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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


QUÉBEC, le vendredi 26 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 13 h 2, pour étudier le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice indépendante et je représente le Québec. Je suis aussi la présidente de ce comité.

Je demanderais à mes collègues sénateurs autour de la table de se présenter, en commençant par le vice-président.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec. Bonjour.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Je voudrais aussi profiter de ce moment pour remercier les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Mme Sam Banks et M. Jesse Good, et la greffière du comité, Mme Maxime Fortin. Je voudrais également remercier les sténographes, les traducteurs et les gens qui nous ont accompagnés dans cette tournée qui se termine aujourd’hui. Si tout s’est bien passé, c’est grâce à eux.

Chers collègues, aujourd’hui nous continuons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Cet après-midi, nous recevons un premier groupe représentant la WSP, M. André-Martin Bouchard, directeur mondial, Environnement et ressources de WSP Global Inc., accompagné de M. Martin Larose, vice-président directeur, Environnement et opérations, Québec, WSP Canada Inc. À titre personnel, comparaît M. Louis-Gilles Francœur, journaliste en environnement et ex-vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec.

Donc, chacun de vous dispose de cinq minutes. Je demanderais à M. Bouchard de prendre la parole en premier.

André-Martin Bouchard, directeur mondial, Environnement et ressources, WSP Global Inc., WSP : Bonjour. Sénateurs et sénatrices, merci pour votre invitation aujourd’hui à comparaître devant ce comité sénatorial sur le projet de loi C-69.

Mon nom est André-Martin Bouchard, et je suis leader mondial du secteur environnement chez WSP. Je suis ingénieur en environnement de formation, j’ai 25 années d’expérience en consultation environnementale, et je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue, Martin Larose, qui est vice-président des opérations et de l’environnement chez WSP pour la province de Québec.

WSP est l’une des plus grandes firmes de services professionnels au monde, regroupant environ 48 000 employés de talent. WSP est une firme canadienne dont le siège social est à Montréal. Nous sommes des experts techniques et nous offrons des conseils stratégiques. Nous élaborons des solutions durables et concevons des projets qui aideront à la croissance des sociétés pour les générations futures.

Parmi nos employés, nous comptons des ingénieurs, des biologistes, des géologues, des géomaticiens, des archéologues et des équipes multidisciplinaires qui soutiennent des clients de tous les secteurs de toutes les industries.

WSP compte environ 6 000 experts en environnement à travers le monde, dont 1 400 au Canada seulement. Nous travaillons dans tous les domaines de l’environnement, notamment les études d’impact environnemental; les évaluations; l’acceptabilité sociale et environnementale des grands projets; les audits de conformité environnementale; les changements climatiques et la gestion des gaz à effet de serre; la gestion de l’eau, de l’air, du sol, des habitats fauniques et de la faune, pour n’en nommer que quelques-uns.

De façon générale, notre rôle en tant que consultants en environnement est de produire des études techniques et scientifiques appuyant la conception de projets afin de les rendre environnementalement acceptables, et souvent au-delà des normes et des règlements en vigueur; de préparer des études d’impact environnemental et social, ainsi que des demandes d’autorisation; de guider nos clients dans l’obtention des autorisations, c’est-à-dire expliquer le processus, le calendrier, les risques et établir les stratégies; de participer en amont à l’optimisation des projets pour réduire les effets sur l’environnement; d’évaluer les impacts des projets et de vulgariser les résultats pour la compréhension des populations; d’interagir avec le gouvernement et les parties prenantes tout au long des processus d’autorisation, en tant qu’experts scientifiques et techniques.

Nous avons accompagné une multitude de clients dans les processus d’autorisation environnementale des mines, des ports, des routes, des chemins de fer, des ponts, des lignes électriques, des barrages hydroélectriques, des aménagements fauniques; bref, dans le cadre de toutes sortes de projets à travers le Canada.

Ce que nous avons remarqué au fil des ans, c’est que le manque de clarté du processus rend la planification difficile, et par le fait même, les attentes des parties prenantes sont difficiles à gérer, incluant celle des clients qui sont les instigateurs des projets. Ce manque de clarté est notamment lié aux éléments suivants.

Premièrement, la cohabitation des processus provincial et fédéral a souvent été un enjeu. Deuxièmement, les incertitudes reliées aux multiples « autorités compétentes fédérales » ainsi que l’absence de critères d’assujettissement clairs au processus fédéral dans les versions précédentes de la loi rendent le processus difficile à suivre. Troisièmement, les enjeux et les attentes concernant les émissions de gaz à effet de serre et les changements climatiques, et j’ajouterais, le développement durable, ne sont pas clairement définis non plus. Quatrièmement, les processus de consultation avec les parties prenantes, particulièrement les Premières Nations, ne sont pas clairement définis non plus. Finalement, les retards engendrés à toutes les étapes du processus d’autorisation rendent souvent le processus plus lent que prévu ou anticipé initialement selon la procédure définie.

En ce qui concerne le projet de loi C-69, nous croyons de façon générale qu’il doit assurer la protection de l’environnement et des communautés, tout en permettant le développement économique durable du Canada. Plus particulièrement, dans le cadre de la présente consultation, nous soumettons les commentaires suivants.

En ce qui a trait à l’assujettissement et à l’autorité responsable du projet de loi C-69, nous saluons la volonté de clarifier le processus initial d’assujettissement, c’est-à-dire l’établissement d’une liste claire et d’une confirmation de l’agence que le projet est désigné dès la réception de la description de projet. Le fait d’avoir une seule agence responsable du processus, l’Agence canadienne d’évaluation d’impact, devrait faciliter les échanges et la fluidité du processus, et assurer le développement et le maintien d’une expertise à l’intérieur du ministère.

En ce qui a trait au processus proposé par le projet de loi C-69, nous traitons : 1) de l’étape préparatoire; 2) de l’étape de demandes d’informations complémentaires; 3) du processus de substitution.

Nous saluons la mise en place d’une étape préparatoire qui permettra de mettre en œuvre rapidement les échanges entre les intervenants, notamment les Premières Nations. Toutefois, nous sommes inquiets quant à la durée d’une telle phase de 180 jours où, dans le contexte canadien, l’échantillonnage et les études de base qui doivent être menées pour la réalisation d’études d’impact prennent normalement deux saisons, donc les saisons printanière et estivale. Il est donc possible que deux années d’échantillonnage soient requises, ce qui augmenterait considérablement les délais. Il faudrait s’assurer de pouvoir commencer les études de base en même temps que les étapes préparatoires, et non pas attendre à la fin.

La durée du processus, selon ce qu’on a calculé, prendrait 510 jours sans le temps requis pour compléter l’étude d’impact, qui prend normalement environ de un à deux ans. Donc, il est important de permettre l’avancement de l’échantillonnage et de recevoir les lignes directrices ou les enjeux avant la fin de la période préparatoire pour optimiser le calendrier.

Les lignes directrices doivent être adaptées à la réalité de chaque projet et des milieux spécifiques dans lesquels ils ont lieu pour chaque projet, afin de cibler les véritables enjeux. À cet effet, nous sommes d’avis qu’une interaction entre l’équipe de projet et l’agence est requise à l’étape préparatoire afin de discuter du projet et d’aligner les étapes subséquentes adéquatement.

Quant aux demandes d’information complémentaires, dans le processus de la loi de 2012, il y a une étape d’analyse de concordance de l’étude d’impact avec les lignes directrices, qui est hors calendrier d’analyse, avant l’étape de la demande d’informations complémentaires. La ligne entre les deux étapes est très mince et, souvent, l’étape d’analyse de concordance semble être utilisée pour poser des questions, donc empiéter sur l’étape des questions et réponses ou d’informations complémentaires. Nous comprenons que cette analyse de concordance ne ferait plus partie du processus, ce qui est une bonne chose.

Nous croyons que le projet de loi C-69 devrait encadrer le nombre de séries de questions et de commentaires permis pour rendre le processus plus efficace, plus prévisible et plus transparent. Pour raccourcir la phase des questions et des commentaires, nous suggérons également que les analystes du ministère soient consultés en amont du processus afin d’échanger et de valider les protocoles d’inventaire et les méthodologies utilisées lors de la réalisation des études d’impact.

En ce qui a trait au processus de substitution, nous croyons que la duplication des processus provinciaux et fédéral n’est pas nécessaire et qu’elle occasionne une sur-consultation et une confusion des intervenants du milieu. Ainsi, afin de bien comprendre les enjeux, nous proposons que plus de clarté soit requise en ce qui a trait au processus de substitution, notamment autour des questions suivantes : quel processus sera substitué, le provincial ou le fédéral? Qu’adviendra-t-il si le ministère de l’Environnement d’une province ne veut pas substituer son processus? Serait-il possible de bien définir ce processus de substitution à l’intérieur de la loi? Quels seraient les cas acceptables et comment cela se ferait-il?

En ce qui a trait aux évaluations des impacts, nous voyons d’un bon œil la considération de l’ensemble des impacts et de toutes les composantes, incluant les impacts positifs. Nous croyons que l’analyse des projets en sera bonifiée.

Nous sommes préoccupés par la possibilité que le projet soit refusé par le ministre avant même que le processus d’étude d’impact soit lancé, selon l’article 17. Cette façon de faire vient discréditer, à notre avis, les évaluations environnementales. En effet, il y a un risque qu’une décision soit prise sur la base des perceptions et sur des bases politiques au lieu d’être prise sur la base d’analyses scientifiques de faits ou de données.

Nous soulignons que l’approche concernant les exigences en lien avec les gaz à effet de serre et les changements climatiques est floue. En conséquence, nous favorisons plus de clarté à cet égard, notamment dans des lignes directrices.

En ce qui a trait aux effets cumulatifs, dans la loi de 2012, la considération des effets cumulatifs proposait une approche très académique, avec des efforts considérables qui ont donné des résultats mitigés. L’approche est difficile à suivre et à comprendre pour le public. Nous saluons alors le fait que le projet de loi C-69 encourage l’évaluation des effets cumulatifs d’activités concrètes dans une région, l’évaluation des politiques, des plans ou des programmes fédéraux ainsi que la prise en compte de ces évaluations dans le cadre des évaluations d’impact. Toutefois, nous ne comprenons pas comment l’approche sera intégrée et prise en compte dans le processus d’étude d’impact.

Le recours potentiel à une évaluation environnementale stratégique dans certains cas de figure nous apparaît être une excellente avenue, ce qui est d’ailleurs proposé dans le projet de loi C-69.

En conclusion, nous croyons que le projet de loi C-69 propose une approche plus moderne et mieux adaptée au contexte d’aujourd’hui, particulièrement en ce qui a trait aux consultations du public et des Premières Nations, ainsi qu’aux changements climatiques, aux émissions de GES et à la durabilité des projets.

Cependant, l’application du projet de loi C-69, en l’absence de balises claires, risque de créer des délais et des incertitudes. Nous suggérons premièrement une plus grande fluidité du processus préparatoire par la transmission des lignes directrices tôt dans le processus; deuxièmement, l’encadrement du nombre de séries de questions à l’étape de la demande d’informations supplémentaires; troisièmement, la mise en place d’un processus de substitution clair et bien défini; quatrièmement, la revue de la possibilité que le ministre refuse un projet avant la réalisation du processus d’évaluation des impacts; cinquièmement, la clarification des exigences en lien avec les gaz à effet de serre et les changements climatiques; et, enfin, sixièmement, la définition de l’approche liée à la prise en compte des effets cumulatifs. Merci beaucoup.

Martin Larose, vice-président directeur, Environnement et opérations, Québec, WSP Canada Inc., WSP : Je n’ai rien à ajouter. On a participé ensemble à l’élaboration du mémoire. Je suis ici pour appuyer M. Bouchard dans ses réponses aux questions.

La présidente : Merci.

Louis-Gilles Francœur, journaliste en environnement et ex-vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec, à titre personnel : Mesdames et messieurs, merci de m’avoir reçu.

Je voudrais d’abord insister sur un élément qui, à mon avis, me semble prépondérant par rapport à tous les autres : c’est la nécessité d’adopter ce projet de loi, mais en le bonifiant dans la mesure du possible dans des délais raisonnables pour qu’il puisse entrer en vigueur.

Je partage l’opinion de plusieurs personnes qui sont passées devant moi, à savoir que le processus a été important, long, et a fait le tour de la question, mais une bonification s’impose à certains égards, à mon avis. Dans ce sens-là, je pense que le Sénat a un rôle à jouer pour faire des propositions qui mèneraient à des choses importantes.

Je ne m’attarderai pas, dans mon examen, à beaucoup de questions d’ordre plus juridique ou administratif, parce que je trouve qu’il y a eu beaucoup de débats là-dessus. Je voudrais m’attarder essentiellement à une chose, à savoir ce qui permettrait que le processus fédéral soit plus crédible, plus efficace, plus ouvert et plus souple. Ce sont, à mon avis, les quatre objectifs de base. Évidemment, je vais vous énoncer un certain nombre de conditions qui, à mon avis, rendraient ça plus impératif.

La question de la crédibilité repose beaucoup sur la question de l’indépendance des commissaires. Présentement, c’est le ministre qui les nomme et qui nomme le président de l’agence qui va organiser ensuite les commissions. Je pense, comme je l’ai toujours soutenu, même dans le cas du Québec, que le président du BAPE et le président de l’agence devraient être nommés dans le cadre d’un consensus de l’Assemblée nationale ou du Parlement, selon le niveau de gouvernement. Pourquoi?

Les mécanismes de validation ou d’évaluation environnementale vont toucher dans beaucoup de cas des projets qui émanent soit du gouvernement, par exemple un port, un projet où il faut creuser le Saint-Laurent. Il y a beaucoup de projets, ou des projets que le gouvernement a à cœur. Un gouvernement a le droit d’avoir des projets à cœur, mais il faut que l’évaluation environnementale donne l’impression — et dans les faits, il faut que ce soit réel — qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts, de partialité ou, de façon générale, un manque d’indépendance.

Il faut que les gens, quand ils participent à des audiences... Je l’ai vécu; comme journaliste, j’ai eu le privilège de couvrir la plupart des dossiers litigieux dans le domaine de l’environnement depuis 1981, soit pendant 30 ans. Je les ai vus un après l’autre. Je voyais chaque fois qu’il y avait un déficit de crédibilité. Ça donnait lieu à des procès d’intention et, éventuellement, à des problèmes, et certainement à une absence de consensus social.

Je pense qu’il y a deux possibilités. On pourrait demander au commissaire au développement durable d’avoir un bassin de personnes qui seraient nommées quand le gouvernement veut lancer une évaluation environnementale. Il pourrait évaluer les dossiers des ministères et serait en mesure non pas d’évaluer les dossiers, mais de nommer des gens à partir d’une liste qu’il aurait constituée, pour évaluer en toute indépendance les projets.

On pourrait aussi imaginer que ce soit le président de l’agence, mais celui-ci peut être issu d’une nomination politique, ou donner l’impression qu’il s’agissait d’une nomination politique. Il y a toujours ici l’apparence de droit qui est très importante. Mais si la nomination du président de l’agence donne lieu à une audition parlementaire, comme on le fait pour les juges, cette personne aurait une crédibilité et serait capable ensuite de choisir elle-même les membres des commissions. Je pense qu’il serait à la hauteur de tout ça. Il aurait une marge de manœuvre qui serait vraiment une affirmation de l’intérêt public et de l’indépendance qu’exige cette fonction. Comme il serait appelé à se prononcer sur des pipelines auxquels le gouvernement tient, sur des projets de toute nature auxquels le gouvernement peut tenir ou qu’il lance lui-même, ça résoudrait une bonne partie des problèmes de partialité apparente ou de réels conflits d’intérêts.

Voilà les deux possibilités, selon moi.

Deuxièmement, il faut être plus efficaces. Je peux vous dire que je ne comprends pas qu’après 40 ans d’évaluation environnementale au Canada et avec l’expérience des différentes provinces, le gouvernement fédéral n’ait pas retenu l’idée que les commissions doivent avoir les pouvoirs d’une commission royale d’enquête. Quand j’ai siégé comme commissaire au BAPE, j’ai été amené à obliger des acteurs qui étaient là à déposer des documents. Il pouvait s’agir du promoteur ou de ses consultants et, parfois, il s’agissait de ministères. Je peux vous dire que j’ai été obligé de rendre des décisions — environ la moitié — pour forcer la production de documents qui appartenaient au gouvernement. Mais si je n’avais pas eu les pouvoirs d’une commission d’enquête, le public et la commission n’auraient pas eu ces informations en main.

Si on veut que l’intérêt public supérieur permette de statuer sur un sujet, je pense qu’il est inévitable que la commission puisse s’assurer d’avoir tout ce qui nécessaire, mais pertinent à son mandat, sans faire d’exagérations. La règle de la pertinence peut d’ailleurs être arbitrée par les tribunaux. Si une commission d’enquête, au Québec ou à Ottawa, débordait de son mandat, on pourrait la ramener à l’ordre en tout temps, et c’est une bonne chose. Mais ce pouvoir, à mon avis, est essentiel, et pour la crédibilité et pour l’efficacité d’une commission si on veut qu’elles aillent au fond des choses.

Troisièmement, pour être efficace, il faut qu’on puisse contribuer financièrement à aider les citoyens ou les groupes à participer. Les gens sont épuisés dans les consultations. Souvent, il y en a deux; on a parlé beaucoup de la substitution. Il faut être capable de leur permettre aussi, quand ils vont faire des audiences, de s’adjoindre des experts, d’avoir un niveau de contre-expertise qui n’est pas à la portée du commun des mortels. Ça profite au projet, parce que ça sert à le bonifier et ça devient pertinent pour la commission.

Dans ce domaine-là, le modèle de la Régie d’énergie du Québec est très intéressant. Les gens font des propositions de financement, indiquent qui ils veulent comme expert, et la régie prend des décisions sur ce qu’elle estime être de nature à enrichir l’examen public et octroie les budgets.

Alors, il est important de faire ça si on veut que les projets soient bonifiés et que la participation du public ne soit pas simplement une expression de ses humeurs, afin que ce soit beaucoup plus en profondeur, beaucoup plus rigoureux.

Je pense aussi qu’il faut qu’un examen environnemental soit offert à tout le monde. S’il y avait un projet en Colombie-Britannique, je sens que j’aurais le droit comme Canadien de dire que ce cours d’eau-là m’appartient, que j’ai le droit d’aller me prononcer. Si on dit que seuls les gens de la place ont droit de parler, je m’excuse, mais ce n’est pas vrai. Au Canada, je suis copropriétaire de toutes les richesses naturelles.

Quel est ce principe qui a été malheureusement inscrit dans la loi en 1982 qui fait qu’on donne uniquement la parole aux gens de la place? Les grands groupes possèdent une expertise. Ils sont capables d’apporter — je l’ai vu en audience — une contribution majeure dans la mesure où on leur permet de questionner, et pas seulement de donner une opinion.

Au Québec, voyez-vous, le processus est divisé en deux parties. Dans la première partie de l’audience, le public devient le procureur de la commission, c’est-à-dire que le public adresse ses questions au président de la commission, qui les renvoie au promoteur, qui est obligé d’ailleurs de répondre en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête. Ils ne peuvent pas ne pas répondre à la personne qui vient de poser la question. Ils ne sont pas invités seulement à donner leur opinion. Cela favorise donc un processus d’audience publique où il y a une acquisition collective de la connaissance.

J’ai souvent vu des gens arriver en audience avec une idée du projet, mais qui, devant le questionnement et les questions qu’ils posent eux-mêmes ou que posent les autres, évoluent dans leur opinion. Ensuite, en consultant leur mémoire, on constate qu’ils ont changé d’idée à 85 p. 100, parce que le processus leur a permis d’aller chercher toutes les questions qu’ils avaient en tête et d’obtenir des réponses, avec la force de la Loi sur les commissions d’enquête. Ainsi, quand ils écrivent des mémoires, ils sont beaucoup plus « groundés », pardonnez-moi l’expression, que s’ils avaient simplement exprimé une opinion prima facie à la lecture de l’avis de projet ou de l’étude d’impact.

Alors, les grands groupes nationaux, dans une perspective semblable, ont un apport très important, parce que la plupart ont une certaine spécialité. Je pourrais vous nommer des groupes qui se spécialisent dans le domaine des toxiques, et d’autres, dans le milieu naturel, et cetera. Mais quand ils arrivent en audience en première partie, les commissions profitent de leur expertise parce qu’ils posent des questions aux promoteurs qui sont beaucoup plus pertinentes que celles que les gens de la place peuvent poser.

Parfois, les gens de la place posent de vraies questions, mais il faut avoir une capacité d’accueil et ne pas simplement demander aux gens leur opinion. Il faut leur permettre de participer au questionnement et de vider tout le bassin de questions. Ensuite, une fois qu’on a fait le tour de la question, tout le monde peut donner son opinion. C’est un facteur d’efficacité qui modifierait la règle. Il faudrait que ce soit ouvert à tout le monde.

La présidente : Monsieur Francœur, vous devez...

M. Francœur : Quelques minutes; je termine.

En ce qui a trait à la souplesse, je dirais qu’il est fondamental d’ajuster le temps d’analyse à l’ampleur du projet. Les milieux économiques disent toujours qu’on veut aller vite, c’est certain, mais un an, un an et demi, parfois deux ans pour analyser un projet, ce n’est rien à côté du fait que des gens, la société ou les écosystèmes devront vivre avec ces impacts pendant 50 ou 70 ans. C’est minime comme temps. Il faut prendre le temps de le faire.

Là où je pense que le gouvernement peut réduire les délais... Après l’audience, j’ai vu des gens et des gouvernements prendre un an, un an et demi, deux ans après la présentation du rapport. Le gouvernement devrait avoir une échéance pour donner une réponse une fois qu’on lui a mis tous les éléments dans les mains.

Je soulèverais un dernier élément. Je pense qu’il est fondamental que les commissaires ne soient plus des gens qui viennent du milieu où le projet va se situer. Les gens de l’industrie qui siègent aux commissions au Québec, c’est totalement interdit. Pourquoi? C’est comme les juges. Si un projet ne fait pas l’affaire de quelqu’un, il ira devant les tribunaux. Avez-vous déjà vu des juges spécialisés là-dedans? Pourtant, on va vivre avec la décision du juge. Le juge va entendre tous les experts.

Une commission doit être composée de généralistes capables d’intégrer toutes les dimensions devant eux, mais ils doivent éviter de donner l’impression en partant que, comme ils sont issus d’un milieu particulier, la décision n’est pas neutre, s’ils partagent les autres questions de culture et les valeurs des gens du promoteur, avec qui ils sont allés à l’université.

Il faut que, quand une commission s’assoit devant une salle, les gens soient convaincus que l’hypothèse de faire le projet et l’hypothèse de ne pas le faire sont sur un pied d’égalité. S’il y a des gens de l’industrie en avant, c’est une des causes de l’échec d’un projet.

Au Québec, le fait de travailler de cette façon a permis de faire en sorte qu’en 40 ans, le Bureau d’audiences publiques a traité 126 projets énergétiques sur 340, soit 36 p. 100, et que dans aucun de ces projets la décision n’a été contestée devant les tribunaux. Généralement, ça a donné lieu à des consensus parce que les gens se disent que les commissaires sont libres, qu’ils n’ont pas d’attaches, qu’ils tentent de dégager un consensus, et les gens se rallient. S’ils ont l’impression que les dés sont pipés, ils vont aller devant les tribunaux.

C’est le problème du système canadien, et c’est dans l’intérêt de l’industrie, des promoteurs et des projets d’avoir un processus d’évaluation aussi neutre, aussi indépendant, aussi efficace que le serait un tribunal, sans être un processus judiciaire. C’est dans l’intérêt de tout le monde et c’est ce qui calmerait le jeu. Je l’ai vécu comme journaliste pendant 30 ans, et je peux vous dire que, comme commissaire, j’arrive exactement aux mêmes conclusions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Francœur.

On va passer à la période de questions avec la sénatrice Miville-Dechêne.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’abord, je veux vous remercier d’être ici. Je veux souligner particulièrement la présence de M. Francœur, un ancien collègue journaliste, et vous dire que vous avez la même verve devant le Sénat que vous aviez comme journaliste. Il est très agréable de vous écouter, et c’est très clair.

Donc, après les fleurs, voici les questions. Ce matin, le ministre Benoit Charette est venu nous expliquer longuement et avec conviction que le système dont vous parlez, le BAPE et les évaluations québécoises, était excellent et donc qu’il fallait, et je peux le citer, « que la loi C-69 prévoie la possibilité que seule la procédure d’évaluation québécoise s’applique aux projets qui, en raison de leur nature, relèvent principalement de la compétence provinciale ». Donc, il a carrément demandé que, quand la compétence fédérale est accessoire ou moins importante, que le fédéral ne fasse pas ses propres audiences, ses propres évaluations, ce qui n’est pas le cas en ce moment.

Je veux savoir, de votre point de vue, parce que vous avez travaillé dans le système, mais parce que vous êtes aussi un fervent défenseur de l’environnement, si vous jugez que c’est la chose à faire et comment ce doit être fait. Parce que le gouvernement québécois, soit M. Charette, jugeait aussi que ce qu’on appelle la substitution n’était pas un mécanisme qui lui plaisait. Je ne me souviens plus exactement de ses mots, mais il la voyait comme une espèce de tutelle. Bref, il ne pensait pas que ça donnait suffisamment de liberté au Québec pour agir comme il l’entend.

Alors, qu’est-ce que vous pensez de cela, et est-ce que vous pensez que l’environnement en sortirait gagnant?

M. Francœur : Je n’ai pas entendu, évidemment, le discours ou la présentation de M. Charette, mais je vais vous donner mon idée là-dessus.

Le premier protocole d’entente qui a été signé entre Québec et Ottawa sur l’évaluation environnementale a eu lieu, je crois, lors de la quatrième ou de la cinquième audience, en 1982-1983, sur un premier projet de port méthanier à Gros-Cacouna. Et juste avant, il y avait eu la signature d’une entente fédérale-provinciale qui prévoyait ceci. J’ai trouvé que c’était probablement la ligne de départage la plus intelligente jamais conçue, et j’ignore pourquoi ça n’a pas été répété par la suite.

On disait dans cette entente qu’il y avait deux procédures, celle qui s’appliquerait et celle qui relevait du décideur ayant la plus importante décision à prendre dans le dossier. Donc, en somme, si le projet était de nature fédérale ou de nature provinciale, ça tranchait la question, et à ce moment-là, un commissaire québécois siégerait à la commission fédérale ou un commissaire fédéral siégerait à la commission québécoise.

Ça a été encore utilisé il y a quelques années, par exemple quand il y a eu le projet d’un barrage hydroélectrique dans la réserve faunique des Laurentides au lac Picoba. Il y avait un projet là. Eh bien, il y avait un commissaire fédéral qui siégeait à une commission du BAPE. Ça n’a pas posé de problème; il a eu un rapport unique et les deux gouvernements ont pris des décisions. Mais c’était d’abord un projet d’Hydro-Québec. C’était clairement un projet provincial. Mais il y avait des incidences qui touchaient les compétences fédérales, alors ils ont adjoint un commissaire fédéral parce que ça touchait la navigation, les oiseaux migrateurs, et cetera. Cependant, c’était plutôt accessoire par rapport au projet principal, le barrage, et cetera. Alors cette ligne-là me semble tout à fait fonctionnelle et respectueuse des obligations.

Dans ce domaine-là, je pense que ce qui est important, c’est la qualité de l’harmonisation entre les deux procédures pour qu’il n’y ait pas de difficulté ou d’embûche en cours de route.

Par exemple, si on fait face à un projet, prenons un oléoduc ou un gazoduc transfrontalier qui passe par deux ou trois provinces. La procédure québécoise indique que — et c’est la loi, ce n’est pas un règlement, donc on ne peut pas jouer avec ça — il faut prévoir quatre mois pour évaluer un dossier. Mais comment fait-on en quatre mois pour évaluer un dossier, alors que deux ou trois autres provinces sont en cause, que les délais peuvent s’étirer bien en dehors des quatre mois? Est-ce qu’il faut attendre que toutes les autres aient fini pour que l’audience québécoise ait lieu? Est-ce qu’ils vont se prononcer? Ça devient un cauchemar administratif. Je ne voudrais vraiment pas être commissaire dans le cadre d’une commission comme celle-là. Ça serait vraiment compliqué.

Donc, je pense qu’un groupe fédéral avec quelqu’un de Québec serait pas mal plus pertinent. Dans le cas d’un agrandissement portuaire, je pense que le Québec pourrait exercer sa compétence à peu près pleine et entière. Il est propriétaire de la ressource en eau et la navigabilité relève d’Ottawa, mais la ressource comme telle, c’est le Québec. C’est de l’industrie, c’est du commerce, c’est dans son champ de compétences. On pourrait très bien imaginer une audience provinciale.

Mais encore là, il y aurait une amélioration.

Prenons par exemple un projet de port à Contrecœur. C’est un projet qui existe; je ne sais pas où il en est rendu.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ça s’en vient.

La présidente : S’il vous plaît, il faut accélérer la réponse.

M. Francœur : Mais, voyez-vous, il y a quatre projets d’agrandissement de ports; Montréal, Québec, Saguenay, et peut-être un autre plus haut. Bon. Est-ce que les quatre sont nécessaires? Il faudrait une évaluation environnementale stratégique pour savoir quels sont les besoins de la navigation. Comme commissaire, je ne voudrais pas être appelé à travailler, même avec le gouvernement fédéral, si je siégeais à la commission du BAPE, sur un projet comme ça sachant qu’on me met des ornières qui font en sorte que je n’ai pas de vue d’ensemble, et que je ne peux pas apprécier la justification du projet.

Est-ce nécessaire? C’est la première question à laquelle une audience doit répondre. Si le projet n’est pas nécessaire, on ne le fera pas. S’il est nécessaire, on le fait, puis on essaie de le bonifier. Mais si on n’est pas capable d’examiner la justification parce qu’on n’est pas capable de voir l’ensemble du projet. Dans beaucoup de dossiers, le gouvernement fédéral... et dans le projet de loi fédéral, je n’ai pas vu un chapitre très clair sur la nécessité des évaluations environnementales stratégiques préalables à l’examen d’un certain nombre de projets.

De combien d’oléoducs a-t-on besoin au Canada pour favoriser le développement de l’Ouest dans la mesure du possible?

La présidente : Merci beaucoup.

On va passer à la question suivante avec le sénateur Carignan.

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Francœur.

J’ai aimé l’analogie que vous avez faite au niveau de la Régie de l’énergie, par exemple, quant aux fonds qui sont octroyés lorsque l’intervention est pertinente et a une plus-value. Je pense que ça joue sur la question de l’offre des fonds disponibles pour faire le travail, mais je pense qu’il y a également la notion d’intérêt.

Alors, j’aimerais vous entendre préciser votre pensée sur la question de l’intérêt, parce que, oui, je peux bien avoir un avis sur l’utilisation d’une rivière en Colombie-Britannique comme Québécois, mais je n’ai pas le même intérêt direct que la personne qui vit sur la rive et qui va être touchée par la crue des eaux occasionnée par le barrage, par exemple. Donc, il me semble qu’il doit y avoir un établissement des priorités par rapport à cet intérêt-là en fonction de chacun et de l’impact sur la personne.

Pouvez-vous nous transmettre votre pensée, à savoir comment ça fonctionne dans le BAPE au Québec, et qu’est-ce que vous voyez pour solutionner cette problématique-là? Parce qu’on a des groupes autochtones, je me souviens dans l’Ouest aussi, qui nous ont dit de faire attention, parce qu’en donnant la parole à tout le monde, on noie leur voix, qui est importante. Donc, si vous élargissez trop, vous diminuez l’importance de leur voix, alors qu’ils ont une protection constitutionnelle à ce chapitre.

M. Francœur : Je comprends la pertinence de cette question. Elle est, à mon avis, très importante.

C’est, à mon avis, à des commissaires indépendants d’évaluer cette plus-value. C’est à la commission de dire que ça va profiter à la compréhension du dossier si ce groupe ou ce citoyen fait une proposition.

Je vous donne un exemple. Vous avez, par exemple, un oléoduc qui doit traverser une importante rivière dans l’Ouest. Je connais un ingénieur qui a dirigé les travaux du gazoduc qui traverse le Saint-Laurent. Il me montrait dans le devis d’oléoduc sur une importante rivière à quel point on était en deçà des standards internationaux. Il me disait que si on faisait une audience là-dessus, à titre d’ingénieur de réputation et de niveau international et de certificateur de projet international, il irait dire à la commission que, selon les normes internationales, ce n’est pas correct.

Mais si vous avez un Québécois qui est capable d’éclairer une commission sur un projet dans l’Ouest, il ne faut pas qu’il y ait des critères administratifs qui l’excluent. Lui, s’il veut faire une étude et la proposer à la commission, et indiquer qu’il voudrait avoir un minimum de fonds pour vous faire une contre-expertise et la lui soumettre, si la commission juge à propos de le faire et de le financer, c’est elle qui sait si ça ajoute au dossier ou pas.

Si vous avez des commissaires vraiment indépendants, le public et, je pense, l’intéressé, va accepter la décision. Si c’est un projet d’oléoduc et qu’il y a trois personnes sur cinq qui viennent de l’industrie pétrolière, il va dire : « Je pense qu’on m’a coupé les jambes. » D’où l’importance de ce que je disais tantôt sur l’indépendance de la commission. Si c’est une vraie commission indépendante qui tranche en fonction de l’intérêt public, je pense que les participants et le public peuvent vivre avec la décision.

Le sénateur Carignan : Donc, je comprends que clairement, dans le projet de loi C-69, vous n’êtes pas confortable avec le statut actuel de l’agence par rapport à son indépendance, autant institutionnelle, donc qui la crée, que par rapport à la perception d’indépendance qu’elle va donner également.

M. Francœur : Oui, vous avez raison. C’est mon jugement. Je pense que c’est possible de l’améliorer. Je ne dis pas que ce n’est pas crédible dans le moment. Je ne dis pas que les commissions qui ont eu lieu souffraient d’un manque de crédibilité. Mais dans certains dossiers, oui, il y avait des problèmes. Je les ai vécus comme journaliste. Juste à voir la réaction des gens, c’est clair. Quand il y a des réactions négatives par rapport à ce qui se passe, la première personne qu’ils vont trouver, c’est le journaliste qui couvre le dossier. Alors, je les avais un après l’autre. C’est sûr qu’ils étaient faciles à identifier.

Le sénateur Carignan : Et il fallait protéger leurs sources.

M. Francœur : Exactement.

Le sénateur Pratte : J’aurais deux questions à poser à M. Bouchard, et peut-être à M. Larose aussi.

D’abord, vous avez souligné que l’existence d’une seule agence qui était responsable des évaluations d’impact était, à votre avis, une bonne chose. J’aimerais que vous nous en disiez davantage là-dessus, parce qu’on a entendu plusieurs autres intervenants nous dire qu’ils étaient inquiets de voir que, maintenant, il y aurait cette agence-là qui n’avait pas nécessairement, par exemple pour les projets de pipeline, et cetera, la même expertise que la Régie de l’énergie.

Ma deuxième question porterait aussi sur la question de la substitution. Monsieur Francœur, peut-être que vous auriez quelque chose à dire là-dessus. Monsieur Bouchard, vous avez dit que vous aimeriez que le processus soit plus clair en matière de substitution, et j’aimerais vous entendre là-dessus, parce que quand je lis le projet de loi, il me semble qu’il est assez clair dans quel cas et à quelle condition il pourrait y avoir substitution, mais visiblement, ce ne l’est pas assez pour vous.

M. Larose : Pour ce qui est de l’avantage d’avoir une seule agence, selon notre opinion et notre expérience avec les études d’impact, quand il y a un seul « porteur de ballon », c’est beaucoup plus fluide. Quand on ajoute différentes agentes ou différentes autorités compétentes, il n’y a pas nécessairement de hiérarchie entre les différentes autorités, ce qui entrave la fluidité. C’est plus long et le dossier stagne.

Vous avez touché le manque d’expertise dans certains cas. Le but de l’agence, si je donne l’exemple comparable au ministère de l’Environnement québécois, n’est pas d’être un expert dans tous les dossiers, mais bien de piloter un dossier d’étude d’impact et de se fier à des experts dans différents ministères fédéraux ou provinciaux pour obtenir leur avis afin d’éclairer son jugement. Le rôle de l’autorité compétente est un rôle de coordonnateur, un rôle de chargé de projet, si on veut, pour faire avancer le dossier. C’est dans ce sens-là que nous trouvons qu’il y a un gain à avoir une seule autorité.

Le sénateur Pratte : Sur la question de conférer plus de clarté au sujet du mécanisme de substitution?

M. Larose : C’est qu’on l’a vécu par le passé. Il y a toujours eu dans la loi une phrase ou des sections de la loi qui indiquent qu’on souhaite avoir un seul processus, une coordination, une substitution.

Au Québec, depuis la LCEE 2012, il n’y a pas eu de substitution. Donc, si on ne clarifie pas dans la loi comment on veut l’appliquer, on risque de vivre la même chose. La nouvelle loi, que je trouve bonne, couvre plus large que l’évaluation des impacts et se rapproche de l’approche provinciale. Ainsi, les deux vont être encore plus similaires et on va avoir deux processus.

Je trouve qu’on partage le même avis que M. Francœur sur la substitution, c’est-à-dire que si les enjeux sont principalement provinciaux, à notre avis, le leader devrait être le provincial avec l’ajout d’experts fédéraux, et vice versa. C’est la meilleure façon pour nous d’avoir un processus de substitution qui respecte les deux juridictions.

La présidente : Monsieur Francœur, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Francœur : J’ajouterais juste un mot. Il est important, à mon avis, qu’il y ait une seule agence, et surtout les mêmes règles pour tout le monde, parce que ça augmente la prévisibilité pour les promoteurs, ils savent à quoi s’attendre d’une année à l’autre, ils voient se dérouler différentes audiences, et les consultants connaissent à ce moment-là dès lors le cadre de travail. Ça devient comme un jeu d’échecs auquel ils jouent depuis des années. Donc, tout le monde y gagne, y compris le public.

Dans le projet de loi, on dit que le gouvernement peut faire tous les règlements qu’il veut pour appliquer la loi, mais il devrait y avoir une exception; le projet de loi devrait obliger le gouvernement à publier un règlement sur le déroulement des audiences pour que la prévisibilité soit totale.

C’est ce qu’on a au Québec, et ça a clarifié le jeu. Les gens le regardent avant d’entrer dans le processus, et c’est clair pour tout le monde. Des compagnies comme WSP savent exactement à quoi s’attendre, le public sait à quoi s’attendre et la commission sait ce qu’elle doit faire.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous d’être venus.

Je vais peut-être commencer avec une question pour M. Bouchard. Vous êtes responsable, je pense, de tous les projets de questions environnementales au Canada.

M. Bouchard : Oui, et même à travers le monde.

Le sénateur Massicotte : Étant donné votre expérience, on est au courant qu’au Canada ils ont fait une entente de substitution avec la Colombie-Britannique. Je pense que les gens de la Colombie-Britannique sont très exigeants au point de vue de l’environnement, et sont très particuliers, comme vous, les Québécois. Dans ce cas-ci, ils sont arrivés à une entente de substitution. Les fonctionnaires et le sous-ministre de l’Environnement ont confirmé que ça marchait très bien. Évidemment, c’est « un projet, une évaluation ».

Alors, si la Colombie-Britannique est capable d’arriver à une entente avec le fédéral, pourquoi n’est-il pas possible au Québec d’arriver à la même chose, au même résultat?

M. Bouchard : Écoutez, je pense que le Québec a développé une expertise. Sans vouloir tomber dans les questions de politique, je pense que le Québec a développé une expertise au fil des ans dont il peut être fier. Il a développé des choses en termes de processus d’évaluation environnementale, d’audiences publiques, et cetera, et une expertise qui peut être mise en valeur et mise à profit dans le futur.

Même dans le contexte du projet de loi C-69, je pense que des projets de substitution ou des ententes de substitution futures pourraient arriver au Québec, pourvu qu’on profite de cette expertise-là qui existe déjà.

Puis, je suis d’accord avec M. Francœur et Martin Larose, tantôt, qui faisait référence à l’idée que, quand il y a un projet à prédominance provinciale ou interprovinciale et qu’il y a des enjeux secondaires de nature fédérale, un commissaire puisse s’y adjoindre. Je pense que c’est une bonne solution et une bonne façon d’appliquer le processus de substitution afin de ne pas dédoubler le processus fédéral à ce moment-là, et vice versa pour des projets qui pourraient être aéroportuaires, portuaires ou ferroviaires.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Monsieur Francœur, si je peux me permettre, il y a une étude qui a été faite par trois spécialistes en environnement, je crois, qui ont fait une étude sur la durée de projets d’étude à travers le Canada, dans différentes provinces. Et la Colombie-Britannique, ainsi que le Québec, d’après cette étude-là, avaient des durées de projets beaucoup moins longues que plusieurs autres provinces, ainsi que le fédéral. Je pense surtout à des projets qui dépassent un milliard de dollars, assez crédibles depuis 30 ans.

Alors, vous connaissez très bien le Québec. Vous connaissez aussi la procédure du fédéral. Quelle est l’explication? Pourquoi cela allait-il plus vite au Québec que, disons, au Canada? Les auteurs avaient spéculé un peu; ils croyaient que c’était parce qu’au Québec, c’était moins judiciaire, les présentations étaient moins formelles et qu’il s’agissait plutôt d’une orientation, du partage d’informations et de consensus. Mais en même temps, quand vous décrivez le processus au Québec avec le pouvoir d’interrogation, je ne sais pas si c’est vraiment moins formel et moins judiciaire qu’au Canada.

Vos commentaires, s’il vous plaît?

M. Francœur : Le processus québécois n’est absolument pas décisionnel ni quasi judiciaire. C’est ce qui permet aux gens de venir en audience tout simplement poser des questions à la commission. Ils n’ont pas besoin de se faire accompagner par un avocat parce que la règle audi alteram partem, les principes de droit ne s’appliqueront pas. On va questionner la personne. On va écouter ses questions, on va les transmettre au promoteur, on va exiger des réponses. Et comme la commission a les pouvoirs d’une commission d’enquête, c’est seulement dans le cas où elle excéderait sa compétence et son mandat qu’on peut en appeler de ses décisions devant les tribunaux.

Mais le processus comme tel n’est pas décisionnel. Au Québec, on dit que c’est une décision stratégique qui a été prise en 1979-1980, quand le BAPE a été créé, où on avait le choix entre un rôle décisionnel ou consultatif. Alors, le choix était de dire qu’on ferait en sorte d’ouvrir au maximum, que ça ne serait pas décisionnel, que ça ne serait pas quasi judiciaire, mais que le gouvernement aurait toute la liberté d’accepter ou de rejeter les recommandations de la commission.

C’est le principe démocratique. Si le gouvernement décide d’une mauvaise chose, il en paiera le prix politiquement. Alors, il ne se cache pas derrière un organisme décisionnel pour dire que ce n’est pas lui qui a augmenté la taxe ou les tarifs d’Hydro-Québec, c’est eux autres. Là, c’est lui qui prend la décision et qui en répond devant la population.

Deuxièmement, il y a une autre raison qui joue, plus administrative. C’est le fait que — et il y a quelqu’un ce matin qui a déploré que ça existe, mais c’est vraiment au contraire un avantage —, quand l’étude d’impact arrive sur la table et est offerte au public, le gouvernement se prononce sur sa recevabilité. Le gouvernement a émis des directives. Il a dit au promoteur ce qu’il doit étudier, lui a transmis la liste, il y en a plusieurs pages. Il ne se contente pas de dire qu’il va recevoir l’étude d’impact. Non. Quand il reçoit l’étude d’impact, il va poser des questions jusqu’à ce qu’il obtienne des réponses à toutes ses questions. Ce ne sont peut-être pas les réponses qu’il veut, mais il a des réponses valables à ses questions.

Deuxièmement, quand on arrive à cette étape-là, tous les ministères ont été consultés et ont été appelés à indiquer s’ils avaient des questions supplémentaires à poser, de sorte que, quand le ministère de l’Environnement détermine que l’étude est jugée recevable, et qu’il indique au BAPE de la rendre publique et de commencer le processus de consultation, je dirais que le dossier est assez étoffé.

Vous avez les pouvoirs d’une commission d’enquête pour aller chercher au besoin des réponses supplémentaires.

Le sénateur Massicotte : Puis-je poser une autre petite question? Merci.

Ce matin, le PDG d’Enbridge est venu nous parler. Il avait deux commentaires, deux exigences qu’il maintenait comme position. Le premier, c’est que la régie ou l’association, l’organisme qui fait la révision, devrait être totalement technique; la décision devrait être totalement une question de science, une question de gens indépendants et non pas une décision gouvernementale ou politique. Parce que ça ajoute un élément qui est plus risqué, supposément.

Et le deuxième argument qu’il faisait, c’est que, à la suite de l’énoncé du projet, la régie va énumérer toutes les conditions qui doivent être satisfaites. La position qu’il cherche, c’est que, si les conditions sont satisfaites du côté juridique, il y a l’obligation d’une réponse positive. Quels sont vos commentaires sur ces deux pratiques qu’il cherchait?

M. Francœur : Dans le cas où vous avez une régie, si elle met des conditions, je trouve assez légitime que, comme c’est un organisme décisionnel, ça soit uniquement pour des motifs extraordinaires que la décision soit infirmée.

Si au contraire ce n’est pas une régie, si c’est un organisme consultatif comme le BAPE ou une commission qui émet des recommandations, en fin de compte, le gouvernement est libre de les prendre et de les modifier. Il est purement consultatif, l’organisme qui fait l’évaluation.

C’est le cas du BAPE au Québec. Le gouvernement rejette parfois les recommandations, parfois il les suit, parfois il va les retenir et en modifier certaines. Il y a un jeu ouvert, mais il en répond devant la population.

Alors, c’est un choix. Ou bien vous judiciarisez le processus, et à ce moment-là tout le monde doit se présenter quasiment avec son avocat, parce que c’est un processus comme devant un tribunal; une régie, c’est ça. La Régie de l’énergie au Québec et la future régie de l’énergie du gouvernement fédéral vont se ressembler beaucoup. C’est un processus quasi judiciaire.

Mais le commun des mortels n’est pas appelé à lui donner son opinion; allez devant la Régie de l’énergie, vous ne verrez pas du monde ordinaire. C’est vraiment les gens qui arrivent avec leurs avocats, et parfois ils en ont trois.

Alors, c’est un processus pas mal plus lourd, et ce n’est pas ce que j’appelle un processus qui est viable. C’est généralement un processus tellement technique qu’il va valoriser les aspects purement techniques. Il est très difficile de faire comprendre à ces organismes quasi judiciaires ce qu’est l’acceptabilité sociale. Ils vont dire qu’il faut que ce soit des questions scientifiques. Bien oui, mais les sciences sociales sont aussi une science. À l’université, ce n’est pas dans les toilettes qu’on enseigne les sciences sociales ou qu’on enseigne les sciences politiques.

Alors, je m’excuse, mais ça fait partie du décor aujourd’hui en 2020, et il serait temps que les organismes d’évaluation en tiennent compte un peu et soient capables d’intégrer autre chose que des sciences où ça marche avec la calculatrice.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Messieurs, vous avez tous beaucoup d’expérience et vous êtes tous très compétents dans ce domaine. Le Canada et les États-Unis ont une frontière, une zone économique et, dans une certaine mesure, une zone environnementale communes.

Les États-Unis connaissent actuellement une forte croissance économique comparativement à notre économie. En ce qui concerne les ressources naturelles, elles sont en plein essor et il semble que de notre côté, il y a un blocage.

Pouvez-vous me parler de notre approche environnementale à l’égard du développement des ressources naturelles par rapport à celle des Américains, et nous dire s’ils ont des choses à nous apprendre, et vice versa? Y a-t-il de grandes différences sur lesquelles nous devrions nous pencher?

La présidente : Votre question s’adresse-t-elle à M. Bouchard?

Le sénateur MacDonald : Elle s’adresse aux deux témoins.

[Français]

La présidente : Monsieur Francœur?

M. Francœur : Je vais vous répondre en français pour être sûr de mettre toutes les nuances que je veux.

Selon le modèle américain, par exemple dans le développement des gaz de schiste, dès qu’on a découvert la ressource, ça a été un « open bar », pour prendre un terme en anglais.

C’est sûr qu’au Québec, quand on a proposé de faire la même chose, on s’est heurté à des problèmes d’acceptabilité sociale. Est-ce qu’on a intérêt comme société à suivre le modèle américain ou le nôtre? Moi, je préfère le nôtre pour une raison. C’est que, si vous avez des exigences environnementales plus élevées, vous allez avoir beaucoup plus facilement une approche de développement durable. Pourquoi? Parce qu’intégrer les exigences environnementales a un coût, alors les projets les moins chers vont se réaliser même avec un surcoût environnemental. Les projets moins intéressants ne se développeront pas s’il y a des exigences environnementales importantes. Ils vont se développer dans 10 ans quand les prix de la ressource auront augmenté et que le promoteur sera à ce moment-là capable de se payer de vraies mesures environnementales. Quand c’est le « free for all », c’est la ligne la plus basse pour tout le monde.

La notion de développement viable — moi, je ne dis jamais « développement durable », parce que la Commission Brundtland, Mme Brundtland me l’a tellement répété dans des entrevues; elle disait : « Le développement ne doit pas durer. » En français, il y a un problème de traduction, d’ailleurs. Je l’ai souligné dans mon mémoire. Ce n’est pas le développement qui doit durer; c’est la viabilité du développement qui doit être assurée. Le terme « sustainability » est mal traduit en français.

Je vous signale d’ailleurs que la traduction officielle en français de « sustainable development », c’est « développement soutenable et viable ». Alors, il serait bon dans le projet de loi que ce soit corrigé, parce que l’idée qu’il y a des limites au développement pour qu’il soit viable n’est pas rendue dans le sens français de « durable ». Là, c’est le développement qui doit durer. C’est exactement le contraire de ce que la commission disait. Il faut qu’il y ait des limites.

Ainsi, je vous suggère de modifier ce terme dans le projet de loi. Le terme « Durabilité » devrait être remplacé par celui de « viabilité », et « durable » devrait être « viable ». L’idée des limites à ce moment-là existerait dans le concept français tout comme dans le concept anglais de « sustainability ».

Ça répond à votre question. C’est que les exigences environnementales impliquent un surcoût, ce qui force le décalage d’un certain nombre de projets. Ils vont devenir possibles quand le prix de la ressource aura augmenté, et le concept de développement viable implique justement qu’on tienne compte des intérêts des générations futures.

Ce n’est pas parce qu’il y a du gaz de schiste qu’il faut le vider en 15 ans. Peut-être que ce serait intéressant d’en laisser pour la prochaine génération. Peut-être qu’il y a des utilités à ce gaz qu’on ne connaît pas maintenant, mais qu’on verra dans 30 ans ou 40 ans et qui seront cruciales. Pourquoi nous occuperions-nous de tout développer sous prétexte d’en renvoyer les coûts indirects, les coûts cachés, à la population ou aux écosystèmes?

Moi, je pense qu’au contraire, il faut être capable d’intégrer les préoccupations sociales, économiques et écologiques dans une vraie vision globale de l’environnement. Or, cela force un étalage des projets dans le temps, et c’est très bon. Ça évite le pillage des ressources.

Ne me demandez pas ce que je pense de la politique américaine. Ça pourrait ressembler à ça.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Francœur.

Monsieur Larose, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?

M. Larose : Oui, bien sûr. Mon avis est légèrement différent. Je ne veux pas parler des processus des États-Unis, mais plutôt parler du Québec et du Canada. Notre connaissance des projets, c’est que les investisseurs sont inquiets, non pas par la rigueur environnementale et non pas par le coût environnemental; ils sont inquiets par l’incertitude. Est-ce que je vais être assujetti? Est-ce que je vais avoir un ou deux processus? Quelle va être la durée? Parce qu’un projet, c’est économique, et il y a un échéancier économique. Pour être à temps, le projet a besoin d’être mis en œuvre d’ici un certain nombre d’années. Donc, le promoteur veut connaître la durée de son processus.

Si l’incertitude est trop grande pour tous les points que j’ai mentionnés, l’investisseur va aller faire son projet ailleurs. Selon notre connaissance, parlons de projets miniers, les coûts environnementaux ne sont pas les plus importants coûts pour un projet minier. L’exploitation est très coûteuse, aller chercher les minerais, c’est très coûteux, mais la rigueur environnementale du Québec n’amène pas un coût qui fait arrêter un projet. C’est plutôt l’incertitude qui fait fuir les investisseurs.

La présidente : Merci beaucoup pour cela.

M. Francœur : Une nuance, si vous permettez, un ajout très court.

Je suis d’accord avec mon collègue. Sur la prévisibilité, c’est très important, et je le comprends, et en ce qui concerne la durée des processus, c’est bien quand ça fonctionne assez rapidement.

Cependant, je vous donne un exemple. Dans le secteur minier, on assiste de plus en plus à d’énormes projets à ciel ouvert où on laisse tout à côté. Ce n’était pas le cas autrefois. On creusait et on avait beaucoup moins de déchets. Mais les exigences environnementales, je comprends qu’on peut dire que ça va vite maintenant, parce qu’on a moins qu’un minimum. On laisse tout couvert comme ça à l’extérieur.

On ne force jamais les mines à remettre dans le sol tous les déchets qu’elles ont faits ou laissés. On ne leur demande pas de réparer le paysage. Ça devrait être une exigence environnementale. Pourquoi demande-t-on à des industriels de ne pas rejeter dans la nature des toxiques par respect pour la nature, alors que l’industrie minière a eu carte blanche là-dessus? Pourquoi ne restaure-t-on pas le paysage après leur passage?

Alors, bien entendu, si c’est ça qu’on appelle des normes environnementales, il y a des réflexions à faire à ce sujet, vous comprenez.

La présidente : Voilà qui met fin à cette partie de notre réunion, parce qu’il nous reste un groupe de témoins à entendre. Merci beaucoup.

Nous accueillons un dernier groupe. De l’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts, il y a M. Yves Comtois, membre et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke. La Planète s’invite à l’Université est représenté par M. Sami Jai Wagner Beaulieu, co-porte-parole et responsable à la recherche, et par Mme Andréane Moreau, représentante. Enfin, de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, nous accueillons M. André Bélisle, président.

Donc, vous avez chacun cinq ou six minutes pour présenter vos témoignages. On va commencer par M. Comtois.

Yves Comtois, membre et chargé de cours, Université de Sherbrooke, Association québécoise pour l’évaluation d’impacts : Bonjour, madame la présidente. Mesdames et messieurs les sénateurs, l’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts (AQEI) regroupe depuis plus de 25 ans des professionnels du domaine de l’évaluation d’impacts au Québec. Quelque 400 représentants de différents horizons en sont membres. Nous tenons à préciser que les réflexions et les opinions exprimées ici n’engagent que l’AQEI et ne représentent pas nécessairement les positions de toutes les organisations d’où proviennent nos membres.

Globalement, le projet de loi représente une nette amélioration pour ce qui est de l’évaluation d’impact comparativement à la loi actuelle. Elle permet une rigueur et une prévisibilité du processus, et l’AQEI constate un assez large consensus à ce sujet. Les commentaires et recommandations que nous présentons ici visent surtout à faciliter la mise en application du texte de loi.

L’AQEI est heureuse de constater l’élargissement de la portée des évaluations d’impacts aux dimensions sociales et économiques, et aux impacts positifs du projet. Cela permet une évaluation plus complète et assure une meilleure compréhension des enjeux par le public. La participation du public contribuera à augmenter la confiance des parties prenantes dans le processus d’évaluation des projets, ce qui est au bénéfice de tous.

L’étape préparatoire permet d’intégrer les préoccupations des parties prenantes dès le début de l’étude d’impact et précise les informations attendues dans le cadre du processus d’évaluation. Par ailleurs, le recours prévu à des seuils d’assujettissement pour déterminer les projets désignés va dans le sens de la prévisibilité du processus.

À l’alinéa 22(1)h), on aborde la notion de durabilité. L’AQEI salue cette approche; toutefois, elle croit qu’elle mérite d’être balisée et encadrée. À cet effet, un guide d’interprétation des critères de durabilité fédéraux serait utile.

L’alinéa 22(1)s) aborde l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires. Il s’agit là d’une nouvelle exigence dans le cadre des évaluations environnementales et il faudrait clarifier l’information attendue. Encore ici, il serait souhaitable qu’un guide à l’intention des promoteurs soit préparé pour préciser les attentes à ce sujet.

Les articles 31 à 35 portent sur le pouvoir de substitution du ministre. Étant donné que les objectifs de la loi sont entre autres de promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux, de promouvoir la communication et la collaboration avec les peuples autochtones, de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative, l’AQEI souscrit au processus de substitution et, en ce sens, il serait important que les gouvernements fédéral et québécois s’entendent rapidement pour mettre en place un cadre visant tous les projets assujettis à la double procédure d’autorisation. Ceci permettrait d’améliorer encore une fois la prévisibilité du processus au Québec.

En ce sens, les modifications récentes apportées à la loi québécoise sur l’environnement plaident en faveur d’une telle substitution, parce qu’il y a beaucoup de changements à la loi qui se rapprochent de la mouture du projet de loi C-69. Les préoccupations fédérales et plus particulièrement les exigences concernant la consultation des peuples autochtones et la prise en compte des connaissances autochtones pourraient être intégrées à la directive provinciale avant son émission au promoteur et la consultation publique.

Un recours systématique au processus de substitution permettrait de rassurer les parties prenantes en privilégiant un cadre familier d’analyse environnementale et s’inscrirait dans le prolongement de l’Entente de collaboration Canada-Québec en matière d’évaluations environnementales. Rappelons que la prévisibilité du processus d’évaluation applicable est essentielle pour toutes les parties prenantes, incluant les promoteurs.

Les articles 92 à 103 du projet de loi abordent les évaluations environnementales stratégiques et régionales. L’évaluation environnementale stratégique intègre les préoccupations du public et d’autres enjeux environnementaux lors de la préparation de plans, politiques ou programmes. À ce titre, elle pourrait être plus largement répandue et utilisée.

Comme prévu à l’article 103 du projet de loi, les évaluations environnementales stratégiques et régionales devraient systématiquement être rendues publiques. Les évaluations régionales devraient être réalisées lorsque des décisions gouvernementales risquent d’avoir un effet sur l’environnement canadien. Elles pourraient appuyer du moins partiellement les études d’impacts cumulatifs qui sont requises dans le cadre du projet de loi.

Par exemple, on peut mentionner l’impact qu’auront le Partenariat transpacifique ou encore l’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne sur la navigation commerciale vers les ports canadiens, tant sur la côte Ouest que sur la côte Est et sur le fleuve Saint-Laurent.

Une étude régionale pourrait évaluer les conséquences environnementales de cette augmentation de trafic, incluant les risques de collision avec les mammifères marins, les risques de collision ou d’échouement, et éventuellement la capacité d’intervention des autorités en cas de déversement selon les conditions de navigation saisonnière.

La même approche pourrait s’appliquer à l’ouverture de la navigation commerciale dans l’Arctique canadien, ce qui semble être de plus en plus probable à moyen terme.

La diffusion des informations contenues dans les études d’impact et les programmes de surveillance et de suivi environnemental est de première importance pour les différentes parties prenantes, tant dans un contexte de transparence que de partage de l’information. Pour l’AQEI, ces informations sont capitales pour l’amélioration en continu du processus et des pratiques d’évaluation environnementale. Ces informations permettent aux praticiens d’améliorer la qualité de leurs évaluations et l’efficacité des mesures d’atténuation.

Pour en faciliter la consultation, l’AQEI recommande d’ajouter aux registres de l’agence une banque de données géoréférencées pour rendre accessibles ses rapports sur une base géographique.

En conclusion, nous réitérons notre appui au projet de loi C-69, qui représente une nette amélioration par rapport à la loi actuelle. Il permet d’améliorer la crédibilité du processus et favorise le développement de consensus grâce à l’implication du public dès le début du projet, tout en proposant un échéancier clair.

L’AQEI est convaincue que ces modifications permettront, en assurant la rigueur et la transparence du processus d’évaluation, d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux des projets pour la population.

Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Comtois.

André Bélisle, président, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique : Bonjour, madame la présidente, et bonjour à tous les représentants du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Premièrement, j’aimerais souligner que je représente l’AQLPA, qui est un groupe environnemental du Québec qui existe depuis maintenant 37 ans, et aussi le GroupMobilisation, qui a mobilisé le Québec sur la question de l’urgence climatique. Présentement, je pense que je n’ai pas besoin de vous faire de dessins, il y a urgence climatique. Il y a des inondations un peu partout. Donc, les questions environnementales sont extrêmement sérieuses et on doit les traiter comme telles.

Je dois souligner ma grande déception de voir que les sénateurs conservateurs ont quitté la salle. Je ne sais pas si la question... ah, en tout cas, il y avait des messieurs du Québec qui ne sont pas là. Je me demande si c’est pertinent de partir à ce moment-ci, quand, au Québec, la situation est très grave.

Comme je le disais, nous sommes profondément concernés par l’urgence climatique actuelle, et il nous faut absolument rétablir la crédibilité, les contrôles et les règlements qu’on avait avant 2012, afin de s’assurer d’avoir des évaluations d’impact qui sont réalistes et non pas des souhaits de la part de compagnies pétrolières qui imposent leur façon de faire.

Bien sûr, vous me direz peut-être que je suis un peu carré dans mon propos, mais allez dire aux gens qui, aujourd’hui, comme chez nous en Beauce, ont vu leur maison disparaître, que les changements climatiques, ça n’a pas d’importance, et que c’est l’économie qui est importante. Je ne suis pas sûr qu’ils seront d’accord avec vous.

Les carences du système présentement sont multiples : manque de crédibilité, manque de transparence, manque de cohérence élémentaire face au contexte de la crise climatique et des impacts majeurs sur nos sociétés. On siège à la Régie de l’énergie. On passe régulièrement au Bureau d’audiences publiques du Québec, et on a eu à dénoncer il y a quelques années l’Office national de l’énergie pour son parti pris absolument scandaleux par rapport au projet Énergie Est et aux rencontres secrètes qu’il y avait entre les promoteurs et les autorités. Tout ça, c’est public. Ce n’est même pas quelque chose dont vous pouvez douter. Ça a été très bien relaté. On a obtenu la récusation des trois hauts dirigeants de l’Office national de l’énergie justement à cause de ces rencontres secrètes.

Alors là, ce qu’il faut, quant à nous, c’est revenir à ce qu’on avait avant, et le projet de loi C-69 que nous soutenons nous ramène dans un contexte où il y a plus de réalisme par rapport à l’environnement. Pour nous, c’est important.

Par contre, je partage aussi certains des propos qui ont été émis à savoir qu’il faut aussi s’assurer de ne pas faire de dédoublement avec ce qui se fait déjà, par exemple au Québec.

Tantôt, M. Francœur parlait de commissions conjointes; j’ai participé à certaines commissions conjointes, dont celle de Cacouna, et je peux vous dire qu’avoir les deux niveaux de gouvernement qui travaillent sur une base de collaboration a permis d’établir des choses rapidement et d’avoir une opinion claire et solide, et de prendre des décisions valables.

Alors, pour nous, le projet de loi C-69 pourrait faire mieux en ce sens qu’il faut ouvrir la porte à la collaboration avec le Québec, notamment. Il faut remplacer la vieille loi de M. Harper de 2012 sur l’évaluation environnementale. Il faut vraiment aller dans le sens de ce que le projet de loi C-69 propose. On voit que le projet de loi C-69 va forcer — on espère qu’il va être adopté — à évaluer et à considérer la contribution positive ou négative d’un projet de façon rigoureuse comme étant un élément capital intégré dans le processus d’évaluation environnementale.

J’aimerais vous souligner que, en 2012 justement, le gouvernement fédéral a rejeté ses responsabilités en matière d’environnement, et on en paie le prix maintenant. Vous savez combien de plans d’action ont été présentés, ou combien de plans de lutte aux changements climatiques ont été apportés. On n’en a jamais atteint un. On n’en a même jamais respecté un. Alors, ça aussi, c’est important, quand on crée des institutions réglementaires gouvernementales, qu’il y ait reddition de comptes, que ce soit transparent et public, et surtout qu’on travaille dans l’intérêt du public et non dans l’intérêt de certaines corporations.

On a souligné tantôt le manque de moyens attribués à des organismes comme le nôtre. Eh bien, chaque fois que nous devons participer à une audience publique, que ce soit au Québec ou ailleurs, il faut passer le chapeau pour être en mesure de faire le travail. Et comme on est à la Régie de l’énergie, je peux vous dire qu’on est souvent confrontés à une série d’avocats. Ils peuvent être sept, huit, dix avocats sur un dossier pour une corporation, pendant que nous comptons un avocat et deux personnes qui vont tenter de faire entendre leurs points de vue. On est perdu dans un capharnaüm juridique procédural qui fait que, en fin de compte, même si c’est dans son mandat à la Régie de l’énergie, les questions d’environnement sont toujours reléguées à l’extérieur. Ce qui importe, c’est la procédure et le système légal, dont à peu près personne ne comprend le début ni la fin.

J’ai presque fini. Ainsi, on appuie le projet de loi C-69, car il redonnerait de la crédibilité au système, mais on demande à ce qu’il soit souple et ouvert pour que la participation soit la plus grande possible, et qu’on assure une transparence et une reddition de comptes afin que la population puisse se sentir en confiance à l’égard des dossiers dits fédéraux ou canadiens.

Vous savez qu’au Québec, il y a une sensibilité, on en a parlé tantôt, comme en Colombie-Britannique, sur les questions de pipelines. Non, ce n’est pas parce que le pétrole de l’Alberta est sale, mais c’est parce qu’on est dans un état de crise climatique où on doit réduire radicalement l’utilisation des combustibles fossiles. Donc, il faut que ça se traduise par des actions claires et des prises de décisions éclairées pour le bien de tous. Je vous remercie.

La présidente : Merci.

Sami Jai Wagner Beaulieu, représentant, La Planète s’invite à l’Université : Honorables sénateurs et sénatrices, merci beaucoup d’avoir accepté d’entendre le mouvement La Planète s’invite à l’Université. Je m’appelle Sami Jai, et je suis étudiant en biologie, citoyen de Québec et représentant de La Planète s’invite à l’Université. Je suis engagé dans la lutte pour la protection de l’environnement parce que je souhaite conserver la beauté de notre monde et partager cette source de bien-être avec les générations futures afin qu’elles puissent elles aussi passer un hiver sur le bord du fleuve ou un été sous les thuyas millénaires de la côte Ouest.

Notre collectif est récent, mais il a déjà organisé de multiples actions et mobilisé des centaines et des milliers d’étudiants et d’étudiantes du Québec, ce qui démontre la sensibilité des jeunes pour la cause environnementale. Le collectif a organisé la plus grande mobilisation pour le climat à l’échelle planétaire, rassemblant plus de 150 000 personnes à Montréal, 4 000 à Québec, et des centaines d’autres dans les autres villes du Québec.

Le collectif a aidé des groupes d’étudiants du secondaire pour le futur Montréal et pour le futur Québec à organiser des manifestations et des « sit-ins » tous les vendredis depuis plusieurs semaines, qui ont rassemblé des centaines d’étudiants. Nous continuerons nos actions jusqu’à ce que des mesures concrètes et cohérentes soient mises en place. En ce moment, malgré une fin de session exigeante, le collectif et les jeunes pour le futur Québec se sont rassemblés devant l’hôtel pour démontrer leur appui au projet de loi C-69.

Depuis février dernier, le collectif a rassemblé toutes ses personnes autour de trois revendications principales. Parmi celles-ci, la deuxième relève directement de votre décision face au projet de loi C-69. Nous demandons au gouvernement d’adopter une loi climatique forçant l’atteinte des cibles recommandées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 o C.

Ainsi, le projet de loi C-69 nous paraît être le minimum à faire pour l’atteinte de ce but et pour le bien de notre planète, car il demande que l’impact climatique des projets d’exploitation ou de tout autre projet ayant un impact sur l’environnement soit considéré. Il s’agirait d’une première loi pour l’histoire canadienne qui obligerait la considération du climat dans les évaluations de projets. Cela représente une première étape fondamentale pour nous dégager des catastrophes environnementales qui planent sur nous.

Nous appuyons le projet de loi et nous vous exhortons à l’adopter.

Le projet de loi vise à encadrer les décisions et à évaluer systématiquement les différents impacts des grands projets d’exploitation sur les écosystèmes et le territoire canadien. Ce mécanisme fait actuellement défaut dans notre système juridique. Nous pensons que sa mise en place est nécessaire pour protéger le pays et les générations futures des projets économiques qui ont une vision lucrative à court terme et qui risquent de compromettre notre avenir commun.

Finalement, la première phrase du préambule de ce projet de loi nous donne espoir et rappelle que le gouvernement du Canada s’engage à favoriser la durabilité, une position qui est primordiale dans la situation de crise actuelle. Le projet de loi C-69 définit la durabilité comme étant la « capacité à protéger l’environnement, à contribuer au bien-être social et économique de la population du Canada et à maintenir sa santé, dans l’intérêt des générations actuelles et futures. » En tant qu’étudiants, nous pensons que cette vision est nécessaire pour permettre au pays d’atteindre une harmonie sociale et environnementale qui lui est défectueuse depuis déjà très longtemps, et nous n’en attendons pas moins de notre gouvernement.

Sur cette note, nous espérons que vous saurez prendre la bonne décision pour notre planète, pour notre avenir et pour les suivants. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons passer aux questions avec le sénateur Pratte.

La sénatrice Simons : Excusez-moi, madame la présidente. Je pense que Mme Moreau veut dire quelque chose.

La présidente : Excusez-moi. Allez-y.

Andréane Moreau, représentante, La Planète s’invite à l’Université : Honorables sénateurs et sénatrices, merci beaucoup d’avoir accepté d’entendre les étudiants du collectif La Planète s’invite à l’Université.

J’aimerais commencer en vous remettant une photographie qui raconte l’histoire de la manifestation du 15 mars à Montréal, afin de vous montrer l’ampleur de mouvement entamé. Cette photographie vise également à vous démontrer que nous sommes en perpétuel développement, et à vous montrer les visages de la jeunesse que nous représentons.

Je m’appelle Andréane Moreau. Je suis étudiante en architecture à l’Université Laval et représentante de La Planète s’invite à l’Université. Je suis engagée dans la lutte aux changements climatiques parce que je préfère canaliser mon éco-anxiété pour me battre plutôt que de rester spectatrice à la destruction de notre belle planète. J’ai une grande sensibilité pour l’environnement qui m’entoure, et je suis terrifiée à l’idée que nous le détruisions sans agir.

Personnellement, je n’ai pas pu voter aux dernières élections fédérales. En ce moment, les jeunes, les enfants et les générations futures ne peuvent pas non plus voter. S’ils le pouvaient, ils auraient déjà demandé des lois beaucoup plus ambitieuses pour assurer que les politiques actuelles n’hypothèquent pas leur avenir.

Aujourd’hui, nous parlons pour soutenir les Canadiens qui vivent avec les conséquences du réchauffement climatique, telles que les inondations qui sévissent actuellement au Québec. Nous parlons aussi au nom de nos prochains, car nous assistons présentement à l’érosion des sols fertiles, à la déforestation des grandes forêts, à la pollution toxique de l’air, à l’acidification des océans, à la perte de milliers d’espèces, au dérèglement du climat, et nous n’en faisons rien.

Par le passé, nous avons accompli de belles choses ensemble. Nous avons bâti des villes et des sociétés, alors j’ai espoir que nous pourrons mettre nos différences et la partisanerie de côté afin de nous unir et d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Je parle aujourd’hui au nom du collectif étudiant La Planète s’invite à l’Université et au nom des étudiants qui sont assis à l’extérieur de l’hôtel. Je suis ici parce que le projet de loi C-69 représente un pas dans la bonne direction pour la protection de l’environnement et un espoir de plus pour ma génération et pour les générations futures.

Nous, les jeunes, nous nous mobilisons parce que nous n’avons rien à perdre. Alors, nous vous demandons d’agir parce qu’en restant inactifs, nous perdrons tout. Nous nous mobilisons pour la justice climatique et pour la justice sociale, et nous vous demandons de faire de même.

Nous sommes sortis dans les rues par milliers, et nous continuerons de le faire parce que, pour plusieurs jeunes, c’est la seule voix qu’ils et elles peuvent faire entendre. C’est la voix dont vous devriez le plus tenir compte, parce que les décisions d’envergure concernant notre avenir sont entre vos mains et non entre celles des lobbys pétroliers. Ne vous laissez pas manipuler par l’industrie pétrolière qui n’a que ses intérêts à court terme à cœur, au grand détriment du bien commun.

Aujourd’hui, je vous supplie, au nom des étudiants et des étudiantes de La Planète s’invite à l’Université, de ma génération et au nom des générations futures, de considérer le projet de loi C-69, non pas en fonction d’intérêts économiques, mais simplement en fonction de l’avenir de vos enfants.

Aujourd’hui, je vous supplie d’adopter le projet de loi C-69 parce qu’il prend en compte notre santé, notre territoire et l’avenir de nos générations. Sur cette note, nous espérons que vous saurez prendre la bonne décision pour notre planète et pour notre avenir.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : Merci aux témoins d’être venus. On va regarder la photo tout de suite après le comité. C’est simplement une question de règlement et de procédure.

J’aimerais poser ma question plus directement à M. Comtois, mais les autres témoins sont certainement libres de commenter à leur tour.

Dans votre présentation, monsieur Comtois, vous endossez le principe de substitution qui existait déjà dans la loi, mais qui est réinscrit et détaillé dans le projet de loi.

Ce matin, le ministre de l’Environnement du Québec nous a fait lui-même une présentation, et il a présenté la substitution inscrite dans le projet de loi comme une sorte d’évaluation supervisée par le gouvernement fédéral. En d’autres termes, le gouvernement du Québec ne semble pas croire que la substitution puisse vraiment avoir lieu, compte tenu de la façon dont elle est prévue dans le projet de loi. Ce serait une sorte de mainmise du gouvernement fédéral sur le processus d’évaluation environnementale.

J’aimerais savoir où vous vous situez par rapport à ça. Est-ce que le projet de loi offre une possibilité réelle pour que, dans les cas où la compétence du Québec sera particulièrement en jeu, il y ait substitution?

M. Comtois : Oui. Comme disent, je crois, nos collègues anglophones : « The devil is in the details. » C’est-à-dire, c’est la façon dont ce sera appliqué qui entraînera des problèmes.

Quant à moi, si je lis textuellement ce qui est écrit dans la loi, j’ai compris que c’était la substitution du processus provincial au processus fédéral, et c’est ce que nous endossons, parce qu’au Québec, il y a 40 ans qu’on fait des études d’impact et qu’on étudie des projets. La population connaît bien le processus québécois et est familière avec ce processus-là. C’est en ce sens que nous pensons qu’il serait utile que même les projets fédéraux puissent appliquer le même processus, de façon à ce qu’il soit clair pour la population qu’on rejoint les mêmes objectifs.

J’ai participé dans le cadre d’un projet fédéral à des consultations publiques, et les gens étaient tout à fait confus. Ils se demandaient à quel moment le BAPE interviendrait dans le dossier. Je leur ai répondu qu’il n’y aurait pas de BAPE, parce que c’est un projet fédéral dans un processus fédéral. Et là, les gens étaient tout à fait perdus.

Donc, c’est pour éviter ça qu’on devrait favoriser le processus québécois. D’après ce que je comprends, les prérogatives fédérales touchent essentiellement les peuples autochtones, les poissons, les oiseaux migrateurs, les espèces en danger, et on peut rajouter le volet énergie et transport maritime. Mais il est assez peu fréquent qu’il y ait des projets où ces éléments-là deviennent principaux par rapport aux préoccupations.

Je pense que, là où le fédéral a une juridiction claire, c’est qu’il pourrait, dans la majorité des cas, inclure dans la directive que le Québec donne aux promoteurs dès le début du processus ses exigences à respecter pour qu’il puisse remplir aussi ses exigences légales et réglementaires.

Le sénateur Pratte : Monsieur Bélisle, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

M. Bélisle : Je ne répéterai pas ce que M. Comtois a dit, mais en lisant le projet de loi, ce n’est pas clair. On sent l’intention, mais je pense qu’il serait préférable que ce soit clair, qu’on reconnaisse justement que, dans un esprit de collaboration, on reconnaît l’expertise du Québec et la manière de faire, et qu’on trouve des façons de collaborer.

Il faut que ce soit bien stipulé, bien compris par le lecteur, parce qu’en lisant le texte de loi on peut se poser la question à savoir s’il s’agit d’une volonté du fédéral de prendre le contrôle ou si on a la sensibilité de dire qu’une expertise existe et que ce sera plus efficace et que ça coûtera moins cher si on collabore.

Le sénateur Pratte : Mon impression à la lecture du projet de loi, c’est que la volonté de collaboration existe, mais qu’il y a aussi une volonté de s’assurer que, dans les domaines de compétence fédérale, l’évaluation sera bien faite.

M. Comtois : Tout à fait.

Le sénateur Pratte : Toutes les provinces ne sont pas nécessairement comme le Québec. Il y en a qui ont des processus plus faibles, d’autres plus forts. Alors, il y a aussi cette préoccupation-là.

M. Comtois : Oui. J’aimerais simplement ajouter qu’il y a des intervenants qui ont parlé du processus en Colombie-Britannique. La grande différence, à ce que je sache, c’est que la loi de Colombie-Britannique est venue après les procédures fédérales et que celle-ci a donc calqué sa façon de faire sur celle du gouvernement fédéral. Ce n’est pas le cas au Québec; la procédure provinciale était déjà en place.

La sénatrice Simons : Excusez-moi, parce que mon français est un peu faible, mais je dois essayer de poser des questions en français quand je peux.

Je vous remercie tout le monde de vos présentations, que vous avez données avec beaucoup de passion, et je voudrais dire à M. Wagner Beaulieu et à Mme Moreau — c’est un peu maternel de ma part — d’être sages et braves. Ça, c’est magnifique.

Mais ma question maintenant est pour M. Comtois. Dans votre présentation vous avez parlé d’impacts cumulatifs, et le projet de loi C-69 indique qu’on peut faire des évaluations régionales et stratégiques. Est-ce que vous avez pensé que ça suffit, si on utilisait cette évaluation régionale pour compter tous les effets cumulatifs?

M. Comtois : Ce ne serait certainement pas suffisant, mais ce serait déjà une bonne base. Parce que, en fait, le problème, c’est que, en tout cas, dans le processus, dans ce qu’on voit actuellement, l’expérience qu’elle montre, c’est qu’il est très rare qu’on fasse des évaluations stratégiques. Celles-ci devraient être faites par le gouvernement fédéral sur les plans, programmes et politiques, et aussi, comme je l’ai mentionné au niveau des études régionales, lorsqu’on conclut des accords de libre-échange qui viennent modifier la donne. On devrait à tout le moins se poser la question à savoir quelles vont être les conséquences de ces changements au niveau environnemental.

Présentement, à mon avis, ça ne se fait à peu près pas. Je l’ai vécu dans le cadre d’un projet fédéral, justement, où on nous demandait d’étudier les impacts cumulatifs de quatre améliorations portuaires au Québec. Quand je travaille pour un promoteur sur un port, je n’ai aucune idée du contexte des trois autres ports. Comment voulez-vous que je fasse les études stratégiques ou cumulatives de ces ports-là? Donc, c’est le problème qu’on a actuellement.

La sénatrice Simons : Merci. Si je dois partir, ce n’est pas parce que je n’ai pas un grand désir d’être ici, mais parce que j’ai un avion à prendre, et s’il part sans moi, ce n’est pas une bonne chose.

La présidente : Est-ce que je peux profiter de la question de ma collègue? Monsieur Comtois, vous semblez dire que nous avons besoin de guides pour éclairer la question de l’élaboration stratégique, de l’évaluation régionale, et vous dites que ça devrait venir du gouvernement, mais il y a d’autres aspects où vous dites qu’il faut vraiment avoir des guides pour faire des explications. Mais je suis certaine que si on présente ces idées au gouvernement, il va nous dire qu’on ne peut pas faire ça dans la loi. On peut le faire dans la réglementation. Et moi, je me demandais si, au lieu de soumettre un amendement dans ce sens-là, ça pourrait être plutôt une observation qu’on pourrait énoncer au niveau de la nécessité d’avoir des éclaircissements, peut-être sous la forme de guides.

M. Comtois : Oui, absolument. Mon intervention ici n’était pas d’inclure ça comme un amendement à la loi, mais tout simplement de prévoir l’éclaircissement de ces points-là. Parce que, pour l’instant, on ne sait pas trop ce que ça veut dire.

La présidente : Merci. J’ai une autre question pour M. Bélisle et La Planète s’invite à l’Université. C’est sur la question de la participation et de la consultation.

Je suis certaine que vous êtes au courant que, par exemple, il y a un grand débat au sujet de la consultation des peuples autochtones, qu’on appelle « le consentement préalable, libre et éclairé » des populations autochtones. En ce qui concerne les générations futures ou les gens qui n’habitent pas à l’endroit où ont lieu les projets, il y a cette question à savoir qui devrait être invité, pourquoi ils devraient être invités et s’il devrait y avoir une priorité.

Donc, je voudrais connaître votre opinion au sujet de cette question de consultation de la population.

M. Wagner Beaulieu : Oui. Alors, c’est certain que, par rapport à toute cette évaluation environnementale, au moment de choisir qui consulter et d’établir l’ordre des priorités, il faut prendre en considération les jeunes, pas nécessairement juste les étudiants, mais les personnes qui sont plus jeunes et qui habitent à proximité d’un secteur. C’est quelque chose à mettre de l’avant.

Je pense aussi que dans la façon d’apporter ça, ça peut être plus difficile pour des jeunes ou des étudiants de participer à ces consultations-là, donc il s’agirait peut-être de trouver une façon de les inviter et de leur permettre de proposer des choses, mais aussi de suivre le déroulement de tout ça. Je pense que ça, c’est quand même assez important.

La présidente : Je veux juste dire que la loi qui est en vigueur présentement a un test, et que dans ce test, on donne priorité aux gens de la place. Ça ne permet pas d’obtenir des opinions d’ailleurs. Par contre, dans le projet de loi C-69, ce test n’est plus là, et donc on permet à tout le monde de venir. Donc, c’est dans ce sens-là. Est-ce que vous avez d’autres choses à ajouter?

M. Bélisle : Bien, nous saluons cette ouverture, parce qu’on a fait la preuve au fil des années que, dans bien des cas, il y a des dossiers où il n’y avait pas de connaissances, et je donne l’exemple de l’AQLPA. C’est l’AQLPA qui a réveillé le Québec et le Canada à la nature de la fracturation hydraulique. Dans ce cas-là, si on avait dit à l’AQLPA qu’elle n’est pas de Lotbinière, et qu’elle ne peut donc pas venir parler du projet dans Lotbinière, nous n’aurions pas accepté cette façon de faire.

Je renverse la question. On doit juger de la pertinence et de l’expérience des gens pour savoir s’ils peuvent apporter quelque chose de constructif dans l’évaluation d’un projet ou d’une stratégie. Le fait de le limiter à des gens qui sont directement affectés, c’est bête, parce que dans bien des cas, ce sont des gens, avec toute la bonne volonté qu’on puisse leur accorder, qui n’ont pas d’expérience.

M. Wagner Beaulieu : J’aimerais ajouter aussi un petit truc, justement, à ce qui vient d’être dit. Je pense que tantôt on parlait d’établir l’ordre des priorités, à qui accorder la priorité dans le cadre de ces consultations-là. Je pense qu’une chose que notre mouvement essaie de faire ressortir, c’est d’accorder la priorité aux personnes sur lesquelles la chose aura le plus d’impact.

C’est certain que les personnes de la région sont importantes, mais il y a les jeunes de toute la province sur qui ça va avoir un impact qui ne sera pas direct, mais temporel. Il faut donc en tenir compte et vraiment chercher à accorder la priorité à travers le temps et aussi en fonction de l’impact que ça va avoir sur les différentes personnes. Ce serait une façon d’inclure les jeunes dans le processus.

M. Bélisle : Le complément à ça, c’est de déterminer ce qu’on fait par rapport à des problèmes globaux. Quand on pense au réchauffement planétaire, ce ne sont pas seulement les gens d’Edmonton qui sont concernés par cette question. C’est la planète entière. Donc, on ne peut pas évacuer des gens qui ont une expertise, des organisations qui ont une expertise à ce chapitre, sous prétexte qu’ils ne sont pas de la région. Ça ne marche pas.

Donc, dans ce sens-là, on salue l’ouverture du projet de loi C-69.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Monsieur Bélisle, trois sénateurs du Québec ont quitté la salle avant votre arrivée. Deux font partie du Groupe des sénateurs indépendants; un a été nommé par un premier ministre libéral. Il y en a un qui est conservateur qui n’était pas ici pour se défendre. Non seulement ce que vous avez dit est inexact et injuste, mais cela correspond à la conduite d’un bully.

Mon père a présidé quatre différents syndicats. Je suis le cadet d’une famille de 10 enfants. Je viens d’une famille de la classe ouvrière, et je ne me laisserai pas intimider , étiqueté ou dénigré par vous ou par qui que ce soit parce qu’il se trouve que je suis un conservateur. Comme ma défunte mère le disait, les bonnes manières ne coûtent rien.

Je pose ma question à M. Comtois. Vous avez parlé de l’importance des connaissances scientifiques. Je suis d’accord avec vous. Il est très important de les appliquer. Je crois en la science. Or, vous avez également parlé de l’importance d’intégrer les connaissances autochtones.

Que faites-vous lorsque les connaissances autochtones contredisent les connaissances scientifiques? Quelle est votre solution ou votre approche?

M. Comtois : Habituellement, lorsque nous parlons des connaissances traditionnelles, c’est lié aux croyances des gens. Elles peuvent être erronées ou fausses, mais ils y croient. Donc, je pense qu’il est pertinent de les prendre en considération tout comme les connaissances scientifiques, parce que dans une étude d’impact, nous devons prouver que ces croyances ne sont pas fondées.

Il est donc important d’en tenir compte. Cela ne veut pas dire que nous devons les approuver, mais nous devons discuter de ces questions en profondeur.

Le sénateur MacDonald : Qu’en est-il des connaissances qui ne sont pas scientifiques, mais qui ne sont pas nécessairement des connaissances autochtones? Ont-elles leur place? Existe-t-il une telle chose? Acceptez-vous une telle chose, ou ne sommes-nous pas autorisés à...

M. Comtois : Cela ne veut pas dire que je les accepte. Cela veut dire que je vais en tenir compte pour convaincre les gens qu’ils ont tort d’y croire.

Nous n’avons donc pas le droit de les rejeter parce que nous croyons que ce n’est pas important. C’est important. Ce que les gens pensent a de l’importance, mais nous devons préciser dans l’étude d’impact que c’est peut-être une crainte pour ce projet, mais ce n’est pas le cas, que leurs craintes ne sont pas fondées.

Le sénateur MacDonald : D’accord. Merci.

[Français]

La présidente : Oui, monsieur Bélisle?

M. Bélisle : Je voulais répondre au sénateur MacDonald.

Premièrement, je tiens à présenter des excuses, parce que les gens n’étaient pas là. J’aurais aimé pouvoir leur dire directement, mais ils n’étaient pas là. Pour ce qui est d’être un « bully », je m’excuse encore.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Vos excuses sont acceptées.

[Français]

M. Bélisle : Merci.

Mais pour ce qui est d’être un « bully », j’aimerais juste vous faire remarquer que présentement il y a des milliers de personnes au Québec qui voient leurs maisons inondées, et j’ai beaucoup de difficulté quand un représentant politique du Québec n’est pas là pour entendre ces choses-là. Alors, peut-être que je suis un peu de mauvaise humeur, mais quand je vois mes voisins qui perdent leurs maisons, il y a de quoi être un peu frustré.

Mais je reconnais avoir été un brusque, et je m’en excuse.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Eh bien, deux représentants du Québec sont toujours ici.

La présidente : Il y en a trois.

Le sénateur MacDonald : Et je suis ici.

La sénatrice Simons : Et je viens de l’Alberta.

M. Bélisle : Je pensais surtout à M. Carignan.

Le sénateur MacDonald : C’était évident.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup. Alors, s’il n’y a pas d’autres questions, cela conclut la dernière partie de notre réunion. Merci.

(La séance est levée.)

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