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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier le projet de loi; et, à huis clos, pour étudier la teneur des éléments de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures (étude d’une ébauche de rapport).

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs, ainsi qu’aux membres du public qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même dans la salle ou bien qui nous regardent sur le Web ou à la télévision.

Dans l’intérêt de la réconciliation, je voudrais souligner le fait que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck, et je viens de la Saskatchewan, de la Première Nation de Gordon. J’ai le privilège et l’honneur d’être la présidente — [la présidente s’exprime en langue autochtone] — du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Avant que nous commencions, je voudrais inviter mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut — [le sénateur s’exprime en langue autochtone] —, madame la présidente.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, région du Manitoba visée par le Traité no 10.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire visé par le Traité no 6, Alberta.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de Membertou, en Nouvelle-Écosse.

La présidente : Ce soir, je voudrais accueillir devant le comité M. John Borrows, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone, Université de Victoria, et M. Joshua Nichols, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de l’Alberta. Ils comparaîtront tous les deux par vidéoconférence.

Je vous remercie de prendre le temps de nous rencontrer ce soir. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de M. Borrows, qui sera suivie de celle de M. Nichols.

John Borrows, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone, Université de Victoria, à titre personnel :

[M. Burrows s’exprime en langue autochtone.]

Je me présente en langue algonquine par respect pour le territoire sur lequel vous êtes rassemblés ainsi que pour reconnaître le territoire des Songhees et d’Esquimalt des peuples parlant l’algonquin, ici même.

Je suis reconnaissant d’avoir la possibilité de prendre la parole au sujet du projet de loi C-262. Ce que je tenais à souligner ce soir, c’est qu’entre autres choses, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est un instrument de développement économique. Elle concerne également la bonne gouvernance et correspond à nos plus grandes aspirations pour le pays, des points de vue du commerce et des droits de la personne. Là où je veux en venir, c’est que, quand nous lisons le projet de loi C-262 et la DNUDPA — comme je désignerai dorénavant la déclaration —, nous devons les mettre en contexte et les prendre dans leur ensemble. Comme les idées liées à la gouvernance et à l’économie sont au premier plan dans l’accord, je crois que le fait d’associer l’autodétermination à la justice économique est un acte de réconciliation et que cela peut changer la manière même dont nous pratiquons l’investissement et le commerce dans le pays en tant que tel.

Je crois comprendre que la préoccupation en ce qui concerne ces documents — le projet de loi C-262 et la DNUDPA — tient au fait qu’on ne sait pas si la déclaration et le projet de loi conféreront aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits un droit de veto sur la mise en valeur en conséquence de la mesure que vous envisagez.

Je veux souligner que le terme « veto » ne figure pas dans la DNUDPA. De fait, le libellé est : « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », ce qui ne peut pas nécessairement être interprété comme un veto. Ce libellé acquerra une signification distinctive qui comportera des aspects procéduraux et de fond. Selon moi, c’est ainsi qu’il faut voir le document.

La question du veto a été soulevée sous le régime du droit canadien, relativement au paragraphe 35(1) de la Constitution. Dans le cadre d’une affaire instruite en Colombie-Britannique, appelée Tsilhqot’in, le titre ancestral a été reconnu. Le tribunal a déclaré qu’une fois que les droits à un titre ancestral sont reconnus, le groupe en question a un droit de veto sur ses terres, mais, encore une fois, c’est après que les droits ont été reconnus, et, même en présence de ce pouvoir de veto, le paragraphe 35(1) donne encore au gouvernement la possibilité de porter atteinte, pour de justes raisons, aux droits touchant le titre autochtone, s’il peut le faire d’une manière qui préserve l’honneur de la Couronne et dans un objectif législatif valide.

Là où je veux en venir, c’est qu’aucun veto n’est prévu dans la DNUDPA ni dans le projet de loi C-262. C’est intégré au droit canadien, mais le libellé du document en soi — de la DNUDPA — est le suivant : « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». C’est là-dessus que nous devrions concentrer notre attention pour les personnes qui pourraient être préoccupées par ces éléments.

De fait, si on lit l’article 46 de la DNUDPA, il est très clair que le document doit être interprété dans son contexte. Le paragraphe 46(1) énonce que le document ne peut pas être interprété d’une manière qui minerait l’intégrité territoriale de la nation, et le paragraphe (2), que les droits prévus dans la DNUDPA sont soumis à des restrictions, lesquelles peuvent être exercées uniquement si l’État qui prend des mesures pouvant contrevenir à certains des droits prévus dans le document le fait afin de satisfaire aux exigences qui s’imposent dans une société démocratique.

Ensuite, le paragraphe 46(3) est ainsi libellé :

Les dispositions énoncées dans la présente Déclaration seront interprétées conformément aux principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi.

Durant mes deux ou trois dernières minutes, je veux mettre l’accent sur les dimensions économiques de la DNUDPA. Ce sujet est évoqué explicitement 16 fois dans le document, et contient d’autres dispositions qui ne comportent pas le terme « économique », portent néanmoins sur ce sujet. Je veux que le projet de loi et la DNUDPA soient abordés dans le cadre de conversations donnant lieu à d’importantes décisions relatives à l’investissement et au commerce qui sont prises au pays.

Comme vous le savez, l’Accord États-Unis–Mexique–Canada portant sur le libre-échange, qui n’est pas encore entré en vigueur — celui qui remplacera l’ALENA —, a retiré les dispositions relatives au règlement des différends entre les investisseurs et l’État, entre le Canada et les États-Unis, ce qui signifie que, si des investisseurs étrangers sont préoccupés par la façon dont le Canada négocie avec les peuples autochtones, les gouvernements ne pourront pas être amenés devant l’organisme de règlement des différends en matière d’investissement afin d’être tenus responsables de toute mesure qu’ils pourraient prendre dans le but de mettre œuvre les droits ancestraux et issus de traités.

De même, l’article 32.5 de l’accord prévoit une vaste exception qui précise que les États peuvent prendre des mesures pour protéger les droits des peuples autochtones, pourvu que ces mesures ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiée.

L’annexe IV de cet accord de libre-échange améliore les possibilités de développement économique des entreprises autochtones en permettant aux entités gouvernementales de leur accorder un traitement plus favorable dans le cadre de l’achat d’un produit ou d’un service par un contrat d’acquisition entreprise appartenant à l’État. Il contient également des dispositions qui permettent aux Autochtones de participer aux aspects de l’accord lié à la mise sur pied de petites et moyennes entreprises.

De plus, il existe des possibilités d’investissement et de commerce entre tribus, lesquelles permettent aux Autochtones d’échanger des produits artisanaux, des textiles et d’autres articles vestimentaires d’un côté à l’autre de la frontière.

Par ailleurs, certains articles portent sur le commerce et l’environnement, et ils annoncent que les parties reconnaissent que l’environnement joue un rôle important dans le bien-être économique, social et culturel des Autochtones et des collectivités locales et qu’elles reconnaissent l’importance de prendre part avec ces groupes aux activités de conservation à long terme de notre environnement.

Je mentionne certaines des dispositions de cet accord de libre-échange — l’AEUMC — pour vous donner une idée de la façon dont l’investissement et le commerce seraient traités et sont traités sous le régime de l’article 35, à la suite de la décision Tsilhqot’in, d’une manière qui favorise l’harmonisation. C’est une question d’équilibre, oui, et d’autodétermination des peuples autochtones. Les droits ancestraux seront reconnus et affirmés de nouvelles manières grâce à ce document. S’il est mis en œuvre au moyen du projet de loi C-262, je m’attends à ce que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause reçoive un traitement judiciaire, mais il importe de souligner que le veto ne sera qu’un des nombreux éléments qui seront abordés par le système judiciaire et par d’autres intervenants dans le cadre de la mise en œuvre du document. J’espère qu’il sera interprété dans son ensemble.

Il s’agissait-là de ma déclaration préliminaire.

Joshua Nichols, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de l’Alberta, à titre personnel : Je voudrais souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire visé par le Traité no 6, et ma déclaration portera principalement sur le cadre qui est actuellement utilisé pour interpréter et appliquer le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Notre Cour suprême l’a appelé le cadre de la réconciliation. Même si ce cadre a sans doute entraîné une évolution positive de la situation depuis son élaboration dans l’arrêt Sparrow, en 1990, on a également remarqué qu’il présentait des limites distinctes. Ces limites avaient été prévues de nombreuses manières par les auteurs du rapport Penner, en 1983, qui nous avertissaient qu’il ne fallait pas laisser les tribunaux établir le sens de l’article 35 parce qu’une telle approche serait, selon les termes employés dans le rapport, « [...] complexe et incertaine ». Si nous tenons compte du temps qu’il faut pour qu’un litige au titre de l’article 35 soit réglé au moyen de nos tribunaux, cela nous donne une idée de la mesure dans laquelle les auteurs du rapport Penner avaient vu juste.

La jurisprudence concernant l’obligation de tenir des consultations et de prendre des mesures d’adaptation en est un bon exemple. Même si le processus qu’a généré la jurisprudence relativement à l’obligation de tenir des consultations a sans doute eu des effets positifs, son élaboration était fondée sur la supposition que la Couronne possédait la souveraineté, le pouvoir législatif et le titre sous-jacent. L’acceptation inconditionnelle par les tribunaux de cette revendication constitutionnelle a entraîné la création d’un processus où les tribunaux peuvent déterminer unilatéralement le poids des revendications autochtones, les situer sur un spectre, déterminer les consultations requises et, au bout du compte, justifier une atteinte unilatérale aux droits.

Autrement dit, l’obligation de tenir des consultations et de prendre des mesures d’adaptation a été construite en fonction de la supposition que la relation entre la Couronne et les peuples autochtones est la même que celle entre un souverain et ses sujets. Toutefois, cette supposition n’est fondée ni sur des faits ni sur des principes juridiques. Les Autochtones ont constamment soutenu qu’ils ne sont pas des sujets de la Couronne; ils entretiennent plutôt une relation de nation à nation avec elle et constituent un troisième ordre de gouvernement.

En acceptant par réflexe une vision unique d’une relation constitutionnelle contestée, la cour a généré une série de processus et de critères judiciaires compliqués, lesquels visent à placer les Autochtones dans une relation qu’ils rejettent constamment depuis les 150 dernières années. En concevant des processus d’arbitrage qui supposent que le problème constitutionnel est déjà réglé, la cour a généré un processus qui est mal adapté pour faciliter les négociations et le règlement durable des différends.

Les conséquences de cette présupposition constitutionnelle sont clairement illustrées dans des affaires comme Ktunaxa Nation, car les demandeurs autochtones tentaient de formuler des revendications de compétence sur des territoires qu’ils considèrent comme sacrés à l’intérieur d’un cadre procédural qui les oblige à adapter leurs revendications et leurs droits.

Les arrêts Clyde River et Chippewas of the Thames montrent aussi clairement que les demandeurs autochtones s’opposent à la notion selon laquelle les obligations découlant de leur relation avec la Couronne peuvent être exécutées par des organismes de réglementation indépendants. En effet, la distance entre les parties dans ces affaires se mesure non pas en fonction du degré, mais en fonction du type, et elle ne peut pas être exprimée sur le spectre découlant de l’arrêt Nation haïda.

Les peuples autochtones formulent leurs revendications du point de vue d’une compétence inhérente à l’intérieur d’une relation de nation à nation, alors que les tribunaux parlent de droits éventuels à l’intérieur d’une relation entre un souverain et ses sujets. Les tribunaux se retrouvent ainsi dans une position où la common law leur offre deux voies très différentes. Si le cadre approprié est celui des droits éventuels, la bonne approche consiste à maintenir le statu quo et à compter sur les droits analogues prévus dans la Charte. Selon une contestation de l’approche actuelle des tribunaux, le fait de simplement présumer que le point de vue d’une partie sur le conflit est exact et de concevoir le processus de règlement des différends en conséquence n’entraînera pas l’acceptation du cadre; aucune certitude juridique ne peut donc en découler. Si une partie estime que ses revendications ne sont pas entendues, elle n’aura pas l’impression que le résultat est légitime. La partie dont le point de vue n’est pas pris en considération dans le processus sera plus susceptible d’opter pour le recours stratégique aux litiges, et il ne s’agira que d’un instrument dans un grand projet de résistance visant à régler le problème constitutionnel sous-jacent. Cette situation n’est pas propice à la négociation d’un règlement; elle est plutôt susceptible de se solder par la continuation du conflit, par la création de factions et par l’aggravation du problème.

Il est possible d’adopter une autre approche. Si les tribunaux s’éloignent de l’approche axée sur la Charte qui a été appliquée dans l’arrêt Sparrow et qu’ils adoptent le cadre juridique en matière de compétence, les domaines du droit applicables seront la répartition des pouvoirs, les conflits de lois et l’adhésion déférente. L’affaire la plus appropriée sur laquelle fonder la procédure est le Renvoi sur la sécession. C’est la voie que la DNUDPA et le projet de loi C-262 permettent aux tribunaux d’emprunter. Ces textes offrent aux tribunaux — et, en effet, à toutes les parties — une boîte à outils juridique leur permettant de passer outre les problèmes que pose actuellement notre jurisprudence. L’avantage, c’est qu’il s’agit d’une loi persuasive et pas d’une modification constitutionnelle contraignante. Cela signifie que nous pouvons laisser le temps au droit de s’adapter et de changer. Dans cette optique, le projet de loi C-262 est non pas un changement soudain et subit, mais plutôt une autre étape sur la voie qui mène à une réconciliation réelle entre les nations.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup. La parole est maintenant aux sénateurs qui ont des questions à poser.

Le sénateur Tannas : Messieurs, je vous remercie de votre présence.

Je me demande si vous pourriez nous faire part de vos réflexions concernant le projet de loi et l’effet qu’il aura sur le statut juridique de la DNUDPA comparativement à notre situation actuelle, c’est-à-dire que le Canada a accepté de signer cette déclaration. Nous avons déjà fait cela. C’est fait. Nous avons terminé. Nous nous tenons maintenant aux côtés d’une centaine de pays. Toutefois, nous proposons maintenant de faire quelque chose, à ce que je crois comprendre, qu’aucun autre pays n’a fait, c’est-à-dire adopter une loi au sujet de la DNUDPA. De votre point de vue, qu’est-ce que le projet de loi prévoira qui ne découle pas déjà du fait que le Canada a accepté de signer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, comme l’ont fait d’autres pays?

M. Borrows : Il y a trois éléments que je voudrais souligner à cet égard.

D’abord, ce sera comme si le projet de loi C-262 sera annexé à chaque texte de loi qui existe déjà au Parlement, ce qui signifie qu’on examinerait chacun de ces textes de loi en se demandant s’il est conforme ou non à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. C’est comme apporter une modification à chacun des projets de loi qui ont déjà été adoptés par le Parlement.

Ensuite, le projet de loi obligera le gouvernement du Canada à établir un plan d’action national qui devra être réalisé en consultation et en collaboration avec les Autochtones. Cette directive législative crée une norme de responsabilité plus élevée obligeant le gouvernement à agir. Il n’empruntera pas cette voie uniquement par la prise de mesures exécutives.

Enfin, le rapport annuel au Parlement nous donnera un aperçu de notre situation d’année en année pour ce qui est d’atteindre les objectifs du projet de loi.

Ces trois éléments sont très distincts et différents de ce que nous avons déjà.

Le sénateur Tannas : Simplement en ce qui concerne le premier élément, parce que je veux vraiment comprendre clairement : nous annexons la DNUDPA à toutes les lois qui ont déjà été adoptées, et nous établissons un plan, comme vous l’avez affirmé, afin d’effectuer cet examen. Qu’arrive-t-il si je suis pressé et que je ne veux pas attendre l’examen d’une loi quelconque à laquelle je voudrais que la DNUDPA s’applique demain? Devrai-je aller devant les tribunaux, et ma cause sera-t-elle défendable?

M. Borrows : C’est toujours possible, car, quand on met quelque chose en place au moyen d’une loi, la question est de savoir si le gouvernement agit conformément ou non avec ses objectifs législatifs. Alors, oui, il pourrait y avoir une cause à défendre.

Le problème à cet égard tient au fait que les litiges coûtent très cher et qu’un grand nombre des groupes autochtones n’auront pas les moyens d’intenter ce type de poursuite. Ensuite, les 10 principes du gouvernement fédéral, ainsi que la directive du ministère de la Justice, nous permettront d’adopter à l’égard des litiges des positions qui vont dans le sens de la réconciliation. Il est possible que vous puissiez aller devant les tribunaux, mais de nombreuses mesures seront en place pour amener les parties à régler ces questions par d’autres moyens.

Si je puis utiliser une analogie, c’est comme si le projet de loi C-262 était une paire de lunettes. Si vous les mettez et que vous regardez à travers ces verres, vous constaterez qu’ils donnent de la couleur, de la précision et une plus grande définition à chaque texte de loi. De certaines manières, il nous éloignera des litiges parce qu’il procurera aux parties davantage d’outils, lesquels proviendront de la DNUDPA et du plan d’action national et seront ensuite examinés par le Parlement. Alors, oui, il est possible qu’il y ait davantage de litiges, mais il est également possible que nous disposions d’un plus grand nombre de bretelles de sortie qui nous permettront d’éviter les litiges et feront en sorte que nous soyons mieux en mesure d’adopter les modes de résolution de problèmes prévus dans les dispositions de la déclaration en soi.

Le sénateur Tannas : Alors, vous souscririez à l’opinion que nous avons entendue des avocats du ministère de la Justice qui ont conseillé le gouvernement à ce sujet, lesquels ont essentiellement affirmé que le projet de loi ne conférait aucun pouvoir supplémentaire et qu’il n’encadrait pas le pouvoir lié à l’article premier et aux articles 3 et 4 d’une manière qui se rapproche le moindrement de ce que vous venez tout juste de faire?

M. Borrows : Je répéterais simplement les propos que j’ai tenus, c’est-à-dire que, si vous preniez l’engagement législatif de rendre vos lois conformes à la DNUDPA, cet engagement requiert un degré de responsabilité qui n’est actuellement pas prévu dans nos lois. Il y a de la marge pour certains contrôles judiciaires à cet égard, mais c’est sous réserve des autres éléments que je soulève, lesquels sont liés aux bretelles de sortie nous permettant d’éviter les litiges et de régler les problèmes de façon plus créative.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à vous deux de vos exposés très utiles. Vous nous aidez ce soir à améliorer notre compréhension.

Je voudrais revenir sur le dernier point que vous avez soulevé, monsieur Borrows, et peut-être que M. Nichols pourra également en parler. Je voudrais comprendre comment vous envisager ces bretelles de sortie que vous décrivez, ces outils que la DNUDPA ajoute maintenant à la trousse du Canada et des peuples autochtones et qui pourraient peut-être contribuer à éviter des litiges. Pourriez-vous aborder cette question précisément, simplement afin que nous la comprenions de façon plus détaillée?

M. Borrows : Bien sûr. Nous pourrions choisir un article particulier de la déclaration. Examinons l’article 34 :

Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.

Par exemple, si une affaire concernant la tenue de consultations et la prise de mesures d’adaptation est instruite devant un tribunal et que les Autochtones ont recours à des évaluations environnementales afin de pouvoir examiner l’activité qui a lieu sur leur territoire, qu’ils parlent à des scientifiques, à leurs aînés et à leurs membres, cette disposition particulière nous permettrait de dire : « Eh bien, ce sont des structures et des institutions autochtones qui sont là pour promouvoir les normes relatives aux droits de la personne dans la collectivité. »

Cette disposition a pour effet de donner aux promoteurs de meilleurs renseignements au sujet des conséquences que pourrait avoir la mise en valeur parce qu’une audience est en cours à ce sujet. Elle leur donne également une idée quant à la question de savoir si le projet de mise en valeur en question sera acceptable ou non du point de vue de la nation autochtone. Ainsi, la certitude que procurera ce mécanisme institutionnel permettra aux promoteurs de dire, au moment d’aller de l’avant avec ce qui est proposé, qu’ils ont l’apport et l’accord des peuples et qu’ils peuvent tenir compte de ces facteurs.

Nous en avons des exemples en Colombie-Britannique. Les Nisga’a ont accepté de permettre la venue d’une usine de GNL sur leur territoire à la suite de leur examen environnemental. Les Squamish ont fait de même en ce qui concerne l’usine de GNL Woodfibre. Par contre, les Tsleil-Waututh ont affirmé que la proposition actuelle de TransCanada n’est pas acceptable à leurs yeux.

Quoi qu’il en soit, cette disposition nous procure plus d’information parce qu’il y a une structure organisée, que nous pouvons maintenant reconnaître par le truchement du projet de loi C-262 et qui dit : « Voici un groupe qui exerce son autodétermination, et voici la décision qu’il a prise. » On a maintenant la possibilité de nous appuyer sur cette décision au lieu d’avoir 50 groupes différents qui prennent la parole au nom de divers groupes de maisons, de diverses familles ou de je ne sais quoi. La structure pourra être organisée de manière à avoir un effet plus important.

M. Nichols : Je voudrais me faire l’écho de ces propos. J’ai deux éléments à aborder.

Tout d’abord, l’obligation de tenir des consultations et de prendre des mesures d’adaptation qui a été élaborée à partir de l’article 35 est également censée fournir aux tiers promoteurs des modèles pour interagir avec les Autochtones afin de parvenir à des ententes dans le but de permettre la réalisation de projets, le problème tient au fait que les directives fournies par les tribunaux tendent à changer au cas par cas, alors les promoteurs reçoivent des directives incertaines concernant la tenue de consultations. La promesse du projet de loi, c’est l’ajout d’un type de dispositions législatives qui seront persuasives, mais pas constitutionnellement contraignantes, et qui fourniront une feuille de route aux promoteurs voulant obtenir une plus grande certitude juridique concernant la façon de parvenir à une entente avant la mise en œuvre d’un projet, afin d’éviter de se retrouver devant les tribunaux, au titre de l’article 35, à cause d’un litige pouvant durer 10 ans ou plus.

Je voudrais également préciser que le projet de loi enverra aux tribunaux un signal clair qui est différent du signal envoyé actuellement par la ratification de la DNUDPA, parce qu’il intègre la déclaration directement dans le cadre législatif national. Cela ne les contraint pas à modifier subitement leur interprétation de l’article 35. Le projet de loi leur fournit plutôt un ensemble de ressources et d’outils leur permettant d’ajouter à la jurisprudence et de dénouer certaines des difficultés liées à la doctrine qui sont apparues au cours des 30 dernières années.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Bonsoir, et bienvenue.

Vous avez mentionné le veto. Si un amendement devait être apporté au projet de loi, proposeriez-vous qu’on y intègre un droit de veto?

M. Borrows : Je ne le proposerais pas. L’idée d’établir un équilibre est l’élément qui revient constamment tout au long du document. Il est également présent dans le libellé du projet de loi C-262; il s’agit de la notion de consultation et de collaboration. Ensuite, bien entendu, à la lumière de la façon dont l’article 35 a été appliqué, il porte également sur le fait de tenter d’établir un équilibre. Je ne recommanderais pas l’ajout d’un droit de veto dans le projet de loi.

M. Nichols : Je répéterais exactement les propos qu’a tenus M. Borrows. J’éviterais le terme « veto ». Je pense qu’il est trompeur du point de vue du fonctionnement du consentement.

De fait, en ce qui concerne l’obligation actuelle de tenir des consultations, la cour a mis l’accent de façon répétée sur le fait que les Premières Nations n’ont pas de droit de veto, mais il s’agit aussi un peu d’une erreur dans la façon de dire les choses, parce que ce qu’on entend par là, c’est que les parties autochtones n’ont pas la capacité de refuser, car au bout du compte, on prévoit enfreindre leurs droits de façon unilatérale. Cette situation a entraîné un problème dans la jurisprudence parce que, si une partie ne peut pas refuser les conditions de négociation, ce ne sont pas des négociations. Les tribunaux ont mis l’accent de façon répétée sur le fait qu’ils veulent prévoir un cadre de négociation, mais ce qu’ils ont fourni, c’est quelque chose qui permet à la Couronne de jeter continuellement les dés dans des litiges afin d’obtenir un résultat unilatéral. Ce ne sont pas des négociations.

Alors, le droit d’accepter ou de refuser une entente n’est pas un veto. C’est tout simplement ainsi que fonctionnent les contrats.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de votre réponse.

Autrefois, nous avions le libre-échange par-delà des frontières, c’est-à-dire que les Autochtones échangeaient leurs produits avec les États-Unis. Le Canada nous a enlevé ce libre-échange. Si le projet de loi était adopté, je sais qu’il ne nous redonnera pas automatiquement le libre-échange, mais que pourrions-nous faire pour que notre libre-échange soit prévu dans le projet de loi?

M. Borrows : Je vous remercie de poser cette question.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones contient une disposition qui porte sur le respect de la nature internationale des liens autochtones. Je suis un Nishnawbe, un Ojibwé ou un Chippewa, et nous continuons à traverser les frontières de nombreuses provinces, y compris celles du Minnesota, du Wisconsin et du Michigan. Je vais vous lire la disposition de l’accord de libre-échange — l’article 6.2 — que j’ai mentionné plus tôt :

1. Une Partie importatrice et une Partie exportatrice peuvent désigner des produits textiles ou des vêtements particuliers qui, selon une décision conjointe, sont […] des produits artisanaux autochtones.

2. Les produits […] sont admissibles au traitement en franchise de droits par la Partie importatrice à condition que les exigences décidées conjointement par la Partie importatrice et la Partie exportatrice soient remplies.

Alors, là où je veux en venir en interprétant le projet de loi C-262 au moyen de cette disposition de la DNUDPA, laquelle reconnaît notre nature transfrontalière, et du nouvel accord de libre-échange, c’est qu’il devient plus explicite pour ce qui est de nous habiliter à revitaliser ces relations historiques et connaître une résurgence, et tout sera inscrit dans la loi d’une manière ordonnée et structurée qui ne créera pas de chaos arbitraire pour le gouvernement canadien. Le projet de loi nous permettra de renforcer les relations que nous avons entretenues pendant longtemps.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Autrement dit, il faudrait aller devant les tribunaux?

M. Borrows : Pas nécessairement. Vous adoptez des projets de loi et, souvent, ils ne sont pas contestés. Si quelqu’un décide de poursuivre un Autochtone qui apporte quelque chose de l’autre côté de la frontière, l’affaire pourrait se retrouver devant les tribunaux, à ce moment-là, mais nous disposerions alors d’une plus grande protection en tant qu’Autochtones, car nous pourrions invoquer la disposition de la DNUDPA, puis nous pourrions nous tourner vers des mesures connexes, comme l’accord de libre-échange, le Traité de Jay et d’autres choses, pour montrer que nous continuons d’avoir la capacité d’ajouter non seulement à notre propre économie en tant qu’Autochtones, mais aussi à celle du pays.

Je veux souligner cet aspect. Les économies des Premières Nations sont des « économies bungee », comme le saut à l’élastique. Ce qui arrive, c’est qu’un dollar entre dans la collectivité y reste pour un instant, puis il ressort et va dans les collectivités avoisinantes. Alors, tout dollar qui entre dans une collectivité autochtone finit par profiter aux collectivités qui l’entourent.

La beauté de la création d’un développement économique au sein des collectivités autochtones tient au fait que le dollar en question peut y rester pendant cinq secondes, passer entre les mains de deux ou trois personnes — et sa valeur augmentera : elle passera de 1 à 5, à 10 $ —, de sorte qu’au moment où il ressort, ce ne sera pas seulement 1 $ qui entre et 1 $ qui ressort. Ce sera 1 $ qui entre et 10 $ qui ressort. Je pense que c’est ce qu’il faut envisager. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un instrument de développement économique. Il nous permet de trouver des moyens de faire croître nos économies d’une manière harmonisée avec les collectivités qui nous entourent. Cette croissance s’étend également de l’autre côté des frontières d’une manière qui ne devrait pas être menaçante et, tout comme dans le cas d’un accord de libre-échange, devrait en fait améliorer notre bien-être en tant qu’Autochtones et celui de tous les citoyens du pays.

M. Nichols : Une récente affaire instruite devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique a reconnu, au titre de l’article 35, les droits de chasse d’une personne autochtone de l’État de Washington, alors nous allons déjà dans cette direction à l’intérieur de notre propre droit constitutionnel. Ce qu’offre le projet de loi C-262, c’est davantage d’outils pour l’appareil judiciaire qui tente de réfléchir à des problèmes très compliqués à l’aide de moyens très limités. Le projet de loi lui permet d’accéder à une série de principes qui sont rédigés par les Autochtones et ouvrent la voie à la possibilité que les lois autochtones entrent dans le système juridique canadien et soient harmonisées avec lui.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

Le sénateur Patterson : Je voudrais adresser ma question à M. Borrows, mais, bien entendu, M. Nichols pourra intervenir. J’affirmerais que nous sommes privilégiés de vous accueillir tous les deux devant le comité.

Monsieur Borrows, si je comprends bien votre exposé — et vous avez présenté beaucoup d’information en peu de temps —, vous affirmez que la déclaration de l’ONU est une boîte à outils juridique permettant d’aller graduellement au-delà de nos lois persuasives actuelles, et vous avez évoqué la possibilité qu’elle nous fasse passer d’une relation entre un souverain et ses sujets à une relation de nation à nation. Vous avez attiré mon attention quand vous avez parlé de son importance économique. Vous avez condamné, selon moi, 150 années de procédures judiciaires qui étaient essentiellement en conflit avec l’approche axée sur la relation de nation à nation, et vous avez parlé de difficultés liées à la doctrine sur une période de 30 ans.

Je sais que les promoteurs ont besoin de certitude, mais vous avez affirmé que la question cruciale du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, acquerra une signification distinctive en tant que procédure. Ce que je veux vous demander — et j’en arrive à ma question —, c’est que si nous commençons par l’adoption de la déclaration de l’ONU dans le projet de loi C-262, un processus graduel consistant à changer toute la jurisprudence sur l’obligation de tenir des consultations et de prendre des mesures d’adaptation et le passage de la relation entre un souverain et ses sujets à une relation de nation à nation, ce changement ne créera-t-il pas un nouveau degré d’incertitude pour les promoteurs? Je pense qu’on a étudié attentivement toutes les décisions que vous avez mentionnées et qu’on fait de son mieux pour prendre des mesures d’adaptation, mais vous affirmez que nous commençons un nouveau cheminement qui nous éloignera graduellement de la jurisprudence actuelle remontant à plus de 150 ans pour nous rapprocher de quelque chose de nouveau. Ne s’agit-il pas d’une incertitude qui inhibera l’investissement dans le développement?

M. Borrows : Je pense que la mise en contexte du projet de loi était importante parce que nous sommes actuellement dans un état de grande incertitude. Comme l’a mentionné M. Nichols dans son exposé, l’interprétation du paragraphe 35(1) ne donne pas de directives claires aux promoteurs concernant à qui ils devraient s’adresser, quels sont les échéanciers pour l’analyse et quelle entente serait acceptable pour eux afin que le projet puisse aller de l’avant. Si on élimine l’intervention de la Couronne, qui s’interpose toujours entre les Autochtones et les promoteurs, et que l’on permet aux Autochtones de tenir directement les conversations au sujet de l’échéancier, des décideurs appropriés et des étapes clés permettant de mener ou de ne pas mener une activité, je pense que cette situation procurera une plus grande certitude parce qu’on ne filtrera plus les négociations par l’intermédiaire d’une partie distante, qu’il s’agisse de Victoria, d’Ottawa ou de Queen’s Park. On se rendra à la source et le fait de s’adresser à la source au sujet de ce qui est requis procurera probablement une plus grande certitude.

Les Autochtones auront des divergences d’opinions quant aux projets à réaliser ou aux façons de procéder, et, ce que je pense que le projet de loi C-262 encourage en partie, c’est que les Autochtones mettent eux-mêmes en œuvre la DNUDPA afin qu’ils s’organisent d’une manière qui établira un ensemble de principes et de processus reconnaissable pour ce qui touche le droit. Ainsi, on verra les Premières Nations s’exprimer avec une plus grande précision et dire :« Voici notre norme, notre principe, nos critères, notre mesure, notre balise, notre pierre de touche, notre règle, notre réglementation concernant la façon dont ce projet devrait se dérouler. » En ce moment, les mécanismes actuels sont déployés dans la jurisprudence très vague et ambigüe liée au paragraphe 35(1), laquelle ne fait pas le même genre de travail.

Le sénateur Patterson : Vous employez le terme « éliminer l’intervention de la Couronne », mais vous avez également mentionné le paragraphe 46(1) de la déclaration, selon lequel aucune de ses dispositions ne peut être interprétée de manière à miner la souveraineté de l’État. Comment ce paragraphe cadre-t-il avec votre suggestion que l’intervention de la Couronne soit éliminée et que ses organismes de réglementation soient discrédités en tant que ses mandataires? Ne s’agit-il pas là d’un conflit qui créerait de la confusion?

M. Borrows : Non, je ne pense pas. Encore une fois, si on interprète ce document de façon nuancée, et si on prend conscience du danger que présente une seule version de l’histoire, nous pouvons constater que plusieurs dispositions permettent aux Autochtones d’exprimer leur point de vue, ce qui atténue le rôle de la Couronne et l’empêche de s’interposer tout le temps lorsqu’ils tentent de manifester leurs intérêts.

Toutefois, une fois qu’ils l’auront fait, s’il y a quelque chose d’urgent au pays qui doit être pris en considération sous le régime de l’article 46, lequel — encore une fois — est une disposition qui prévoit que des restrictions peuvent s’appliquer en cas de nécessité impérative dans la société démocratique, la Couronne reviendra en scène. Cependant, au lieu qu’elle intervienne dans toutes les situations et qu’elle entrave en quelque sorte la liberté contractuelle, elle interviendrait plus tard dans le processus, si quelque chose tournait mal, enfreignait les droits de la personne ou n’était pas conforme à l’égalité, à la non-discrimination, à la bonne gouvernance ou à la bonne foi. Alors, il s’agit de l’équilibre ou de la nuance qui sont présents dans le projet de loi et dans la DNUDPA.

Le sénateur Patterson : Vous avez évoqué le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause au début de votre déclaration, et vous avez affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un veto, mais, ensuite, vous avez dit : « Il acquerra une signification distinctive en tant que procédure », si j’ai bien cité vos propos. Je pense que oui. À mes yeux, si c’est ce que vous avez affirmé, vous disiez que nous ne savons pas encore vraiment ce que signifie le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, car c’est manifestement souligné dans la déclaration. La signification sera élaborée en tant que procédure, je suppose, au fil du temps ou dans le cadre de l’application du projet de loi. Cela ne donne-t-il pas aussi à penser que nous entrons dans une aire d’incertitude et de manque de clarté, si la signification sera seulement déterminée plus tard? Je pense que vous avez employé le terme « graduellement » aussi. Cette définition graduelle ne créera-t-elle pas de l’incertitude?

M. Borrows : Je suppose que la question est de savoir sur quoi nous nous concentrons lorsque nous nous penchons sur cette question de certitude par rapport à l’incertitude. Je pense que, ce que je tentais de dire, c’est que les 46 articles de la déclaration nous donnent d’excellentes consignes quant à la façon dont nous devons respecter les processus décisionnels et les aspirations des Autochtones. Ce n’est actuellement pas prévu dans nos lois. Nous avons une idée vaste, vague et ambigüe du fait que les engagements de la Couronne doivent être respectés, et des dispositions exigent maintenant qu’ils le soient, mais nous ne savons pas exactement quelles sont ces dispositions. Elles sont comme une directive ayant la capacité de dire aux promoteurs, aux Autochtones et aux tribunaux : « Voici ce qui est requis lorsque vous donnez votre consentement préalable librement et en connaissance de cause. » Au lieu que les tribunaux, les Autochtones ou les gouvernements l’inventent, nous aurons un libellé particulier qui pourra nous entraîner dans une conversation plus définie. Oui, il y a un aspect graduel à ce processus. Des éléments devront prendre forme dans le cadre de ce processus. La signification deviendra plus claire à mesure que nous le suivrons, mais, actuellement, nous participons à des consultations et prenons des mesures d’adaptation presque comme on lance des fléchettes sur une cible. Ces dispositions nous procureront une plus grande précision et des meilleures consignes sur l’itinéraire qui nous amènera aux réponses à ces questions.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. En tant qu’Autochtone, j’ai toujours vécu avec l’incertitude et le manque de clarté du processus décisionnel.

Je voulais ramener la conversation aux droits des Autochtones au passage du Canada vers l’appui d’une véritable autodétermination et d’une réelle autonomie gouvernementales, lesquelles sont les notions fondamentales de l’établissement d’une relation de nation à nation. Je veux examiner la façon dont l’autodétermination et le processus décisionnel sont définis et façonnés et savoir qui les définit.

Le Canada a déclaré dans sa réponse officielle aux Micmacs, dans les années 1980, que l’autodétermination « ne peut pas avoir d’incidence sur l’unité nationale et sur l’intégrité territoriale du Canada ». Cette citation provient de l’article rédigé par M. Nichols, qui s’intitule « We have never been domestic ». Dans cet article, vous avez également déclaré ce qui suit :

Comme nous le rappelle James Tully, « Si la Constitution ne repose pas sur le consentement des peuples ou de leurs représentants, ou bien s’il n’existe aucune procédure permettant de la modifier ainsi, ceux-ci ne bénéficient ni de l’autonomie gouvernementale ni de l’autodétermination; ils sont plutôt régis par une structure de lois qui leur sont imposées. Ils ne sont pas libres. Il s’agit du principe de la souveraineté populaire selon lequel les peuples et gouvernements modernes sont considérés comme étant libres et légitimes. »

La jurisprudence actuelle dresse-t-elle des obstacles à l’autodétermination? Le cas échéant, comment la DNUDPA contribuera-t-elle à régler ce problème?

M. Nichols : Oui. Le modèle actuel prévu par l’article 35 constitue un obstacle à l’autodétermination des Autochtones. C’est dans l’affaire Sparrow que les tribunaux ont interprété pour la première fois l’article 35 et cherché à savoir ce que signifiait cette disposition. Ils se sont donc tournés vers une décision du début du XIXe siècle de la Cour suprême des États-Unis intitulée Johnson c. M’intosh, qui est essentiellement considérée comme un précédent pour la doctrine de la découverte. C’est une fiction juridique européenne du XIXe siècle qui permet aux peuples chrétiens européens d’arriver à un endroit et de s’emparer des terres en disant qu’ils les ont découvertes. Il s’agit d’un principe juridique international datant du XIXe siècle qui a été utilisé pour rédiger notre version de l’article 35.

C’est ce qui a fait germer l’idée, pour reprendre l’arrêt Sparrow, qu’il n’a jamais fait de doute que la Couronne était souveraine et disposait d’un pouvoir législatif — qui était un pouvoir plénier, j’imagine — et d’un droit de propriété sous-jacent en vertu de tous les traités, lesquels indiquent en réalité qu’il aurait dû y avoir une partage du pouvoir législatif et du droit de propriété sous-jacent au XIXe siècle. C’est donc l’idée générale.

Le fondement de notre Constitution repose déjà sur le droit international, qui empêche les peuples autochtones de jouer leur rôle de partenaires fondateurs de la Confédération. À ce titre, ils ne contestent pas l’intégrité territoriale du Canada. Ils ne sont pas ici pour faire sécession. Ils désirent partager le pouvoir législatif et le droit de propriété sous-jacent relatifs aux terres. La jurisprudence actuelle bloque cela.

Lorsque nous comparons l’arrêt Sparrow au Renvoi sur la sécession, nous constatons des différences. Dans le Renvoi sur la sécession, on traite le peuple québécois directement avec un cadre de souveraineté populaire. S’il dit qu’il veut se retirer, cela contraint les autres parties de la Confédération à s’asseoir et à conclure un accord. C’est ce que le tribunal devait trancher. Pourquoi cela est-il différent de l’arrêt Sparrow? Il n’y a aucune explication, outre la doctrine de la découverte.

La DNUDPA est un ensemble de principes internationaux qui aident à renverser et à décoloniser la Constitution. Si nous ne faisons pas ce travail maintenant, alors nous pourrions, à mon avis, commettre l’erreur de penser le statu quo stable dans la jurisprudence actuelle. Le statu quo n’est pas stable. Tout exemple peut le montrer — par exemple, la décision au sujet du projet Trans Mountain. La présentation du cadre haïda en 2004 a donné lieu à 15 ans de litige donnant une orientation aux promoteurs tiers afin qu’ils puissent construire un pipeline, et cela ne peut pas fonctionner. Il ne s’agit pas d’une certitude juridique. Cela découle de l’incapacité des tribunaux d’aller au-delà du principe de l’entière souveraineté unilatérale de la Couronne. Nous sommes en train de laisser derrière cette jurisprudence, mais nous éprouvons encore des difficultés; le projet de loi nous fournit des ressources.

M. Borrows : Je suis d’avis que l’autodétermination sera renforcée et facilitée grâce au projet de loi C-262, car les peuples autochtones eux-mêmes mettront en œuvre la DNUDPA. Il serait ironique de nous attendre à ce que les gouvernements respectent ces normes sans exiger que notre propre gouvernement autochtone fasse la même chose.

L’article premier de la déclaration prévoit que les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif ou individuel, de jouir pleinement de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international relatif aux droits de l’homme. À quoi notre peuple devrait-il alors s’attendre de ses propres gouvernements? Qu’est-ce qui est inclus? Il y a les droits à la religion, aux croyances et aux pratiques spirituelles. Cependant, nos gouvernements autochtones doivent respecter les droits relatifs aux croyances et aux pratiques spirituelles, à la liberté d’expression, à l’association, à la vie, à la liberté et à la sécurité, à l’unité familiale, aux privilèges et aux immunités de la citoyenneté, à la langue, à l’éducation, à l’équité salariale, aux procédures de droit administratif, comme les avis et l’équité des audiences, aux soins de santé et à l’égalité des sexes, et le droit des Autochtones de ne pas faire l’objet de discrimination de la part de leurs gouvernements.

Nous avons le droit à l’autodétermination. Ce n’est pas quelque chose que des gouvernements nous ont accordé. C’est un droit de la personne. Mais lorsque nos gouvernements exercent ces droits, ils doivent le faire conformément aux droits fondamentaux de la personne qui existent. Pour renforcer l’autodétermination, la DNUDPA ne fait pas que dire au gouvernement qu’il doit changer ses façons de faire, mais elle indique également aux peuples autochtones qu’ils doivent exercer ces droits en toute équité et conformément aux dispositions générales.

Nous avons tous du travail à faire. Mais, encore une fois, cela revient à l’orientation. La déclaration nous montre la voie à suivre plutôt que de nous diriger vers l’inconnu sans que nous sachions ce que devraient être les principes de gouvernance ou de droit. Eh bien, je viens de vous les énumérer, et ils se trouvent dans ce document.

Le sénateur Christmas : J’avais plusieurs questions, mais je vais me concentrer sur une seule.

Monsieur Borrows, vous avez dit que la déclaration des Nations Unies est un instrument de développement économique et que le mot « économique » figure 16 fois dans le document. J’ai fait une petite recherche et je crois que vous avez raison là-dessus. Ma question est la suivante : la déclaration peut-elle ouvrir la porte à une plus grande prospérité des peuples autochtones? Si oui, pouvez-vous nous dire comment on peut parvenir à une plus grande prospérité?

M. Borrows : Oui. J’enseigne à l’École d’administration de l’Université Simon Fraser, principalement à des étudiants autochtones du programme de MBA. Il y a 30 étudiants chaque année qui suivent le programme. Ils viennent de tous les milieux et sont très compétents et accomplis. Si on supprime certaines des entraves qui sont actuellement en place sous le régime de la Loi sur les Indiens et d’autres choses dont parlait M. Nichols, les peuples autochtones, qui ont l’esprit d’entreprise et veulent créer des économies saines et durables pour eux-mêmes, leurs familles et leur peuple, seront en mesure d’aller de l’avant.

Il y a un courant de pensée appelé « indigenomics », lequel désigne les peuples autochtones qui utilisent l’économie de manière à inclure leurs propres positions normatives. Cette idée pourrait se retrouver dans les travaux de Dara Kelly, une femme stó:lo qui est titulaire d’un doctorat en administration des affaires et qui travaille également à l’Université Simon Fraser. Elle parle de l’économie d’affection. Dans les communautés stó:lo, il existe des liens de parenté, des possibilités d’être témoins, des transferts des connaissances et du renforcement des relations politiques par le festin, le don, l’observation, le chant et d’autres types de choses qui sont axées sur les ressources. Il ne s’agit pas seulement de la beauté des histoires ou du son d’une chanson que l’on écoute ou de la merveille des couvertures à boutons et des masques; c’est également une question de ressources et de la façon dont les gens assurent la redistribution et la mobilisation des ressources financières en vue de soutenir la communauté en général.

Voilà quelques-uns des exemples en plus de ceux que je vous ai donnés plus tôt à propos des nations Nisga’a, Squamish et Tsleil-Waututh ainsi que de la nation des Chippawas of the Thames, dont M. Borrows a parlé plus tôt, lesquelles suivent un protocole de consultation et font beaucoup de développement économique. D’un océan à l’autre, il y a beaucoup d’entrepreneuriat autochtone, et ce document aidera les gens à passer à la prochaine étape et à utiliser leur créativité afin de donner une orientation à leurs efforts parce que toutes ces dispositions peuvent contribuer à ouvrir de nouvelles voies.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Borrows.

La présidente : Merci beaucoup. Notre temps est écoulé. Au nom des membres du comité, j’aimerais remercier M. John Burrows et M. Joshua Nichols d’avoir partagé leur expertise avec nous ce soir.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et nous sommes heureux d’accueillir Mauro Barelli, chargé de cours principal à l’École de droit City de l’Université de Londres, et M. Paul Joffe, conseiller juridique, Grand Conseil des Cris.

Merci à vous deux de prendre le temps de témoigner devant nous ce soir. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Barelli, puis ce sera au tour de M. Joffe. Monsieur Barelli, vous avez la parole.

Mauro Barelli, chargé de cours principal, École de droit City, Université de Londres, à titre personnel : Merci, madame la présidente, et mesdames et messieurs, de m’avoir invité ici aujourd’hui.

Je suis chargé de cours principal à l’École de droit City de l’Université de Londres. Je me spécialise dans la dimension du droit international en ce qui a trait aux droits des peuples autochtones. Parmi les questions que j’ai étudiées au cours de la dernière décennie, il y a deux choses qui semblent particulièrement pertinentes au débat entourant le projet de loi C-262 : premièrement, la question de la portée juridique de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; deuxièmement, la question du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Aujourd’hui, j’aimerais me concentrer sur ces deux questions.

D’abord, parlons de la portée juridique de la DNUDPA. Comme on le sait, le Canada a été un des rares États à voter contre la déclaration des Nations Unies à l’Assemblée générale de 2007. Les choses, toutefois, ont changé considérablement depuis. Après une reconnaissance timide en 2010, le Canada s’est maintenant complètement engagé à soutenir et, surtout, à mettre en œuvre la déclaration.

C’est une bonne mesure qui permettrait au Canada d’harmoniser ses lois nationales avec les normes juridiques internationales concernant les peuples autochtones. En effet, le contenu de la déclaration reflète le cadre juridique international relatif aux droits autochtones. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones prescrit ce que les États doivent faire afin de respecter leurs obligations internationales à l’égard des peuples autochtones.

Les organes responsables des traités relatifs aux droits de la personne des Nations Unies, comme le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité des droits de l’enfant, pour ne mentionner que ceux-là, ainsi que les tribunaux régionaux des droits de la personne, tels que la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, ont tous utilisé, et continuent d’utiliser, la déclaration comme point de repère pour définir les droits des peuples autochtones.

Les tribunaux nationaux ont également promu activement la déclaration au sein de systèmes nationaux, comme l’a montré la pratique des cours suprêmes et des cours constitutionnelles du Belize, de la Colombie et du Mexique.

En même temps, plusieurs pays ont pris des mesures pour réviser leur constitution et leurs lois à la lumière de la déclaration ou sont en train de le faire. Le Canada est certainement sur la bonne voie en s’engageant, par ce projet de loi, à mettre en œuvre, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les dispositions de la déclaration des Nations Unies.

Mon deuxième point concerne un principe précis de la déclaration qui a été, à plusieurs occasions au cours des discussions sur le projet de loi, une source de préoccupation. Je parle, bien sûr, du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

En ce qui concerne les projets de développement qui touchent les terres des peuples autochtones, la déclaration voit le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause comme un principe qui renforce le droit des peuples autochtones d’être consultés et de participer. Ces deux droits s’inscrivent dans le contexte plus large du droit des peuples autochtones à l’autodétermination. L’importance des droits auxquels se rattache le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause — la participation, la consultation et, bien sûr, l’autodétermination — donne à penser que l’engagement du gouvernement à respecter et à protéger les droits des peuples autochtones doit comporter, à mon avis, un engagement à appliquer le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Cela veut-il dire que les peuples autochtones devraient jouir d’un droit de veto? Ni la déclaration ni les organes internationaux des droits de la personne ne définissent ainsi le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Jetons un bref coup d’œil au paragraphe 32(2) de la déclaration des Nations Unies. La disposition prévoit ce qui suit :

Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi [...] en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres [...]

Le libellé et la rédaction de cette disposition laissent entendre que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause doit être appliqué avec une certaine souplesse. C’est confirmé par la pratique d’organes des droits de la personne des Nations Unies, par exemple, le Comité des droits de l’homme, les tribunaux régionaux des droits de la personne, comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme et plusieurs cours suprêmes et cours constitutionnelles, dont celles de la Bolivie, du Belize et de la Colombie. Quant à la portée du droit des peuples autochtones à la participation et à la consultation, tous les organes que j’ai mentionnés sont d’avis que le degré de participation des peuples autochtones dans les processus décisionnels dépend de la nature et du contenu des droits et des activités en question.

Cela veut dire, premièrement, que les consultations devraient toujours viser l’obtention d’un consentement. C’est l’objectif ultime. Deuxièmement, les peuples autochtones devraient toujours avoir une occasion réaliste d’influencer le résultat de consultations pertinentes. Troisièmement, il y a peut-être des circonstances dans lesquelles les peuples autochtones devraient avoir le droit non seulement de donner leur consentement, mais également de refuser de le donner. Autrement dit, lorsqu’un projet est susceptible d’avoir des incidences négatives importantes sur les terres, les droits et, au bout du compte, la vie des Autochtones, alors les États auront l’obligation non seulement de les consulter, mais aussi d’obtenir leur consentement. C’est essentiel pour que l’on puisse garantir une protection efficace des droits fondamentaux des peuples autochtones.

Cela dit, l’article 46 de la déclaration des Nations Unies permet aux États d’imposer des restrictions sur l’exercice des droits énoncés dans la déclaration. Évidemment, cela s’appliquerait aussi au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Les conditions à cet égard exigeraient, par exemple, que toute restriction soit strictement nécessaire à seule fin de satisfaire aux justes exigences qui s’imposent dans une société démocratique.

Avant de conclure, j’aimerais mentionner que, dans l’arrêt Tsilhqot’in de 2014, la Cour suprême du Canada a déjà adopté, sans mentionner expressément le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, une interprétation ferme axée sur le consentement concernant l’obligation de consultation, ce qui correspond essentiellement au modèle du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause de la DNUDPA. En effet, dans le cadre de ses 10 principes régissant sa relation avec les peuples autochtones, le gouvernement du Canada a reconnu la nécessité de s’engager envers une nouvelle relation, « sans toutefois s’y limiter, sur le devoir juridique de consultation ».

À la lumière de ce qui précède, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ne devrait pas, à mon avis, être considéré comme un obstacle à l’adoption du projet de loi. Au contraire, il représente une norme juridique internationale que les États doivent accepter en vue de respecter leurs obligations internationales à l’égard des peuples autochtones. Évidemment, le Canada ne fait pas exception. Le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies ont tous exigé, au cours des dernières années, que le Canada reconnaisse le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Non seulement le fait de souscrire au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause répondrait à ces appels internationaux, mais cela enverrait également le signal d’un engagement important à respecter pleinement les droits fondamentaux des peuples autochtones.

Merci de votre attention.

Paul Joffe, conseiller juridique, Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee), à titre personnel : Bonsoir, madame la présidente, et mesdames et messieurs.

J’aimerais d’abord reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel du peuple algonquin. Je suis heureux d’avoir l’occasion de témoigner devant le comité.

Le projet de loi C-262 confirme que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et trouve application au Canada. Cela ne signifie pas que toutes les dispositions de la déclaration sont immédiatement intégrées dans le droit canadien. La déclaration des Nations Unies n’est pas contraignante de la même façon que les traités internationaux, mais elle a tout de même divers effets juridiques. On peut l’utiliser pour interpréter des conventions internationales, ainsi que le droit interne du Canada, y compris la Constitution. Jusqu’à maintenant, l’Assemblée générale a réaffirmé la déclaration des Nations Unies 10 fois par consensus. Cela renforce son importance et ses effets juridiques.

En novembre 2010, le gouvernement conservateur a ratifié la déclaration des Nations Unies et déclaré ce qui suit :

Nous sommes désormais convaincus que le Canada peut interpréter les principes de la déclaration de façon conforme à sa Constitution et à son cadre juridique.

En adhérant officiellement à la déclaration des Nations Unies, l’ancien gouvernement a exprimé ses inquiétudes relativement au « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, lorsque interprété comme un droit de veto ». Le gouvernement ne s’inquiétait pas du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause en tant que tel, mais plutôt du fait qu’il soit utilisé comme un droit de veto. Le droit de veto suppose un pouvoir absolu, sans un équilibre entre les droits. Ce n’est ni l’intention ni l’interprétation du consentement dans le droit canadien et le droit international. Dans les paragraphes 46(2) et 46(3), la déclaration des Nations Unies comporte des dispositions exhaustives sur l’appréciation des intérêts en jeu.

Les droits autochtones affirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 font l’objet d’une interprétation évolutive. C’est cohérent avec la doctrine de l’arbre qui s’applique à la Constitution du Canada. Comme l’a tranché le plus haut tribunal du Canada en 1984 dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., la Constitution doit : « [...] être susceptible d’évoluer avec le temps de manière à répondre à de nouvelles réalités sociales, politiques et historiques que souvent ses auteurs n’ont pas envisagées ».

La déclaration des Nations Unies est une nouvelle réalité sociale, politique et, j’ajouterais, juridique. La déclaration est l’instrument de droits de la personne qui a fait l’objet des plus longues négociations de l’histoire des Nations Unies, soit plus de 20 ans. Le Canada a joué un rôle actif tout au long de ce processus. Les tribunaux régionaux et nationaux et les commissions s’appuient de plus en plus sur la déclaration. Également, un plan d’action à l’échelle du système a été élaboré au sein des Nations Unies.

Comme l’a conclu le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones à Genève, la déclaration des Nations Unies constitue « un cadre de principes pour la justice, la réconciliation, la guérison et la paix ».

Il est important et urgent que la déclaration des Nations Unies soit largement utilisée pour l’interprétation des droits ancestraux et issus de traités de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ainsi que d’autres lois canadiennes pertinentes.

L’importance de la déclaration des Nations Unies a été renforcée davantage par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, la CVR. Au total, 16 des 94 Appels à l’action sont liés à la déclaration. L’appel à l’action 43 prévoit ce qui suit :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.

Il faut que ce soit fait dans « le cadre de la réconciliation ».

Par conséquent, la déclaration des Nations Unies et les Appels à l’action de la CVR sont indissolublement liés. Les personnes qui choisissent de miner la déclaration des Nations Unies minent également l’initiative de réconciliation nationale du Canada.

La CVR est peut-être la plus importante commission qui ait jamais été créée au Canada. En particulier, ses rapports servent d’éléments déclencheurs afin que l’on puisse mettre en œuvre de profondes réformes dont le Canada a désespérément besoin.

Madame la présidente, le projet de loi C-262 et la déclaration des Nations Unies règlent les problèmes de développement. Je vais conclure ma déclaration liminaire en soulignant le développement durable, la pauvreté et les droits de la personne.

En septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, par consensus, un instrument important visant la réalisation du développement durable à l’échelle mondiale, à savoir « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Jusqu’à maintenant, ce document essentiel a été réaffirmé 43 fois par consensus à l’Assemblée générale. Les États sont notamment résolus :

[...] à éliminer la pauvreté et la faim partout dans le monde d’ici à 2030; à combattre les inégalités [...] à protéger les droits de l’homme et à favoriser l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles; à protéger durablement la planète et ses ressources naturelles.

Dans ce contexte, l’Assemblée générale a ajouté, dans une autre résolution consensuelle de 2015, qu’« [...] il faut veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte, y compris les peuples autochtones [...] »

Il est maintenant temps pour le gouvernement de travailler avec les peuples autochtones en vue d’appliquer efficacement la déclaration des Nations Unies au Canada.

Merci.

La présidente : Merci. C’est maintenant au tour des sénateurs de prendre la parole pour poser des questions.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’être ici.

Les articles 22 et 44 de la déclaration parlent des droits et des besoins des femmes autochtones et demandent aux États de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des femmes et des filles. En outre, nous savons, grâce à un document préparé par Celeste McKay et Craig Benjamin, que les droits économiques, sociaux et culturels des femmes autochtones sont indissociables de leur droit de ne pas subir de violence et de discrimination.

J’aimerais savoir, monsieur Barelli et monsieur Joffe, comment la déclaration fournira-t-elle suffisamment de protection aux femmes autochtones par l’intermédiaire de droits de la personne et de droits socioéconomiques et culturels, et comment cela sera-t-il lié à une partie des travaux qui sont accomplis au pays en ce qui concerne les femmes autochtones disparues et assassinées? Bien sûr, vous avez déjà mentionné le lien avec la CVR.

M. Joffe : Oui. Les articles 22 et 44 sont essentiels. Lorsque la déclaration a été négociée, il était plus difficile au départ d’obtenir l’appui de l’article 44 qui porte sur l’égalité. Une fois qu’il a été adopté, on est passé à la Déclaration américaine relative aux droits des peuples autochtones, et les gens s’y sont habitués. Les mêmes dirigeants — c’étaient en grande partie des hommes qui avaient des réserves — étaient soudainement tous d’accord. Encore une fois, ces instruments de droits de la personne ont renforcé la compréhension et favorisé les discussions sur leur signification, et les gens ont fini par l’accepter.

Il faut que les droits de la personne fassent partie intégrante de la déclaration. Celeste Mckay et Craig Benjamin ont tout à fait raison. Nous savons que les droits de la personne sont en général tous interdépendants, interreliés et indissociables, alors ce que vous dites est parfaitement logique. Il faut lire l’instrument dans son ensemble.

Ce qui est important du point de vue des femmes et des filles, à mon avis, c’est l’article 43, qui porte sur les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être. Ce sont tous des éléments cruciaux, mais le bien-être l’est particulièrement parce que si on mène des négociations, dans n’importe quel contexte, et que l’interprétation n’est pas fondée sur son point de vue, dans le cas présent celui des femmes et des filles, de ce qui favorise ou renforce son bien-être, ce n’est pas une interprétation légitime de la déclaration.

Il faut que cela forme un tout cohérent. Il y aurait, selon les circonstances ou les faits, une combinaison différente d’articles. Si nous choisissons la culture, les femmes jouent peut-être certains rôles. Les gens disent que, lorsqu’il s’agit des langues autochtones, ce sont habituellement les femmes qui sont en première ligne. Encore une fois, tous ces faits donneraient lieu à une interprétation différente, mais, essentiellement, l’ensemble de la déclaration s’applique.

La disposition dont vous avez parlé, l’article 22, mentionne les personnes handicapées, les enfants et les jeunes. Ce que cela signifie — et c’est la même chose pour les femmes et les filles —, c’est qu’on doit interpréter toutes les dispositions de la déclaration dans l’optique des femmes et des filles, le cas échéant, ou des personnes handicapées, des enfants ou des aînés qui sont mentionnés; on obtient donc un nouvel éventail de façons d’interpréter la déclaration.

M. Barelli : Je mentionnerais également que l’article premier de la déclaration reconnaît les droits des peuples autochtones à titre collectif, mais également individuel. En fait, un des piliers sur lesquels la déclaration s’appuie, c’est la combinaison des droits collectifs et individuels, ce qui, par conséquent, profite aux particuliers et, dans le cas présent, pour répondre à votre question, aux femmes.

Des dispositions précises sur cet enjeu seront certainement utiles. Bien sûr, la déclaration en soi ne fournit pas la réponse à toutes les questions ou la solution à tous les problèmes, et le projet de loi comporte un plan d’action qui doit s’étaler sur une longue période. Il s’agit d’une reconnaissance de la complexité de la solution pour régler nombre de problèmes différents, lesquels finiront tous par être liés, comme mon collègue vient de le dire.

La sénatrice Pate : En ce qui concerne la mise en œuvre de la déclaration à l’échelle internationale, y a-t-il des aspects dont nous pourrions tirer des leçons à cet égard ou de manière plus générale?

M. Barelli : Les exemples abondent partout dans le monde. Il y en a également de pays ayant des peuples autochtones. Je peux vous parler d’une étude très récente réalisée par l’Instance permanente sur les questions autochtones il y a environ deux ans, en 2017, à l’occasion du 10e anniversaire de la déclaration. L’étude s’est concentrée sur les mesures prises pour mettre en œuvre la déclaration dans le monde entier. L’Équateur, la Bolivie, le Costa Rica, le Salvador et le Mexique sont de bons exemples d’États qui ont en réalité modifié leur constitution. Ces États n’ont pas seulement changé leurs lois nationales; ils ont pris des mesures pour réformer leur constitution.

D’autres pays ont changé d’importantes lois nationales à la lumière de la déclaration. Il est intéressant de noter qu’il s’agit également d’États africains, notamment le Congo et le Kenya.

Idéalement, les gens auraient aimé voir plus d’efforts et plus d’exemples concrets de mises en œuvre réussies après tant d’années, mais il y a des exemples. À cet égard, le Canada ne serait pas le premier pays à prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre la déclaration.

M. Joffe : J’aimerais ajouter une chose. Vous avez peut-être entendu aux nouvelles que le Canada est le premier pays à mettre en œuvre la déclaration des Nations Unies. Ce que M. Barelli dit, c’est que ce n’est pas exact. D’autres pays ont fait de merveilleuses choses. La Ville de Mexico, dans sa constitution, a élargi minutieusement les dispositions afin qu’elles reflètent sa situation. C’est également dans la constitution de l’Équateur. Cela ne s’applique pas seulement à la déclaration, mais dans ce pays, les déclarations l’emportent sur les lois nationales.

La sénatrice McPhedran : Merci à vous deux d’être ici.

J’aimerais examiner avec vous de plus près l’article 46. Je souhaite situer ma question par rapport à un certain nombre d’autres articles de la déclaration. C’est une estimation, mais je dirais que les articles 8, 10, 19, 21, 26, 27, 28 et 32, selon ce que j’ai lu, comportent tous des éléments du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et/ou une certaine forme de développement ou de propriété économiques.

J’aimerais poser ma question particulièrement dans le contexte du paragraphe 26(2), qui est rédigé ainsi :

Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.

Je voudrais faire un lien entre ce paragraphe 26(2) et l’article 46 et, en particulier, monsieur Barelli, ce que vous avez dit à propos de l’article 46, soit qu’il permet non seulement le respect des droits, mais également de la souveraineté des États dans la mesure où cela peut en réalité limiter les droits.

Pour aller un peu plus loin, j’aimerais savoir en particulier si un aspect de votre réponse porterait sur l’extraction, sans oublier, bien sûr, qu’il s’agit d’un accord entre les États. L’accord a été conclu par des États signataires, mais on ne parle pas directement de sociétés; je pense qu’il est important de souligner qu’on fait référence aux personnes à certains endroits de la déclaration. Au moins au Canada, le terme « personne » comprend les sociétés, ce qui s’est avéré être un défi pour nous en ce qui concerne notre propre Charte des droits et libertés.

Je sais qu’il s’agit d’une question très vaste, mais je pense qu’une grande partie du malaise exprimé par certains sénateurs concernant ce projet de loi repose peut-être sur le sous-texte entourant l’extraction et l’industrie extractive, alors je pense que ce serait une bonne idée si nous pouvions examiner ce paragraphe et en discuter.

M. Barelli : Merci de la question.

Oui, vous avez raison, nombre de dispositions de la déclaration des Nations Unies portent directement ou indirectement sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je conviens avec vous que les dispositions sur les droits fonciers sont évidemment les premières concernées. En fait, je crois que le droit à l’autodétermination, les droits fonciers et le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, doivent toujours être pris en considération ensemble. Il faut ces trois piliers afin que l’autodétermination, en particulier, fonctionne. On ne peut pas atteindre l’autodétermination sans les droits fonciers. On doit avoir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, pour jouir pleinement des droits fonciers, et cela nous ramène à l’autodétermination. C’est la première chose qu’il faut dire.

Quant à l’article 46, la déclaration ne fait rien de spécial ou d’unique sur le plan du droit international relatif aux droits de la personne. Un principe fondamental de ce droit, c’est que la majorité des droits de la personne peuvent être limités. Il n’y a que quelques exemples de droits absolus qui ne peuvent jamais être légalement restreints par des gouvernements. Par exemple, l’interdiction de la torture en serait un. La déclaration ne fait pas exception. Par conséquent, les États peuvent avoir recours à ces dispositions lorsqu’il s’agit de droits fonciers et de l’exploitation de ressources qui se trouvent sur ces terres.

Le libellé clé de la disposition dont vous parliez se lit ainsi :

L’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration est soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi et conformes aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Toute restriction de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux justes exigences qui s’imposent dans une société démocratique.

Par conséquent, après avoir établi que toute consultation doit viser l’obtention du consentement afin d’être utile et que... et je dis cela en me fondant sur la compréhension du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui a émergé très clairement à l’échelle internationale depuis l’adoption de la déclaration. Pour que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, soit utile, il faut reconnaître que les peuples autochtones ne sont pas obligés de toujours donner leur consentement. Pour que ce dernier ait un sens, tout comme le droit des peuples autochtones de participer aux processus décisionnels, il doit y avoir des circonstances dans lesquelles ils ont non seulement le droit de consentir, mais également de refuser de le faire. Cela requerrait l’atteinte d’un équilibre de la part des parties prenantes relativement aux droits qui sont en jeu, à l’importance de la violation et à l’avantage que l’on aille de l’avant sans le consentement. L’avantage l’emporterait-il sur le désavantage qui nuirait aux communautés autochtones touchées?

Ce sont toutes des considérations qui s’appliquent assurément à l’exemple que vous avez donné. En conséquence, je pense que les dispositions relatives au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, devraient être suffisamment rassurantes pour les États et les gouvernements qui sont particulièrement préoccupés par cette question parce que, comme nous venons tous deux de le dire, la déclaration ne reconnaît pas que l’on puisse opposer son veto à toute proposition sans contexte.

En outre, nous avons la disposition du paragraphe 46(2) qui est une protection supplémentaire, en un sens, pour les États, qui peuvent clairement maintenir leur position et faire valoir qu’ils peuvent aller de l’avant avec certaines dispositions sans obtenir de consentement s’ils croient que c’est légitime en vertu du paragraphe 46(2).

La sénatrice McPhedran : Une nécessité impérative pour une société démocratique.

M. Barelli : Oui. C’est exact.

M. Joffe : Oui. Je ne suivrai pas un ordre précis, mais je vais essayer de lire certains de ces points. La déclaration porte principalement sur les peuples autochtones et les États. J’ai lu la déclaration, et elle ne dit rien sur les sociétés, mais, si vous prenez l’article 40, qui porte sur le droit d’avoir accès à des procédures justes et équitables, il précise ce qui suit :

[...] des différends avec les États ou d’autres parties.

Ce sont donc des mots clés, et cela change les choses. Autrement dit, la déclaration ne s’adresse pas seulement aux États et aux peuples autochtones.

Les Nations Unies ont affirmé dernièrement, en ce qui concerne la convention relative aux personnes handicapées, qu’il s’agissait d’un instrument de droits de la personne et de développement parce que l’objectif, c’était que les personnes handicapées puissent en profiter davantage. Eh bien, il s’agit clairement d’un instrument de droits de la personne et de développement.

M. John Borrows s’est concentré sur le développement économique, mais le développement social, économique, culturel et politique — toutes les formes de développement — est également couvert. Il est important d’examiner l’aspect du développement parce que dans toute discussion, le promoteur, par exemple, doit également savoir qu’il y a du développement pour l’autre partie. Il peut y avoir un partage du développement économique, mais d’autres types de développement doivent aussi pouvoir exister. Alors, encore une fois, nous parlons d’éléments intéressants.

L’autre chose que je veux souligner, et je ne sais pas si vous faites cela, mais, à mon humble avis, vous devriez toujours numéroter les 24 paragraphes du préambule; autrement, vous ne les trouverez jamais. Après une certaine période, vous connaîtrez les numéros. Je les appelle PP1 à PP24. Le PP11 est ainsi libellé :

[...] le respect des savoirs, des cultures et des pratiques traditionnels autochtones contribue à une mise en valeur durable et équitable de l’environnement et à sa bonne gestion.

On mentionne ici la mise en valeur durable. À ce moment-là, le programme de 2030 n’existait pas, alors on a ajouté la mise en valeur durable et équitable, puisque, à l’époque, le terme « développement » n’avait pas la signification qu’il a aujourd’hui. L’adjectif « équitable » devait couvrir d’autres choses comme le respect des droits de la personne et le fait d’éviter de causer plus de problèmes que les bénéfices escomptés.

J’aimerais également mentionner rapidement que, avec le droit à l’autodétermination — cela concerne les paragraphes 46(2) et (3) —, nous avons posé aux représentants du Canada — parce que nous tenions des réunions avant chaque séance de négociation, vers la fin, mais pas toujours, et parfois la relation était très fragile — les questions suivantes : « De quoi avez-vous besoin? De quoi a besoin le Canada, à votre avis, pour accepter d’inclure le droit à l’autodétermination? » Ils ont répondu qu’ils désiraient des relations harmonieuses. Ils ne voulaient pas ajouter des choses qui causeraient plus de conflits. Nous avons donc rédigé le libellé, et c’est la raison pour laquelle tous ces éléments se trouvent au paragraphe 46(3). Nous avons choisi les principes clés qui existent déjà dans les systèmes juridiques canadiens. Si vous regardez ces éléments, ils font déjà tous partie du Canada. Nous leur avons montré le libellé que nous avions rédigé et leur avons dit qu’il s’agissait d’un équilibre, alors si quelqu’un disait « cette disposition va beaucoup trop loin », nous pourrions répondre que des dispositions générales prévoient un équilibre et tiennent compte de toute situation de fait et de droit.

Je dis cela à titre d’information. Merci.

La présidente : Le temps est presque écoulé. Je crois que nous avons le temps pour un autre intervenant.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci de vos exposés.

Monsieur Joffe, ma question s’adresse à vous. À mon avis, il y a un sentiment que, si la DNUDPA était adoptée, on ne connaîtrait pas le résultat dans une certaine mesure, il s’agirait d’un saut dans l’inconnu et qu’on serait plongé dans l’incertitude par rapport aux droits qu’auraient les peuples autochtones. Je pense qu’il y a déjà des exemples au Canada qui nous donnent une idée de ce qui va se produire. Le Grand Conseil des Cris en est probablement un. Croyez-vous que la relation spéciale qu’entretient le Grand Conseil avec le gouvernement fédéral lui permet déjà de fonctionner dans une situation qui ressemble à celle de la DNUDPA?

M. Joffe : Je devrais parler du Grand conseil des Cris. Dès que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a été conclue en 1975 — je représentais alors les Inuits, et non pas les Cris —, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont dits : « Nous avons mis fin à leurs droits. Nous n’avons pas à faire quoi que ce soit ni à respecter les nombreux chapitres de ce traité » — comme on l’appelle maintenant. Les Cris ont donc poursuivi en justice les deux gouvernements tous les ans entre 1977 et 2002. Finalement, le gouvernement a dit : « Cela n’a aucun sens. Ce n’est avantageux pour aucun d’entre nous. » Des ententes ont donc été conclues. Les Cris entretiennent maintenant l’une des relations des plus harmonieuses qui soient avec le gouvernement du Québec, en raison de leur proximité, ainsi qu’avec le gouvernement fédéral.

J’estime que c’est ce qui va arriver. Cela revient à ce dont John Borrows parlait. Lorsque les gens ne sont pas menacés, ils peuvent se permettre de s’asseoir et d’écouter avec un esprit plus ouvert ce que l’autre partie a à dire. Cependant, s’ils sont menacés, s’ils pensent que c’est toujours la même chose, qu’il s’agit de colonialisme et non pas de droits de la personne, qu’ils sont relégués au second plan et subordonnés et qu’ils seront mis de côté, les relations s’enveniment.

Je vais conclure en disant que c’est la raison pour laquelle les Cris ont conclu environ 90 ententes avec les gouvernements et avec des personnes morales.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je voulais que vous souligniez le fait que l’exploitation des ressources n’a pas cessé. En fait, l’industrie a connu un essor grâce à ces ententes, puisqu’il y a un partenariat égal. Prévoyez-vous que cela puisse s’étendre d’un océan à l’autre et, dans la mesure où ces relations pouvaient être établies, cela pourrait-il donner lieu à de grands projets partout au Canada?

M. Joffe : C’est ce que je crois. Dans le cas de la Colombie-Britannique, par exemple, il y a bon nombre de tensions à l’heure actuelle. C’est un véritable lieu de conflit, et on y entame sans cesse des poursuites. J’estime que plus il y aura d’ententes de conclues, moins il y aura de poursuites, puisqu’il y aura une certaine ouverture d’esprit. Quand on commence à se parler, on peut réellement grandir, et vous seriez surpris de voir à quel point cela peut prendre une direction positive rapidement.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, monsieur Joffe.

La présidente : Il est 20 h 30. Nous avons une séance à huis clos sur les instructions relatives à la rédaction du projet de loi C-97.

Monsieur le sénateur Tannas, avez-vous une question? Je crois que je vais vous permettre de la poser. Nous serons un peu en retard pour la séance à huis clos.

Le sénateur Tannas : Je serai très bref.

Monsieur Joffe, nous nous sommes déjà rencontrés, vous, moi et M. Saganash. Ai-je bien compris que vous avez aidé M. Saganash à rédiger ce projet de loi? D’accord, c’est très bien. Je voulais que cela soit inscrit au compte rendu.

M. Joffe : Je n’ai fait que l’aider, je ne suis pas le principal rédacteur.

Le sénateur Tannas : Je comprends. C’est vous qui teniez la plume, mais il s’agit de ses idées, est-ce bien cela?

M. Joffe : Je n’étais pas présent au début. Je ne sais même pas qui l’a aidé. Cependant, nous avons évolué au fur et à mesure.

Le sénateur Tannas : Au fil des différentes versions du projet de loi?

M. Joffe : Oui. Vous devez également faire appel à un rédacteur législatif, qui rédige le document. Puis, il arrive que nous trouvions que le sens a été changé. Il faut alors trouver une solution qui satisfasse à toutes les parties.

Le sénateur Tannas : C’est bien. Il ne s’agit donc pas de piéger qui que ce soit. Je souhaitais simplement clarifier ce point.

Je vous ai entendu dire que la déclaration n’était pas contraignante. Avez-vous dit cela au début? J’essaie de comprendre si le projet de loi C-262 améliore ou renforce l’applicabilité de la DNUDPA dans le droit canadien, plutôt que de simplement l’accepter, ce que le Canada a déjà fait. J’ai entendu différentes histoires, et j’aimerais avoir votre avis à ce sujet. J’ai cru vous avoir entendu dire que ce n’était pas vraiment le cas.

M. Joffe : Ce que j’ai dit, en fait, c’est exactement la même chose que ce que l’ancien rapporteur spécial, James Anaya, a dit. Nous sommes tous les deux arrivés à cette conclusion de façon indépendante : la déclaration n’est pas contraignante de la même façon que le sont les traités.

Le sénateur Tannas : Ma question portait en fait sur le projet de loi C-262.

M. Joffe : Il y a des conséquences juridiques.

Le sénateur Tannas : Le projet de loi C-262 est-il plus contraignant pour le Canada que la DNUDPA que nous avons acceptée?

M. Joffe : Je crois qu’il s’agit d’une entente qui porte sur le travail en collaboration, comme ce que disait M. Borrows. Afin de comprendre comment se conformer davantage à la déclaration des Nations Unies, vous devez vous rencontrer et discuter. Il vous faut un processus en place afin que les gens sentent qu’ils peuvent le faire. Si vous n’avez pas de processus en place, les gens se diront qu’ils doivent aller devant les tribunaux, et il sera impossible d’avoir une relation harmonieuse.

Le sénateur Tannas : Merci.

Monsieur Barelli, vous avez soulevé un point important qui était inconnu de nous tous. J’ai toujours pensé qu’aucun pays n’avait intégré la DNUDPA dans ses lois. Je sais maintenant que la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Mexique, le Congo et le Kenya l’ont fait. Cependant, ils sont tous parmi les pays les plus corrompus, nous pouvons donc prendre leurs lois avec un grain de sel. Y a-t-il un autre pays auquel nous pouvons nous comparer, c’est-à-dire qui possède une économie moderne et un niveau élevé de respect pour les lois, et ainsi de suite?

M. Barelli : Certains des pays que vous venez de mentionner sont en fait connus pour leur approche progressive en matière de droit et d’accords constitutionnels.

Le sénateur Tannas : Ils sont tout simplement corrompus, alors?

M. Barelli : Je ne vois pas la pertinence de ce point dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de la déclaration. Ces pays ont remanié leurs constitutions en se fondant sur la DNUDPA ou ont modifié leurs lois pour les harmoniser à la déclaration.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur Patterson : Madame la présidente, j’invoque le Règlement. Tout d’abord, je suis le porte-parole du projet de loi, et j’aurais aimé pouvoir poser au moins une dernière question à ces témoins importants.

La présidente : Je n’ai pas à vous accorder du temps.

Le sénateur Patterson : M. Saganash a dit que 99,9 p. 100 des témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes ne voyaient aucun problème au projet de loi. J’en suis le porte-parole, et vous avez entendu des témoins qui n’ont pas été très critiques.

De plus, il est écrit sur l’avis de séance d’aujourd’hui que ces deux témoins comparaissaient à titre personnel dans le deuxième groupe de 19 h 45 à 20 h 45. Il nous reste 10 minutes avant qu’il ne soit 20 h 45, et vous m’enlevez l’occasion de poser une seule question.

La présidente : Il me semble que si vous jetez un coup d’œil à l’avis, il devrait également y avoir... l’avez-vous devant les yeux?

Le sénateur Patterson : Je l’ai devant moi. Il est écrit deux témoins, 20 h 45.

La présidente : Cela inclut également une séance à huis clos.

Le sénateur Patterson : Il n’y a pas d’heure indiquée.

Le sénateur Plett : En effet, il n’y en a pas, madame la présidente.

La présidente : Oui, elle y est.

Le sénateur Patterson : Il est écrit numéro 1, quatre témoins, de 18 h 45 à 20 h 45, numéro 2, à huis clos, et il n’y a aucune heure indiquée.

La présidente : C’est vrai.

Le sénateur Patterson : C’est probablement après 20 h 45. Je suis d’accord pour que l’on retarde les travaux sur la rédaction, mais je ne pense pas qu’il est juste que le vice-président ait dû supplier qu’on lui accorde une question.

La présidente : Il n’a pas eu à supplier.

Le sénateur Patterson : Eh bien, j’ai supplié à sa place, et vous avez accepté que l’un d’entre nous pose une question.

La présidente : Oui. Nous tentions de nous garder du temps, puisque notre séance se termine à 20 h 45. De façon générale, lorsque nous avons une séance à huis clos, nous levons la séance entre 10 et 15 minutes plus tôt afin que nous procédions à la séance à huis clos et que nous terminions à 20 h 45.

Le sénateur Patterson : Ce n’est pas ce qui est écrit sur l’avis.

La présidente : C’est peut-être le cas, mais c’est la coutume.

De plus, lors de la première série de questions, je vous ai donné une très bonne marge de manœuvre qui vous a permis de poser au moins trois questions. Je ne vous ai pas interrompu du tout. Lors de la deuxième série de questions, votre nom n’apparaissait qu’au bas de la liste. Qu’est-ce que je peux y faire? Il y avait encore les sénateurs Francis, Tannas, Sinclair et puis c’était à vous.

Le sénateur Patterson : L’ensemble du processus est trop précipité, madame la présidente. C’est ce que j’ai dit lorsque nous avons commencé.

La présidente : Eh bien, c’est peut-être le cas, mais c’est ma décision. Il s’agit de mes décisions.

J’aimerais suspendre brièvement la séance. Il y aura une séance à huis clos pour discuter des instructions pour la rédaction du rapport sur la teneur des éléments de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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