visites, notre ambassadeur s'est entretenu avec le ministre principal chargé de la situation dans le cadre d'une rencontre officielle à Sittwe. De plus, l'ambassadeur soulève systématiquement la question du respect des droits de la personne dans l'État d'Arakan, dans le cadre de chacune de ses nombreuses rencontres avec des hauts fonctionnaires, et il participe à des actions conjointes de sensibilisation avec des ambassades de pays aux vues similaires. Au Bangladesh, notre ambassade s'est également jointe au gouvernement pour offrir de l'aide humanitaire aux Rohingyas.

[Traduction]

De plus, l'ambassadeur canadien responsable de la liberté de religion a récemment rencontré le ministre des Affaires étrangères et le sous-ministre des Affaires religieuses birmans à l'occasion d'une visite en Birmanie. Il a plaidé pour que cessent les persécutions contre les Rohingyas et a également annoncé le financement, par le Canada, de deux projets en Birmanie à même le Fonds pour la liberté de religion du Canada. Les projets visent à promouvoir la liberté de religion grâce à des activités éducatives et à renforcer la capacité de la société civile à répondre aux violations de la liberté de religion.

[Français]

Nous continuerons de collaborer avec nos partenaires afin d'assurer le respect du principe de non-renvoi des demandeurs d'asile et des réfugiés, et de répondre aux besoins de protection des personnes vulnérables telles que les Rohingyas, conformément aux lois internationales. Le Canada persévérera également dans ses efforts avec ses partenaires internationaux et birmans pour promouvoir la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit en Birmanie, et il poursuivra ses activités de défense des causes de la liberté de religion et de la protection des droits de la personne avec les autorités birmanes. De même, le Canada continuera de soutenir le développement socio-économique du Bangladesh. Je vous remercie, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente : Merci. Est-ce que ces messieurs qui vous accompagnent répondront à des questions?

Mme Gregson : Oui.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous remercie tous les trois d'avoir bien voulu accepter notre invitation à comparaître devant notre comité. J'aimerais vous poser une question, madame Gregson, qui n'est pas tout à fait en lien avec votre déclaration, mais qui m'interpelle beaucoup.

On lisait dernièrement dans les journaux que des bateaux remplis de réfugiés sont arrivés en Indonésie. Tantôt, vous avez indiqué que les passeurs ne leur donnent rien à boire et à manger avant de les faire traverser en bateau.

Lors de notre dernier déplacement, nous nous sommes rendus à Jakarta. Depuis, y a-t-il d'autres bateaux qui sont arrivés en Indonésie? Peut-être que c'était des Rohingyas qui étaient à bord. Je ne suis pas certaine. J'aimerais savoir ce qui s'est passé dans ce cas précis.

Mme Gregson : Je vous remercie, madame la sénatrice, pour votre question. Je crois qu'il y a environ 2 000 personnes qui sont toujours à bord des bateaux dans la région. Le gouvernement indonésien, avec l'aide des États- Unis, a conduit des opérations de recherche et de secours pour ces bateaux.

En ce qui concerne les réfugiés qui se sont retrouvés en Indonésie, je vous fournirai davantage d'information par écrit. Je ne sais pas si Peter dispose d'autres renseignements.

Peter MacArthur, directeur général, Asie du Sud, du Sud-Est et de l'Océanie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : L'Indonésie a accepté des centaines de réfugiés après la publication d'un communiqué le 20 mai dernier entre les gouvernements de l'Indonésie, de la Malaisie et de la Thaïlande. Ils ont accueilli ces réfugiés sur la côte de Banda Aceh, où se trouvent bon nombre de ces réfugiés. Les Indonésiens ont éventuellement accepté la responsabilité de protéger ces réfugiés.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Compte tenu de la situation en Birmanie, de la société civile et du personnel politique comme Aung San Suu Kyi, on a sévèrement critiqué son silence devant les atrocités commises contre les Rohingyas. Elle a répondu qu'elle était une politique et non un défenseur des droits de la personne. Des élections générales auront lieu à l'automne de 2015, et le président de la Birmanie semble s'être refocalisé sur l'accord national de cessez-le-feu. Pourquoi est-ce si important maintenant et pensez-vous que cela aboutira à quelque chose?

Mme Gregson : Merci beaucoup pour votre question. En ce qui concerne l'accord national de cessez-le-feu, il a été conclu entre divers groupes en conflit armé depuis des décennies. En Birmanie, seulement 60 p. 100 de la population appartient à l'ethnie birmane, tandis que 40 p. 100 appartient à diverses communautés ethniques. Ces communautés sont en conflit armé entre elles et avec la majorité birmane depuis de nombreuses années. L'accord national de cessez- le-feu est le résultat de nombreux mois de négociations, et, quand je suis allée en Birmanie, en juillet dernier, j'ai pu rencontrer certains des négociateurs. C'est avec optimisme qu'ils croyaient alors que tiendraient les ententes et les obligations découlant du cessez-le-feu. Nous gardons l'œil ouvert. Notre ambassadeur nous communique fréquemment des rapports à ce sujet, et, pour que le pays progresse, il importe que les accords de cessez-le-feu restent en vigueur.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie pour votre exposé. J'ai un certain nombre de questions pour vous, mais je commencerai par celle-ci : pendant beaucoup d'années, nous avons été nombreux à œuvrer à l'ouverture de la Birmanie, ce qui, heureusement, en grande partie grâce à vous, est arrivée. Qu'il est pénible de constater que la personne que nous avons aidée le plus, Aung San Suu Kyi, non seulement ne dit rien contre ce problème terrible, alors que le monde s'est mobilisé pour elle, quand elle était en difficulté, mais elle nous dit aujourd'hui même que nous devons nous montrer très prudents, parce que c'est une question très délicate. Je sais que notre ministre des Affaires étrangères, M. Baird, quand il est allé dans son pays, a très bien souligné l'importance, pour elle, de donner le ton. Je ne vous demande pas de divulguer de secrets. Je sais que, pour la diplomatie, c'est très délicat, mais le Canada a défendu ses droits, et j'estime qu'elle nous a fait faux bond. J'ignore si vous pouvez nous livrer votre opinion à ce sujet.

Mme Gregson : Merci pour votre question. La situation birmane est très complexe. Beaucoup de progrès ont été réalisés au début de la période de la réforme. Nous avons vu la remise en liberté de prisonniers politiques, notamment d'Aung San Suu Kyi, la disparition de la censure, la formation de partis politiques d'opposition. De vieux problèmes subsistent, par exemple les contraintes imposées aux réunions pacifiques, à la liberté de la presse et ainsi de suite. Nous constatons beaucoup de violations des droits de la personne. Nous posons régulièrement la question de la perception des Rohingyas dans l'Arakan, et beaucoup de Birmans croient que ce sont des migrants illégaux du Bangladesh. Leur religion musulmane, différente de celle de la majorité bouddhiste de l'Arakan, cause des problèmes. Sans faire de suppositions sur les motivations ou l'opinion d'Aung San Suu Kyi, c'est un point de vue largement répandu dans ce pays.

La sénatrice Jaffer : Je tiens aussi à reconnaître tout le travail que M. Bennett fait au nom du Canada en Birmanie. Il est sûr qu'il est très bien reconnu par des personnes comme moi qui apprécient l'apport du Bureau de la liberté de religion. Je sais qu'il a envoyé des agents là-bas pour travailler sur ces questions. Vous avez fait allusion au Fonds pour la liberté de religion, créé par le gouvernement, aux projets visant à promouvoir la liberté de religion. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qu'il réalisera, grâce à la sensibilisation, et comment il aidera la société civile à s'attaquer à ces problèmes aussi?

Mme Gregson : Merci beaucoup. En fait, M. Bennett vient tout juste d'aller en Birmanie, du 1er au 7 mai. Il y a rencontré le ministre des Affaires étrangères et le sous-ministre des Affaires religieuses. Nous utilisons donc son bureau, le Bureau de la liberté de religion, pour mobiliser nos amis et nos alliés, ceux qui partagent notre point de vue. En fait, pendant sa visite, il a été accompagné de l'ambassadeur itinérant des États-Unis pour la liberté internationale de religion, David Saperstein. Les deux ont donc travaillé ensemble. Parmi les projets annoncés, le Fonds pour la liberté de religion en destine deux à la Birmanie, pour propager des messages en faveur du pluralisme et de la tolérance grâce à la sensibilisation. Ils rendront la Birmanie capable de réagir aux violations de la liberté de religion.

La sénatrice Jaffer : Ces gens pourront-ils jamais regagner leurs foyers? Sinon, quel rôle le Canada jouera-t-il pour leur accorder l'asile? Le Canada l'a fait pour moi et pas seulement pour moi, mais pour des milliers d'autres devenus des réfugiés en Ouganda. Jamais je n'oublierai ce bienfait. Qu'arrivera-t-il aux Rohingyas? Je n'ai pas vu pour eux cette sorte d'émotion débordante dont nous, les Ougandais, avons profité. Ce n'est pas le bon moment, peut-être; je ne critique pas. Que prévoit-on de faire pour procurer un foyer aux Rohingyas?

Mme Gregson : Merci de cette question. Quand on parle aux acteurs humanitaires, comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, on constate qu'ils préfèrent toujours retourner les gens chez eux et trouver une solution pacifique. La deuxième approche consiste à trouver une sorte de solution régionale. Ce n'est que lorsque ces démarches échouent qu'on fait appel à la communauté internationale pour une réinstallation. Nous envisageons encore le rapatriement et la résolution de la situation à l'échelle locale. Certains pays de la région ont imposé une limite; ils porteront assistance aux Rohingyas et aux Bangladais qui ont quitté leurs maisons, mais ils veulent une solution internationale d'ici un an. Ce sera une période intéressante à observer.

La sénatrice Eaton : Juste pour donner suite à la question de la sénatrice Jaffer, certains Rohingyas sont installés en Birmanie depuis bien des générations, selon votre exposé. Se trouvent-ils là depuis 30, 40 ou 50 ans? En avez-vous une idée approximative? Les générations sont différentes maintenant.

Mme Gregson : Oui, mais je n'ai pas de date exacte. Peut-être que Peter le saurait.

M. MacArthur : C'est depuis des centaines d'années.

Mme Gregson : Des centaines d'années.

La sénatrice Eaton : Des centaines d'années?

Mme Gregson : Oui. Je crois comprendre qu'ils y sont initialement allés à titre de travailleurs migrants pour travailler dans certaines cultures. Était-ce les rizières de la région?

M. MacArthur : Les Britanniques les ont encouragés à migrer.

Mme Gregson : Oui, ils les ont fait entrer au pays. Peut-être vaudrait-il mieux que vous répondiez à cette question, Peter.

M. MacArthur : Pendant des centaines d'années, les Rohingyas sont arrivés du Moyen-Orient en tant que commerçants arabes qu'on pourrait qualifier de minorité visible de confession musulmane. Ce n'est que depuis 1948, quand le pays a déclaré son indépendance à l'égard des Britanniques, que ce genre de tension s'est manifesté. Le gouvernement birman actuel tente de faire une distinction entre ceux qui sont entrés au pays depuis 1948 et ceux qui y étaient déjà avant l'indépendance de la Birmanie. Cette discrimination est très difficile à appliquer et n'est évidemment pas la chose à faire. Voilà qui résume en quelque sorte l'histoire.

La sénatrice Eaton : Le gouvernement envisagera-t-il d'accorder la citoyenneté aux Rohingyas qui étaient au pays avant 1948, il y a 60 ou 70 ans?

Mme Gregson : Il ne les considère pas comme des citoyens birmans et pense qu'ils devraient retourner chez eux.

La sénatrice Eaton : C'est-à-dire au Bangladesh.

Mme Gregson : Il pense que c'est le Bangladesh.

La sénatrice Eaton : Le Bangladesh ne les acceptera pas non plus.

Mme Gregson : Non.

La sénatrice Eaton : A-t-on exercé des pressions sur le Bangladesh?

Mme Gregson : Je pense que l'on compte sur le gouvernement birman pour résoudre la situation de la minorité ethnique qui habite à l'intérieur du pays depuis des centaines d'années.

M. MacArthur : Le sous-ministre des Affaires étrangères du Bangladesh, autrefois à la tête de l'Organisation internationale pour les migrations, a visité la Birmanie à quatre reprises au cours des deux ou trois derniers mois et tient des discussions de haut niveau avec le gouvernement birman afin de voir ce qu'on peut faire, car de nombreux Rohingyas se trouvent dans les camps de réfugiés du HCNUR à l'intérieur du Bangladesh, ce qui cause des dommages à l'environnement. La bonne nouvelle, c'est que les deux gouvernements discutent du problème.

La sénatrice Eaton : Ils vivent dans des camps au Bangladesh, même s'ils sont initialement Bangladais?

Mme Gregson : Oui.

M. MacArthur : Ce sont des apatrides.

La sénatrice Eaton : Les garde-t-on dans ces camps comme des prisonniers? Est-ce parce qu'ils n'ont pas d'instruction ou de moyen de sortir des camps et de s'intégrer à la société du Bangladesh?

Mme Gregson : Le gouvernement du Bangladesh a établi des limites claires en ce qui concerne l'arrivée et la résidence des Rohingyas au pays. Il les considère comme des Birmans.

La sénatrice Eaton : Sont-ils prisonniers dans les camps?

Mme Gregson : J'ignore s'ils sont autorisés à en sortir ou s'ils y sont confinés. Je suis désolée, sénatrice, mais nous devrons vous communiquer ultérieurement la réponse à cette question.

La sénatrice Eaton : C'est une question plutôt intéressante.

M. MacArthur : Je sais que le haut-commissaire du Canada au Bangladesh nous a dit qu'un certain nombre de Bangladais avaient rejoint les camps parce qu'ils peuvent y avoir accès aux soins financés par les Nations Unies, au chapitre de la nourriture et des médicaments, par exemple. Certains non-Rohingyas vont donc également dans les camps pour leurs propres raisons.

La sénatrice Eaton : Ceux qui vivent dans les camps reçoivent des soins.

M. MacArthur : Les Nations Unies s'occupent d'eux. Étant membres des Nations Unies, nous contribuons indirectement à aider ces familles à survivre.

Mme Gregson : J'aimerais, si je le puis, faire appel à mon collègue Jeff Nankivell.

Jeff Nankivell, directeur général, Programmation en Asie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Je pourrais fournir un peu plus d'information à ce sujet. On estime qu'environ 30 000 des 500 000 Rohingyas se trouvant au Bangladesh sont considérés comme des réfugiés par le HCNUR et vivent dans des camps. Ils n'y sont pas confinés, mais ils y vivent, car ils peuvent être considérés comme des réfugiés et avoir accès à des services. Plusieurs centaines de milliers de Rohingyas vivent au jour le jour là où ils le peuvent et comme ils le peuvent au Bangladesh, mais ils sont apatrides.

La sénatrice Eaton : Étant apatrides, ils n'ont pas de papiers et ne peuvent trouver d'emploi. Ils sont déplacés.

M. Nankivell : Pas officiellement, en tout cas.

La présidente : Peut-être aborderons-nous une question légèrement différente en ce qui concerne les Rohingyas, une question qui a fait les manchettes à l'échelle internationale. Quand nous avons entamé notre étude sur l'Asie-Pacifique, nous étions certainement au fait de la situation difficile des Rohingyas dans leur communauté, mais ils n'étaient pas les seuls dans leur cas. Nous nous préoccupions également d'autres minorités et nous souhaitions que ce pays se développe dans la bonne direction en améliorant la gouvernance, la démocratie et le respect des droits de la personne et des minorités religieuses. Il semblait y avoir un mouvement en ce sens. Puis le problème de recensement est survenu en Birmanie, lequel a révélé certaines difficultés de manière très explicite. La communauté internationale surveille la situation, mais le problème a maintenant pris d'autres proportions dans le contexte global, car il s'agit d'un problème humanitaire complexe.

Dans notre rapport — et je ne pense pas révéler quoi que ce soit, mais les sénateurs peuvent me dire si je dépasse les limites —, nous nous intéressions aux occasions commerciales et aux problèmes de sécurité pour le Canada. D'après nos témoins, il semblait assurément y avoir un mouvement de concentration dans la région, mais cela dépendait toujours de la direction vers laquelle les pays se dirigeaient. Maintenant que l'attention de la communauté internationale se porte sur le sort de ces gens et les horribles fosses qui ont été découvertes, je suis certaine que nous évaluons nos occasions et nos obligations dans cette région. Les choses ont-elles changé en raison de ce qui se passe ou continuez-vous de surveiller la situation?

Mme Gregson : Eh bien, je dirais que nous nous en tenons encore beaucoup à la surveillance. Nous tendons aussi la main à la Birmanie en continuant de communiquer des messages au gouvernement birman et en l'aidant à renforcer sa capacité afin de favoriser le respect de la primauté du droit, des droits de la personne et des libertés religieuses, comme je l'ai souligné dans mon exposé. Nous en sommes encore principalement à l'étape de l'engagement.

La présidente : Certaines personnes s'opposent à une approche prudente en faisant valoir que la Birmanie est fermée depuis très longtemps et est sous le joug d'une dictature militaire. Le pays commence à s'ouvrir, mais l'armée y joue encore un rôle important, bien entendu. Pendant que nous tentons de résoudre le problème des Rohingyas, nous savons que d'autres points progressent et doivent s'améliorer pour que la Birmanie réussisse cette étape de son développement. C'est un exercice d'équilibre que de gérer cette situation pour le bénéfice stratégique à long terme des Rohingyas et des autres peuples de la Birmanie.

Pourrions-nous faire autre chose à l'heure actuelle? Avant, nous allions offrir l'aide que voulait le pays pour construire ses structures et ses institutions, et l'encourager à comprendre qu'il était tout à son intérêt d'adhérer aux droits de la personne et aux traités internationaux. La question a pris une importance régionale. Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire dans le cadre de l' Association des nations d'Asie du Sud-Est ou dans le contexte international pour en faire plus qu'avant?

Mme Gregson : Eh bien, c'est une très bonne question. Nous en faisons certainement la promotion au sein de l'ANASE. Je suis responsable principale pour nos relations avec l'ANASE. Nous défendons le respect des droits de la personne et de la liberté de religion, entre autres, et nous encourageons tous les membres de l'ANASE à adhérer à ces principes.

Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous avons diverses initiatives en Birmanie afin de poursuivre notre travail avec les autorités pour améliorer les capacités et les institutions. Comme vous l'avez mentionné, ils n'ont pas réussi à le faire pendant de nombreuses années — des décennies — sous le règne de la junte militaire. Il s'agit d'un long processus, et notre politique à cet égard est de maintenir nos relations tout en dénonçant les problèmes que nous jugeons inacceptables.

La présidente : Avez-vous modifié vos conseils à l'égard des entreprises qui vont dans cette région? Ces manchettes ont-elles incité les entreprises à vous demander plus de renseignements?

Mme Gregson : À ma connaissance, aucune entreprise n'a soulevé ces enjeux récemment. Les entreprises demandent des conseils sur l'accès au marché birman et sur la façon d'y faire des affaires. Évidemment, il est difficile d'y mener des activités commerciales, étant donné les récents événements. Nous pensons tout de même que des occasions d'affaires s'offrent au Canada. Stimuler l'activité économique et la croissance favorise la stabilité, ce qui nous permet de poursuivre nos activités de défense des droits sur d'autres enjeux importants liés à la gouvernance, notamment.

La présidente : Merci.

Le sénateur Patterson : Je remercie les témoins; je suis heureux d'être ici à titre de membre substitut du comité.

J'aimerais poser une question à Mme Gregson ou à ses collègues. Aujourd'hui, vous avez parlé du soutien à l'aide humanitaire que vous avez offert en 2014 à des partenaires humanitaires d'expérience en Birmanie. On parle de 8,1 millions de dollars cette année-là, auxquels s'ajoutent 2,1 millions de dollars offerts au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet. Vous avez dit que vous examinez les besoins liés aux crises humanitaires pour 2015, ce qui englobe la Birmanie. Je me demande si vous pourriez nous donner plus de détails sur la façon dont vous comptez collaborer avec les ONG à cet égard cette année.

Mme Gregson : Mon collègue, Jeff Nankivell, va répondre à cette question.

M. Nankivell : Oui; merci de la question. La meilleure façon de répondre serait de vous donner plus de détails sur l'exercice financier qui vient de se terminer. Nous avons travaillé avec des ONG partenaires importantes, dont Aide à l'enfance, l'UNICEF, Oxfam-Québec, Médecins Sans Frontières Canada, les réseaux de la Croix-Rouge et la HOPE International Development Agency. Nous pouvons vous fournir ces renseignements de façon détaillée, par écrit. Pour l'exercice financier commencé il y a deux mois, sur le plan de l'aide humanitaire, nous prévoyons de poursuivre notre collaboration avec des partenaires de ce genre.

En outre, depuis environ 15 ans, nous collaborons avec une coalition d'ONG qui s'attaque à divers problèmes dans la zone frontalière, principalement pour les populations ethniques minoritaires en Birmanie, dont un projet qui est en cours depuis cinq ans. Il s'agit d'un projet financé par le gouvernement canadien par l'intermédiaire de l'ONG canadienne Inter Pares. Il est mené en collaboration avec une importante coalition d'ONG, dont certaines ont témoigné devant divers comités parlementaires au cours de la dernière année.

Au début, en ce qui concerne les enjeux dont nous parlons aujourd'hui, notre participation dans le cadre du Programme d'aide pour les Birmans des zones frontalières se présentait d'abord sous forme d'aide aux ONG présentes dans les camps de réfugiés et dans les collectivités de réfugiés à l'extérieur des camps, dans des pays comme la Thaïlande et le Bangladesh, mais en raison de l'ouverture qu'on constate en Birmanie grâce aux changements politiques qui s'y opèrent, une bonne partie de ces activités a maintenant lieu à l'intérieur du pays. Grâce à ce programme, par l'intermédiaire de l'ONG canadienne Inter Pares, nous appuyons certaines organisations, des ONG locales qui se penchent particulièrement sur des enjeux dans l'État de Rakhin. Cela englobe la production de rapports aux médias internationaux sur les conditions de la population des Rohingyas qui s'y trouve.

Le sénateur Patterson : Je suis heureux que vous ayez mentionné Inter Pares. Je suis au courant des activités de cet organisme et je crois qu'elles sont efficaces. Je ne veux certainement pas vous placer en position délicate, monsieur, car cela fait peut-être l'objet d'un examen, mais savez-vous que l'organisme Inter Pares a demandé, pour cette année, un appui continu pour son projet sur les organisations ethniques de la société civile en Birmanie et que les dirigeants de l'organisme seraient heureux de savoir s'ils pourront poursuivre ce travail cette année?

M. Nankivell : Je suis heureux de vous dire qu'une proposition a été présentée, qu'elle est actuellement étudiée et que le travail en ce sens se poursuit.

Le sénateur Oh : Merci. Bienvenue encore une fois. Le problème lié aux migrants semble être bien structuré et bien planifié, contrairement à ce qui s'est produit à la fin de la guerre du Vietnam, en 1975, lorsque des gens fuyaient en raison de l'accession au pouvoir des communistes. Cela semble être bien organisé et planifié. Les migrants doivent payer leur passage pour se rendre en Asie du Sud-Est par bateau. Savons-nous comment nous attaquer à la cause profonde du problème? Plus nous en acceptons, plus les gens fuient le pays. C'est devenu une activité commerciale. Pouvez-vous nous en parler?

Mme Gregson : C'est un très bon point. Je vous remercie de la question. Nous sommes conscients que les mouvements de migration des Bangladais et des Rohingyas qu'on observe actuellement dans la région découlent des activités des passeurs. Ces dernières années, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, on observait un certain afflux de migrants en provenance de Birmanie, mais cela s'est vraiment intensifié au cours de la dernière année en raison des possibilités offertes par les passeurs, par des trafiquants qui tirent avantage des difficultés des gens pour leur profit personnel. Nous appuyons les efforts de lutte contre la traite d'êtres humains et contre la contrebande dans la région, et nous continuerons de travailler avec la communauté internationale pour voir ce qu'il est possible de faire à cet égard.

Le sénateur Oh : Cet enjeu touche probablement les pays de l'ANASE dans une grande proportion. Par exemple, si les migrants parviennent en territoire indonésien, l'Indonésie doit les accepter et ne peut les expulser, conformément à la réglementation du pays. Si un réfugié arrive en sol indonésien, le pays doit les accepter. Est-ce exact?

Mme Gregson : En ce qui concerne les obligations en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, l'approche des pays de la région varie. Certains pays ont signé et ratifié la convention, tandis que d'autres ne l'ont pas fait. Donc, leurs approches varient en fonction de leur politique respective à l'égard de la migration et des réfugiés, en général.

Le sénateur Oh : Je suis d'avis qu'il faudrait s'attaquer à la cause profonde du problème et freiner l'exode de ces gens. Autrement, ils continueront à fuir le pays.

Mme Gregson : C'est l'approche que nous privilégions toujours pour enrayer le phénomène de l'exploitation des gens qui se retrouvent dans une telle situation. Manifestement, nous nous efforçons de travailler avec la communauté internationale pour l'empêcher.

La sénatrice Ataullahjan : J'aimerais poursuivre dans la veine des propos du sénateur Oh. Initialement, aucun pays ne voulait accepter des réfugiés, mais l'Indonésie et la Malaisie ont accepté d'accueillir 7 000 réfugiés à condition qu'ils soient réinstallés dans les 12 mois. La Thaïlande a refusé d'accueillir des migrants, mais les autorités du pays ont indiqué qu'elles ne les refouleraient pas aux frontières. Est-ce faisable? Comment peut-on réinstaller des réfugiés, des gens qui n'ont aucun endroit où trouver refuge après un an?

Mme Gregson : C'est la question à laquelle la communauté internationale doit répondre au cours de la prochaine année. Manifestement, la meilleure solution serait que les gens retournent dans leur pays d'origine dans des conditions qui favorisent la dignité, le respect de leur bien-être et le respect des droits de la personne. De toute évidence, c'est une approche que la communauté internationale devra étudier, mais il y a là un dilemme auquel nous devrons réfléchir.

La sénatrice Ataullahjan : Comment les gouvernements de la Birmanie et du Bangladesh ont-ils réagi à la crise des migrants? Je crois savoir que le premier ministre bangladais a déclaré que s'ils voulaient quitter le pays, c'est qu'ils souffraient de maladie mentale.

Mme Gregson : Le gouvernement du Bangladesh a créé un groupe de travail sur le trafic des migrants. Il a réservé 59 millions de dollars pour aider la garde côtière à améliorer sa capacité à cet égard. En outre, plusieurs trafiquants ont été arrêtés. Les autorités cherchent aussi à renforcer la loi sur la prévention et la suppression de la traite des êtres humains, adoptée en 2012. Ces dernières semaines, le gouvernement bangladais et des organismes internationaux comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l'OIM ont tenu des discussions au sujet de la préparation d'une campagne de sensibilisation sur les risques associés à la migration illégale. Les passeurs s'attaquent aux personnes vulnérables en faisant de fausses promesses et en créant des attentes qui ne se concrétisent jamais. Cette campagne de sensibilisation est donc une étape très importante.

La sénatrice Ataullahjan : Nous entendons continuellement parler des importants débouchés économiques offerts au Canada en Birmanie. En fait, au comité des droits de la personne, nous avons récemment entendu dire que la Birmanie sera probablement le prochain grand exportateur de vêtements. Lors de votre dernière comparution, vous avez indiqué que la société Manuvie est déjà présente dans ce pays. Lorsqu'on voit la crise des migrants qui se prépare, si le pays devient un important exportateur de vêtements, je crains que personne ne soit là pour reconnaître la situation des travailleurs de ce secteur et pour les défendre. Ils sont actuellement réduits au silence. Je serais préoccupée si l'industrie du vêtement connaissait un essor considérable.

Mme Gregson : Eh bien, nous nous intéressons de près à l'industrie du prêt-à-porter du Bangladesh; je vais demander à Jeff Nankivell de donner des explications à ce sujet.

M. Nankivell : Sénatrice, j'aimerais avoir des précisions, s'il vous plaît.

La sénatrice Ataullahjan : La question porte sur les droits de la personne des travailleurs. Nous avons vu ce qui s'est produit au Bangladesh. Des mesures ont été prises. Des syndicats sont créés. En quelque sorte, la communauté internationale a pris conscience qu'il y avait un problème, et on cherche à le régler.

Ce que je dis, toutefois, c'est que si le gouvernement birman n'est même pas prêt à reconnaître l'existence d'un problème par rapport aux Rohingyas, on peut se demander comment il réagira si le pays devient un important exportateur de vêtements et que les travailleurs subissent de mauvais traitements. Dans une telle situation, que ferions- nous?

M. Nankivell : Je ne suis pas certain que nous soyons bien placés pour parler de la possible émergence d'une importante industrie du vêtement en Birmanie, mais le pays a sans doute ce potentiel, car on y trouve un important bassin de main-d'œuvre à bon marché.

À mon avis, ce que nous tenterons de faire — comme nous l'avons fait au Bangladesh et dans certains autres pays — sera de travailler avec les autorités, en collaboration avec des partenaires internationaux comme l'Organisation internationale du Travail, des ONG internationales et des organisations syndicales. Nous devrons aussi travailler avec les autorités et les ONG au sein du pays lui-même de façon à placer les enjeux liés aux conditions de travail à l'avant- plan à mesure que des usines seront implantées. De toute évidence, nous devrons tous surveiller la situation. Nous considérons qu'il sera important, dans le cadre des activités visant à améliorer les conditions de travail des ouvriers du pays, tant à l'échelle internationale qu'à l'échelle nationale, au Bangladesh, de prêter attention à la possibilité que des fabricants bas de gamme puissent tenter de transférer leurs activités dans des pays où les règlements ne sont pas aussi stricts. Comme il a déjà été souligné auprès d'autres comités parlementaires, je crois, cet enjeu devra faire l'objet d'un important effort concerté au sein de la communauté internationale à l'avenir.

Mon dernier commentaire à ce sujet serait que ces dernières années, nous avons mis en œuvre un projet dans la région de l'Asie du Sud-Est. Le projet est une collaboration avec l'Organisation internationale du Travail qui, depuis un certain nombre d'années, étudie les enjeux liés aux travailleurs migrants et à leurs conditions de travail et mène des campagnes de sensibilisation sur le terrain dans les collectivités d'origine de cette main-d'œuvre. Ils peuvent être originaires d'une autre région du pays; ils se déplacent vers les villes, là où se trouvent les usines; dans certains cas, les gens traversent les frontières. Il faut aussi s'assurer que les gens qui souhaitent déménager ont les informations nécessaires sur leurs droits et sur les conditions qui prévalent à l'endroit où ils iront, où ils aimeraient aller. L'un des facteurs les plus importants est de veiller à ce que les gens puissent faire des choix éclairés en fonction des risques et des avantages des occasions qui leur sont offertes.

Nous travaillons avec l'OIT. Nous avons un projet à l'échelle régionale, avec l'ANASE, et l'Australie finance un projet complémentaire. Mené avec les autorités nationales, ce projet est axé sur les questions touchant les travailleurs migrants.

La présidente : Merci. La réunion touche à sa fin. Vous nous avez donné des renseignements extrêmement utiles. Alors que nous arrivons à l'étape de la rédaction de notre rapport, il est rassurant de savoir que ces questions litigieuses sont prises en compte dans la politique étrangère établie par le ministère. Nous devons continuer de surveiller la situation et de trouver le plus grand nombre de leviers possible pour régler ces problèmes. Vous reviendrez donc sans doute témoigner au comité. Nous vous sommes reconnaissants des mises à jouer et des renseignements sur certains enjeux précis et sur la région. Merci beaucoup d'être venus.

(La séance se poursuit à huis clos.)


Haut de page