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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 7 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit par vidéoconférence aujourd’hui, à 14 heures (HE), afin d’étudier le projet de loi C-228, Loi établissant un cadre fédéral de réduction de la récidive.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario, et j’ai le plaisir de présider ce comité. Aujourd’hui, la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est publique et se déroule par vidéoconférence. Honorables sénateurs, je vous remercie à l’avance de votre patience alors que nous nous adaptons à la nouvelle façon de tenir nos réunions.

Avant de commencer, je rappelle aux sénateurs de mettre leur micro en sourdine en tout temps, à moins que je les nomme pour leur donner la parole. Je vous prierais également de ne pas alterner entre les deux langues durant une intervention. En cas de difficulté technique, et notamment pour ce qui concerne l’interprétation, veuillez nous en informer, la greffière ou moi, et nous tâcherons de trouver une solution. Il se peut qu’il faille suspendre les travaux à ces moments, car nous devons nous assurer que tous les membres sont en mesure de participer pleinement à la réunion.

Pour terminer, je rappelle aux participants qu’il est interdit de faire des saisies, des enregistrements ou des photographies des écrans Zoom. Vous pourrez utiliser et diffuser les délibérations officielles, qui sont publiées à ces fins sur le site SenVu.

Sans plus tarder, je vous présente les membres du comité qui participent à cette réunion : le sénateur Boisvenu, vice-président du comité; le sénateur Dagenais, vice-président du comité; le sénateur Dalphond, quatrième membre du comité directeur; la sénatrice Busson; le sénateur Cotter; la sénatrice Jaffer, la sénatrice Martin, la sénatrice McPhedran, la sénatrice Moodie, le sénateur Oh et le sénateur Richards.

Honorables sénateurs, afin de faciliter le déroulement de cette réunion virtuelle, j’ai préparé une liste des sénateurs qui souhaitent poser des questions. La marraine du projet de loi au Sénat figure en haut de la liste et elle sera suivie des membres du comité directeur, puis des autres membres du comité, à tour de rôle. Les sénateurs qui n’ont pas de question à poser sont invités à l’indiquer à la greffière en utilisant la Discussion de groupe dans Zoom. Nous recevons aujourd’hui deux groupes de témoins, qui disposeront chacun de sept minutes pour nous présenter leur déclaration liminaire. Les sénateurs auront ensuite quatre minutes pour poser leurs questions au premier groupe et trois minutes pour le deuxième groupe.

Honorables sénateurs, nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-228, Loi établissant un cadre fédéral visant à réduire la récidive. En premier lieu, nous accueillons le parrain du projet de loi, M. Richard Bragdon, député de Tobique—Mactaquac. Nous accueillons également, de Sécurité publique Canada, Julie Thompson, directrice générale, Direction de la prévention du crime, des services correctionnels, de la justice pénale et de la police autochtone, et du Service correctionnel du Canada, Carmen Long, directrice générale, Direction des programmes pour délinquants et de la réinsertion sociale.

Honorables sénateurs, veuillez noter que les fonctionnaires ne feront pas de déclaration préliminaire aujourd’hui, mais qu’ils seront disponibles pour répondre aux questions techniques des sénateurs. Au nom du comité, je vous remercie tous d’être venus aujourd’hui. Monsieur Bragdon, je vous remercie d’être parmi nous.

Richard Bragdon, député, Tobique—Mactaquac : Merci, sénateurs et distingués invités. C’est un grand privilège et un grand honneur d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie de me donner l’occasion de parler de mon projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-228, Loi établissant un cadre fédéral visant à réduire la récidive. En termes simples, il s’agit essentiellement d’une loi visant à mettre fin à la porte tournante de notre système carcéral.

La récidive est définie comme la tendance d’un criminel condamné à commettre une nouvelle infraction. Nous savons que près de 25 % de ceux qui ont été libérés d’une prison fédérale se retrouvent dans une prison fédérale dans les deux ans. Dans les communautés autochtones, ce taux est de près de 40 %. Il est également triste de constater que les enfants de ces détenus sont sept fois plus susceptibles d’être eux-mêmes incarcérés. Nous devons mettre fin à ce cycle. Ce projet de loi ne vise pas à réduire les peines ou la durée de la peine purgée. Il vise à régler le problème des portes tournantes dans notre système carcéral et à briser le cycle périlleux qui voit des gens récidiver constamment. Un changement sociétal durable ne peut être réalisé que lorsque nous travaillons dans les différents secteurs pour trouver une solution valable.

Je n’oublierai jamais ma première visite dans une prison fédérale. Je voyageais avec un certain Monty Lewis. Ce monsieur dirigeait un organisme sans but lucratif qui travaillait auprès des détenus et leurs familles depuis un certain nombre d’années. Il m’a dit une chose, en route vers cette prison, que je n’ai jamais oubliée. Il m’a dit que je ne visiterai jamais d’endroit ayant une plus grande concentration des pires types de dysfonctionnements, de symptômes d’éclatement de la société et de la famille, de violence, de victimes et d’agresseurs, de dépendance, de problèmes émotionnels et de santé mentale, et bien plus encore que ce que je trouverai à l’intérieur de ces murs. Puis il m’a regardé et a ajouté qu’il fallait aussi que je sache que je ne visiterai jamais un endroit offrant une meilleure occasion de voir l’effet puissant que l’espoir, la compassion, le pardon, l’encouragement et la possibilité d’une autre chance peuvent produire. Je n’ai jamais oublié ces mots.

Il existe un grand nombre de modèles de travail, de projets pilotes et de politiques dans le monde que nous pouvons examiner pour élaborer un cadre national qui combinera les pratiques exemplaires de partout dans le monde. Cela comprend, par exemple, le modèle de Peterborough, en Angleterre, qui fait appel à 14 fournisseurs de services différents du secteur privé, du secteur sans but lucratif, des communautés confessionnelles, du secteur public, d’ONG gouvernementales, et cetera. L’établissement en question a établi des contacts initiaux avec des travailleurs sociaux, des employeurs et des intervenants en développement des compétences, et tout cela a démarré pendant que les gens étaient encore en prison. Néanmoins, cela a commencé à leur tracer une voie qui leur a permis, une fois sortis de prison, d’avoir une réinsertion sociale beaucoup plus réussie. Ils ont eu des résultats extraordinaires. La collaboration du secteur privé, des administrations locales, des gouvernements locaux, des organismes sans but lucratif et des organismes confessionnels, qui travaillent tous ensemble dans le cadre de cette interface, donne des pourcentages étonnants de réduction de la récidive et de la réincarcération.

On trouve également cela dans un modèle que je connais bien et qui est vraiment étonnant. Dans l’État le plus répressif de tous, le Texas, il y a un modèle appelé Texas Offenders Reentry Initiative. Un organisme local sans but lucratif s’est réuni avec des organismes du secteur privé et le gouvernement de l’État pour dire : « Nous devons faire quelque chose pour régler le problème de la porte tournante dans nos systèmes carcéraux en constante expansion. Comment pouvons-nous éviter de voir les gens revenir constamment? » Ils ont donc mis sur pied un programme. Je suis heureux de vous dire que ce programme a permis, en une quinzaine d’années, à plus de 30 000 personnes d’obtenir leur diplôme. Sa directrice générale, Tina Naidoo, a remporté le prix des champions du changement de la Maison-Blanche décerné par Barack Obama.

Ces types de modèles établissent une norme qui nous permettra peut-être de les mettre en pratique dans le contexte de l’excellent travail que font déjà, ici au Canada, les groupes que vous allez entendre, comme la Société John Howard et d’autres organisations qui œuvrent auprès des gens pour réduire les chiffres de la récidive.

Je terminerai en disant que je suis enthousiaste à l’idée de voir ce cadre établi et de le voir devenir un modèle que nous pourrions adapter au contexte des provinces. De toute évidence, ce qui fonctionne bien au Québec ne fonctionne peut-être pas aussi bien en Colombie-Britannique, et ce qui fonctionne bien au Nouveau-Brunswick ne fonctionne peut-être pas aussi bien en Saskatchewan, mais nous pourrons adapter tout modèle que nous établirons en fonction du contexte local et des besoins de ces provinces et régions, tout en respectant les champs de compétence. Je crois vraiment que nous pouvons réunir des pratiques exemplaires qui auront un effet durable sur la réduction globale de la récidive.

Le monsieur dont j’ai parlé plus tôt et qui m’a dit ces paroles était Monty Lewis. Il venait du Cap-Breton. Il est maintenant décédé, mais c’est lui et son épouse, Lynda, qui ont fondé l’organisation qui a essentiellement lancé une campagne de sensibilisation auprès des familles touchées par l’incarcération.

Monty est maintenant décédé, mais son héritage perdure. Je crois que, grâce à ce projet de loi, nous pourrions peut-être voir beaucoup plus de personnes comme Monty et Linda se manifester et avoir un effet positif sur d’autres personnes qui ont vécu des situations semblables. L’histoire de Monty ressemble à celle de bien d’autres personnes qui ont été incarcérées. Il a été maltraité quand il était petit. Il est devenu toxicomane. Sa vie a commencé à s’envenimer. Il est devenu violent, mais pendant qu’il était en prison, quelqu’un est venu lui rendre visite, a continué à travailler avec lui, a continué à croire en lui et à lui redonner espoir. Par conséquent, Monty a connu un changement majeur dans sa vie. Il s’est engagé à aider d’autres personnes qui ont vécu des situations semblables.

Je vous encourage aujourd’hui à étudier ce projet de loi. Je vous serais très reconnaissant de toute contribution, mais aussi de tout soutien que vous pourriez envisager d’apporter à ce projet de loi, afin que nous puissions nous assurer de mettre fin à cette porte tournante dans nos systèmes carcéraux et donner aux blessés de la vie qui sont parmi nous la possibilité de prendre un nouveau départ. Je crois que nous pouvons le faire en offrant le plus grand des cadeaux, celui de l’espoir et de l’encouragement. Merci. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Bragdon. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi au Sénat, la sénatrice Martin.

La sénatrice Martin : Merci, monsieur Bragdon, de vos observations. Votre passion pour ce travail transparaît vraiment. C’est vraiment agréable de vous accueillir à ce comité et d’avoir l’occasion de parrainer ce projet de loi au Sénat.

Monsieur Bragdon, je voulais vous demander de poursuivre sur ce que vous avez donné comme exemples de pratiques exemplaires. Je sais que l’adoption du projet de loi C-228 obligerait le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à consulter les fonctionnaires du ministère afin de préparer ce cadre national. Les fonctionnaires sont ici, comme vous le savez. Je vous donne peut-être l’occasion de donner des conseils au ministre et aux fonctionnaires à propos de ce que vous avez appris au cours des consultations que vous avez menées, ainsi que des pratiques exemplaires dont vous avez parlé, afin d’avoir plus de succès dans la préparation de ce cadre national, si votre projet de loi est adopté. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les conseils que vous donneriez au ministre et aux fonctionnaires qui sont ici aujourd’hui?

M. Bragdon : Merci, sénatrice Martin. Merci beaucoup d’avoir parrainé le projet de loi au Sénat. J’apprécie beaucoup vos efforts, vos idées et vos points de vue.

Oui, je crois fermement qu’il faut adopter une approche axée sur la collaboration, en travaillant avec les fonctionnaires du ministère qui comptent des années d’expérience et de travail. Ils ont sans doute des idées sur certaines des pratiques exemplaires qu’ils ont observées, qui ont eu de très bons effets et résultats ici, au Canada, et qui pourraient être intégrées dans un cadre que le ministre pourrait présenter comme une stratégie pour nous faire avancer dans cette initiative.

Je suis d’accord pour une vaste collaboration et une vaste consultation auprès des intervenants de première ligne qui obtiennent des résultats, que ce soit au sein des communautés autochtones, des communautés confessionnelles, des organismes sans but lucratif, du secteur privé et de tous ceux qui peuvent s’exprimer efficacement. De toute évidence, nous devons collaborer avec les fonctionnaires du ministère qui ont des années d’expérience dans de nombreux domaines et qui peuvent dire : « D’accord, voici ce qui fonctionne le mieux », et déterminer comment nous pouvons élaborer un cadre qui pourrait être adapté aux champs de compétence des provinces. Peut-être que certains projets pilotes pourraient être mis en œuvre, et nous pourrions voir à quel point ils seraient efficaces.

Je pense que ce sera un élément clé.

Sénatrice Martin, l’une des choses que j’ai constatées au cours des délibérations, c’est qu’on a beaucoup insisté sur le fait qu’aucun secteur n’a toutes les réponses nécessaires. Il faudra la collaboration de tous les ordres de gouvernement et des divers intervenants.

Je ne saurais trop insister sur le rôle que le secteur privé commence à jouer à cet égard et sur les modèles fructueux que nous avons vus. Qu’est-ce que je veux dire par là? Je parle des entreprises et des organisations du secteur privé qui sont prêtes à donner aux hommes et aux femmes qui sortent de prison une possibilité d’emploi une fois qu’ils ont un casier judiciaire. L’un des plus grands obstacles auquel les gens se heurtent pour réussir à réintégrer la société, ce sont les possibilités d’emploi. Évidemment, il y a les problèmes de logement. C’est là que nous avons besoin que tous les ordres de gouvernement travaillent ensemble pour régler ces difficultés, mais aussi en faisant appel à ceux qui travaillent en première ligne avec ces personnes, même lorsqu’elles sont en prison.

J’espère que cela répond à votre question, sénatrice. Il faudra la collaboration de tous les secteurs pour en discuter. Lorsque nous le ferons, je crois que nous pourrons mettre en place un cadre très efficace.

La sénatrice Martin : Oui, merci. J’aime beaucoup ce que vous avez dit au sujet de la collaboration, des vastes consultations et de la capacité de travailler avec les provinces et les territoires.

Vous avez parlé de préparer une voie. Je vais adresser ma prochaine question aux représentants du ministère de la Sécurité publique en ce qui concerne les prochaines mesures que vous prendriez advenant l’adoption de ce projet de loi, lorsqu’il entrera en vigueur. Je suis certaine que vous avez déjà travaillé sur d’autres cadres, alors pourriez-vous nous décrire les prochaines étapes que vous prendriez pour assurer au comité que c’est un défi que vous pourrez relever en raison de votre expérience? Vous devez déjà connaître un bon nombre des intervenants.

La présidente : Sénatrice Martin, je suis désolée...

La sénatrice Martin : Mon temps est-il écoulé? Je continuerai au deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Bragdon.

La réhabilitation de tous les détenus me semble, de toute évidence, impossible. La semaine dernière, au Québec, il y a eu un beau cas d’espèce. Il s’agissait d’un condamné du nom de Bellemare, à Granby, qui avait été remis en liberté. C’est un kidnappeur d’enfants que je qualifierais de chronique, donc un criminel très dangereux.

Avec le projet de loi C-228, quelles sont les dispositions qui feraient en sorte que ce genre d’individu ne serait pas libéré? On a souvent l’impression que le principe de remise en liberté continuera d’avoir priorité sur la sécurité de la population.

[Traduction]

M. Bragdon : Merci, sénateur. C’est une très bonne question. Je tiens à vous assurer, sénateur, que cela n’a aucune incidence sur la durée de la peine à purger. Ce cadre entre en vigueur au moment où une personne a fini de purger sa peine et est remise en liberté. Évidemment, si une personne est un délinquant dangereux ou une menace constante pour la société, nous nous attendons à ce que le système de libération conditionnelle, le système de sécurité publique et le système correctionnel fassent leur travail et veillent à la sécurité des Canadiens.

Il s’agit de ceux qui sont libérés, qui ont purgé leur peine et qui réintègrent la collectivité. Comment pouvons-nous nous assurer que leur réinsertion sera aussi réussie que possible pour qu’ils ne retombent pas dans la criminalité ou la dépendance qui mène souvent à la criminalité? Quelle est la meilleure façon de les épauler et de veiller à ce qu’ils réussissent leur réinsertion sociale?

J’espère que cela répond à votre question, sénateur. Il ne s’agit pas de permettre à quelqu’un de réduire la durée de sa peine ou de permettre à des délinquants violents de sortir de prison plus tôt ou de contourner un processus. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de savoir comment, une fois qu’ils ont purgé leur peine et qu’ils sont libérés dans la collectivité, nous pouvons nous assurer qu’ils réussissent leur réinsertion sociale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Bragdon, pour qu’elle soit efficace, la réinsertion sociale nécessite beaucoup de mesures de prévention et surtout de contrôle. Pour ce faire, il faut des budgets. Il faut aussi que ce soit fait dans le respect de la sécurité des citoyens. Combien pensez-vous que cela pourrait coûter au bout du compte? Le Service correctionnel du Canada vous a-t-il déjà parlé de ce qu’il faudrait investir en ressources humaines et en mesures de contrôle pour améliorer les façons de faire?

[Traduction]

M. Bragdon : Dans les consultations que nous avons tenues jusqu’à maintenant, et en ce qui concerne l’engagement que nous avons pris, nous ne cherchons pas à réduire ce qui est déjà fait pour protéger les Canadiens. Dans le cas des délinquants qui réintègrent la société, s’il y a des mécanismes de sécurité et de protection en place, ceux-ci seront maintenus. Il faudrait qu’ils continuent. Encore une fois, cela s’adresse à ceux qui ont purgé leur peine. Ils peuvent avoir été incarcérés pour différentes infractions ou pour les actes qu’ils ont commis. Ils reviennent dans la communauté, mais ils n’ont pas les compétences professionnelles nécessaires pour réintégrer la société. Peut-être qu’ils ont encore des problèmes de santé mentale et de dépendance, et qu’ils ont besoin de solutions globales pour les aider à réintégrer le système avec succès.

Les économies réalisées par les contribuables pour chaque personne que nous réussissons à réintégrer avec succès dans la collectivité sont astronomiques, parce que cela allège le fardeau du coût de l’incarcération, ainsi que du coût des litiges et de l’application de la loi pour les Canadiens. De plus, lorsqu’ils redeviennent des contribuables et des citoyens productifs, ce qui est, je l’espère, l’objectif visé, et qu’ils ont un emploi, ils contribuent au Trésor public et contribuent également au bien-être économique du pays.

Tous les aspects de la protection du public doivent se poursuivre et nous devons, d’abord et avant tout, assurer la sécurité des Canadiens. Nous croyons que la meilleure façon d’assurer la sécurité des Canadiens est de faire en sorte que les gens réintègrent avec succès la collectivité et participent de nouveau de façon significative au marché du travail et à leurs réseaux communautaires.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Bragdon, bienvenue au Sénat. J’apprécie beaucoup le travail que vous faites. Je crois que tous les gens qui assistent à cette réunion de comité sont favorables à la réhabilitation. Cependant, votre projet de loi m’interpelle beaucoup, parce qu’il semble y manquer un prérequis. Vous parlez de 25 % de cas de récidive qui se produisent dans les deux ans suivant la libération. Vous savez que le rapport du vérificateur général, qui a été publié en 2018, indiquait que les statistiques sur les taux de récidive au fédéral sont tout à fait incomplètes, car elles ne tiennent pas compte des gens qui sont incarcérés dans les prisons et qui se retrouvent dans les prisons fédérales. Les données que je possède indiquent qu’environ 50 % des gens qui se retrouvent dans les établissements fédéraux pour la première fois ont déjà écopé de sentences de moins de deux ans. N’y aurait-il pas une prémisse à faire dans votre étude pour valider les données sur le plan de la récidive avant d’aborder ce sujet?

[Traduction]

M. Bragdon : Merci, sénateur Boisvenu. Je peux vous assurer que les données que nous présentons ont été fournies par le Service correctionnel du Canada. Elles se fondent sur les recherches que nous avons faites à cet égard. Ce chiffre se rapporte aux gens qui sont libérés des prisons fédérales, après deux ans.

Bien entendu, un bon nombre d’entre eux ont peut-être purgé leur peine dans des établissements provinciaux et des établissements carcéraux provinciaux avant d’entrer dans le système fédéral. Ce sont les données que nous avons reçues du Service correctionnel du Canada. De plus, nous savons que les taux de récidive sont beaucoup plus élevés parmi les populations minoritaires, et en particulier les populations autochtones. Cela souligne encore une fois que la chose la plus importante que nous puissions faire pour relever ce défi, c’est d’assurer une bonne transition pour les gens qui retournent dans la collectivité, parce que nous savons qu’actuellement, nous n’obtenons pas les résultats souhaités. Nous voulons tous faire en sorte que, si une personne a purgé sa peine et qu’elle revient dans la collectivité, nous lui donnions toutes les chances possibles de réussir sa réinsertion sociale. Cela veut dire que nous devons veiller à lui offrir un volet de développement des compétences de vie, la possibilité de terminer ses études ou du counselling en 12 étapes, ou encore des cercles de responsabilisation, des cercles de soutien, ainsi que des possibilités d’emploi. Si les gens ont un emploi, ils ont un travail, un endroit où se loger, et ils peuvent avoir une réinsertion sociale réussie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si l’on tient compte du fait que votre étude pourrait aboutir à une révision potentielle des programmes de réinsertion sociale, souhaitez-vous que cette étude soit menée de façon indépendante, plutôt que par le ministère de la Sécurité publique? Historiquement, le Canada n’a jamais mené d’étude indépendante sur la performance des programmes de réinsertion sociale. Souhaitez-vous que cette étude soit menée de façon indépendante?

[Traduction]

M. Bragdon : Merci, sénateur. Je verrais certainement d’un bon œil un examen indépendant, car je crois que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si nous obtenons des modèles qui ont donné de bons résultats dans d’autres pays, qui sont reconnus et que nous commençons à mettre en œuvre des modèles semblables ici au Canada, je serais entièrement d’accord pour que ce soit soumis à toute forme d’examen indépendant. Nous voulons tous, en effet, que les initiatives de ce genre soient couronnées de succès et donnent les résultats souhaités, c’est-à-dire réduire le nombre de portes tournantes dans notre système carcéral, de sorte qu’une fois que les gens ont purgé leur peine, ils réintègrent la collectivité avec succès au lieu de recommencer à commettre des crimes.

Cela aide les victimes, les familles, l’individu et la société dans son ensemble. J’accueillerais favorablement toute forme d’examen indépendant ainsi que l’examen ministériel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi aura-t-il un impact sur les décisions des commissaires qui siègent à la Commission des libérations conditionnelles du Canada?

[Traduction]

M. Bragdon : C’est une fois que la peine a été purgée, après la libération. Je ne sais pas quel effet direct cela aurait sur les décisions de la Commission des libérations conditionnelles. La Commission des libérations conditionnelles est distincte et indépendante, et elle jouerait son rôle. Mais si une personne est libérée et qu’elle a réussi à réintégrer la société, qu’elle s’en sort bien, qu’elle atteint ses objectifs, qu’elle est sur la bonne voie et qu’elle ne récidive pas, cela augure bien pour tout le monde et pour les objectifs de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada, j’en suis certain.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur Bragdon, d’être parmi nous aujourd’hui. Je partage certainement les objectifs de votre projet de loi, mais mes questions s’adresseront aux représentants de la Sécurité publique et du Service correctionnel.

Je pensais que tout cela ferait partie du cadre déjà en place et que nous veillions à ce que les gens ne redeviennent pas des criminels, qu’ils s’intègrent à la société, qu’ils trouvent un emploi, qu’ils suivent une formation et tout le reste.

Pourriez-vous indiquer aux membres du comité, si ce projet de loi entrait en vigueur, ce qui changerait dans vos opérations et votre planification quotidiennes?

Julie Thompson, directrice générale, Direction de la prévention du crime, des affaires correctionnelles, de la justice pénale et des politiques de police autochtone, Sécurité publique Canada : Merci beaucoup pour la question. Je vais commencer, puis je céderai la parole à ma collègue du Service correctionnel du Canada, si elle a quelque chose à ajouter.

Il serait difficile de spéculer à l’heure actuelle sur la façon dont le ministère mettrait cette mesure en œuvre, puisque le projet de loi est actuellement à l’étude dans le cadre de la procédure parlementaire, mais je peux mentionner deux choses qui existent actuellement au ministère de la Sécurité publique. Ma collègue pourra peut-être parler des programmes qui existent au sein du Service correctionnel.

À l’heure actuelle, il y a, au sein de la Sécurité publique, plusieurs programmes de contribution qui fournissent du financement aux organismes communautaires pour mettre en œuvre et exécuter divers programmes liés à la récidive, la réduction de la récidive et la réinsertion sociale des personnes récemment libérées qui ont été incarcérées dans des établissements fédéraux.

Je me ferai un plaisir de vous fournir des renseignements supplémentaires sur ces programmes en particulier, mais je ne voudrais pas monopoliser votre temps pour cela. Cette information est disponible sur le site Web de Sécurité publique Canada. Je peux m’arrêter ici et demander à ma collègue du Service correctionnel du Canada si elle souhaite ajouter des renseignements sur les programmes actuels du Service correctionnel visant à promouvoir la réinsertion sociale en toute sécurité et à réduire la récidive.

Carmen Long, directrice générale, Direction des programmes et réinsertion sociale des délinquants, Service correctionnel du Canada : Je serai brève, mais le Service correctionnel du Canada met vraiment l’accent sur la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants. Nous adoptons un certain nombre d’approches différentes pour gérer cela. Bien entendu, nous offrons des programmes efficaces en établissement et dans la collectivité, des programmes qui ciblent les facteurs directement liés au comportement criminel; lorsqu’on enseigne aux délinquants comment gérer ces facteurs, ils sont mieux en mesure de réussir leur réinsertion sociale. Nous avons des programmes correctionnels. Nous avons l’emploi. Nous avons l’éducation. Il s’agit de mesures fondamentales que la loi nous oblige à prendre pour faciliter le retour des délinquants.

De plus, l’une des pratiques qui est très importante pour nous est la gestion de cas. Donc, chaque délinquant, de son entrée en prison jusqu’à la fin de sa peine, travaille avec un agent de libération conditionnelle et une équipe de gestion de cas, et ces personnes ont examiné le risque et les besoins des délinquants. Elles surveillent leurs programmes, elles offrent du soutien et elles ont donc une interaction très active avec les délinquants.

Je dirais qu’en ce qui concerne la réduction de la récidive, ces interventions sont fondamentales.

Le sénateur Dalphond : Quel est le niveau de participation de la collectivité?

Mme Long : Au SCC, nous avons une présence communautaire très active. Nous avons des agents de libération conditionnelle qui travaillent auprès des délinquants dans la collectivité. Nous avons des agents de programmes correctionnels et des agents de programmes correctionnels autochtones. Nous offrons des programmes correctionnels continus aux délinquants. Nous avons des possibilités d’emploi dans la collectivité. Nous avons des agents de liaison avec les communautés autochtones. Nous avons un certain nombre de personnes qui travaillent en équipe afin d’avoir une bonne idée du risque et des besoins du délinquant et d’être en mesure d’adapter le plan et la stratégie de surveillance pour atténuer le risque, mais aussi pour faciliter la réinsertion sociale du délinquant.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse aux représentants de Sécurité publique Canada, et elle a été élaborée en consultation avec la sénatrice Pate.

Au cours de l’étude du projet de loi C-83, le Sénat a insisté sur la nécessité d’un contrôle judiciaire du service correctionnel afin d’assurer le changement de culture nécessaire, au sein du service, pour protéger les droits de la personne et promouvoir la réinsertion sociale. Si le projet de loi C-228 est adopté, comment Sécurité publique Canada tiendra-t-il compte des recommandations faites par le Sénat en faveur d’un contrôle judiciaire du processus décisionnel en matière correctionnelle pendant l’élaboration du cadre national?

Mme Thompson : Merci beaucoup. C’est une vaste question. J’aurais de la difficulté à y répondre maintenant. Bien entendu, le rôle de Sécurité publique Canada est de conseiller directement le ministre sur de tels sujets. Je ne suis donc pas en mesure de commenter directement cette question aujourd’hui, mais je tiens à souligner qu’en général, l’élaboration des politiques et des programmes, l’élaboration d’autres outils et instruments, prend en considération l’information provenant d’un large éventail de sources, y compris les recommandations des comités du Sénat, et cetera. Merci.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Puis-je demander une réponse écrite à ma question, si c’est possible? Merci.

Ma prochaine question s’adresse à M. Bragdon. Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Elle s’adresse également aux fonctionnaires de Sécurité publique Canada qui peuvent répondre.

La réinsertion est un processus qui commence bien avant qu’un détenu ne soit libéré d’un établissement fédéral. Compte tenu du nombre record de compressions importantes effectuées dans les programmes de réinsertion des détenus au cours de la dernière décennie, quelles solutions pratiques solides un tel cadre devrait-il inclure pendant l’incarcération en tant qu’élément intrinsèque d’une analyse approfondie des programmes de réadaptation efficaces permettant d’appuyer le non-récidivisme?

M. Bragdon : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je suis d’accord pour dire qu’il y a beaucoup de travail à faire pendant qu’une personne est encore en prison, en collaboration avec le Service correctionnel du Canada et, évidemment, avec les autres programmes qui se déroulent à l’intérieur de l’établissement. Quels sont les programmes dont nous devons assurer la disponibilité pendant la période de détention afin de préparer le détenu à sa sortie et comment pouvons-nous améliorer cela? Y a-t-il moyen de s’assurer que ce qu’il reçoit pendant son incarcération permette aussi de commencer le travail qui sera nécessaire pour le mener vers une réinsertion réussie?

Nous devons examiner les programmes qui sont mis en œuvre, et je suis sûr que le ministère le fait aussi régulièrement, c’est-à-dire qu’il les examine et en assure l’exécution. Mais nous-mêmes et les experts de l’extérieur pouvons en parler et dire : voici des modèles mis en œuvre ailleurs dans le monde qui réussissent en prison pour préparer les gens en vue de leur sortie afin qu’ils puissent réussir leur réinsertion.

Ce projet de loi vise essentiellement à examiner les pratiques exemplaires au Canada, mais aussi à l’échelle internationale, qui réussissent remarquablement bien à aider les gens à réintégrer la société.

Je suis tout à fait ouvert à cela et cela fait certainement partie de la vision du projet de loi, c’est-à-dire la façon dont nous pouvons nous assurer que les gens sont mieux préparés, au moment de leur libération, pour réussir à se réinsérer dans la collectivité et à réintégrer la société sans reprendre des activités criminelles.

La sénatrice Moodie : Ma question, en collaboration avec la sénatrice Pate, porte sur les solutions communautaires permettant de remplacer les prisons. Ma question s’adresse à Mme Thompson, de la Sécurité publique.

L’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet de transférer des personnes dans des communautés autochtones pour qu’elles purgent leur peine d’une manière qui peut être essentielle à leur réinsertion sociale, mais qui est rarement utilisée dans la pratique.

Les amendements du Sénat au projet de loi C-83 visaient à assurer un recours accru à de telles solutions de rechange à l’incarcération, en particulier pour les Noirs et d’autres groupes racialisés et marginalisés, mais ils ont été rejetés par le gouvernement. Si le projet de loi C-228 est adopté, quelles mesures le gouvernement prendra-t-il pour assurer un recours accru à des dispositions comme l’article 81 dans le cadre national?

Mme Thompson : Je vous remercie de la question. Encore une fois, il serait difficile d’émettre des hypothèses ou de prévoir une orientation gouvernementale particulière, car ce projet de loi fait toujours l’objet de délibérations parlementaires. Cependant, je pourrais vous donner quelques renseignements sur un programme qui est offert aujourd’hui, l’Initiative sur les services correctionnels communautaires destinés aux Autochtones, pour laquelle, dans le budget de 2017, 10 millions de dollars sur cinq ans ont été alloués afin de tenter de réduire l’écart entre les délinquants autochtones et non autochtones, dans le système de justice pénale, en augmentant la capacité communautaire et en appuyant l’élaboration de projets de réinsertion sociale et de solutions de rechange à la détention. Grâce à ce financement de 10 millions de dollars, 16 organismes ont été financés et mènent actuellement des programmes.

À titre d’information, voici quelques exemples de ces organismes : le Native Counselling Services of Alberta, The Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia, l’Odawa Native Friendship Centre et d’autres intervenants qui travaillent sur la question importante de l’appui aux projets de réinsertion sociale et de solutions de rechange à la détention, en particulier pour les détenus autochtones.

La sénatrice Moodie : Monsieur Bragdon, comme vous le savez, la récidive est un problème qui touche les communautés noires et autochtones plus que d’autres. Pourriez-vous nous parler des conversations et des commentaires que vous avez eus avec certaines de ces communautés? Qu’est-ce qu’elles pensent du projet de loi?

M. Bragdon : Merci, sénatrice, de votre question. Je suis reconnaissant des conversations que j’ai eues avec des amis autochtones, mais vous entendrez aussi plus tard, au comité, le témoignage de l’honorable Graydon Nicholas, un membre de la Première nation Wolastoqey de ma province, ici, au Nouveau-Brunswick, un ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick et ancien juge de la cour provinciale.

Ce projet de loi contribue grandement à régler certains des problèmes qui existent. L’un des amendements qui ont été présentés à l’autre endroit, au comité, venait du député de St. John’s-Est, M. Harris, du NPD, et il proposait de veiller à ce que tout le monde ait accès à tous les programmes, notamment et surtout, bien sûr, les membres des communautés minoritaires autochtones ou noires. Nous avons accueilli avec plaisir cet amendement au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre.

Nous voulons nous assurer que l’accès est là et que l’on tient compte des gens qui veulent avoir accès aux services, des gens qui en ont le plus besoin et qui veulent ces partenariats pour réussir leur réinsertion sociale.

Le sénateur Oh : Merci, monsieur Bragdon, d’être ici. Y a-t-il des provinces ou des territoires canadiens qui ont appliqué un cadre sur la récidive semblable à ce qui est proposé dans le projet de loi C-228? Si oui, y a-t-il des éléments de ce cadre qui pourraient éclairer le cadre fédéral proposé pour le Canada?

M. Bragdon : Merci, sénateur. Je vous en remercie. C’est une excellente question. Je crois qu’il y a des modèles individuels dans chaque administration. Les différentes provinces travaillent avec différents types d’organismes et de groupes. Je suis sûr que certaines administrations obtiennent de bons résultats, peut-être meilleurs que d’autres. C’est là où je pense que le rôle du cadre national est une occasion de trouver des pratiques exemplaires dans l’ensemble du pays et des territoires pour s’assurer que les meilleurs résultats obtenus sont ceux qui seront disponibles et que le public en sera informé. Mais surtout, ceux qui ont la possibilité de mettre en œuvre ce genre de stratégies auront accès à ces programmes, tant au Canada qu’à l’étranger.

Le sénateur Oh : J’ai remarqué dans le rapport que le taux de récidive est de 38 % chez les hommes autochtones et de 21 % chez les hommes non autochtones. C’est la même chose pour les femmes autochtones, dont le taux est de 20 %, comparativement à 9 % pour les non-Autochtones.

Personne ne naît criminel. Nous sommes tous nés égaux. Ne croyez-vous pas qu’il soit plus important d’aider un groupe en particulier, qu’il s’agisse de Noirs ou d’Autochtones, avant qu’ils ne se retrouvent en prison, plutôt qu’après, lorsque vous arrivez avec le projet de loi C-228? Je pense que vous devriez insister avant.

M. Bragdon : Merci, sénateur. Je suis d’accord. De toute évidence, le projet de loi vise à réduire le taux de récidive une fois la peine purgée pour s’assurer que les gens n’aient jamais à retourner en prison, mais vous avez tout à fait raison. Nous devons en faire plus dès le départ pour faire en sorte que moins de gens soient incarcérés et qu’ils n’aient pas à suivre cette voie.

Ce projet de loi vise ceux qui ont purgé une peine. Comment pouvons-nous faire en sorte qu’ils ne retournent pas en prison?

Le sénateur Richards : Merci, monsieur Bragdon, d’être ici aujourd’hui. Je viens de votre province. Je connais Graydon Nicholas depuis des années, et je pense aussi que c’est un homme bien.

Alistair MacLeod était un ami à moi, un auteur de nouvelles du Cap-Breton. Il avait une belle maxime; il disait que les gens sont meilleurs quand ils sont aimés. Je pense que c’est une maxime fondamentale dont notre culture et notre société devraient s’inspirer. Le problème, pour beaucoup de gens qui se retrouvent en prison, c’est qu’ils n’ont pas été aimés. Nous le savons. En quoi la formule de votre projet de loi diffère-t-elle de celle d’autres projets de loi ou d’autres situations qui ont été utilisées dans le passé? En quoi est-ce fondamentalement différent, si c’est le cas?

Les récidivistes qui sortent de prison ont-ils tendance à commettre des crimes plus graves que lorsqu’ils ont été incarcérés pour la première fois? Je pense que c’est un autre danger. Si vous pouviez répondre à cette question, je vous en serais reconnaissant. Merci.

M. Bragdon : Merci, sénateur. Ce sont d’excellentes questions. Évidemment, la meilleure chose que nous puissions faire, c’est de nous assurer, dès le départ, que nous faisons tout ce que nous pouvons pour mettre en place les pratiques exemplaires qui sont connues dans le monde entier.

L’idée derrière ce projet de loi est la suivante. Je ne crois pas que nous ayons entrepris, à l’échelle nationale, d’établir un cadre national de pratiques exemplaires et d’élaborer une stratégie qui pourrait contribuer à réduire les taux de récidive d’un océan à l’autre. Le but de ce projet de loi est de veiller à ce que nous examinions des approches nouvelles et novatrices ainsi que celles qui ont été mises à l’essai et qui fonctionnent bien, en collaboration surtout avec ceux qui sont en première ligne et qui font bouger les choses ici au Canada. S’ils obtiennent de bons résultats dans une collectivité ou dans une région, peut-être qu’une partie de leur approche pourrait être adaptée et utilisée dans d’autres régions du pays.

Le projet de loi vise à établir un cadre national à partir duquel les gouvernements provinciaux et territoriaux pourront mettre en contexte leurs pratiques exemplaires. Ensuite, nous les examinerons et les mesurerons sur une certaine période pour voir ce qui fonctionne bien. C’est l’approche hybride qui connaît autant de succès. Ce n’est pas seulement le secteur gouvernemental; il joue un rôle. Ce n’est pas seulement le secteur sans but lucratif ou la communauté confessionnelle; ils jouent un rôle. La communauté autochtone joue un rôle. Mais il y a aussi le secteur privé. C’est ce partenariat de divers secteurs qui donne les meilleurs résultats. Comment pouvons-nous nous assurer d’avoir une interface réussie où nous pouvons mettre à l’essai certains de ces types de programmes efficaces pour nous aider essentiellement à atteindre l’objectif que nous avons tous, c’est-à-dire mettre fin au cycle de la récidive?

Le sénateur Richards : Monsieur Bragdon, aurons-nous les fonds pour le faire? Donnera-t-on assez d’argent pour cela? L’argent sera-t-il bien dépensé? Ce sont des questions que le public se pose, ne serait-ce que, a posteriori.

M. Bragdon : C’est une bonne question, sénateur. Écoutez, les économies que l’on peut réaliser sont massives, au-delà de toute proportion par rapport à l’investissement requis. Chaque fois que nous réussissons une réinsertion sociale, nous économisons des sommes astronomiques au contribuable. Songez aux économies qui se font chaque fois que quelqu’un réintègre le marché du travail avec succès. Le coût des litiges diminue. Le coût de l’incarcération diminue. Le coût de l’application de la loi diminue. Le coût du processus judiciaire diminue. Le coût des services sociaux et le fardeau imposé au système de soins de santé diminuent. Parce que chaque personne que nous réussissons à réintégrer avec succès sort de ce cycle de dépendance et migre vers une contribution à la société. Cela les aide, eux, mais aussi leurs proches, dans le contexte plus large.

Il est manifeste qu’il y a des économies à faire. C’est pourquoi je crois que les gouvernements se rallieront à la cause. Je suis heureux de dire — et je le ferai très rapidement, sénateur Richards — que j’apprécie outre mesure l’appui que tous les partis nous ont témoigné tout au long du processus, un appui incroyable de la part du parti au pouvoir, ainsi que du NPD et du Parti vert, qui se sont tous joints à nous pour contribuer à la réalisation de ce projet. Je crois qu’il y a une volonté politique, et lorsqu’il y a une volonté politique, je crois qu’il y aura des investissements.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

La sénatrice Busson : Monsieur Bragdon, je vous remercie encore une fois d’être venu avec les fonctionnaires qui sont ici pour nous aider à comprendre cet important projet de loi.

Il paraît qu’il est insensé de faire et de refaire les mêmes choses en s’attendant à obtenir un résultat différent, alors c’est rafraîchissant. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites. Il est important, à mesure que les gens quittent un établissement, qu’ils soient soutenus globalement et individuellement par divers organismes; une personne pouvant compter sur tous ces groupes et services, tous travaillant de concert pour un résultat positif. C’est tellement important. Nous avons tous été témoins des conséquences dévastatrices de l’échec, non seulement pour la personne en cause, mais pour la société en général. Je suis donc tout à fait d’accord.

Vous avez cité une statistique très choquante au début de votre exposé. Vous avez dit que les enfants des personnes incarcérées sont sept fois plus susceptibles d’être incarcérés en prison. Votre vision du projet de loi C-228 comprend-elle le soutien aux familles à mesure que les choses avancent, compte tenu des deux résultats pour les gens qui pourraient suivre la voie de la porte tournante et comme soutien à la personne elle-même?

M. Bragdon : Merci, sénatrice. C’est une excellente question. C’est un domaine qui m’intéresse avec passion, et j’ai parlé d’un de mes bons amis, le fondateur de l’organisation, Monty Lewis, qui est malheureusement décédé. Son épouse et lui ont fondé l’organisation. C’est lui qui citait souvent cette statistique selon laquelle les enfants des détenus sont sept fois plus susceptibles d’être eux-mêmes incarcérés.

Je ne suis pas tout à fait sûr de la source de ce problème, mais il a travaillé dans ce domaine pendant des années, et il le citait souvent dans ses exposés. Il avait lui-même été incarcéré et avait suivi ce processus. Il croyait, et je crois que beaucoup de gens dans ce secteur sont de cet avis, que ce n’est pas seulement la personne qui est libérée, mais aussi toute la famille qui a besoin d’un soutien adéquat et de solutions globales, en somme de quoi bien s’équiper pour réussir sa réinsertion sociale. Il faut veiller dans la mesure du possible à ce que les familles aient le soutien dont elles ont besoin.

Encore une fois, le modèle hybride serait à mon avis le plus efficace. Il n’y a pas de solution universelle. Le cadre doit être fluide pour qu’il puisse être contextualisé en fonction des besoins de la personne, des besoins de la famille, des besoins de la collectivité et des besoins de la province ou du territoire, tout en respectant le contexte d’où provient la personne. C’est ce qui est si important avec ce modèle de cadre; il a cette capacité d’être fluide, pas rigide, mais fluide. Comme nous le savons, il y a des tas de facteurs à faire entrer en ligne de compte d’une administration à l’autre, d’une géographie à l’autre et d’une culture à l’autre.

Les modèles les plus efficaces que j’ai personnellement vus sont ceux qui ont la capacité de contextualiser, de façonner et de répondre aux besoins des personnes avec lesquelles ils travaillent. Il n’y a pas de solution universelle. Quelles sont les pratiques exemplaires et comment pouvons-nous les mettre en contexte pour obtenir les meilleurs résultats? Je vous remercie de cette question, sénatrice. C’est tellement vrai, et je pense que nous devons intégrer le soutien aux familles et aux enfants.

La sénatrice Busson : Merci de cette réponse passionnée. Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Bragdon, d’être ici et merci pour le projet de loi que vous défendez. Il me semble que c’est un aspect supplémentaire de votre carrière que de vous engager à l’égard de la justice sociale, et je vous en félicite. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Je tiens à faire une série d’observations qui, je l’espère, ne seront pas trop critiques. Mon point de vue est celui du sous-procureur général et sous-ministre de la Justice responsable des services correctionnels que j’ai été pendant cinq ans, il y a une vingtaine d’années. Je dirais que c’est le Service correctionnel du Canada qui devrait apprendre des services correctionnels provinciaux, plutôt que l’inverse. Ma première critique, très franchement, c’est que cette loi ne s’appelle pas loi établissant un cadre national pour réduire la récidive, mais un cadre fédéral, ce qui laisse entendre qu’elle sera élaborée par le gouvernement du Canada.

En définitive, beaucoup de gens purgent une peine dans les services et centres correctionnels. Ils finissent souvent par commettre des infractions plus graves. Malheureusement, dans certaines circonstances, les prisons elles-mêmes peuvent être un terrain fertile pour cela. Dans les établissements provinciaux comme celui de la Saskatchewan, plus de 85 % des détenus sont autochtones. Des modèles ont été élaborés pour essayer d’y remédier. Je vais vous en décrire un.

Lorsque j’étais sous-procureur général de la Saskatchewan, nous avons lancé un programme pour examiner les délinquants à faible risque et libérer tous ceux que nous pouvions libérer une fois qu’ils avaient purgé la peine minimale; nous avons construit l’équivalent de maisons de transition; des agents correctionnels — des gardiens de prison — ont été mutés à des postes où ils pouvaient aider les gens à faire la transition vers la collectivité; le nombre de détenus dans nos prisons a diminué de 10 % en deux ans et il y a eu, au total, un seul récidiviste. Ce n’est peut-être pas le modèle que l’on suit aujourd’hui, mais c’est assez pour me faire dire que le Service correctionnel du Canada peut apprendre beaucoup de ce que les provinces ont fait. Les provinces peuvent se mobiliser sans avoir à attendre les suggestions du gouvernement du Canada.

J’aimerais savoir dans quelle mesure les fonctionnaires fédéraux et vous-même voyez l’avantage de mettre en place un cadre qui tire des leçons des provinces plutôt que l’inverse. Merci.

M. Bragdon : Merci, sénateur Cotter. J’apprécie beaucoup l’expertise que vous apportez à la table aujourd’hui. Merci de nous en avoir fait part.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que les bonnes idées viennent souvent de la base et que ceux qui sont le plus près de la situation trouvent souvent les meilleures solutions dans leurs champs de compétence. La vision de cet aspect particulier du cadre fédéral consiste à adopter les pratiques exemplaires de l’ensemble du pays et de nos diverses administrations provinciales, et à regrouper le tout, relevant par exemple ce qui fonctionne efficacement au Nouveau-Brunswick ou dans les territoires, de bons modèles de travail et des organisations qui ont mis en place une structure bien conçue et qui ont obtenu de bons résultats. De plus, à l’échelle internationale, le gouvernement fédéral a le pouvoir de vérifier et de recueillir de l’information à partir des pratiques exemplaires d’autres pays qui peuvent s’appliquer dans le contexte canadien et, évidemment, être contextualisées selon chaque région, province et administration.

Je pense qu’il est très important que nous soyons ouverts et que nous puissions attirer non seulement des gens à l’échelle locale et de l’intérieur de notre propre pays, mais aussi d’autres pays qui ont de très bons modèles de travail dont nous pourrions nous inspirer. Tout cela pourrait être structuré sans pour autant priver les provinces de faire leurs propres examens et d’établir des pratiques exemplaires dans leurs champs de compétence.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Bragdon, je dois dire que j’admire vraiment vos motifs pour ce projet de loi et je vous souhaite beaucoup de succès. J’ai beaucoup réfléchi depuis que vous l’avez présenté à la Chambre, et aujourd’hui vous avez parlé des prisonniers qui ont des antécédents de violence et de mauvais traitements. En plus de réduire la récidive et d’aider à la réadaptation, pensez-vous que nous devrions également envisager des stratégies autres que l’incarcération?

À mon avis, envoyer les gens en prison semble être la solution facile. Mais lorsque j’exerçais le droit, je disais souvent aux gens qu’on les envoyait en prison, mais qu’on ne jetait pas le verrou. Tôt ou tard, ils reviennent. Comment vont-ils réintégrer la société? Je suis vraiment satisfaite de ce que vous avez dit, parce que je pense que c’est un bon premier pas, mais avez-vous réfléchi à la question de la non-incarcération?

M. Bragdon : Merci, sénatrice Jaffer. Je partage votre enthousiasme. Il faut toujours chercher à éviter l’incarcération, d’abord en empêchant les gens d’entrer dans une vie de crime ou de commettre des actes violents, mais souvent en s’attaquant aux problèmes fondamentaux. C’est une discussion très importante et un domaine où il y a un grand besoin.

Ce projet de loi porte évidemment sur un aspect. Si nous pouvons exercer un effet positif au moment où les gens qui ont purgé leur peine sont sur le point de revenir dans la collectivité, c’est bien grâce à des partenariats efficaces avec nos communautés autochtones, avec des organismes confessionnels, des organismes sans but lucratif et non gouvernementaux, et bien entendu avec le secteur privé. Tous peuvent jouer un rôle. C’est dans ce point d’interface que nous pouvons concevoir les modèles qui donneront les meilleurs résultats.

Sans vouloir enlever quoi que ce soit au concept de la non-incarcération, je pense que la meilleure chose à faire, c’est nous efforcer dès le départ à empêcher les jeunes et d’autres personnes de se diriger vers des activités criminelles menant à l’incarcération, et leur offrir du soutien et des exemples sains dans les collectivités.

Ce projet de loi porte en particulier sur ce que nous pouvons faire une fois qu’une personne a purgé sa peine. Comment pouvons-nous nous assurer qu’elle réussira et qu’elle ne retournera pas en prison? C’est l’objectif de ce projet de loi. Merci, sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Si le projet de loi C-228 est adopté, le Parlement pourrait-il évaluer dans quelle mesure ce cadre fédéral est efficace pour le Canada?

M. Bragdon : Merci, sénatrice. Je crois que la meilleure façon de le faire est d’examiner les taux de récidive et de faire une analyse comparative de ceux qui ne suivent pas les programmes d’intervention ou les modèles qui sont en train d’être mis en place et de ceux qui bénéficient d’une certaine forme de soutien communautaire et d’intervention de l’extérieur au moment de la libération. Je suis tout à fait convaincu, comme nous l’avons vu à l’échelle internationale, que la différence sera frappante entre les taux de réussite en matière de réduction de la récidive chez ceux qui participent à une forme quelconque de programme ou d’appui au réseautage et ceux qui n’y participent pas. Au fur et à mesure que nous examinerons les résultats des modèles que nous suivons, je pense que nous constaterons des faits assez importants et émouvants.

La sénatrice Martin : J’ai assez entendu d’excellentes questions et d’excellentes réponses, alors je vais céder la parole au sénateur suivant. Merci, monsieur Bragdon, de vos réponses très claires et passionnées.

Le sénateur Dalphond : Monsieur Bragdon, vous avez dit que vous aviez un vaste appui à la Chambre des communes. Je n’ai pas remarqué le Bloc dans votre liste de ceux qui appuient votre projet de loi. Dois-je comprendre qu’ils ne l’appuient pas et, dans l’affirmative, pourquoi?

M. Bragdon : Merci, sénateur. Je ne connais pas la raison exacte. Ce qui les préoccupe à ce que j’ai compris, ce sont les aspects de compétence provinciale et le fait qu’il s’agit d’un cadre fédéral. J’ai tout essayé pour les convaincre que ça n’allait pas empiéter sur les champs de compétence des provinces. Il s’agit d’établir un cadre solide à partir duquel les provinces et les territoires pourraient télécharger les programmes qui, selon eux, ont les meilleurs résultats et les meilleurs types de modèles qu’ils aimeraient adapter à leur propre contexte ou objectif. C’est la seule raison que j’ai trouvée. Autrement, d’après les conversations que j’ai eues avec les députés du Bloc, ils étaient généralement en faveur de la réduction de la récidive grâce à l’intervention, mais l’aspect de la compétence provinciale les inquiétait.

La sénatrice McPhedran : Merci. Je me demande, monsieur Bragdon, si vous pourriez nous dire brièvement si vous avez examiné ou si vous connaissez des programmes qui ont des objectifs semblables à ceux que vous énoncez dans votre projet de loi, mais qui ont été particulièrement efficaces pour les femmes détenues qui sont racialisées ou marginalisées d’autres façons par notre société.

M. Bragdon : Merci, sénatrice. En fait, le modèle dont j’ai parlé et dont Mme Naidoo a parlé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes est un programme qui travaille à la fois avec les hommes et les femmes des communautés minoritaires, en particulier ceux des communautés afro-américaines à Dallas, Houston, Fort Worth et San Antonio. Plus de 30 000 personnes ont suivi le programme. Ils ont connu un succès tellement incroyable, qu’il a même été reconnu par le président de l’époque, Barack Obama, et Mme Naidoo s’est vue décerner le titre de championne du changement.

C’était un modèle que d’autres pouvaient essayer d’imiter. Il s’agissait d’un bon partenariat entre un organisme local de nature confessionnelle sans but lucratif, l’État du Texas et des entreprises comme AT&T, des fabricants de vêtements et d’autres qui ont accepté d’offrir des possibilités d’emploi. Ensuite, les autorités chargées du logement et du développement urbain ont répondu aux besoins de logement de ceux qui revenaient de l’incarcération.

C’était un modèle extraordinaire, et je serais ravi qu’il soit adapté au contexte canadien. Ils ont beaucoup travaillé avec les hommes et les femmes, notamment avec des personnes d’origines ethniques minoritaires.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

La présidente : Merci, chers collègues. Le temps de parole de notre premier groupe de témoins est écoulé. Je remercie M. Bragdon, Mme Thompson et Mme Long d’avoir comparu aujourd’hui.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Graydon Nicholas, titulaire de la chaire dotée en études autochtones de l’Université St. Thomas, et ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick; ainsi que Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada.

Au nom du comité, nous tenons à vous remercier tous les deux d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Vous avez la parole pour votre déclaration préliminaire, monsieur Nicholas.

L’honorable Graydon Nicholas, titulaire de la chaire dotée en études autochtones, Université St. Thomas, ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Bonjour aux sénateurs qui étudient ce projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-228. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous faire part de certaines de mes expériences. Vous avez une copie de ma déclaration aux députés lorsque j’ai témoigné le 22 février 2021.

Je suis membre de la nation Wolastoqiyik de la Première nation de Tobique. Je travaille actuellement à l’Université St. Thomas, où j’ai obtenu une chaire dotée en études autochtones. J’enseigne aux étudiants le système de justice pénale tel qu’il s’applique aux Autochtones.

Les appels à l’action numéros 30 à 42 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada indiquent la nécessité d’une réforme de la détermination de la peine et du traitement des Autochtones dans le système de justice pénale. Ce n’est pas la première fois que ces réformes sont proposées. Le premier rapport national, intitulé Les Indiens et la loi, a été rédigé par l’Association correctionnelle canadienne en août 1967. Il contenait 17 recommandations.

D’autres rapports nationaux ont fait tout autant. En particulier, le rapport numéro 34 de la Commission de réforme du droit intitulé Les peuples autochtones et la justice pénale : égalité, respect et justice à l’horizon, publié en 1991, contenait des recommandations importantes, notamment la recommandation numéro 2 :

Les collectivités autochtones que les représentants légitimes des peuples autochtones auront désignées comme disposées et aptes à établir un système de justice qui leur est propre devraient être investies du pouvoir de le faire. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient engager des négociations pour transférer ce pouvoir aux collectivités autochtones visées.

Je vous renvoie à une autre étude réalisée par la Commission royale sur les peuples autochtones dans un rapport intitulé Par-delà les divisions culturelles : Un rapport sur les Autochtones et la justice pénale au Canada, qui remonte à 1996. Je reprends une importante recommandation qu’il contenait :

Que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux reconnaissent le droit des nations autochtones de créer et d’administrer leurs propres systèmes de justice conformément à leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, y compris le pouvoir de légiférer, dans le territoire de chaque nation autochtone.

Je reprends également l’appel à l’action numéro 42 :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à reconnaître et à mettre en œuvre un système de justice autochtone qui soit compatible avec les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, en plus d’être conforme à la Loi constitutionnelle de 1982 et à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à laquelle le Canada a adhéré en novembre 2012.

Les Autochtones sont tristement surreprésentés dans les établissements pénitentiaires de notre pays. De nombreux facteurs contribuent à ces statistiques. Beaucoup sont de nature historique, beaucoup sont attribuables à la pauvreté et beaucoup d’autres encore au fait que le système de justice actuel ne reflète pas les valeurs de leurs collectivités.

Comme je l’ai mentionné, de nombreuses études ont été réalisées pour recommander des changements fondamentaux au système de justice pénale, mais pas assez. Je tiens à féliciter le député Richard Bragdon et les autres députés qui ont appuyé cet important projet de loi.

Je vous en demande tout autant, c’est-à-dire votre contribution positive et votre appui au projet de loi C-228. Merci beaucoup. Woliwon.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Nicholas. Vous avez la parole, madame Latimer.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup. C’est un honneur pour moi d’être à la disposition du comité et de vous faire part du point de vue de la Société John Howard sur le projet de loi C-228. Comme vous le savez, les Sociétés John Howard sont des organismes de bienfaisance qui offrent des services dans une soixantaine de collectivités au Canada. Nous cherchons à apporter des réponses justes, efficaces et humaines aux causes et aux conséquences de la criminalité. Notre organisme a pour mission d’appuyer la réinsertion sociale des anciens prisonniers et la réforme des prisons.

Nous appuyons avec enthousiasme le projet de loi C-228. Nous avons tous été témoins de lamentables tragédies. Je songe par exemple à Kimberly Squirrel, qui est décédée dans la rue trois jours après avoir été libérée d’un établissement correctionnel. Il y a de quoi nous faire prendre conscience et nous apercevoir que nous pouvons faire beaucoup mieux. Ce projet de loi nous donne une véritable occasion de travailler ensemble et de regrouper les pratiques exemplaires qui rendront nos collectivités plus sécuritaires.

Malgré nos opinions divergentes sur la durée appropriée de la peine et la meilleure façon de libérer un criminel de sa dette envers la société, nous souhaitons tous que lorsque les prisonniers sont prêts à être libérés et à revenir dans la collectivité, ils soient respectueux des lois et deviennent des membres productifs de la société.

Je n’interprète pas le projet de loi C-228 comme une loi portant sur les droits des prisonniers. Pour moi, il porte plutôt sur la sécurité publique. Il s’agit de veiller à ce que les anciens prisonniers reçoivent le soutien dont ils ont besoin pour la sécurité de tous, y compris la leur. Un cadre de lutte contre la récidive est donc avantageux pour tous, car il freine la tendance à la victimisation tout en préservant les ressources de l’État.

Pour les anciens prisonniers, le chemin du retour est difficile. La solitude, la stigmatisation, la pauvreté extrême, la discrimination en matière d’emploi et de logement, les obstacles liés à la race, à la religion ou au sexe, le manque de papiers, l’absence de suivi des soins de santé mentale et physique, les difficultés de réunification des familles, une méconnaissance des nouvelles technologies, une grave marginalisation et la crainte et l’hostilité des membres de la collectivité, sont autant de difficultés à devoir surmonter. Les surdoses de drogues après la libération sont monnaie courante. Certains utilisent des drogues et de l’alcool pour soulager leurs maux. Aussi, les taux de suicide sont plus élevés chez les personnes dans la première année suivant leur sortie de prison.

Entre 2003 et 2008, 66 détenus sous responsabilité fédérale se sont suicidés et 20 personnes l’ont fait une fois qu’elles étaient en liberté conditionnelle.

Compte tenu des difficultés auxquelles ces personnes sont confrontées, le fait que la majorité de celles qui sont libérées ne retournent pas en prison — même si beaucoup trop le font — témoigne de l’énorme résilience et de la volonté dont elles font preuve. Nous pouvons et devons faire davantage pour faciliter leur réinsertion sociale réussie.

Il y a quelque temps, Sécurité publique Canada a accordé une petite subvention à la Société John Howard pour la réalisation d’une série de balados dans lesquels d’anciens prisonniers sont interviewés par des pairs au sujet des difficultés qu’ils ont dû surmonter pour réintégrer la collectivité, le tout dans le but de donner des conseils et du soutien à d’autres.

Si ça vous intéresse, ce balado s’intitule « Voices Inside and Out ». Malgré quelques petites différences ponctuelles au niveau des défis à relever, son contenu révèle d’importantes similitudes en matière de logement, d’emploi et de soins de santé.

De nombreux prisonniers estimaient que les autorités correctionnelles ne les avaient pas adéquatement préparés à leur libération. Certains n’avaient même pas de pièces d’identité acceptables. Les prisonniers qui dépendaient de médicaments d’ordonnance ont été libérés avec une petite provision pour deux semaines seulement. L’étude menée par Services correctionnels Canada a révélé que, parmi un groupe de 40 détenus atteints de troubles de l’humeur graves et de troubles psychotiques, seulement 31 % avaient un plan de sortie clinique officiel au moment de leur libération. Tous les ingrédients du problème sont là.

Il faut des solutions créatives pour s’y retrouver dans le méli-mélo des exigences municipales, provinciales et fédérales. Les personnes qui reçoivent de l’aide de leurs pairs, d’organisations de justice pénale, de leur famille ou de bons samaritains l’apprécient énormément.

C’est dans ce contexte que le projet de loi C-228 aurait une incidence considérable. Il ferait en sorte que les éléments clés d’une transition réussie soient déterminés dans un climat de collaboration. Il s’agira, je l’espère, de faire appel à des personnes ayant une expérience vécue, à des représentants d’organismes qui offrent des services de réinsertion sociale, à des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, ainsi qu’à des communautés de race noire et d’Autochtones.

Le fait que le projet de loi exige que le ministre de la Sécurité publique fasse rapport sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre du cadre inciterait fortement le gouvernement à passer de la parole aux actes, d’un simple libellé à quelque chose de vivant, au service des Canadiens.

En somme, la Société John Howard du Canada vous exhorte à appuyer l’adoption du projet de loi C-228. La vérité, c’est qu’on n’en fait pas assez actuellement pour la réinsertion des prisonniers. Nous pouvons et nous devons mieux faire pour veiller à ce que les personnes libérées soient soutenues dans leurs efforts pour une réinsertion sociale réussie et sécuritaire. Le cadre visant à réduire la récidive est un moyen important de réduire la criminalité et de rendre nos collectivités plus sûres. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, madame Latimer. Nous allons passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi au Sénat, la sénatrice Martin. Je rappelle à tous les sénateurs qu’ils disposent de trois minutes.

La sénatrice Martin : Je remercie M. Nicholas et Mme Latimer de la Société John Howard du Canada.

Il y a tellement de questions à se poser. Ma première question s’adresse à M. Nicholas. Vous avez dit qu’il y avait tout un tas d’études; des commissions antérieures. Vous avez décrit l’historique de cette information. Pourtant, nous en sommes là où nous en sommes. Vous nous demandez d’appuyer ce projet de loi. Il est vrai que j’en suis la marraine, mais pourriez-vous nous dire pourquoi ce projet de loi serait si important, puisque nous disposons déjà de toutes sortes d’informations? Nous savons ce que nous devrions faire. J’aimerais que vous me précisiez quelle est la nécessité de ce projet de loi.

M. Nicholas : Tout d’abord, l’essentiel consiste à avoir des discussions avec nos dirigeants des Premières Nations — nos dirigeants autochtones, devrais-je dire, car cela inclurait les Inuit et les Métis — ainsi qu’avec les femmes autochtones qui ont leur propre voix.

Il faut avoir ce dialogue. Ce projet de loi et d’autres études sont excellents; croyez-moi, ils le sont, mais, malheureusement, les organisations représentées au sein du gouvernement, les différents ministères, n’ont pas mis de côté les ressources financières nécessaires pour le mener à bien. C’est parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens dans nos collectivités qui sont au courant de ces rapports. Je les connais parce que je les étudie, et cela fait partie de mes responsabilités d’enseignant. Mais si je les mentionne à des étudiants de la communauté, ils se demandent pourquoi ils n’en ont jamais entendu parler. Eh bien, ils n’en ont jamais entendu parler, primo parce que les rapports sont longs, et secundo, parce qu’il n’y a pas de discussion. Ce qui est fondamental, c’est qu’il y est dit que le ministre de la Sécurité publique doit consulter les représentants. Je pense que c’est important.

Une fois le projet de loi adopté, les discussions progresseront. Croyez-moi, j’aurais pu citer d’autres études. J’ai simplement pensé que ces rapports étaient les plus pertinents à ce stade-ci.

C’est pourquoi je dirais que c’est important. Croyez-moi, plus tôt il y aura des échanges et des discussions entre nos dirigeants autochtones et les gens bien intentionnés des différents ministères, plus les choses pourront évoluer en bien.

La sénatrice Martin : Oui, je suis d’accord avec vous. Merci de nous en avoir informés.

Madame Latimer, rapidement, je suis préoccupée par les enfants d’anciens détenus et le risque sept fois plus élevé qu’ils puissent achever dans ce genre de vie. Y a-t-il des programmes que vous offrez, personnellement? Font-ils partie des pratiques exemplaires que nous devrions envisager?

Mme Latimer : Il me semble que si on réussit la réinsertion de personnes qui ont été détenues, ce sera bénéfique pour les membres de leur famille. On ne sait pas vraiment quelles sont les conséquences réelles pour les familles, y compris les enfants, d’avoir quelqu’un en détention, surtout si cette personne n’est pas traitée équitablement et qu’on ne lui donne pas une feuille de route claire sur la façon de retourner dans les communautés et d’être perçue comme étant le père ou la mère de ses enfants et de les soutenir de la meilleure façon possible.

À mon avis, tout ce qui favorise une réinsertion sociale réussie renforce les familles. De toute façon, il y aura des problèmes, car ces familles seront stigmatisées du fait d’avoir eu quelqu’un dans le système de justice pénale. Il faudrait probablement leur offrir des services d’orientation et travailler plus fort à ce chapitre.

La sénatrice Martin : Je vous remercie en passant du bon travail que vous faites.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je poserai deux questions à chacun de nos invités et je les remercie beaucoup de leur présence cet après-midi. D’abord, madame Latimer, est-ce que vous pouvez me dire à quand remonte la dernière étude indépendante ou la dernière évaluation des programmes de réinsertion sociale menée au Canada?

[Traduction]

Mme Latimer : Je suis d’accord avec vous, sénateur. Je pense qu’ils doivent faire l’objet d’un examen indépendant. Je ne sais pas quand ils ont fait l’objet d’un examen indépendant la dernière fois. Je sais que la vérificatrice générale a fait un audit des programmes qui préparaient les gens à leur libération, et les résultats ont laissé à désirer. Quant à l’efficacité réelle de ces programmes, je pense qu’il faut les évaluer au cas par cas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup. Il n’y en a jamais eu — c’était la réponse.

Monsieur Nicholas, ma prochaine question concerne l’usage qu’on voudrait faire, dans le cadre de la réinsertion sociale, de considérations relatives au milieu confessionnel. L’utilisation des religions pour aider les délinquants à se réhabiliter peut poser un risque élevé. On a vu, au Canada comme dans d’autres pays et en Europe, de l’extrémisme dans les pénitenciers, où des personnes qui pratiquaient certaines religions avaient une influence très négative sur d’autres détenus.

Le fait de se servir des religions pour appuyer la réinsertion des délinquants ne pose-t-il pas un risque pour ces derniers de développer des comportements extrémistes?

[Traduction]

M. Nicholas : Tout d’abord, les Autochtones ne craignent pas la spiritualité autochtone. Je pense que ce sont les gens qui font partie des organisations qui ont plus peur de nous à cause de ce qu’on nous enseigne.

Je pense que cela va aider notre peuple, parce que notre spiritualité nous inclut tous. C’est une question d’identité. C’est notre identité nationale. C’est l’ensemble de notre communauté. Cela n’aurait donc jamais dû être considéré comme une menace, contrairement à la loi des années 1890, qui tentait de tuer la spiritualité autochtone. Nous en connaissons les conséquences dévastatrices, dont les pensionnats. Notre peuple est très sensible à la spiritualité autochtone, et c’est en fait ce qui nous aidera à retrouver notre intégrité.

Je ne suis donc pas sûr de ce que les autres membres de la société pensent à propos des établissements, mais pour moi, il n’y a pas de problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Latimer, êtes-vous au courant de cas où des gens poussés vers une religion ou influencés par certaines personnes auraient adopté des comportements extrémistes?

[Traduction]

Mme Latimer : Je pense que la religion qui vous préoccupe le plus est probablement la religion musulmane. Je n’ai aucune preuve que des prisonniers aient été convertis à une vision radicale de l’islam. En fait, les musulmans actuels exercent un effet plus modéré.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Juste pour vous corriger, je n’ai nommé aucune religion.

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Nicholas.

Le nombre de cas de récidive chez les Autochtones est particulièrement élevé. En tant qu’ancien policier, je continue de croire que les personnes qui se trouvent en prison sont détenues parce qu’elles ont commis des crimes, et non à cause de leurs origines. Vos fonctions universitaires et au sein d’organisations qui représentent les Premières Nations vous donnent certainement une vision éclairée dont je voudrais profiter. J’aimerais que vous partagiez avec nous votre analyse et votre vision sur les raisons qui expliquent ces cas de récidive chez les Autochtones. Est-ce attribuable à des éléments en particulier qui diffèrent de ceux qui touchent les autres détenus?

[Traduction]

M. Nicholas : C’est votre métier qui vous fait parler, je comprends. Débarrassons-nous des criminels. C’est la raison d’être de beaucoup d’organismes. Nous devons protéger le public, alors enfouissons les gens dans ces établissements.

Nous, les Autochtones, nous n’avions pas de système autochtone. Il n’y a rien là-dedans pour aider les nôtres, parce que les gens ne comprennent pas notre langue, ils ne comprennent pas notre culture. Lorsqu’un Autochtone sort de prison, en quoi cet établissement l’a-t-il aidé sur le plan de son identité?

C’est la question à laquelle il faut répondre. Y a-t-il des gens qui travaillent dans ces établissements qui connaissent notre culture, qui connaissent nos valeurs, qui connaissent notre spiritualité? S’ils se sentent menacés par cela, croyez-moi, personne n’en sortira gagnant. Nous veillerons à remplir les établissements.

La triste réalité, c’est qu’un pourcentage trop élevé de nos gens, des hommes, des femmes et des jeunes, se retrouvent dans ces établissements sans qu’il ne soit question de réadaptation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : D’après ce que je comprends, vous préconisez donc un système de justice totalement différent, avec d’autres juges de cours supérieures ou une autre Cour suprême, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Nicholas : Eh bien, honorable sénateur, j’y travaille depuis de nombreuses années. J’ai été juge à la cour provinciale du Nouveau-Brunswick pendant 19 ans. Même lorsque les conseils de détermination de la peine ont été mis sur pied, ils étaient très réticents parce qu’ils ne comprenaient pas ce que nous entendions par la réadaptation de nos gens. Ils se sentaient menacés. Eh bien, quand on ne comprend pas quelque chose, il est normal de se sentir menacé. Toujours est-il que nous voulons nous aussi que le nombre de nos détenus diminue. Or, la seule façon d’y arriver, c’est si nos gens sont dans des établissements où nous jouons un rôle important. C’est tout. Il n’y a rien d’autre.

Croyez-moi, beaucoup d’études ont été réalisées. Je pourrais vous en citer des dizaines, mais jusqu’à maintenant, elles n’ont même pas effleuré la surface. Le projet de loi nous donne donc l’occasion de dire : « D’accord, adoptons une nouvelle façon de voir les choses. Faisons participer les partenaires autochtones à la réalisation de ce projet. » Ce serait une étape importante si cela se produisait, croyez-moi.

Le sénateur Dalphond : Je remercie nos témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Latimer. Merci de ce que vous avez dit. Votre organisation participe à la réinsertion sociale et au travail communautaire depuis de nombreuses années. Dois-je déduire de vos commentaires que, jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de programme intégré du ministre de la Sécurité publique pour travailler à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique d’intégration visant à réduire le risque de récidive?

Mme Latimer : Je crois que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada ont pour mandat d’appuyer la réinsertion sociale des anciens détenus. À mon avis, on n’en fait pas assez, et il faut aller au-delà de ces deux organismes pour favoriser une réinsertion sociale réussie. Par exemple, les gens sortent de prison sans même avoir de carte d’identité. On ne peut rien faire sans pièces d’identité. Ils n’ont pas de formation professionnelle. Ils n’ont pas les niveaux de scolarité qui leur permettraient de trouver un emploi. Le logement est un aspect extrêmement difficile pour eux.

Ces organismes peuvent les installer dans une maison de transition ou un établissement résidentiel communautaire pendant un certain temps, mais après cela, ils doivent s’arranger pour trouver un logement. Un trop grand nombre d’entre eux se retrouvent sans abri et dans des refuges, ce qui est une autre façon de s’attirer des ennuis, surtout s’ils sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie.

À mon avis, on peut faire beaucoup plus et ce projet de loi nous donne vraiment l’occasion d’examiner certains exemples qui fonctionnent vraiment bien en Europe et de les intégrer dans notre plan. Je conviens qu’il faut aller bien au-delà des autorités correctionnelles, qu’il est bon que des organisations et des organismes autochtones comme la Société John Howard et d’autres groupes communautaires y participent. Les anciens prisonniers vous diront ce dont ils ont besoin, ce qu’ils n’ont pas obtenu et ce qui les aurait aidés. Je pense que c’est inestimable.

Le sénateur Dalphond : Je trouve troublant que ce ne soit pas déjà le cas.

Mme Latimer : Moi aussi.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup.

La sénatrice Moodie : Ma première question est encore une fois posée en collaboration avec la sénatrice Pate. Je vais demander à Mme Latimer d’y répondre. L’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet de transférer des personnes dans des collectivités autochtones pour qu’elles purgent leur peine d’une manière qui peut être essentielle à la réinsertion sociale, mais qui a rarement été utilisée dans la pratique. Comment le projet de loi C-228 encouragera-t-il l’accès à des solutions communautaires autres que des prisons, y compris en vertu de l’article 81, pour les peuples autochtones ainsi que pour d’autres communautés racialisées et marginalisées, et quelles autres mesures sont nécessaires pour appuyer le projet de loi C-228 afin d’atteindre ce genre de résultats?

Mme Latimer : Merci, sénatrice Moodie. Je songe à ce que disait le député Bragdon, à savoir que ce projet de loi n’entrerait vraiment en vigueur qu’à partir du moment où les gens réintègrent la collectivité. Par conséquent, il n’exercerait pas nécessairement de pressions sur le système correctionnel pour qu’il libère plus tôt les personnes sous condition ou qu’il tire parti des options très avantageuses comme celles énoncées à l’article 81 et qui permettraient de transférer les prisonniers dans des collectivités autochtones où ils pourraient être intégrés ou réintégrés à leur culture à un stade plus précoce. Je pense que cela ne va pas tellement influer sur les transferts prévus à l’article 81, et qu’il faudrait probablement trouver un mécanisme différent pour renforcer le recours aux dispositions de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

La sénatrice Moodie : Merci. Vous avez parlé un peu plus tôt du recours à des stratégies novatrices. Espérez-vous que le gouvernement opte pour de nouvelles stratégies dans le cadre de l’adoption de ce projet de loi?

Mme Latimer : Oui. En fait, nous travaillons avec la SCHL à une initiative de logement qui fait appel au travail et au savoir-faire des prisonniers pour améliorer le parc de logements et essayer de réduire le trop grand nombre d’ex-détenus qui deviennent des itinérants. C’est un exemple de ce qu’on peut faire.

Les offres d’emploi aussi sont essentielles. Nous avons fait pas mal de travail sur les coopératives de prisonniers. En Grande-Bretagne, il y a ce qu’on appelle les coopératives Through the Gate, qui commencent en prison et se poursuivent dans la collectivité, ce qui assure une certaine continuité économique et un soutien aux détenus à leur sortie de prison. Ce serait très intéressant d’essayer cela au Canada. Je pense que si nous regardons ce qui se fait à l’étranger et que nous y allons de notre propre imagination créative, nous trouverons beaucoup de bonnes idées qui pourraient rendre la vie bien meilleure, réduire la récidive et mieux protéger la société canadienne.

La sénatrice Busson : Merci de me donner l’occasion de m’adresser à nos deux témoins. Leur point de vue est d’une très grande utilité, étant donné qu’ils ont tous les deux l’expérience du petit bout du bâton, si je puis dire, pour analyser ce problème extrêmement difficile. J’ai moi-même été pendant quelque temps au petit bout du bâton dans mon autre vie, et je crois que nous sommes tout à fait sur la bonne voie avec ce projet de loi.

J’aimerais que vous me disiez, l’un ou l’autre, ce que vous pensez de mes observations sur la récidive et que vous me disiez dans quelle mesure, à votre avis, la toxicomanie et l’alcool jouent dans les sombres statistiques à ce sujet. Si vous trouvez que c’est un facteur important, croyez-vous que ce projet de loi devrait insister sur un traitement de la toxicomanie adapté à la culture, étant donné que le traitement efficace de la toxicomanie ne se fait ni du jour au lendemain ni à peu de frais? Ma question s’adresse à M. Nicholas ou à Mme Latimer.

M. Nicholas : Lorsque j’étais juge à la cour provinciale et que je devais imposer une peine de deux ans moins un jour ou de deux ans selon la nature de l’infraction, presque tout le monde voulait aller dans un établissement fédéral, non pas pour être admissible à une libération conditionnelle anticipée, mais bien parce qu’on offrait de la méthadone dans les établissements fédéraux et non au provincial. C’était le critère. Ensuite, on me disait qu’à la sortie de prison, le traitement à la méthadone pouvait continuer parce que les coffres fédéraux sont un peu plus profonds que les coffres provinciaux. Cela me choquait d’entendre cela, mais je disais : « Si vous voulez aller dans un établissement fédéral, je vous condamne à 36 mois. » Je savais qu’après six mois, ils seraient admissibles à une libération conditionnelle. Je voulais m’assurer qu’ils seraient là d’abord pour se désintoxiquer, et que s’ils suivaient un traitement à la méthadone, ils continueraient pendant leur période de libération conditionnelle. C’est ce que je peux donner comme réponse.

Mme Latimer : J’ajouterais que c’est vraiment un problème majeur. Un grand nombre de personnes commettent leurs infractions avec les facultés affaiblies, et elles sont aussi aux prises avec de graves problèmes de toxicomanie. On a de très bons exemples de programmes qui fonctionnent très bien. Il y a, par exemple, la Guthrie House, une initiative provinciale menée en Colombie-Britannique avec le concours de la Société John Howard. C’est un milieu de vie sans drogue ni alcool, dans l’enceinte même de la prison, où les gens peuvent compter sur le soutien de leurs pairs. Je me disais au début : bon sang, cela va mal tourner. Si l’un d’eux flanche, ils vont tous flancher. Mais non, ce n’est pas ce qui se produit. Ils se soutiennent mutuellement dans leur sobriété et leurs problèmes de drogue.

Je pense qu’il y a des démarches très intéressantes et novatrices que nous devrions mettre à l’essai pour contrer ce grave problème.

La sénatrice Busson : Merci de votre réponse. Par ailleurs, je sais par expérience que des gens vont se plaindre du coût de ces programmes, mais nous avons beaucoup de données qui montrent qu’en fin de compte, il y a des économies à réaliser quand on s’y engage à long terme. Merci beaucoup de votre réponse.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup de votre présence. Ma question s’adresse à M. Nicholas. Vous avez été juge pendant 19 ans et vous avez traité de nombreuses affaires impliquant des Autochtones durant ces années. J’ai connu dans ma vie beaucoup de gens qui sont tombés dans la criminalité. La plupart du temps, c’était à cause d’une dépendance. Pas toujours, mais la plupart du temps.

Avez-vous constaté une amélioration au cours de ces 19 années quant au nombre d’Autochtones que vous avez dû envoyer en prison, et pensez-vous qu’on puisse espérer un changement d’ici 10 ou 15 ans?

M. Nicholas : J’ai été juge de 1991 à 2000, jusqu’à ce que je sois promu à un poste plus élevé. D’après mon expérience, qu’on soit autochtone ou non, la dépendance commence par un simple verre, comme un verre de bière à l’école secondaire ou durant une fête, et on a vite fait de passer à l’alcool fort. Si on est dans la drogue, cela commence par la marijuana et cela continue encore et encore. Au stade des drogues dures, les gens qui comparaissaient devant moi étaient très perturbés psychologiquement et physiquement. Ils étaient profondément déprimés, profondément blessés et ils allaient jusqu’à demander : « À quoi cela sert de vivre? » Le juge qui impose une peine doit essayer de donner de l’espoir à quiconque comparaît devant lui. C’est pourquoi je voulais m’assurer qu’il y aurait des programmes en place pour eux, que ce soit des séances de counselling, un traitement à la méthadone pour ceux qui n’allaient pas dans les établissements provinciaux, ou un genre de suivi psychologique.

Je peux vous dire, sénateur, qu’au Nouveau-Brunswick, il n’y a pas assez de psychologues, pas assez de services de counselling pour bien faire le travail. Je suis parti en 2009 et quand je regarde les journaux aujourd’hui, c’est toujours la même chose. La plupart des gens qui ont comparu devant moi, croyez-le ou non, c’était beau s’ils avaient une huitième année, mais ils étaient sans travail. Beaucoup avaient de graves problèmes mentaux, et à moins d’un revirement dans leur avenir, c’est la seule vie qu’ils connaîtraient. C’est triste à dire. Heureusement, il y a de l’espoir avec ce genre de programmes que le député veut mettre sur pied, mais il faudra y mettre de l’argent.

Le sénateur Richards : D’accord. Merci beaucoup. C’était ma prochaine question : aurons-nous les ressources nécessaires pour aider?

Je viens d’une région où il y a eu beaucoup de criminalité à différentes époques de ma vie, et c’était presque toujours mêlé aux drogues et à l’alcool. Vous avez raison, les délinquants arrivent devant les tribunaux avec la honte de ce qu’ils ont fait, parfois sans même savoir pourquoi ils l’ont fait. J’espère que ce projet de loi sera adopté et qu’il y aura des ressources pour aider.

Le sénateur Oh : Merci, monsieur Nicholas et madame Latimer, d’être ici avec nous.

Monsieur Nicholas, vous possédez une riche expérience, puisque vous avez été juge pendant 18 ou 19 ans, et vous travaillez beaucoup avec les Autochtones. Il semble qu’une grande partie du projet de loi se rapporte aux Autochtones. Pensez-vous que ce projet de loi en fait assez pour eux, et sinon, que suggérez-vous?

M. Nicholas : Merci beaucoup de cette question, sénateur. Nous devons nous assurer que, dans ces établissements et dans les études qui seront menées, les Autochtones feront vraiment partie de la démarche. Beaucoup d’agents de libération conditionnelle et d’agents de probation ne sont pas autochtones. Ils ne comprennent pas nos communautés et ce sont pourtant eux qui vont aider ces personnes qui sortent des établissements à s’adapter à nouveau à la société. C’est pourquoi j’insiste tellement pour faire une plus grande place à nos Autochtones dans les programmes de traitement, à nos aînés et nos autres professionnels, pour que ces programmes connaissent du succès. Il faudra cependant y investir les fonds nécessaires.

Mme Latimer : Il est extrêmement important que ces mesures soient mises à l’essai comme il faut. Avec une bonne évaluation, les avantages de l’investissement, les économies à long terme, devraient nous apparaître assez clairement si les essais sont bien menés.

Je crois que vous demandiez ce qu’on doit faire de plus pour les Autochtones.

Le sénateur Oh : Oui.

Mme Latimer : Il doit y avoir des programmes adaptés à leur culture; il faut faire intervenir des gens qui comprennent leur culture et ce qui a du sens pour eux. Il faut aussi parler aux gens, peu importent leur race et leur origine ethnique, savoir ce dont ils ont besoin pour réussir dans la vie. Beaucoup d’entre eux ont trouvé du réconfort à baigner dans leur culture, et cela a été un énorme atout pour eux. Cependant, nous devons déterminer si c’est bien le cas.

D’autres groupes ethniques — et je pense surtout maintenant aux Noirs — n’ont pas eu la chance d’obtenir ce genre de programmes adaptés qu’on commence à offrir aux Autochtones. Or, d’après les statistiques, les taux de récidive chez les prisonniers noirs sont relativement faibles comparativement à ceux d’autres groupes, et pourtant, ils ont moins accès à la libération conditionnelle et aux niveaux de détention inférieurs dans le système carcéral, alors il y a une sorte de rupture ici.

La présidente : Je suis désolée, madame Latimer, mais nous allons devoir nous arrêter ici.

Le sénateur Cotter : Monsieur Nicholas, bienvenue et merci de vous joindre à nous. Il est difficile d’imaginer où votre carrière pourra vous mener encore. Vous serez peut-être sénateur. Vous aussi, madame Latimer, c’est un plaisir de vous revoir, et je vous remercie de votre présence.

Ma question porte essentiellement sur la culture des services correctionnels, en particulier la culture du Service correctionnel du Canada, qui apparaît en quelque sorte ici comme un obstacle au progrès. Je vais raconter une petite anecdote. Je disais au groupe de témoins précédent que j’ai été pendant cinq ans sous-ministre responsable des services correctionnels en Saskatchewan, et que les chefs de la nation dakota de Standing Buffalo, juste à côté de Regina, me mettaient au défi de sortir faire une suerie avec eux. Ils s’étaient mis dans la tête d’installer des huttes de sudation dans les centres correctionnels de la Saskatchewan. J’étais un Blanc d’âge moyen, j’avais peu de connaissance là-dessus et cela ne m’intéressait probablement pas beaucoup. J’ai eu du mal à me prêter à l’expérience, mais elle a été en quelque sorte une révélation : elle m’a ouvert les yeux sur un besoin culturel et, peu après, nous avons installé des huttes de sudation dans tous les centres correctionnels pour favoriser la guérison de ceux qui voulaient puiser dans leur spiritualité autochtone.

Cependant, je suis sûr qu’il y avait toutes sortes d’autres lacunes chez moi que cette dimension culturelle n’a jamais pu combler. Je crains fort que, malgré tout l’appui que j’accorde à ce projet de loi, la barrière culturelle et la résistance culturelle — pas nécessairement par malice, mais par ignorance — nous empêchent de réussir autant que nous pourrions. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, tous les deux.

Mme Latimer : Je vais en parler du point de vue des prisonniers noirs, surtout parce que j’en suis encore à cet enjeu statistique que j’ai soulevé en réponse à la dernière question.

J’ai parlé à beaucoup de prisonniers noirs pour savoir si les programmes étaient harmonisés avec leur culture, pourquoi ils étaient perçus comme causant plus de problèmes et pourquoi leur libération prenait plus de temps. L’un d’eux a dit quelque chose qui m’est vraiment resté dans l’oreille : « Ils m’offrent des programmes pour me préparer à réintégrer un quartier blanc de la classe moyenne. Ce n’est pas de là que je viens et ce n’est pas là que je vais », alors on est loin de l’harmonie. Pourtant, lorsqu’ils réintègrent leur propre collectivité, ils s’en tirent plutôt bien.

Nous devons découvrir ce qui nous échappe à propos des mesures de soutien qui les aident vraiment et qui ne sont peut-être pas ce que les Blancs de la classe moyenne trouveraient avantageux ou utiles pour eux. Je suis d’accord avec vous, sénateur, nous devons combler les lacunes et essayer de mieux comprendre.

M. Nicholas : Le Sénat est chanceux parce que j’ai déjà 75 ans, alors je ne causerai pas de problèmes dans votre chambre. Cependant, vous avez parlé des huttes de sudation, et je vous en suis très reconnaissant; c’est la dimension spirituelle dont j’ai essayé de parler dans mon exposé et dans mes réponses aux questions des autres sénateurs.

La dimension spirituelle est très importante pour notre peuple. Elle fait partie de notre essence. Le problème remonte à la fin des années 1800, lorsque c’est devenu une infraction criminelle, qui n’a jamais été corrigée. Partout au pays, les gouvernements fédéral et provinciaux qui administrent ces programmes doivent comprendre l’importance de la spiritualité pour notre peuple. Nous ne parlons pas des autres, nous parlons de nos propres gens. C’est la guérison dont nous avons besoin. Une fois que ce sera reconnu, promu et soutenu, vous verrez des changements appréciables dans le taux de récidive.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Nicholas, savez-vous si le Service correctionnel du Canada et le gouvernement fédéral ont apporté des changements à la suite de la décision rendue en 2018 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ewert c. Canada, qui demandait au service correctionnel de cesser d’appliquer certains des outils d’évaluation du risque aux détenus autochtones?

M. Nicholas : Non, je n’en sais rien, mais cela ne me surprendrait pas parce qu’on a affaire ici à une institution très rigide, au passé presque militaire, figée dans ses précédents : les prisonniers sont ici, ils doivent faire leur temps, qu’ils le veuillent ou non, et ils finiront par sortir. Là encore, ce qu’on n’entend pas, c’est la voix des Autochtones. Cette institution-là ne sait pas qui nous sommes et quels sont nos besoins.

C’est bien que la Cour suprême du Canada prenne de telles décisions, mais je vais vous donner un exemple. En 1998, la Cour suprême du Canada a décrété dans l’arrêt Gladue qu’il faudrait préparer un rapport Gladue chaque fois qu’un Autochtone doit comparaître devant un juge pour recevoir sa sentence. Autrement dit, il faut découvrir les antécédents culturels d’un Autochtone pour comprendre pourquoi il commet ces infractions.

Ici, au Nouveau-Brunswick, le gouvernement provincial ne respecte pas la décision de la Cour suprême. Pourquoi? Je ne peux pas répondre à cette question. C’est aux autorités elles-mêmes d’y répondre. C’est dommage, parce que notre culture est très importante. On ne peut pas le nier et on ne doit pas le nier non plus. Merci.

La sénatrice Jaffer : Madame Latimer, savez-vous s’il y a eu des changements?

Mme Latimer : Je ne crois pas que le service correctionnel ait changé les outils d’évaluation du risque. Je ne peux pas l’affirmer, mais je ne pense pas qu’il l’ait fait. Il était censé les faire valider par une étude de l’Université de la Saskatchewan, mais je ne sais pas si cela a débouché sur quelque chose qui l’aurait amené à changer ses outils d’évaluation du risque.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais commencer par demander aux deux témoins s’ils ont plus d’information au sujet de la statistique qu’on nous a citée, à savoir que les enfants de prisonniers et d’anciens prisonniers sont sept fois plus susceptibles de commettre des infractions, d’avoir affaire à leur tour à la justice pénale et d’aboutir en prison. On ne nous a donné aucune source.

Mme Latimer : Je n’ai pas d’information à ce sujet. Je m’en excuse.

M. Nicholas : Je ne peux vous parler que de mon expérience de juge provincial, madame la sénatrice. Il est triste de penser qu’en 19 années d’exercice, j’ai vu comparaître devant moi, pour diverses infractions criminelles, des grands-pères, des pères et des enfants, une troisième génération.

C’est triste quand on y songe, mais si on considère la pauvreté dans laquelle ces gens-là vivaient, les succès scolaires très limités qu’ils ont obtenus et les maigres perspectives d’emploi qu’ils avaient, tout ce qu’ils connaissaient, c’était le milieu criminel, comment vendre de la drogue ou commettre des effractions et des vols, juste pour pouvoir entretenir une terrible habitude.

C’est ce que j’ai vu passer dans mes tribunaux en 19 ans : trois générations. S’il en va ainsi pour trois générations, je ne sais pas ce qu’il advient des quatre suivantes. C’est tout ce que je peux ajouter. Mais je vous remercie de cette excellente question que vous avez posée.

La sénatrice McPhedran : Merci de vos réponses. Si l’un de vous est au courant d’une étude quelconque qui permettrait de corroborer cette statistique, je pense que notre comité serait très intéressé. Je ne pense pas qu’aucun de nous ne soit prêt à accepter une statistique qui n’est pas attestée par la recherche, mais qui est en soi très stigmatisante pour les enfants de prisonniers et d’anciens prisonniers. Je vous remercie à l’avance si vous pouvez nous fournir de plus amples renseignements par écrit.

Ma deuxième question est une variante de celle que j’ai posée au groupe de témoins précédent. Nous n’avons personne ici d’une organisation de la société civile spécialisée dans l’analyse comparative entre les sexes. Est-ce que l’un de vous connaît des programmes au Canada qui ont réussi à répondre aux besoins particuliers des femmes dans la population carcérale racialisée ou autrement marginalisée?

Mme Latimer : Je ne suis pas au courant d’études particulières à ce sujet. On relève des besoins distincts chez les personnes racialisées, notamment beaucoup de traumatismes qui exigent des traitements particuliers. Il y a eu des études sur l’efficacité de ces traitements, mais je ne sais pas s’ils s’appliquaient à ce groupe en particulier. Je peux chercher et voir si nous pouvons vous revenir avec quelque chose, mais rien ne me vient à l’esprit spontanément.

M. Nicholas : Je vais devoir faire de même, madame la sénatrice. Je pense qu’il y a des programmes pour les femmes autochtones dans l’Ouest, mais je dois les trouver et les envoyer à votre bureau.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Ma question porte sur le fait que le projet de loi consiste à établir un cadre. Est-ce que vous avez été invités à faire d’autres recommandations ou propositions précises pour mettre rapidement en œuvre ce projet de loi, s’il est adopté?

Mme Latimer : La Société John Howard a été approchée dès le début et nous avons aimé le projet de loi dès la première lecture. Nous y sommes très favorables.

Nous avons fait quelques suggestions, vraiment mineures, sur la façon de l’améliorer, et je pense qu’elles ont été retenues avant son dépôt à la Chambre des communes. Ensuite, il y a eu un autre changement que j’ai bien aimé et que la Chambre des communes a adopté. Il s’agissait d’examiner ces outils d’évaluation du risque et de les adapter à la culture, ce qui, à mon avis, est aussi un bienfait de ce projet de loi.

M. Nicholas : Je n’ai pas pris part aux discussions. Cela pourrait se faire après. Je vous encourage à faire appel à des voix autochtones. Vous avez besoin d’entendre l’avis de nos aînés pour améliorer le système. Ce serait ma contribution à ce stade-ci.

La présidente : Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, c’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Je tiens à remercier sincèrement M. Nicholas et Mme Latimer d’avoir bien voulu comparaître devant le comité aujourd’hui.

Avant de lever la séance, je tiens à vous aviser que le comité directeur a convenu que lundi prochain, le 14 juin, le comité entendra un groupe de témoins pendant 90 minutes, après quoi il procédera à l’étude article par article du projet de loi.

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre participation aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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