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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 9 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 8 heures pour étudier l’objet du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues sénateurs et aux membres du public qui suivent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit ici dans la salle, à la télévision ou sur le Web. Je tiens à souligner, au nom de la réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin.

Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai le privilège de présider ce comité.

Nous allons entamer notre étude préliminaire du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Avant de commencer, j’invite mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Première Nation Barren Lands, région du Manitoba.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire visé par le Traité no 6, Alberta.

La sénatrice Busson : Bev Busson, Colombie-Britannique.

La présidente : Je souhaite la bienvenue aux représentants de Services aux Autochtones Canada et du ministère de la Justice. De Services aux Autochtones Canada, nous accueillons: Jean-François Tremblay, sous-ministre; Joanne Wilkinson, sous-ministre adjointe, Réforme des services à l’enfance et à la famille; et Isa Gros-Louis, directrice générale, Réforme des services à l’enfance et à la famille. Du ministère de la Justice, nous accueillons Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des affaires autochtones.

Mme Cynthia Wesley-Esquimaux, ancienne représentante spécialede la ministre en matière debien-être des enfants, est également des nôtres.

Merci à chacun à vous d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer ce matin. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de M. Tremblay, le sous-ministre.

Jean-François Tremblay, sous-ministre, Services aux Autochtones Canada : Merci. C’est un honneur pour moi de m’adresser au Comité pendant son étude préliminaire du projet de loi C-92.

[Français]

Comme vous le savez, la surreprésentation des enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis au sein du système de services à l’enfance et à la famille a été décrite comme une crise humanitaire. Selon les données du recensement de 2016, les enfants autochtones représentent 7,7 p. 100 de tous les enfants de moins de 15 ans; par contre, ils représentent 52,2 p. 100 des enfants placés dans les familles d’accueil.

L’approche actuelle des services à l’enfance et à la famille autochtones consiste trop souvent à séparer les enfants autochtones de leur famille et de leur collectivité, et ainsi à les priver de leur langue et de leur culture. De plus, la prise en charge des enfants autochtones est parfois liée à la pauvreté, aux traumatismes intergénérationnels ou à des pratiques qui ne tiennent pas toujours compte des perspectives culturelles autochtones.

C’est donc dans ce contexte que l’ancienne ministre des Services aux Autochtones a tenu une réunion d’urgence en janvier 2018 avec des partenaires autochtones et ses homologues des provinces et des territoires afin de discuter de la situation.

[Traduction]

Lors de cette réunion, la ministre s’est engagée à prendre six mesures pour réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge, y compris aider les communautés à exercer leur compétence sur les services à l’enfance et à la famille, et explorer la possibilité d’élaborer conjointement une loi fédérale sur la protection de l’enfance.

Avant d’en dire davantage sur la visée du projet de loi, j’aimerais prendre un instant pour souligner que le projet de loi que nous avons devant nous aujourd’hui est le résultat d’une mobilisation large et diversifiée à tous les niveaux. Au cours de l’été et de l’automne 2018, plus de 65 séances de mobilisation ont été tenues avec environ 2 000 participants, y compris des représentants des Premières Nations, des Inuits, des Métis et des provinces et territoires.

Les recommandations que nous avons reçues quant au contenu de l’ébauche du projet de loi ont été soigneusement étudiées et intégrées lorsque c’était possible. Elles ont orienté la rédaction de la version finale du projet de loi qui a été déposé à la Chambre des communes. Plus précisément, nous avons entendu de la part de partenaires autochtones que la loi fédérale sur les services à l’enfance et à la famille devait : affirmer le droit inhérent des peuples autochtones d’exercer leur compétence sur les services à l’enfance et à la famille; établir des principes nationaux tels que l’intérêt supérieur de l’enfant, la continuité culturelle et l’égalité réelle pour guider l’interprétation et l’administration du projet de loi.

Le projet de loi C-92 vise à permettre un passage vers un système axé sur la prévention plutôt que la prise en charge, en accordant la priorité aux services qui favorisent les soins préventifs pour soutenir les familles.

Que vise le projet de loi? Je m’explique. Premièrement, le projet de loi indique clairement qu’aucun enfant autochtone ne devrait être pris en charge sur la seule base ou par suite de ses conditions socioéconomiques, ou de l’état de santé du parent ou du responsable des soins de l’enfant. Le projet de loi cherche à maintenir les familles unies à l’aide : d’une prévention de la prise en charge immédiate d’un nouveau-né à l’aide d’un éventail de services prénataux et de soins préventifs pour soutenir les familles à risque; d’une assurance que, lorsqu’on estime que la prise en charge est dans l’intérêt supérieur d’un enfant autochtone, le placement de l’enfant se fera en priorité dans sa famille ou sa communauté, avec ses frères et sœurs ou près d’eux.

Un aspect important du projet de loi est qu’il est très souple; il ne se fonde pas sur une approche universelle. Les voies proposées dans ce projet de loi se veulent des outils pour que les groupes et communautés autochtones puissent faire une transition vers l’exercice de leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille au rythme qui leur convient le mieux. Pour les groupes et communautés autochtones qui choisissent de le faire, l’exercice de leur compétence pourrait faire en sorte que leur loi sur les services à l’enfance et à la famille l’emporte sur les lois fédérales, provinciales et territoriales.

[Français]

Si le projet de loi est adopté, il concrétisera ce que les Autochtones demandent depuis longtemps, soit d’affirmer leur compétence inhérente pour qu’ils puissent décider de ce qui convient le mieux à leurs enfants, à leurs familles et à leurs communautés.

[Traduction]

Le gouvernement du Canada continuera de collaborer avec les partenaires autochtones, les provinces et les territoires au cours des phases de transition et de mise en œuvre. La phase de mise en œuvre du projet de loi sera cruciale pour assurer une transition en douceur. Nous ne voulons pas imposer une façon de faire.

Les partenaires autochtones, provinciaux et territoriaux joueront un rôle essentiel pour aider à définir les approches qui répondent le mieux à leurs divers besoins et attentes. Au cours des prochains mois, Services aux Autochtones Canada explorera la création de structures de gouvernance de transition fondées sur les distinctions qui compteront des représentants des partenaires autochtones, des provinces et des territoires. Une structure de gouvernance pourrait, par exemple, permettre d’examiner les questions liées à la capacité et au financement afin que le projet de loi ait les répercussions voulues.

Services aux Autochtones Canada compte également continuer de collaborer avec ses partenaires afin d’évaluer les besoins à long terme et les lacunes dans le financement. Comme le ministre des Services aux Autochtones l’a dit à l’autre chambre : « Le temps presse. » Nous nous trouvons devant une occasion historique de rompre avec le passé et de nous concentrer sur la sécurité et le mieux-être des enfants et des jeunes autochtones, et de leur famille.

Merci de votre temps. Il me fera plaisir, avec mes collègues, de répondre à vos questions.

Cynthia Wesley-Esquimaux, ancienne représentante spéciale de la ministre en matière de bien-être des enfants, à titre personnel : Bonjour, et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous.

Comme l’a dit l’intervenant précédent, nous allons devoir encore beaucoup parler de cette question. En 2016, j’ai eu l’occasion de véritablement traverser le pays et d’avoir des échanges, aux niveaux communautaire, provincial et parfois fédéral, avec différentes personnes qui travaillent bien sûr dans le domaine des soins à l’enfance et à la famille. C’est à partir des propos que j’ai recueillis que j’ai formulé certaines de ces recommandations, mais j’ai surtout retenu que les échanges se sont articulés autour de quatre thèmes. Il faudra évidemment redonner aux communautés des Premières Nations la compétence et l’autorité nécessaires pour qu’elles puissent répondre directement aux besoins de leurs enfants.

En ce qui concerne toute la question de l’attribution du financement, j’ai entendu beaucoup de choses différentes sur la diminution du financement et sur le fait que les communautés n’y ont pas accès, si bien qu’elles n’ont pas la capacité de faire le travail de prévention qu’elles souhaiteraient. Elles souhaitent un financement plus souple et peut-être global pour qu’il leur soit possible de lancer directement les programmes à leur niveau. Ces remarques sont très importantes.

Par ailleurs, les normes qui s’appliquent à ces communautés ne tiennent pas compte des besoins collectifs et de ceux des familles, ainsi que des lieux de vie.

À Old Crow, à Natuashish et à Sheshatshiu, les normes qui sont appliquées ne conviennent pas à la communauté. Elles n’ont pas de grandes maisons. Elles n’ont pas cinq chambres à coucher. Leurs moyens sont limités.

En fait, lors de mon passage à Natuashish, le frère d’une enseignante avait passé la fin de semaine à boire et on lui avait retiré ses deux filles. L’enseignante aurait voulu s’en occuper. Elle ne boit pas, elle a une maison — elle fait tout bien — mais on n’a pas voulu les lui laisser. Les enfants ont donc été placées pendant environ cinq semaines. Elles n’avaient que 7 et 9 ans. Quand elles sont revenues, on a demandé à l’enseignante de vider sa maison pour faire faire deux chambres à coucher et on lui a ensuite précisé que même des filles ne pouvaient rester dans la même chambre que jusqu’à 12 ans. Les normes appliquées étaient tout à fait inappropriées pour le territoire.

L’autre chose importante, c’est toute la question des relations provinciales et du fait que la province a tellement de compétence et de pouvoir sur ce qui se passe en matière de protection de l’enfance que cela crée un véritable problème sur le terrain. J’ai beaucoup entendu parler de l’importance de la cellule familiale. Des jeunes m’ont dit : « On m’a arraché à ma mère. Je n’ai pas de famille, pas de communauté, pas de langue, pas de culture, rien. Pourquoi n’a-t-on simplement pas aidé ma mère? »

Nous revenions constamment sur ce grief des gens qui sont au bas de l’échelle, où l’impact générationnel se fait sentir. Je continue d’avoir affaire à des parents à qui on a retiré les enfants à l’hôpital même où ils sont allés parce qu’on a présumé qu’ils n’étaient pas de bons parents.

Une jeune femme m’a dit un jour : « Si on m’a enlevée à ma mère pour me confier à la garde au motif qu’elle n’était pas capable de s’occuper de moi, ne devrais-je pas être considérée une bonne mère? » Or, elle était traitée comme si elle était une mère incompétente. Cela est très préoccupant pour beaucoup de gens.

Il y a la question de la formation des travailleurs sociaux, que ce soit dans les établissements d’enseignement ou sur le terrain, celle donnée aux futurs travailleurs sociaux. À Natuashish, on m’a dit que ces gens-là guettaient les résidents, attendant qu’ils allument les phares de leurs camions et qu’ils commettent une erreur pour emmener leurs enfants. C’est le règne de la terreur. Une femme a dit : « Ma fille est enceinte, elle s’arrache les cheveux. Elle a peur d’avoir cet enfant parce qu’elle sait qu’ils attendent pour venir le lui enlever. » Les enfants de cette communauté sont envoyés à Terre-Neuve. Quelque 65 enfants ont ainsi été enlevés aux parents, et la communauté va mal à cause de cela.

Les travailleurs sociaux donnent à ces enfants des médicaments sur lesquels les parents n’ont aucun contrôle. Quand ils récupèrent leurs enfants, ils ne les reconnaissent pas. Ils sont différents à cause des antidépresseurs qu’on leur a donnés sans l’autorisation de qui que ce soit. Voilà une autre pierre d’achoppement.

Il faut « écouter » ce que les familles et la communauté veulent. On sait que le milieu est tout. Au Canada, nous sommes en train de créer dans ces communautés des conditions qui perpétuent les problèmes existants. Les gens éprouvent un grand sentiment de perte parce qu’ils se méfient constamment de tout soutien extérieur ou de toute forme de soins, qu’ils n’ont pas leur mot à dire dans le choix des travailleurs sociaux, qu’ils ne peuvent pas surveiller ce qui arrive aux enfants qu’on leur a retirés, qu’ils ne savent pas s’ils auront un jour l’occasion de les revoir chez eux, dans leur famille.

Nous ne devrions pas leur demander pourquoi ils boivent ou se droguent pour calmer leur douleur. Nous devrions nous demander comment répondre aux besoins de ces communautés.

L’autre élément important concerne les jeunes. J’ai eu l’occasion de parler avec beaucoup d’entre eux partout au pays. Ils ont des opinions bien arrêtées sur tout ce processus et sur ce qui leur arrive. Je pense que nous n’écoutons pas ce qu’ils ont à dire parce que ce sont eux qui vont grossir les effectifs des prisons, sans parler des besoins en services sociaux qui en découlent. Nous ne les écoutons pas, pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur du système.

Ils m’ont dit être rarement mis au courant de la raison pour laquelle on les avait enlevés à leurs parents. Personne ne leur a dit pourquoi. Un petit enfant de huit ans qui vit dans un foyer collectif depuis l’âge de cinq ans m’a dit en pleurant : « Pourquoi ont-ils fait cela? Je ne comprends pas. »

Nous n’écoutons pas ce qu’ils ont à dire. Cet enfant a besoin de son père. Dans ces communautés, des enfants d’à peine trois ans se retrouvent dans des foyers collectifs, ce qui est tout à fait inapproprié. Ceux d’entre vous qui ont des petits-enfants ou des enfants aussi jeunes, trouveront certainement ridicule de mettre un enfant de trois ans dans ce genre de foyer.

La transition est aussi très importante pour les jeunes. Nous ne répondons pas non plus aux besoins sur ce plan-là. On leur donne 1 200 $ lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ou de 20 ans et on les envoie dans la rue pour qu’ils puissent vivre, alors qu’ils n’y sont pas préparés. Beaucoup de jeunes condamnent la façon dont ils sont accompagnés et le manque de formation des gens qui les prennent en charge pour les préparer à l’avenir. De plus, ils ne reçoivent pas de soins parentaux. Ils ont peut-être un endroit où dormir, puis on les met dehors sans qu’ils aient acquis les compétences de vie. Ils n’ont pas l’occasion d’exprimer leurs propres émotions. Ils ne peuvent pas manifester de la colère ou de la tristesse parce qu’ils seront déplacés s’ils ne sont pas coopératifs ou s’ils ne sont pas les gentils enfants dont les gens veulent s’occuper.

Quand ils sortent de ce système, ils ne se sentent pas très bien. Ils n’ont pas l’impression d’avoir appris tout ce qu’il leur faut savoir pour se débrouiller.

J’ai parlé à beaucoup de grands-parents, et j’ai eu l’impression que nous avions un très gros problème d’âgisme. Dans bon nombre de ces communautés autochtones, les grands-parents sont plutôt alertes et sont prêts à s’occuper de leurs petits-enfants. Cependant, ils se font dire par les travailleurs sociaux : « Vous êtes trop vieux; on ne peut pas vous confier ces enfants. » Un type m’a dit : « Regardez-moi, est-ce que je parais vieux? » Pourtant, on lui a retiré ses petits-enfants.

J’ai parlé à une grand-mère qui s’occupait de trois petits-enfants avec 200 $ par mois par enfant. Elle a un revenu fixe. Ce n’est vraiment pas suffisant pour répondre aux besoins d’un enfant — nourriture, vêtements, achat de livres et tout ce dont ils ont besoin.

Elle s’est adressée à l’aide à l’enfance et s’est fait dire : « Eh bien, si vous signez, vous pourriez obtenir 1 200 $ par mois par enfant », ce qui est très raisonnable. Puis ils ont rajouté: « Cependant, si vous les signez, rien ne garantit que vous serez admissible pour ravoir ces enfants, parce que, quand vous aviez 16 ans, vous avez commis une infraction qui sera retenue contre vous, même si vous en avez maintenant 66. Il y a donc de bonnes chances que vous n’ayez pas ces enfants de toute façon. »

Quel genre de choix donne-t-on à cette grand-mère que j’ai rencontrée et qui m’a dit : « Qu’ils aillent au diable, je vais garder les enfants. Pour 200 $, je veux que mes enfants restent dans la communauté et dans la famille. »

Il y a eu beaucoup d’histoires de ce genre partout. Nous devons recueillir ces récits sur le terrain.

Ils ne voient pas la couleur du financement. Dans le cas des enfants qui quittent la communauté, les familles d’accueil perçoivent les 1 200 $, peu importe si les parents d’accueil sont des Blancs ou des Philippins. En revanche, si on essaie de les maintenir dans la communauté et de les confier à leurs parents, ceux-ci ne reçoivent pas de telles sommes. Or, ils en auraient besoin parce qu’il n’y a pas de ressources.

J’ai parlé à une femme qui m’a dit que les gens de sa communauté ne veulent pas prendre de bébés parce qu’une boîte de Pampers coûte 85 $ et que cela correspond à l’allocation hebdomadaire qu’ils pourraient toucher. C’est tout. Et voilà. Comment sont-ils dès lors censés nourrir l’enfant avec du lait infantile? C’est bien sûr quasiment impossible dans les communautés éloignées à cause du coût de la nourriture. Nous ne faisons du très bon travail sur ce plan.

Nous pouvons toujours prendre des décisions en matière de compétence, de pouvoir et de rétablissement, mais si nous n’investissons pas l’argent dans la collectivité — je ne dis pas que les fonds devraient nécessairement aller aux organismes — pour que les familles puissent remplir leur réfrigérateur, nous continuerons à avoir ces problèmes.

Dans une communauté de la Saskatchewan, on m’a expliqué ce que font les travailleurs sociaux. Quand les enfants rentrent chez eux pour la fin de semaine, les travailleurs sociaux sont déjà là. Ils vont directement voir ce qu’il y a dans le réfrigérateur. S’il n’y a pas de nourriture ou s’ils jugent qu’il n’y en a pas assez, ils interdisent aux parents d’accueillir leurs enfants. J’ai voulu savoir ce que font les gens, et l’on m’a répondu : « La communauté essaie de recueillir suffisamment d’argent pour pouvoir mettre de la nourriture dans le réfrigérateur des parents, de sorte que, lors de la visite du travailleur social, les enfants soient autorisés à rester chez leurs parents. » Cela non plus, ce n’est pas juste.

En ce qui a trait aux relations provinciales, j’ai eu l’occasion de parler aux représentants de nombreux ministères. Je me suis arrêtée à différents endroits. J’ai discuté de cela avec les collectivités également, et elles savent très bien qui obtient quoi et qui a les pouvoirs. C’est la province qui a les pouvoirs. En Saskatchewan, les représentants du ministère et de certains organismes m’ont dit : « Nous n’avons pas à leur donner plus d’argent parce qu’elles en redonnent. » Lorsque j’ai interrogé les collectivités à ce sujet, elles m’ont dit : « Nous redonnons de l’argent parce que les sommes qui nous sont versées sont destinées à des choses très précises. Si nous n’avons pas besoin de ces choses, nous ne pouvons pas utiliser l’argent ailleurs, là où nous en avons besoin. Nous devons le redonner. Nous avons donc l’air de ne pas vouloir d’argent, mais ce n’est pas vrai. » La rigidité qui entoure l’accès au financement pour ces collectivités est importante, et nous devons nous pencher là-dessus.

Enfin, il y a les normes. Nous devons nous occuper de ces normes. Nous avons besoin d’une norme nationale solide, qui est par la suite adaptée au niveau provincial, parce que chaque province est très différente. Les familles, la culture et les langues de ces collectivités sont très différentes. Nous devons faire en sorte de pouvoir respecter cela.

Pour conclure, nous voyons que l’argent est important. Beaucoup de collectivités m’ont dit : « Regardez ce que nous avons pu faire avec très peu. Imaginez ce que nous ferions si nous en avions assez pour en faire plus. »

Parmi tous les endroits où je me suis rendue, il n’y en a qu’un seul où on m’a dit : « Donnez l’argent aux organismes. » Ailleurs, on m’a dit : « Donnez l’argent aux collectivités, parce que c’est à ce niveau que se fait le travail de prévention. Nous devons aider nos familles à être plus fortes. Nous voulons être en mesure de remettre nous-mêmes l’argent aux organismes. Nous voulons déterminer comment cet argent est dépensé. »

Tout le monde convient qu’il y aura toujours un besoin de protection; de 15 à 20 p. 100 environ de ces fonds devraient être versés aux organismes pour qu’ils s’acquittent de cette tâche. Mais les collectivités veulent que les organismes adaptent leur approche pour qu’elle ne soit pas fondée sur la prise en charge; il s’agit plutôt de déterminer combien d’argent ces enfants et leurs familles peuvent garder et quelle somme de travail est faite sur le terrain avec ces familles pour que ces enfants aient un endroit sûr où vivre. Il faut aussi avoir les ressources nécessaires pour réparer les portes, mettre de la nourriture dans le réfrigérateur et acheter des matelas adéquats pour que ces enfants puissent vivre en sécurité.

Il y a beaucoup de travail à faire. Je ne vois pas nécessairement comment la création d’un plus grand nombre d’organismes... En fait, des jeunes m’ont dit : « Nous ne voulons pas plus d’organismes ou de travailleurs sociaux. Nous voulons nos familles, notre culture et nos langues. C’est ce que nous voulons. » Si vous avez l’intention de faire quoi que ce soit à l’échelle du pays pour assurer la sécurité, je crois que c’est là que vous devez porter votre attention. Merci.

La présidente : Merci.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. En ce qui concerne ce que Cynthia nous a dit, l’un des éléments du projet de loi auquel j’ai beaucoup réfléchi est celui de l’intérêt supérieur des enfants autochtones et de la façon dont il est formulé. La première considération est la sécurité et le bien-être physiques, affectifs et psychologiques de l’enfant, puis il y a les facteurs à prendre en compte. Cela pourrait mener au statu quo, car même si dans une autre partie du projet de loi, il est prévu que les enfants ne seront pas pris en charge pour des raisons de pauvreté, le premier aspect concerne la sécurité physique, affective et psychologique, des notions qui peuvent parfois être très subjectives.

Je me demande s’il ne vaudrait pas la peine qu’il y ait deux éléments dans les considérations premières, soit le bien-être et la sécurité, mais aussi le lien de l’enfant avec sa famille, sa culture et sa communauté. Cela n’empêcherait pas les enfants d’être pris en charge advenant des situations dangereuses, mais cela garantirait que la sécurité de l’enfant, ainsi que le lien que je viens de mentionner, fassent partie du tout premier plan d’intervention ou de la toute première version de ce plan.

Dans ma province, connaissant la façon dont les juges prennent leurs décisions, et même la façon dont le personnel sur le terrain prend des décisions au jour le jour, je crains que si cela constitue la seule considération première, tout le reste semble secondaire et le statu quo soit maintenu.

En réalité, ce ne sont pas toutes les Premières Nations qui pourront récupérer leurs pouvoirs le lendemain de l’adoption de ce projet de loi. On parle plutôt d’un processus. Pour certaines nations, ce sera cinq ans. Leurs enfants continueront d’être pris en charge et placés dans des collectivités qui ne sont pas les leurs, parce que ces dernières sont trop pauvres pour qu’on y place ces enfants. Ils ne seront probablement pas placés dans la famille élargie parce que cette façon de faire n’est pas aussi bien organisée. De toute évidence, les familles d’accueil ont le monopole au chapitre de l’argent et du lobby. Il s’agit de toute évidence de l’organisation la plus solide. C’est donc dire que les enfants seront probablement placés en famille d’accueil.

Y a-t-il une façon d’envisager une considération première à deux volets, qui permettrait réellement de rappeler à chaque travailleur social que le lien familial, la culture et la communauté doivent en faire partie? Cela mènerait à de meilleurs placements au sein de la famille élargie.

Mme Wesley-Esquimaux : Je pense vraiment que cela doit venir au premier plan, parce que vous avez raison, ces aspects semblent secondaires.

Nous avons parlé d’une approche de financement à deux volets pour que 20 p. 100 des fonds servent à la protection et que le reste aille à la collectivité. Il continuera d’y avoir de la pauvreté au niveau des collectivités et des gens qui souffriront si la prise en charge de leurs enfants se poursuit. Peu m’importe s’il s’agit d’une bonne famille d’accueil ou non. J’ai été élevée par deux survivants des pensionnats. J’ai dû endurer la consommation excessive d’alcool et la violence sexuelle, notamment, mais malgré cela, j’ai réussi à obtenir un doctorat. Les gens peuvent survivre à ce genre de choses. Nous ne voulons toutefois pas que tous les enfants souffrent.

Mais vous avez raison de dire que c’est subjectif. En regardant ma famille, les gens auraient peut-être dit : « Nous devons sortir cette enfant de là. » Heureusement, cela ne s’est pas produit, et c’est probablement parce que nous vivions en ville plutôt que dans la réserve. Si ma mère était demeurée dans la réserve, je suis certaine que cela se serait produit... ou un pensionnat. Je suis assez vieille pour que cela ait pu se produire.

Il faut donner la priorité à la culture, à la famille et aux ressources de la famille. Si les familles d’accueil doivent recevoir 1 200 $ par jour, ou peu importe le montant que vous leur versez pour qu’elles s’occupent des enfants, vous allez devoir investir ces ressources dans les familles.

Dans chaque collectivité, on retrouve des gens qui fournissent des logements sûrs. Vous n’êtes tout simplement pas au courant de cela parce que vous examinez la question dans une perspective plus large. Donc, tout d’abord, il faut essayer de garder ces enfants dans leur collectivité et avec leur famille.

M. Tremblay : C’est une discussion que nous avons eue pendant tout le processus. Nous avons essayé, dans la mesure du possible, d’arriver à un équilibre entre tous ces intérêts.

Je demanderais à Isa de nous dire comment nous en sommes arrivés là et pourquoi nous croyons que cet aspect est protégé au bout du compte.

Isa Gros-Louis, directrice générale, Réforme des services aux enfants et aux familles, Services aux Autochtones Canada : Au cours de la séance de consultation, nous avons entendu les préoccupations que vous avez soulevées au sujet de l’équilibre à établir dans le projet de loi. Je pense que c’est la raison pour laquelle les considérations premières se trouvent au paragraphe 10(2) du projet de loi, auquel vous avez fait allusion et qui concerne la sécurité physique, affective et psychologique.

Puis viennent les facteurs à considérer, notamment la culture et les relations familiales. Ces facteurs ne sont en aucun cas exhaustifs, ce qui fait que les Premières Nations ou les collectivités autochtones peuvent toujours s’en inspirer et y ajouter des éléments lorsqu’elles élaborent leurs lois. Il s’agit d’un cadre visant à guider les provinces et les territoires jusqu’à ce que les collectivités autochtones élaborent leurs propres lois. Elles peuvent alors décider des critères les plus importants pour elles et mettre l’accent sur ce qu’elles veulent dans leurs propres lois.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je comprends cela. Je sais que ce n’est pas un aspect facile du projet de loi, mais lorsque les nations auront les pouvoirs, elles placeront les enfants dans leurs propres collectivités. Le facteur premier et les facteurs secondaires vont changer à cause de leur perception des services à l’enfance et à la famille.

Cela est destiné à guider les provinces pour l’avenir. Je crains toutefois que cela maintienne le statu quo dans de nombreuses provinces, où on dira : « Nous le faisons déjà. Nous tenons toujours compte du facteur premier au départ, puis des facteurs secondaires par la suite. Mais le facteur premier a préséance, et nous devons assurer une prise en charge. »

S’il s’agit d’une instruction donnée aux provinces jusqu’à ce que les nations assument leurs pouvoirs, pouvons-nous ajouter la culture, la famille et le lien avec la collectivité au facteur premier, afin qu’ils fassent partie des considérations principales pour les travailleurs sociaux des provinces?

En Alberta, par exemple, certaines nations piaffent d’impatience. Elles étaient prêtes il y a cinq ans. Mais je sais aussi que certaines nations mettront beaucoup plus de temps à établir leurs propres lois. Entretemps, leurs enfants continueront d’être pris en charge en fonction de cette perception de l’« intérêt supérieur de l’enfant ».

La sénatrice Pate : Merci à tous pour vos exposés. J’aimerais parler du financement. J’ai une question pour M. Tremblay et pour Mme Wesley-Esquimaux.

Monsieur Tremblay, le projet de loi C-92 ne contient aucune garantie de financement pour permettre aux Premières Nations d’exercer leurs compétences. Essentiellement, le préambule non contraignant reconnaît la demande constante d’obtention d’un financement. Les Premières Nations ont passé plus d’une décennie à plaider cette cause contre le Canada, en vue d’obtenir des services à l’enfance et à la famille équitables. Comme vous le savez sans doute, le dossier est toujours en suspens.

Votre ministère acceptera-t-il de modifier le texte du projet de loi, afin d’offrir une garantie de financement conforme à une approche fondée sur l’égalité réelle et les besoins, la même que celle qui est énoncée dans des ordonnances répétées du Tribunal canadien des droits de la personne? C’est ma première question.

Madame Wesley-Esquimaux, merci pour tout votre travail. Vous avez parlé d’une proposition selon laquelle les organismes devraient recevoir de 15 à 20 p. 100 du financement, mais le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné que ce montant soit doublé depuis l’examen que vous avez mené en 2016. Je suis curieuse de savoir pourquoi vous proposez de ramener la proportion à 20 p. 100, alors qu’il a déjà été ordonné de verser le double.

Mme Wesley-Esquimaux : Je pense que cela doit être fondé sur les besoins. Quel que soit le montant actuel, c’est très bien. En fait, je pensais davantage au pourcentage du point de vue de la protection requise, et non pas tant au montant d’argent. Lorsque vous retirez des enfants de leur collectivité, dans quelle mesure cela est-il fondé sur une affirmation aussi catégorique que : « Nous devons prendre cet enfant en charge parce que sa vie est en danger », par opposition à « Cette famille est aux prises avec des problèmes de pauvreté et de toxicomanie »? C’est d’équilibre que je veux parler, et non pas d’argent.

Je pense qu’il faut donner de l’argent pour répondre aux besoins de ces collectivités et de ces organismes, afin qu’ils puissent faire le meilleur travail possible.

La sénatrice Pate : Vous seriez donc d’accord avec le tribunal?

Mme Wesley-Esquimaux : Absolument, oui.

La sénatrice Pate : Monsieur Tremblay?

M. Tremblay : Le projet de loi ne porte pas sur l’argent. Il vise à confirmer les compétences, ainsi que certains principes et certaines normes à l’échelle du pays.

Cela ne veut pas dire que l’argent ne pose pas de problème et ne devrait pas faire l’objet de discussions. Cela signifie que nous avons élaboré conjointement des mesures législatives avec les organisations des Premières Nations et des Métis. Nous essayons d’utiliser les dispositions législatives comme le meilleur outil pour atteindre les objectifs qu’une loi est censée viser. Dans ce cas-ci, il s’agit de la reconnaissance des compétences, ce qui n’a jamais été fait auparavant, ainsi que des normes nationales, ce qui, à notre avis, représente un excellent progrès.

Il a été question d’argent, bien sûr, au cours de ces discussions, et il continuera d’en être ainsi. Vous aviez raison au sujet du système des Premières Nations dont vous avez parlé. En effet, le tribunal nous a dit de financer les dépenses réelles. Nous avons donc maintenant un budget de plus de 1,1 milliard de dollars. Il se situait probablement à 700 000 $ il y a quelques années. Nous avons donc presque doublé le budget au cours des dernières années, et celui-ci continuera d’augmenter.

Comme il a été mentionné, cet argent est géré par le système actuel. Nous devons donc travailler avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis pour déterminer quel genre de système ils souhaitent et comment ils veulent modifier le système en place. Une partie de la discussion concernant ce changement inclurait l’argent, mais nous n’utilisons pas le projet de loi comme une loi budgétaire, si vous voulez. Il s’agit en fait d’un projet de loi axé sur ce qui a fait l’objet d’un consensus, à savoir régler le problème qui aurait dû l’être depuis des années, la question des compétences, et veiller à ce que les droits des enfants soient pris en compte.

Joanne Wilkinson, sous-ministre adjointe, Direction générale de la réforme des Services à l’enfance et à la famille, Services aux Autochtones Canada : J’aimerais ajouter une chose. Comme le sous-ministre l’a mentionné dans sa déclaration préliminaire, et comme l’a souligné la sénatrice LaBoucane-Benson, une partie de la question en ce qui concerne la mise en œuvre et la transition, c’est que la transition sera plus longue à certains endroits que dans d’autres.

Une partie de ce que nous examinons actuellement avec tous nos partenaires, c’est ce à quoi ressemble cette gouvernance de transition, qu’il s’agisse d’un comité directeur, de groupes de travail, de ce genre de structures, afin de nous assurer que ces questions très importantes de financement, par exemple, puissent être abordées de façon holistique et en tenant compte des distinctions.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Comme l’a souligné Mme Wesley-Esquimaux, le financement est primordial. Ce ne sera pas vraiment un geste vide de sens, mais si des dispositions législatives sont en place, de même que les pouvoirs, mais que les ressources sont insuffisantes pour la mise en œuvre, alors quelle garantie les collectivités ont-elles que ces ressources seront disponibles si rien n’a été prévu dans la loi?

M. Tremblay : Le gouvernement fédéral a déjà l’obligation de financer le système des Premières Nations. C’est ce que nous faisons à la fois pour les interventions et pour la prévention. Nous le faisons par l’entremise d’organismes, comme il a été mentionné. Cet engagement à continuer de financer le système existe toujours. L’obligation et la décision du tribunal sont toujours là, alors nous continuerons de le faire. C’est pourquoi le budget augmente.

Ce projet de loi vise plutôt à orienter la discussion qui permettra de modifier le cadre du système et qui fournira aux partenaires l’occasion d’échanger, les partenaires comprenant aussi les provinces, parce que, comme vous le savez, il s’agit des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui vivent dans les réserves et hors réserve. Ce sont donc tous les partenaires qui sont assis à la table et qui discutent de la façon de mieux organiser ce système, un endroit à la fois.

Y aura-t-il une discussion sur les ressources? Évidemment. Toutefois, à ce stade-ci, nous ne pensions pas que cela devait nécessairement faire partie de ce projet de loi. C’est une discussion qui va se poursuivre, mais je pense que si vous regardez le budget de mon ministère pour ce qui est des services de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, vous verrez qu’il a augmenté de façon assez importante et qu’il continuera probablement de le faire au cours des prochaines années.

La sénatrice Pate : Il me semble tout simplement malheureux d’inviter un autre tribunal à rendre une décision au lieu d’aborder le problème de front.

M. Tremblay : Je ne sais pas. Comme nous l’avons dit, nous payons les coûts réels de la prévention et des interventions. De plus, le tribunal a indiqué qu’il fallait réformer le système, et c’est ce que le projet de loi propose. Cela ouvre la porte à la réforme du système.

Comme on l’a déjà dit, il n’y a pas de système universel. Certaines Premières Nations sont très satisfaites de leur situation et pourraient décider de travailler avec l’organisme actuellement en place. Certaines décideront peut-être de travailler avec le système provincial. Certaines pourraient décider de s’occuper uniquement de prévention. Je ne sais pas, et je ne veux rien imposer. Nous devons avoir ces discussions pour savoir exactement ce qui va se passer.

Ce projet de loi ne règle pas tout. Il constitue davantage un point de départ. Il ouvre des possibilités qui n’existaient pas auparavant, afin de nous assurer d’avoir une discussion où les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont leur mot à dire parce qu’ils ont des compétences et peuvent les faire valoir.

Bien sûr, l’argent fait partie de l’équation, mais ce n’est pas le seul problème. À l’heure actuelle, la prise en charge coûte très cher et ne donne pas nécessairement les résultats escomptés.

La sénatrice McPhedran : Merci à tous d’être ici avec nous aujourd’hui.

Ma question s’adresse à vous, madame Wesley-Esquimaux. Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre — ou du moins m’aider à comprendre — la situation actuelle compte tenu de votre mandat et de ce projet de loi?

Mme Wesley-Esquimaux : Je n’ai pas de mandat à l’heure actuelle. Je suis donc là en tant qu’ancienne représentante spéciale de la ministre pour discuter des conversations que j’ai partout au Canada. Mais, bien sûr, je suis toujours très intéressée par ce qui se passe.

Je vis dans la Première Nation de Georgina Island, et nous avons notre propre organisme de protection de l’enfance. C’est tout nouveau, et on y pratique le travail social autochtone. En fait, notre travailleuse sociale a remporté un prix.

Nous ne laissons pas les enfants quitter notre collectivité. Lorsqu’un problème se pose dans notre collectivité, nous allons demander à la famille concernée ce dont elle a besoin. Si la mère boit, nous lui demandons ce qui se passe dans sa vie et nous l’aidons pour que ses enfants demeurent dans la collectivité. C’est l’approche que nous avons adoptée. C’est ce que nous voulons, et cela correspond à ce qu’il dit.

Cela ouvre la porte. Il ne manque pas de ressources. Certaines provinces ont indiqué le niveau de ressources qu’elles obtiennent chaque année, et elles tiennent les cordons de la bourse serrés. Je comprends cela, mais si nous assouplissons les règles et veillons à ce que les familles proprement dites obtiennent les ressources sur le terrain, je sais que cela fera une différence. Cela donnera une communauté plus heureuse. Nous ne perdrons pas nos enfants parce que nous avons adopté une approche différente.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Je suis heureuse de vous voir ici ce matin.

Ce projet de loi me préoccupe beaucoup. Je viens du Manitoba. L’ancienne ministre, Jane Philpott, avait conclu un protocole d’entente avec l’Assemblée des chefs du Manitoba. Lorsqu’on leur a donné les ressources, ils ont adopté leur propre Bringing our Children Home Act, et la ministre avait annoncé qu’il s’agirait d’un modèle pancanadien et qu’elle avait une entente avec l’Assemblée des Premières Nations.

Ce qui est préoccupant au Manitoba, c’est le niveau d’intervention de la province. Le taux d’enfants touchés y est le plus élevé au Canada. Elle a parlé de crise humanitaire. Cindy Blackstock a dit : « Si ce projet de loi confirme la compétence des Premières Nations, respecte la diversité parmi les Premières Nations » — pourtant, il existe un modèle pancanadien, et les deux ne coïncident pas —, « protège la sécurité et le bien-être des enfants et des familles des Premières Nations », ce qu’il ne fait pas, « et intègre un financement de base prévu par la loi, il a tout pour réussir ».

Êtes-vous d’accord ou non avec cette affirmation? Si c’est le cas, je veux qu’on me dise sincèrement que le statu quo n’existera plus au Manitoba et qu’il faut, d’une façon ou d’une autre, travailler avec les chefs du Manitoba pour régler le problème.

M. Tremblay : Le projet de loi n’impose pas de modèle à l’échelle du Canada. Il dit que les compétences peuvent être assumées par les collectivités. L’ACM peut donc aller de l’avant et continuer à élaborer sa législation. Elle obtiendra notre appui et nous serons des partenaires à la table. J’espère que d’autres emboîteront le pas aussi.

Ce n’est pas un projet de loi qui vise à imposer le système dans lequel vous allez fonctionner au cours des prochaines années. Il y a des modifications et certaines normes nationales qui y sont mentionnées, afin de protéger les enfants dans le contexte de ce qui se passe actuellement, y compris dans votre province parfois.

Mais une partie du projet de loi dit aussi que vous avez les pouvoirs et que vous pouvez vous en prévaloir. Nous vous encourageons à conclure des ententes de coordination avec d’autres paliers de gouvernement, mais si ceux-ci ne sont pas de bonne foi, vous pouvez établir vos propres lois.

Ce n’est pas un processus facile, mais la situation était probablement plus difficile avant l’adoption de ce projet de loi. Le projet de loi permet de faire cela.

Si vous regardez l’histoire récente du Canada, lorsque nous avons essayé de légiférer sur les questions touchant les Premières Nations, nous avons tenté de le faire en adoptant une approche universelle, mais cela n’a pas très bien fonctionné la plupart du temps. Mais il y a eu des fois où nous avons adopté des dispositions législatives comportant des options de participer ou non, grâce auxquelles les Premières Nations ont pu décider si elles y adhéraient ou non. C’est ce que nous avons fait, par exemple, dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations.

Le présent projet de loi s’apparente un peu à celui-là. Cela revient à dire que vous avez les pouvoirs. C’est votre droit inhérent en vertu de l’article 35, et nous utilisons le paragraphe 91(24) de la Constitution pour le confirmer par voie législative, mais vous pouvez le faire à votre rythme. Vous n’avez pas l’obligation de le faire, mais vous avez la possibilité.

Je sais qu’il y a des tensions avec l’ACM, mais je pense que cela peut être réglé parce que ce n’est pas une question de confrontation entre sa loi et la nôtre. C’est sa loi qui prévaut au bout du compte.

Mme Wesley-Esquimaux : Je suis d’accord. J’ai entendu beaucoup de gens, y compris des chefs, et j’ai aussi rencontré de nombreux aînés. Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de diversité au pays. Certaines de ces collectivités étaient tout à fait prêtes. Elles y travaillaient depuis 25 ans et elles étaient prêtes à aller de l’avant, et je pense qu’il a été reconnu que ces gens pourront être les premiers, pour ainsi dire.

Selon moi, si l’on veut faire adopter le projet de loi et rétablir les compétences, il faut s’assurer que l’argent suit et qu’il n’est pas bloqué au niveau provincial. C’est probablement le plus gros problème dont j’ai entendu parler d’un bout à l’autre du pays, à savoir que les provinces s’accrochent aux millions de dollars qu’elles reçoivent chaque année. Lorsque j’étais au Yukon, on m’a dit qu’on avait embauché neuf travailleurs sociaux. Cet argent devait aller directement aux collectivités. On m’a dit qu’on s’en occupait et on m’a montré les nouveaux modèles australiens. J’ai demandé à ces gens s’il leur était venu à l’esprit que les Gwich’in avaient leurs propres modèles, et je leur ai dit : « Pourquoi ne leur demandez-vous pas leur façon de faire? » Vous avez donc tout à fait raison de dire que nous avons beaucoup de travail devant nous.

Dans bien des cas, les intervenants politiques font aussi obstacle à notre peuple. Ce n’est pas nécessairement seulement la province du Manitoba ou la province de la Saskatchewan. Il y a aussi des organismes et des organisations politiques qui veulent leur part du gâteau.

J’ai l’impression que vous feriez mieux de vous adresser directement aux collectivités, parce que c’est là que vivent ces enfants. C’est là que se trouvent les grands-mères, les familles, la culture, la langue et tout le reste, et c’est là que nous devons aller pour nous assurer qu’elles ont les ressources nécessaires pour se rétablir, être en santé et élever elles-mêmes ces enfants.

La sénatrice McCallum : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à tous pour vos exposés de ce matin. Nous commençons tout juste à vraiment comprendre ce que contient ce projet de loi et ce qu’il ne contient pas. Je constate, comme on l’a dit, que des possibilités sont offertes, comme cela était demandé depuis un certain temps, et que l’accent est mis pour une large part sur les pouvoirs.

L’une des choses que j’apprends de ma collègue et de ce que vous dites, ce sont les grandes différences dans les capacités, et peut-être même dans l’intérêt, à l’égard de cette responsabilité dans les différentes collectivités et administrations.

À mesure que des possibilités s’offrent, que fait-on pour aider les collectivités qui souhaitent renforcer leurs capacités et élaborer leurs propres modèles, comme vous l’avez dit, afin qu’elles soient en mesure, dans cinq ans, de constater que l’écart n’est pas si grand entre celles qui étaient prêtes il y a cinq ans et celles à qui il a fallu un certain temps pour y arriver?

Mme Wesley-Esquimaux : J’ai eu beaucoup de conversations à ce sujet. L’une des choses que j’ai dites, c’est que la force de l’argumentation de la ministre en ce qui a trait à l’orientation que nous allons prendre est à la base de votre propre argument. Il y a du travail à faire au niveau des collectivités. Vous avez raison de dire qu’un grand nombre d’entre elles ne sont pas prêtes et n’ont pas calculé les coûts, ni répertorié les actifs dans leur propre collectivité pour comprendre à qui elles peuvent faire appel. L’une des recommandations que j’ai faites, c’est qu’elles consultent les collèges et universités locaux et les gens qui peuvent faire ce travail avec elles, sans qu’il leur en coûte très cher ou peut-être même sans qu’il leur en coûte quoi que ce soit, afin de commencer à jeter les bases de la capacité dont elles ont besoin.

Elles doivent commencer à établir des liens entre elles. Bon nombre de collectivités l’ont déjà fait officieusement dans le but de s’entraider.

Nous faisons beaucoup d’erreurs au pays. Je pense à ce cas d’un organisme très solide et d’un organisme très faible. Au lieu d’aider cet organisme faible à s’en sortir, on a pris l’argent de l’organisme solide et on l’a donné à l’organisme faible. Je me suis dit : « Eh bien, c’est intelligent; vous avez maintenant deux organismes faibles. »

Nous ne réfléchissons pas vraiment aux conséquences de nos actions, mais les communautés elles-mêmes sont très conscientes. Nous devons cesser de penser que les collectivités proprement dites n’ont pas la capacité et qu’il n’y a pas de gens intelligents qui y vivent et qui peuvent faire ce travail. Il y en a, mais à bien des égards, ils ont les mains liées parce qu’ils n’ont pas l’autorité, les pouvoirs et les ressources nécessaires pour faire ce qu’ils veulent faire.

Il faut donc aller dans les collectivités. Nous devons y passer plus de temps, plutôt que de penser que nous pouvons, de loin, résoudre leurs dilemmes. Nous n’avons pas les réponses, mais elles les ont. C’est ce que j’ai entendu partout au pays : Ayez confiance. Elles ont la capacité nécessaire.

La sénatrice Coyle : Elles ont peut-être besoin d’aide pour y arriver.

Mme Wesley-Esquimaux : Elles ont peut-être besoin de soutien et elles devraient l’accepter.

M. Tremblay : Je pense qu’elles ont besoin de soutien, vous avez raison. Cela devrait être abordé pendant la transition, et ce serait l’occasion d’avoir des discussions à ce sujet. Comment pouvons-nous soutenir les collectivités et les nations et comment pouvons-nous les aider à exercer leurs compétences? Il faut voir quelle est l’offre et la demande dans ce contexte.

Entretemps, nous avons environ 100 millions de dollars par année que nous utilisons pour des projets de services à l’enfance et à la famille qui sont liés à des initiatives relevant des pouvoirs. Certains fonds sont utilisés à cette fin.

Au sein du ministère de la ministre Bennett, il y a une table de négociation sur l’autonomie gouvernementale, par exemple. Dans bon nombre de ces cas, de plus en plus, en fait, étant donné que nous accordons beaucoup d’attention à ce dossier, les Premières Nations et les groupes autochtones viennent à la table et veulent parler des services à l’enfance et à la famille. Il y a donc un processus en place.

Nous avons également une table tripartite que nous essayons de maintenir aux niveaux provincial et régional pour appuyer les collectivités.

Est-ce suffisant? Nous verrons. Mais, oui, il y a une intention de soutenir les collectivités et les nations en respectant leur rythme, comme nous l’avons déjà mentionné. Pour être honnête, la question est de savoir quelle est la meilleure façon de procéder.

Comme on l’a dit, certaines d’entre elles exercent déjà des pressions et font déjà du travail, et dans certains cas, nous les appuyons déjà financièrement.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup d’être ici. Il a fallu beaucoup de temps avant que ce projet de loi nous soit renvoyé.

Je n’ai peut-être pas cherché au bon endroit, mais je n’ai pas trouvé dans le projet de loi les mots « approche fondée sur les distinctions ». Toutefois, monsieur Tremblay, vous avez mentionné dans votre exposé que votre ministère allait explorer la possibilité de créer des structures de gouvernance de transition fondées sur les distinctions.

Pouvez-vous expliquer comment le projet de loi tient compte des distinctions, tant dans son élaboration que dans sa mise en œuvre? Pouvez-vous également nous dire comment le projet de loi permettra de relever les défis uniques auxquels font face les familles autochtones vivant en milieu urbain?

M. Tremblay : Le projet de loi ne dit pas « fondée sur les distinctions ». On y fait plutôt mention, je crois, des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Nous les nommons, ce qui me semble être une façon plus élégante de parler des distinctions.

On tiendra compte des distinctions, mais pas seulement pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, parce que les Premières Nations ne sont pas toutes identiques. Elles sont différentes les unes des autres. Elles ont des ambitions et des besoins différents.

Il y aura des distinctions parce que, comme je l’ai dit, il s’agit d’un projet de loi qui, même s’il prévoit des normes nationales et un cadre national, est fondé sur une approche plus ascendante. Ce sont les collectivités et les nations qui définiront ce qu’elles veulent et qui viendront à la table discuter avec d’autres administrations à ce sujet. C’est ainsi que nous voyons les choses en ce qui a trait aux distinctions.

Nous nous attendons à collaborer avec les trois associations autochtones nationales, comme vous le savez. Elles étaient là lorsque la ministre a déposé le projet de loi, et les trois ont parlé d’un bon processus de développement conjoint. Cela montre que nous collaborons avec les trois groupes.

Nous avons également eu l’occasion de travailler avec les trois groupes de concert. Il ne s’agissait pas seulement des Premières Nations, des Inuits et des Métis pris séparément. Des discussions ont aussi eu lieu entre eux.

Lorsque vous parlez des enfants et des familles, pour être honnête, il y a eu beaucoup de commentaires formulés entre les différents groupes. C’est plutôt dans la façon dont ils veulent aborder la question que ce sera différent. Je pense que c’est ce vers quoi nous allons maintenant. Maintenant que cette porte est ouverte, c’est à eux de concevoir la façon dont ils veulent que cela se fasse. C’est là que les distinctions vont se faire.

Nous avons également discuté avec eux de la façon dont la transition sera fondée sur les distinctions, parce que les situations diffèrent. À l’heure actuelle, comme vous le savez, les services aux Premières Nations sont financés par le fédéral et d’autres services sont financés par les provinces. Dans certains cas, nous passons par les provinces. Il y a donc différentes situations au pays dont il faudra tenir compte.

Les Inuits sont visés par des accords sur les revendications territoriales et ils ont, à bien des égards, un gouvernement ou une organisation qu’ils gèrent déjà. La complexité est donc différente.

Je ne vais pas réduire cela à une simple distinction entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Il y aura aussi des différences à l’échelle du pays : entre le Nord et le Sud, par rapport à leurs ambitions et à ce qu’ils veulent. C’est ce qui se produit parce que la culture est très diversifiée.

Le sénateur Christmas : Je me réjouis qu’une approche fondée sur les distinctions s’applique jusqu’au niveau des bandes et des collectivités, mais dans le contexte des régions urbaines, où l’on retrouve tant d’Autochtones différents, comment peut-on appliquer une telle approche?

M. Tremblay : Ce sera un casse-tête intéressant, mais il y a des précédents. Les francophones, par exemple, ont leurs propres écoles dans d’autres provinces où ils ne constituent pas nécessairement la majorité de la population. Vous pouvez imaginer certains services offerts aux Autochtones cris en milieu urbain. S’ils sont à l’extérieur de leur collectivité, les services pourraient être différents.

Ils peuvent aussi, par l’entremise de leurs lois, établir des normes qui s’appliqueraient à quiconque s’occupe d’enfants qui font partie de leur collectivité. Comme il s’agit d’une loi fédérale, ils auraient la capacité de le faire.

Par exemple, dans le cas d’une collectivité crie établie dans le nord du Québec, mais dont certaines familles vivent dans le sud, si vous avez une loi qui dit que pour les enfants cris, les choses vont se faire de telle façon, il sera possible de faire respecter cette loi par les gens. À l’heure actuelle, c’est la norme nationale qui doit être respectée, mais si la norme prend la forme d’une loi émanant d’une collectivité ou d’une nation, c’est elle qui devra être respectée.

Le sénateur Christmas : Par exemple, à Ottawa, nous avons une grande communauté inuite. Êtes-vous en train de dire qu’il est toujours possible d’appliquer une approche fondée sur les distinctions dans une grande région urbaine où vivent beaucoup d’Inuits?

M. Tremblay : Si les organisations décidaient ensemble ou séparément que, pour leurs citoyens, où qu’ils soient, il faut respecter le placement en famille d’accueil et l’adoption dans la famille élargie, de même que la culture, et si toutes les conditions sont réunies, il faudra les respecter. C’est pourquoi il est important que les administrations travaillent ensemble, pour être honnêtes.

Il y a aussi une limite à cela, c’est-à-dire la capacité d’appliquer la loi parfois, mais c’est certainement possible.

Le sénateur Christmas : Merci.

Le sénateur Tannas : C’était ma question, mais j’en ai une autre pour Mme Wesley-Esquimaux.

Au niveau des collectivités, l’organisation serait-elle un service ou une entité liée au chef et au conseil, ou croyez-vous qu’il s’agirait plutôt d’une organisation autonome? Cela pourrait s’apparenter à une commission scolaire ou à un autre organisme de ce genre chez les non-Autochtones. Comment pensez-vous que cela pourrait s’organiser?

Mme Wesley-Esquimaux : Honnêtement, j’ai vu tous ces modes d’organisation, dépendant des collectivités. Dans certaines, le chef et le conseil ou le représentant du chef et du conseil, étaient présents et ont dit : « Nous allons travailler avec nos familles pour faire cela. » Dans d’autres, il existe déjà des entités autonomes. Certaines d’entre elles ont des logements sûrs qui sont gérés et organisés par des gens de la collectivité, et c’est tout ce qu’elles font.

Il y a beaucoup d’approches différentes, comme nous l’avons déjà dit ce matin. De nombreuses collectivités nous ont dit : « Nous avons des membres qui vivent en ville et, en ce qui nous concerne, peu importe où ils se trouvent, ce sont nos membres. Même s’ils se trouvent deux provinces plus loin, nous allons répondre à leurs besoins. Nous allons donc élargir cela à l’échelle nationale. Notre travail ne se fera pas seulement à l’échelle locale. »

Il a raison. Il y aura de nombreuses approches différentes, mais je pense qu’il faut écouter attentivement ce que les collectivités elles-mêmes et les gens qui représentent les enfants dans ces collectivités disent. Ils savent ce qu’ils font. Ils ont connu beaucoup de succès dans bien des cas.

C’est notre ingérence qui crée les problèmes, c’est-à-dire lorsque nous arrivons et que nous pensons avoir toutes les réponses, ou lorsque les travailleurs sociaux disent aux gens quoi faire. Cela va très souvent à l’encontre de ce que ferait la collectivité si on lui donnait la possibilité de prendre ses propres décisions.

Le sénateur Tannas : Avez-vous vu de bons exemples de collectivités qui sont en mesure de mener elles-mêmes ces consultations? Nous sommes tous conscients du fait que, dans la plupart des cas, plus de la moitié des membres ne vivent pas dans la collectivité; ils vivent loin de la collectivité. Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Wesley-Esquimaux : J’ai vu beaucoup de très bons exemples, dont quelques-uns que j’ai remis en question. J’ai dit à certains : « Vous avez une excellente équipe, mais les gens qui en font partie semblent proches de la retraite. Alors, qu’allez-vous faire? Est-ce que vous planifiez la relève? Comprenez-vous que c’est quelque chose qui doit continuer? »

Les ressources nécessaires ne sont pas nécessairement toujours là pour planifier la relève. Encore une fois, je crois qu’ils ont des contraintes. Je pense que lorsqu’ils demandent de l’aide, nous devons leur donner l’aide qu’ils demandent et non pas ce dont nous pensons qu’ils ont besoin. Cela va faire toute la différence en fin de compte.

Je peux vous dire qu’il y a une génération d’enfants qui sont maintenant de jeunes adultes et des adultes et qui disent : « Assez. » Ce sont ces jeunes qui se lèvent et disent : « Nous savons exactement ce qu’il faut faire, parce que nous sommes issus de ce système. Nous faisons partie du système parce que nous y avons grandi. »

C’est à eux que vous devriez vous adresser parce qu’ils vous diront sans équivoque ce qui se passe, ce dont les familles d’accueil ont besoin et ce qui est nécessaire pour ces transitions. Certains d’entre eux s’en tirent exceptionnellement bien compte tenu de ce qu’ils ont vécu, et ils seront une force qu’il ne faut pas sous-estimer.

Nous avons beaucoup de travail à faire. Ils vous aideront si vous le leur permettez. Nous devons aider les collectivités en difficulté. Nous avons eu beaucoup de discussions avec eux au sujet des mesures qu’ils doivent prendre, et je pense que nous devons faire confiance à ce processus et leur donner ce qu’ils demandent, et non pas ce dont nous pensons qu’ils ont besoin.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je viens du milieu de l’assistance parajudiciaire. Nous observons de nombreux cas de grands-parents, de tantes et d’oncles qui veulent entrer en contact avec leurs enfants qui sont visés par une ordonnance de tutelle parentale, et il n’y a pas vraiment de mécanisme pour cela.

Il s’agit d’une mesure législative ambitieuse, mais en réalité, des milliers d’enfants autochtones sont sous tutelle permanente et doivent être accessibles. Croyez-vous qu’il serait possible d’obtenir un droit de visite légal pour qu’un grand-parent puisse s’adresser à un travailleur social auprès des tribunaux — il y a des travailleurs sociaux auprès des tribunaux partout au pays — et dire : « Je veux obtenir une ordonnance consacrant mon droit de visite légal pour voir mon petit-enfant »? Pensez-vous que ce projet de loi le permettra? Sinon, est-ce possible?

Mme Gros-Louis : Dans ce projet de loi, on trouve quelques moyens de procéder. J’essaie de trouver la disposition en question, mais je n’y arrive pas. Il y a ici une exigence de réévaluation.

C’est à l’article 16. Cette exigence sera mise en place de façon régulière, mais elle peut aussi répondre à la demande d’un membre de la famille pour que l’enfant soit renvoyé dans sa famille. Il pourrait s’agir d’un des parents ou d’un membre de la famille élargie.

Il est aussi possible pour le parent ou le gardien d’un enfant de présenter une demande de droit de visite. Le projet de loi offre quelques possibilités aux membres de la famille d’avoir un droit de visite de l’enfant et de s’en occuper.

Mme Wesley-Esquimaux : Si je peux ajouter quelque chose, j’ai parlé à beaucoup de jeunes. Il y a aussi des jeunes pris en charge qui ont dit : « Nous devons avoir la possibilité de prendre une décision dans notre propre vie. Parfois, nous ne voulons pas voir un parent ou nous ne voulons pas être renvoyés dans notre famille, et personne ne nous écoute. » Il faut voir les deux côtés de la médaille, dans presque tout ce dont nous parlons, et il ne faut pas l’oublier.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Dans l’article sur l’égalité, on dit que l’enfant a une voix au chapitre. Je ne me souviens pas du libellé exact, mais je suis tout à fait d’accord avec vous.

La présidente : Merci beaucoup. Le temps est écoulé. Je tiens à remercier nos témoins d’être venus. Merci beaucoup de vos exposés et merci, honorables sénatrices et sénateurs, de vos questions.

En ce qui concerne notre deuxième groupe de témoins, nous avions prévu d’entendre deux témoins ce matin. Comme l’un des vols a été annulé, nous ne savons pas si l’autre personne pourra être présente. Toutefois, nous sommes très heureux d’accueillir, de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Cindy Blackstock, directrice exécutive, ainsi que Spirit Bear.

Cindy Blackstock, directrice exécutive, Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada : Bonjour à vous et merci beaucoup de nous recevoir, Spirit Bear et moi. Spirit Bear représente tous les enfants — les enfants des Premières Nations, les enfants métis, les enfants inuits et aussi les enfants non autochtones qui grandissent en ce moment, et qui veulent vivre dans un pays où aucun enfant n’est laissé pour compte, où l’on tient compte de ce qui distingue chaque enfant, de ce qu’il est et pour qu’une génération d’enfants n’aient jamais à se battre pour être traités sur un pied d’égalité par le gouvernement canadien.

Je tiens à souligner que nous nous trouvons actuellement sur un territoire algonquin non cédé et à préciser, honorables sénatrices et sénateurs, que nous avons fourni certains documents à l’avance. L’un d’eux est une copie du plan de Spirit Bear, qui vise à éliminer toutes les inégalités dans les services à l’enfance des Premières Nations. Le deuxième est une version annotée, parce que nous avons relevé certaines lacunes dans une note d’information que vous avez et dans laquelle nous pensons que des améliorations pourraient être apportées au projet de loi C-92. La version annotée est notre suggestion de solution.

Je tiens à préciser que nous, de la société, ne sommes pas ici pour avoir raison à tout prix. Nous sommes ici pour bien faire les choses. La version annotée peut elle-même être améliorée. Nous serions heureux qu’elle le soit. En fait, nous fournirons sous peu au comité les améliorations proposées par les chefs de l’Ontario et la Nation innue. Je suis désolé que nous n’ayons pas pu vous faire parvenir les documents avant mon exposé d’aujourd’hui, mais ils vous parviendront d’ici 24 heures.

Le juriste américain autochtone Robert Williams affirme que, fondamentalement, le colonialisme incarne la dichotomie entre le « sauvage » et le « civilisé », des pays coloniaux comme le Canada se considérant comme les peuples civilisés et voyant les peuples des Premières Nations, les Métis et les Inuits comme des sauvages. Cela a permis à ceux qui se considèrent civilisés de légitimer pendant des générations des actions immorales et illégales envers nos peuples. Cela a mené à l’appropriation des terres et des ressources, et à l’exploitation de nos enfants. Les gouvernements coloniaux ont soutenu que ces mesures étaient dans l’intérêt public, ou qu’elles étaient en fait dans l’intérêt des peuples autochtones. C’est le danger qui consiste à dissimuler l’injustice dans la bienveillance qui caractérise la dichotomie entre le sauvage et le civilisé.

Cette dichotomie s’étend à la relation du Canada avec les enfants des Premières Nations. Malgré certains exemples positifs, certaines améliorations et de nombreuses déclarations au cours des dernières décennies, elle continue de se manifester dans la relation du gouvernement fédéral avec les enfants des Premières Nations.

Je vais axer mes commentaires sur les enfants des Premières Nations parce que je m’attends à ce que vous ayez des témoins mieux placés que moi pour parler de l’expérience des Inuits et des Métis.

Cela se manifeste dans la façon dont le gouvernement fédéral se satisfait de la médiocrité pour nos enfants. Dans le domaine des politiques publiques, là où il est possible de faire mieux, le gouvernement parle de « premiers pas » ou d’« occasions à ne pas manquer », des « progrès réalisés » ou « de patience », alors que les enfants des Premières Nations font face à des inégalités graves et profondes dans la prestation des services publics par le gouvernement fédéral.

On ne précise jamais pourquoi les enfants des Premières Nations devraient être patients dans certaines circonstances et pourquoi leur famille devrait l’être dans de telles circonstances. Il y a une amnésie historique au point où le Canada est au courant des inégalités pour les enfants des Premières Nations depuis au moins 112 ans. Il est donc certain que les messages de « premiers pas » et des « progrès réalisés » ne devraient satisfaire personne dans ce pays.

L’égalité réelle qui tient pleinement compte de leur histoire unique, de leur situation, du désavantage historique et de l’importance de leur culture et de leurs droits distincts à titre d’enfants autochtones doit être à la base de la réconciliation. Il ne s’agit pas d’une véritable réconciliation parce que nous ne considérons pas que le respect fondamental des droits de la personne comme une marque de réconciliation pour tout autre enfant au pays.

Le projet de loi C-92 représente une étape importante dans l’atteinte de cet objectif. Il y a plus de 20 ans, j’étais parmi ceux qui ont participé à l’examen conjoint de la politique nationale pour l’Assemblée des Premières Nations. À l’époque, j’étais travailleuse de la protection de l’enfance pour la Première nation Squamish, en Colombie-Britannique. Notre première recommandation tirée de ce rapport, qui a été élaboré conjointement avec le gouvernement fédéral, affirmait la compétence des Premières Nations, parce que moi-même et d’autres autour de cette table avions l’intime conviction qu’il était primordial de remettre le processus décisionnel entre les mains des collectivités. Mais cet appel était fondé sur des distinctions et concernait aussi la législation des Premières Nations.

Nous avons également formulé des recommandations pour régler les problèmes de financement et, au fur et à mesure que le projet de loi C-92 se concrétisera, j’ai le regret de dire qu’il comporte des lacunes importantes, surtout en ce qui concerne les enfants. Certains d’entre vous ont vu l’examen du projet de loi C-92 par cinq éminents professeurs de droit autochtones au nom du Yellowhead Institute, un groupe de réflexion autochtone, où la note la plus élevée qu’ils accordent à ce projet de loi sous cinq volets différents est un C.

J’enseigne à l’université, et je peux vous dire que ce ne serait même pas la note de passage pour quelqu’un qui veut poursuivre des études universitaires. Cependant, je ne veux pas que cela nous empêche de progresser. Je veux que vous fassiez quelque chose d’inhabituel au sein de ce comité parce que si nous procédons comme à l’habitude, les enfants des Premières Nations se retrouveront encore dans une situation où le premier ministre devra présenter des excuses. Je veux que vous ayez le courage de proposer les amendements de fond qui s’imposent.

Je vais commencer par quelques notions. Premièrement, je rejette la fausse dichotomie selon laquelle le financement et la compétence constituent deux choses distinctes. La compétence est essentielle à titre de droit intrinsèque des Premières Nations. Le financement permet l’expression de ce droit intrinsèque. Donc, le fait que le gouvernement fédéral laisse entendre que le droit intrinsèque d’affirmation de la compétence des Premières Nations est en quelque sorte distinct du financement constitue une invitation sur une voie qu’il ne faut pas emprunter.

Comme la sénatrice Pate l’a fait remarquer au cours de la première série de questions, le préambule du projet de loi reconnaît la demande constante d’obtention d’un financement, et c’est tout. Avec l’Assemblée des Premières Nations, j’ai passé plus de 12 ans devant le Tribunal canadien des droits de la personne à essayer de faire valoir l’équité du financement pour les enfants des Premières Nations et la mise en œuvre complète et adéquate du principe de Jordan. Ces démarches sont toujours en cours. La décision a été rendue en janvier 2016, et le tribunal a corroboré la plainte et ordonné au Canada de mettre immédiatement fin à son comportement discriminatoire. Sept ordonnances ont suivi.

Dans le projet de loi C-92, le ministère invite les Premières Nations à discuter du financement dans les ententes de collaboration dans le cadre desquelles il faut conclure une entente de financement dans un délai d’un an, et s’il n’y a pas d’entente de financement ou d’entente de collaboration où il est question du financement, la loi entre en vigueur de toute façon. Comment allez-vous appliquer cette loi si vous n’avez pas les fonds nécessaires?

Nous ne demandons pas au Canada d’inscrire un montant dans ce projet de loi. Il serait malavisé de le faire. Nous voulons que le Canada inscrive dans la loi les principes de financement bien documentés et réfléchis que le Tribunal canadien des droits de la personne a jugés nécessaires après avoir étudié cette question pendant près d’une décennie.

Ces principes préconisent qu’il y ait une égalité réelle. Cela signifie qu’il s’agit non seulement du même niveau de financement accordé aux enfants non autochtones, mais d’un financement supplémentaire. Parce que les enfants non autochtones n’ont pas souffert des pensionnats, ils n’ont pas subi la profonde discrimination dans les services publics, et parce que les enfants autochtones auront besoin de plus d’investissements pour en arriver au même résultat. Il faut tenir compte des besoins des enfants et des familles. Il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais dans le contexte du commentaire général de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant sur ce que cela signifie pour les enfants autochtones. Il faut tenir compte des besoins culturels de l’enfant. Nous devons tenir compte de la situation particulière de la collectivité, y compris l’éloignement ou le fait que l’enfant réside dans un centre urbain.

Ce sont des choses que le Canada doit inclure dans le texte exécutoire. Nous avons proposé un libellé pour donner plus de garanties aux familles des Premières Nations que ce projet de loi ne sera pas de la poudre aux yeux.

En ce qui concerne la question de la compétence, nous adoptons le point de vue du Yellowhead Institute. Nous voulons également signaler au comité quelques autres points qui manquent de clarté. Premièrement, quel tribunal va examiner cette loi? Rien dans le projet de loi ne précise s’il s’agit des tribunaux provinciaux ou de la Cour fédérale, ni quelle formation sera offerte à la magistrature. De nombreux tribunaux au Canada commencent tout juste à offrir de la formation à la magistrature, aux avocats et aux autres personnes qui représentent les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Mais cela va ajouter une autre couche à la formation requise, et il n’en est pas question dans le projet de loi, alors j’entrevois des problèmes au niveau de la compétence. La première question consistera à déterminer quel tribunal sera saisi des différends découlant de ce projet de loi? Étant donné que le bien-être d’enfants vulnérables est en jeu, comme nous ne pouvons pas perdre de temps avec des imprécisions de ce genre en matière de compétence, je recommande vraiment d’apporter des précisions à ce sujet.

Il y a aussi beaucoup de flou autour de ce qu’est un « corps dirigeant autochtone ». Lorsque j’ai lu la première ébauche du projet de loi, je ne savais pas de quoi il s’agissait et comment on en était arrivé à cette détermination. Maintenant, je comprends qu’il faut une certaine souplesse parce que dans certaines collectivités des Premières Nations, il y a des systèmes de gouvernance traditionnels, et dans d’autres, il y a des conseils de bande élus. À certains endroits, il y a une combinaison des deux. Je pense qu’il y a lieu de travailler avec les Premières Nations pour préciser en quoi consistent ces groupes, parce que je crains beaucoup les risques de bourbier juridictionnel si des groupes se mettent à se disputer pour déterminer qui a un droit de parole légitime et qui est le véritable corps dirigeant autochtone.

Comme je veux laisser du temps à mes collègues et répondre à certaines de vos questions, j’aimerais passer rapidement à certaines des considérations liées à la pratique.

L’une des choses que j’ai constatées, c’est que le Canada a adopté une définition très étroite des services à l’enfance et à la famille. Cela n’inclut pas les soins après la majorité. Les soins dispensés après la majorité aux enfants qui ont été pris en charge et qui sont maintenant de jeunes adultes sont visés par la plupart des lois provinciales, mais ils sont absents dans ce projet de loi. Il n’y a aucune référence à la tutelle ou à l’adoption. Comment pouvons-nous prévenir la tragédie de la rafle des années 1960 si les Premières Nations n’ont aucune compétence en matière d’adoption? Cela n’a aucun sens.

L’autre élément que je tiens à signaler aux sénateurs, c’est que nous, à la Société, nous sommes allés voir les peuples des Premières Nations pour les aider à réinventer leur vision d’un enfant et d’une famille en santé, parce qu’ils avaient ces visions, mais qu’elles ont été perturbées par le colonialisme. Il y a donc ce que nous appelons le programme Touchstones of Hope, où nous invitons les membres de la collectivité à rétablir cette vision. Lorsqu’ils le font, ils comprennent vraiment que leurs lois ne sont pas segmentées comme les lois occidentales. Dans la plupart des cas, il n’y a pas de loi sur l’éducation ni de loi sur la protection de l’enfance. Il s’agit d’une approche globale à l’égard des enfants et des familles vivant au sein de la collectivité, dans le temps et l’espace, inspirée par les ancêtres et projetée vers les générations futures. Je ne sais pas comment le projet de loi C-92 pourrait en tenir compte.

L’un des principaux secteurs où il y a selon moi suffisamment de problèmes de financement concerne cette idée de vision. Même si le projet de loi reconnaît que les enfants ne devraient pas être retirés de leur famille pour des raisons socio-économiques, ce que le projet de loi ne reconnaît pas, c’est que cette précision n’a rien de nouveau. Elle existe déjà dans toutes les lois provinciales. On ne peut pas enlever un enfant à sa famille en raison de la pauvreté. Mais le Canada ne s’impose pas une obligation positive de régler la crise du logement dans les communautés des Premières Nations. Il ne s’impose aucune obligation positive de s’attaquer aux problèmes de l’eau, ni à toutes les autres inégalités dans les domaines de l’éducation, de la petite enfance et de la santé maternelle. Tant que le Canada ne fera pas cela en adoptant le plan de Spirit Bear, de tels projets de loi ne seront que d’autres fausses promesses, parce que la pauvreté demeure un facteur sous-jacent du retrait des enfants. Lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux inégalités, il est important de concevoir une vision plus holistique de ce que sont les enfants. J’espère que le libellé du projet de loi C-92 ne restreindra pas cette vision holistique et que les dispositions de financement seront suffisamment larges pour avoir une incidence sur les autres secteurs de services qui touchent vraiment la santé des familles.

Il n’y a rien ici sur la collecte de données nationales. Nous apprécions les principes PCAP. Nous croyons que les Premières Nations devraient avoir leurs propres données, avoir accès à leurs propres données, mais il ne fait aucun doute qu’il est très utile d’avoir une idée à l’échelle nationale de ce qui arrive aux enfants et à leur famille. À ma connaissance, nous sommes le seul pays occidental au monde à ne pas avoir de système national de collecte de données. J’entends souvent l’excuse selon laquelle nous sommes une fédération, et que c’est compliqué, parce que notre pays compte 13 provinces et territoires, et des Premières Nations qui opèrent des organismes de protection de l’enfance depuis plus de 40 ans. Mais ce n’est pas une excuse valable. Les États-Unis, qui ont un gouvernement fédéral et comptent 50 États, ainsi qu’une très riche diversité de cultures amérindiennes, d’Alaska et d’Hawaï, ont réussi à créer non pas une, mais deux stratégies nationales de collecte de données relatives aux enfants. Nous avons besoin de cette information ici au Canada. Je pense qu’il s’agit d’une injustice criminelle à bien des égards que nous ne puissions même pas vous dire aujourd’hui avec exactitude combien d’enfants sont pris en charge au pays, sans parler de la façon dont ces enfants se débrouillent ensuite tout au long de leur vie. Je pense que c’est très important, en plus d’avoir un soutien stratégique en place pour permettre aux collectivités d’éclairer l’élaboration de leurs lois et de leurs institutions et d’assurer le fonctionnement de ces lois et de ces institutions de manière à répondre aux besoins de leurs collectivités particulières et, de façon plus générale, à l’interdépendance des Premières Nations partout au pays.

Ma première recommandation est que le Canada adopte le plan de Spirit Bear. Je pense que c’est la base d’une mise en œuvre réussie de ce projet de loi. Si on ajoute l’autodétermination à l’inégalité, on ne réalisera pas les rêves de familles en santé que ce projet de loi vise à promouvoir.

La deuxième consiste à jeter un coup d’œil à notre version annotée. Je tiens à souligner la contribution de Mary Teegee et de Paul Seaman à la création de cette version. Examinez les propositions de modifications précises du libellé. Je ne voulais pas venir ici simplement pour exposer les problèmes. Nous voulions proposer un libellé précis qui pourrait aider les sénatrices et les sénateurs à apporter des améliorations.

Veillez à ce que les principes des dispositions de financement du Tribunal canadien des droits de la personne soient inclus dans le texte exécutoire; encore une fois, il s’agit d’égalité réelle, fondée sur les besoins, tenant compte de la culture et reflétant les besoins distincts de la collectivité.

Le Canada doit établir un processus très clair et ouvert pour l’élaboration de règlements. Je ne veux pas vous manquer de respect, honorables sénatrices et sénateurs, mais personne à l’administration centrale des Affaires autochtones n’a de diplôme en travail social. Personne n’a jamais pratiqué auprès des communautés. J’ai travaillé à la protection de l’enfance en première ligne pendant 13 ans, et je fais ce travail depuis 35 ans. J’ai un doctorat en travail social, mais je n’ai pas les compétences requises pour rédiger moi-même des règlements. Il faut l’apport réel de toute une gamme de penseurs — des aînés, des gardiens du savoir, des jeunes pris en charge, des spécialistes de la protection de l’enfance, des avocats. Et il faut que ce soit un processus transparent pour que les gens puissent contribuer à ce processus d’élaboration de règlements.

Si le projet de loi, dans sa forme actuelle, est tellement déficient que l’objectif consiste à le doter d’un mur coupe-feu en établissant un système de réglementation, il faut renforcer la façon dont ces règlements sont formulés.

Précisez quel tribunal s’occupera de la compétence. Je recommanderais que le Canada collabore avec des organismes des Premières Nations — nous faisons ce travail depuis 40 ans — pour examiner différents scénarios factuels de cas réels afin de voir comment cela s’appliquerait sur le terrain. Cela comprend l’importante question des membres des Premières Nations qui vivent dans les centres urbains.

L’une des façons dont les organismes ont résolu ce problème, soit dit en passant, consiste pour de nombreux organismes à s’installer à proximité de ces centres urbains. Je vais vous donner un exemple. Si nous regardons Kahnawá:ke, leur organisme de protection de l’enfance est situé à Montréal. Ils peuvent facilement servir les membres des Premières Nations dans leur région. D’autres organismes ont également demandé une prolongation de leur mandat à l’extérieur des réserves. Ils pourraient ensuite conclure des ententes de réciprocité, comme le Native Child and Family Services de Toronto, qui a établi de bonnes relations de travail avec les Premières Nations d’où viennent les enfants, ainsi que les enfants inuits et métis. Il peut y avoir des ententes de réciprocité entre ces différents organismes d’aide à l’enfance, parce qu’il est essentiel que nous accordions une attention absolue aux nombreux enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui vivent dans les centres urbains. Ils méritent la même qualité de soins culturellement adaptés que les autres enfants dans les réserves.

Je vais devoir m’arrêter ici parce que j’aimerais avoir du temps pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. Vous avez soulevé tellement de bons points.

Qu’arrivera-t-il si ce projet de loi demeure tel quel, et l’appuierez-vous? Pourquoi ou pourquoi pas?

Mme Blackstock : Si le projet de loi reste tel quel, je crains que le sort des enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis soit, encore une fois, assujetti aux priorités politiques concernant ce qui est financé et ce qui est prévu dans le règlement.

Il y aura bientôt des élections. J’ai vu beaucoup de gouvernements au fil des ans, et je sais que c’est peut-être une priorité pour l’instant, mais peut-être pas pour demain.

Je pense que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis méritent plus de garanties dans ce projet de loi, surtout en ce qui concerne le financement et le respect de leurs cultures et de leurs langues distinctes. Je crains que si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il y aura un certain nombre de contestations judiciaires qui engorgeront les tribunaux et qui ne permettront pas aux communautés des Premières Nations d’obtenir l’aide dont elles ont besoin.

Pour ce qui est de notre appui ou non, je crois que les Premières Nations sont les mieux placées pour prendre cette décision. Ce n’est pas à moi de dire si nous appuierons ou non le projet de loi. Mon travail consiste à examiner le projet de loi au meilleur de mes capacités et à souligner ses points forts, comme les dispositions relatives à la continuité culturelle, mais aussi à être réaliste quant aux conditions dont il doit être assorti pour réussir.

La sénatrice McCallum : Donc, les modifications que vous recommandez ici sont celles que nous devons examiner?

Mme Blackstock : Il y a une version annotée qui accompagne la loi. Elle devait être traduite. La fiche d’information que vous avez ici présente certains des problèmes, et la version annotée précise le libellé que nous proposons.

La sénatrice McCallum : Ce sera bien.

Mme Blackstock : Merci, sénatrice.

La présidente : À titre de précision, madame Blackstock, vous allez nous envoyer tout cela?

Mme Blackstock : Tout a déjà été envoyé à la greffière du comité, et les documents sont en cours de traduction. Je vous ferai également parvenir mes notes d’allocution, si vous le souhaitez. Je ne les ai qu’en anglais, mais je serai heureuse de les envoyer aussi plus tard.

La présidente : Le plan de Spirit Bear dont vous avez parlé est-il expliqué dans la version annotée?

Mme Blackstock : Non, c’est un document supplémentaire que nous n’avons pas fourni, à ma connaissance, mais que nous allons fournir. Il est disponible en français et en anglais, et nous allons vous le fournir.

Très rapidement, on y demande au directeur parlementaire du budget d’établir le coût des inégalités dans les services aux enfants des Premières Nations et de produire un rapport en vue de leur élimination, un peu comme le plan Marshall, qui avait été proposé après la Seconde Guerre mondiale.

Il y a ensuite une deuxième partie, qui consiste à effectuer un examen indépendant tous azimuts des ministères des Services aux Autochtones et des Relations Couronne-Autochtones. En 153 ans, il n’y a jamais eu d’évaluation indépendante de ces ministères pour déterminer ce qui les empêche de faire mieux pour les enfants des Premières Nations, malgré l’information dont ils disposent. C’est la deuxième partie du plan. Je vais m’assurer de vous le faire parvenir cet après-midi.

La présidente : Merci.

La sénatrice Pate : Merci, madame Blackstock, de tout le travail que vous faites et de votre témoignage d’aujourd’hui.

J’aimerais revenir à la question des tribunaux qui se pencheraient sur ces questions et à ce que vous pensez des recoupements de ce projet de loi avec le projet de loi C-78, c’est-à-dire les modifications apportées à la Loi sur le divorce, dont nous sommes également saisis. Ce dernier projet de loi propose des changements quant à la façon dont les décisions seront prises concernant l’endroit où les enfants seront placés et les arrangements familiaux. Je n’ai vu aucune analyse qui montre comment les deux projets de loi vont se recouper. Avez-vous des idées à ce sujet? Sinon, que suggérez-vous que nous fassions à ce sujet?

Mme Blackstock : C’est une question importante. Je crois savoir que le Nouveau Parti démocratique a déposé à la Chambre des communes un projet de loi sur un éventuel commissaire à l’enfance. Il y a un certain nombre de projets de loi qui se recoupent en la matière.

Fait important, le projet de loi C-262 traite de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et nous estimons que cette dernière constitue une base solide pour le projet de loi C-92. Il faut néanmoins renforcer cette base.

Je sais qu’Ardith Walkem, qui est avocate en Colombie-Britannique, a fait une bonne analyse de la Loi sur le divorce et de la question des biens matrimoniaux. Elle a entamé une importante réflexion sur les recoupements entre ces deux projets de loi. Vous pourriez peut-être communiquer avec elle pour savoir ce qu’elle en pense.

Je pense que la question des tribunaux est également en jeu dans ce dossier parce que cette loi, si j’ai bien compris, prévoit des ordonnances de protection d’urgence. Ce n’est pas clair, du moins pour une lectrice comme moi, à quel tribunal il faut s’adresser pour obtenir cette ordonnance de protection. Nous avons entendu diverses opinions d’avocats à ce sujet en ce qui a trait au projet de loi C-92. Certains disent que c’est évident. Ce n’est pas évident pour moi, ni pour beaucoup d’autres avocats-conseils à qui j’ai parlé, parce que le gouvernement fédéral, si je comprends bien, ne peut pas tout simplement imposer cela aux tribunaux provinciaux. Pour ce faire, il doit conclure des ententes avec les tribunaux provinciaux.

Il n’y a rien non plus de prévu quant à la façon d’appuyer les systèmes judiciaires des Premières Nations, ce que beaucoup de Premières Nations aimeraient voir. Il n’y a rien de prévu dans cette loi à ce sujet. Si un tel dossier devait aboutir devant la Cour fédérale, celle-ci n’a aucune expérience des modèles de services à l’enfance et à la famille.

Il y a beaucoup de questions à ce sujet. Je pense que si vous pouviez appeler les auteurs du rapport du Yellowhead Institute, ils pourraient vous en apprendre davantage.

La sénatrice Pate : Vous avez notamment parlé du directeur parlementaire du budget. Les coûts du plan de Spirit Bear n’ont-ils pas été établis?

Mme Blackstock : Non, ils ne l’ont pas été. Le directeur parlementaire du budget a fait du bon travail pour ce qui est d’établir le coût des lacunes en matière d’éducation, en matière d’eau potable et d’éducation dans les Premières Nations, mais nous demandons l’adoption d’une approche globale pour tous ces programmes afin que nous puissions enfin avoir un plan complet qui met fin pour toujours à toutes ces inégalités pour ces enfants et ces familles. Cela n’a jamais été fait.

La sénatrice Pate : Recommanderiez-vous que nous demandions cela?

Mme Blackstock : Oui, et vous pouvez considérer cela comme une plateforme essentielle pour le succès de ce projet de loi.

Nous savons que les enfants des Premières Nations sont 12 fois plus susceptibles d’être pris en charge par les services de protection de l’enfance en raison de la pauvreté, de logements insalubres et de dépendances aggravées par des problèmes de santé mentale. Si le financement équitable de la protection de l’enfance, que nous commençons à obtenir par la voie des tribunaux, n’est pas assorti d’investissements dans ces autres aspects, les familles n’auront pas la même possibilité d’améliorer leur situation de façon significative et de réduire le risque auquel elles sont exposées.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup de votre exposé.

Lorsque vous parlez des tribunaux, je sais que l’Alberta envisage de soumettre toutes les questions de droit de la famille à la Cour du Banc de la Reine, ce qui est une bonne chose à certains égards. Il est également logique que les conflits soient réglés par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, si c’est là que doivent se régler les questions de droit de la famille.

J’ai tellement de questions à vous poser que je ne sais plus par où commencer.

L’une des choses qui m’intéressent vraiment, ce sont les efforts déployés dans le cadre des lois sur la protection de l’enfance aux États-Unis. Dans leurs efforts actifs, les responsables américains parlent de protection des familles autochtones. C’est l’un des principes qui oriente véritablement les travaux menés là-bas. Aux États-Unis, il faut prouver que tout a été fait pour préserver cette unité familiale avant qu’un enfant soit retiré de son milieu familial pour être placé dans une autre famille.

J’ai réfléchi aux trois principes directeurs de ce projet de loi — l’intérêt de l’enfant, la continuité culturelle et l’égalité réelle, qui sont importants —, mais sans le déploiement d’efforts actifs visant à prouver que tout a été fait pour préserver la place de l’enfant dans sa famille, il y aurait matière à poursuite en justice contre le placement d’un enfant dans un foyer d’accueil non autochtone. Que pensez-vous de cette idée d’efforts actifs?

Mme Blackstock : En fait, cette exigence figure déjà dans la plupart des lois provinciales. Il existe déjà des principes de primauté du placement qui exigent cette preuve.

Je ne suis pas sûre que ce libellé soit aussi fort que dans d’autres lois provinciales. Cela m’inquiète un peu. C’est la même chose pour les questions socio-économiques. Vous pouvez dire : « Nous n’allons pas les retirer de leur famille à cause de la pauvreté, mais si nous le faisons, nous allons les placer dans une bonne famille. » Toutefois, à moins de s’assurer que la famille en question habite une maison convenable qui n’est pas remplie de moisissures, rien ne changera pour l’enfant. Vous passez rapidement en revue cette liste parce que la famille n’a pas la capacité de garder l’enfant, non pas par choix, mais parce que les conditions socio-économiques l’ont placée dans cette situation. Vous devez regarder plus bas sur la liste.

L’autre chose que ce projet de loi ne prévoit pas, c’est la possibilité que l’un des parents ne soit pas autochtone. On parle de placement dans une famille, mais il n’y a pas de mesures de protection. Si l’enfant est confié à un parent non autochtone, quelles dispositions sont en place pour protéger la culture de l’enfant? Dans notre version annotée, nous avons mis en place des mesures de protection pour conserver le lien de l’enfant avec sa culture et sa communauté.

Je vous dirais que le problème n’est pas tant dans la loi, mais plutôt dans le manque de ressources qui permettraient aux familles de lui donner ce sens. Cela nous ramène encore une fois à la question du financement du soutien aux familles, de la représentation des familles et de la représentation des enfants eux-mêmes dans ces instances.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Et l’on ne parle pas seulement ici de logements et d’eau potable. Dans une Première Nation près de chez moi, les routes sont tellement mauvaises pendant six mois de l’année qu’à moins d’avoir un véhicule tout-terrain muni d’un treuil de remorquage, il est impossible d’entrer dans la réserve ou d’en sortir. Il est même difficile pour un travailleur social de se rendre dans une communauté pour retirer un enfant de sa famille, ne serait-ce qu’en raison du piètre état des routes.

La sénatrice McPhedran : Merci, comme toujours, d’être parmi nous, madame Blackstock. J’aimerais me concentrer sur les articles 22 et 23 du projet de loi. Je suis désolée de ne pas avoir accès à la version annotée, car la réponse à ma question s’y trouve probablement, mais je vous la pose quand même.

Vous et vos collègues, après avoir analysé le projet de loi sous l’angle des lois fédérales et provinciales existantes, avez déclaré que, même si, à l’étape de la première lecture, il peut sembler que les lois des Premières Nations ont préséance dans la mesure où elles sont conformes à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la Loi constitutionnelle, l’article 23 permet d’enfreindre les lois des Premières Nations s’il est déterminé qu’une disposition n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Même si la sécurité des enfants doit être protégée, le projet de loi des Premières Nations renferme un libellé amélioré à cet égard.

Ai-je raison de dire que vous ne voulez pas que ces deux articles soient supprimés, mais que l’on y apporte plutôt une modification majeure, dont nous prendrons connaissance lorsque nous aurons le document?

Mme Blackstock : C’est exact.

La sénatrice McPhedran : Deuxièmement, j’ai été immédiatement interpellée lorsque vous avez parlé d’une évaluation indépendante. Je pense que personne ne contestera ce principe, mais à ma connaissance, une fois que nous nous engageons dans cette voie dans un contexte gouvernemental, nous devons nous tourner vers le vérificateur général du Canada. Aimeriez-vous que les parlementaires prennent l’initiative de demander au vérificateur général du Canada de mener une évaluation indépendante, ou de l’inviter à le faire?

Mme Blackstock : C’est une question intéressante. En fait, le vérificateur général est en train de terminer un examen des services à l’enfance et à la famille, mais son mandat est différent de ce que nous envisageons dans le plan de Spirit Bear.

Nous aimerions qu’il y ait un groupe d’experts indépendants comprenant des intervenants qui sont normalement des bénéficiaires de services, si vous voulez, dans le cadre d’une relation de nation à nation avec le Canada, et qu’ils guident une équipe d’évaluation compétente qui se rendrait à AANC afin de se pencher sur la question de façon indépendante. Cet exercice viserait à cerner les vestiges de l’ère coloniale qui empêchent d’obtenir les meilleurs résultats pour les familles et les enfants.

Ce n’est pas la même chose que le vérificateur général, qui a certains paramètres à respecter. Le vérificateur n’a pas vraiment le pouvoir d’aller sur place et d’examiner la culture.

Je tiens toutefois à souligner que l’ex-vérificateur général, le regretté Michael Ferguson, a indiqué que la culture de la fonction publique était l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre des nombreuses recommandations du vérificateur général concernant l’amélioration des services offerts aux Premières Nations.

Le sénateur Christmas : Je suis heureux de vous revoir, madame Blackstock, et de revoir Spirit Bear. Il a l’air très bien ces jours-ci.

Mme Blackstock : Je sais. Pour un aîné, il se porte plutôt bien.

Le sénateur Christmas : Merci d’être ici aujourd’hui pour nous faire part de votre expérience et de vos idées.

Je vous remercie de défendre les intérêts des enfants pris en charge. C’est très apprécié. Ma femme et moi avons pris soin de nombreux enfants pendant de nombreuses années, tant comme parents que sur le plan juridique. Nous avons gardé des enfants en famille d’accueil et nous avons adopté des enfants. Malheureusement, j’ai des petits-enfants qui sont passés à la fois par les systèmes provinciaux de garde d’enfants et les systèmes de garde des Premières Nations.

Ce sur quoi je veux vraiment me concentrer, ce sont les enfants pris en charge en milieu urbain. Malheureusement, je connais des gens, y compris des membres de ma famille élargie, qui ont vraiment eu de la difficulté avec des organismes de garde d’enfants non autochtones en milieu urbain. C’est horrible.

J’ai été intrigué par vos commentaires sur la façon dont on peut prendre soin des enfants des Premières Nations en milieu urbain. Je sais que vous avez fait quelques remarques en passant au sujet des accords de réciprocité, mais pouvez-vous prendre quelques instants pour expliquer comment des soins fondés sur les distinctions peuvent être mis en œuvre en milieu urbain?

Mme Blackstock : C’est une question importante qui ne sera pas réglée dans le cadre d’une simple conversation entre nous. Ce que nous avons constaté et ce dont nous avons discuté au cours des nombreuses années d’examen avec le ministère, c’est que nous avons déjà plus de 105 organismes des Premières Nations qui existent depuis 40 ans ou plus. Nous devons reconnaître que la capacité existe déjà.

De plus, même s’ils sont souvent critiqués, ces organismes sont en fait environ 50 p. 100 moins susceptibles de retirer un enfant de sa famille que les organismes non autochtones parce qu’ils connaissent le système de la famille élargie. Malgré leur sous-financement considérable, ils connaissent la culture à fond, et ils y sont beaucoup plus sensibles. Ils font du bon travail, et j’espère qu’avec le financement supplémentaire qu’ils obtiennent par la voie des tribunaux, ils feront encore mieux.

Il y a plusieurs façons de procéder. L’une consiste à étendre le mandat à l’extérieur des réserves. Nous avons demandé au ministère de s’assurer que ces organismes disposent des fonds nécessaires pour s’acquitter de leur mandat à l’extérieur des réserves. Le ministère a refusé de le faire lors de la dernière série de mandats et d’autorisations qui ont été renouvelés l’an dernier, pour des raisons qui ne me satisfont pas.

L’autre moyen de s’y prendre serait de conseiller une autre organisation autochtone urbaine chargée d’offrir des services. On pourrait se servir, par exemple, de la télésanté, sauf qu’on parlerait de « télé-aînés » ou de « télé-famille ». Ces éléments technologiques permettent d’apporter leur culture et leur langue aux enfants vivant en milieu urbain et de les relier à la famille élargie et même, en fait, au territoire.

Nous espérons aussi que des fonds seront consacrés au retour des enfants dans leurs communautés. Par exemple, si vous habitez Toronto, il y aurait un programme de réunification de la famille, dans votre nation, qui vous aiderait, même si vous n’avez jamais grandi dans cette communauté — peut-être vos parents ou vous avez été séparés à la suite de la rafle des années 1960 —, à renouer des relations avec votre communauté, à vous rendre sur place et à y nouer des relations avec votre famille élargie et avec votre nation. Par la suite, ces relations pourraient être entretenues grâce, à la fois, à des visites en personne et à des moyens de communication technologiques.

Ce sont de merveilleuses possibilités. Il est clair qu’elles sont accessibles à tous sur le plan pratique, comme nous l’avons constaté grâce aux différents types d’innovations dans les domaines de la langue et de la télésanté, excepté, peut-être, que nous allons maintenant créer « télé-aînés » ou peut-être même « télé-ourson ».

Le sénateur Christmas : Je vais essayer de résumer votre point de vue. Plutôt que de continuer à faire intervenir les organismes provinciaux, vous proposez de faire appel aux 105 organismes autochtones de protection de l’enfance. Qu’on leur donne les moyens, le mandat et la capacité à fournir ces niveaux de services et de soins dans les régions urbaines. C’est bien cela?

Mme Blackstock : Oui. Il faudrait élargir leur mandat à l’intérieur et à l’extérieur des réserves. Et, là où ce ne sera pas possible, s’il n’y a pas d’organisme autochtone à proximité d’un grand centre urbain, il faudrait travailler avec la Première Nation hôte et d’autres communautés autochtones de la région pour créer un organisme ou un mécanisme permettant d’offrir des services aux membres de la communauté qui vivent dans cette région. Il faudrait aussi un système de reddition de comptes à l’intention de la communauté d’origine de l’enfant. Il s’inspirerait du modèle des Services à l’enfance et à la famille autochtones, avec certaines adaptations. Je pense que cela fonctionnerait.

Le sénateur Christmas : Merci, madame Blackstock.

Le sénateur Tannas : Merci d’être parmi nous, madame Blackstock.

Est-ce que vous estimez qu’on vous a suffisamment consultée dans le cadre de l’élaboration du projet de loi? Avez-vous participé? Est-ce que vous faisiez partie des 2 000 personnes qui ont participé à l’élaboration de ce projet de loi?

Mme Blackstock : Pas de façon substantielle. J’ai surtout participé par le biais du tribunal — les audiences en cours sont la façon dont je le fais.

J’ai dit au gouvernement : « Vous utilisez le mot ‘ participation ‘, mais qu’est-ce que cela veut dire? » Je ne sais pas ce que recouvre le mot « participation ».

Le sénateur Tannas : Cela pourrait vouloir dire qu’ils vous ont écrit une lettre, n’est-ce pas?

Mme Blackstock : Je ne sais pas.

Je sais ce que signifie le mot « consultation » dans la DNUDPA. Mais on nous a dit clairement qu’il s’agissait de participation et non de consultation.

Les gens qui ont témoigné et à qui j’ai parlé ont systématiquement soulevé la question du financement dans toutes les Premières Nations du Canada. Les Premières Nations savent très bien que, sans ressources financières suffisantes, elles ne seront pas en mesure d’exercer leur compétence. Mais cela continue d’être réfuté dans les versions du projet de loi.

Quand j’ai pris connaissance d’une ébauche du projet de loi, que j’y ai réagi et que, comme bien d’autres, j’ai rappelé qu’il fallait des ressources financières, on n’en a pas tenu compte dans la version suivante. C’est le gouvernement seul qui a décidé du contenu du projet de loi. Il n’a pas tenu compte de l’avis des Premières Nations ni, à ma connaissance, de l’avis des Métis ou des Inuits dans la rédaction du projet de loi, et il ne nous a pas permis de voir une deuxième ébauche du projet de loi pour nous assurer que certains des principaux éléments qui nous semblaient être des conditions préalables au succès de ce projet y avaient été intégrés. Je sais qu’on dit que le projet de loi est le fruit d’une collaboration, mais ce n’est pas ce que j’ai constaté.

Le sénateur Tannas : À titre indicatif, je dois dire qu’il est étonnant de voir, ici au Canada, des gouvernements successifs vouloir tout le symbolisme et toute la gloire sans s’atteler au travail ardu qu’il y a lieu de faire, aussi bien que des gouvernements qui voient et comprennent le travail ardu qu’il y a à faire, mais qui estiment que c’est trop demander. Ne serait-ce pas merveilleux qu’un jour un gouvernement reconnaisse l’importance de cet enjeu et soit prêt à travailler dur pour obtenir quelque chose de valable? C’est désolant.

Je voulais vous poser une question au sujet du financement. Je crois savoir que nous allons entendre M. Page, qui a évalué les coûts en votre nom ou en collaboration avec vous.

Mme Blackstock : Oui.

Le sénateur Tannas : Vous proposez d’ajouter dans le projet de loi une — je ne sais pas comment vous l’appelleriez — une disposition coercitive prévoyant que, à mesure que les communautés se développeront, le financement sera à hauteur d’un montant tenant compte, par exemple, des pensionnats et ainsi de suite. Il ne suffirait pas de faire la moyenne entre un enfant de l’Alberta et un enfant autochtone de l’Alberta et de l’appliquer ici pour que les jeux soient faits. Il faudrait, en fait, procéder à certains calculs, peut-être dans le sens de ce que M. Page a fait, pour déterminer ce qui serait « égal », pour que ce soit vraiment égal.

Dans notre amendement ou notre proposition, nous dirions donc que, si une entente de financement ne peut pas être négociée, cela deviendrait automatiquement l’entente de financement dans un délai d’un an. C’est bien cela? C’est bien ce que vous proposez?

Mme Blackstock : Ce que nous demandons, c’est l’insertion de principes de financement.

Vous avez tout à fait raison de souligner la qualité du travail de Kevin Page dans le rapport de l’IFPD. C’était basé sur les données de 2017-2018. Il est important que le comité sache que, là aussi, il a constaté des lacunes dans les organismes. Par exemple, les deux tiers d’entre eux n’étaient pas en mesure d’offrir à leur personnel des salaires comparables à ceux des provinces.

L’ordonnance rendue par les tribunaux en 2018 a un peu amélioré la situation, mais je pense que, quand M. Page comparaîtra, il vous dira qu’on recommande une deuxième étape de recherche.

Je peux vous dire que le Comité consultatif national des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations appuie complètement ce point de vue. Le comité de consultation sur la protection de l’enfance, composé des parties au tribunal, a consenti à cette deuxième étape, mais le Canada n’a pas accepté de la financer.

Nous estimons que c’est essentiel pour alimenter cette perspective à long terme, non seulement dans le but d’aider les organismes de services à l’enfance et à la famille, mais aussi de s’interroger plus généralement non pas sur une formule, mais sur certains principes de financement. Quels sont les principes et les modes de financement qui permettront d’aider les Premières Nations à élaborer et à appliquer leurs propres lois et institutions concernant les enfants et les familles? Ces deux éléments sont nécessaires.

Le sénateur Tannas : Pour mémoire, il se peut — parce que nous sommes déjà passés par là au Sénat — que nous ne soyons pas autorisés à nous mêler des amendements concernant le financement ou l’argent. Nous n’en avons pas le droit. Nous allons voir s’il y a une échappatoire dans ce cas, mais j’en doute.

Donc, compte tenu du fait que nous ne pourrons pas vous aider sur le plan du financement, est-ce que nous devrions quand même adopter ce projet de loi?

Mme Blackstock : Je ne peux pas me prononcer dans un sens ou dans l’autre, parce que je sais qu’il y a des Premières Nations qui appuient l’adoption de ce projet de loi dans sa forme actuelle. Je tiens à respecter le rôle des titulaires de droits dans ce débat avec vous.

Tout ce que je peux dire, c’est que, si je me fie à mon expérience, si j’étais placée devant cette situation faustienne, à choisir entre la compétence et le financement, je crois que je choisirais l’argent parce que c’est plus difficile à obtenir.

Le sénateur Tannas : Merci.

La présidente : Merci. Nous avons terminé. Au nom du comité, je tiens à remercier Mme Blackstock et Spirit Bear d’être venus nous voir ce matin.

Dans le groupe de témoins suivant, le comité est heureux d’accueillir Francyne Joe, présidente de l’Association des femmes autochtones, Virginia Lomax, conseillère juridique, et Melissa Lambert-Tenasco, conseillère politique. Nous accueillons également Kevin Page, président et premier dirigeant de l’Institut des finances publiques et de la démocratie.

Merci d’avoir pris le temps de venir nous parler ce matin. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de Mme Joe, qui sera suivie de celle de M. Page.

Vous avez la parole, madame Joe.

Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Merci. [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]

Bonjour, madame la présidente, honorables sénateurs et chers collègues. Je vous remercie de m’avoir invitée à me prononcer sur le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Je suis membre de la Première Nation Shackan, située au sud de Merritt, en Colombie-Britannique. Nous nous réunissons ici sur le territoire traditionnel non cédé et non abandonné du peuple algonquin. J’utiliserai le féminin.

Depuis 1974, l’AFAC est la voix collective des femmes, des filles et des personnes non binaires des Premières Nations, vivant dans les réserves et hors réserve, qu’elles soient inscrites ou non, ou métisses et inuites privées de leurs droits.

L’AFAC reconnaît que le projet de loi C-92 est important. Il y a aujourd’hui plus d’enfants en famille d’accueil qu’il n’y en a jamais eu dans les pensionnats, et cela prouve que l’érosion coloniale des unités familiales et collectives autochtones se poursuit au Canada. Nous savons depuis longtemps qu’il faut prendre des mesures immédiates pour redonner le pouvoir à qui de droit, à savoir les nations et les familles autochtones.

Aujourd’hui, je vais parler de nos préoccupations concernant la mise en œuvre du projet de loi C-92. On aurait pu éviter beaucoup de mises en œuvre successives si les femmes autochtones avaient eu leur mot à dire dans la rédaction du projet de loi. Ce projet de loi n’a pas été rédigé en collaboration avec les femmes autochtones.

La première limite est l’ambiguïté des définitions, notamment celle de « corps dirigeant autochtone » à l’article premier. Cette définition est trop générale parce qu’elle prévoit qu’« un conseil, gouvernement ou autre entité » constitue un corps dirigeant autochtone, mais elle ne donne aucune directive claire sur la façon de déterminer quel conseil, quel gouvernement ou quelle autre entité serait autorisé à représenter une communauté autochtone. Cela pose problème parce que la définition pourrait aussi bien englober des organisations autochtones nationales ou de futurs organismes constitués en personne morale plutôt que des administrations locales.

L’emploi vague du mot « autorisé » ajoute à la confusion. L’AFAC craint que les lois occidentales et les lois autochtones entrent en conflit si l’on accorde des pouvoirs à un gouvernement en particulier sans prévoir de mode de règlement clair. Si la décision finale appartient au ministre, ce projet de loi ne respecte pas la compétence inhérente des Autochtones, et il s’agira simplement d’une autre extension du pouvoir de l’intermédiaire.

Deuxièmement, on ne trouve aucune indication claire de la façon dont les corps dirigeants autochtones seront financés. Il n’y a ni niveau ni structure de financement garantis, bien qu’on admette, dans le préambule, le besoin d’un financement durable et prévisible. Faute de financement clair, stable et structuré, comme le prévoit la loi, les objectifs énoncés dans le préambule sont nuls et non avenus.

Beaucoup de communautés souffrent depuis longtemps d’un sous-financement chronique. On ne peut pas compter sur des promesses non écrites quand il s’agit de s’occuper des enfants et des familles. On doit se contenter de supposer que le gouvernement fédéral a bien l’intention d’aborder cette question dans les accords de contribution, mais ce n’est pas non plus précisé dans le projet de loi, de sorte qu’aucun représentant futur du gouvernement ne sera tenu de respecter cette intention.

Ce financement ne peut pas être structuré comme les accords de contribution, parce que cela reviendrait à laisser aux gouvernements fédéral et provinciaux le contrôle de l’utilisation de cet argent par les corps dirigeants autochtones. Ce n’est pas cela, l’autonomie gouvernementale.

Le projet de loi C-92 prévoit clairement des structures de financement qui profiteront directement aux enfants, aux familles et aux communautés dans lesquelles ils résident, dans les réserves ou hors réserve, ou en milieu urbain, rural ou éloigné. Un financement stable favorise effectivement l’autonomie gouvernementale des Autochtones.

Je voudrais enfin parler de la protection de la vie privée des enfants autochtones et de leurs familles. Selon le paragraphe 12(1), le corps dirigeant autochtone doit être avisé des mesures importantes. Selon la définition ambiguë dont j’ai parlé tout à l’heure, il pourrait s’agir de fournir des renseignements sur un enfant et sa famille à une société, à une ONA ou à un conseil de bande, quand il y a risque de violence latérale ou de discrimination à l’égard de l’enfant ou de la famille.

Nous sommes conscientes que le paragraphe 12(2) a été ajouté au projet de loi et qu’il constitue, par rapport au texte original, une amélioration visant à protéger les renseignements personnels. Mais nous savons aussi qu’il y a toujours un risque d’identification, surtout dans les petites communautés. Nous nous inquiétons également de l’article 28, qui porte sur la collecte, la conservation, la communication et l’utilisation de renseignements sur les utilisateurs des services. Cet article a besoin de la même protection que l’article 12.

Nous soulevons ces questions parce que nous savons que nos enfants méritent tout ce que nous pouvons leur donner. Nous sommes conscientes que ce projet de loi transforme profondément le fonctionnement actuel du système, mais nous devons aussi veiller à ce qu’il contienne les modifications nécessaires pour vraiment protéger les enfants autochtones et respecter véritablement la compétence inhérente et l’autonomie gouvernementale des Autochtones. Continuons de travailler ensemble, entre partenaires égaux, pour améliorer les services à l’enfance et à la famille pour le bien des enfants et des familles autochtones. [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Merci.

Kevin Page, président et premier dirigeant, Institut des finances publiques et de la démocratie : Madame la présidente, honorables membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, je vous remercie de votre invitation. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui. Je vous félicite et vous suis reconnaissant de votre détermination à examiner le contenu du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, avant que le Sénat n’en soit saisi.

Je ferai quelques observations sur les aspects financiers du projet de loi. Ces observations traduisent l’analyse effectuée par l’Institut des finances publiques et de la démocratie à la demande de l’Assemblée des Premières Nations et du Comité consultatif national sur les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Ce travail a été réalisé par Mme Helaina Gaspard, qui m’accompagne aujourd’hui.

Le rapport de l’IFPD révèle que la structure du système est défaillante. Les coûts continuent d’augmenter dans un système qui ne produit pas de bons résultats. Les membres des Premières Nations représentent un peu moins de 3 p. 100 de la population canadienne, et pourtant les enfants des Premières Nations représentent 35 p. 100 des enfants pris en charge.

L’orientation stratégique du projet de loi C-92 est positive, car elle met l’accent sur la place et le rôle des soins communautaires préventifs destinés aux enfants et aux familles autochtones. Il y a cependant un problème évident. Le projet de loi C-92 énonce les principes régissant la prestation des services, mais il ne lie pas la compétence aux ressources nécessaires.

J’ai deux choses à dire au sujet des aspects financiers du projet de loi C-92.

Premièrement, il faut un quatrième principe pour établir le budget du bien-être. On a besoin d’un engagement à inclure la budgétisation au rendement. Je veux dire par là que les fonds doivent être attribués dans le but d’obtenir des progrès évalués en fonction des résultats mesurables prévus dans le projet de loi.

Les indicateurs du bien-être doivent comprendre des résultats mesurables, comme la concrétisation d’objectifs de développement physique et psychosociologique, la possibilité d’apprendre des langues autochtones, et le développement du sentiment d’appartenance, plutôt que le nombre de fois qu’un enfant est pris en charge, ce qui ne nous aide pas à comprendre si un enfant s’épanouit.

De même, le libellé du préambule concernant le financement prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle devrait être défini de manière à faciliter la collecte de renseignements — articles 27 à 30 — et la reddition de comptes — article 31.

Deuxièmement, nous devons adapter l’égalité réelle pour l’aligner sur les résultats. Le projet de loi renvoie à une série de droits visant à promouvoir l’égalité réelle, mais la façon dont l’égalité réelle sera mesurée n’est pas définie. Les droits sont importants, mais les résultats aussi.

Le préambule du projet de loi C-92 souligne l’engagement du gouvernement du Canada à promouvoir la dignité et le bien-être des enfants, des jeunes, des familles et des communautés autochtones. Il faudrait envisager de réviser le projet de loi C-92 pour y modifier le principe de l’égalité réelle — paragraphe 9(3) — en y incluant des résultats mesurables au regard du bien-être.

Les lacunes du projet de loi C-92 concernant les ressources, les nouvelles orientations stratégiques, et les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont préoccupantes. Le gouvernement et les décideurs veulent élargir la compétence autochtone sans prévoir de ressources à hauteur de cet objectif. On parle d’égalité réelle, mais pas de résultats mesurables ni de financement pour la concrétiser. Les données recueillies dans le monde entier montrent que le rendement des dépenses consacrées aux programmes essentiels est nettement supérieur au coût de leur mise en œuvre.

Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La sénatrice Busson : Monsieur Page, vous avez dit qu’on a besoin de résultats mesurables pour évaluer le succès du projet de loi C-92. Pourriez-vous me donner une idée des critères qui, selon vous, seraient valables et crédibles à cet égard?

M. Page : Je vous remercie de votre question. À l’heure actuelle, la formule de financement met l’accent sur le fait que les fonds sont effectivement versés quand les enfants sont pris en charge. C’est bien sûr un incitatif. Mais, bien souvent, cela ne donne pas d’autre alternative, dans un système aux limites de sa capacité, que de placer les enfants en famille d’accueil.

Si nous commencions à suivre les indicateurs de bien-être... il y a un éventail d’indicateurs auxquels j’ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire, comme la santé, la force émotionnelle, la stabilité, la littératie dans la langue maternelle, et la numératie. Intéressons-nous aux éléments d’épanouissement des enfants, plutôt qu’à leur placement en famille d’accueil. Si nous commençons à mesurer ces résultats et à fournir des ressources ciblées et suivies en fonction de la concrétisation de ces résultats et si nous adaptons ces ressources au fur et à mesure, je pense que nous aurons plus de succès que ce que nous obtenons en ce moment.

La sénatrice Busson : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonjour, et merci beaucoup pour vos exposés.

Mes questions s’adressent à M. Page. La première concerne les résultats mesurables. Bien des gens ne se rendent pas compte que le seul argent qui ait jamais été versé aux Premières Nations pour les services à l’enfance, si elles avaient une entente, était destiné à la prise en charge. Il y avait une incitation à la prise en charge parce que c’était le seul moyen d’être payé.

Je pense que l’idée de résultats mesurables dépend de la définition de « prévention ». On parle de services de prévention, mais je n’ai pas l’impression qu’on a bien défini ce qu’on entend par ce mot.

Diriez-vous qu’une définition plus précise du mot « prévention » donnerait lieu à des résultats mesurables si nous faisions du bon travail à cet égard?

M. Page : Oui. Il y a des aspects encourageants dans ce projet de loi en ce qu’il met l’accent sur la prévention et les soins prénataux. Il parle de financer des services d’ordre préventif ou prénatal, qui devraient en fait l’emporter sur d’autres types de dépenses, mais vous avez raison. Nous sommes bons dans la société non autochtone pour décider quels indicateurs importent à nos yeux. Pour les gouvernements, il importe de faire croître l’économie, d’augmenter le taux d’emploi et de réduire le taux de pauvreté, mais lorsqu’on transpose cela dans les collectivités des Premières Nations, c’est tout le contraire.

Lors de notre étude sur les organismes des Premières Nations qui offrent des services à l’enfance et à la famille, nous avons constaté qu’ils consacrent très peu d’argent à la prévention. D’ailleurs, nous avons essayé de trouver ne serait-ce qu’une définition praticable de ce que ce travail impliquerait. Lorsque nous parlons aux gens des organismes, eux savent ce que cela implique. C’est d’intervenir auprès des familles avant que la crise éclate, d’agir en amont pour régler ces problèmes.

À propos du financement accordé dans les 105 collectivités dont parlait Mme Blackstock, nous avons pu sonder près de 80 d’entre elles. Il y en avait quelques-unes qui affectaient une bonne partie de leur argent à la prévention, mais dans l’ensemble, la plupart n’avaient pas les ressources nécessaires pour s’en occuper.

Encore une fois, il est bon que la loi mette l’accent sur la prévention. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’elle n’est pas bien définie. Il y a des gens des organismes qui sont en mesure de la définir, comme Mme Blackstock et d’autres. C’est un progrès, en tout cas, de passer de la protection à l’épanouissement des enfants.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Quel lien faites-vous entre compétence et financement? Mme Blackstock a bien dit qu’ils ne sont pas distincts, que le financement est l’expression de la compétence. Comment feriez-vous le lien entre ces éléments dans le projet de loi?

Je vous demande votre avis sur des amendements aux endroits où il est question de compétence, pour que l’élément de financement vienne tout de suite après ou dans le même article.

M. Page : Il devrait y avoir une définition de « compétence », évidemment. Dans l’analyse effectuée avec Mme Gaspard, nous demandions justement : « Pouvons-nous définir un modèle d’allocation de ressources qui va avec cette compétence? »

S’il y a de nouvelles collectivités qui veulent assumer ce genre de compétence et qui ne le font pas actuellement, nous devrions définir en quoi cela consiste et leur allouer les ressources. Nous devrions avoir quelque chose comme un modèle praticable pour tous les organismes. Nous en avons déjà une bonne idée, à force de travailler avec ces collectivités.

Oui, il nous manque une définition.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous tous pour tout le travail que vous faites et pour vos exposés d’aujourd’hui.

Pour faire suite à la dernière question de la sénatrice LaBoucane-Benson, un des problèmes que nous avons — et le sénateur Tannas l’a soulevé avec nos derniers témoins —, c’est que lorsque nous commençons à faire des amendements qui ont l’air de toucher au financement, il y a des limites à ce que le Sénat peut faire.

Comment envisagez-vous ces amendements? J’aime le lien que vous avez fait, monsieur Page, avec l’égalité réelle, mais il faudrait pour cela que le gouvernement mette en œuvre des ententes de financement qui ne seraient pas du ressort du Sénat.

M. Page : Madame la sénatrice, je me réjouis que le comité se penche là-dessus pendant qu’on est encore au stade de l’étude préliminaire.

Le projet de loi énonce trois principes : l’intérêt de l’enfant, la continuité culturelle et l’égalité réelle. Comme on l’a dit, il nous manque — c’est sans doute évident pour vous tous qui lisez cela — un quatrième principe qui consisterait à budgéter en fonction de ce bien-être que nous visons.

Le financement n’est mentionné pour ainsi dire que dans le préambule du projet de loi, ce qui ne lui donne pas beaucoup de force, diraient de nombreux avocats. Cela ne va pas plus loin que cela. Je vous lis le passage :

Attendu que le gouvernement du Canada reconnaît la demande constante d’obtention d’un financement pour les services à l’enfance et à la famille...

On énonce ensuite un certain nombre de principes.

Donc, je pense qu’il faut un quatrième principe pour combler une énorme lacune, un principe portant uniquement sur l’allocation de ressources. Suivant la ligne de pensée de Mme Blackstock et d’autres avec elle, qui met l’accent sur l’épanouissement des enfants plutôt que sur leur prise en charge, on décrit comment se fera cette allocation de ressources.

À propos de l’égalité réelle, nous avons un certain nombre de paragraphes, de a) jusqu’à e), qui traitent des droits des enfants, des droits des membres de la famille, des droits des corps dirigeants autochtones, des lacunes dues aux conflits de compétence visés par le principe de Jordan. Nous devrions énumérer ce qui manque ici dans ce principe. Le libellé du préambule, qu’est-ce que cela veut dire pour les nouvelles instances qui prendront sur elles d’offrir les services? Qu’est-ce que cela veut dire, obtenir un financement prévisible? Qu’est-ce qu’on entend par un financement stable, durable, fondé sur les besoins ou conforme aux principes de la norme? Il faut clarifier dans les paragraphes de ce principe ce qui manque ici.

Les ressources doivent être affectées en fonction des résultats mesurables que des experts comme Mme Blackstock et les Autochtones définiront pour nous. Nous devrions faire un suivi semestriel pour nous assurer qu’il y a des progrès.

En l’absence de progrès, nous pourrions avoir besoin de ressources supplémentaires pour améliorer les résultats. D’après toutes les études qui ont été faites au Canada et ailleurs dans le monde, l’impact socioéconomique d’un dollar investi dans un enfant, le rendement de cet investissement est considérable, multiplié bien des fois. Le sous-financement n’a pas sa place ici, car nous avons affaire à des enfants et des familles en crise.

La sénatrice McCallum : Merci pour vos exposés. Je veux revenir au manque d’inclusion des femmes dans ce projet de loi. On en parle très peu. Les femmes sont pratiquement réduites au silence, pourtant elles jouent un rôle essentiel dans l’éducation des enfants. C’est le devoir sacré des femmes. Les femmes n’ont pas leur mot à dire sur l’objet et l’orientation de ce projet de loi. Comment pourrait-on faire peser ici les droits de la personne en matière d’éducation des enfants?

Mme Joe : Vous avez tout à fait raison. Nous avons reçu ce projet de loi, je crois, 36 heures après l’annonce, de sorte que nous n’avons pris aucune part à son élaboration. Nous avons eu 36 heures pour l’analyser et faire part de nos commentaires au ministre.

Sur une question aussi importante, on ne devrait pas tant nous presser de réagir. Lorsqu’il s’agit de nos enfants, vous avez raison. Même si on n’est pas une mère biologique, on peut être une tante ou une cousine et s’occuper de tous les enfants de la communauté. Pour contribuer davantage, nous devons être consultées davantage.

Je ne sais pas, Virginia, si vous avez d’autres commentaires.

Virginia Lomax, conseillère juridique, Association des femmes autochtones du Canada : Vous avez tout à fait raison de dire qu’en lisant ce projet de loi, on voit bien qu’il n’y a pas eu d’analyse différenciée selon les sexes. Il est clair que les voix des femmes victimes de discrimination ne sont pas prises en compte dans le libellé de ce projet de loi.

Francyne a parlé plus tôt de la définition de « corps dirigeant autochtone » dans le projet de loi. Cette définition ne distingue aucunement entre les sexes. Est-ce qu’on présume que ce sera le chef et le conseil? Est-ce que ce sera un organisme non autochtone? Ce n’est pas clair.

Quel que soit ce corps dirigeant autochtone, il y a une discrimination de longue date envers les femmes dans ces endroits et dans bien d’autres. Les femmes et les enfants ont besoin de savoir que ce projet de loi va les protéger. On ne sait même pas qui aurait le pouvoir d’adopter des lois en leur nom. Ce pourrait même être des personnes qui ont fait de la discrimination contre elles dans leur collectivité. Nous savons que des femmes autochtones ont pu être victimes de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens, et cela explique en grande partie pourquoi beaucoup d’entre elles et leurs enfants sont devenus des Indiens non inscrits dans notre pays. Nous savons que cette discrimination persiste et qu’elle crée beaucoup de complications pour les femmes, même dans les réserves. Elles ont subi de la discrimination et elles risquent d’être exclues des bienfaits de ce projet de loi.

C’est une grave lacune que nous avons relevée dans le libellé du projet de loi. Il est évident qu’il fallait consulter bien davantage les femmes autochtones, non seulement dans les réserves, mais aussi hors des réserves, et aussi les femmes métisses et inuites qui vivent peut-être autre chose dans leurs structures de gouvernance. Il n’est pas clair que ces femmes ou leurs enfants qui ont peut-être eu affaire aux services à l’enfance et à la famille ont été inclus.

La sénatrice McCallum : Allez-vous envoyer des recommandations ou des amendements à ce sujet?

Mme Joe : Absolument.

La sénatrice McCallum : J’aimerais revenir à la question de l’égalité réelle. Je regardais ce que vous avez dit au sujet d’un financement prévisible et stable. L’égalité réelle passe par l’égalité d’accès, l’égalité des chances et, surtout, la fourniture de services et de prestations.

Une relation d’égalité réelle se mesure entre des groupes. En l’occurrence, la loi parle des « enfants autochtones » et des « autres enfants ». Existe-t-il des données sur ces deux groupes, ce dont je doute? Comment fait-on pour mesurer si on atteint l’égalité réelle?

M. Page : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Les questions d’égalité sont difficiles pour les philosophes et les économistes. Ici comme principe numéro trois, l’égalité réelle repose essentiellement sur des droits. Je pense que ce n’est pas une affaire de résultats.

Une des raisons pour lesquelles nous avons ce projet de loi, c’est que le gouvernement se rend compte qu’il a manqué son coup avec les enfants et les familles autochtones, quand on voit le nombre d’enfants pris en charge et tous ceux qui souffrent de divers problèmes médicaux, de toxicomanie et de troubles de santé mentale. Dans les données que nous avons pour comparer les enfants autochtones et non autochtones, on relève des écarts.

Si le principe de l’égalité réelle doit aller plus loin et s’appliquer à des résultats, il faut que le libellé de la loi et la façon dont on définit les résultats soient porteurs de sens pour les Premières Nations.

En tant que non-Autochtone, je serais mal à l’aise de leur dire ce qu’est l’égalité. Les gens des Premières Nations ont leur propre idée de la façon de mesurer cela.

C’est à eux de nous dire ce qu’il faut entendre par « réelle » et par « égalité » et comment ils vont le mesurer. Les liens avec la terre et les langues ancestrales dont parle Mme Blackstock, comme le Spirit Bear et la spiritualité, sont extrêmement importants. On pourrait également les mettre en évidence sur le plan de la santé mentale.

À mon avis, ce n’est pas quelque chose qu’on voit nécessairement dans un bilan, avec les Autochtones d’un côté et les non-Autochtones de l’autre.

La notion d’écart existe depuis l’Accord de Kelowna. Nous savons qu’il y a des écarts. Mais la façon de les cibler, au bout du compte, même dans cet article à propos des résultats, cela doit venir des Premières Nations, je crois.

Le sénateur Tannas : Monsieur Page, je comprends ce que vous dites, et je m’intéresse à l’égalité réelle. Malheureusement, je ne crois pas qu’il reviendra aux gouvernements autochtones de fixer les montants que le gouvernement canadien leur donnera. Je ne pense pas qu’il y ait un monde où cela existe. Nous devons donc trouver une formule ou un mécanisme par lequel nous pourrions obliger le gouvernement, moralement ou légalement, à délier les cordons de sa bourse.

Pendant que vous parliez, je me demandais s’il n’y aurait pas là un rôle pour le directeur parlementaire du budget, un agent du Parlement, théoriquement séparé du gouvernement. Nous pourrions rechercher un mécanisme qui nous permettrait de faire cela, parce que Mme Blackstock a bien dit que c’est ce travail-là qui est difficile, qui ne se fait pas et qu’il faut faire pour que ce soit plus qu’une victoire de dernière minute avant les élections, une victoire symbolique.

Si nous disions que l’égalité réelle devrait déterminer le financement, et que ce serait mesuré tous les quatre ans dans une étude du DPB, nous aurions alors un levier qui permettrait, à tout le moins, de demander au gouvernement pourquoi il ne fait pas telle chose et au DPB de signaler que telle chose n’est pas faite. Selon vous, y a-t-il là matière à réflexion?

M. Page : Je suis bien d’accord avec ce que vous dites : établir des cibles correspondant à des indicateurs de bien-être, pas seulement le nombre d’enfants pris en charge, et revoir ces cibles sur une base annuelle, peut-être même pas aux quatre ou cinq ans, juste faire un suivi annuel et avoir un regard indépendant. Ce pourrait être celui du DPB ou d’un autre groupe indépendant qui évalue si, oui ou non, des indicateurs comme des changements de programme, un changement de compétences et l’affectation des ressources vont dans la bonne direction. Je pense que c’est absolument nécessaire, en fait. À vrai dire, sénateur, cela me semble tout à fait logique.

Le sénateur Tannas : Nous donneriez-vous un coup de main lorsque nous préparerons quelque chose à ce sujet?

M. Page : Absolument.

Le sénateur Tannas : Merci.

La présidente : Je vais poser une question qui fait suite à cela.

Il y a des années, ce comité étudiait les écarts de financement de l’éducation entre le système scolaire public et les réserves. Je ne sais pas s’il a trouvé quelque chose, mais une des choses que j’ai constatées en parlant avec un ancien premier ministre de la Saskatchewan, c’est que la formule de financement provinciale pour l’éducation tenait compte du genre de choses dont nous parlons aujourd’hui, par exemple, l’éloignement de l’école. Dans le Nord de la Saskatchewan, il faut plus de fonds pour les écoles et le matériel, ce genre de choses. Il ne s’agit pas seulement du nombre d’étudiants. C’est lié au programme d’études, donc les écoles françaises, par exemple, reçoivent des fonds supplémentaires pour l’enseignement de la langue française. C’est une formule qui va plus loin que le simple nombre d’étudiants.

Connaissez-vous des formules de ce genre qui pourraient s’appliquer au financement des services à l’enfance et à la famille? Pensez-vous qu’un financement de ce genre serait une façon de progresser?

M. Page : Merci, madame la présidente. Je pense qu’il est possible d’élaborer des formules pour régler bon nombre des problèmes dont vous avez parlé.

Comme Mme Blackstock l’a dit à maintes reprises devant le Tribunal canadien des droits de la personne, il faut à tout le moins, à court terme, établir une base de référence appropriée. Comme voulait dire la sénatrice McCallum, je pense, ce n’est pas une référence qui dit que nous allons dépenser un montant égal pour les enfants autochtones et non autochtones, comme cela arrive parfois dans le financement de l’éducation. Assurons-nous plutôt de fournir un financement qui permette de mieux gérer les enjeux de protection, de prévention et de soins prénataux, et de fournir des ressources pour aider ces enfants à mieux s’épanouir.

Une fois cette base de référence établie dans chaque administration, je pense que nous pourrons alors donner un sens à certains passages du préambule qui doivent figurer dans le texte de ce document. C’est quoi au juste un financement fondé sur les besoins? Si des collectivités et des administrations sont aux prises avec une gamme différente de problèmes de santé physique et affective ou de problèmes linguistiques auxquels il faut consacrer plus d’argent, il y aura moyen de s’ajuster.

Quant à ce que vous dites à propos de l’éloignement, que certaines collectivités n’ont pas d’accès routier et qu’il en coûte plus cher d’y offrir des services, il serait certainement très utile d’avoir des formules pour ajuster le financement.

Une autre chose qui manque vraiment ici, une fois que nous aurons les données de référence, c’est qu’il faudra compenser pour la croissance démographique et l’inflation. Comme Mme Blackstock l’a dit tout à l’heure, 60 p. 100 des organismes d’aide à l’enfance et de bien-être des Premières Nations que nous avons sondés n’avaient pas les moyens de payer les salaires pratiqués dans leur province, loin de là. Encore une fois, établir une base de référence appropriée, tenir compte de la démographie, de l’inflation, de l’éloignement et permettre aux administrations de transférer de l’argent de la protection vers la prévention, et inclure les soins prénataux, pour qu’elles aient cette latitude, je pense que nous tenons là une formule. Mais, comme Mme Blackstock l’a répété maintes fois, il faut de bonnes bases de référence.

Nos études ont révélé des écarts dans les salaires, les ressources en capital et les ressources en TI. Ce sont des comparaisons simples que nous pouvons faire avec d’autres organismes. Nous pouvons établir de bonnes bases de référence. Nous pouvons trouver des formules d’indexation qui protégeront les collectivités autochtones à l’avenir.

Le sénateur Tannas : Donc, un amendement portant expressément sur la collecte de données aiderait à élaborer davantage la formule de financement. Si nous comptions sur le DPB dès les premières étapes pour fournir une évaluation externe et une définition de ce à quoi ressemble l’égalité, en dollars réels, mais aussi des données qui favoriseraient l’analyse et l’amélioration, ce serait un élément très important. C’est bien cela?

M. Page : Tout à fait, sénateur. Merci. Il faudra des ressources aussi pour répondre à ces besoins d’information.

Je pense que les collectivités des Premières Nations ont fait des progrès dans la production de données. Nous parlons de relations de nation à nation. J’ai évité d’aborder certains enjeux relatifs aux données et j’ai essayé de me concentrer davantage sur les enjeux financiers.

En produisant nous-mêmes des données lors des travaux que nous avons faits pour l’APN et le comité consultatif national, nous avons constaté qu’il n’est pas difficile d’obtenir des données lorsqu’on passe par des gens comme Mme Blackstock. Nous avions l’impression que le lien de confiance était brisé, Mme Blackstock en a d’ailleurs parlé. Je pense que la fonction publique a du mal maintenant à traiter avec les collectivités des Premières Nations.

Mis à part les raisons, je pense que ces données doivent être produites par les Premières Nations, des indicateurs qu’elles voient et qu’elles vont mesurer. Et c’est à partir de rapports préparés par elles qu’on ajusterait le financement afin qu’il soit, pour revenir au préambule, prévisible, stable et durable — non pas durable pour le gouvernement fédéral, mais pour les collectivités des Premières Nations — et vraiment fondé sur les besoins. Pour ce qui est de l’égalité réelle, elle ne repose pas seulement sur les droits, mais aussi sur les résultats.

Le sénateur Tannas : Pourrait-on amener Statistique Canada à travailler de concert avec les gouvernements autochtones, au lieu d’avoir un nouveau groupe de personnes pigées dans l’armée des affaires autochtones? Ne serait-il pas plus logique de réunir des experts en collecte de données avec ceux qui ont les données, et de se passer des gens dont on nous a dit qu’ils faisaient problème?

M. Page : J’ai aussi l’honneur de siéger à un comité mis sur pied par une ancienne ministre des Services aux Autochtones pour s’occuper des nouvelles relations financières. J’ai eu l’occasion de rencontrer certaines des personnes qui renforcent la capacité de produire des statistiques chez les Premières Nations.

J’ai l’impression que cette capacité est considérable. Pour l’avenir et dans l’esprit des relations de nation à nation avec les peuples autochtones, je pense qu’il pourrait y avoir un statisticien en chef des Premières Nations. Nous pourrions avoir un statisticien en chef pour le Canada et un statisticien en chef pour les Premières Nations.

Étant donné la nature des données dont nous parlons et la façon dont elles doivent être recueillies — et je sais que Mme Gaspard y croit beaucoup —, nous ne pouvons pas attendre cinq ans. Elle-même nous pousserait à regarder ces données chaque trimestre et chaque semestre pour ajuster le financement de manière à pouvoir désamorcer les crises avant qu’elles ne prennent trop d’ampleur et qu’on cause du tort à des enfants.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Coyle : Dans le même ordre d’idées, après avoir entendu le témoignage de Mme Blackstock, du groupe précédent, sur la nécessité de l’équivalent d’un plan Marshall, soyons sérieux et n’acceptons plus la médiocrité. Il s’agit ici d’un budget pour le bien-être et d’indicateurs de résultats mesurables du bien-être. Il s’agit de tout cela.

Le bien-être ne tient pas uniquement à ce projet de loi ou aux interventions des services à l’enfance ou à la famille. Il tient à toutes sortes de choses. Si on lance un plan Marshall, il doit comprendre les langues autochtones et tous les éléments qu’exige un instrument de cette envergure en éducation, en développement économique et dans d’autres secteurs, puis on le met en place avec des résultats mesurables déterminés en grande partie par les gens mêmes qui veulent voir ces types de résultats.

Ce que j’essaie de comprendre dans cette grande discussion que nous avons ici — et je pense qu’elle est importante —, c’est que nous avons un projet de loi avec de nobles ambitions en matière de prévention, et pourtant, lui et le financement qui irait avec ne sont pas le seul moyen d’atteindre ces résultats par la prévention.

Ce que j’essaie de dire, je suppose, puisque nous parlons de données de référence et de données de suivi à recueillir à l’échelle nationale, c’est que je détesterais nous voir perdre de vue le portrait global que Mme Blackstock nous invite à regarder. En même temps, nous avons devant nous un projet de loi que nous devons examiner et faire entrer dans un portrait beaucoup plus grand, et c’est aussi de cela que vous parlez, je crois. L’un ou l’une d’entre vous pourrait-il nous en parler?

Mme Joe : En écoutant la dernière question posée à Mme Blackstock au sujet de l’appui à ce projet de loi, je me disais : nous savons qu’il n’est pas parfait, mais nous ne pouvons pas laisser aller cette injustice commise envers nos enfants. Même si je désespère parfois à discuter de formules de financement, il y a tellement de variables qui ne tiennent pas toujours compte des besoins de l’enfant. Il ne s’agit pas seulement d’emplacement et de géographie. Il s’agit de besoins en matière de santé. Nous soupçonnons malheureusement qu’un grand nombre de nos enfants sont issus de parents qui ont eu des problèmes de drogue et d’alcool.

Lorsque je regarde ce projet de loi, je pense que nous devons aller de l’avant, comprendre qu’il y a des aspects qui font problème et prendre des mesures pour les régler en temps opportun. Il est clair pour moi que nous aurons besoin d’y revenir au bout d’un certain temps pour nous assurer qu’il se bonifie. Si jamais il y a un projet de loi parfait, j’espère que j’y aurai mis la main.

En définitive, comme mon collègue l’a mentionné, je préfère investir de manière proactive dans l’avenir d’un enfant, parce que les avantages au bout du compte — ou lorsque l’enfant deviendra adulte — se multiplieront énormément. Merci.

M. Page : Madame la sénatrice, je pourrais dire moi aussi comme Francyne qu’il n’y a pas de projet de loi parfait. Je pense qu’il serait difficile de s’élever contre des principes comme l’intérêt de l’enfant, la continuité culturelle et une égalité réelle faite de droits, mais aussi de résultats.

Si ce projet de loi devait voir le jour et être adopté, et qu’il n’était pas conforme à la vision que Mme Blackstock et d’autres nous ont exposée, j’aurais de sérieuses réserves. Je pense qu’un projet de loi qui passe entièrement sous silence la question des ressources dans un tel contexte, vu les écarts que révèlent tous les indicateurs de bien-être, me dérange parce que j’ai passé presque toute ma carrière dans ces organismes centraux et à titre de directeur parlementaire du budget. Je ne vois pas comment nous pourrons faire avancer les choses si nous n’y consacrons pas de ressources.

Ce qui sous-tend cette vision dont parle Mme Blackstock, c’est l’idée de s’éloigner de la protection, qui est courante dans les modèles actuels, pour aller vers autre chose où les enfants puissent s’épanouir. Je pourrais m’enthousiasmer pour cela. Je ne suis pas autochtone, mais je peux comprendre ce que vivent les familles. Il y a de la dépendance dans ma famille. Il y a eu un suicide dans ma famille. J’ai perdu un fils à cause de la toxicomanie. Je pourrais continuer encore longtemps. J’ai grandi à Thunder Bay. Je vois ce qui se passe. Si nous n’aidons pas ces gens, que Dieu nous vienne en aide. Alors, je me range volontiers à la vision de Mme Blackstock.

Le sénateur Christmas : J’ai un commentaire à propos de la conversation qui précède, mais aussi une question pour Mme Joe.

Mme Blackstock a mentionné la nécessité d’un système national de collecte de données sur les enfants pris en charge. Compte tenu de l’échange que le sénateur Tannas vient d’avoir, je me demande si nous ne devrions pas envisager de créer un poste de statisticien en chef pour les enfants des Premières Nations pris en charge. Ce n’est qu’une réflexion en passant.

Madame Joe, j’ai noté le quatrième « attendu que » dans le préambule. On dit :

Attendu que le Parlement reconnaît les bouleversements subis par les femmes et les filles autochtones en lien avec les systèmes de services à l’enfance et à la famille et l’importance de les aider à surmonter les désavantages historiques auxquels elles sont confrontées...

L’AFAC a-t-elle participé à l’élaboration de ce passage? Et est-ce qu’on a une idée de la façon dont le gouvernement entend surmonter ces désavantages historiques?

Mme Lomax : Il y a eu une modeste démarche de consultation auprès de l’AFAC, celle que Mme Joe a décrite. On nous a remis le projet de loi et, en l’espace d’environ 36 heures, nous avons tenu une réunion où nous avons fait des suggestions. Je ne sais pas si ce passage repose sur quoi que ce soit que nous ayons dit, ce n’est pas clair pour moi.

Je sais que, même dans les quelques heures que nous avons passées en réunion, nous avons pu soulever des points importants. Par exemple, à l’article 12 du projet de loi dans sa forme actuelle, c’est nous qui avons souligné la nécessité de protéger la vie privée des enfants. Ce n’était pas là auparavant. Si on peut aboutir à cela en quelques heures de consultation auprès d’une poignée de personnes, imaginez les bienfaits que pourrait apporter à ce projet de loi une consultation en bonne et due forme des femmes et des jeunes autochtones.

J’aimerais parler brièvement, si vous me permettez, de la collecte de données nationales et de la nécessité d’avoir des données désagrégées, de l’importance que cela peut avoir pour les personnes victimes de multiples formes de marginalisation et du vécu propre à différents enfants autochtones. Le manque de services est vécu différemment par les jeunes bispirituels et LGBTQ et par les autres jeunes. Nous sommes en faveur de données désagrégées qui montreront où il y a des lacunes dans les services et comment elles peuvent être comblées.

Mme Joe : Effectivement, on nous a remis le projet de loi et nous avons eu environ 36 heures pour l’examiner, puis notre conseil d’administration a eu environ six heures pour passer au travers durant une fin de semaine, à moins que ce ne soit huit heures. Mais cela nous ramène à la question soulevée précédemment : qu’est-ce qu’on entend par consultation? On m’a dit qu’il y avait eu des séances lors de déjeuners-causeries, et que c’était censé tenir lieu de consultations. Je ne pense pas que les femmes aient vraiment compris ce qui se passait et quel était l’objet de ces « consultations ».

Je pense que dans une consultation digne de ce nom, on sait exactement de quoi on discute, pourquoi on en discute et qui y participe. Merci.

La sénatrice McCallum : Je veux parler des déterminants sociaux de la santé. Mais d’abord, lorsque j’ai dit qu’il y avait un lien avec l’égalité réelle, c’était tiré du projet de loi, où on compare les enfants des Premières Nations et les autres. C’est là que je l’ai pris. Voilà, je voulais juste que cela figure au compte rendu.

Au sujet des déterminants sociaux de la santé, il faut être très prudent quand on cherche à définir la pauvreté. Quand nous étions enfants, nous avions faim. Nous vivions dans une cabane d’une seule pièce. Il faisait chaud, c’était sécuritaire et j’étais aimée. Pour moi, ce n’était pas de la pauvreté, alors que bien des gens le verraient ainsi.

Ensuite, j’ai été obligée d’aller au pensionnat, où nous avions des égouts, des lits séparés et de la nourriture, mais aussi beaucoup de violence. C’est là que j’ai appris la violence. C’est cela pour moi, la pauvreté. Il faut donc bien choisir les mots à employer ici et faire attention de ne pas dire que nos gens sont pauvres. Ils ne sont pas pauvres. Ils sont riches.

Comment ce projet de loi sera-t-il touché par les déterminants sociaux de la santé alors que ces déterminants échappent à sa portée et qu’ils demeurent pourtant le principal obstacle sur la voie de miyo-pimâtisiwin, c’est-à-dire une vie agréable, l’autonomie gouvernementale et l’autodétermination? Comment peut-on résoudre les grands problèmes qui sont à l’origine de ce projet de loi alors qu’il ne touche même pas au logement, à l’emploi ou à la colonisation par les pensionnats et à toutes ces politiques oppressives qui persistent dans la Loi sur les Indiens? Comment le projet de loi peut-il aller de l’avant malgré tout cela?

Mme Joe : Merci, madame la sénatrice. En matière de compétences, je suis d’accord pour dire que dans l’intérêt des enfants, il faut insister davantage sur les services à l’enfance et la protection. Ce projet de loi insiste beaucoup sur la protection. Nous devons nous assurer qu’au bout du compte, nos enfants reçoivent d’abord les services dont ils ont besoin, que ce soit au niveau fédéral, provincial ou local.

J’approuve aussi entièrement votre définition de la pauvreté. Il y a la pauvreté financière. Je ne savais pas non plus à quel point j’étais pauvre jusqu’à ce que je déménage dans une grande ville. Je trouvais qu’une allocation familiale de 19 $, c’était plutôt bien dans les années 1970. Mais j’étais aussi aimée. Nous avons grandi dans une petite collectivité d’éleveurs. Ce que je retiens de ce que ma famille a vécu dans les pensionnats, c’est la carence affective et une forme différente de pauvreté plus dévastatrice que la pauvreté financière. En travaillant plus fort, on peut se sortir de la pauvreté financière.

Pour ce qui est des compétences, je pense que nous devons songer à mettre en place des mécanismes qui nous permettent d’être proactifs, et nous assurer de mettre l’accent sur les services à l’enfance.

J’espère que cela répond à votre question.

M. Page : Madame la sénatrice, ce serait une grave lacune si le projet de loi passait à côté des déterminants sociaux. Certaines parties du projet de loi portent sur les soins préventifs. Une de vos collègues a mentionné que notre définition de la prévention ne correspondait pas nécessairement à celle que beaucoup de gens des Premières Nations verraient dans la version actuelle du projet de loi, mais je crois que vous avez relevé des questions comme le logement, l’éducation et l’eau potable. Il est très important de s’assurer qu’on respecte ces conditions de base et que les familles sont en mesure de subvenir aux besoins de leurs enfants. On parle de soins prénataux, de conditions socioéconomiques.

Je ne dirais pas non. Je pense que nos histoires se rejoignent en partie. J’ai grandi dans une maison que mon père avait construite. Nous allions à la chasse et à la pêche. La nourriture que nous mangions provenait en majeure partie du jardin ou des animaux. Il n’est pas difficile pour quelqu’un comme moi de regarder les données et de voir quel genre de revenus gagnent les collectivités des Premières Nations, où elles se situent par rapport aux seuils de pauvreté et quels sont les écarts. Ne serait-ce que pour les élever jusqu’aux seuils de pauvreté, il faudrait des centaines de millions de dollars.

Nous avons un gouvernement qui parle d’enrichir la classe moyenne. Si on voulait augmenter les revenus des Premières Nations pour les rapprocher du revenu médian, on parlerait de milliards de dollars.

Je pense que vous avez tout à fait raison. En ce qui concerne les définitions et les déterminants sociaux, il faudrait que ce soit établi entièrement dans un contexte de Premières Nations, y compris l’égalité réelle. Nous devrions reconnaître que les difficultés qui surgissent lorsque se pose la question des ressources, d’après les études qui ont été faites non seulement pour les Autochtones, que les problèmes de pauvreté font lourdement obstacle à l’amélioration du bien-être des enfants.

Il y a des lacunes, mais nous devrions les aborder dans un contexte qui interpelle les Premières Nations quant à la nature de ces objectifs et à l’ampleur de ces lacunes.

La présidente : Merci. Notre temps est écoulé. Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins de ce matin.

(La séance est levée.)

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