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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 14 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 9 heures pour étudier la teneur des éléments de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Scott Tannas (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même, dans la salle, à la télévision ou sur le Web.

Dans l’intérêt de la réconciliation, je voudrais souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.

Je suis Scott Tannas, de l’Alberta. J’ai le privilège de présider la séance d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Nous entamons aujourd’hui notre examen de la teneur des éléments de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Avant de commencer, j’inviterais mes collègues sénateurs à se présenter.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire du Traité no 6, Alberta.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, territoire du Traité no 10, région du Manitoba.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le vice-président : J’aimerais souhaiter la bienvenue au comité à Robert Bertrand, chef national du Congrès des peuples autochtones, et à Jocelyn Formsma, directrice exécutive de l’Association nationale des centres d’amitié. Merci de comparaître devant le comité ce matin.

Avant de commencer, nous avons des notes d’allocution du chef national Bertrand, en anglais seulement. Sommes-nous d’accord pour accepter un document unilingue pour notre usage ce matin?

Des voix : D’accord.

Le vice-président : Nous allons commencer par la déclaration liminaire du chef Bertrand, puis nous passerons à Mme Formsma.

Robert Bertrand, chef national, Congrès des peuples autochtones : Bonjour, mesdames et messieurs, représentants et invités. Merci de m’avoir invité à participer aujourd’hui à l’étude préliminaire du projet de loi C-97 au nom du Congrès des peuples autochtones.

Je tiens à reconnaître que nous sommes sur le territoire traditionnel et non cédé des peuples algonquins et de leurs descendants.

La section 25 du projet de loi C-97 établit le ministère des Services aux Autochtones et le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord et énonce les attributions ministérielles. Le CPA et ses organismes affiliés n’ont pas été consultés sur la division d’Affaires autochtones et du Nord Canada en deux ministères.

À notre avis, par cette loi, le gouvernement continue d’imposer des structures de gouvernement coloniales et paternalistes. Nous sommes préoccupés par le fait que le projet de loi définit le mandat de Services aux Autochtones Canada de manière assez étroite pour ne fournir des programmes et des services qu’aux Autochtones qu’il juge admissibles.

Tout d’abord, je parlerai des définitions figurant dans la loi. Comme nous le savons tous, le gouvernement canadien utilise depuis longtemps des définitions pour assimiler et exclure nos peuples. Dans le projet de loi C-97, peuples autochtones s’entend de peuples autochtones du Canada au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans cette loi, les peuples autochtones du Canada incluent les Indiens, les Inuits et les Métis du Canada.

La définition qui y figure s’étend aux membres du CPA. Depuis plus de 48 ans, le CPA défend les droits et les besoins des Indiens inscrits et non inscrits vivant hors réserve, des Métis du Canada et des Inuits du Sud du Labrador, dont la plupart vivent dans des régions urbaines, rurales et éloignées.

Le CPA croit que le gouvernement doit adhérer à la définition de peuples autochtones énoncée dans la Constitution lors de l’élaboration de lois, de programmes et de politiques pour tous les peuples autochtones. Cependant, ce que le projet de loi C-97 n’indique pas clairement, c’est la définition des Autochtones admissibles, à laquelle il est fait référence dans plusieurs articles.

Le CPA soutient que les personnes qui sont des Métis et des Indiens non inscrits doivent être explicitement incluses dans la définition d’Autochtones dans le projet de loi afin qu’elles puissent bénéficier des services fournis aux personnes autochtones du Canada.

En 2016, la Cour suprême du Canada a confirmé à l’unanimité, dans l’arrêt Daniels c. Canada, que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le gouvernement doit reconnaître sa responsabilité de légiférer à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits, comme cela est clairement indiqué dans l’arrêt Daniels. Le projet de loi C-97 devrait explicitement refléter cette responsabilité.

Des précisions s’imposent également en ce qui concerne la définition par le gouvernement de corps dirigeant autochtone figurant dans le projet de loi C-97. Il est actuellement défini de la façon suivante : « [...] conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. »

Nous demandons également que l’on précise si les organisations autochtones en région urbaine et hors réserve sont considérées comme des corps dirigeants. Qui confère le pouvoir à ces organisations et qui fournira des services à tous les peuples autochtones dans les régions urbaines et rurales?

Depuis la création fonctionnelle de Services aux Autochtones Canada, nous n’avons pas eu de dialogue positif avec ce ministère. Récemment, en janvier 2019, le CPA a invité le nouveau ministre O’Regan à nous rencontrer pour discuter du mandat du ministère et de l’accord politique du CPA avec le gouvernement fédéral ainsi que de nos travaux visant à améliorer les conditions socioéconomiques des peuples autochtones vivant hors réserve au Canada.

Dans une lettre du 14 avril 2019, le cabinet du ministre a refusé et nous a invités à collaborer avec la ministre des Relations Couronne-Autochtones.

Comment le ministre des Services aux Autochtones du Canada peut-il refuser de rencontrer une organisation autochtone nationale et de reconnaître le besoin d’améliorer les conditions socioéconomiques des peuples autochtones, quel que soit leur lieu de résidence?

Les paragraphes 6(1) et 6(2) du projet de loi C-97 portent que le ministre est responsable des affaires liées aux services à l’enfance et à la famille. Cette année, Services aux Autochtones Canada a également présenté le projet de loi C-92 sans consulter nos gens. Si elle est adoptée, la loi laissera d’énormes lacunes dans les services à l’enfance et à la famille pour les populations de Métis et d’Indiens non inscrits vivant hors réserve.

Le préambule de la sous-section A de la section 25 du projet de loi C-97 indique qu’il convient que le ministre des Services aux Autochtones :

[...] tienne compte des écarts qui persistent au plan socioéconomique dans divers domaines entre les Autochtones et les autres Canadiens et des facteurs sociaux ayant une incidence sur la santé et le bien-être; [...]

Les inégalités qui divisent les populations autochtones et non autochtones du Canada sont largement reconnues et touchent les membres du CPA.

Le gouvernement canadien a créé des programmes conçus pour combler les lacunes au chapitre de la scolarisation, de l’égalité des revenus, de l’emploi et de l’accès aux services de santé, comme le Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire, les Services de santé non assurés pour les Premières Nations et les Inuits et le Programme préparatoire à l’entrée au collège et à l’université qui existent actuellement et relèvent maintenant de Services aux Autochtones Canada. Cependant, l’accès à ces programmes est limité aux personnes inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada ou reconnues comme étant des Inuits.

Nos peuples continuent d’être exclus de ces programmes essentiels. Nos jeunes qui ont le plus besoin de soutien afin d’avoir le meilleur départ dans leur éducation sont laissés pour compte.

Le projet de loi C-97 définit l’obligation incombant au ministre en matière d’éducation. Les membres des Premières Nations vivant hors réserve, les Métis, les Inuits et les Indiens non inscrits continuent d’avoir un niveau d’instruction postsecondaire inférieur à celui des populations non autochtones. Les données de 2016 montrent que seulement 52,1 p. 100 des Indiens non inscrits de 25 à 64 ans avaient un diplôme d’études secondaires. Ce chiffre est bien inférieur aux deux tiers environ de la population non autochtone possédant un diplôme d’études postsecondaires.

En outre, le taux de chômage de la population d’Indiens non inscrits était de 12,7 p. 100, comparativement à 7,4 p. 100 pour la population canadienne non autochtone, et son revenu médian s’établit à 26 145 $ contre 34 604 $ pour la population non autochtone.

Dans l’arrêt Daniels, la Cour suprême du Canada a décrit les Métis et les Indiens non inscrits comme se retrouvant dans un désert juridique avec des conséquences défavorables importantes et évidentes. En Cour fédérale, dans la même affaire, le juge Phelan a reconnu que les Métis et les Indiens non inscrits étaient privés de programmes, de services et d’avantages non tangibles que tous les gouvernements reconnaissent comme étant nécessaires.

La décision de la Cour suprême a clairement montré que le jugement déclaratoire aurait une utilité pratique considérable pour ceux qui ont dû compter davantage sur une forme de « noblesse oblige » que sur le respect des obligations imposées par la Constitution. Un jugement déclaratoire garantirait à la fois certitude et responsabilité. L’arrêt Daniels a résolu la question de responsabilité envers nos peuples.

Aux fins de la responsabilité et de la certitude, nous demandons que le libellé du projet de loi relatif au mandat du ministère des Services aux Autochtones soit élargi afin d’indiquer la responsabilité de servir les Métis et les populations d’Indiens non inscrits.

Le gouvernement fédéral a la possibilité de remédier aux inégalités et à la discrimination qu’il a trop souvent propagées. Il est temps que le Canada reconnaisse que ses responsabilités envers nos peuples autochtones ne peuvent se limiter à celles qu’il choisit de reconnaître.

Dans un esprit de réconciliation, le CPA demande à Services aux Autochtones Canada de servir tous les peuples autochtones, indépendamment de leur statut ou de leur lieu de résidence. Nous croyons que tous les citoyens autochtones ont le droit d’être traités avec respect, dignité, intégrité et égalité.

Tous les peuples autochtones doivent avoir un accès réellement égal aux programmes et aux services. Nos droits en tant qu’Autochtones, tels que reconnus dans la Constitution canadienne et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, doivent bénéficier de la même protection.

Je vous remercie. Meegwetch.

Jocelyn Formsma, directrice exécutive, Association nationale des centres d’amitié : Je serai brève. Je suis heureuse d’avoir été invitée à prendre la parole devant le Sénat au nom de l’Association nationale des centres d’amitié.

Le projet de loi est énorme, mais je formulerai quelques commentaires sur ses articles qui sont pertinents par rapport à ce que nous présentons au comité.

En ce qui concerne la partie qui traite du ministère des Services aux Autochtones, nous notons que le mandat est suffisamment large pour tenir compte du travail accompli par les centres d’amitié. Nous considérons que cela fait partie de ce mandat. Étant donné que nous représentons le réseau de centres d’amitié au Canada, nous voulons nous assurer que le nouveau ministère considère notre organisation comme un intervenant essentiel lorsqu’il parle du travail qu’il effectuera, notamment le transfert progressif de ses responsabilités à des organisations autochtones, qui se trouve dans le préambule.

Nous avons présenté nos points de vue sur les définitions de corps dirigeant autochtone et d’organisation autochtone. Que les centres d’amitié soient inclus ou non en tant qu’organisation autochtone, il serait peut-être nécessaire, par souci de clarté, de modifier cette définition, notamment en supprimant la référence à un corps dirigeant autochtone ou toute autre entité qui représente les intérêts d’un groupe autochtone.

Comme nous l’avons mentionné, les centres d’amitié ne prétendent pas représenter des personnes. Nous représentons des centres d’amitié qui ont un point de vue et sont des organisations de la société civile fournissant une large gamme de services, mais ce sont également des carrefours communautaires pour les peuples autochtones vivant en milieu urbain.

Bien que nous soyons un important fournisseur de services et que nous constituions des carrefours principaux pour les collectivités autochtones urbaines qui existent partout au Canada, nous ne ferions pas un pas de plus pour dire que nous représentons des personnes, pour ainsi dire.

Cependant, nous sommes un intervenant clé dans le paysage urbain autochtone lorsque vous examinez notre réseau de plus de 112 centres d’amitié locaux et associations provinciales et territoriales. Chaque année, nous servons des centaines de milliers d’Autochtones, de membres des Premières Nations, de Métis et d’Inuits, ainsi que des centaines de milliers d’enfants et de jeunes. Nous pensons que ce serait une erreur de ne pas être inclus en tant qu’organisation autochtone ou intervenant clé dans ce projet de loi.

Voici ce que nous proposerions : examiner la définition d’une organisation autochtone en tant qu’entité ou institution détenue et exploitée par des peuples autochtones, ce que sont les centres d’amitié. Nous ne pouvons pas être affiliés à une organisation politique. Certains de nos membres sont des organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits et ont de bonnes relations avec celles-ci. Dans l’ensemble, nous sommes des centres appartenant à des Autochtones ou exploités par des Autochtones en général et, habituellement, un mélange des deux.

J’aimerais faire quelques commentaires au sujet des responsabilités du ministre. Comme il n’y a pas de distinction à faire dans les responsabilités du ministre, nous voulons nous assurer qu’elles englobent tous les peuples autochtones du Canada, ce qui comprend les Autochtones vivant en milieu urbain et les Indiens non inscrits. Dans les attributions du ministre, je mentionne à nouveau la référence aux organisations autochtones où il devient important que cette définition entre en jeu.

L’article 13 prévoit un appui aux organismes autochtones. La définition indique :

Le ministre peut soutenir les organismes autochtones qui se spécialisent dans les recherches ou les statistiques...

L’Association nationale des centres d’amitié a été le secrétariat pendant un certain nombre d’années du Réseau de savoir sur les Autochtones vivant en milieu urbain, qui était un regroupement de carrefours régionaux réalisant des recherches fondées sur la collectivité. Le fait de nous regarder, puis de dire que nous nous spécialisons dans les recherches ou que tout ce que nous faisons, c’est de la recherche, ne correspond peut-être pas à cette définition. Cependant, nous avons été le secrétariat qui soutenait et facilitait de telles recherches communautaires.

C’était important, parce que nous voulions que la collectivité soit responsable des recherches et dirige les établissements universitaires. Nous ne sommes pas uniquement une institution de recherche. Nous voulions nous assurer que le soutien à l’intention des organismes autochtones — un terme qui n’est pas défini dans la loi — soit assez large pour inclure des organisations comme la nôtre qui réalisent des recherches dans le cadre de leurs travaux.

Je veux maintenant parler de Relations Couronne-Autochtones et d’Affaires du Nord Canada ou de la composante de RCAANC. Dans un même ordre d’idées, je veux m’assurer que les définitions et le préambule incluent tous les Autochtones. Je veux faire part au comité d’un point de vue, surtout en ce qui concerne la mise en œuvre de la DNUDPA, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Encore une fois, nous nous considérons comme un intervenant majeur. Nous ne nous voyons pas comme une entité qui représente des gens sur le plan politique. Cependant, l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies porte que :

Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes...

Pour nous, il ne fait aucun doute que nous sommes une institution sociale. Nous ne sommes pas nécessairement une institution politique, juridique ou économique, mais nous sommes assurément une institution sociale. L’article 23 porte que :

Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’élaborer des priorités et des stratégies en vue d’exercer leur droit au développement.

On peut ensuite lire que les Autochtones :

... on le droit d’être activement associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d’autres programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer par l’intermédiaire de leurs propres institutions.

Nous estimons être des Autochtones qui exploitent leurs propres institutions. L’article 33 porte que :

2. Les peuples Autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures.

Et pour terminer, l’article 34 prévoit que :

Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leur structure institutionnelle [...] en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.

Lorsque nous pensons à Relations Couronne-Autochtones, le lien entre le ministère et les centres d’amitié n’est pas un lien aussi direct que celui qu’on pourrait imaginer entre l’Assemblée des Premières Nations, l’ITK et toute autre organisation autochtone nationale. Cependant, nous estimons avoir une bonne idée de ce qui se passe dans les collectivités.

Des gens viennent nous voir chaque jour. Nous aimerions assurément avoir une relation et un partenariat avec le ministère afin de pouvoir lui fournir ces points de vue, de façon à ce que les politiques créées soient fondées sur de bons renseignements concernant ce qui se passe sur le terrain.

Nous estimons que les centres d’amitié sont une expression des Autochtones en tant que particuliers et l’expression de l’autodétermination. Ce sont les gens qui se réunissent pour trouver des ressources et recueillir ce dont ils ont besoin pour aider d’autres personnes au sein des communautés urbaines qu’ils ont créées. Nous ne voyons pas là des communautés panautochtones. Ce sont des communautés autochtones composées de nombreuses personnes différentes d’un grand nombre de nations différentes.

Nous pourrons vous parler des façons dont les centres d’amitié favorisent l’autodétermination grâce à la prestation de services, à l’éducation, à la revitalisation culturelle, au bien-être économique, à la souveraineté alimentaire et à la revitalisation des langues.

Voilà ce que j’avais à dire au sujet du projet de loi. Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à vous deux. Vous avez été très clairs, et vos recommandations très spécifiques sont utiles. J’ai une question précise pour chacun de vous, mais, avant, j’ai une question générale à poser.

Le nouveau ministre de Services aux autochtones est venu au Sénat. Il s’est fait poser une question par notre collègue, le sénateur Joyal, au sujet de cette mesure qui participe au processus d’élimination de la Loi sur les Indiens. Voici l’une des choses que le ministre a dites :

Cette mesure a été prise précisément pour accélérer les efforts visant à soustraire les Premières Nations à la Loi sur les Indiens et à abolir celle-ci.

J’aimerais que chacun d’entre vous me dise dans quelle mesure vous êtes d’accord ou en désaccord avec ce tournant fondamental. Ce n’est pas seulement une modification technique. L’objectif est de mener le Canada vers un nouveau chemin. Du moins, c’est ce qui a été dit à ce moment-là.

Quelle est votre réaction à ce mouvement général lié à la création de ces deux nouvelles entités dans le but de nous soustraire à la Loi sur les Indiens et, en fait, à l’abolir au bout du compte?

M. Bertrand : Pour ce qui est du CPA, nous sommes en faveur de ce nouveau processus. Je l’ai dit à plusieurs reprises lorsque j’ai comparu ici, nous nous opposons fortement au fait qu’on laisse toujours en plan les personnes à l’extérieur des réserves que le CPA représente. Une partie importante de la population autochtone est touchée et ne sera pas représentée par les organisations.

À la lecture du préambule, ils interagiront avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Beaucoup de personnes passent entre les mailles du filet. Ce sont des personnes que nous représentons qui ne seront pas représentées dans le cadre de ce nouveau processus ou peu importe comment vous voulez l’appeler.

Mme Formsma : J’ai deux questions à poser. Si c’est quelque chose qui pointait à l’horizon et que nous devions être mobilisés, de quoi les gens auront-ils besoin, et notamment de notre part, en tant que centres d’amitié?

Lorsqu’un changement est apporté à la Loi sur les Indiens, nous constatons qu’il y a aussi un changement en ce qui concerne ce dont les gens ont besoin de la part des centres d’amitié. Si les gens deviennent soudainement des Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens après un changement apporté à la loi, nous constatons que plus de personnes viennent dans les centres pour découvrir ce que cela signifie d’obtenir enfin le statut. Ils cherchent de l’information. Lorsqu’il y a des changements, cela influe sur la façon dont nous pouvons fournir les services.

Je n’ai pas le rapport final, ici, mais nous avons réalisé un certain nombre de consultations auprès des centres d’amitié de partout au Canada relativement au projet de loi S-3, le projet de loi sur la citoyenneté. Je n’ai pas le rapport final, alors je ne pouvais pas fournir un aperçu. Je me souviens d’avoir participé à notre rassemblement national, et les gens parlaient de la façon dont la citoyenneté influe sur la prestation des services.

Un certain nombre de citoyens des Premières Nations viennent dans les centres d’amitié parce qu’ils n’ont pas pu avoir accès à ces services dans leur Première Nation. Les gens qui sont loin de leur territoire natal ne peuvent pas faire valoir leurs droits ancestraux et issus de traités. Ils se tournent vers le travail des centres d’amitié pour répondre à leurs besoins.

Je pourrais peut-être communiquer les résultats de ce rapport final au Sénat, si vous croyez qu’ils peuvent vous aider à comprendre ce que les Autochtones en milieu urbain disent au sujet des Premières Nations et de la citoyenneté au sein des Premières Nations dans ce projet de loi.

La sénatrice Coyle : Le point que vous soulevez est très clair, chef Bertrand : vous devez être mentionnés expressément afin de ne pas être encore une fois laissés de côté. Je ne parle pas de vous personnellement, je parle des gens que vous représentez qui ont un droit clairement défini depuis la décision Daniels. Vous voulez vous assurer que c’est explicite.

Madame Formsma, vous êtes préoccupée par la section des définitions. Vous ne formez pas une organisation ou une composante d’un groupe d’organisations ou d’organisations gouvernantes qui est représentative des Autochtones du Canada, alors vous pourriez peut-être être laissés de côté par inadvertance en raison de la façon dont tout ça est défini actuellement.

Je crois vous avoir entendu parler des organisations détenues ou exploitées par des Autochtones. Pouvez-vous nous rappeler le libellé que vous aimeriez voir remplacé ou ajouté?

Mme Formsma : La définition que nous proposons concernera une entité ou une institution détenue ou exploitée par des Autochtones, et ce serait aussi sujet à discussion.

Cela laisserait ainsi la porte ouverte, parce qu’il y a des organisations, comme les centres d’amitié, et d’autres organisations autochtones que vous pourriez consulter ou à qui vous pourriez dire de faire certains travaux requis par chacun de ces ministères ou avec lesquelles vous pourriez conclure des accords, des organisations qui ne sont pas nécessairement des gouvernements autochtones ou des organisations qui représentent les Autochtones.

Nous avons des centres d’amitié qui ont des liens directs avec le gouvernement fédéral dans le cadre de projets et de programmes qu’ils réalisent. Beaucoup d’entre eux sont même soutenus par les gouvernements locaux des Premières Nations ou ont créé des partenariats avec des organisations métisses régionales.

Je ne veux pas qu’on leur lie les mains. Je n’aimerais pas que le projet de loi soit adopté, que le temps passe et qu’on se rende compte plus tard que ces entités ne peuvent pas être financées en vue d’un programme parce qu’il ne s’agit pas d’organisations autochtones au sens de la définition figurant dans le projet de loi.

La sénatrice Coyle : Histoire de préciser votre intention : lorsque vous dites : « détenues et exploitées », cela pourrait vouloir dire des entités du secteur privé, et pas seulement des organismes de la société civile. Je crois que votre intention, c’est de vous en tenir à la société civile ainsi qu’au gouvernement, et pas nécessairement au secteur privé. Beaucoup d’entités au sein du secteur privé sont détenues et exploitées par des Autochtones.

Mme Formsma : Je parle du point de vue de la société civile. Selon le projet qui pourrait être envisagé en vertu de la loi, ne fermez pas tout simplement la porte. Il y a peut-être un meilleur libellé qu’on pourrait utiliser pour s’assurer que l’intention du Parlement est respectée. Nous formulons quelques réflexions sur la façon dont nous pourrions ajouter ces quelques mots supplémentaires.

J’ai essayé aussi de voir du point de vue international quel libellé utilisaient les Nations Unies. Elles utilisent l’expression générique d’organisation des peuples autochtones. Je n’ai pas pu trouver leur définition dans les documents que j’ai pu examiner. Je me suis dit qu’on pourrait peut-être emprunter une partie de ce libellé. Au niveau des Nations Unies, cette expression a été critiquée, mais elle inclut aussi les gouvernements autochtones.

C’est quelque chose qui doit être inclus en tant qu’organisation des peuples autochtones, mais cela inclut aussi les organisations autochtones de la société civile tant qu’elles sont dirigées par et pour les Autochtones.

La sénatrice LaBoucane-Benson : La sénatrice Coyle reprenait essentiellement une de mes questions au sujet de cette notion de détenues et exploitées. Vous proposez une définition intéressante. Vous ne vous êtes pas penchés sur les enjeux juridiques liés à tout ça, non?

Je viens aussi du secteur sans but lucratif. C’est quelque chose que nous tentons de définir depuis très longtemps. De quelle façon peut-on savoir qu’une organisation est vraiment exploitée par des Autochtones et qu’elle met de l’avant la vision du monde autochtone? C’est une question qu’il faut laisser aux avocats.

En Alberta, nous avons le Metis Settlements General Council. Nous avons beaucoup de membres au sein de notre Métis Nation of Alberta. Nous comptons trois organisations issues de traités et 44 ou 45 Premières Nations.

Pouvez-vous me donner une idée du nombre de personnes non inscrites? Dans les définitions, toutes les entités que j’ai mentionnées seraient visées et pourraient tisser des relations avec le gouvernement fédéral en matière de prestation de services.

Mme Formsma a dit que les centres d’amitié ont des relations et des programmes financés. Je sais que d’autres organisations sans but lucratif en ont aussi. J’essaie de comprendre dans quelle mesure il y a des Autochtones qui échappent à l’application du projet de loi.

M. Bertrand : Dans le recensement de 2016, il a été indiqué qu’il y avait environ 200 000 Indiens non inscrits à l’échelle nationale.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Mais cela inclut les Métis.

M. Bertrand : Cela n’inclut pas les Métis.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je comprends la définition, mais, dans le recensement, il y en a 200 000 à l’échelle du Canada. Ma question concernait l’Alberta, alors ça me semblait beaucoup.

Beaucoup d’organismes de gouvernance et d’organisations sans but lucratif pourraient se voir, grâce au projet de loi, tisser des relations avec le gouvernement fédéral et aller de l’avant de façon positive. Je suis d’accord pour dire que nous pourrions préciser la définition et la rendre plus solide.

J’essayais de comprendre qui, de tous les Autochtones du Canada, ne serait pas représenté dans le projet de loi. Ce serait les 200 000 Indiens non inscrits.

Le vice-président : Aux fins d’établissement de l’horaire, je tiens à vous dire que nous avons invité l’Assemblée des chefs du Manitoba à comparaître aujourd’hui. Des représentants viennent de confirmer au cours des dernières minutes qu’il sera possible pour eux d’être là durant la séance prévue à 10 heures.

Nous allons les accueillir. Ils seront seuls. Nous allons prolonger notre réunion jusqu’à environ 10 h 30 pour entendre ce qu’ils ont à dire.

Le sénateur Francis : Monsieur Bertrand, ma question s’adresse à vous. Vous avez dit que, en 2016, dans l’arrêt Daniels c. Canada, la Cour suprême du Canada a statué à l’unanimité que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » visés à l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle.

Pourriez-vous expliquer brièvement la différence, le cas échéant, entre la définition d’Indiens dans la Loi constitutionnelle par opposition à celle qu’on retrouve dans la Loi sur les Indiens?

M. Bertrand : Comme vous pouvez très bien l’imaginer, il est difficile de trouver une définition. Après l’arrêt Daniels en 2016, nous nous attendions à pouvoir nous asseoir avec le gouvernement fédéral pour commencer à définir un Métis et un Indien conformément à l’arrêt Daniels.

Malheureusement, malgré la signature de notre accord politique en décembre, depuis ce moment, nous ne nous sommes pas réellement assis avec le gouvernement fédéral. Quand je rencontre nos différents organismes provinciaux-territoriaux et que je parle aux gens de la base, ils me disent que si vous êtes un Métis ou un Indien non inscrit, avec l’arrêt Daniels, vous êtes maintenant considéré comme un Indien et devriez maintenant détenir tous les droits qui accompagnent ce titre.

Dans mes discussions avec des membres du gouvernement, je constate que ceux-ci ne voient pas les choses ainsi. Ils ne les voient pas de la même façon. Ce que nous devons faire, c’est nous asseoir et commencer à discuter. Vous ne pouvez pas aller seul à un bal; il vous faut un partenaire, et en ce moment, ce partenaire ne se manifeste pas à la table de discussions.

Le sénateur Francis : À votre avis, comment le gouvernement voit-il les choses?

M. Bertrand : Comme l’indique le préambule du projet de loi, lorsqu’on dit « de nation à nation », ce sont les Premières Nations, le Ralliement national des Métis et l’Inuit Tapiriit Kanatami. La majorité de nos mandants sont laissés pour compte. Depuis le début, je dis que c’est mal de laisser de côté une partie aussi importante de la population autochtone.

Le sénateur Doyle : Je sais que vous n’êtes pas heureux du fait que le Congrès des peuples autochtones n’ait pas été consulté de la manière dont il aurait dû l’être. Avez-vous l’impression que, à long terme, la nouvelle structure double reflétera de façon plus adéquate les besoins des peuples autochtones? En faisant abstraction du fait que vous n’êtes pas heureux d’être tombés entre les mailles du filet et que sais-je encore, croyez-vous que, à long terme, il s’agira d’une amélioration majeure pour les peuples autochtones de façon générale?

M. Bertrand : Comme j’ai dit plus tôt, j’espère qu’ils se dirigent dans la bonne direction. Toutefois, selon ce que je vois en ce moment, vous ne pouvez pas juste refléter une petite partie de la population autochtone. Quand le gouvernement a été élu, je me souviens qu’il ne parlait que d’inclusion. Nous en étions assez ravis. Beaucoup de nos OPT étaient heureux de savoir qu’ils seraient inclus.

Cependant, au fil du temps, nous avons vu qu’une grande partie de la population n’était pas incluse dans la prise de décisions du gouvernement. Quand il a distribué des ressources, une grande partie de la population a été exclue. Cela donne d’excellentes réunions des conseils d’administration, parce que nos OPT sont très contrariés et mécontents d’être constamment négligés.

C’est important de venir à des réunions comme celles-ci. Comme vous le savez, je suis venu ici à quelques reprises et je dis toujours que nous devons être inclus. J’espère que cela se reflétera dans les différents rapports que vous rédigez, afin que le gouvernement actuel accepte enfin la présence d’un autre grand groupe.

Le sénateur Doyle : Quand vous regardez le nombre de groupes représentés et avec qui on a communiqué, cela représente environ 800 000 Autochtones, 1 700 participants, 100 séances et 400 collectivités. Je me demande pourquoi vous seriez laissés pour compte, étant donné le nombre de personnes qui ont en réalité été consultées par le gouvernement sur cette question.

M. Bertrand : Je n’ai pas vu ces chiffres, monsieur le sénateur.

Le sénateur Doyle : Ils sont abordés à la partie 4, section 25, par les mesures diverses en matière autochtone et les questions auxquelles on n’a pas répondu. J’imagine que cela couvrirait également le projet de loi. Il est fait mention du nombre de groupes autochtones qui étaient représentés.

M. Bertrand : Je crois que le gouvernement a rencontré beaucoup de groupes des Premières Nations et du RNM. Oui, je crois que c’est à leur avantage de participer aux discussions qu’ils ont eues, mais toutes leurs discussions viseraient naturellement à aider leurs organisations.

Si vous vous adressez à 20 Premières Nations, elles seront en faveur de ce qui est fait pour les Premières Nations. Toutefois, le grand nombre d’Indiens non inscrits et de Métis n’ont pas été inclus, par exemple. On n’a pas communiqué avec ces personnes. Leurs points de vue ne sont pas pris en considération dans le projet de loi. C’est ce que nous disons.

Le sénateur Doyle : Si vous êtes hors réserve et en milieu urbain, serait-il difficile de vous consulter?

M. Bertrand : Nous avons écrit au ministre et lui avons demandé pourquoi nous n’avons pas fait partie des discussions. Nous n’avons même pas reçu de réponse à notre lettre.

Je ne veux pas mettre des mots dans leur bouche, mais ils ont exprimé clairement avec qui ils allaient tenir des discussions. C’est mon avis personnel.

Mme Formsma : Je pourrais peut-être raconter notre expérience avec la division du ministère. Les Services aux Autochtones, et les centres d’amitié et la prestation de services s’intègrent de façon très naturelle, donc nous avons une relation avec ce ministère. Toutefois, lorsque nous allons à RCAANC, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, nous remarquons que nous ne sommes pas là, parce que nous ne sommes pas considérés comme une organisation qui représente les titulaires de droits. Je ne sais pas comment le dire autrement, mais nous n’y sommes pas.

Je ne dis pas que nous devrions, que nous voulons ou que nous essayons de nous mettre de l’avant. Quand il s’agit de créer de bonnes politiques et d’élaborer des programmes à l’échelon fédéral, les centres d’amitié possèdent des données cruciales et un point de vue de l’information reposant sur les réalités quotidiennes de ce dont ont besoin les Autochtones qui franchissent nos portes. Nous nous améliorons au chapitre de la collecte de données et examinons actuellement les tendances au fil du temps.

Nous voulons qu’on nous demande cette information. Il ne s’agit pas de dire : « Consultez-nous comme si vous consultiez des peuples autochtones. » Nous savons que, parfois, les consultations auprès des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits se tiennent dans les centres d’amitié. Nous fournissons l’espace, la nourriture et le temps pour que ces consultations se produisent.

Nous recherchons une certaine forme d’engagement et de reconnaissance à l’égard du fait que nous devrions et pourrions avoir une relation avec ce ministère quand c’est logique. Nous voulons vraiment fournir ces points de vue et, dans certains cas, le faire en partenariat avec les gouvernements autochtones également.

Le sénateur Patterson : Je m’excuse de mon retard ce matin.

Tout d’abord, monsieur Bertrand, je vous ai entendu dire en réponse à une question : « Nous sommes en faveur de la nouvelle orientation. » Vous avez aussi fait allusion à la relation de nation à nation.

À l’article 7 du projet de loi, sous le ministère des Relations Couronne-Autochtones, le projet de loi parle :

c) de favoriser la réconciliation avec ces peuples, en collaborant avec eux et grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et le Canada.

Vous avez dit plus tôt que :

Le CPA et ses organismes affiliés n’ont pas été consultés sur la division d’Affaires autochtones et du Nord Canada en deux ministères.

Vous avez également ajouté que :

... le gouvernement continue d’imposer des structures de gouvernement coloniales et paternalistes.

Pourriez-vous expliquer pourquoi vous avez utilisé ces termes assez négatifs, « coloniales » et « paternalistes »?

Vous avez dit qu’il n’y avait pas eu de consultation. Pourtant, vous aviez dit que vous étiez en faveur de la nouvelle orientation. Je n’arrive pas bien à comprendre pourquoi vous diriez que vous êtes en faveur si vous avez été écarté des consultations et que vous les dites « coloniales » et « paternalistes ».

M. Bertrand : Nous sommes en faveur de l’idée qui sous-tend le projet de loi. Ce à quoi nous nous opposons fermement, c’est le fait d’avoir été écartés une fois de plus. Quand j’ai dit : « Imposer des structures de gouvernement coloniales et paternalistes », on nous les impose encore une fois, plutôt que nous inviter à participer ou à faire part de nos idées. Ces deux nouveaux ministères diront : « Ce qui est bon pour les Premières Nations sur les réserves sera aussi bon pour les Autochtones qui vivent dans des régions urbaines et rurales. »

Nous savons que vous ne pouvez pas jumeler les deux. C’est ce que je voulais dire, monsieur le sénateur.

Le sénateur Patterson : Je crois que vous avez utilisé le terme « Autochtones admissibles ». Cela vous exclut à moins que vous soyez explicitement inclus dans la définition.

Je vois ici les attribution du ministre des Services aux Autochtones en vertu du paragraphe 6(1), où l’on dit :

[...] à la prestation de services aux Autochtones qui y sont admissibles au titre d’une loi fédérale ou d’un programme fédéral qui relèvent de sa responsabilité.

Puis, au paragraphe 6(2), on dit qu’il y a toute une liste de services importants : les services à l’enfance et à la famille, l’éducation, la santé, le développement social, le développement économique, le logement, et cetera.

M. Bertrand : Les infrastructures.

Le sénateur Patterson : Dites-vous que, en rattachant les pouvoirs du ministre aux Autochtones qui sont admissibles à recevoir des services en vertu d’une loi fédérale ou d’un programme du gouvernement du Canada, cela écarte vos membres parce qu’ils ne sont pas admissibles à recevoir des services en vertu d’une loi fédérale ou à un programme du gouvernement du Canada? Est-ce exact?

En d’autres mots, ont-ils exclu vos membres par cette définition de qui est admissible à recevoir des services? Vous ai-je bien compris?

M. Bertrand : J’ai juste lu brièvement le préambule. J’ai noté les attributions ministérielles que vous avez mentionnées tout à l’heure au sujet des services à l’enfance et à la famille. J’ai écrit juste à côté : « Est-ce dans les réserves ou hors réserve? » Le projet de loi ne dit pas qu’il va aider les enfants autochtones dans les réserves et hors réserve.

Nous voulons qu’il soit plus clair en incluant les Autochtones qui vivent en dehors des réserves. Quand j’ai dit que nous étions en faveur, oui, nous sommes en faveur si ces changements sont apportés au projet de loi.

Le sénateur Patterson : Les centres d’amitié offrent un service fantastique qui est complètement daltonien. Est-ce un bon terme à utiliser? Il est ouvert à tous. Nous avons reçu quelques exposés très impressionnants de l’association nationale et des centres d’amitié individuels, et j’ose espérer qu’on vous respecterait dans le cadre de cette réorganisation ministérielle.

Le sénateur Coyle et la sénatrice LaBoucane-Benson ont aussi souligné que le fait de peut-être changer la définition pour « détenue ou exploitée par des peuples autochtones » pourrait ratisser trop large, donc je ne vais pas de nouveau vous questionner à ce sujet.

Pourriez-vous nous dire d’où vient votre financement? Recevez-vous des fonds de Services aux Autochtones Canada ou de Relations Couronne-Autochtones? C’est important pour moi, car si vous êtes écartés de la loi et recevez pourtant des fonds de l’un ou l’autre de ces ministères, ce serait pertinent. Je ne vous questionnerai pas au sujet du programme des Affaires du Nord.

Pourriez-vous nous dire si vous recevez des fonds de ces ministères?

Mme Formsma : Oui. Je vais de nouveau dire quelque chose sur la définition. J’en prends bonne note, et je voulais présenter de nouvelles idées. Dans la définition existante, l’élément auquel nous réagissons, c’est le corps dirigeant, qui renvoie à l’autre définition. Ce n’est pas le problème pour nous, mais l’autre élément, c’est toute autre entité qui représente les intérêts.

Nous pourrions faire valoir que nous représentons les intérêts ainsi que la prestation de services. Si l’intention du Parlement est de nous inclure dans la définition, je crois que nous voulons nous assurer que c’est clair.

En ce moment, nous recevons la vaste majorité de notre financement de ministères fédéraux et du Programme des centres d’amitié géré en vertu des Programmes urbains pour les peuples autochtones, qui comportent quatre volets. Les centres d’amitié correspondent à un de ces volets, mais ils reçoivent également d’autres fonds en fonction de la région et des tables de coalition urbaines. Voilà le financement du Programme des centres d’amitié.

Le sénateur Patterson : Sous quel ministère?

Mme Formsma : Sous Services aux Autochtones. Nous ne recevons pas de financement de programme de Relations Couronne-Autochtones, mais nous avons reçu du financement pour mener certaines initiatives. Par exemple, la plus récente était le projet de loi S-3, prévoyant la consultation sur l’appartenance des Premières Nations qui vivent dans des milieux urbains. Nous avons reçu quelques fonds pour effectuer certaines de ces consultations.

Le sénateur Patterson : Selon vous, devrait-on ajouter à la définition des organisations autochtones : « y compris les centres d’amitié » ou « y compris l’Association nationale des Centres d’amitié », en particulier?

Mme Formsma : Oui, tout à fait. De notre point de vue, ce serait l’idéal d’être nommés spécialement dans le projet de loi.

La sénatrice McCallum : J’aimerais revenir sur le vide juridique dont M. Bertrand a parlé. Le projet de loi englobe deux processus très différents. Il y a le projet de loi d’exécution du budget et il y a les mesures qui fragmentent la fondation d’Affaires indiennes et du Nord Canada concernant les traités. Comme ce projet de loi a été présenté tard, il sera très difficile d’y apporter des changements utiles, étant donné qu’il s’agit également d’un projet de loi budgétaire.

J’ai l’impression que des organisations, entre autres la vôtre, vont se retrouver devant un vide juridique à cause de ce projet de loi. Vos organisations doivent déjà déployer de précieuses ressources pour essayer de se conformer au projet de loi C-91, au projet de loi C-92, à ce projet de loi-ci et au projet de loi sur le divorce. Tous ces projets de loi entraînent des problèmes d’iniquité, de discrimination et de négligence supervisées.

Pouvez-vous décrire le vide juridique? J’ai l’impression que vous vous retrouvez dans une situation unique au Canada, où il sera difficile pour vous de défendre les intérêts de votre peuple.

M. Bertrand : Il y a de nombreuses réponses possibles à votre question.

Oui, il y a un vide, en grande partie causé par le manque de communication ou de consultation des ministères; ils ne demandent pas notre opinion. Ils nous ont écartés du processus. Ils ne nous demandent pas notre avis, et nous nous retrouvons dans un vide.

Selon Statistique Canada, un grand nombre des 200 000 Indiens non inscrits ne reçoivent aucun des services auxquels ils ont droit. L’arrêt Daniels disait vrai : ils sont maintenant considérés comme des Indiens.

Nous ne pouvons pas affirmer qu’ils devraient avoir accès à l’ensemble des services, mais nous aimerions discuter et négocier avec le gouvernement à ce sujet. S’ils ne sont pas admissibles à tous les services, auxquels devraient-ils avoir accès? Tout ce que nous voulons, c’est entamer des discussions avec le gouvernement fédéral.

En attendant, nous allons rester dans ce désert juridique créé par le gouvernement.

Mme Formsma : Je vais répondre rapidement. Les centres d’amitié sont des experts pour ce qui est de s’y retrouver parmi les différents ordres de gouvernement, y compris ceux des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Probablement pas autant, pour les Inuits, en ce qui concerne leur participation dans le Sud et dans les gouvernements provinciaux et fédéral. Quand des gens ont besoin de services de santé, il revient au bout du compte aux centres d’amitié de vérifier à quoi ils sont admissibles en fonction de leurs droits et de veiller à ce qu’ils obtiennent ces services.

À mon avis, la séparation n’aura pas tellement d’influence sur le bourbier judiciaire dans lequel les Autochtones se retrouvent habituellement, mais cela a tout même permis aux centres d’amitié de développer une expertise dans ces domaines afin de mieux servir les gens qui s’adressent à eux.

La sénatrice Pate : Certaines discussions ont porté sur le chevauchement des compétences ministérielles ainsi que sur la façon dont elles seront définies. Nous avons aussi discuté de la compétence des divers groupes des Premières Nations, des Métis et des Inuits ainsi que des types d’organismes qui seraient concernés.

Étant donné que l’un des objectifs, en cours de route, est l’abrogation de la Loi sur les Indiens et la fin de la relation condescendante et coloniale entre le Canada et les peuples autochtones, j’aimerais savoir quelle approche serait la meilleure, selon vous, pour mettre en place des efforts de mobilisation et de consultation réels, avec comme but d’atteindre une gouvernance conjointe, si je peux m’exprimer ainsi.

Selon ce que tout le monde dit, il n’y a pas eu de consultation. À mes yeux, cette approche de consultation est toujours condescendante; ce n’est pas un processus de participation.

Mme Formsma : Je sais que c’est un classique, mais je vais répondre à votre question par une question. Lorsque le gouvernement s’interroge sur les consultations qu’il doit mener, qu’est-ce qui est logique? Où se trouvent les personnes qui doivent être consultées? Qu’est-ce qui se fait déjà dans ce genre de contexte?

J’utilise parfois l’exemple de la nation Wet’suwet’en. Malgré le processus de consultation officielle auquel elle participait — du moins, le croyait-elle —, les gens avaient toujours l’impression de ne pas avoir été consultés. Les centres d’amitié connaissent souvent les collectivités qui font partie de leur réseau, et ils peuvent réunir les membres de la collectivité dans l’espace où ils peuvent être consultés.

Je ne veux pas dire que vous devriez consulter les centres d’amitié. Cependant, si vous nous parlez, si vous voulez tirer parti de notre expertise ou du réseau que nous avons établi dans certaines collectivités, nous sommes là pour rassembler les gens dans des milieux urbains à des fins de consultation sur n’importe quel sujet.

Les gouvernements des Premières Nations peuvent aussi compter sur nous; nous sommes une ressource pour leur peuple, à certains endroits comme Sudbury ou pour les Anishinaabe de Sault-Sainte-Marie.

Le plus important, c’est de reconnaître que nous sommes une ressource et que nous avons un rôle à jouer. Plus nous pouvons fournir de l’information à nos membres à propos des compétences, mieux ce sera. Les centres d’amitié n’ont pas à décider qui devrait avoir quelles compétences. C’est aux gens eux-mêmes d’en décider, mais nous devrons, en cours de route, recueillir de l’information sur ces compétences aux fins des activités de nos centres. Nous avons besoin de recueillir et de comprendre ce genre d’information afin de pouvoir aider les gens.

M. Bertrand : Le Congrès des peuples autochtones, comme je l’ai mentionné plus tôt, comprend des organismes provinciaux-territoriaux. Nous avons des organismes dans chaque province. Ils sont tous répartis par région ou par zone, dans chaque province.

Je connais mieux l’Alliance autochtone du Québec, l’AAQ. Nous avons des collectivités dans toute cette province. Quand nous organisons une consultation, nous pouvons, en quelques heures seulement, prendre le pouls de la population de la Côte-Nord, en Abitibi, et cetera.

Le fait est que nous ne sommes pas consultés. Nous recueillons de l’information qui pourrait être très utile pour le gouvernement fédéral, mais il ne l’utilise pas.

Le sénateur Christmas : Je me rappelle que, l’année dernière, le CPA avait conclu un accord politique avec le gouvernement du Canada. Si je me souviens bien, c’était avec Mme Bennett, la ministre des Relations Couronne-Autochtones.

Pouvez-vous donner une mise à jour? Comment progressent les discussions sur l’accord politique?

[Français]

M. Bertrand : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, de cette très importante question. En effet, nous avons signé un accord politique. Si je me souviens bien, c’était au mois de décembre 2018. Nous nous rencontrons toutes les deux semaines, une fois par conférence téléphonique et l’autre en personne. Je dois vous dire que les progrès sont très lents. Nous espérons que, d’ici quelques mois, nous pourrons enfin avoir quelque chose de concret, mais je peux vous dire que, jusqu’à présent... Une de nos chefs nous a dit que —

[Traduction]

Jusqu’ici, nous faisons du surplace dans ces réunions.

Ce n’est pas facile. Nous espérons pouvoir mettre en œuvre des mesures concrètes dans l’avenir et obtenir des résultats, mais jusqu’ici, cela a été très difficile. Je ne saurais dire si c’est en raison des élections imminentes ou du projet de loi à l’étude que des discussions ont eu lieu, mais nous avons constaté que des ressources étaient prévues dans l’accord politique que les quatre autres organisations autochtones nationales — elles ont toutes un nom différent — avaient conclu. Seul l’accord du CPA ne prévoyait aucune ressource.

Présentement, lorsque les présidents ou les chefs se réunissent pour discuter, le CPA doit payer tous les frais, les hôtels et les repas. Nous continuerons de payer, parce que c’est important, mais nous avons l’impression de nous faire avoir.

Le sénateur Christmas : Monsieur Bertrand, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais vous reposer cette question lorsque vous reviendrez témoigner.

Le vice-président : En notre nom à tous, je tiens à remercier Mme Formsma et le chef national, M. Bertrand.

Je vous présente notre prochain témoin. Je souhaite la bienvenue à M. Marcel Balfour, analyste principal des politiques, de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Bienvenue, monsieur Balfour. Je vous cède la parole.

Marcel Balfour, analyste principal des politiques, Assemblée des chefs du Manitoba : Tansi. Je remercie les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de m’avoir invité à témoigner à propos de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97.

Le projet de loi a été déposé au Parlement très récemment, le 19 mars 2019. Il a ensuite été présenté à la Chambre des communes le 8 avril 2019. Je crois savoir que vous devez présenter votre rapport final au Sénat au plus tard le 6 juin 2019. Il s’agit d’un délai extrêmement court, compte tenu de l’importance du sujet, c’est-à-dire la création de deux ministères qui vont transformer fondamentalement la relation qui existe actuellement en vertu de la Loi sur les Indiens. Je suis donc ici aujourd’hui pour vous faire part de mes préoccupations au sujet des dispositions du projet de loi concernant le ministère des Services aux Autochtones et le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.

Le Canada a omis de consulter les Premières Nations du Manitoba à propos de ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les modifications prévues de la Loi sur les Indiens. Il révoque la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Le projet de loi supprime le financement accordé aux Premières Nations qui est nécessaire pour financer les mesures prévues dans la Loi sur les Indiens et les obligations du gouvernement fédéral envers les Premières Nations au profit d’une approche panautochtone, qui ne réserve aucun financement déterminé pour les Premières Nations. Du financement est prévu pour d’autres groupes ayant un lien avec les deux ministères. En outre, il ne prévoit aucune exigence précise pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il n’est pas non plus question de la façon dont les peuples autochtones du Manitoba participeront avec le Canada à la transformation d’Affaires indiennes et du Nord Canada, ou plutôt, pour utiliser son nouveau nom, Services aux Autochtones Canada.

En juin dernier, le grand chef de l’Assemblée des chefs du Manitoba, M. Arlen Dumas, a envoyé au gouvernement du Canada une lettre demandant que les Premières Nations du Manitoba participent à l’intégration de la Direction générale régionale de la santé des Premières Nations et des Inuits au bureau régional de Services aux Autochtones Canada. Je pourrais vous en faire parvenir une copie, si vous le souhaitez.

Ensuite, en novembre 2018, le grand chef Dumas a écrit au gouvernement du Canada pour lui demander d’interrompre ses travaux sur le cadre des droits des Autochtones, se disant préoccupé par l’approche panautochtone. Il a aussi réclamé qu’on cesse d’imposer aux Premières Nations du Manitoba des solutions obligatoires qui avaient été élaborées unilatéralement, par exemple de lier des subventions sur dix ans à une obligation de travailler avec le Conseil de gestion financière des Premières Nations, une société de la Couronne.

À la connaissance de l’Assemblée des chefs du Manitoba, le gouvernement fédéral n’a mené aucune consultation auprès des Premières Nations du Manitoba en ce qui concerne la création de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC. Je conseille vivement au comité de s’informer au sujet des consultations que le Canada prétend avoir tenues auprès des Premières Nations du Manitoba et de l’ensemble du pays.

Le projet de loi C-97 aura des répercussions globales sur les droits des Premières Nations. Il s’agit d’un projet de loi omnibus, rempli de dispositions auxiliaires. Les lois supplémentaires qui entreront en vigueur auront des répercussions sur les Premières Nations, et pourtant, le Canada n’a pas respecté son obligation de consultation et d’accommodement. L’Assemblée des chefs du Manitoba sait que le Canada n’est pas tenu de consulter les Premières Nations lorsqu’il élabore un projet de loi. Cependant, une fois que l’ébauche du projet de loi est terminée, le Canada doit faire preuve de diligence raisonnable et examiner le projet de loi afin de cerner les répercussions potentielles sur les droits des Premières Nations, ce qui éclairera les mesures à prendre pour respecter son obligation de consultation et d’accommodement. En conséquence, nous recommandons de supprimer la section 25 du projet de loi C-97 jusqu’à ce qu’une consultation réelle ait eu lieu avec les Premières Nations du Manitoba et des autres régions, selon le cas.

L’Assemblée des chefs du Manitoba a entamé, depuis quelques mois, une discussion avec les hauts fonctionnaires du ministère sur l’évolution de la collaboration entre le Canada et les Premières Nations. Il a été proposé, entre autres choses, de faire un sondage sur la satisfaction à l’égard des services fournis par le ministère aux Premières Nations ainsi que de la collaboration avec nos chefs. Nous avions l’intention de faire cela en juin 2019, dans le cadre d’une réunion conjointe sur la transformation du ministère. Nous comptions recueillir de l’information auprès de nos chefs, des fournisseurs de services aux Premières Nations et du personnel technique afin de comprendre comment ils définissent et perçoivent cette transformation. Nous voulons aussi trouver des façons d’améliorer l’efficience et l’efficacité de la collaboration entre le ministère et nos collectivités.

La décision de scinder un ministère en deux, donnait encore une fois au Canada l’occasion de transformer de façon fondamentale la façon dont il interagit avec les Premières Nations ainsi que la façon dont il voit les droits ancestraux et issus de traités et le processus décisionnel. Comme toujours, le Canada a choisi de faire le minimum pour ce qui est de la participation, de la mobilisation et de la consultation des Premières Nations du Manitoba. C’est à peine s’il a fait quoi que ce soit.

Le projet de loi C-97 modifie déjà la façon dont le Canada travaille avec les Premières Nations du Manitoba. Il met en place un nouveau régime législatif. Nous avons certaines préoccupations par rapport à la sous-section A, qui édicte la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones. Voici ce que dit le préambule :

— conformément à des normes de service transparentes et aux besoins propres à chacun des groupes, collectivités ou peuples autochtones —

Que veut-on dire exactement par « normes de service transparentes » quand il s’agit de SAC? Il faudrait préciser exactement ce qu’on veut dire. La plupart des services offerts présentement par le gouvernement fédéral sont déjà assujettis à la Ligne directrice sur les normes de service. Je veux aussi souligner que la province du Manitoba reçoit du financement du gouvernement fédéral pour les services aux Premières Nations, sans qu’il soit question de normes de service transparentes. Je me demande donc pourquoi les Premières Nations de cette province sont traitées différemment de celles des provinces qui n’ont pas à respecter les mêmes exigences lorsqu’elles reçoivent du financement du gouvernement fédéral.

En parlant des provinces, je vais citer la sous-section C, sous la rubrique « Paiement maximal de 2 200 000 $ » :

[...] à la demande du ministre de l’Infrastructure et des Collectivités ou du ministre d’État (Services aux Autochtones) et selon les modalités approuvées par le Conseil du Trésor, il peut être payé sur le Trésor, outre la somme visée à cet article 161, une somme n’excédant pas deux milliards deux cents millions de dollars aux provinces, aux territoires, aux municipalités, aux associations municipales, aux organismes provinciaux, territoriaux et municipaux et aux Premières Nations pour les infrastructures des municipalités, des régions et des Premières Nations.

Il faudrait une norme de service légiférée et transparente pour les provinces qui exige, au minimum, la participation des Premières Nations au moment de déterminer les priorités en matière de dépenses et d’en rendre compte aux Premières Nations. Je constate également qu’on fait référence à la DNUDPA seulement dans le préambule. À l’article 7, on ne tient pas compte des responsabilités de SAC. Peut-être qu’il le faudrait, surtout que plus loin, dans la sous-section B, le projet de loi C-262 fait référence à la proposition de la loi sur la DNUDPA, et cela s’applique seulement au ministre de RCAANC. Nous nous demandions quelle était la différence entre le ministre de RCAANC et le ministre des Services aux Autochtones. Pourquoi l’un a-t-il cette obligation et pas l’autre?

Dans l’article des définitions, les définitions de corps dirigeant autochtone et d’organisation autochtone portent à confusion. Ces définitions semblent inclure des entités constituées en vertu d’une loi fédérale ou provinciale, y compris les organismes de défense d’intérêts politiques. Il semble y avoir deux sens aux définitions d’organisation autochtone et de corps dirigeant autochtone et de toute entité qui défend les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres.

L’Assemblée des chefs du Manitoba, ou même l’Assemblée des Premières Nations, qui sont des entités constituées en vertu d’une loi provinciale ayant un organisme de défense d’intérêts, pourraient correspondre à cette définition. Les Premières Nations du Manitoba ont dit clairement que l’Assemblée des chefs du Manitoba, en tant qu’organisme de défense d’intérêts politiques, n’est pas un détenteur de droits et ne devrait pas être visée dans ce type de loi.

Enfin, en ce qui concerne l’article 10 portant sur le choix des comités consultatifs et des autres comités, les Premières Nations du Manitoba se demandent comment cela se fera. Si c’est seulement à la discrétion du ministre des SAC, nous ne voulons pas que cela soit nécessairement déterminé sans la participation des dirigeants des Premières Nations. L’article 13 concerne également l’appui aux organismes autochtones; il y est question :

[...] de collecte, d’analyse, d’interprétation, de publication et de diffusion de [...] renseignements ou données...

L’Assemblée des chefs du Manitoba tient absolument à s’assurer que les principes des Premières Nations en matière de propriété, de contrôle, d’accès et de possession sont intégrés. Vous pourriez peut-être envisager un amendement et inclure un paragraphe 13.1 :

Avant de prendre une décision, en application de l’article 13, le ministre doit déterminer si les activités soutenues sont certifiées... dans le respect des principes de PCAP.

Merci du temps que vous m’avez consacré.

Le sénateur Patterson : C’est bon de vous revoir. Vous paraissez encore mieux en chair et en os que sur un écran vidéo. Je me rappelle de votre exposé sur le projet de loi C-92.

Vous nous avez donné matière à réfléchir, mais je voudrais parler de votre dernier point sur les non-ayants droits, comme l’Assemblée des Premières Nations et l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui pourraient être inclus dans la définition d’organisation autochtone, si j’ai bien compris ce que vous avez dit.

M. Balfour : Par interprétation.

Le sénateur Patterson : Oui. L’article 2 dit :

[...] corps dirigeant autochtone ou toute autre entité qui représente les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres.

Cela m’interpelle, car les Inuits ont également un organisme national de défense qui n’est pas détenteur de droits, appelé l’Inuit Tapiriit Kanatami. Il est très connu et a beaucoup de visibilité à Ottawa. C’est très pratique pour le gouvernement de pouvoir interagir avec les responsables de cet organisme plutôt qu’avec des gens qui sont détenteurs de droits et qui vivent dans des régions visées par un ensemble d’accords sur les revendications territoriales.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes préoccupé par cette définition très large d’organisation autochtone? Est-ce parce que vous pensez que ces organisations pourraient se remettre à offrir des programmes en vertu des accords? Est-ce là le problème? Que se cache-t-il derrière votre préoccupation?

M. Balfour : L’argent destiné aux Premières Nations du Manitoba est de la responsabilité des Premières Nations du Manitoba. Ce n’est pas aux entités politiques de chercher à y avoir accès, à moins que les chefs l’approuvent. Les responsables de l’Assemblée des chefs du Manitoba décident des activités de l’assemblée.

J’aurais été négligent et je n’aurais pas fait mon travail si je n’étais pas venu vous dire que c’est une préoccupation. Vous devriez faire participer les Premières Nations directement sans faire de place aux entreprises constituées en vertu d’une loi fédérale ou provinciale.

Le sénateur Christmas : Monsieur Balfour, je suis heureux de vous revoir. J’ai été très surpris de votre commentaire sur un sondage de satisfaction à l’égard des SAC. J’ai parcouru le texte de la loi pour voir s’il y était question d’un genre de mesure indiquant que les services fournis par le ministère des SAC sont effectivement évalués périodiquement, que des efforts sont faits pour rejoindre les clients, à savoir les Premières Nations, et qu’il existe un processus grâce auquel les clients peuvent commenter les services qu’ils reçoivent des SAC.

Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir, mais vous avez de toute évidence fait un commentaire à ce sujet. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre vision d’un sondage sur la satisfaction qui pourrait être demandé au ministère des SAC ou aux autres ministères qui servent les Autochtones?

M. Balfour : Je l’ai mentionné, car je pense que c’est très important. À l’échelle régionale, l’Assemblée des chefs du Manitoba a pris en charge un certain nombre de domaines, au fil des ans. Elle pourrait prendre les choses en main ici aussi. Je ne parle pas à l’échelle du Canada, mais nous avons quelques problèmes à régler avec l’ancienne Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada, qui vient de passer aux SAC, ainsi qu’avec les SAC, Affaires indiennes et Santé Canada.

Si nous pouvions trouver une solution, et faire participer directement les Premières Nations. C’est ce que nous avons retenu des réunions des grands chefs avec les ministres, nous savions comment nous voulions procéder chez nous. C’est comme cela que l’Assemblée des chefs du Manitoba réagira à la création et à la transformation de ces nouvelles entités. Le projet de loi fait abstraction des efforts de bonne foi que nous avons faits avec les ministres.

Le sénateur Christmas : Pensez-vous que ce sont les organisations autochtones qui devraient réaliser ce sondage sur la satisfaction, ou pensez-vous que le gouvernement fédéral a la responsabilité de déterminer l’efficacité de ses services?

M. Balfour : Si nous travaillons en partenariat et qu’ensemble nous transformons notre façon de collaborer, ne devrions-nous pas le faire ensemble?

Le sénateur Christmas : Oui, évidemment

M. Balfour : Oui, et c’était notre approche, au départ. Nous pensions que recueillir les commentaires des dirigeants et les faire participer à ce processus serait certainement différent du cas où le gouvernement du Canada le ferait lui-même, évaluerait ses propres employés et demandait une hausse du rendement pour économiser de l’argent.

Le sénateur Christmas : Je veux juste que vous sachiez que j’ai de l’expérience en matière de contrôle de qualité et en normes ISO, je comprends donc qu’il est précieux d’avoir de la certitude que les services que vous offrez sont évalués efficacement. Je vous remercie de votre suggestion. Si vous avez d’autres commentaires sur la façon dont cela pourrait être intégré au projet de loi, nous aimerions les entendre.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Sur papier ou en théorie, l’idée d’en faire trois ministères — un pour l’Arctique, un pour les relations et un autre pour la prestation de services — est logique. Ensuite, la création d’une loi habilitante pour chaque service que le gouvernement fédéral fournit est également logique. Toutefois, quand on entre dans les détails, quand il est question de consultation et de codéveloppement, on constate qu’il y a beaucoup d’idées différentes sur ce à quoi c’est censé ressembler. Le gouvernement ne semble pas avoir atteint son objectif au chapitre de la consultation et du codéveloppement.

Vous avez dit quelque chose à propos d’une réunion sur la transformation du ministère des Affaires indiennes et du Nord, en juin 2018. J’essaie de comprendre de quoi il s’agit. Pourriez-vous nous expliquer ce qu’était cette réunion sur la transformation? Je demande si c’était l’idée derrière la consultation.

M. Balfour : Je me suis peut-être mal exprimé. C’est en 2019. Ce sera bientôt.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Quel en est le but? Est-ce de discuter de ce projet de loi une fois qu’il sera adopté?

M. Balfour : Non, pas du tout. La transformation, la façon dont les choses sont censées être faites différemment, la participation des dirigeants des Premières Nations et la façon particulière dont nous faisons les choses au Manitoba, voilà ce qui fera l’objet des discussions.

Nous travaillons sur des choses très intéressantes. Vous avez sans doute entendu parler de notre loi qui vise à ramener nos enfants à la maison et du bon travail du bureau du défenseur des droits familiaux des Premières Nations, avec l’appui de l’ancien ministre, pour ce qui est de la réforme des services à l’enfance et à la famille. Nous menons également quelques très bonnes activités où nous travaillons, avec le soutien du gouvernement du Canada, à l’élaboration d’une entente sur un système de santé universel pour les Premières Nations. Nous faisons des choses très intéressantes et nous nous assurons de former des partenariats et d’établir de bonnes relations pour être en mesure de trouver la voie à suivre en matière de santé.

En ce qui concerne l’éducation, nous avons parlé de la transformation de l’éducation, c’est-à-dire de nouveaux accords et modes de financement régionaux pour l’éducation. Parce que le principe de Jordan a également vu le jour au Manitoba, nous l’utilisons comme un moyen de changer la façon dont le Canada fait des affaires, pour ce dossier, du moins, dans le but de prendre la relève et de déterminer comment nous appliquerons le principe de Jordan au Manitoba; nous envisageons de créer un centre de renforcement des compétences axées sur le principe de Jordan.

Nous nous concentrerons sur un certain nombre de bonnes choses. À l’échelle régionale, il y a eu quelques annonces de financement et des projets de collaboration avec les SAC. La possibilité d’échanger avec les ministres et les autres intervenants, durant cette réunion, sera une bonne occasion d’expliquer comment le Manitoba et le gouvernement du Canada pourraient aller de l’avant.

La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est fantastique. J’ai l’impression que le Manitoba fait un travail incroyable. Je suis ravie de l’entendre. Il semble que toute l’idée de la séparation des Services aux Autochtones avait pour but que le ministre puisse se concentrer sur la prestation de services. Pensez-vous qu’il y ait un espoir que les Premières Nations du Manitoba et le gouvernement fédéral s’entendent sur le projet de loi et s’unissent pour pouvoir continuer à faire ce bon travail?

M. Balfour : Non.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Aucun espoir.

M. Balfour : Peut-être, mais je ne peux pas parler de cela.

La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est simplement votre avis.

M. Balfour : Non, je suis désolé, mais nous ne pouvons pas appuyer des mesures panautochtones.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. [La sénatrice s’exprime en langue autochtone.]

Je parlerai du clivage entre les deux articles. RCAANC sera une structure institutionnelle dotée de la capacité de gouvernance et de renforcement des capacités nécessaires pour promouvoir l’autonomie, la prospérité et le bien-être, éléments de l’autodétermination. Les SAC s’occuperont de la prestation des services et des programmes visant à réduire l’écart socioéconomique et à renforcer les capacités, ce qui fait également partie de l’autodétermination. Cette séparation en deux entités crée une brèche dans l’autodétermination. Les deux entités sont liées à l’autodétermination, mais elles forment maintenant deux camps différents.

Comment cela touchera-t-il vos initiatives en matière d’autodétermination?

M. Balfour : Cela nous préoccupe, car nous ne le savons pas. En ce qui concerne la séparation des responsabilités, nous ne savons pas quelle incidence aura ce projet de loi, une fois adopté, sur le bon travail que nous avons déjà mis en œuvre.

Le sénateur Patterson : Le premier ministre nous a amené à croire que le cadre des droits autochtones serait le principal véhicule de la réconciliation, de la reconnaissance et du respect, quand il a dit : « Aucune autre relation n’est plus importante pour le Canada que la relation que nous entretenons avec les peuples autochtones. »

Vous avez souligné que l’Assemblée des chefs du Manitoba a rejeté l’approche du cadre des droits autochtones, et je crois que vous avez fait référence à une lettre. Pourriez-vous s’il vous plaît nous en dire un peu plus sur la raison pour laquelle l’Assemblée des chefs du Manitoba a retiré son soutien au cadre des droits autochtones, et si cela est lié à ce projet de loi?

M. Balfour : Outre l’absence de consultation, le fait que les chefs n’ont pas exprimé de préoccupations, relativement à la relation fondée sur les traités, le fait que ce soit panautochtone par nature et que cela laisse dans le vague un certain nombre de choses liées aux non-Autochtones, nous l’avons seulement découvert pendant que quelqu’un parcourait le projet de loi d’exécution du budget. Ce n’était pas un projet de loi indépendant qui informait les gens. C’était vraiment un projet de loi de dernière minute. Nous avons rapidement fait le point sur le fait que les préoccupations à propos du projet de loi n’étaient pas nécessairement ciblées. Nous n’étions pas au courant de ce projet de loi à l’époque où le cadre des droits autochtones a été rejeté.

Le vice-président : Monsieur Balfour, au nom de tous, je voulais vous remercier. J’étais ravi de vous voir en personne. Comme toujours, nous apprécions vos commentaires et nous vous sommes très reconnaissants de prendre le temps de venir nous voir.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Pourriez-vous communiquer vos notes d’allocution à la greffière pour la traduction? Nous avez-vous envoyé un mémoire?

M. Balfour : Je pourrais vous l’envoyer. C’est sur mon ordinateur. Permettez-moi de faire ainsi.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Si vous l’envoyez à la greffière, il sera traduit.

(La séance est levée.)

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