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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 35 - Témoignages du 27 mars 2018


OTTAWA, le mardi 27 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour faire l’étude article par article du projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, ainsi qu’aux membres du public qui assistent en personne à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui nous écoutent sur le Web.

Je tiens à souligner que nous nous réunissons sur les terres ancestrales et non cédées des peuples algonquins. Je m’appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan, et j’ai le privilège de présider le comité.

J’invite maintenant mes collègues à bien vouloir se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, sénateur de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice McCallum : Mary McCallum, du Manitoba.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, Nouvelle-Écosse.

La présidente : Nous étudions aujourd’hui le projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons invité des représentants du gouvernement. Nous accueillons deux fonctionnaires du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Perry Billingsley, sous-ministre adjoint délégué, Traités et gouvernement autochtone, et Sylvain Ouellet, directeur général, Direction générale des négociations de l’Est. Nous recevons également Geneviève Thériault, avocate-conseil principale au ministère de la Justice.

Vous avez environ 10 minutes pour nous faire un exposé, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. La parole est à vous.

Perry Billingsley, sous-ministre adjoint délégué, Traités et gouvernement autochtone, ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs. Je voudrais d’abord reconnaître que nous sommes sur des terres algonquines non cédées.

Vous êtes saisis aujourd’hui du projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Ce projet de loi représente un bond en avant dans l’autodétermination des Cris et de la nation naskapie de Kawawachikamach.

Le projet de loi C-70 est un véritable effort de nation à nation, appuyé par les Cris, les Naskapis et les Inuits du Nunavik, qui ont tous été consultés pendant l’élaboration du projet de loi.

Cette mesure législative donnerait effet à l’entente sur la gouvernance de la nation crie, signée le 18 juillet 2017, et à son document complémentaire, la Constitution crie. L’entente sur la gouvernance accorde une plus grande autonomie gouvernementale aux Cris sur les terres des communautés cries et rend les Cris pleinement responsables de leur gouvernance.

Le projet de loi soustrairait également les Cris de l’application de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et améliorerait la gouvernance des Naskapis en vertu de cette même loi. Enfin, le projet de loi apporterait des modifications à la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec afin de retirer les formulations discriminatoires dans la loi fédérale, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés.

À présent, permettez-moi de revenir sur le processus qui nous a menés ici aujourd’hui.

Les cris sont signataires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975, soit le premier traité moderne au Canada. Les Naskapis sont signataires de la Convention du Nord-Est québécois de 1978, un accord semblable, mais adapté aux circonstances des Naskapis.

Au cours des 34 dernières années, la gouvernance locale des Cris et des Naskapis a été exercée en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec sur les terres de leurs communautés respectives. Cette loi était considérée comme la loi spéciale concernant les administrations locales, mentionnée dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois et dans la Convention du Nord-Est québécois. Si adopté, le projet de loi C-70 remplacera la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et sera considéré comme étant la loi spéciale pour les Cris. Quant aux Naskapis, ils demeureront assujettis à cette même loi, qui serait rebaptisée Loi sur les Naskapis et la Commission crie-naskapie.

L’entente sur la gouvernance découle de l’Entente de 2008 concernant une nouvelle relation, qui est un règlement à l’amiable entre les Cris et le Canada prévoyant la négociation d’une entente sur la gouvernance et le versement de 200 millions de dollars aux Cris dans les 30 jours suivant la sanction royale du projet de loi C-70.

L’entente sur la gouvernance énonce les pouvoirs des Premières Nations cries en ce qui a trait à l’adoption de lois sur une vaste gamme de sujets liés à la gouvernance locale sur les terres des communautés cries, notamment la protection de l’environnement, l’ordre et la sécurité publics, l’aménagement des terres et l’utilisation des ressources. Elle énonce également les pouvoirs du gouvernement de la nation crie pour ce qui est de légiférer sur les questions de gouvernance régionale sur ces mêmes terres. Ces lois seront conformes à la culture, aux priorités et aux aspirations des Cris.

L’entente sur la gouvernance maintient le régime foncier existant sur ces terres, y compris l’accès et l’octroi de droits sur les terres et les bâtiments. Elle prévoit également des mesures de mise en œuvre, dont un plan de mise en œuvre et un mécanisme de règlement des différends, et elle définit une nouvelle relation financière, y compris des mesures financières à long terme avec le Canada.

L’entente sur la gouvernance prévoit également l’adoption d’une constitution crie, un instrument de gouvernance interne des Cris qui comprend des sujets tels que les procédures pour adopter des lois et des résolutions, les élections, les réunions et les référendums, l’administration financière et la modification de la Constitution crie, et cetera. En tant que document interne, la Constitution crie n’a pas été examinée ni approuvée par le Canada.

Après de vastes consultations avec les bénéficiaires cris, les Premières Nations cries et d’autres parties intéressées cries, l’entente sur la gouvernance et la Constitution crie ont été formellement approuvées par résolution par chacune des Premières Nations cries et par le gouvernement de la nation crie, conformément aux procédures prévues dans l’entente sur la gouvernance.

L’entente sur la gouvernance est un exemple concret de l’importance des partenariats dans l’atteinte de résultats concrets et tangibles pour les peuples autochtones, en l’occurrence, l’accomplissement de la vision de la nation crie pour son autodétermination.

Même si les Naskapis demeureront assujettis à la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, le projet de loi C-70 répond aux aspirations de la nation naskapie, qui souhaite renforcer sa gouvernance interne grâce à l’octroi de pouvoirs supplémentaires aux Naskapis. Le projet de loi supprimerait également des charges administratives pesant sur leur gouvernance interne, en plus de faciliter les décisions et les processus politiques et administratifs.

Si le projet de loi C-70 obtient la sanction royale, les Cris et les Naskapis seront mieux placés pour assurer le bien-être des membres de leurs communautés et répondre à leurs besoins distincts. Nous savons qu’une gouvernance forte et l’autodétermination sont des facteurs importants qui contribuent à la santé économique et sociale d’une collectivité, notamment son bien-être général.

Ce projet de loi confirme l’engagement du Canada à renouveler sa relation avec les peuples autochtones, relation qui est fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. Le projet de loi C-70 est un pas en avant vers la réconciliation.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci.

Chers collègues, nous avons reçu une grande quantité de documents en anglais seulement. Quelqu’un aurait-il l’obligeance de proposer une motion pour qu’on puisse les distribuer?

Le sénateur Patterson : J’en fais la proposition.

La présidente : Êtes-vous d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci, chers collègues. Les documents vous seront donc distribués.

Nous passons maintenant à la première série de questions.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit que les Inuits du Nunavik ont été consultés pendant l’élaboration du projet de loi, mais il y a une interaction avec les Inuits du Nunavut. Je suis sûr que ces derniers ont été consultés et qu’ils ont appuyé le projet de loi, n’est-ce pas?

Geneviève Thériault, avocate-conseil principale, ministère de la Justice Canada : La meilleure réponse, c’est que, dans le cas des Inuits du Nunavut, leur relation avec les Cris est visée par l’accord des Cris sur les zones côtières, qui est une autre entente. Cela n’a rien à voir avec l’Entente sur la gouvernance de la nation crie.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le sénateur Tannas : Merci d’être des nôtres. Pourriez-vous nous parler de l’octroi de terres additionnelles, s’il y a lieu, en vertu de cette entente? Y a-t-il des différends territoriaux qui ont été réglés ou qui subsistent à la suite de cette entente?

M. Billingsley : Il s’agit d’une entente sur la gouvernance concernant les terres visées par la Convention de la Baie James et du Nord québécois; par conséquent, il n’y a aucune terre additionnelle prévue dans le cadre de l’entente sur la gouvernance. En ce qui a trait aux différends, je vais demander à ma collègue du ministère de la Justice de répondre. Je n’ai rien entendu de tel.

Mme Thériault : Il n’y a eu aucune négociation en matière de revendication territoriale, d’où l’absence de différends relatifs aux terres.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup d’être ici. Je conviens que l’autonomie gouvernementale revêt une importance pour les personnes. Pourriez-vous préciser vos propos lorsque vous avez dit « y compris des mesures financières à long terme avec le Canada »?

Pourriez-vous nous donner, à nous et aux gens qui nous écoutent, une description d’une telle entente financière à long terme avec le Canada?

M. Billingsley : Dans le cas de toute entente sur l’autonomie gouvernementale, nous négocions aussi des ententes de financement budgétaire. Ce serait donc, en gros, quelque chose de ce genre. Quant aux éléments précis d’une telle entente, j’invite Sylvain à en parler.

Sylvain Ouellet, directeur général, Direction générale des négociations de l’Est, Traités et gouvernement autochtone, ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Nous avons en ce moment deux ententes différentes avec les Cris en matière de finances, et ces ententes seront prolongées jusqu’en 2028.

Essentiellement, les parties ont convenu, pour la période de 2028 à 2040, de négocier une seule entente financière consolidée. Après 2040, les parties ont accepté de négocier de nouvelles ententes consolidées conformément aux politiques qui seraient alors en vigueur. Les parties ont accepté d’entamer ces négociations d’ici 2028. Il s’agit donc d’une entente financière à long terme en trois phases.

La sénatrice Raine : Si je comprends bien, en ce qui a trait aux ententes financières, rien ne changera jusqu’en 2028, après quoi la nouvelle entente sera conclue.

M. Ouellet : C’est exact.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup.

Le sénateur Christmas : Je crois comprendre que l’entente sur la gouvernance conférera des pouvoirs législatifs supplémentaires à la nation crie. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet?

M. Billingsley : Je vais céder la parole à ma collègue du ministère de la Justice, qui était membre de l’équipe de négociation.

Mme Thériault : Des pouvoirs législatifs supplémentaires sont accordés au gouvernement de la nation crie, notamment en matière de biens immobiliers matrimoniaux.

[Français]

M. Ouellet : Je vais répondre en français, car le document que j’ai devant moi est en français. Essentiellement, on parle de pouvoirs législatifs liés à la célébration du mariage, à la propriété matrimoniale, à la langue, à la culture et au patrimoine et, finalement, à la taxation directe des Cris au sein des communautés cries.

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Pourriez-vous également décrire le processus de ratification de l’entente sur la gouvernance?

Mme Thériault : Le processus de ratification s’est fait en vertu d’une résolution adoptée par le conseil de bande de chacune des communautés, ainsi qu’au moyen d’une résolution adoptée par le Grand conseil des Cris et le gouvernement de la nation crie.

Le sénateur Christmas : Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. J’ai passé en revue bon nombre des documents présentés par les deux parties. Dans certains accords dont nous avons pris connaissance, il y avait un manque de participation des peuples autochtones à la prise de la décision finale. D’après ce que j’ai lu et entendu, vous avez tenu une consultation, dans le cadre de laquelle ils ont pris une décision en toute connaissance de cause et donné un consentement éclairé. Je me réjouis donc de voir que c’est ainsi que se manifeste cette relation de gouvernement à gouvernement. Merci.

La présidente : Pourriez-vous décrire le processus de consultation? Dans votre exposé, vous avez dit que le projet de loi C-70 est un véritable effort de nation à nation, appuyé par les Cris, les Naskapis et les Inuits du Nunavik, qui ont tous été consultés pendant l’élaboration de ce projet de loi.

Pourriez-vous nous en parler plus en détail?

Mme Thériault : Les Inuits et les Naskapis ont reçu une copie de… Vous parlez des consultations sur le projet de loi lui-même?

La présidente : Oui.

Mme Thériault : Ils ont reçu une copie de l’ébauche du projet de loi. Ils ont fourni des commentaires et proposé quelques modifications, qui ont été prises en considération dans le cadre des discussions avec les Cris. Cela s’est fait à deux ou trois reprises. Au terme du processus, ils étaient convaincus que le projet de loi avait tenu compte de leurs commentaires.

Le sénateur Doyle : Jusqu’à quel point le gouvernement du Québec a-t-il participé aux consultations? Comme vous le savez, il y a de nombreuses années, la reconnaissance du Québec en tant que nation au sein de la Confédération canadienne avait fait l’objet d’un grand débat public. Le Québec adhère-t-il au concept de statut de nation du peuple cri et d’autres peuples autochtones, par exemple, ce qui supposerait une nation dans une nation dans une nation?

M. Billingsley : Pour ce qui est de savoir si le Québec y adhère, je ne peux pas prétendre parler en son nom. La province a certes été un partenaire dans le cadre des négociations — elle n’a pas vraiment participé à la négociation ayant mené à cette entente, mais elle a pris part à d’autres négociations —, et elle a contribué aux discussions sur les arrangements concernant l’autonomie gouvernementale, ce qui ne répond pas nécessairement à votre question.

Le sénateur Doyle : Bien entendu, la version originale de la Convention de la Baie James et du Nord québécois a maintenant plus de 40 ans. Il y a eu des modifications et d’autres ententes. Quelle est la différence essentielle? Je siège au comité depuis relativement peu de temps. Je n’ai donc pas une longue expérience ici. Quelle est la différence essentielle dans l’entente de 2017 qui a abouti au projet de loi dont nous sommes saisis? Quel a été l’élément déclencheur de ce projet de loi? Comment a-t-il découlé de l’entente de 2017? Quelle est la différence fondamentale? S’agit-il d’utiliser des concepts plus modernes de gouvernance, de régler des détails qui demeurent en suspens, pour ainsi dire, ou de prévoir un financement fédéral supplémentaire et tout le reste?

Pendant que vous y êtes, vous pourriez peut-être aussi me parler du transfert de 200 millions de dollars. Cela ferait-il partie du financement de 10 ans, ou est-ce que le montant de 200 millions de dollars sera révisé à la hausse pour tenir compte de l’inflation et des modes de fonctionnement plus coûteux ou je ne sais quoi encore? Je suis désolé d’avoir été si long.

M. Billingsley : En ce qui concerne la Convention de la Baie James, elle a été conclue à une époque où l’autonomie gouvernementale était, je dirais, un concept assez nouveau. Je crois que j’étais encore au secondaire lorsqu’elle était en cours de négociation. En vertu de la convention — je crois que c’est à l’article 9 —, les parties s’engageaient à négocier des arrangements sur la gouvernance locale. Puis, en 1984, on a adopté la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, qui mettait vraiment l’accent sur la gouvernance locale.

Bien entendu, à mesure que nous parvenons tous à mieux comprendre la nature de la gouvernance et de l’autodétermination, certaines mesures s’imposent pour moderniser les accords et concrétiser les aspirations plus vastes en matière de gouvernance, dans ce cas-ci, du peuple cri — par exemple, les arrangements sur la gouvernance de la nation crie, en plus des arrangements sur la gouvernance locale.

Bref, je crois que nous avons tous reconnu la nécessité de faire en sorte que les mécanismes de gouvernance des Cris soient à la hauteur de leurs aspirations et de leurs pratiques.

Le sénateur Doyle : Et les 200 millions de dollars? Y aura-t-il une augmentation graduelle de ce montant, qui a été mis de côté, je crois, à titre de dernier paiement convenu il y a environ 10 ans?

M. Billingsley : Au sujet de l’indexation du montant de 200 millions de dollars, je m’en remets à M. Ouellet.

M. Ouellet : Le montant de 200 millions de dollars est un paiement forfaitaire qui sera versé aux Cris dans les 30 jours suivant la date à laquelle le projet de loi aura reçu la sanction royale. Il s’agit donc d’un versement unique. Ce n’est pas un paiement qui sera versé au fil du temps et qui fera l’objet d’une indexation.

Le sénateur Doyle : Il n’y a donc pas d’indexation. D’accord. C’est logique. Merci.

Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier les témoins. Je voudrais dire qu’en ma qualité de porte-parole de l’opposition officielle au Sénat au sujet du projet de loi, j’appuie certes son adoption rapide, mais j’ai quelques questions à vous poser.

Comme vous le savez, le projet de loi est, du moins en partie, le résultat d’une entente pour régler une poursuite en justice entre les Cris et le Canada. Bien entendu, je privilégie toujours la négociation plutôt que le recours aux tribunaux, mais j’aimerais savoir si vous pourriez nous faire part de votre perspective quant à l’objet de ce procès. Pourquoi les Cris ont-ils intenté une poursuite?

Deuxièmement, le projet de loi à l’étude satisfait-il pleinement au règlement à l’amiable? Le dossier est-il maintenant clos?

M. Billingsley : En ce qui concerne la poursuite, je vous invite à poser la question aux Cris, mais…

Le sénateur Patterson : J’aimerais connaître votre version des faits ou votre point de vue.

M. Billingsley : Eh bien, j’espère que ma version des faits correspond à la réalité. C’était essentiellement parce que le Canada n’avait pas mis en œuvre certains aspects de la Convention de la Baie James. Nous pouvons entrer un peu dans les détails, mais, je le répète, je pense qu’il vaudrait mieux…

Le sénateur Patterson : Ma question comporte une deuxième partie.

M. Billingsley : J’invite notre collègue du ministère de la Justice à dire quelques mots là-dessus.

Mme Thériault : Ma réponse ne portera pas tant sur le procès proprement dit, mais sur la deuxième partie de votre question, à savoir si le projet de loi C-70 a permis de régler le litige. La poursuite s’est conclue en 2008, au moyen de l’Entente concernant une nouvelle relation, signée entre le Canada et les Cris. C’est ce qui a mis fin à la poursuite. Les Cris, aux termes de cette entente, ont accepté d’assumer une partie des obligations du Canada pendant un certain temps.

En vertu de l’Entente concernant une nouvelle relation, nous nous sommes également engagés à négocier, ou à tenter de négocier, les questions en matière de gouvernance en deux étapes. La première étape consistait à apporter des modifications à la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec pour veiller à ce que le gouvernement de la nation crie dispose du pouvoir nécessaire pour assumer les responsabilités qui lui étaient confiées en vertu de l’Entente concernant une nouvelle relation. Et c’est ce qui a été fait. La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec a été modifiée.

Ensuite, la deuxième étape consistait à essayer de négocier ce que vous avez maintenant sous les yeux, c’est-à-dire l’accord concernant la gouvernance de la nation crie. Au départ, nous étions censés entreprendre une négociation tripartite. Toutefois, le Québec a négocié une entente distincte avec les Cris à propos des terres provinciales, alors que nous avons négocié une entente bilatérale avec les Cris au sujet des terres de la catégorie IA.

Le sénateur Patterson : Merci de cette réponse. Ma question est cependant la suivante : le projet de loi dont nous sommes saisis honore-t-il pleinement les engagements du Canada aux termes de l’Entente concernant une nouvelle relation? Les conditions de cette entente sont-elles maintenant entièrement satisfaites par le projet de loi, ou y a-t-il des questions en suspens?

Mme Thériault : Pour ce qui est du volet gouvernance de l’Entente concernant une nouvelle relation, je dirais que oui, le projet de loi remplit l’engagement, mais il y a d’autres dispositions de l’entente qui continuent de faire l’objet de discussions avec les Cris.

Le sénateur Patterson : Pouvez-vous préciser lesquelles?

Mme Thériault : Il s’agit, par exemple, de certaines modifications. Il y a aussi quelques conventions complémentaires. L’une d’elles vise à inclure, dans la Convention de la Baie James, les descriptions territoriales définitives. Pour l’heure, les descriptions territoriales sont celles qui ont été établies en 1975.

Dans un autre cas, il s’agissait de déterminer si nous pouvions modifier les dispositions modificatives générales de la Convention de la Baie James, à l’article 215, de sorte qu’Hydro-Québec et d’autres sociétés ne soient pas tenues de participer à la négociation de conventions complémentaires à l’avenir.

Il y a quelques autres questions de ce genre dont nous nous sommes engagés à discuter avec les Cris, et nous en discutons depuis plusieurs années.

Le sénateur Patterson : On dirait bien que ces questions secondaires sont relativement peu importantes.

Mme Thériault : Elles ne le sont pas du point de vue de la gouvernance.

Le sénateur Patterson : Par conséquent, l’objectif principal de la convention est rempli par le projet de loi.

Mme Thériault : La partie concernant la gouvernance, oui.

Le sénateur Patterson : C’est la partie principale.

Mme Thériault : Oui.

Le sénateur Tannas : Compte tenu de ce que nous venons d’entendre, je vais poser deux ou trois questions, puis j’y reviendrai peut-être lorsque nous nous entretiendrons avec les chefs cris. Combien de temps cette négociation a-t-elle duré?

M. Ouellet : Les négociations ont commencé en 2008, conformément à l’Entente de 2008 concernant une nouvelle relation entre le Canada et les Cris. Elles se sont déroulées essentiellement par intermittence.

Le sénateur Tannas : Autrement dit, vous avez conclu une entente il y a 10 ans pour mener des négociations, et il vous a fallu 10 ans pour en arriver là. Cette affirmation est-elle juste?

Mme Thériault : C’est un fait.

Le sénateur Tannas : A-t-on eu recours à des avocats? Si oui, quelle part de ces 200 millions de dollars leur sera versée?

M. Billingsley : Oui, on a fait appel à des avocats.

Le sénateur Tannas : C’est peut-être ce qui explique pourquoi il a fallu 10 ans?

M. Billingsley : C’est possible. Je ne peux pas me prononcer là-dessus.

En ce qui concerne les 200 millions de dollars, je ne peux pas vous dire le montant.

Le sénateur Tannas : Vous n’en avez aucune idée?

M. Billingsley : Aucune; non, monsieur.

Le sénateur Tannas : Vous ne pouvez pas le dire ou, plutôt, vous ne voulez pas le dire?

M. Billingsley : Eh bien, non, je ne peux pas le dire parce qu’il s’agit d’un paiement forfaitaire. Nous n’avons aucune idée de la façon dont le montant forfaitaire serait…

Le sénateur Tannas : Personne ne s’est jamais demandé quelle part des 200 millions de dollars servirait à couvrir les frais juridiques?

Mme Thériault : Le montant de 200 millions de dollars est un engagement qui fait partie de l’Entente de 2008 concernant une nouvelle relation; ce n’est donc pas lié, à proprement parler, à la gouvernance. C’est le paiement restant qui découle du règlement du litige.

Le sénateur Tannas : Les 200 millions de dollars?

Mme Thériault : C’est prévu dans l’entente. Si nous pouvions en arriver à une entente sur la gouvernance, les Cris recevraient 200 millions de dollars.

Le sénateur Tannas : Vous n’avez donc pas la moindre idée du montant. D’accord. Merci.

Le sénateur Doyle : Je suis curieux d’en savoir plus sur la Constitution crie. Ce document serait entièrement élaboré par le peuple cri. Vous en avez parlé un peu ici. On y traite de questions comme les élections, les réunions, les référendums, l’administration financière, les modifications apportées à la Constitution crie, et j’en passe.

Une fois le projet de loi adopté, la Constitution crie demeure-t-elle la même? Son contenu changera-t-il d’une façon quelconque après l’adoption du projet de loi C-70, ou s’agit-il tout simplement d’un document immuable, qui restera tel quel jusqu’à ce que le peuple cri décide de le modifier?

M. Billingsley : Ce serait au peuple cri de décider de le modifier.

Le sénateur Doyle : Aucune modification n’y serait donc apportée automatiquement après l’adoption du projet de loi?

M. Billingsley : Non, pas à ma connaissance. Qu’en pense notre avocate?

Mme Thériault : La Constitution crie entrera en vigueur une fois que le projet de loi prendra effet.

Le sénateur Doyle : D’accord. Elle a été élaborée avant le projet de loi, bien entendu.

Mme Thériault : Oui, elle a était adoptée par les Cris.

Le sénateur Doyle : Quand les Cris auraient-ils élaboré leur constitution? Était-ce pendant l’élaboration du projet de loi? Était-ce avant le projet de loi ou quoi?

M. Ouellet : Les négociations de l’accord se sont poursuivies jusqu’à l’été 2017. L’accord a été signé à ce moment-là. La constitution a été élaborée parallèlement aux négociations. Je vous suggérerais de demander aux Cris de vous fournir les détails entourant l’élaboration de leur constitution.

Le sénateur Doyle : N’ont-ils pas un document qui existe depuis un bon moment? Remonte-t-il à 100 ans?

M. Billingsley : Ordinairement, dans l’élaboration d’accords en matière d’autonomie gouvernementale, l’accord en soi énonce les éléments qui, d’après les parties, devraient figurer dans la Constitution. Le Canada ne voit pas ou n’approuve pas nécessairement la Constitution avant son entrée en vigueur.

Le sénateur Doyle : C’est la prérogative des Cris.

M. Billingsley : Oui. C’est le document en matière de gouvernance du groupe autochtone en question.

La sénatrice McCallum : Je voulais revenir un peu sur ce que j’ai dit après avoir lu que les Cris avaient discuté avec les Naskapis, les Inuits et la province du Québec. Ils étaient tous d’accord pour que cette constitution soit adoptée. Avec les lois qu’ils allaient mettre en place, y compris la conception des deux groupes, ils ont réglé le conflit d’intérêts qui existait dans bon nombre des collectivités autochtones. Ils ont défendu les droits de la personne et ont envisagé de s’attaquer aux problèmes des droits de la personne par l’entremise de différents programmes qu’ils ont mis en place. Je crois que c’est déjà en place et qu’ils y travaillent déjà, car ils ont toujours eu la capacité d’intégrer cet élément dans leur Constitution crie.

Elle a été conçue par les Cris et est déjà appliquée, et elle est renforcée par la Loi sur la gouvernance. Êtes-vous d’accord?

M. Billingsley : Oui.

La sénatrice McCallum : C’est tout ce que je voulais confirmer, à savoir qu’elle existe. Dans les documents qu’on nous a remis sur la façon dont les Cris mettent en œuvre les programmes d’éducation et de santé, nous pouvons voir que la Constitution crie est très solide et existe déjà. Merci.

La présidente : Voilà qui conclut les observations des sénateurs. J’aimerais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Marty Deacon, nouvellement nommée, qui remplace aujourd’hui la sénatrice Kim Pate.

Avant d’entendre les exposés de notre deuxième groupe de témoins, je demanderais aux sénateurs de présenter une motion pour autoriser la prise de photos durant la réunion. Sénateur Patterson. La motion est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Puisque c’est un moment historique, nous avons pensé que ce serait une bonne idée de prendre des photos officielles durant la réunion.

Accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins : du Grand conseil des Cris, Abel Bosum, grand chef; Mandy Gull, grande chef adjointe; Matthew Coon Come, ancien grand chef; Bill Namagoose, directeur exécutif; Paul John Murdoch, avocat; et Kaitlyn Hester-Moses, grande chef des jeunes. Nous recevons également, de Gowling WLG (Canada), John Hurley, associé.

Je crois savoir que le grand chef fera un exposé liminaire, qui sera suivi des questions des sénateurs.

Abel Bosum, grand chef, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : Merci.

[Note de la rédaction : M. Bosum s’exprime en cri.]

Madame la présidente, monsieur le vice-président, membres du comité, Wachiya et bonjour.

Au nom de la nation crie d’Eeyou Istchee, Baie James, je vous remercie de l’invitation à m’adresser à vous en appui au projet de loi C-70, Loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee. Je suis accompagné aujourd’hui de l’ancien grand chef Matthew Coon Come, de la grande chef adjointe Mandy Gull, de la grande chef des jeunes Kaitlyn Hester, du directeur exécutif Bill Namagoose, du secrétaire corporatif Paul John Murdoch, et de John Hurley, avocat. Nous sommes également accompagnés par les chefs de la Première Nation crie d’Eeyou Istchee et d’autres représentants élus des communautés cries.

Nous avons fourni au cours des derniers jours une abondante documentation sur l’autonomie gouvernementale des Cris. Cette documentation présente certaines des principales institutions d’autonomie gouvernementale des Cris qui ont été mises en place au cours des 40 dernières années depuis la signature en 1975 de notre traité, la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

La nation crie d’Eeyou Istchee compte plus de 18 000 Eeyouch, ou Cris, occupant notre territoire traditionnel d’Eeyou Istchee. Ce territoire couvre environ 400 000 kilomètres carrés et est situé principalement à l’est et au sud de la baie James et de la baie d’Hudson.

Nous occupons et utilisons intensivement le territoire entier d’Eeyou Istchee, à la fois pour notre mode de vie traditionnel de chasse, de pêche et de piégeage et, de plus en plus, pour un large éventail d’activités économiques modernes telles que la foresterie, l’exploitation minière, la construction, le transport et autres.

En raison de l’énorme développement hydroélectrique et des ressources au cours des 40 dernières années, les Cris d’Eeyou Istchee ont connu des changements culturels, sociaux et environnementaux extrêmement rapides et perturbateurs. Ces changements ont causé d’énormes pressions pour les Cris en ce qui concerne notre mode de vie traditionnel, notre culture, notre environnement, notre santé et notre société.

Les Cris ont fait preuve d’une résilience extraordinaire face à ces défis. Nous avons créé des institutions et des services pour aider nos gens à s’adapter à ces changements. Les Cris sont à juste titre fiers de nos réalisations à cet égard. En même temps, nous reconnaissons qu’il s’agit nécessairement d’un travail en cours et qu’il reste encore beaucoup à faire.

Pour apprécier pleinement l’importance de l’entente sur la gouvernance de la nation crie, de la Constitution crie et du projet de loi C-70 pour la nation crie d’Eeyou Istchee, il est nécessaire de dire quelques mots à propos de notre traité, la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Notre traité n’a pas été un cadeau de la Couronne. Nous avons dû nous battre pour l’avoir. Il est venu à la suite d’une bataille juridique épique, précipitée par le lancement par le Québec en 1970 de l’énorme projet hydroélectrique de la baie James. Devant cette menace à notre mode de vie, les communautés cries d’Eeeyou Istchee se sont unies pour faire valoir nos droits et combattre le projet.

Sous la gouverne du regretté grand chef Billy Diamond et d’autres dirigeants cris, dont Philip Awashish, Robert Kanatewat et Fred Blackned, les Cris d’Eeyou Ischee ont entamé des poursuites judiciaires en mai 1972 devant la Cour supérieure du Québec pour arrêter le projet. En novembre 1973, feu le juge Albert Malouf a accordé une injonction pour interrompre le projet, reconnaissant que les Cris et les Inuits avaient effectivement des droits légaux sur nos terres.

Ce jugement a amené le Québec et le Canada à la table de négociation. Après deux années de négociations intensives, nous avons signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois en novembre 1975. Avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, notre convention est devenue constitutionnellement protégée.

La Convention de la Baie James et du Nord Québécois contient plus de 30 chapitres portant sur l’admissibilité, le régime foncier, la gouvernance locale et régionale, les services de santé et les services sociaux, l’éducation, la justice et les politiques, la protection de l’environnement, les droits de chasse, de pêche et de piégeage, l’indemnisation, et le développement économique et communautaire.

La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été le premier traité autochtone moderne et accord de revendication territoriale au Canada. À certains égards, elle reste unique à ce jour.

Le chapitre 9 de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois prévoit le cadre de base pour l’autonomie gouvernementale des Cris sur les terres de la catégorie IA, où sont situées nos communautés dans le Nord du Québec.

Lorsque les Cris ont signé la Convention de la Baie James et du Nord Québécois en 1975, nous l’avons vu comme un partenariat en matière de gouvernance et de développement avec le Canada et le Québec. C’est dans cet esprit que nous avons négocié avec le Canada la législation fédérale spéciale pour mettre en œuvre le chapitre 9, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, qui est entrée en vigueur en 1984.

Dans les années qui ont suivi la signature de la Convention de la Baie James, les relations entre les Cris et le Canada et le Québec se sont détériorées. De nombreux différends ont surgi au cours des années 1980 et 1990, principalement en raison de l’échec du gouvernement à mettre en œuvre la convention.

Un point tournant dans les relations entre les Cris et le Canada s’est produit en 2008 lorsqu’ils ont signé l’Entente fédérale concernant une nouvelle relation. Cette entente a mis fin aux litiges opposant les Cris et le Canada quant à la mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. D’une importance particulière aujourd’hui, l’Entente fédérale concernant une nouvelle relation prévoit un processus de négociation entre les Cris et le Canada menant à une entente sur la gouvernance de la nation crie et une Constitution crie.

Cette année marque le 350e anniversaire de l’arrivée des Européens dans l’Eeyou Istchee. Or, au moment où ils sont arrivés, nous étions déjà là, en tant que nations autochtones autonomes, depuis des milliers d’années.

L’autonomie gouvernementale des Cris ne commence donc pas aujourd’hui avec l’entente sur la gouvernance de la nation crie, son complément, la Constitution crie, et le projet de loi C-70. Ils mettent en œuvre des lois, aussi importantes soient-elles.

Alors, quelle est leur importance pour nous aujourd’hui? Elles sont d’une importance capitale, pour deux raisons. Premièrement, elles s’appuient sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois en ramenant entre nos mains la gouvernance de la nation crie là où elle appartient. Deuxièmement, elles font ainsi avancer la réconciliation entre la nation crie et le gouvernement du Canada.

L’entente sur la gouvernance de la nation crie et la Constitution crie renforcent l’autonomie gouvernementale des Cris sur les terres de la catégorie IA dans l’Eeyou Istchee qui relèvent de la compétence fédérale dans le cadre de notre traité, la Convention de la Baie James. Ensemble, elles offriront aux Cris une plus grande autonomie et une plus grande souplesse dans la gouvernance sur ces terres.

L’entente sur la gouvernance porte sur trois sujets principaux : la compétence des Premières Nations cries et du gouvernement de la nation crie de faire des lois sur les terres de la catégorie IA, le régime des terres sur les terres de la catégorie IA et les arrangements financiers avec le Canada.

En vertu de l’entente sur la gouvernance, les Premières Nations cries et le gouvernement de la nation crie conserveront les mêmes pouvoirs et responsabilités sur les terres de la catégorie IA qu’ils ont maintenant en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Or, il est important de noter que les deux niveaux de gouvernement cri exerceront leurs pouvoirs en adoptant des lois et non des règlements, comme c’est le cas actuellement.

L’entente sur la gouvernance procurera aux Premières Nations cries la stabilité et la sécurité dont elles ont grandement besoin, car elle définit des arrangements financiers avec le Canada concernant la gouvernance sur les terres de la catégorie IA. Grâce à cette prévisibilité, les Premières Nations cries seront en mesure de planifier à long terme avec plus d’assurance.

La Constitution crie est un instrument interne d’autonomie gouvernementale des Cris relativement à la gestion des Premières Nations cries et du gouvernement de la nation crie sur les terres de la catégorie 1A. Ces dispositions sont actuellement énoncées dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et seront transférées dans la Constitution crie après l’entrée en vigueur du projet de loi C-70. Ces dispositions traitent de questions telles que les procédures pour faire des lois et des résolutions, la composition des conseils élus, les conflits d’intérêts, et l’administration financière et la reddition de comptes.

Une innovation importante pour les Cris est que la Constitution élimine la surveillance résiduelle du ministre des Relations Couronne-Autochtones par rapport à certains règlements administratifs et à l’administration financière des Premières Nations cries. En éliminant cette surveillance externe, la Constitution crie rend les Premières Nations cries et le gouvernement de la nation crie pleinement responsables de leur autonomie gouvernementale.

La Constitution crie peut changer avec le temps, si les Cris le souhaitent. En tant qu’instrument interne d’autonomie gouvernementale des Cris, plutôt qu’une loi fédérale, la Constitution crie peut être modifiée à l’avenir par la nation crie seule.

Le projet de loi C-70 prévoit l’édiction de la Loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee. Cette nouvelle loi donnera effet et force de loi à l’entente sur la gouvernance de la nation crie et à la Constitution crie.

Dès son entrée en vigueur, cette loi, en conjonction avec l’entente sur la gouvernance et la Constitution crie, remplacera la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec pour les Cris. Le projet de loi C-70 prévoira cependant le maintien des activités de la Commission crie-naskapie dans son rôle d’ombudsman consistant à enquêter sur les réclamations faites par les bénéficiaires au sujet des questions de mise en œuvre.

Avant de conclure, permettez-moi d’aborder quelques domaines d’intérêt pour le comité.

Nous avons soumis au comité un rapport détaillé sur les consultations relatives à l’entente sur la gouvernance et à la Constitution crie menées par le gouvernement de la nation crie conformément au protocole prévu dans l’entente sur la gouvernance.

Le processus de consultation a été robuste, incluant des séances d’information dans toutes les communautés cries. À la suite de ce processus de consultation, l’entente sur la gouvernance et la Constitution crie ont été officiellement approuvées au printemps 2017 par résolution de toutes les Premières Nations cries.

La Convention de la Baie James et du Nord québécois et l’Entente fédérale concernant une nouvelle relation ont toutes deux été approuvées par référendum ou par vote. L’entente sur la gouvernance et la Constitution crie sont fondées sur les paramètres établis par ces ententes antérieures, répondent à une exigence du chapitre 3 de l’Entente fédérale concernant une nouvelle relation et modernisent essentiellement un cadre de gouvernance existant. De plus, contrairement aux ententes antérieures approuvées par référendum cri, l’entente sur la gouvernance et la Constitution crie n’entraînent aucune quittance ou règlement de réclamations ou de poursuites judiciaires. Elles ne requièrent donc aucun autre référendum pour fin d’approbation.

À mesure que les institutions de gouvernance cries ont été établies, elles ont fait des progrès en vue d’accroître l’équilibre entre les sexes. À l’heure actuelle, près de la moitié des chefs élus des Premières Nations cries sont des femmes, de même qu’un nombre croissant de leurs cadres supérieurs.

Au niveau régional, la grande chef adjointe Mandy Gull a été élue par l’ensemble des membres l’été dernier. Plusieurs directeurs de département du gouvernement de la nation crie et une majorité de ses employés sont des femmes. Le Conseil cri de la santé et la Commission scolaire crie sont tous deux dirigés par des femmes, Bella Moses Petawabano et Kathleen Wootton, élues par l’ensemble des membres. C’est un autre travail en cours dans l’autonomie gouvernementale des Cris.

Dans le secteur de la santé, en réponse à une question préalable de la sénatrice McCallum, nous avons soumis au comité certaines informations détaillées fournies par le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James concernant les résultats de santé des Cris et l’autonomie gouvernementale. En voici un résumé :

Le Conseil cri de la santé est une institution d’autonomie gouvernementale crie établie en vertu du chapitre 14 de notre traité, la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Tous les membres du conseil d’administration du Conseil cri de la santé, sauf un, sont des bénéficiaires cris représentant les communautés cries et le personnel clinique et non clinique.

Depuis la Convention de la Baie James, la Paix des braves et les ententes subséquentes de financement avec le Québec, le Conseil cri de la santé a fait des investissements majeurs dans la santé et les services sociaux et les immobilisations dans les communautés cries.

À quelques exceptions près, les résultats pour la santé se sont considérablement améliorés dans les communautés cries, notamment en ce qui concerne la gastro-entérite, grâce à l’amélioration des infrastructures d’adduction d’eau et d’égouts, la tuberculose, l’espérance de vie, la mortalité infantile et l’hospitalisation des enfants.

Les taux de suicide dans la région crie sont inférieurs à la moyenne canadienne depuis au moins 1975, et sont beaucoup moins élevés que ceux des Premières Nations au Canada en général.

De nouveaux problèmes de santé sont apparus depuis la Convention de la Baie James, notamment le diabète de type 2. Or, grâce aux efforts concertés des services de santé, le nombre de nouveaux cas de diabète diminue lentement.

Certains facteurs déterminants de la santé, tels que le niveau de scolarité et le revenu moyen, se sont améliorés entre 2006 et 2016, tandis que d’autres facteurs, comme le surpeuplement des logements, demeurent préoccupants.

En conclusion, j’espère que ces commentaires aideront le comité à saisir l’importance de l’entente sur la gouvernance de la nation crie, de la Constitution crie et du projet de loi C-70 pour la nation crie d’Eeyou Istchee. Le processus a été long et nous sommes sur le point de le mener à bien.

Nous encourageons les membres du comité à appuyer l’adoption rapide par le Sénat du projet de loi C-70 visant à donner effet à l’entente sur la gouvernance de la nation crie et à la Constitution crie afin de promouvoir l’autonomie gouvernementale et la réconciliation entre la nation crie le gouvernement du Canada.

Je vous remercie de votre attention. Mes collègues et moi serons heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir. Meegwetch.

Le sénateur Patterson : Je vous félicite d’être arrivés à la fin d’un long parcours ayant nécessité un travail considérable, d’après ce que je comprends. Je vous remercie de votre exposé très clair sur la portée de votre travail.

J’aimerais poser une question vraiment toute simple, du moins, espérons-le. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps? Quels obstacles avez-vous dû surmonter? Pourriez-vous nous les décrire, s’il vous plaît?

M. Bosum : Vous parlez des 40 années ou des 10 années?

Le sénateur Patterson : Vous pourriez commencer par les 10 années.

M. Bosum : Je vais répondre en partie, puis je demanderai à Bill de compléter. Je pense que c’est notamment lié au fait que la Convention de la Baie James et du Nord québécois est, comme je l’ai mentionné, le premier traité moderne et que les négociations se faisaient avec un ministère qui était toujours assujetti à une politique sur l’autonomie gouvernementale des Cris, politique qui comprend certainement beaucoup d’aspects avec lesquels nous sommes en désaccord. Il a donc fallu un certain temps pour que les parties s’entendent et créent un processus pour la recherche de solutions de rechange.

Bill Namagoose, directeur exécutif, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : La réponse simple est que nous avons été dans une impasse pendant des années et des années. Comme le grand chef l’a expliqué, l’objectif du gouvernement fédéral était d’imposer une politique en matière d’autonomie gouvernementale aux Cris, tandis que les Cris voulaient que le chapitre 9 de la CBJNQ — qui est un traité — ait préséance sur la politique et serve de fondement au régime de gouvernance de la nation crie. L’impasse a perduré pendant de nombreuses années.

Ce n’est que lorsque le sous-ministre adjoint principal Joe Wild m’a appelé un soir pour me dire qu’il convenait que le traité avait préséance sur la politique que nous avons réussi à dénouer l’impasse. Nous avons ensuite entrepris des négociations aux termes de la CBJNQ plutôt qu’aux termes de la politique sur l’autonomie gouvernementale.

Comme vous le savez, les politiques sur l’autonomie gouvernementale relèvent de la discrétion du gouvernement fédéral. Nous voulions un accord solide à long terme. Nous ne voulions pas dépendre de la discrétion des décideurs du gouvernement du Canada; nous voulions une protection en vertu du document constitutionnel et en vertu d’un traité. Telle était la nature de l’impasse.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici. Je vous félicite tous les deux de votre patience et de votre persévérance. J’ai l’intention d’appuyer ce projet de loi, comme la plupart de mes collègues, j’en suis certain. Disons que nous l’adopterons à une vitesse que vous avez rarement vue.

Vous avez entendu la question que j’ai posée aux fonctionnaires au sujet des ressources, en temps et en argent, qui auraient pu être utilisées à meilleur escient ailleurs, avec tout le respect que je dois à M. Hurley. Pouvez-vous me donner une raison d’espérer? Il me semble évident que ce que vous avez accompli est un modèle pour l’avenir. J’aimerais entendre vos observations sur les aspects de votre réussite qui pourraient être un modèle pour les négociations futures, de façon à ce que le temps et l’argent que vous avez consacré à cela puissent à tout le moins servir aux Premières Nations qui négocieront leurs propres accords. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?

Monsieur Namagoose, vous avez évoqué l’impasse. Je suis un homme d’affaires. Je sais que lorsque les choses se compliquent, c’est-à-dire lorsque les avocats font toutes sortes de tractations et que les gens sont dans une impasse, il devient alors nécessaire de tenir ce que j’appelle une « rencontre sur les principes ». On parle ici d’une rencontre entre les dirigeants afin de dénouer l’impasse. Soit on parvient à un accord, soit tout s’écroule. On cherche habituellement à s’entendre sur des principes, ce qui mène à de nouvelles directives et à la reprise des négociations pour conclure un accord.

Avez-vous eu l’impression, à un moment donné, que vous participiez à une telle rencontre dans un véritable esprit de négociations de nation à nation? Si oui, cela s’est-il fait assez rapidement? Pouvez-vous nous faire part des leçons que vous avez apprises et qui pourraient être utiles, plus tard, pour ceux qui nous regardent?

M. Bosum : Je demanderais à Bill de répondre à la question sur l’impasse. Quant aux leçons apprises, j’invite notre ancien grand chef, Matthew Coon Come, à répondre.

M. Namagoose : Comme je l’ai indiqué, l’impasse a été dénouée lorsque le sous-ministre adjoint principal, M. Joe Wild, a indiqué que le traité avait préséance sur la politique et que les négociations ont commencé.

Il y a eu d’autres tentatives. L’ancien grand chef a rencontré le ministre pour dénouer l’impasse. Il pourrait vous en dire plus à ce sujet.

Matthew Coon Come, ancien grand chef, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) :  

[Note de la rédaction : M. Coon Come s’exprime en cri.]

Je suis ravi d’être ici aujourd’hui. Je reviens tout juste de notre territoire de chasse. Comme vous le savez, je suis semi-retraité, et je ne suis plus grand chef. Je jouis pleinement des droits de notre peuple de pratiquer la chasse, la pêche et le piégeage. J’arrive des terres pour participer à cette réunion et je remercie les dirigeants de leur chaleureuse invitation.

Après réflexion, les dirigeants de la nation crie, menés par de grands chasseurs qui vivaient de la terre, ont développé une vision. Cela a inspiré de jeunes dirigeants, notamment le chef Billy Diamond, Robert Kanatewat, Philip Awashish, et d’autres, qui ont veillé à la promotion d’une vision axée sur l’autonomie gouvernementale, l’autodétermination et l’autosuffisance, un rêve que nous avons eu l’honneur de concrétiser, selon moi. Je crois que l’entente sur la gouvernance et la Constitution crie concrétisent cette vision et lui rendent justice.

L’entente sur la gouvernance et la Constitution crie résulte du long combat des Cris pour concrétiser la vision de la nation crie. L’entente est en soi une véritable forme de réconciliation; elle contribue vraiment à l’édification de liens de nation à nation. La nation crie s’est toujours consacrée au renforcement de la collectivité, mais au cours des 20 dernières années, depuis le tournant du siècle, nous nous sommes concentrés sur l’édification de la nation. Nous avons signé 80 ententes importantes avec le Canada, le Québec et l’industrie. Les plus importantes sont les suivantes : la Paix des braves, signée en 2002, le nouvel accord avec le gouvernement du Canada, signé en 2008, et l’entente sur la nouvelle relation de gouvernance que nous avons signée en 2012 avec le gouvernement du Québec.

Nous sommes en voie d’établir une politique d’inclusion qui permettrait aux Cris de participer aux décisions sur le développement et sur l’établissement de leurs propres structures de façon à favoriser la transparence et la reddition de comptes pour notre peuple.

Toutes les Premières Nations ont déterminé ce qui leur convient le mieux. Il n’y a pas de solution unique. Les dirigeants de la nation crie ont réussi à insuffler à leurs jeunes dirigeants le désir d’être maîtres de leur propre destinée. Nous — les jeunes dirigeants de l’époque — avons réussi à transmettre cette vision, à la promouvoir et à la concrétiser.

Je suppose qu’il n’existe pas de véritable modèle. Les difficultés auxquelles les Cris ont été confrontés étaient liées au respect des accords et des traités qui ont été signés, au respect mutuel nécessaire pour négocier, et aux efforts du gouvernement pour composer avec un nouveau cadre et sortir des sentiers battus.

En ce qui concerne l’entente elle-même, on a toujours tenté de l’intégrer au cadre de la Loi sur les Indiens, aux politiques gouvernementales, alors que c’était, en réalité, une nouvelle entente sur les revendications territoriales, un modèle d’entente moderne et inédit. Faire quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant a nécessité beaucoup de créativité.

On se retrouve avec un exemple classique d’une entente lorsque les deux côtés — le gouvernement fédéral et la nation crie — font des efforts et ont la volonté de négocier et de régler les enjeux.

C’est un long processus, certes, et j’ai eu plusieurs réunions avec des ministres. Je pense toutefois que le véritable tournant, comme Bill Namagoose l’a expliqué, était sa rencontre avec Joe Wild. Cela a été le véritable moment décisif. Vous et moi savons que les politiciens et les élections se succèdent, mais que les fonctionnaires restent toujours en poste. Il arrive parfois que les fonctionnaires qui sont là depuis longtemps aient une connaissance approfondie des enjeux et présentent d’excellentes recommandations. Dans le cas qui nous occupe, ces recommandations ont été acceptées par les deux parties, les Cris et le gouvernement fédéral.

La sénatrice McPhedran : Merci, sénateur Tannas, de votre question. Cela me permet de poursuivre sur le thème général des leçons apprises.

J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue et remercier tous les intervenants qui sont ici aujourd’hui ainsi que les nombreux dirigeants de diverses Premières Nations qui assistent également à la réunion d’aujourd’hui. Je pense que sommes tous conscients que nous créons ici un important précédent.

Chef Bosum, ma question porte sur un point que vous avez soulevé concernant l’équilibre entre les sexes, et en particulier sur les leçons apprises à cet égard. Je tiens tout particulièrement à inviter la grande chef des jeunes, Kaitlyn Hester-Moses, et la grande chef adjointe, Mandy Gull, à présenter leurs observations de leur point de vue.

Je me dois de souligner la présence de M. Coon Come et de lui souhaiter la bienvenue à la réunion. Il y a plus de 30 ans, des femmes dirigeantes et des dirigeants autochtones, dont M. Coon Come et moi-même, ont manifesté ensemble dans le froid, devant le centre des congrès, contre l’accord du lac Meech et les négociations. Cela se rapporte à ma question sur les leçons apprises, puisque nous ne parlons pas seulement de négociations officielles; nous parlons aussi de stratégies.

Merci d’avoir souligné le rôle des fonctionnaires dans ce tournant. Cela dit, le processus visait à faire comprendre aux Canadiens pourquoi l’accord du lac Meech était une erreur sur le plan des droits des femmes et des droits des Autochtones et pourquoi nous manifestions ensemble. Par rapport à cette stratégie, je me rappelle le jour où les dirigeants autochtones nous ont dit qu’ils étaient là parce qu’ils avaient trouvé une meilleure stratégie qu’une simple opposition à l’accord. Cela a évidemment mené au moment où M. Elijah Harper s’est levé à l’Assemblée législative du Manitoba, plume d’aigle à la main, dans ce qui a été un tournant stratégique des négociations constitutionnelles.

Pourriez-vous nous aider à comprendre quels ont été les enseignements, tant sur le plan des stratégies que des mécanismes de mise en œuvre? Quelles seraient vos recommandations pour arriver au point où vous en êtes actuellement, soit l’équilibre entre les sexes?

M. Bosum : Merci beaucoup de ces deux questions. Je vais d’abord céder la parole à Kaitlyn Hester-Moses, qui est grande chef des jeunes et qui est accompagnée de plusieurs jeunes chefs de notre communauté.

Kaitlyn Hester-Moses, grande chef des jeunes, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) :  

[Note de la rédaction : Mme Hester-Moses s’exprime en cri.]

Bonjour. Madame la présidente, je tiens d’abord à vous remercier, vous et le comité.

Je m’appelle Kaitlyn Hester-Moses et je suis grande chef des jeunes du Conseil des jeunes de la nation crie d’Eeyou Istchee. Je suis très honorée d’être ici avec vous tous. Je suis très reconnaissante d’être ici pour être témoin de cela au nom des jeunes Cris et des Cris en général.

Les jeunes Cris ont grandi en entendant parler des remarquables réalisations de la nation crie, soit d’assurer la reconnaissance des droits des Cris et des droits des Autochtones. Nous avons vu comment ces droits se sont traduits en avantages concrets pour nos collectivités et pour nos gens, améliorant ainsi nos conditions de vie. Nous avons également pris conscience de la contribution de la nation crie à l’établissement d’une norme pour l’expression des droits des Autochtones partout au pays.

L’entente sur la gouvernance de la nation crie nous permettra de poursuivre le renforcement de notre autonomie gouvernementale et de franchir une autre étape de l’édification de notre nation.

Nous, les jeunes, avons compris les objectifs derrière les réalisations de la nation crie : la création d’un avenir positif et prometteur pour notre peuple et pour les futures générations du peuple cri.

Nous comprenons que ces réalisations s’accompagnent de responsabilités. C’est à nous, les jeunes Cris, qu’il incombe désormais d’acquérir les compétences et la formation requise pour exercer notre autonomie gouvernementale avec efficacité et transparence, et avec l’obligation de reddition de comptes à la population.

Je tiens à exprimer la gratitude des jeunes d’Eeyou Istchee aux dirigeants actuels et passés de la nation crie qui ont lutté avec tant d’acharnement et pendant si longtemps pour arriver où nous en sommes aujourd’hui. Je tiens à exprimer notre gratitude au gouvernement du Canada pour avoir été un partenaire respectueux de la nation crie dans l’important périple que nous avons entrepris.

Merci. Meegwetch.

Mandy Gull, grande chef adjointe, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) :  

[Note de la rédaction : Mme Gull s’exprime en cri.]

Je vais simplement traiter brièvement des progrès de la nation crie. La mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois nous a donné l’occasion de faire connaître des initiatives fortement axées sur les droits des femmes. En tant que dirigeante nouvellement élue et deuxième femme seulement à occuper ce poste — l’autre étant l’ancienne grande chef adjointe Violet Pachanos, qui a siégé avec M. Coon Come —, j’ai le grand privilège de représenter les femmes de la nation crie. Comme le grand chef Bosum l’a indiqué, j’ai été élue l’été dernier, grâce à l’appui important des femmes de la nation crie.

Je suis à même de constater, en tant que femme bénéficiaire de cette nation, que cela entraînera d’intéressants progrès pour la situation des femmes. Les femmes, souvent de jeunes femmes ayant des enfants et une famille, forment la majorité des diplômés de niveau postsecondaire qui ont fait leurs études sous l’égide de la Commission scolaire crie créée aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Je suis moi-même une diplômée du programme des services aux étudiants de niveau postsecondaire. J’ai eu l’occasion d’aller à l’université et de terminer mes études universitaires, ce qui n’aurait pas été possible sans la Convention de la Baie James et du Nord québécois et sans la création de la Commission scolaire crie et du Conseil cri de la santé.

En outre, le Conseil cri de la santé a mis en place de nombreux programmes qui ont été fort bénéfiques aux femmes. Fait à souligner, la collectivité de Chisasibi a récemment accueilli son premier nouveau-né, avec l’aide de sages-femmes formées par des femmes cries. Je suis très fière et honorée de savoir que notre nation continue de croître et que nous avons maintenant la possibilité d’accueillir nous-mêmes nos nouveau-nés, nos nouveaux membres, sur le territoire de notre nation.

De plus, la nation crie est très ouverte et est déterminée à faire avancer les droits des femmes. Je crois que la création de l’Association des femmes cries d’Eeyou Istchee nous a permis de faire un grand pas en avant, puisque nous avons des groupes de femmes qui offrent du soutien, des activités, de l’information et de la formation aux femmes de la collectivité.

Nous représentons un peu plus de 50 p. 100 de la population, alors je crois qu’on a fait beaucoup d’efforts. J’ai moi-même eu l’occasion d’être formée par d’excellents leaders qui ont toujours été très ouverts et respectueux à l’égard des femmes. Je suis très heureuse de pouvoir vous faire part de quelques-unes des mesures prises dans la nation crie. Merci.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C’est très encourageant de vous entendre parler de vos réussites. Nous vous félicitions pour le nombre de femmes qui s’engagent dans la collectivité et qui sont des leaders. J’ai toujours une image du yin et du yang en tête, parce qu’il faut travailler ensemble pour faire bouger les choses et pour faire des jeunes forts et en santé.

J’aimerais savoir comment se porte votre programme de santé. Est-ce que vous travaillez ensemble pour créer les programmes et promouvoir une vie saine et active auprès des jeunes? Vos collectivités et leurs membres ont subi d’énormes changements et sont passés d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire. Partout dans le monde, les familles, les parents et les enfants passent trop de temps sur leurs appareils et pas assez de temps à l’extérieur à faire de l’exercice.

Pourriez-vous commenter cela et nous donner un aperçu de l’avenir de vos programmes en matière de santé et d’éducation?

Mme Gull : Je sais que le Conseil cri de la santé et la Commission scolaire crie ont entrepris d’importantes initiatives au cours des 5 à 10 dernières années; ils ont fait un important travail de planification en vue d’adopter une approche stratégique à l’égard de la prestation des services.

Le Conseil cri de la santé a renforcé sa gouvernance et a formé ses membres afin qu’ils comprennent bien le service qu’ils offrent à la collectivité. Le conseil a offert des programmes de formation poussée pour le perfectionnement et l’embauche des infirmières. Le nombre de personnes qui souhaitent faire le métier d’infirmière autorisée a augmenté.

Étant membre de la collectivité qui reçoit des services à sa clinique locale, je peux vous dire que la présence d’une personne qui parle votre langue maternelle aide énormément. Cela a beaucoup aidé les aînés.

Bien sûr, nous avons aussi lancé des initiatives pour transmettre des renseignements sur les méthodes d’accouchement traditionnelles et la médecine traditionnelle pour les enfants. De plus, grâce au programme de sages-femmes, les femmes ont maintenant la possibilité d’accoucher dans la collectivité.

Nous offrons plusieurs autres programmes qui se centrent sur un mode de vie sain pour les Cris. Je crois qu’il s’agit d’une façon unique de reconnaître le mode de vie cri et de l’encourager.

La Commission scolaire crie a également suivi un processus exhaustif : elle a réalisé une planification stratégique et désigné plusieurs cibles et marqueurs à atteindre au cours des prochaines années. Elle a grandement misé sur la formation des enseignants en cri, sur l’enseignement de la culture crie et sur la valorisation du mode de vie cri, afin que les enfants puissent apprendre en classe comme à l’extérieur de l’école. De façon particulière, nous avons tenu une séance de mobilisation sur la langue crie. Nous nous centrons sur l’établissement d’une commission qui créera un protocole et des processus pour faire de la langue crie la langue officielle de la nation crie, qui sera utilisée au travail, en classe et dans les cliniques. C’est notre langue première. C’est la langue que nous utilisons dans le cadre des réunions du gouvernement et que nous utilisons le plus souvent au travail.

De façon informelle, c’est la langue parlée au quotidien dans la collectivité. Je suis très fière de dire que notre nation a su préserver sa langue et son lien très étroit avec le territoire; qu’elle continue de chasser, de pêcher et de trapper de façon saisonnière.

Mme Hester-Moses : Le Conseil cri de la santé a pour objectif d’améliorer la santé des gens, surtout des jeunes. Le Conseil des jeunes de la nation crie offre de nombreux programmes qui aident les jeunes à développer leur leadership en santé.

Je sais que les jeunes trouvent la guérison sur leur territoire. Je sais aussi que la nation crie a établi de nombreux partenariats avec diverses organisations pour améliorer et accroître notre santé mentale, physique et spirituelle.

Nous continuerons de trouver des façons d’aider les jeunes parce qu’ils représentent l’avenir de la nation crie. Nous savons que les leaders cris nous aideront à trouver notre chemin parce qu’ils nous guident depuis longtemps et qu’ils ont travaillé très fort pour nous mener là où nous sommes aujourd’hui. Nous savons que nos leaders nous formeront et qu’ils feront tout en leur possible pour nous aider.

La sénatrice Deacon : Je remercie tous les témoins de leur présence ici aujourd’hui. Vous nous offrez une très belle représentation et c’est très bien de vous voir tous réunis dans cette salle. Je vous ai écoutés et je crois que le sénateur Tannas et la sénatrice Raine ont abordé certains des sujets que je vais aborder.

Nous avons parcouru un long chemin; on nous a donné beaucoup de chiffres à ce sujet. C’est un long chemin, certes, mais ce n’est que le début également. On parle de yin et de yang, d’aller de l’avant et de célébrer.

Vous avez parlé de la vision relative au leadership cri, de ce que vous pouviez devenir et de ce que vous deviez faire. Ma question a trait aux jeunes. Kaitlyn, vous pourrez peut-être me répondre en premier. Les gens ici dans la salle nous laisseront un grand héritage. Ils ont travaillé très, très fort, mais si l’on pense aux prochaines générations, aux enfants de 4, 6 ou 10 ans, quelles sont les deux ou trois choses qu’on pourrait observer au cours des 10 prochaines années grâce à ce qui se passe aujourd’hui?

M. Bosum : Si vous me le permettez, pendant qu’elle réfléchit, j’aimerais poser la question à Paul John Murdoch, qui est notre jeune avocat. Il a été témoin de cela et je suis certain qu’il a une vision à nous partager.

Paul John Murdoch, avocat, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) :  

[Note de la rédaction : Me Murdoch s’exprime en cri.]

À mon avis, ce qui est intéressant, surtout avec le processus de consultation sur cet accord, c’est la rapidité avec laquelle les jeunes ont compris qu’il pouvait s’agir d’un bon outil pour l’avenir. Je suis heureux de voir certains d’entre eux dans la salle aujourd’hui, notamment Kaitlyn. Comme elle l’a dit plus tôt, nous misons sur le travail des anciens leaders et nous travaillons avec eux. J’ai pu travailler avec Matthew Coon Come, Ted Moses, le grand chef Mukash et maintenant avec Abel Bosum.

Les jeunes et les leaders entretiennent une relation très intime. Étant le neveu de Billy Diamond, j’ai appris beaucoup de lui, mais en même temps, comme nous entretenions une relation personnelle, je n’avais pas l’impression qu’il m’enseignait quelque chose. Je le regardais et je l’écoutais. Souvent, on apprend un peu mieux dans un cadre informel.

Nous avons déjà commencé à recevoir des appels des jeunes, il y a un mois, au sujet de l’accord. Ils nous demandent quand ils pourront mettre la main sur leur constitution, quand ils pourront davantage parler le cri, quand leurs droits seront garantis, quand ils pourront traiter de questions comme l’égalité entre les sexes et ainsi de suite. Ils sont très excités à l’idée de cet accord.

Aussi, lorsque nous avons entrepris les consultations, il y a eu beaucoup de questions et même certains malentendus au sujet de l’accord, puisqu’il se fonde sur la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Les gens ne comprenaient pas d’où venaient les règles et comment le chef était élu. Ils se demandaient comment on décidait du quorum et comment on tranchait toutes les questions. Donc, comme nous prenons le contrôle de tout cela, nous avons notamment parlé d’une collaboration entre le gouvernement de la nation crie et le Conseil jeunesse pour préparer une émission télévisée qui expliquera comment nous allons nous gouverner et quelles sont nos sources. Ainsi, lorsque nous passerons à la prochaine étape, les gens sauront de quoi il en retourne.

C’est un processus très excitant et je crois que les jeunes sont remplis d’espoir.

La sénatrice McCallum :  

[Note de la rédaction : la sénatrice McCallum s’exprime en cri.]

Nous vous remercions de vous joindre à nous. J’aimerais faire quelques commentaires.

Vous avez pu préserver votre culture, votre spiritualité et votre lien avec la terre par l’entremise de programmes de transition qui vous ont permis de chasser en famille plutôt que de le faire de façon individuelle, par exemple, comme cela a été le cas dans ma collectivité. Vous avez aussi accès aux services de santé offerts dans l’Ouest.

Lorsque je regarde vos objectifs stratégiques, je suis très heureuse d’y voir les déterminants sociaux de la santé. Je n’ai pas vu cela dans tous les programmes. Vous avez des objectifs stratégiques dans plusieurs domaines comme les services de première ligne, les services spécialisés et les maladies chroniques. Je voulais surtout parler de santé mentale et de dépendances. C’est la première fois que je vois la violence sexuelle à titre de priorité. Il y a beaucoup de choses sacrées dans nos collectivités, des sujets que nous ne voulons pas aborder, mais que vous avez mis de l’avant. Je suis très heureuse de voir toutes les mesures que vous mettrez en œuvre.

Lorsque nous étions à Winnipeg, nous avons parlé avec les Autochtones vivant à l’extérieur des réserves. Ils n’ont pas vraiment eu leur mot à dire au sujet de l’accès aux soins de santé en milieu urbain. Comment allez-vous veiller à les écouter et à tenir compte des enjeux dans les villes?

M. Bosum : La Convention de la Baie James et du Nord québécois offre aux Cris la possibilité d’adopter un mode de vie traditionnel, c’est-à-dire de vivre sur le territoire, et un mode de vie contemporain, c’est-à-dire de travailler dans la collectivité et d’obtenir un emploi dans la région.

Ces accords nous ont permis de mettre sur pied toutes sortes de programmes pour aider les gens qui vivent sur le territoire. Pour nous, c’est très important, parce que ces gens occupent le territoire. Ainsi, ils peuvent maintenir ce mode de vie et le réintégrer dans les collectivités.

En collaboration avec des institutions comme la Commission scolaire crie et le Conseil cri de la santé, qui ont leurs propres responsabilités en matière d’éducation, de services de santé et de services sociaux, nous trouvons des façons de réduire l’écart de sorte que les gens qui occupent le territoire sentent qu’ils font partie du processus.

C’est tout à fait unique. Je crois que nous sommes chanceux d’avoir des gens qui veulent encore vivre sur le territoire. Nous y avons donc accès. Cela explique pourquoi nous sommes toujours sur un pied d’alerte en ce qui a trait aux développements, parce que nous savons que tout ce qui se passera aura une incidence sur le mode de vie, sur les gens et sur notre avenir.

Il est important pour nous de maintenir un bon équilibre entre les deux modes de vie offerts dans la Convention de la Baie James.

Le sénateur Christmas : Je tiens à féliciter vos leaders pour leur patience, leur persévérance et leur résilience pour surmonter tous les obstacles qui se sont dressés sur votre chemin. Je vous remercie de nous avoir partagé les leçons apprises, surtout de nous avoir appris que le traité l’emportait sur les politiques du gouvernement fédéral. C’est une puissante leçon.

J’aimerais vous poser une question ouverte : pouvez-vous nous expliquer comment cette entente rendra le Canada plus fort et meilleur?

M. Namagoose : L’entente vise notamment à faire respecter les obligations du Canada à l’égard des peuples autochtones.

Nous avons 20 000 personnes dans le Nord du Québec, et 95 p. 100 d’entre elles vivent toujours dans les communautés cries. Nous avons gardé les gens dans nos collectivités. C’est un modèle de réussite, mais il faut aussi la participation du Canada et du Québec pour que ce succès se poursuive. Lorsque les Cris connaîtront la réussite, le Canada connaîtra lui aussi la réussite.

La présidente : Nous allons maintenant passer à l’étude article par article.

Mesdames et messieurs les sénateurs, en temps normal, nous demanderions aux témoins de quitter la table. Mais comme la salle est pleine, j’aimerais qu’on présente une motion pour qu’ils puissent rester à la table.

Le sénateur Patterson présente la motion. Êtes-vous d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : La motion est adoptée. Merci.

Est-il convenu de procéder à l’étude article par article du projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois?

Des voix : D’accord.

La présidente : Il en est ainsi convenu.

Avec permission, est-il convenu que le comité puisse regrouper les articles selon les trois parties désignées dans le projet de loi au besoin?

Des voix : D’accord.

La présidente : Il en est ainsi convenu.

Est-il convenu de reporter l’étude du titre?

Des voix : D’accord.

La présidente : Il en est ainsi convenu.

La partie 1 intitulée « Loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee », qui contient l’article 1, est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Adoptée.

La partie 2 intitulée « Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec », qui contient les articles 2 à 123, est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Adoptée.

La partie 3, intitulée « Dispositions transitoires, modifications connexes, modifications corrélatives et dispositions de coordination », qui contient les articles 124 à 135, est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Adoptée.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La présidente : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D’accord.

La présidente : Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

La présidente : Dois-je faire rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : D’accord.

La présidente : Voilà, le projet de loi est adopté.

Des voix : Bravo!

La présidente : Félicitations.

(La séance est levée.)

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