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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 février 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictantla Loi sur l’évaluation d’impactet la Loi sur la Régie canadiennede l’énergie, modifiant la Loi surla protection de la navigation etapportant des modificationscorrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 8 heures pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’excuse. Je me suis égarée et ma voiture ne fonctionnait pas. Nous allons tous nous y habituer. Nous apprenons vite.

Je m’appelle Rosa Galvez, et je suis une sénatrice du Québec. Je suis présidente de ce comité. Je demanderais maintenant aux sénateurs autour de la table de se présenter.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Doug Black, de l’Alberta, siégeant à titre d’invité.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire du Traité no 6, en Alberta.

[Français]

Le sénateur Pratte : Sénateur André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire du Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du territoire du Traité no 10, au Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy. Je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l’Alberta.

Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

La présidente : J’aimerais aussi vous présenter, à ma gauche, Maxime Fortin, greffière de notre comité; et, à ma droite, Sam Banks, analyste de la Bibliothèque du Parlement.

Chers collègues, aujourd’hui nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictantla Loi sur l’évaluation d’impactet la Loi sur la Régie canadiennede l’énergie, modifiant la Loi surla protection de la navigation etapportant des modificationscorrélatives à d’autres lois.

Aujourd’hui nous accueillons, de l’Association canadienne de l’électricité, M. Francis Bradley, chef de l’exploitation; et M. Terry Toner, directeur, Services de l’environnement, Nova Scotia Power. De l’Association nucléaire canadienne, nous recevons John Barrett, président et chef de la direction; Liam Mooney, vice-président, Cameco Corporation; et Frank Saunders, vice-président, Surveillance nucléaire et Affaires réglementaires, Bruce Power.

Merci de vous être joints à nous. J’invite chacun d’entre vous à prononcer ses remarques liminaires, après quoi nous passerons à la période des questions. Qui parlera en premier?

[Français]

Francis Bradley, chef de l’exploitation, Association canadienne de l’électricité : Je m’appelle Francis Bradley, chef de l’exploitation de l’Association canadienne de l’électricité. Je suis accompagné de M. Terry Toner, de Nova Scotia Power. Nous allons vous présenter le point de vue du secteur de l’électricité à propos du projet de loi C-69 en mettant l’accent sur la Loi sur l’évaluation d’impact.

L’ACE est la voix du secteur canadien de l’électricité. Nos membres représentent la chaîne de valeur complète de l’électricité, y compris les entreprises de production, de transport et de distribution de l’électricité partout au Canada, ainsi que des fabricants d’équipement et des entreprises spécialisées dans la technologie.

[Traduction]

Le secteur de l’électricité est dans une position unique pour aider le Canada à atteindre ses cibles en matière de changement climatique. Plus de 80 p. 100 de l’électricité produite au Canada est déjà non émettrice. Depuis 2005, notre secteur a réduit les émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100, et nous sommes sur la bonne voie pour les réduire de 30 p. 100 de plus d’ici à 2050.

[Français]

Afin de construire sur ce succès, des investissements considérables devront être faits au cours des années à venir. Selon le Conference Board du Canada, notre secteur devrait investir 350 milliards de dollars entre 2010 et 2030.

[Traduction]

C’est une occasion extraordinaire pour le Canada de prendre conscience du fait que, bien que nous ayons besoin d’un cadre réglementaire clair et prévisible, à l’heure actuelle, le projet de loi C-69 ne nous le donne pas.

À titre de comité, vous avez la possibilité de créer une mesure législative équilibrée. Je vais céder la parole à Terry, qui vous fera part de nos préoccupations et des recommandations précises que nous aimerions faire.

Terry Toner, directeur, Services de l’environnement, Nova Scotia Power, Association canadienne de l’électricité : Merci. J’ai cinq arguments principaux à soulever.

Premièrement, en ce qui touche le pouvoir discrétionnaire du ministre, les bons projets dans le secteur de l’électricité requièrent de la certitude sur le plan réglementaire. Voilà pourquoi nous sommes favorables à la publication de la liste des projets qui se trouve dans le règlement avant qu’on mette la dernière main à la mesure législative. C’est aussi la raison pour laquelle nous nous inquiétons de la capacité illimitée du ministre de désigner un projet non inscrit sur la liste pour qu’il fasse l’objet d’un examen. La désignation à la discrétion du ministre devrait être fondée sur des critères préétablis et publiés et ne devrait être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles.

Deuxièmement, pour ce qui est des échéanciers, les dispositions dans la mesure législative qui permettent des prolongations et des suspensions illimitées des processus d’examen nuisent à l’objectif du gouvernement d’avoir un processus prévisible. À l’heure actuelle, le projet de loi C-69 donne au ministre le pouvoir de suspendre ou de prolonger les échéanciers jusqu’à 26 fois. Le risque et l’incertitude que suscitent pareils délais sont inadmissibles. Des dispositions qui permettent d’arrêter le chronomètre et les critères des décisions relatives aux prolongations ou aux suspensions doivent être clairement définis et publiés pour que les promoteurs puissent évaluer les risques avant que les projets soient soumis à un examen. L’Association canadienne de l’électricité est favorable à une limite de 730 jours pour mener à bien le processus d’examen complet.

Troisièmement, lorsqu’il est question de certitude et de prévisibilité, les promoteurs devraient recevoir la portée des exigences liées à l’information et au processus au début du processus d’évaluation de l’impact. Cela devrait englober les critères d’évaluation, la portée et les attentes de l’agence en ce qui concerne les consultations. On peut le faire en modifiant l’article 18 qui énonce les attentes dans un avis de lancement.

Quatrièmement, en ce qui concerne le chevauchement des compétences, il est primordial que la liste de projets porte sur les projets à grande échelle d’importance nationale susceptibles d’avoir des effets néfastes dans des secteurs relevant du fédéral. La stipulation pour le fédéral d’évaluer les projets pouvant avoir des incidences devrait figurer à l’article 6.

De plus, les projets qui figurent sur la liste ne devraient pas requérir d’évaluation d’impact si les effets sont déjà réglementés adéquatement. Cette inclusion devrait être soulignée dans une version révisée du paragraphe 16(2).

En terminant, en ce qui concerne la consultation et l’accommodement des communautés autochtones, bien que les tribunaux canadiens et le premier ministre aient déclaré que le devoir de consulter prévu dans le projet de loi ne constituait pas un droit de veto, il reste un concept vaguement défini. Le préambule du projet de loi, qui fait allusion à l’intégration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, devrait être modifié. Notre industrie a un solide bilan de mobilisation et de consultation significatives et efficaces des Autochtones, mais bien que leurs intérêts doivent être pris en compte sérieusement et de bonne foi, cela ne devrait pas équivaloir à un droit de veto sur une décision relative à un projet.

M. Bradley : Notre secteur se prépare à une ère d’innovation et d’investissement sans précédent. Le projet de loi C-69 vise à offrir une meilleure certitude : un examen, une décision. Cependant, dans sa forme actuelle, il ajoute aux projets des risques et des incertitudes qui rendront plus difficiles ces investissements. Ce n’était pas l’intention du gouvernement. Avec les modifications que nous avons suggérées, nous croyons que ce projet de loi peut mieux fonctionner pour notre industrie et mieux atteindre les objectifs qu’il vise. Merci.

John Barrett, président et chef de la direction, Association nucléaire canadienne : Merci. Avant d’entamer mes remarques, j’aimerais souligner le fait que les terres sur lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui font partie du territoire traditionnel du peuple algonquin.

Merci au comité de nous donner l’occasion de témoigner devant lui. Compte tenu du temps limité dont je dispose pour prononcer mes remarques liminaires, j’aimerais aller directement au cœur du mémoire de l’Association nucléaire canadienne et formuler les commentaires et les suggestions de modifications que voici au projet de loi C-69 pour que vous en teniez compte.

J’aimerais commencer par dire que le concept de l’impact cumulatif n’est pas seulement une question clé au chapitre de l’environnement, mais aussi de l’investissement au Canada. Les grands projets énergétiques requièrent d’importants capitaux, et les capitaux sont fluides et les investisseurs n’aiment pas l’incertitude. En conséquence, toute nouvelle mesure législative, si bien intentionnée soit-elle, peut créer de l’incertitude. De plus, cette incertitude est amplifiée par le régime législatif proposé parce qu’il lui manque un élément clé, soit la liste des projets.

Je ferais aussi remarquer que l’industrie nucléaire est l’une des mieux réglementées au pays. Son organisme de réglementation, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, la CCSN, est une commission quasi judiciaire qui est reconnue et respectée mondialement. Nos membres ont foi en un régime réglementaire fort, ouvert et transparent, ils y sont favorables et ils croient que cela existe avec la CCSN.

Les membres de l’Association nucléaire canadienne appuient l’objectif du gouvernement de maintenir les normes réglementaires supérieures du Canada tout en permettant aux « bons projets d’être amorcés et aux ressources de se rendre jusqu’aux marchés ». Nous croyons que le régime réglementaire en place atteint cet objectif.

Permettez-moi maintenant de formuler des commentaires sur trois aspects du projet de loi C-69 : les examens par un seul organisme et un comité conjoint, la phase de planification initiale, et les mines et les usines de concentration d’uranium.

Le projet de loi propose qu’un seul organisme gouvernemental soit responsable des examens d’évaluation d’impact. Dans le cas de l’industrie nucléaire, le projet de loi prévoit seulement l’option d’un comité d’examen conjoint dirigé par un organisme. Bien que les comités conjoints n’aient rien de nouveau — nous en avons eu par le passé — l’Association nucléaire canadienne ne croit pas qu’ils représenteront une amélioration par rapport au processus actuel.

La plupart des impacts potentiels dont on tient compte en ce qui a trait aux projets nucléaires se rapportent à la radioprotection et aux engagements internationaux en matière de garanties et de non-prolifération, et ces travaux doivent être supervisés par un organisme doté d’une expertise scientifique importante et spécialisée. La CCSN est le seul endroit au gouvernement qui possède cette expertise, et nous croyons qu’elle devrait continuer de se charger des évaluations, car c’est l’organisme le plus efficace et efficient pour mener des examens.

En tant qu’organisme de réglementation du cycle de vie complet, la CCSN est dotée d’un système de délivrance des permis et d’un cadre réglementaire qui couvre déjà le cycle de vie entier d’un projet et qui est assujetti à la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et à son règlement d’application. Cela permet à la CCSN de non seulement mener l’évaluation d’impact pendant la phase de planification du projet, mais aussi de s’assurer que les programmes de surveillance et les conditions de suivi exigées par l’évaluation d’impact sont directement intégrées au processus de délivrance de permis pendant les diverses étapes du projet. Notre industrie est unique, et la CCSN possède une expertise et une expérience uniques pour gérer les projets.

Je vais aborder la phase initiale de planification. Les membres de l’Association nucléaire canadienne se préoccupent aussi vivement de cette phase de planification. Nous comprenons l’intention du gouvernement en ce qui la concerne, mais nous avons des doutes quant à son efficacité potentielle. Comme cette phase a lieu après que le promoteur a fourni une description initiale du projet, celui-ci aura déjà mobilisé les intervenants pour assurer l’analyse de rentabilisation et pour avoir une quelconque assurance que les questions ont été cernées et qu’elles peuvent être atténuées. L’Association nucléaire canadienne croit donc que le processus actuel permet déjà une participation initiale importante des collectivités locales, des groupes autochtones et des parties prenantes du public.

L’Association nucléaire canadienne reconnaît que ce ne sont pas tous les promoteurs qui procèdent à une mobilisation initiale aussi détaillée que nécessaire, mais nous ne croyons pas que la position par défaut doive être une seconde phase initiale de planification menée par l’organisme responsable de l’évaluation d’impact. Cela punit les bons promoteurs et n’est pas toujours nécessaire. Nous estimons que les objectifs du gouvernement pourraient être atteints en faisant en sorte que, au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact, l’agence procède à une vérification fédérale ou à un examen de confirmation du processus de mobilisation précoce des promoteurs. Cette mesure pourrait être rehaussée par l’élaboration et la diffusion de lignes directrices en matière de pratiques exemplaires, qui assureraient une approche cohérente et positive à l’égard de la mobilisation précoce.

Troisièmement, je vais parler brièvement des mines et des usines de concentration d’uranium. L’Association nucléaire canadienne se préoccupe vivement de leur traitement dans le cadre de cette mesure législative. Elle demande qu’on apporte de simples modifications à l’article 43 et aux dispositions connexes de la Loi sur l’évaluation d’impact pour s’assurer que les mines et les usines de concentration d’uranium sont traitées comme les autres mines et usines de concentration au Canada.

À l’heure actuelle, le projet de loi impose automatiquement une procédure du groupe spécial d’examen aux projets désignés de mines et d’usines de concentration d’uranium, tandis que les projets désignés de complexité semblable pour les autres mines et usines de concentration — par exemple, de charbon, d’or et d’argent — ne sont pas automatiquement sujets à pareille procédure. Ce renvoi arbitraire est différent de toutes les versions antérieures de la Loi sur l’évaluation environnementale.

En outre, cette disposition n’est appuyée par aucun élément de preuve scientifique. En fait, l’industrie d’extraction de l’uranium est une des plus performantes au Canada en ce qui concerne les questions sociales et les questions qui touchent l’environnement, la sécurité et la santé, y compris la conformité à la réglementation. De plus, c’est le seul secteur de l’extraction et de la concentration au Canada déjà sujet à la surveillance spécialisée d’un organisme fédéral de réglementation du cycle de vie, la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

Pour que la Loi sur l’évaluation d’impact fonctionne pour les producteurs d’uranium canadiens, les mines et les usines de concentration d’uranium doivent être traitées comme toutes les autres. Nos recommandations précises figurent dans notre mémoire écrit.

En conclusion, je reconnais que vous avez reçu nos commentaires écrits, mais à court préavis. J’espère que vous avez eu l’occasion de les passer en revue parce que nous y parlons de nos préoccupations bien plus en détail que je ne l’ai fait dans mes remarques liminaires.

Encore une fois, merci de nous avoir donné l’occasion de témoigner devant le comité. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Nous allons débuter la période des questions avec la vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’être venus ce matin. Les témoignages des représentants de diverses industries nous sont tous utiles pour essayer de passer en revue ce projet de loi assez long.

Je dois vous dire que les représentants du secteur de l’électricité ont envoyé quelqu’un à mon bureau qui avait étudié dans une des écoles où j’ai enseigné, alors c’était un peu choquant pour moi de constater que les étudiants se présentent maintenant devant moi. Il a dit : « Madame Cordy, vous avez enseigné à l’école primaire de Colby », ce à quoi j’ai répondu « Oui ». Il avait pas mal changé comparativement à l’époque où il avait 10 ans.

Je m’interroge au sujet de l’obligation de consulter, que vous avez soulevée et qui vous préoccupe vivement. Je ne suis pas vraiment sûre de comprendre votre préoccupation, car les tribunaux ont clairement tranché en faveur de l’obligation de consulter. Vous semblez craindre qu’il s’agisse d’un droit de veto, bien qu’il ait été prouvé devant les tribunaux, à maintes et maintes reprises, que c’est absolument nécessaire. Alors que l’ancien projet de loi... en fait, il ne s’agissait pas d’un projet de loi indépendant, mais bien d’une partie d’un projet de loi plus vaste, si bien qu’il n’y a eu aucune consultation. L’ancien système reposait sur l’obligation de consulter, mais celui-ci vise une mobilisation précoce et inclusive dès le départ. Je crois me souvenir que les tribunaux aient suggéré qu’il faille tenir des consultations précoces. En conséquence, je suis un peu... pas troublée, mais je me demande simplement pourquoi vous êtes si préoccupé alors que les tribunaux ont tranché en faveur de la consultation.

M. Toner : Je pense que nous ne nous préoccupons pas précisément du droit de veto final. Je pense que ce que nous avons constaté, même avec les projets qui ne requièrent pas d’évaluation environnementale fédérale, est qu’il faut plus de temps que le prévoit ce processus pour établir une relation adéquate.

Dans notre entreprise, si nous avons un projet auquel nous avons même pensé et que nous avons déjà une présence sur le territoire, nous espérons avoir établi cette relation et avoir passé du temps là-bas même avant de présenter le projet. Cependant, ce n’est pas une certitude. Divers promoteurs passeraient peut-être moins de temps en amont. À titre d’exemple, 180 jours semblent long pour la planification initiale, mais nombre de choses doivent se produire à ce chapitre.

Je pense que ce qui nous préoccupe, c’est simplement qu’on reconnaisse et qu’on encourage davantage les promoteurs qui se sont bien préparés au projet qu’ils présenteront, avec une bonne mobilisation dans notre cas, et qu’ils aient peut-être même conclu un type d’entente sur certains points qui étaient importants. Une fois qu’on entame le processus, 180 jours est une longue période. Je siège à un comité consultatif multi-intérêts depuis deux ans et demi, alors nous en avons beaucoup discuté. Ce sont tous des avantages de la planification initiale, mais il faut beaucoup d’efforts pour tout faire.

Je pense que nous cherchons des façons d’obtenir des garanties avant de présenter un projet mais, au bout du compte, nous pourrions être en mesure de passer à travers le processus suffisamment rapidement pour que notre projet soit couronné de succès.

La sénatrice Cordy : La planification initiale est, en fait, un des éléments de ce nouveau projet de loi, et il n’y a jamais eu de stade de planification initiale en 2012. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une étape positive qui permette aux gens d’être conscients des obstacles auxquels ils pourraient se heurter en cours de route et qu’ils peuvent surmonter avant de dépenser de vastes sommes d’argent?

M. Toner : Ce peut être un très bon processus, mais il comporte de nombreuses étapes. Il y a celle de l’ébauche de la description de projet, de la discussion et de la consultation, de la rétroaction aux promoteurs, de la description finale du projet et de la rédaction de peut-être jusqu’à cinq rapports différents, ce qui, selon nous, sera important — et aucun d’eux n’est, en fait, mentionné expressément dans le projet de loi. Ils se trouvent dans le document de consultation concernant les échéanciers. Nous aimerions que certaines de ces choses soient plus affirmées, car elles pourraient être très utiles si elles sont faites comme le décrit l’Agence canadienne d’évaluation environnementale.

Cependant, nous estimons que le projet de loi n’offre pas encore la certitude que la période de 180 jours nous donnera ce qu’elle est censée nous donner. Même avec une réglementation suffisamment publique.

La sénatrice Cordy : La réglementation ne vient jamais avant l’adoption du projet de loi, quel que soit le parti au pouvoir ou quoi qu’il se passe. Merci d’être venus aujourd’hui.

Le sénateur MacDonald : Bonjour à nos témoins.

Monsieur Bradley, vous avez mentionné que 80 p. 100 de l’électricité au Canada est produite à partir de sources non polluantes. Je suis Néo-Écossais et je peux vous dire que ce n’est assurément pas le cas en Nouvelle-Écosse. Plus de la moitié de notre électricité est encore produite à partir du charbon. Mais d’un autre côté, en termes relatifs, la Nouvelle-Écosse est passablement non polluante. Nos émissions sont assez faibles.

Monsieur Toner, j’aimerais savoir, au sujet de la Nova Scotia Power, quelles seront les répercussions à moyen et long terme des changements proposés sur sa capacité de continuer à produire de l’électricité comme elle le fait actuellement en Nouvelle-Écosse? Et quels seraient leurs effets sur sa capacité de gérer son infrastructure et de l’alimenter?

M. Toner : Beaucoup d’efforts que nous déployons au sujet du charbon ne concernent pas ce projet de loi, mais le cadre pancanadien, les deux règlements, le système de plafonnement et d’échange qui est mis en place, et la Norme sur les combustibles propres. Tout cela est très exigeant et, combiné ensemble, créera de la pression pour nous.

Nous savons que nous devons, avec le temps, faire la transition, et nous avons déjà réduit notre utilisation du charbon de plus de 30 p. 100, et nous nous dirigeons vers un autre 30 p. 100. Les projets qui seront menés pour produire l’énergie de remplacement, toutefois, pourraient être évalués à l’aune de ce projet de loi. C’est pourquoi nous souhaitons l’adoption d’un projet de loi offrant suffisamment de certitude pour que les projets hydroélectriques ou d’autres sources d’énergie propre puissent mobiliser tous les intervenants, y compris les titulaires de droits, les Premières Nations et les peuples autochtones. Mais nous voulons aussi avoir un processus sensé qui nous permettra d’avancer d’un bon pas dans la transition que nous devons effectuer au cours des 15 prochaines années.

Le sénateur MacDonald : Nous connaissons tous l’Utility and Review Board en Nouvelle-Écosse. C’est le cas certainement des consommateurs dans cette province. Nous avons vu notre facture d’électricité croître considérablement. C’est un problème pour les particuliers, pour les entreprises, pour les consommateurs et pour les gens qui ont un revenu fixe. Si ce type de réglementation et d’approche est adopté, quelle incidence d’après vous cela aura-t-il sur le coût de l’électricité en Nouvelle-Écosse au cours des 10 ou 15 prochaines années?

M. Toner : Le coût a certainement augmenté au début du siècle. Depuis le début des projets de conversion, et cetera, nous sommes dans une période de stabilisation des tarifs, et nous voulons prolonger cette période. Toutefois, selon notre capacité de nous adapter aux autres mesures législatives et de mener nos projets dans le cadre de celle-ci, cela pourrait exercer une pression sur nos tarifs. Si nous comparaissons aujourd’hui, c’est notamment pour nous assurer que les lois qui sont adoptées, comme ce sera sans doute le cas de ce projet de loi, seront justes et efficaces et répondront à tous les besoins, mais aussi qu’elles nous permettront de le faire en minimisant les coûts additionnels.

Certains aspects du projet de loi comportent des zones d’ombre. C’est pourquoi nous souhaitons d’autres changements. Nous ne nous opposons pas au projet de loi comme tel; il contient beaucoup de bons éléments. Mais nous souhaitons améliorer les conditions pour les entreprises.

M. Bradley : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose à ce que M. Toner vient de dire, mon collègue de l’association nucléaire a parlé un peu plus tôt des effets cumulatifs des différents régimes et des cadres de réglementation. C’est un élément qui nous inquiète de plus en plus. Les effets de la réglementation fédérale, provinciale et locale s’additionnent et font grimper les coûts au bout du compte, et ces coûts sont assumés par le consommateur.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La présidente : Puisque nous parlons du sujet, j’aimerais en profiter pour poser quelques questions. Lorsque nous avons discuté avec les fonctionnaires des raisons derrière l’idée d’avoir « un projet, une agence, un processus », et d’avoir une agence-cadre qui chapeaute l’ensemble de l’évaluation environnementale, je me souviens de cet enjeu, notamment dans le domaine nucléaire. Je sais qu’il s’agit d’une énergie propre, mais il reste encore quelques questions à approfondir, et j’aimerais que vous nous disiez où nous en sommes.

Premièrement, il y a la question des déchets, des résidus. Que fait-on des résidus? Deuxièmement, la plupart des centrales nucléaires se trouvent à proximité d’un plan d’eau, des océans en particulier, et les changements climatiques font la vie dure aux régions côtières en raison de l’érosion. Je pense qu’il faut avoir un organisme-cadre pour examiner l’ensemble des enjeux. Je sais que vous possédez la technologie et l’expertise, et je ne remets pas cela en question, mais certains enjeux globaux doivent être examinés. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces deux points?

Frank Saunders, vice-président, Surveillance nucléaire et Affaires réglementaires, Bruce Power, Association nucléaire canadienne : À notre point de vue, nous avons déjà un organisme-cadre qui s’occupe de nous, et ce n’est pas simple. Nous sommes réglementés de bout en bout, et cela comprend les déchets. Tous nos déchets sont pris en compte et entreposés, et nous en produisons une quantité relativement petite.

La présidente : Où sont-ils entreposés?

M. Saunders : Ils sont entreposés sur les lieux mêmes des centrales. La CCSN délivre des permis pour les installations d’entreposage. Nous avons l’obligation dans la loi de placer des fonds en fiducie pour nous occuper des déchets à long terme. Nous sommes réglementés de bout en bout, et on s’occupe de tous les déchets.

On entend parfois toutes sortes de choses au sujet des volumes de déchets. Sur le site de Bruce, par exemple, qui est en activité depuis maintenant environ 40 ans et où se trouvent huit réacteurs, le volume total de déchets qui s’y trouvent équivaut à ce qui se retrouve dans le dépotoir public de Toronto en une journée.

La présidente : Comparez-vous cela à des déchets solides, des déchets municipaux?

M. Saunders : Oui, à des déchets municipaux, à leur volume. Les gens parlent souvent en termes de poids. L’uranium pèse lourd, mais ce n’est pas très gros. Et c’est assez facile à gérer et, techniquement parlant, nous savons comment l’entreposer. Nous sommes en train de préparer, sous la direction de la Société de gestion des déchets nucléaires, un processus d’entreposage permanent à long terme à cet endroit. Le processus fait l’objet, entre autres, d’une foule de consultations publiques. Techniquement parlant, c’est une solution très réalisable. Ce n’est pas vraiment un problème. Bien sûr, les gens veulent avoir leur mot à dire, alors il nous faudra quelques années pour y arriver.

J’aimerais mentionner toutefois que les déchets sont bien contrôlés. Le volume n’est pas très important. Nous savons exactement où ils se trouvent. Nous mesurons leur volume; nous surveillons le tout; nous effectuons un suivi. Si vous n’avez jamais vu ces déchets, je vous invite à venir voir comment ils sont entreposés. Je crois que vous serez impressionnés par la chose, comparativement à la façon dont sont entreposés d’autres déchets dangereux au pays. Vous pouvez vous rendre dans n’importe quel dépotoir aujourd’hui et vous verrez que les déchets dangereux sont entreposés dans des seaux et des barils, avant d’être finalement éliminés. On ne peut pas les suivre à la trace depuis le propriétaire jusqu’à leur élimination. Dans notre cas, on peut faire tout cela.

Devrait-on s’inquiéter des déchets? Certainement. Est-ce que toutes les industries devraient s’en inquiéter? Certainement. Est-ce que nous, en tant que consommateurs, devrions nous inquiéter des déchets que nous produisons? Certainement. Mais c’est une réalité. Tout être vivant produit des déchets. Le problème n’est pas d’en produire, mais de les gérer, et ce qu’on en fait à l’autre bout.

C’est ma réponse au sujet des déchets. Je pense que vous aviez une autre question.

La présidente : Oui, c’était au sujet du lieu, car les centrales sont toutes....

M. Saunders : Ah, oui. Les centrales se trouvent près des plans d’eau, parce que nous en avons besoin pour le refroidissement. Le refroidissement a lieu du côté conventionnel de la centrale en grande partie. C’est pour les turbines à vapeur. C’est pour produire l’énergie, alors peu importe que ce soit une centrale nucléaire, au charbon ou tout autre qui utilise la vapeur. L’eau est là pour condenser la vapeur pour produire de l’énergie.

Oui, nous devons exercer une surveillance, et nous avons un programme d’évaluation environnementale, prévu dans la réglementation de la CCSN, que nous devons mener tous les cinq ans. Tous les cinq ans, nous procédons à un examen, et nous vérifions divers éléments, comme le niveau des eaux et le niveau des crues, et nous examinons les risques liés à de grandes catastrophes, comme les secousses sismiques ou toute autre catastrophe imaginable. Tout est dans notre plan, qu’on appelle étude probabiliste de sûreté. C’est une exigence de notre permis. Nous sommes mieux préparés à tout type d’urgence que toute industrie ou municipalité avec laquelle vous pourriez nous comparer.

L’érosion pourrait-elle être un problème? Cela pourrait en être un. L’inverse pourrait également se produire, c’est-à-dire que le niveau des eaux dans les Grands Lacs, par exemple, pourrait diminuer. Les scientifiques ne sont pas en mesure de nous le dire. Nous avons un programme de recherche et développement dans le comté de Bruce depuis 10 ou 12 ans maintenant pour étudier les Grands Lacs — les poissons, les habitats et les effets des changements climatiques, potentiellement, sur ce plan d’eau. Nous voulons le comprendre suffisamment pour bien voir les répercussions sur celui-ci.

Nous sommes une industrie qui s’inscrit dans la durée. Nous planifions à très long terme et travaillons d’arrache-pied pour nous assurer de bien connaître et comprendre les répercussions environnementales de nos activités. Tout est fait de manière transparente. Toutes ces activités de recherche et développement sont du domaine public. Il s’agit de recherches par les pairs. Rien n’est caché. Nous sommes très transparents, à notre point de vue.

Le sénateur Neufeld : Merci d’être avec nous.

Je pose ma première question à vous deux. Elle porte sur la participation de la population, et j’aimerais avoir votre opinion à ce sujet. L’ancienne version de la loi prévoyait que seuls les gens touchés qui se trouvaient à proximité allaient être consultés et que le promoteur devait travailler avec les gens, les collectivités, tous ceux qui étaient touchés. Le projet de loi ouvre toutefois la consultation à toute personne, où qu’elle se trouve. J’aimerais savoir si vous pensez que cela allongera le processus, le compliquera — comme nous le savons, peu importe où, il se trouvera toujours des gens pour s’opposer à un projet, et certains organismes dans le monde sont financièrement puissants. Je viens de la Colombie-Britannique, et je pense qu’ils s’y trouvent presque tous. Ce n’est pas facile. J’ai souvent eu à composer avec cela. J’aimerais donc avoir votre point de vue sur la participation de la population et ce qu’elle devrait être.

M. Saunders : Pour être honnêtes, nous aimons que la population participe, car nous avons un bon son de cloche. Habituellement, cela se révèle avantageux, à notre point de vue.

Il y a un problème, toutefois, et c’est quand les gens viennent de tous les coins du pays et qu’ils confondent le projet avec la politique gouvernementale. Beaucoup de gens viennent nous dire qu’on ne devrait pas avoir d’énergie nucléaire ou qu’on ne devrait pas faire telle chose qui est déjà convenue au Canada. Quand on entre dans ce genre de débat, le processus peut vraiment s’étirer, alors que dans les faits, la commission menant les audiences n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la politique gouvernementale. Elle se prononce sur le respect des exigences liées au projet.

Je pense qu’il faut établir des critères pour les participants. La distance a peu d’importance, tant qu’ils parlent du projet et de ce qu’il signifie, et non pas de quelque point de vue hermétique sur l’énergie nucléaire. Je parle de l’énergie nucléaire, parce que c’est notre domaine, mais je pense que c’est également vrai de tous les projets, quelle que soit l’industrie. Qu’on parle de projets forestiers, miniers ou de tout autre, il se trouvera toujours des gens pour dire qu’on ne devrait pas les mener, et ils veulent en débattre. Ils ont le droit d’en débattre, mais ce n’est pas la bonne tribune pour le faire.

Le sénateur Neufeld : À ce propos, qui devrait prendre la décision d’interdire à un groupe de venir parce qu’il parle de la politique? Qui prend la décision dans ce cas et de quelle façon? C’est la difficulté que je vois. Je sais que nous avons besoin de consulter la population; j’y participe certes depuis assez longtemps pour le savoir. Je pense toutefois que les consultations devraient s’adresser à ceux qui sont concernés directement et non pas à qui veut bien venir exprimer son point de vue. Mais la difficulté est la suivante : qui prend la décision à ce sujet, si vous êtes d’accord avec moi?

M. Saunders : Dans notre cas, c’est la CCSN qui mène les audiences et qui prend la décision. Je ne peux vraiment pas parler en son nom, parce que je n’en fais pas partie. Mais d’après ce que j’ai vu lors de nos audiences — qui sont nombreuses; l’industrie nucléaire est toujours en consultations. On ne parle pas ici d’une consultation une fois aux 20 ans, mais une fois aux trois ou cinq ans — peut-être plus — selon le cas. La CCSN est d’avis que tout le monde peut présenter un mémoire. Si vous avez un point de vue sur un projet, vous pouvez le soumettre. Elle vérifie toutefois la pertinence, alors s’il s’agit strictement d’un point de vue sur la politique, elle va l’examiner, mais la personne ne sera pas invitée à faire un exposé oral.

Je ne sais pas exactement comment la décision est prise, car je suis du côté du promoteur dans les discussions, mais je pense que des décisions s’imposent à ce sujet. Le but n’est pas d’éliminer des gens, mais de s’assurer que les gens qui seront les plus touchés peuvent prendre part au débat. Comme vous le savez, si le nombre de participants devient trop important, chacun a moins de temps pour s’exprimer et vous n’avez pas la chance de vous faire entendre. Ceux qui sont le plus touchés devraient avoir plus de chance de se faire entendre.

Le sénateur Neufeld : Merci. Je vous sais gré de vos commentaires.

Monsieur Bradley...

La présidente : Désolée, sénateur...

Le sénateur Neufeld : J’aimerais qu’il puisse répondre.

M. Toner : C’est un élément important de tout processus public comme les évaluations. Naturellement, il faut toujours trouver une façon de ne pas déborder du cadre de la consultation. Il pourrait y avoir des outils, selon ce qui se trouve dans la réglementation également, pour se servir de divers moyens, de façon à ce que les gens qui sont à proximité d’un projet et qui sont les plus touchés puissent avoir la chance de s’exprimer directement. L’Internet a été un outil utile, et même pour faire progresser le projet de loi aux premières étapes.

Si les échéanciers sont adéquats, et que l’agence ou la commission s’apprête à prendre une décision, elle peut utiliser une approche à plusieurs volets. La question est la suivante : comment procédera-t-on? L’idée est de faire le gâteau, et pas seulement de rassembler les ingrédients.

La sénatrice Seidman : Merci de vos exposés.

Monsieur Bradley, vous avez parlé dans votre exposé des enjeux importants pour vous. Vous avez parlé notamment de la certitude et de prévisibilité. Je suis certaine que vous savez et avez l’impression que de nombreux intervenants ne sont pas convaincus que l’article 22 contient une liste explicite d’éléments à examiner lors d’une évaluation d’impact. Bien au contraire, ils soutiennent que les examens comporteront une part de considérations politiques, et qu’on s’éloigne ainsi d’une approche basée sur des données techniques et scientifiques. Une approche basée sur des données techniques et scientifiques est prévisible et transparente et elle comprendrait des définitions des critères et des façons rigoureuses de les mesurer, afin que les promoteurs soient rassurés et sachent que les éléments à examiner ne sont pas des cibles mouvantes.

J’aimerais parler en particulier d’un des éléments sans doute les plus nébuleux de la loi sur l’évaluation d’impact, et il s’agit de la disposition sur les effets cumulatifs à l’article 22, où l’on dit que l’agence prend en compte :

(ii) les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’exercice d’autres activités concrètes, passées ou futures, est susceptible de causer,

(iii) le résultat de toute interaction entre ces effets;

Selon le libellé actuel de la disposition, que considérerait-on comme des « effets cumulatifs », et croyez-vous que cette disposition sera facile à appliquer?

M. Toner : Nous aimerions tout d’abord dire que c’est important, mais que c’est encore au stade embryonnaire pour ce qui est des connaissances et des techniques. De nombreuses idées ont été mises à l’essai, mais c’est un aspect qui apparaît dans plusieurs projets de loi. Cette mention se trouve probablement dans de précédents projets de loi.

Il y a une liste de facteurs. C’est l’un de ces facteurs. Comment les autorités examineront-elles l’ensemble de ces facteurs? À mon avis, si c’est un domaine où il y a déjà beaucoup d’industries ou de projets, c’est probablement légitime d’examiner les effets cumulatifs du prochain projet, et ce facteur pourrait avoir une plus grande importance. Dans un domaine qui est moins touché par d’autres aspects, dans le cas d’un projet passablement propre, je crois que l’importance de cet aspect sera moindre, du moins je l’espère.

J’estime qu’il y a encore beaucoup de travail nécessaire pour arriver à mieux définir le tout. Nous espérons que le tout se mettra en branle par l’entremise d’un règlement ou, de manière plus probable, de documents stratégiques et d’orientation de l’agence. C’est un élément qui pourrait jouer contre le processus en général, mais nous ne pouvons pas en faire fi. C’est un élément important. Nous le constatons dans l’environnement actuellement.

La sénatrice Seidman : Je crois que je vais demander à MM. Barrett et Saunders s’ils aimeraient faire des commentaires.

M. Saunders : Le problème avec les effets cumulatifs, comme le prévoit la mesure législative, à l’instar d’autres dispositions, c’est que ce n’est pas clair. Nous ne pouvons pas dire avec certitude ce dont il est question, et nous ne pouvons par conséquent pas déterminer la manière de procéder dès le départ. Nous tenons déjà compte des effets cumulatifs dans notre industrie, mais la mesure législative ne précise pas jusqu’où nous devons remonter et jusqu’où nous devons aller. Selon la définition, il n’y a pas de limites, alors que votre capacité de vraiment le faire précisément est limitée.

J’estime que l’un des commentaires les plus importants à ce sujet et au sujet d’autres aspects est de préciser ce que doivent viser les promoteurs pour qu’ils en soient conscients. Par ailleurs, si vous entamez un projet et que vous estimez que ce projet ne sera pas en mesure d’atteindre ces objectifs, vous pouvez vous arrêter là avant d’engloutir beaucoup d’argent dans quelque chose qui est voué à l’échec. C’est en gros la position de l’industrie. Le gouvernement établit ces règles. C’est correct, et nous les respecterons, mais nous voulons être en mesure de prendre une décision financière viable. Si un tel projet ne peut pas aller de l’avant, c’est important d’être en mesure de le déterminer dès le départ et de passer à autre chose.

Le sénateur Woo : Merci de vos témoignages. J’ai deux questions, soit une pour chaque témoin.

La première question porte sur l’article 18, et cela concerne la fin de l’étape de planification qui mène à l’avis du début de l’évaluation d’impact. Vous avez demandé plus de précisions sur le début du projet, le début de l’évaluation d’impact et la fin de l’étape de planification et vous demandez plus de détails quant à ce qui doit être fait. Je regarde le projet de loi, et j’ai l’impression que tout ce que vous demandez s’y trouve déjà. L’alinéa 18(1)a) prévoit un avis du début de l’évaluation d’impact dans lequel l’agence indique les études ou les renseignements qu’elle estime nécessaires. L’alinéa suivant prévoit que les documents visés par règlement, notamment des lignes directrices individualisées — il me semble que des lignes directrices individualisées décrivent précisément ce qui est nécessaire — à l’égard des études ou des renseignements, et patati et patata. Un peu plus bas, il est question des facteurs prévus à l’article 22, soit la longue liste de facteurs. Cela force l’agence à vous dire lesquels de ces facteurs vous devez prendre en compte. Bref, voici la vraie question. Pourquoi estimez-vous que l’article 18 n’est pas suffisamment clair au sujet de l’avis du début de l’évaluation d’impact?

Ma deuxième question s’adresse plus particulièrement au représentant de l’industrie nucléaire, et elle porte sur l’étape de planification en amont. Ce que j’entends de votre part, c’est que vous croyez que de bons promoteurs au sein de votre industrie font déjà une planification en amont et que vous ne voulez pas les pénaliser en les obligeant à faire une deuxième étape de planification en amont. C’est ce qui est écrit dans votre mémoire. Je ne trouve pas cela logique, parce que vous n’avez qu’à commencer le processus plus tôt si ces promoteurs font déjà une planification en amont. Prévenez le gouvernement que vous commencez votre étape de planification en amont et utilisez le temps que vous prendriez de toute manière pour faire l’étape officielle de planification en amont. Si vous éliminez la planification en amont, ce que vous faites en réalité, c’est d’exempter les promoteurs de l’obligation de faire une planification en amont, et vous avez déjà dit que c’était une bonne pratique. Vous affirmez que les bons promoteurs font une planification en amont et vous vous inquiétez qu’ils aient à en faire une deuxième. À mon avis, la solution n’est pas d’éliminer la planification en amont; c’est d’inclure ce que vous faites déjà à l’étape de planification en amont et d’encourager les autres à faire de même.

M. Toner : Vous avez bien cité des extraits du projet de loi, et nous y trouvons un grand nombre de directives. Je crois que nous sous-entendons ici que, dans l’un des documents de consultation qui précéderaient un règlement, nous pensons qu’au sujet des échéances et des renseignements demandés nous aimerions avoir beaucoup plus de précisions quant aux types et que c’est peut-être l’endroit où le faire. Toutefois, sans pouvoir examiner le règlement ou même une ébauche ou un document de consultation plus poussé où nous pourrions voir les cinq documents qui découleraient de la planification en amont, je crois que nous essayons de faire valoir que nous aimerions voir un libellé qui rend plus difficile d’éviter de fournir ces documents précis à la suite du processus.

Le sénateur Woo : Il ne fait aucun doute que les lignes directrices individualisées doivent être adaptées au projet. Il n’est pas possible de les énoncer de manière générique. L’organisme de réglementation doit examiner le tout, et l’Agence d’évaluation d’impact doit être au courant du projet pour vous communiquer les lignes directrices individualisées.

M. Toner : En ce qui concerne précisément les lignes directrices individualisées, je suis d’accord avec vous, mais il y a quatre autres documents que nous recevrions à la suite de cette planification en amont. Il y aurait un plan de participation du public et un plan de consultation et des exigences en la matière. Il y aurait un chevauchement avec le plan d’autres instances et il y aurait un plan de délivrance de permis. Compte tenu du degré de précision de ces documents, si c’est bien fait, nous sommes d’avis que nous les aurons, mais je crois que nous cherchons à nous en assurer et à modifier légèrement le projet de loi.

La présidente : Comme le temps file, il faudrait que les préambules soient plus courts, de même que les questions, si nous voulons que tout le monde ait le temps de prendre la parole.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Saunders, concernant la question du droit de participer, en réponse au sénateur Neufeld, vous avez dit que la manière dont c’est actuellement fait permet à quiconque de soumettre un mémoire écrit, mais cela ne veut pas nécessairement dire que tout le monde est invité à participer à l’audience. Si cela se poursuit et que c’est la pratique que les autorités avaient en tête, j’en comprends que ce serait acceptable pour vous. Est-ce exact?

M. Saunders : Oui. Je crois bien. Cependant, ce n’est pas toujours aussi efficace que je le souhaiterais.

Le sénateur Massicotte : Cela semble fonctionner.

M. Saunders : Oui. Je ne pense pas que vous pouvez empêcher des gens d’exprimer leur intérêt. Autrement, cela ne fonctionne pas.

Le sénateur Massicotte : C’est un bon résumé.

Monsieur Toner, parlons du droit de consultation. Vous faites allusion au droit au consentement, et vous craignez que ce droit mène à un veto. Vous êtes au fait de la position du gouvernement. Premièrement, cette référence au projet de loi C-262 se trouve dans le préambule, et cela ne fait donc pas partie du projet de loi. Par ailleurs, le gouvernement rappellera que, lorsque les Nations Unies ont rédigé cette déclaration, le rapporteur a clairement fait savoir dans ses commentaires et toutes les discussions que cela ne mène pas à un veto. La ministre est également venue au Sénat pour dire clairement que ce n’est pas un veto, mais je crois comprendre que ces garanties ne vous satisfont pas. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Toner : D’ici à ce que se concluent les négociations entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations et que nous comprenions la possible redistribution des pouvoirs, par exemple, nous demeurerons nerveux. Je crois que c’est la meilleure façon de le décrire. Plus précisément, d’après notre expérience en matière de projets, nous savons qu’il faut du temps pour réaliser une mobilisation adéquate de notre point de vue ou des consultations du point de vue du gouvernement. Je crains que ce ne soit pas facile à régler compte tenu des échéanciers prévus.

Le sénateur Massicotte : La déclaration n’a pas modifié l’obligation d’une consultation véritable, et la Cour suprême a grandement précisé ce que cela signifie. Je crois que nous arrivons à un point où, je l’espère, nous sommes près de comprendre ce que cela signifie vraiment, et le processus actuel concernant Trans Mountain y contribuera. Néanmoins, je suis conscient qu’il y a encore un autre document, soit la déclaration, et il est question du droit au consentement. Je comprends votre préoccupation par rapport à la définition, mais il semble, d’après ce que nous en comprenons, que ce ne soit pas aussi clair que nous l’aimerions, mais c’est raisonnablement clair et ce n’est probablement pas un problème. Êtes-vous d’accord?

M. Toner : Je dirais que les choses progressent de manière positive, mais nous attendons encore de voir le résultat final.

Le sénateur Massicotte : Je suis d’accord. Merci.

La sénatrice Simons : J’ai quelques questions principalement pour les représentants du secteur de l’électricité. J’ai discuté en Alberta avec des intervenants du secteur de l’électricité, et certains ont exprimé des inquiétudes concernant le paragraphe 7(9) dans la partie du projet de loi sur les eaux navigables. Cette disposition porte sur le maintien du niveau d’eau ou du débit d’eau nécessaire à la navigation dans des eaux navigables. Ces intervenants s’inquiétaient que cette disposition les oblige à maintenir le débit d’eau même si la réduction du débit n’a rien à voir avec leur projet d’infrastructure. Je constate qu’il n’est pas question de cette disposition dans votre liste d’amendements. Partagez-vous les préoccupations soulevées par ATCO et même l’Association canadienne des producteurs pétroliers au sujet de l’alinéa 7(9)a) dans la partie sur les eaux navigables et de ce que cela pourrait vouloir dire pour les projets hydroélectriques?

M. Toner : Nous avons dû faire un choix parmi nos principales préoccupations et mettre l’accent sur ces aspects durant notre exposé de cinq minutes aujourd’hui. Nous avons examiné les dispositions du projet de loi sur les eaux navigables. Cela suscite des préoccupations. Nous espérons que certaines exigences pourront être légèrement modifiées en vue de mieux définir les travaux et les activités de routine pour que, si nous obtenons un permis en vertu de la Loi sur les eaux navigables pour un certain ouvrage, cela inclue certaines dispositions relatives à ce qui vient naturellement avec l’exploitation de cet ouvrage. Nous croyons que la solution se rapproche davantage de cela, et il faut aussi de meilleurs règlements pour encadrer les ouvrages mineurs et les travaux de routine et une meilleure définition connexe.

La sénatrice Simons : Un seul projet, comme un barrage ou un parc éolien, c’est une chose, mais je présume que vos membres ont aussi des projets linéaires comme des lignes de transport d’électricité, soit des projets qui peuvent être plus controversés et qui touchent un plus grand territoire. Dans quelle mesure les possibles conséquences du projet de loi sur la capacité d’accroître notre réseau vous inquiètent-elles?

M. Bradley : Je crois que cela revient à l’un de nos premiers points, et c’est notre souhait de voir la liste de projets et de déterminer si ces types de projets seront même concernés. Ils ne le seront peut-être pas. Dans un tel cas, ce ne sera pas une source de préoccupation. Si ces projets se trouvent sur la liste, ce sera une source de préoccupation. Absolument.

La sénatrice Simons : Quels seraient les effets sur des technologies plus écologiques comme un important parc éolien qui peut se trouver sur une route de migration d’oiseaux ou un parc éolien flottant? Mon problème, c’est qu’une grande partie des discussions se concentre sur les oléoducs et le pétrole, mais j’ai l’impression que le projet de loi prévoit de nombreux éléments qui pourraient nous empêcher d’écologiser notre production d’électricité, parce que les dispositions rendraient plus difficile la construction d’infrastructure éolienne d’envergure dont nous aurions besoin pour alimenter davantage le réseau en énergie provenant de sources écologiques.

M. Toner : Je crois que nous avons construit plusieurs projets éoliens au cours des dernières années, et il est très important de tenir compte des oiseaux et d’autres éléments. Cela ne sert à rien de prévoir un projet à un endroit où nous risquons de tuer des oiseaux ou des chauves-souris ou de causer d’autres problèmes.

Nous faisons preuve d’un optimisme prudent par rapport à ce type de projet, mais les projets linéaires plus longs posent un problème. Nous parlons alors de l’aménagement du territoire et des droits fonciers, et je crois que cela dépasse le cadre du projet de loi.

La sénatrice Simons : Vous pourriez demander...

La présidente : Merci, sénatrice.

Le sénateur Patterson : Ma première question s’adresse aux représentants de l’Association nucléaire canadienne et elle porte sur les mines d’uranium. Nous avons entendu la dirigeante actuelle de la Commission canadienne de sûreté nucléaire et son ancien dirigeant, le très respecté Michael Binder, dire que l’harmonisation avec les provinces pour la délivrance de permis aux mines d’uranium est profitable et efficace pour éviter les chevauchements. Malgré les opinions de ces spécialistes, qui estiment tous les deux que l’harmonisation avec les provinces fonctionne bien, y compris en Saskatchewan, le projet de loi C-69 interdit d’office la substitution pour tous les projets sous le régime de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, de même que les mines et les usines de concentration d’uranium. Qu’est-ce qui justifie d’avoir des évaluations par des commissions d’examen pour les mines et les usines de concentration d’uranium? Recommanderiez-vous un amendement pour autoriser une substitution dans de tels cas?

Liam Mooney, vice-président, Cameco Corporation, Association nucléaire canadienne : Merci de votre question. Nous sommes d’accord avec les opinions exprimées par la présidente Velshi et l’ancien président Binder, à savoir qu’il y a une bonne intégration entre le processus provincial d’évaluation et le processus d’évaluation qui est actuellement menée par la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Nous avons proposé des changements qui permettraient une substitution. Notre principal objectif est de traiter les mines et les usines de concentration d’uranium comme toute autre mine ou usine de concentration au Canada. Nous estimons qu’il y a de bons arguments en ce sens, étant donné que nous avons en particulier un solide bilan en matière de sécurité et d’environnement pour les mines que nous exploitons dans le nord de la Saskatchewan depuis de nombreuses années. À ce chapitre, je crois qu’il faut aussi reconnaître que la Commission canadienne de sûreté nucléaire fournit une surveillance fédérale en plus de la surveillance provinciale. Nous sommes réglementés plus que toute autre mine ou usine de concentration, et nous estimons que vous devez en tenir compte lorsque vous établissez en gros un règlement sur l’évaluation d’impact avant la délivrance de permis.

Le sénateur Patterson : À l’Association canadienne de l’électricité : c’est un excellent exemple des 350 millions de dollars investis au cours des 20 dernières années. Je crois que vous m’avez même dit, lorsque nous nous sommes rencontrés, que l’on prévoit investir 1,5 billion de dollars pour rendre le Canada encore plus propre qu’il ne l’est maintenant.

Je crois que les entreprises canadiennes se soucient des risques de litige que pourrait occasionner l’adoption du projet de loi C-69. Un avocat principal du ministère de la Justice a même dit au comité que les nouveaux facteurs dont il faudra tenir compte et le nouveau régime offriront effectivement aux plaideurs éventuels plus de possibilités de contester une décision prise en vertu de la loi. Quelle est la possibilité que des questions de fait fasse l’objet d’un nouveau litige en vertu du projet de loi C-69, et pouvez-vous recommander un amendement afin de réduire ces risques?

M. Bradley : Oui, merci de parler de cela. C’est l’une des questions que nous avons soulevées l’an dernier lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre. En examinant notre mémoire, vous constaterez que nous y avons inclus des recommandations à ce sujet. Du reste, nous aimerions qu’une disposition prohibitive soit ajoutée à ces mesures législatives.

Le sénateur Mitchell : Ma première question s’adresse à M. Toner, et c’est au sujet de son inquiétude quant au fait qu’il n’y a pas assez de précisions sur les résultats du processus de préplanification. Dans son préambule, le sénateur Woo a énuméré l’un des cinq, et M. Toner a ajouté qu’il y avait encore les quatre autres. Permettez-moi de lire ce passage de l’alinéa 18(1)b) :

[...] notamment des lignes directrices individualisées à l’égard des études ou des renseignements visés à l’alinéa a) et des plans pour la coopération avec les autres instances, la mobilisation des peuples autochtones du Canada et le partenariat avec ces derniers, la participation du public et la délivrance de permis.

M. Toner s’est inquiété du fait que certains de ces éléments pourraient ne pas avoir été inclus. Pouvez-vous me confirmer, monsieur Toner, que vous savez qu’ils sont tous là-dedans et qu’il n’y a aucune obligation pour le promoteur, mais qu’il y en a pour l’État? Pourquoi le gouvernement mettrait-il dans une loi quelque chose qu’il n’aurait pas l’intention de respecter, et est-ce tellement mieux qu’ils aient une obligation envers vous qu’ils n’ont pas maintenant?

M. Toner : Merci de cette observation, monsieur le sénateur. Vous avez tout à fait raison. Le projet de loi contient quelque chose sur chacun d’eux, mais ce sont les détails que nous aimerions voir. Nous continuerons de nous poser des questions tant que nous ne verrons pas les détails du Règlement. Pour nous, c’est un aspect particulièrement important. Souvent, les détails se retrouvent dans le Règlement.

Le sénateur Mitchell : Il serait très difficile de préciser les tenants et aboutissants de la mobilisation et du partenariat avec les peuples autochtones pour tel ou tel projet, alors que nous ne savons même pas à quoi ressemblerait ce projet.

Il y a eu des discussions au sujet de la participation du public. On a aussi parlé de la façon dont nous trions cette information et de la façon dont nous prenons cette décision. On a posé une question qui faisait directement allusion aux dispositions sur ces critères. Or, présentement, ces dispositions ne s’appliquent qu’à l’Office national de l’énergie, et plus de 60 p. 100 des évaluations effectuées à l’heure actuelle ne s’appliquent pas à lui. Elles s’appliquent aux industries comme les vôtres. Ce n’est pas comme si tout le monde aimait vos industries. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas des gens qui faisaient la queue pour parler de cela. Sauf que, d’une façon ou d’une autre, dans une optique d’efficacité et d’efficience, même sans mettre un amendement dans le projet de loi pour préciser que vous devez terminer dans les délais, même sans cela, vous êtes en mesure, dans vos secteurs respectifs, de gérer ce processus avec efficience, efficacité et dans le respect des délais convenus. Comment se fait-il que le fait de ne pas avoir de critères précis et détaillés ne puisse pas être appliqué partout si c’est vous qui l’appliquez? Pouvez-vous nous dire avec quelle efficacité vous vous êtes prêtés à cela?

M. Saunders : Tout d’abord, je dirais que nous sommes d’avis que c’est à l’organisme qui tient les audiences de limiter cette discussion. Toutefois, de nombreux membres du public estiment que ces discussions ne devraient pas avoir de limites et qu’elles devraient se poursuivre jusqu’à la fin des temps. Pour nous, ce n’est pas autant de savoir comment il faudrait procéder que de reconnaître qu’il doit y avoir des limites quant à la quantité et à la durée de ces discussions. Nous avons cru remarquer qu’en général, les gouvernements ne sont pas particulièrement doués pour limiter ces échanges.

Le sénateur Mitchell : Savez-vous que le...

La présidente : Je suis désolée. Il ne nous reste que six minutes et il y a beaucoup de gens qui aimeraient encore poser des questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais faire cela rapidement, en trois minutes. Je lis les mémoires, j’entends les commentaires de tous les groupes concernés, qu’il s’agisse des industriels, des consultants, des groupes environnementaux ou des groupes autochtones. Je constate qu’il y a une ligne principale qui est le pouvoir absolu du ministre, qui est quasi discrétionnaire et qui fait en sorte que le processus d’évaluation environnementale au Canada changera selon le gouvernement ou même selon le ministre. Dans le fond, ce qui va arriver, c’est que cela va vous coûter plus cher en lobbyisme qu’en biologistes. Est-ce que je me trompe?

[Traduction]

La présidente : Je vous prie de faire court.

M. Bradley : Bien sûr. Nous sommes d’accord avec votre affirmation. Je pense que nous avons mentionné que nous avons recensé 26 passages dans le projet de loi où le ministre ou le gouverneur en conseil peut suspendre le processus. Nous avons nous aussi cette préoccupation quant à la capacité qu’aurait le ministre d’intervenir dans le processus.

Le sénateur Richards : Merci d’être ici. On a déjà répondu à la plupart des questions que j’allais poser.

Pourquoi qualifie-t-on de « rigoureux » le comité d’examen pour l’uranium? Est-ce parce qu’il s’agit d’uranium? Est-ce là la raison? Quelle est l’espérance de vie d’endroits comme Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick, qui a connu un certain succès? Quelle est la durée de vie d’une centrale nucléaire comme Point Lepreau? Pourriez-vous, s’il vous plaît, répondre à cette question?

M. Mooney : Pour ce qui est de votre première question au sujet des mines d’uranium, il faut savoir que nous sommes inclus dans le processus parce que nous avons le même organisme de réglementation que les réacteurs nucléaires. Or, dans ce contexte, les mines d’uranium et les usines de concentration d’uranium sont traitées comme des projets nucléaires. Cela est dû au champ d’application immodéré de l’organisme de réglementation du cycle de vie prévu aux termes de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. C’est cet organisme qui régit l’ensemble du cycle de vie des mines et des usines de concentration d’uranium, et c’est à cause de cela qu’aux termes des dispositions du projet de loi relatives à une commission d’examen conjoint, nous sommes traités davantage comme un réacteur nucléaire que comme une simple mine ou une simple usine de concentration.

M. Saunders : En ce qui concerne la durée de vie des réacteurs, disons que je ne suis pas particulièrement renseigné sur le cas de Point Lepreau. Je connais mieux le site de Bruce Power. Avec les travaux de remise à neuf que nous effectuons actuellement, nous nous attendons à ce que ces réacteurs fonctionnent au moins jusqu’au milieu des années 2060.

La vérité, c’est que, comme pour tout autre dispositif mécanique, ces réacteurs peuvent fonctionner physiquement aussi longtemps que l’exploitant est prêt à mettre l’argent qu’il faut pour améliorer et entretenir l’équipement. À cet égard, les réacteurs ne sont pas vraiment différents des autres usines. Toutefois, les gens doivent comprendre que les permis ne couvrent pas toute cette période. À l’heure actuelle, le permis est bon pour 10 ans, alors il faut le renouveler tous les 10 ans. Or, le processus de renouvellement exige que la preuve soit faite que la centrale est toujours en parfait état et dûment fonctionnelle.

La durée de vie peut être... Comme je l’ai dit, à un moment donné, l’usine deviendra non rentable, un peu comme votre voiture. Or, il devient éventuellement plus coûteux de réparer sa voiture que d’en acheter une nouvelle. C’est la même chose pour les centrales. On s’attendrait au minimum à ce que la plupart des centrales nucléaires fonctionnent durant 60 à 80 ans, mais au Canada, le processus de délivrance de permis est beaucoup plus court. Le Canada est un cas unique en ce sens que les permis accordés ne couvrent pas toute la durée de vie des centrales. Actuellement, ces permis doivent être renouvelés tous les 10 ans.

[Français]

Le sénateur Mockler : Je serai bref moi aussi.

[Traduction]

Il y a beaucoup de confusion dans tout le pays. Permettez-moi de dire un mot sur le Canada atlantique. Lorsque j’examine ce qui est proposé, je constate qu’il y aura des chevauchements et que les délais d’autorisation seront prolongés. Vous avez répondu tout à l’heure à certaines questions concernant les échéanciers et au fait que ces échéanciers créent de l’incertitude chez les investisseurs à l’égard d’initiatives pouvant entraîner des retombées économiques et environnementales pour le Nouveau-Brunswick et l’ensemble du Canada. J’ai une question pour le secteur nucléaire. Quelle incidence cela aurait-il sur les petits réacteurs modulaires à venir? Nous sommes des chefs de file dans ce domaine.

L’autre question concerne l’électricité. Je pense que les objectifs de l’évaluation d’un projet devraient comprendre la protection de l’environnement, la croissance économique et la consultation des Premières Nations et des Canadiens. Cela dit, si nous ne faisons pas cela ou si nous évitons complètement la question de la protection de l’environnement et de la croissance économique, quelle est la raison d’être du projet de loi C-69?

M. Barrett : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Avant de céder la parole à Frank Saunders pour qu’il réponde, je pense que votre question complète bien celle du sénateur Woo au sujet de l’étape du début de la planification, question à laquelle nous n’avons pu répondre. En effet, dans un cas comme dans l’autre, les répercussions sont sur les investisseurs. C’est le point central qu’il faut retenir.

M. Saunders : Pour dire les choses simplement, il ne fait aucun doute dans notre esprit que ce processus prolongera considérablement le processus d’approbation. Il entraînera une duplication des chiffres, de parties du processus. Le processus proposé ne se solderait même pas par la délivrance d’un permis par la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Nous serions quand même tenus de suivre le processus de la commission par la suite. Je sais que les gens disent que ce n’est pas le cas, mais lorsque j’examine l’information technique en cause avec l’expérience que j’ai, je peux voir que cela prolongera le processus. En effet, si nous sommes contraints, d’entrée de jeu, de dépenser beaucoup plus de temps et d’énergie pour démarrer un projet de petit réacteur modulaire — qui rapporte moins au début —, la viabilité économique de ce type de réacteur en souffrira énormément.

Le sénateur Mockler : Merci. Pour l’électricité, pouvez-vous donner votre avis sur la protection de l’environnement et la croissance économique? Comment croyez-vous que les choses vont se passer avec le projet de loi C-69?

M. Bradley : Pour en revenir au début de notre exposé, rappelons qu’en ce qui concerne le projet de loi, notre préoccupation fondamentale concerne les délais. Nous estimons que la nouvelle donne pourrait entraîner une prolongation du processus, ce qui pourrait nuire considérablement à la rentabilité de certains de ces projets.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. J’envisage la chose du point de vue des peuples autochtones. J’estime que cette analyse d’impact est très importante pour que nous ne nous retrouvions pas seuls avec le fardeau une fois que les entreprises auront quitté le site. Il faut chercher à faire un équilibre entre la question de l’environnement, l’équité et l’économie, la vie sociale, la vie des Premières Nations sur les terres et les générations futures.

Je regarde les répercussions qu’ont les barrages — je viens du Manitoba — et je regarde le débit des rivières, la qualité de l’eau, le passage et la protection des poissons, la protection des bassins versants, les espèces menacées et en voie de disparition, la protection des ressources importantes sur le plan culturel et récréatif, et cetera. Or, il y a maintenant huit nouveaux projets de barrage au Manitoba, dont un qui prévoit le transport souterrain d’électricité vers le Minnesota. Comment doit-on gérer les effets cumulatifs du développement? Individuellement, les projets ne causent pas de dommages importants, mais les dommages cumulatifs sont catastrophiques. En traitant les choses projet par projet, serons-nous en mesure de dire un de ces jours qu’assez, c’est assez?

M. Toner : Je pourrais peut-être répondre rapidement. Ces préoccupations m’intéressent beaucoup. Je pense qu’il y a quelque chose dont on ne parle pas, mais qui existe, et c’est cette capacité d’évaluation régionale et stratégique en ce qui concerne les politiques — ce qui arrive plus tôt dans le processus. Je crois que ce genre de questionnement se prêterait bien à ce type d’évaluation.

L’autre chose, c’est que nous évoluons. Évidemment, je ne veux pas parler au nom de tous les services publics, mais disons que nous tentons assurément de le faire. Bref, au fur et à mesure que nous avançons en tenant compte de ce que nous percevons être comme la nouvelle réalité, il devient extrêmement difficile, voire téméraire, d’envisager des projets sans partenariat avec les communautés autochtones. Je pense donc que nous cherchons des moyens de travailler ensemble pour trouver des projets qui fonctionnent.

La sénatrice McCallum : Seriez-vous d’accord pour dire que le fait de ne pas régler la question du consentement et de la consultation avant la mise en œuvre du projet augmente les risques de litige?

M. Toner : Nous ne pouvons envisager la possibilité de faire un projet sans avoir réglé ces questions. Nous essayerions assurément de cerner ces grandes questions avant même d’entamer le processus de manière officielle.

La sénatrice McCallum : C’est pour cela que je dis que le consentement est important, et la consultation aussi.

La présidente : Merci beaucoup de vos témoignages. Et merci à mes distingués collègues de leurs questions.

La sénatrice McCoy : Puis-je faire un rappel au Règlement ou une observation? Beaucoup d’entre nous comptent vraiment sur les industries que ces messieurs représentent pour faire la transition vers un avenir à faible émission de carbone, car nous voulons accroître notre capacité d’électrification sur plusieurs fronts.

Puis-je faire remarquer que certains sénateurs sont membres du comité? Ce n’est pas mon cas, mais j’ai le droit d’être ici. De façon générale, si nous avions assez de temps, j’aurais des questions intéressantes à poser. Du moins, j’aurais quelques questions et je les trouverais intéressantes. Nous manquons de temps et même les membres du comité auraient d’autres questions à poser, mais ce serait plus long que ce que vous permettez.

La présidente : Pourriez-vous poser vos questions, et je leur demanderai de répondre par écrit?

La sénatrice McCoy : Mon observation s’adresse au comité directeur et concerne sa façon de planifier ces choses. Le projet de loi à l’étude demande une participation significative du public. Je constate que le Sénat du Canada restreint la participation publique des personnes qui sont directement touchées et sur qui nous comptons pour nous guider vers la prochaine génération d’infrastructures énergétiques. Au moment d’établir le calendrier, pourriez-vous accorder plus de temps afin que le projet de loi puisse faire l’objet d’une enquête appropriée?

La présidente : Nous allons essayer. Je vous remercie beaucoup.

Poursuivons notre étude du projet de loi C-69.

[Français]

Nous recevons maintenant M. David MacLean, vice-président, Alberta, de Manufacturiers et Exportateurs du Canada, et M. Tristan Goodman, président de l’Association des explorateurs et des producteurs du Canada.

Je vous remercie de vous joindre à nous. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires, après quoi nous passerons à la période des questions.

[Traduction]

David MacLean, vice-président, Alberta, Manufacturiers et Exportateurs du Canada : Bonjour. Je vous remercie de nous accueillir ici aujourd’hui. Je suis là pour parler de ce projet de loi au nom des Manufacturiers et Exportateurs du Canada et des 2 500 membres directs de notre association.

L’industrie manufacturière est le plus important secteur d’activité au pays. Elle compte directement pour 11 p. 100 du PIB du Canada, pour les deux tiers des exportations du pays et pour 1,7 million de salariés qui occupent des emplois bien rémunérés et hautement spécialisés dans presque toutes les collectivités du pays.

Bien que nous comptons parmi nos membres un nombre important de promoteurs de ressources naturelles — en particulier de producteurs d’énergie —, les acteurs du secteur canadien des ressources naturelles, y compris du secteur des mines et de l’énergie, sont des clients et des partenaires qui nous sont chers. Ensemble, les manufacturiers et les exploitants de ressources constituent la pierre angulaire de l’économie canadienne. Les fabricants de toutes les régions du pays considèrent cette loi comme une menace potentielle pour l’exploitation future des ressources et le bien-être de leurs fournisseurs et clients essentiels.

Les fabricants et les exportateurs du Canada appuient le développement de l’énergie au Canada et comprennent l’intention du projet de loi C-69, mais ils recommandent des amendements pour soutenir la mise en place d’un processus qui permettrait aux bons projets de se réaliser rapidement, à l’amiable et de façon prévisible. Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’y parvient pas. Le projet de loi rendra plus difficile et, dans certains cas, impossible la réalisation de projets d’exploitation de ressources d’importance nationale. À notre avis, le projet de loi devrait être amendé. Les vastes consultations que nous avons menées auprès de nos membres et partenaires à l’échelle du pays nous ont permis de formuler quelques recommandations générales quant aux amendements qu’il y aurait lieu d’apporter.

Le projet de loi C-69 créerait un système qui semble être conçu pour trouver les faiblesses et ignorer les avantages économiques. L’article 63 décrit les cinq facteurs dont le ministre doit tenir compte avant de prendre une décision, notamment la durabilité du projet, ses éventuels effets néfastes, la mise en œuvre de mesures d’atténuation et d’autres facteurs. La loi devrait être modifiée afin de mentionner les intérêts économiques nationaux, régionaux et communautaires.

En dépit du bilan très reluisant en matière de santé et de sécurité de l’industrie canadienne des pipelines et de l’industrie nucléaire canadienne, le projet de loi retirerait la fonction d’approbation des pipelines et des installations nucléaires et la fonction d’établissement des conditions qui se rattachent à ces projets à l’ONE, à la Commission canadienne de sûreté nucléaire et aux offices d’hydrocarbures extracôtiers de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve, et les confierait à Environnement et Changement climatique Canada. Les organismes de réglementation du cycle de vie ne doivent pas être exclus du processus d’approbation des projets.

Afin de pouvoir avoir un débat en bonne et due forme, la liste des projets proposés devrait être rendue publique. Les activités d’exploitation des sables bitumineux in situ devraient être retirées de la liste des projets, étant donné qu’elles font actuellement l’objet d’une réglementation rigoureuse en Alberta qui tient compte des répercussions environnementales et socioéconomiques.

L’obligation de consulter des groupes autochtones est enchâssée dans l’article 35 de la Constitution, et elle est prescrite dans la mesure législative qui nous occupe. Elle a été mise à l’épreuve encore et encore devant les tribunaux et, par tâtonnements, les attentes du gouvernement et des promoteurs de projets ont été clarifiées. Le fait de présenter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, comme c’est fait dans le préambule, pourrait ajouter une incertitude inutile au processus.

Le projet de loi et la Loi sur l’évaluation d’impact accordent au ministre de l’Environnement le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un projet particulier est dans l’intérêt du public. Nous croyons que ce processus devrait reposer sur un modèle tripartite, afin d’éviter de politiser excessivement le processus.

Les nouvelles mesures législatives ne doivent pas porter atteinte à la jurisprudence liée à l’approbation de projets qui a été établie au fil des ans. Au cours des cinq dernières années, des contestations devant la Cour fédérale d’appel et la Cour suprême du Canada ont conféré au processus de réglementation de l’ONE un certain degré de certitude judiciaire. En remplaçant l’ONE par un nouveau processus, nous favoriserions une nouvelle série de contestations judiciaires, qui retarderait encore plus le Canada.

La loi devrait prévoir des délais raisonnables pendant lesquelles les contestations peuvent avoir lieu. Cela accroîtrait la certitude relative à la suspension des délais et la clarté des règles relatives à la prolongation des délais.

L’examen obligatoire des activités gazières et pétrolières extracôtières est une mesure inutilement excessive. Tous les projets ne justifient pas un tel niveau de supervision, et les processus obligatoires d’examen par une commission pourraient rendre les nouveaux projets d’exploration extracôtière non viable sur le plan économique.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui.

La présidente : Merci.

Veuillez limiter la durée de vos préambules afin que nous disposions de plus de temps pour poser des questions.

Tristan Goodman, président, Association des explorateurs et des producteurs du Canada : Je serais rapide, car je suis impatient de répondre à vos questions. C’est un grand honneur d’être ici parmi des personnes aussi remarquables. Je comparais devant des personnes ayant des antécédents impressionnants et diversifiés. Je vous remercie donc de m’avoir invité.

Je m’appelle Tristan Goodman, et je suis président de l’AEPC, c’est-à-dire l’Association des explorateurs et des producteurs du Canada, qui exerce ses activités dans quatre provinces et qui compte environ 150 membres. Ces membres sont des explorateurs et des producteurs des secteurs pétroliers et gaziers, qui sont tous établis au Canada. Ce sont tous des entrepreneurs établis au Canada, dont bon nombre ont utilisé leur propre argent, en hypothéquant leur maison ou par d’autres moyens, pour fonder leurs entreprises. Certaines de ces entreprises sont parmi les plus prospères que le Canada ait jamais connues. Certaines de ces entreprises sont petites, alors que d’autres sont beaucoup plus grandes.

Nous dépensons des milliards de dollars par année. Lorsque les conditions économiques sont favorables, nous dépensons de nombreux milliards de dollars. En ce moment, il est plus difficile d’investir. Nous achetons également une énorme quantité de produits manufacturés, qui vont de l’acier aux véhicules, en passant par à peu près tout.

Nous produisons également environ 25 p. 100 du gaz naturel et du pétrole brut classique. La plupart de ces ressources, voire la totalité, proviennent de puits. Je ne représente pas le groupe responsable de l’extraction minière des sables bitumineux. Cela me différencie donc un peu des autres intervenants.

Nous observons une importante diminution des investissements, et c’est préoccupant. Je pense que le projet de loi C-69 nous causera des préoccupations supplémentaires à cet égard. Nous sommes très fiers du fait que nous exerçons nos activités en satisfaisant à certaines des exigences environnementales les plus contraignantes qui soient, et je crois que notre bilan en la matière est solide. Mais, bien évidemment, il nous est toujours possible d’améliorer notre rendement à cet égard à mesure que nous avançons.

Il y a trois points que j’aimerais faire valoir.

Premièrement, j’aimerais dire que nous appuyons l’analyse détaillée et les contributions du gouvernement de l’Alberta, du gouvernement de la Saskatchewan, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers et de l’Association canadienne de pipelines d’énergie. Nous travaillons en collaboration avec ces groupes. Au lieu de vous fournir une longue liste de nos préoccupations, j’aimerais mettre l’accent sur trois secteurs précis.

À l’article 6, l’énoncé de l’objet manque d’équilibre pour les deux organismes. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions à ce sujet, et j’ai quelques idées quant à la façon de rectifier rapidement ce problème. Par ailleurs, l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre est préoccupante. De plus, le très vaste processus de participation affaiblit la participation de ceux dont les droits de participation sont reconnus, ainsi que de ceux qui sont touchés par le projet de façon directe ou négative.

J’aimerais conclure mes observations en vous faisant part de mon point de vue personnel. Au cours de ma carrière des 20 dernières années, j’ai été au service de plusieurs différents organismes de réglementation. J’ai participé à la réglementation, et j’ai contribué à la rédaction de mesures législatives. J’étais le cadre qui a dirigé la création de l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta. J’ai un doctorat en gestion des ressources naturelles, et je suis autorisé à pratiquer le droit au Royaume-Uni. J’ai aussi des antécédents juridiques au Canada. Par conséquent, je crois être en mesure de vous aider à franchir les étapes de ce processus, et j’espère bien pouvoir assister le Sénat dans ses délibérations.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous les deux de votre présence ce matin.

Monsieur Goodman, je vais m’adresser à vous. Je vais vous demander de nous en dire davantage sur l’article 6 et son manque d’équilibre. Pouvez-vous parler de cela?

M. Goodman : Je vais commencer par parler de la façon dont les organismes de réglementation fonctionnent. Les organismes de réglementation ont une longue histoire. Ils ont évolué depuis les années 1850, mais ils ont vraiment pris leur essor dans les années 1950. C’est à cette époque que nous avons observé une augmentation du nombre d’organismes, d’offices et de commissions dans de nombreux États, qui vont du Royaume-Uni aux États-Unis, en passant par le Canada.

L’un des éléments clés de tous les organismes de réglementation — et il y en a plus de 2 000 au Canada, bien que certains estiment qu’ils atteignent jusqu’à 3 000 organismes, offices ou commissions —, c’est qu’ils constituent une composante importante du gouvernement. Selon la plupart des définitions, un organisme de réglementation a pour but de réduire les méfaits. Ils existent pour tenter de susciter des discussions sur les avantages et les inconvénients, et tenter de créer un équilibre. Les démocraties leur confient la supervision d’un élément, habituellement d’un point de vue administratif.

Il est absolument crucial qu’ils puissent étudier le débat sur les avantages et les inconvénients. Lorsqu’on lit les deux sections de l’article 6, cette fonction d’étude des avantages et des inconvénients ne ressort pas vraiment pour les deux organismes. Les énoncés de l’objet sont cruciaux et fondamentaux pour un organisme de réglementation. Ils sont très importants du point de vue des pratiques et du point de vue des intervenants. C’est l’une des premières choses que les tribunaux lisent lorsqu’ils examinent ces affaires.

L’ajout d’un aspect économique dans les énoncés de l’objet rétablira l’équilibre. Je sais que bon nombre d’entre vous travaillent dans différentes provinces. Des exemples existent en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique, en ce qui concerne la BC Oil and Gas Commission, et en Alberta, en ce qui concerne l’organisme actuel de réglementation de l’énergie de l’Alberta et le Natural Resources Conservation Board. L’énoncé de l’objet de tous ces organismes est formulé de cette manière. Je pense qu’en ce moment, c’est une lacune du projet de loi.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question complémentaire à vous poser à tous les deux. Les chiffres montrent que les investissements étrangers au Canada ont diminué de moitié. Cela représente une perte énorme d’investissements étrangers pour notre pays.

En vertu du nouveau régime proposé, le ministre peut utiliser son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire pour prolonger ou suspendre des délais à 26 différents stades du processus, non seulement pour interrompre temporairement ces projets, mais aussi pour accroître de façon illimitée la durée de ces pauses. Selon le régime précédent, le ministre ne pouvait le faire qu’à neuf différents stades du processus.

Il me semble que c’est la recette parfaite pour faire échouer à l’avance un très grand nombre de projets. Les investisseurs ne se manifesteront simplement pas. Comme vous êtes des gens qui jouent des rôles dans vos secteurs, je suis curieux de connaître vos réactions par rapport à ces occasions, qui semblent nombreuses, où un ministre peut stopper un projet.

M. Goodman : Je peux comprendre pourquoi un pouvoir discrétionnaire est accordé à des ministres dans certaines mesures législatives. Les ministres sont des représentants élus démocratiquement par le peuple canadien, et il ne fait aucun doute que, dans certains cas rares liés à des politiques de niveau élevé, cela peut se produire. Je dois convenir avec vous qu’en ce moment, le pouvoir discrétionnaire ministériel prévu par le projet de loi créerait à l’avenir un manque de prévisibilité pour les investisseurs. Je pense que vous avez une occasion de réexaminer certains des principaux aspects du projet de loi, en particulier ceux qui ont un caractère plus administratif. Il y a certainement un argument — et j’ai entendu cet argument — selon lequel nous ne tenons pas à ce que des fonctionnaires prennent des décisions. Je crois que nous devons reconnaître la façon dont notre système a été établi. Il y a des circonstances dans lesquelles des fonctionnaires prennent quotidiennement des décisions exceptionnelles. Regardez simplement ce que la greffière tente d’organiser. C’est une idée de génie, dont je vous félicite. Mais, en réalité, ce pouvoir discrétionnaire est un élément qui doit être resserré dans le projet de loi. Si un pouvoir discrétionnaire de ce genre n’est pas retiré du projet de loi, vous continuerez de perdre des investissements.

M. MacLean : Les délais d’approbation réglementaire sont un enjeu lié à la compétitivité, et nous parlons beaucoup de la compétitivité. Même si nous laissons les choses telles qu’elles sont, nous accusons déjà un retard en ce qui concerne la vitesse à laquelle nous pouvons faire approuver des projets, comparativement à d’autres pays qui rivalisent avec nous pour attirer des investissements. À mesure que nous avançons, nous devons être conscients des délais et de leur incidence sur la viabilité économique des projets.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie, monsieur Goodman, d’avoir fait observer qu’en fin de compte, il revient à un représentant élu, à savoir le ministre, de prendre ces décisions. Je suis d’accord avec vous. En fait, le pouvoir discrétionnaire des ministres en matière de prise de décisions dans ce domaine a été accordé dans le projet de loi d’exécution du budget de 2012, et je crois comprendre que le pouvoir discrétionnaire prévu dans le projet de loi qui nous occupe est moins important que celui qui était prévu dans le projet de loi d’exécution du budget de 2012.

Ma prochaine question vous est destinée, monsieur MacLean. Elle est liée à la jurisprudence, que vous avez mentionnée. Nous avons soulevé cette question auparavant, en particulier lorsque de hauts fonctionnaires du gouvernement comparaissaient devant nous. Ils ont répondu que, bien entendu, la jurisprudence s’appliquerait aux questions abordées dans le projet de loi, à moins qu’il s’agisse d’un nouvel enjeu. Pensiez-vous que toute la jurisprudence allait être rejetée, ou quelle était au juste votre préoccupation?

M. MacLean : La jurisprudence est importante. Toute mesure qui la met en danger ou nous ramène à la case départ serait une erreur. Nos membres, en particulier ceux du secteur énergétique, nous ont fait part de leur crainte que cela se produise si le projet de loi est adopté. Ce que nous avons découvert en Alberta, lorsque les organismes de réglementation ont fait l’objet d’importantes réformes, c’est que la jurisprudence continuait de s’appliquer. Par conséquent, les risques ne se sont pas matérialisés là-bas, mais cela constitue toujours une préoccupation pour nous à l’avenir.

La sénatrice Cordy : Selon ma compréhension des réponses qui ont été données à un certain nombre de sénateurs, la même chose s’appliquerait dans le cas du projet de loi.

En ce qui concerne votre préoccupation relative à l’obligation de consulter, plusieurs poursuites ont été intentées, et les tribunaux ont rendu des décisions à propos de l’obligation de consulter. Dans le projet de loi précédent, l’ancien système prévoyait une obligation de consulter, et les tribunaux ont constaté que les gens n’étaient pas consultés dans la mesure où ils auraient dû l’être. C’est la raison pour laquelle il y a eu autant de poursuites. Le présent projet de loi propose en fait une nouvelle participation précoce des peuples autochtones, afin que l’obligation de consulter soit vraiment respectée et que de véritables consultations aient lieu. Je ne partage pas votre crainte qu’il y ait davantage de poursuites. Je crois que, grâce à cette participation précoce et plus inclusive, il y aura moins de poursuites.

M. MacLean : Je suis heureux de l’entendre. MEC fait partie d’une coalition d’associations commerciales qui examinent cet enjeu et, dans tous les mémoires présentés, le thème qui revient est lié à la formulation de l’obligation de consulter dans le projet de loi. Cela semble être une préoccupation commune et, si une modification pouvait être apportée au projet de loi afin de tenir compte de cette préoccupation, il est probable que nos membres accueilleraient favorablement cette modification.

La sénatrice Simons : Par souci de transparence, je devrais mentionner que M. MacLean et moi participons depuis longtemps à des joutes verbales au sujet des enjeux politiques de l’Alberta.

David, je sais que vous avez grandi à Fort McMurray et que vous savez à quoi ressemblent les cycles d’expansion et de ralentissement. Pourriez-vous expliquer à mes collègues, qui ne viennent pas de l’Alberta, quelle est la situation là-bas en ce moment, compte tenu des fluctuations du prix du pétrole et du manque d’accès aux marchés? Quelle est la situation des fabricants de l’Alberta pendant cette période, et que craignez-vous si le projet de loi C-69 va de l’avant?

M. MacLean : Nous estimons que les activités de 80 p. 100 des fabricants albertains sont liées, d’une façon ou d’une autre, à la production d’énergie. Pendant le ralentissement des marchés énergétiques, nous avons découvert que le secteur manufacturier de l’Alberta avait perdu 45 000 emplois — en partie en raison du prix mondial du pétrole et du gaz naturel, et en partie en raison de l’écart qui a été causé par un manque de capacité pipelinière. Certains de ces emplois sont revenus avec le temps, parce que notre secteur énergétique est encore très robuste, mais le secteur manufacturier a été décimé par le ralentissement des activités pétrolières et gazières. Ces répercussions ont été ressenties à l’échelle nationale, et pas uniquement en Alberta. Elles ont été extrêmes, et les gens éprouvent beaucoup de frustration par rapport au manque d’accès aux marchés que vivent les sociétés énergétiques de l’Alberta.

La sénatrice Simons : Monsieur Goodman, vous avez manifestement acquis beaucoup d’expérience dans le domaine de la réglementation. Êtes-vous préoccupé par la façon dont les organismes de réglementation du cycle de vie sont traités dans le contexte du projet de loi C-69?

M. Goodman : Il n’y a pas nécessairement une bonne ou une mauvaise approche à cet égard, mais, en général, les industries sont plus à l’aise lorsqu’elles font affaire avec un organisme de réglementation du cycle de vie. Qu’il s’agisse d’un organisme de réglementation de l’énergie ou d’un organisme de réglementation de la sûreté nucléaire, ces organismes sont beaucoup plus efficaces et offrent d’autres avantages. Ils peuvent effectivement étudier les détails. La raison pour laquelle les organismes, les offices ou les commissions existent et la raison pour laquelle les tribunaux s’en remettent généralement à eux, c’est qu’ils possèdent des compétences techniques. Il est très difficile pour un organisme d’étudier un sujet très technique sans connaître les détails. Bon nombre d’entre nous auraient du mal à le faire. J’ai remarqué les messieurs de l’industrie de l’uranium. C’est un domaine très complexe si on le compare aux autres domaines du secteur énergétique. En général, les entreprises préfèrent traiter avec un guichet unique, et les guichets uniques ont tendance à être propres à un secteur.

La sénatrice Simons : Est-il possible de mettre en place un guichet unique qui travaille avec une commission mixte composée, entre autres, de représentants des organismes de réglementation du cycle de vie, comme le suggère la Loi sur l’évaluation d’impact?

M. Goodman : Je pense qu’il existe déjà des processus. Il ne faut pas oublier que nous avons actuellement un assez bon organisme, à savoir l’Office national de l’énergie. Je pense qu’il y a beaucoup à dire au sujet de cet organisme de réglementation. C’est un organisme de calibre mondial qui est bien reconnu. Oui, il y a des possibilités d’amélioration, mais je crois qu’en général, il faudra prendre en compte différents facteurs. Je dirais qu’il existe déjà un processus qui en tient compte par l’entremise de comités conjoints et d’autres composants connexes. C’est certainement possible.

La présidente : Puis-je vous poser une question sur ce point précis? Dans les nouvelles, nous avons beaucoup entendu parler du Conseil de gestion du Nord et du fait que les PDG et les gens aux échelons supérieurs venaient de l’industrie réglementée par le conseil, ce qui a causé beaucoup d’appréhensions quant à la possibilité d’un conflit d’intérêts. Je comprends que l’expertise relève de l’organisme de réglementation du cycle de vie, mais si l’autorité là-bas compte entretenir des relations directes ou indirectes avec les gens qu’elle veut réglementer, n’est-ce pas là une source de friction éventuelle?

M. Goodman : Je ne pense pas que ce sera le cas, tant que vous aurez une approche équilibrée. Si vous examinez des organismes de réglementation, surtout dans le secteur de l’énergie à l’heure actuelle — par exemple, l’Alberta Energy Regulator —, vous verrez des experts de l’industrie qui siègent au conseil et des groupes qui viennent de la communauté anglophone et des nations autochtones.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur les champs de compétence. Techniquement, vos entreprises seraient plutôt de nature locale ou provinciale. Sentez-vous, dans ce projet de loi, une volonté du gouvernement fédéral d’aller encore plus loin dans un champ de compétence provincial et de commencer, ou même augmenter les contrôles envers des entreprises qui sont normalement de compétence provinciale en matière d’évaluation environnementale, monsieur Goodman?

[Traduction]

M. Goodman : Ayant lu le projet de loi dans sa totalité à plusieurs reprises et examiné certaines des observations faites à la Chambre des communes, je constate qu’il y a lieu de s’inquiéter du partage des compétences entre le provincial et le fédéral. On pourrait débattre des détails à ce sujet, mais je crois que, pour l’heure, du moins en ce qui concerne le secteur de l’énergie et, dans une large mesure, aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et d’autres mesures dans le domaine de l’environnement, il y a eu une délimitation. Même s’il ne s’agit pas d’une jurisprudence proprement dite, une convention pratique a été établie au fil de nombreuses décennies d’utilisation, et je crois que le projet de loi soulève des préoccupations quant à son incidence sur la capacité de certaines provinces d’exploiter leurs ressources naturelles.

La présidente : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être des nôtres. Je vais commencer par une petite question. La ministre de l’Environnement et du Changement climatique a dit que le projet de loi rendra « les secteurs canadiens de l’énergie et des ressources plus concurrentiels. » Pourriez-vous me dire si vous êtes d’accord? Les gens que vous représentez souscrivent-ils à cette affirmation?

M. MacLean : Aucun de nos membres n’a exprimé le sentiment que le projet de loi, dans sa forme actuelle, favoriserait la compétitivité des entreprises canadiennes. C’est tout le contraire. Il y a beaucoup d’amertume face aux conséquences inattendues que pourrait avoir le projet de loi, conséquences qui ralentiront les approbations et les investissements dans les projets d’exploitation des ressources partout au pays, de même que dans les infrastructures économiques. Le projet de loi ne s’applique pas uniquement aux ressources. Il s’applique aussi aux infrastructures économiques comme les ports et les aéroports, qui sont essentiels à la compétitivité du secteur manufacturier.

M. Goodman : Je dois me faire l’écho de ces préoccupations. Nos membres sont généralement préoccupés par le projet de loi C-69; ils craignent que cette mesure législative ait un effet paralysant sur les investissements dans notre pays ou les capitaux qui sont investis à l’échelle du pays par l’entremise des entreprises de nos membres.

Le sénateur Neufeld : J’aimerais vous poser une question sur la participation. La loi précédente était plus ou moins axée sur ceux qui seraient touchés et ceux qui se trouvent à proximité d’un projet devant faire l’objet d’une évaluation. Le projet de loi C-69, pour sa part, ouvre le processus au monde entier. Je sais que j’ai posé cette question aux deux autres groupes. Je suis conscient que la participation de la population est importante, alors comprenez-moi bien. Je suis ici depuis assez longtemps pour le savoir, et j’ai moi-même organisé beaucoup de consultations. Dites-moi ce que vous pensez de l’idée d’ouvrir le processus à toute personne. Quoi que vous fassiez, les gens s’opposeront farouchement à l’exploitation pétrolière et gazière, à l’énergie nucléaire ou à la production d’électricité. Une fois que tout le monde aura l’occasion de se prononcer, qu’arrivera-t-il, d’après vous? Du point de vue d’un organisme de réglementation et d’élaboration de règlements, comment y a-t-il lieu de limiter cela un peu dans le projet de loi dont nous sommes saisis maintenant?

M. Goodman : Je peux comprendre pourquoi les gens voudraient entendre de nombreuses sources différentes. C’est valable, tant que cela contribue à la décision en matière de réglementation. Toutefois, pour des raisons pratiques, il y a une limite de temps. Peu importe le temps que vous y mettez, vous pourriez mener des consultations pendant 20 ans, et ce ne serait toujours pas suffisant pour entendre toutes les personnes qui souhaitent intervenir.

À mon avis, il est absolument essentiel d’entendre ceux qui ont des droits reconnus et ceux qui vivent, travaillent et pratiquent des activités récréatives près de ces zones pouvant être touchées par un projet de développement, qu’il s’agisse d’un barrage ou d’un autre projet d’exploitation de ressources naturelles, d’une centrale solaire ou d’un parc éolien. Selon moi, ce sont ces gens qui sont les plus importants. Je crois que le projet de loi, en essayant de permettre une très vaste participation de la population, risque de diluer ces voix d’un point de vue pratique au chapitre de la réglementation.

M. MacLean : Nous devons être conscients des échéanciers. La participation de la population est un élément essentiel du processus. Nous devons l’encourager, bien entendu, mais le tout doit être géré de manière à ne pas nuire à la compétitivité des projets.

Le sénateur Woo : Permettez-moi de revenir sur la question de participation en m’adressant cette fois à M. Goodman. Pour l’heure, vos membres sont assujettis à l’actuelle Agence canadienne d’évaluation environnementale, qui n’a pas de critères. Ses représentants nous ont dit que cela fonctionne bien. Ils sont en mesure de trier les témoins en tenant compte de leur importance relative, notamment en acceptant des mémoires. Êtes-vous en désaccord là-dessus?

M. Goodman : Non, je pense qu’à l’heure actuelle, compte tenu de la façon dont le système fonctionne, les occasions de l’améliorer ne manquent pas, mais je me dois de reconnaître le travail de cette agence.

Le sénateur Woo : Je vous remercie. Pouvez-vous également préciser qu’il n’est pas possible de mener des consultations pendant 20 ans, comme vous le laissez entendre, aux termes du projet de loi C-69? Cette mesure législative établit une limite pour les consultations auprès de la population, et l’idée que les choses pourraient traîner pendant 20 ans n’est absolument pas une possibilité au titre du projet de loi C-69.

M. Goodman : Non, je n’apporterai pas cette précision. Je suis désolé, monsieur.

Le sénateur Woo : D’accord, je peux préciser que le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de mener des consultations à l’infini.

Permettez-moi de parler d’équilibre, et j’aimerais connaître le point de vue des MM. MacLean et Goodman. Monsieur MacLean, vous faites une déclaration assez extraordinaire en disant que le projet de loi C-69 crée un système conçu pour trouver des lacunes et faire fi des retombées économiques positives. J’aimerais que vous défendiez un peu plus cette affirmation. Ce n’est pas ainsi que j’interprète le projet de loi. D’après ce que nous ont dit les organismes, le régime actuel est en fait conçu pour repérer uniquement les effets négatifs, alors que le projet de loi permet de tenir compte des retombées économiques positives.

Cela soulève la question d’équilibre, qui est un point très important dans le témoignage de M. Goodman, notamment en ce qui concerne la façon d’y parvenir. L’article 63 sur le pouvoir discrétionnaire du ministre et du cabinet relativement au critère de l’intérêt public, d’après mon interprétation, permet en fait au ministre ou au cabinet de passer outre les effets négatifs repérés s’ils estiment que le projet dans son ensemble est dans l’intérêt public. N’est-ce pas là une façon d’établir cet équilibre dans un système qui serait autrement très problématique si un organisme en venait à déceler uniquement des effets négatifs et que le gouvernement n’avait pas la capacité de dire que nous pouvons vivre avec ces effets négatifs précisément parce que le projet de loi contient une disposition qui nous oblige à tenir compte des avantages économiques pour les communautés dans leur ensemble?

M. MacLean : Eh bien, l’article 63 décrit les cinq conditions, et le développement économique n’en fait pas partie.

Le sénateur Woo : Avez-vous examiné la définition de durabilité dans le projet de loi?

M. MacLean : Non, pas récemment. Dans ce cas, il faut peut-être l’indiquer explicitement, d’entrée de jeu, dans le projet de loi. On devrait souligner que l’avantage économique est un facteur essentiel, et il faudrait ajouter un libellé à cet égard.

M. Goodman : Je suis d’accord. Je saisis bien vos propos. Dans l’argument que vous présentez, je comprends là où vous voulez en venir. Je crois simplement qu’il y a plus de clarté. Si tel est l’objet de cet article, alors vous devriez également insister là-dessus avec plus de clarté. C’est une pratique normale dans l’ensemble des champs de compétence provinciale et fédérale.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci de votre témoignage d’aujourd’hui. Monsieur Goodman, j’ai été frappée par ce que vous avez dit : l’énoncé de l’objet est fondamental, et vous estimez que celui qui figure dans deux des lois n’est pas assez solide. Je crois que vous avez dit que l’énoncé de l’objet doit faire mention des facteurs économiques ou de l’économie. J’ai examiné l’énoncé de l’objet, et je vois qu’on y parle de conditions économiques et d’effets positifs et négatifs, mais je comprends votre point de vue. Comment modifieriez-vous cette disposition pour que l’économie et les facteurs économiques soient mis de l’avant de façon plus délibérée?

M. Goodman : Je vous remercie de la question. Je crois que l’amendement le plus facile consiste à ajouter simplement une ligne. Il est très important d’énumérer les facteurs dont l’organisme de réglementation doit tenir compte, et cet aspect est bien réussi dans le projet de loi. En ajoutant simplement une ligne pour dire qu’un des autres facteurs concerne les avantages économiques du point de vue de l’intérêt public, on précise ainsi la dynamique naturelle qu’un organisme de réglementation doit prendre en considération pour prévenir les effets potentiellement négatifs, tout en permettant que les effets positifs se poursuivent. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur MacLean, en ce qui concerne le devoir de consulter, vous avez peut-être entendu la question que le sénateur Massicotte a posée au groupe précédent. Je ne la répéterai donc pas, mais je me demande comment on finit par créer une incertitude inutile en ajoutant, au préambule seulement, un énoncé sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, alors qu’on en fait mention nulle part ailleurs dans le projet de loi?

M. MacLean : Espérons qu’il n’y en aura pas. En toute honnêteté, je ne suis pas constitutionnaliste. Mais si les mots ont de l’importance et que les préambules n’en ont pas, alors convenons qu’ils n’ont pas d’importance. Cependant, s’ils en ont, sur le plan juridique ou pour donner le ton de la loi, je pense alors que nous devrions être précis à ce stade-ci et clairs sur ce qui éclaircit ou non le libellé.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je dirais que M. Saganash, qui a présenté cette mesure, et d’autres personnes affirmeraient que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est très claire et que son libellé tourne autour de l’autodétermination. Je suppose que lorsque nous parlons d’une incertitude accrue, cela semble en partie être alarmiste et en partie parce que cela pose vraiment un problème. Je n’ai pas réussi à bien comprendre comment la mention du droit des peuples autochtones à l’autodétermination donne lieu à un niveau d’incertitude suffisamment important pour que personne ne veuille investir au Canada. J’essaie toujours de comprendre cela.

La présidente : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d’être avec nous ce matin. J’ai deux brèves questions. Je partage votre préoccupation concernant le fait que, dans la liste des projets, les règles ne soient pas encore établies. Mais si la liste était la même que celle actuellement en place, seriez-vous tous les deux satisfaits?

M. Goodman : Eh bien, je suppose que cela dépend de ce qui sera finalement conclu dans la mesure législative. Je crois que dans sa forme actuelle, la réponse serait non parce que la liste de projets n’est pas un texte indépendant. C’est lu dans le contexte du reste du projet de loi, qui soulève des préoccupations.

M. MacLean : En Alberta, nous avons des préoccupations précises concernant les activités d’exploitation des sables bitumineux in situ.

Le sénateur Massicotte : Mais si on confirmait que la liste dans son application actuelle devait être applicable à l’avenir, les activités in situ seraient exclues et seraient de compétence provinciale. Dans ce cas-là, serait-ce satisfaisant?

M. MacLean : Ce serait partiellement satisfaisant. La production d’électricité suscite aussi des préoccupations. Nous devrions avoir une liste de projets et en discuter publiquement.

Le sénateur Massicotte : Dans votre mémoire, monsieur MacLean, vous dites que la Canada West Foundation a déposé un bon rapport. La Fondation propose essentiellement que les limites maximales de temps comprennent tout le temps dont a besoin, autrement dit, la capacité de faire une pause. Y seriez-vous favorable? Autrement dit, les délais devraient comprendre les retards attribuables à tout le monde, pas que ceux causés par le gouvernement.

M. MacLean : Oui. Pourvu que nous puissions créer un certain climat de certitude à l’égard des délais, oui, il faudrait aussi inclure ceux des promoteurs.

La présidente : À titre d’exemple, quelle est la durée d’un projet in situ?

M. MacLean : De 20 à 25 ans.

La présidente : Nous disons dans ce projet de loi que le délai maximal d’approbation est de trois ans. Pouvons-nous parler en termes relatifs? Nous prenons trois années alors que le projet dure 20 ans, lorsqu’il est in situ. Si je prends un projet de barrage, nous parlons d’environ 50 ou 60 ans. Donc, qu’arrive-t-il lorsque nous prenons une année ou deux dans toute la durée du projet? Est-ce vraiment important?

M. Goodman : Si vous le permettez, je vais répondre. La réponse est oui, c’est très important. Au Canada, compte tenu de la façon dont les investissements se font, du moins dans le secteur pétrolier et gazier — je ne peux pas parler des autres —, le temps, c’est vraiment de l’argent, et la valeur temporelle de l’argent est calculée de différentes façons. La durée du délai, trois ans, un an et demi ou un an, est déterminante si l’on veut que l’investissement soit fait au pays plutôt que, en toute honnêteté, dans un autre pays.

La présidente : Les promoteurs ont retiré la plupart des projets figurant sur la liste assujettie aux règles actuelles, ce qui signifie que c’est surtout à cause des promoteurs qui décident de retirer leurs projets à un moment donné qu’il manque de temps dans le processus d’approbation.

M. Goodman : Je vous remercie de poser la question. Les promoteurs prendront des décisions lorsqu’ils s’engageront dans les processus, comme nous le ferions tous personnellement en nous engageant dans divers processus. À mesure qu’un promoteur en apprend davantage, il réévalue constamment son engagement envers l’initiative. Pour être honnête, cela repose en grande partie sur le calcul de la valeur actualisée des flux de trésorerie ou sur d’autres analyses. Ils se retirent peut-être d’un projet parce qu’ils sont préoccupés par le manque de prévisibilité quant à l’endroit où l’argent sera investi.

Des cas tragiques sont associés à cela. On a d’ailleurs pu commencer à le voir plus tôt cette semaine alors que Devon Canada a commencé à envisager la possibilité de sortir du pays. C’est un exemple de cas où les gens deviennent très nerveux en ce qui a trait à la prévisibilité de ces processus.

La présidente : Oui, dans le cadre du régime actuel.

M. Goodman : En effet. À mon avis, vous ne voulez pas vous éloigner du régime actuel, mais plutôt le changer. Cela dépend vraiment des fonctionnaires.

Le sénateur Mockler : Je viens du Canada atlantique, du Nouveau-Brunswick. Au Canada atlantique, nous savons par expérience, depuis la Confédération, à quel point il est difficile d’encourager les investisseurs à investir dans de grands projets. Le gouvernement joue un rôle important. Nous sommes préoccupés, et j’ai eu l’occasion de rencontrer des élus à l’échelle municipale, régionale, provinciale et même fédérale, et ils constatent que le projet de loi C-69 va également à l’encontre du principe des lois de mise en œuvre de l’Accord atlantique. Il crée aussi un pouvoir discrétionnaire considérable dans un processus décisionnel qui devrait être prévisible et fondé sur des données scientifiques. C’est ce que je crois. Avez-vous d’autres observations?

M. Goodman : Je n’ai pas regardé dernièrement les accords conjoints, et je dois faire preuve d’une certaine prudence, mais je comprends et j’ai eu plusieurs discussions avec des collègues du Canada atlantique, et ces problèmes sont abordés. Je pense que cela renvoie vraiment à une question initiale concernant le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux dans la gestion des ressources naturelles. L’accord conjoint vise à préserver une certaine capacité, et le processus s’est révélé être assez efficace.

Le sénateur MacDonald : En effet.

M. Goodman : Je demanderais donc au Sénat de tenir compte des répercussions qui s’y rattachent, compte tenu de l’approche positive à laquelle on est parvenu ici. C’est ma seule observation.

La sénatrice McCallum : Je veux revenir au pouvoir discrétionnaire du ministre. Vous avez affirmé que vous ne voulez pas que des fonctionnaires prennent les décisions. Je suis d’accord avec vous, car j’ai dû travailler dans le domaine de la santé avec des fonctionnaires qui se penchaient à tort sur certaines normes de soins et certains dossiers. Il n’existe pas de sanctions contre eux. Quand vous regardez les 26 délais dans cette nouvelle mesure législative, qu’est-ce qui serait acceptable pour vous? Je ne comprends pas le délai. On peut voir où cela prendra fin. Je me penche là-dessus, car je sais qu’il y a une entente avec les chefs autochtones concernant la forêt boréale. Ils ont retiré leur consentement à mi-chemin compte tenu de préoccupations survenues à ce moment-là. Ils poursuivent quand même les démarches, malgré cette rétractation. C’est mon raisonnement. Quel est le juste milieu selon vous?

M. Goodman : Je peux répondre aux deux questions. Premièrement, au sujet du pouvoir discrétionnaire du ministre, soyons clairs : je crois que ce projet de loi accorde trop de pouvoir discrétionnaire au ministre pour rendre cela pratique et applicable ainsi que pour créer un climat de certitude. Dans mes observations, j’ai dit que je peux comprendre à quels égards le pouvoir discrétionnaire du ministre est parfaitement valide. Nous vivons dans une démocratie. Je pense que c’est plus que raisonnable.

Je demanderais au Sénat de faire deux choses par rapport au pouvoir discrétionnaire du ministre. La première est d’examiner à quel endroit il faut vraiment s’appuyer sur la démocratie. Lorsque c’est le cas, il faut établir un autre cadre. L’investisseur, l’intervenant, la nation autochtone ou quiconque participe ou à des intérêts doit comprendre comment le ministre va exercer ce pouvoir. Je reconnais que le projet de loi l’indique un peu. Vous l’avez mentionné, madame la sénatrice. Cependant, c’est en partie très subjectif. Il serait utile que vous ajoutiez plus de normes objectives. C’est ce que je ferais pour répondre au premier point abordé.

Le deuxième point portait sur ce qui est raisonnable. Je ne sais pas si mon point de vue va vous aider, mais je vais aborder notre problème macroéconomique mondial. Nous vivons dans un pays ayant une population relativement petite au sein d’une macroéconomie mondiale, et nous devons nous disputer des capitaux pour financer les services que les Canadiens chérissent beaucoup, comme les soins de santé universels, l’éducation publique et la protection des droits existants. Nous devons nous rappeler que c’est en grande partie financé par l’exploitation de nos ressources naturelles.

Donc, pour répondre à votre question, il faut voir à qui nous livrons concurrence. Les États-Unis sont un de nos principaux concurrents. Ils peuvent construire des pipelines très rapidement. C’est un facteur dont vous devez être conscients, oui, j’en conviens. Bon point.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur Richards : Merci de votre présence. J’ai deux brèves questions, une pour M. Goodman et l’autre pour M. MacLean.

Monsieur Goodman, compte tenu du pouvoir discrétionnaire du ministre, estimez-vous que ce projet de loi est pire pour faire des affaires que le projet de loi de 2012?

Monsieur MacLean, quelle sera l’incidence du projet de loi C-62 sur la consultation, et mènera-t-il ou pourrait-il mener à de plus longs délais ou à un plus grand nombre de litiges? Le projet de loi C-262 est celui concernant les Nations Unies.

M. MacLean : Ce qui préoccupe nos membres, c’est que la mention de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans les modifications législatives change les règles du jeu en ce qui concerne l’obligation de consulter. Je ne sais pas exactement comment, mais si nous avons une jurisprudence, des décisions des tribunaux, et si nous avons réglé les détails à ce sujet au cours des cinq dernières années, comme nous l’avons certainement fait en Alberta pour l’exploitation des sables bitumineux, le statu quo devrait alors suffire, si nous avons connu un certain succès au moyen du système actuel.

M. Goodman : Je crois que la situation qui découlera du projet de loi, dans sa forme actuelle, n’est pas aussi positive que la situation actuelle, même lorsqu’on tient compte de toutes les faiblesses de la situation actuelle. C’est la raison pour laquelle je suis ici : pour vous donner, espérons-le, la capacité nécessaire et des possibilités pour les pallier, en même temps que les autres intervenants que vous entendez.

Le sénateur Mitchell : Merci. Je devrais souligner que la disposition sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le préambule était un amendement adopté à l’unanimité à la Chambre des communes, y compris par des députés conservateurs de l’Alberta qui étaient présents pour voter.

Ma question est toutefois pour M. Goodman, qui a beaucoup parlé de l’importance d’accorder la priorité à l’économie. Elle donne suite aux observations et aux questions de la sénatrice LaBoucane-Benson. Les trois premiers éléments des buts renvoient explicitement à l’économie. Il y a la durabilité ainsi que les effets positifs et négatifs qui sont précisés. Il en est question 130 fois dans les définitions, dont 31 fois de manière explicite. En revanche, la Responsible Energy Development Act, qui a créé l’Alberta Energy Regulator — vous avez d’ailleurs dit que vous avez contribué à sa création —, ne tient pas compte une seule fois de l’économie. Comment expliquez-vous cela?

M. Goodman : Je peux certainement l’expliquer. Tout d’abord, il est incorrect de dire que la loi ne tient pas compte de l’économie, car le terme « développement ordonné » renvoie à l’économie. C’est par convention que les gens comprennent, et les tribunaux l’ont accepté dans la jurisprudence établie.

Le sénateur Mitchell : Ce serait donc le cas là aussi, n’est-ce pas?

M. Goodman : Espérons-le. Je ne crois pas que c’est le cas, personnellement. Je pense que le Sénat pourrait en envisager l’ajout et apporter des précisions à ce sujet. La mesure législative dont vous venez de parler s’appuie sur une longue tradition. Cela commence, dans une certaine mesure, avec un nouveau libellé, de manière différente. En fait, la mention progressiste conservatrice remonte à 1938. Il y a donc une entente qui existe depuis longtemps par convention, ce qui est très courant dans notre système. Je vous encouragerais donc encore une fois à envisager la possibilité d’apporter des précisions à ce sujet, si c’est l’intention du gouvernement.

Le sénateur Mitchell : Des précisions, oui, mais c’est manifestement l’intention du gouvernement, ou il n’en serait pas fait mention 161 fois.

Ma deuxième question porte sur les délais. Vous avez dit, monsieur Goodman, que vous ne pouviez pas confirmer que la participation du public se ferait dans les délais. Vous êtes avocat. Je vous renvoie aux articles 16, 27, 51 et 99, qui précisent tous que cela doit se faire dans les délais.

La dernière fois que l’Alberta Energy Regulator — vous avez dirigé sa mise en place ou vous y avez participé — a examiné une usine, il a fallu six ou sept ans pour examiner le projet Aspen in situ d’Imperial Oil. Que pouvons-nous apprendre des problèmes du processus de l’Alberta Energy Regulator qui serait utile ici? Il semble étrange d’entendre ici des critiques des délais, qui ont tous été raccourcis, dans certains cas de plus de la moitié. Un important délai passe de 720 à 300 jours, et un autre de 450 à 300 jours. Vous allez parler du « processus de planification ». Vous en avez un; vous ne le précisez tout simplement pas. Ce que je veux dire, c’est que le processus que vous avez mis en place prévoit six ou sept années, et vous êtes préoccupés par les délais ici.

M. Goodman : Je suis préoccupé par les délais. Il y a certainement des améliorations possibles au processus de l’Alberta Energy Regulator. Cela ne fait aucun doute. Le projet Aspen est un excellent exemple de projet dans lequel le délai est déraisonnable selon moi.

Je dis qu’il y a des choses à apprendre, des choses positives et négatives, dans ce processus et d’autres. Il est difficile de déclencher et d’arrêter un chronomètre. Je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas regarder ce qui se fait en matière de délais dans le monde dans lequel nous devons livrer concurrence. C’est vrai même au sein de nos propres tribunaux. On a établi des délais pour les affaires criminelles, sans exception. Et c’est régulièrement sous-entendu. Je ne sais pas pourquoi nous ne pouvons pas le faire au sein de nos tribunaux administratifs.

La présidente : Nous avons le temps pour une dernière question, sénatrice McCoy, avec un court préambule.

La sénatrice McCoy : Un très court préambule.

Nous nous demandons tous ce qui se produira en vertu de cette mesure législative. Certains sénateurs sans expérience de ce genre de processus disent une chose. Les personnes qui se sont déjà penchées sur des mesures législatives ou des processus de ce genre en disent une autre. J’aimerais que nous ayons une sorte de point de référence objectif pour pouvoir évaluer le processus réglementaire dans ce domaine très important.

Je veux parler de l’excellence réglementaire, car je suppose que vous y avez participé en Alberta, et que vous avez participé au projet public ou d’excellence réglementaire de la University of Pennsylvania. Pouvez-vous nous en dresser un portrait? J’ai recommandé qu’un dirigeant de ce processus témoigne. Parlons des quatre principales caractéristiques de l’excellence réglementaire, et nous pourrions peut-être faire venir un groupe de témoins pour en parler, ce qui nous aiderait à déterminer si ce projet de loi respecte ces normes.

M. Goodman : Certainement. Un travail considérable avait été fait à partir de la University of Pennsylvania. Le travail s’est fait sur une année, et avec la contribution d’universitaires de partout dans le monde, de l’Australie au Royaume-Uni, en passant par le Canada et d’autres pays. Un livre a été publié avec des aspects révisés. Je pense qu’on peut examiner beaucoup d’aspects positifs.

En général, les organismes de réglementation ont besoin de trois choses essentielles pour être efficaces. À défaut de quoi, on peut s’attendre à un échec réglementaire. Il y en a de nombreux exemples, que je ne donnerai pas ici.

Il faut d’abord une compétence technique. Il faut des gens qui savent de quoi ils parlent lorsqu’ils prennent un règlement. Pour tout dire, ce qu’on ne veut pas, c’est un groupe d’avocats qui réglementent le secteur de l’énergie. On veut vraiment une excellente technique.

Il faut aussi s’assurer d’avoir des processus équitables. Certaines personnes parlent de l’application des règles de la justice naturelle. L’essentiel, c’est que tous les intervenants aient l’impression que le processus est juste.

Enfin — et c’est plus moderne et cela continue d’évoluer —, il faut des personnes vraiment engagées. Les discours varient à ce sujet, mais il faut écouter les gens qui pourraient être touchés par un projet. Ils ne parlent pas des grands aspects stratégiques. Les aspects stratégiques, les grandes questions, sont l’affaire des représentants démocratiquement élus. Le côté administratif se trouve sur le plan réglementaire dans la prise de ces décisions. Cela ne signifie pas qu’on n’écoute pas ces personnes. Je vis dans une région rurale de l’Alberta. Mon eau vient d’un puits. Je vis dans une région de gaz sulfureux. Je tiens donc vraiment à garantir la protection et la sécurité de ma famille. J’ai confiance en ce système parce que j’ai participé au processus, pas en tant que membre d’un organisme de réglementation, mais en tant que personne qui va cogner à la porte des gens pour dire qu’il faut prendre certaines mesures avant qu’il ne soit trop tard, que j’aimerais discuter avec eux, ce qui est formidable. C’est exactement ce qui devrait se faire. La situation continue d’évoluer.

La présidente : Merci beaucoup pour cette discussion très intéressante.

(La séance est levée.)

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