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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 41 - Témoignages du 26 avril 2018


OTTAWA, le jeudi 26 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton; je suis un sénateur qui vient de Toronto, et j’occupe le poste de président de ce comité. J’invite mes collègues à se présenter.

[Français]

La sénatrice Seidman : Sénatrice Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le président : Nous poursuivons l’étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux questions liées à la sécurité en milieu de travail.

Nous accueillons aujourd’hui M. Chris Moore, gestionnaire, Services de formation et d’éducation, Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail; les représentants du Congrès du travail du Canada : le président, M. Hassan Yussuff, et la représentante nationale, Santé et sécurité, Mme Tara Peel; les représentants de l’ETCOF : M. Derrick Hynes, directeur général, et M. Christopher MacDonald, directeur, Relations gouvernementales, J.D. Irving Limited; et finalement, M. Murray Elliott, président, Energy Safety Canada.

La déclaration préliminaire du Congrès du travail du Canada sera prononcée par son président et celle de l’ETCOF le sera par son directeur général. Par ailleurs, les autres personnes présentes pourront répondre aux questions.

La séance sera d’une durée de deux heures. Je demande tout de même aux personnes qui font une déclaration préliminaire de limiter à sept minutes la durée de celle-ci, ce qui laissera plus de temps aux sénateurs pour entamer le dialogue avec les témoins par la suite. Nous allons maintenant entendre M. Chris Moore, du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Chris Moore, gestionnaire, Services de formation et d’éducation, Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail : Je vous remercie, monsieur le président. Pour ceux qui ne connaissent pas le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, je précise que cette organisation est un établissement public aux termes de l’annexe II de la Loi sur la gestion des finances publiques et qu’à ce titre, nous faisons partie du gouvernement fédéral. Nous sommes la ressource nationale d’information et de formation en matière de santé et de sécurité au travail. Ces deux dernières années, le cannabis et ses répercussions sur les milieux de travail a été l’un de nos plus grands champs d’intérêt.

Notre position à ce sujet — je crois qu’on peut appeler ça une position — place la question sur le même pied que les autres dangers en milieu de travail, un autre risque potentiel sur les lieux de travail. À bien des égards, c’est un risque comme beaucoup d’autres. On a tendance à considérer les capacités affaiblies comme si elles étaient le problème, au lieu de regarder du côté de la substance à l’origine du problème. Ce qui compte dans les milieux de travail, face à un affaiblissement des facultés dû à l’usage du cannabis, d’autres drogues, de l’alcool, de sirops contre la toux en vente libre ou de tout ce qui empêche d’effectuer une tâche de manière sécuritaire et l’esprit libre, c’est que la personne soit en mesure de travailler.

Ce que nous recommandons aux entreprises et aux organisations, c’est de mettre en place une politique et un programme solides sur l’usage de toute substance pouvant affaiblir les facultés. On entend par là l’établissement de règles du jeu concernant la présence de cannabis ou d’autres substances dans les locaux de l’organisation, des attentes de l’employeur, c’est-à-dire que l’employé n’est pas censé se présenter au travail avec les facultés affaiblies, et des conséquences en cas d’entorse à ces règles.

Il faut donc des politiques et une procédure très bien exposées, et ensuite une éducation de tous les employeurs, des superviseurs et des salariés eux-mêmes sur la nature de ces politiques et programmes et sur la prise en compte de l’affaiblissement des facultés.

L’affaiblissement des facultés dû au cannabis, comme je l’ai dit, représente un autre risque en milieu de travail. Toutes les lois en matière de santé et de sécurité sont basées sur le fait que l’employeur assure un milieu de travail sain et sécuritaire. Dans un certain sens, nous ne voyons pas la légalisation du cannabis comme un phénomène nouveau sur les lieux de travail. Pour l’anecdote, si l’on se fie aux discussions que nous avons eues avec divers groupes industriels, l’usage du cannabis est déjà une réalité et, comme je l’ai dit, nous avons tendance à parler de facultés affaiblies par rapport à la capacité de la personne à effectuer son travail de manière sécuritaire. Il faut ainsi déterminer les postes où la sécurité est un enjeu et où les facultés affaiblies peuvent poser des problèmes pour le salarié, le lieu de travail, l’équipement sur les lieux de travail, les collègues de travail et le public.

Dans une certaine mesure, le fait d’avoir la légalisation du cannabis en ligne de mire sensibilise simplement les employeurs, et bien que ces derniers croient que le phénomène soit nouveau, en fait, les facultés affaiblies, c’est les facultés affaiblies, et c’est un problème qui a toujours existé dans les milieux de travail et qui continue d’exister. La légalisation du cannabis met plutôt le problème en lumière et en fait un enjeu qui doit préoccuper les employeurs là où ils ne portaient pas attention auparavant. J’ai terminé mes observations.

Le président : Merci beaucoup. Vous avez largement respecté la période de sept minutes. Nous écouterons maintenant Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada.

Hassan Yussuff, président, Congrès du travail du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de l’occasion offerte de vous faire part de notre point de vue sur le projet de loi C-45.

Le Congrès du travail du Canada réunit les syndicats nationaux et internationaux du Canada ainsi que les fédérations provinciales et territoriales du travail et plus de 100 conseils du travail régionaux. Ses membres travaillent dans presque tous les secteurs de l’économie canadienne, exerçant toutes les professions dans toutes les régions du Canada.

Quand il est question de sécurité au travail, personne n’a plus à perdre que les travailleurs. Partout au pays, nos membres sont ceux qui risquent le plus de mourir ou d’être blessés à la suite d’accidents du travail. Les syndicats favorisent des mesures proactives qui permettent d’éviter des accidents, de sauver des vies et de diminuer les blessures.

Depuis que le gouvernement du Canada a fait connaître son intention de légaliser l’usage du cannabis récréatif, les employeurs soulèvent la question des facultés affaiblies au travail et exigent de nouveaux moyens de faire face à ce problème, notamment en obligeant les travailleurs à subir un test antidrogue sur demande.

Nous ne croyons pas que de nouveaux contrôles aléatoires du taux d’alcool et de THC soient une réponse inévitable à ce projet de loi. L’approche canadienne actuelle en matière de dépistage des substances pouvant affaiblir les facultés trouve le juste milieu entre les mesures raisonnables et justifiables de protection et celles qui empiètent inutilement sur la dignité et la vie privée des travailleurs.

Malgré les craintes attisées par les employeurs, le projet de loi n’apporte aucun changement fondamental au cadre légal de dépistage d’alcool et de drogue sur les lieux de travail au Canada. Le fait d’avoir les facultés affaiblies sur son lieu de travail constitue depuis longtemps un motif à des mesures disciplinaires, et les boissons alcoolisées et les stupéfiants sont depuis longtemps interdits sur les lieux de travail.

Les employeurs ont une gamme d’outils, et notamment des tests utilisés dans des circonstances précises, qui leur permet de traiter les cas d’affaiblissement des facultés sur les lieux de travail.

L’approche adoptée au Canada en ce qui concerne les facultés affaiblies et les tests est différente de celle des États-Unis, mais les employeurs canadiens ont les outils nécessaires pour s’attaquer à de justes préoccupations de sécurité. Aux États-Unis, les tests visent entre autres à s’attaquer à l’usage de stupéfiants dans l’ensemble de la population et à réduire les problèmes de rendement non reliés à la sécurité en favorisant la sanction.

Le Canada a élaboré une approche plus nuancée. Les arbitres et les tribunaux canadiens cherchent généralement à trouver un juste milieu entre les droits légitimes à la vie privée et à la dignité des travailleurs, d’une part, et l’obligation légale de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs, d’autre part.

Dans sa décision historique dans la décision de 2013 Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving, Limitée, la Cour suprême du Canada fait une déclaration importante sur l’état de la jurisprudence canadienne en matière de dépistage de drogue. En effet, elle fait remarquer que l’imposition unilatérale de tests aléatoires, même dans un milieu de travail où la sécurité est un enjeu, est rejetée massivement par les arbitres pour motif d’atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés.

Le tribunal déclare plus loin que, bien que la dangerosité d’un lieu de travail soit une considération pertinente, les tribunaux n’ont jamais jugé que ce motif justifie automatiquement l’imposition d’un régime de tests aléatoires. Au lieu de cela, les tribunaux ont jugé que les tests visant les employés qui occupent un poste ou qui travaillent dans une industrie où la sécurité est un enjeu sont justifiés dans trois situations précises : s’il y a un motif raisonnable de croire que l’employé a eu les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions; que l’employé a été impliqué dans un accident ou un incident de travail où la cause ne peut être attribuée à une erreur mécanique ou non humaine et où l’incident ou l’accident aurait pu entraîner d’importantes blessures; que l’employé reprend du service après avoir suivi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie.

Un employeur qui voudrait imposer les tests aléatoires devra fournir la preuve qu’il existe un problème de consommation d’alcool ou de drogue dans le milieu de travail où la sécurité est un enjeu.

Les travailleurs n’abandonnent pas leurs droits à la vie privée et à la dignité à la sortie de leur lieu de travail. De plus, le contrôle et la surveillance des activités légales d’une personne en dehors de son lieu de travail sont un empiétement sur la vie privée et placent les travailleurs dans une situation où ils prêtent le flanc à la discrimination.

Cela ne veut pas dire que les travailleurs peuvent et devraient se présenter au travail avec les facultés affaiblies. Cela veut dire que nous avons les outils nécessaires, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans sa décision, ainsi que des moyens plus usuels, telle une supervision adéquate, pour faire face au problème.

Nous croyons qu’il serait bon que la population et les travailleurs soient mieux informés des rôles et responsabilités des travailleurs et des employeurs en ce qui concerne la sécurité en milieu de travail, avant que cette loi n’entre en vigueur.

Ce projet de loi ne devrait pas servir d’excuse pour remettre en cause le fragile équilibre qui donne aux travailleurs et aux employeurs les outils dont ils ont besoin pour assurer la sécurité des lieux de travail tout en protégeant la vie privée et la dignité des travailleurs.

Le mouvement syndical, bien sûr, prend très au sérieux les questions de santé et de sécurité en milieu de travail. Nous allons travailler avec les gouvernements et les employeurs afin qu’il n’y ait aucune confusion quant au fait que la légalisation du cannabis ne change rien aux règles en matière d’usage de toute substance pouvant affaiblir les facultés sur les lieux de travail.

Je vous remercie infiniment, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Derrick Hynes, directeur général, ETCOF : Au nom de mon collègue, M. MacDonald, permettez-moi de remercier d’abord le comité de l’occasion offerte de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-45. Nous sommes les représentants de l’ETCOF, soit les Employeurs des transports et communications de régie fédérale; vous comprenez maintenant pourquoi nous disons simplement l’ETCOF.

L’association existe depuis plus de 30 ans. Ses membres emploient plus de 500 000 travailleurs, soit près des deux tiers de tous les travailleurs des entreprises fédérales. Les membres de l’ETCOF sont des organisations très connues. La liste des membres a été annexée au matériel que je vous ai remis aujourd’hui.

Il faut cependant que je vous dresse un portrait des activités des membres afin que vous compreniez bien les questions de sécurité dont nous allons traiter aujourd’hui. Les membres de l’ETCOF offrent les emplois suivants : contrôleur du trafic aérien, grutier, opérateur de machinerie lourde, pilote, chef de train, mécanicien de train et camionneur, pour n’en nommer que quelques-uns. Bien que nous soyons ici aujourd’hui en qualité de porte-parole de l’ETCOF, il faut savoir que depuis deux ans, l’association collabore dans le dossier de la légalisation de la marijuana avec un large éventail d’employeurs et d’associations patronales de régie fédérale ou provinciale. Nous sommes tous des membres actifs du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis.

Vous vous demandez sans doute quel est le lien qui unit toutes ces organisations. Elles se consacrent toutes à des activités où la sécurité est un enjeu, où la sécurité du lieu de travail et la sécurité publique passent avant tout. Nous avons remis deux documents pour aider aux délibérations de votre comité. Nous serons heureux de les citer à la période de questions. Le message clé que nous voulons transmettre est le suivant : dans le projet de loi C-45, le gouvernement du Canada oublie de parler de l’impact du cannabis récréatif sur le milieu du travail. C’est une grave omission qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour les travailleurs, les employeurs et la population en général. Il y a déjà un manque de sécurité au Canada en lien avec la présence de boissons alcoolisées et de stupéfiants sur les lieux de travail. La légalisation du cannabis ne va que compliquer la situation.

Les États américains où le cannabis est déjà légalisé, par exemple au Colorado, laissent voir des tendances surprenantes. Il en est question dans le document que nous vous avons remis. Selon les données recueillies, la consommation va s’accroître de manière substantielle lorsqu’il y aura légalisation. Ce fait préoccupe les employeurs parce qu’ils savent qu’ils vont assister à la même croissance de l’usage du cannabis dans les milieux de travail où la sécurité est un enjeu.

Les employeurs ne portent pas de jugement sur la légalisation du cannabis. Nos préoccupations se situent uniquement au niveau de la sécurité. Nous formulons par conséquent les demandes suivantes : que votre comité modifie le projet de loi C-45 de manière à introduire un cadre de contrôle obligatoire de l’usage des boissons alcoolisées et des stupéfiants dans les milieux de travail sous régie fédérale où la sécurité est un enjeu; ce cadre d’application doit mettre l’accent sur les motifs de contrôle au grand complet, soit un préalable à l’embauche, le motif raisonnable, l’après-incident, le retour au travail et l’aléatoire.

Un cadre législatif de contrôle de l’aptitude au travail servira plusieurs objectifs. Premièrement, il y aura un effet dissuasif sur les personnes qui se proposent de se présenter au travail sous l’influence de l’alcool ou de drogues; on réduira ainsi le risque d’accident au travail. Autrement dit, les tests aléatoires fonctionnent. C’est une mesure préventive qui change les comportements et, par extension, améliore la sécurité.

Deuxièmement, le Canada s’alignera sur les nombreux pays du monde qui ont décidé de faire de la sécurité au travail et de la sécurité publique une priorité dans l’élaboration de règles équitables de sécurité en milieu de travail. Les tests de dépistage de drogues et d’alcool au hasard existent en Australie, en Grande-Bretagne, en Inde et aux États-Unis, pour ne citer que ces pays. Ces tests de dépistage au hasard sont obligatoires aux États-Unis dans le domaine des transports depuis 1995, et beaucoup d’organisations canadiennes sont déjà touchées par ces règles. Les entreprises transfrontalières, tels les chemins de fer et les services de camionnage, doivent respecter ces règles s’ils ont des activités aux États-Unis. Nos questions sont simples : quelle est la différence entre un camionneur au Canada et un camionneur aux États-Unis? Les attentes et les exigences en matière de sécurité ne sont-elles pas les mêmes dans les deux pays?

Troisièmement, un nouveau cadre législatif au Canada apportera la certitude à toutes les parties, soit les salariés, les syndicats et les employeurs, quant aux règles en milieu de travail. Les mêmes règles obligatoires s’appliqueraient à tous les milieux de travail de manière uniforme et juste. La politique sera gouvernementale, compatible avec toutes les autres règles en la matière dans les secteurs sous régie fédérale, et la voie judiciaire, qui est coûteuse, longue et compliquée, sera ainsi évitée. La partie II du Code canadien du travail et les règlements connexes obligent les entreprises fédérales à assurer la sécurité au travail. Bien que ces textes contiennent des milliers de dispositions en lien avec la sécurité au travail, il n’est fait mention nulle part des règles concernant le risque associé à l’usage d’alcool et de drogue dans les milieux de travail.

Par conséquent, malheureusement, les règles sont établies par les tribunaux. La principale cause sur cette question, Pâtes et Papier Irving, a obtenu une décision partagée de la Cour suprême du Canada, une forte différence d’opinions venant de trois juges, dont la juge en chef. Des dizaines d’autres décisions de tribunaux arbitraux et de tribunaux sont du même ordre, certaines étant actuellement envisagées.

Le résultat, c’est que les employeurs ne savent pas s’ils peuvent faire des tests de dépistage d’alcool ou de drogue et, dans l’affirmative, dans quelles situations ils peuvent les faire. Le gouvernement doit donner des directives claires. À cet égard, je crois qu’il importe de réfléchir aux paroles des juges dissidents dans la cause Pâtes et Papier Irving :

Dans l’exercice de son pouvoir législatif, le législateur du Nouveau-Brunswick a le pouvoir de soustraire les tests de dépistage de drogue et d’alcool au processus de négociation collective, comme d’autres organes législatifs l’ont fait dans certains contextes. […] En effet, certains experts ont indiqué qu’il est évident dans notre pays qu’ « une directive et une définition législatives ajouteraient de la cohérence, de l’uniformité et de la prévisibilité pour tous les intervenants du milieu de travail » […] Cette décision revient toutefois au législateur du Nouveau-Brunswick et non à la Cour…

De plus, le vent change, au Canada. En novembre 2017, la Commission canadienne de sûreté nucléaire est allée de l’avant et a adopté des règles en matière d’aptitude au travail qui prévoient des tests de dépistage d’alcool et de drogue, et notamment des tests aléatoires.

Au même moment, dans son rapport sur l’écrasement d’un aéronef de Carson Air, le Bureau de la sécurité des transports du Canada appuyait fortement le dépistage de drogue et d’alcool, y compris le dépistage aléatoire, dans le secteur de l’aviation au Canada.

Le Canada doit combler ce vide évident sur le plan législatif.

Pour terminer, une courte observation sur la vie privée : des groupes prétendent que le dépistage d’alcool et de drogue empiète sur la vie privée. Nous ne croyons pas que cela soit exact. Les employeurs savent qu’ils n’ont aucune autorité sur leurs employés en dehors des heures de travail. Toutefois, ils s’attendent à ce que leurs employés travaillent de manière sécuritaire et ne soient pas sous l’influence de l’alcool ou de drogue sur les lieux de travail. La sécurité du milieu de travail et du public doit avoir préséance sur le droit personnel à la vie privée.

Le projet de loi C-46, correspondant complémentaire du projet de loi C-45, qui porte sur la conduite avec capacités affaiblies, permettra le contrôle aléatoire de dépistage routier de l’usage d’alcool, une disposition que le gouvernement juge respectueuse du critère de la Charte. Si le droit à la vie privée est retiré à la personne au volant d’une voiture sur l’autoroute, la même logique doit s’appliquer au pilote aux commandes d’un aéronef qui transporte 200 passagers, à un chef de train qui tire 50 wagons de produits chimiques, à un chauffeur d’autobus qui transporte 60 passagers, à un camionneur qui emprunte une autoroute et à quiconque pose des gestes au travail qui pourraient avoir une incidence sur la vie d’un autre travailleur ou sur la population.

C’est pour cette raison que nous croyons qu’il faut une solution d’ordre législatif. Nous demandons que vous modifiiez le projet de loi C-45 afin de tenir compte de ces importantes préoccupations. Je vous remercie.

Le président : Finalement, nous entendrons Murray Elliot, d’Energy Safety Canada.

Murray Elliott, président, Energy Safety Canada : Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie le comité d’avoir invité Energy Safety Canada à prendre part à cette importante audition. Je suis reconnaissant de l’occasion de vous parler des conséquences de la légalisation du cannabis sur la sécurité en milieu de travail. En qualité d’association nationale de sécurité dans l’industrie pétrolière et gazière, Energy Safety Canada préconise la santé et la sécurité des travailleurs. Nous portons un intérêt particulier à la sécurité de nos travailleurs et des collectivités où nous avons des opérations.

Le secteur national du pétrole et du gaz est par nature sensible aux questions de sécurité, étant donné les matières et le matériel utilisés. Différentes composantes de l’industrie, notamment l’entreposage, le transport, le forage et le traitement, comportent toutes des risques importants sur le plan de la sécurité.

Par surcroît, comme le gaz naturel et le pétrole sont des matières inflammables, les risques sont plus grands en cas de fuite ou de déversement. Les travailleurs sont mobiles, ils se déplacent d’un site à l’autre en empruntant souvent les routes publiques et en traversant de petites collectivités. En raison des dangers que présentent les lieux de travail industriels, les propriétaires et les travailleurs doivent faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande attention. Si les travailleurs du secteur des hydrocarbures consomment des drogues, y compris le cannabis — qu’il s’agisse d’une consommation occasionnelle, d’un médicament de prescription ou d’une dépendance —, cela peut entraîner des risques inacceptables pour la sécurité. Étant donné les effets prolongés du cannabis, le fait que la consommation ait lieu au travail ou un peu avant que l’employé se présente au travail ne changera rien aux risques encourus.

Nous appréhendons le fait que la légalisation normalisera et augmentera la consommation globale de cannabis, ce qui pourrait accroître les risques. Dans le secteur, on peut s’attendre à une augmentation des cas de personnes travaillant avec des facultés affaiblies et, par suite, à une augmentation des taux d’incidents liés à la sécurité. Des études confirment qu’il existe une corrélation entre la consommation de cannabis et les blessures. Par exemple, une étude a montré que les hommes consommant du cannabis présentent un taux d’hospitalisation — en raison de blessures — de 28 p. 100 plus élevé que les non-utilisateurs. Chez les femmes, le taux est de 37 p. 100 plus élevé. Il ne fait aucun doute que la consommation de cannabis est incompatible avec le travail dans un environnement où la sécurité est un enjeu. Il y a eu une augmentation des accidents et des décès en raison de la consommation de cannabis chez les conducteurs.

Les déficits de rendement associés au cannabis ne vont pas de pair avec le travail dans un environnement où la sécurité est un enjeu. Aussi, des études ont montré que les déficits de rendement peuvent durer jusqu’à deux jours après la consommation de faibles doses de marijuana.

Au cours des 10 dernières années, la consommation d’alcool et de drogues dans notre industrie a constitué une préoccupation persistante en matière de sécurité. Le projet de loi sur le cannabis ajoute encore plus de complexité à cet enjeu. La présence de travailleurs inaptes au travail dans un milieu de travail où la sécurité est un enjeu peut avoir de graves conséquences sur la sécurité, ce qui risque de toucher non seulement les travailleurs, mais aussi l’environnement, les collectivités environnantes et le grand public.

Les employeurs du secteur des hydrocarbures ont d’importantes obligations légales visant à assurer la sécurité de leurs travailleurs. Ils sont notamment tenus de maintenir un milieu de travail sécuritaire. Ils doivent s’attaquer aux dangers qui existent en milieu de travail, dont font partie les risques associés à l’alcool et aux drogues. Lorsqu’ils constatent la présence d’un danger en milieu de travail, les employeurs ont l’obligation légale d’adopter des mesures correctives afin de l’éliminer ou — si cela n’est pas possible dans les limites du raisonnable — de le contenir.

De plus, le Code criminel impose aux employeurs l’obligation légale d’assurer la sécurité en milieu de travail en les forçant à adopter des mesures raisonnables pour empêcher qu’un employé se blesse ou blesse une autre personne en raison du travail ou de la tâche qu’il effectue.

Nous croyons que la légalisation du cannabis à des fins récréatives rend ces obligations légales plus difficiles à respecter, surtout lorsque l’on connaît les limites actuelles des tests en milieu de travail. Pour l’heure, il n’y a pas de test de détection des facultés affaiblies; il existe seulement des tests de détection de la présence de cannabis et d’un affaiblissement probable des facultés. Cette situation préoccupe grandement les employeurs, lesquels sont tenus par la loi de veiller à la sécurité des employés au travail.

Des recherches plus poussées sont requises pour concevoir un test normalisé de détection des facultés affaiblies. Nous demandons au gouvernement du Canada de reconnaître la réalité du problème et d’adopter des mesures législatives précises en matière d’alcool et de drogues, mesures qui permettront aux employeurs canadiens de gérer efficacement les risques, d’exploiter leur entreprise de façon sécuritaire et de s’acquitter de leurs obligations légales.

Plus précisément, nous voudrions qu’il existe un protocole de dépistage du cannabis en milieu de travail qui soit pratique et acceptable en vertu de la loi. Ce protocole devrait comprendre une méthodologie normalisée et indiquer quelles technologies sont jugées acceptables.

Les règlements sur les tests de dépistage d’alcool et de drogues en milieu de travail permettent aux employeurs de tester les travailleurs œuvrant dans des milieux où la sécurité est un enjeu, en réalisant ces tests au hasard et avant l’embauche. Si l’on disposait de dispositifs de contrôle et d’un cadre juridique adéquats, ainsi que d’une certitude sur le plan législatif, ces tests aléatoires amélioreraient la capacité des employeurs à gérer les risques pour les travailleurs et le public.

Les mesures législatives doivent être accompagnées de modifications au Code canadien du travail visant à interdire de façon claire aux travailleurs d’entrer dans un lieu de travail sous l’influence du cannabis ou de toute autre drogue à moins de posséder une autorisation médicale préalable et de recevoir l’aval de leur employeur. Les mesures législatives doivent aussi aller de pair avec la poursuite de l’éducation et de la recherche sur les conséquences du cannabis et de l’affaiblissement des facultés et sur les technologies de dépistage appropriées.

Nous croyons que ces changements donneraient aux employeurs les outils nécessaires pour gérer les risques que présente le projet de loi C-45 pour les travailleurs et le public. L’un des objectifs déclarés de la Loi sur le cannabis est de protéger la santé et la sécurité publiques. Nous croyons que les répercussions de la légalisation du cannabis sur les milieux de travail où la sécurité est un enjeu doivent faire l’objet d’une attention particulière.

En terminant, je vous remercie, monsieur le président, chers membres du comité, d’avoir invité Sécurité énergétique Canada à prendre part à la discussion d’aujourd’hui et à y exprimer son point de vue. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup à vous tous pour vos exposés. Vous avez exprimé différents points de vue. Je suis sûr que cela aura suscité beaucoup de questions.

Chers collègues, je suggère que chacun ait cinq minutes pour les questions et les réponses. Plus vous abrégerez votre préambule, plus vous aurez de temps pour les questions. Je suggère aussi que vous adressiez chaque question à l’un des organismes en particulier. Si vous posez votre question à tous, votre temps s’envolera très rapidement.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de vos exposés et de vos différents points de vue. Partout où je vais, on me parle de l’accent qui est mis sur la santé et la sécurité.

Ma première question s’adresse à vous, monsieur Moore, parce que vous avez beaucoup parlé d’éducation. Vous avez dit quelque chose qui m’a interpellée, à savoir que l’une des conséquences du projet de loi C-45 serait qu’il pourrait bien mettre en lumière un problème qui existe déjà, soit celui des facultés affaiblies par le cannabis et par d’autres substances en milieu de travail.

Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur l’éducation. Iriez-vous jusqu’à dire que ce projet de loi vous donnera la possibilité d’élaborer des outils éducatifs ou de faire de la recherche et développer des stratégies pour leur mise en œuvre? Ensuite, j’aimerais que vous nous parliez du cours en ligne que vous avez créé.

M. Moore : Pour répondre à votre première question, je ne veux pas donner l’impression que le cannabis récréatif représente une bonne occasion pour les employeurs, car ce n’est manifestement pas le cas.

Cela dit, nous avons effectivement constaté, au cours des dernières années, qu’à l’approche de la loi, lorsque le sujet a fait les manchettes, nous avons reçu beaucoup de demandes en matière d’information, d’éducation et de formation de la part d’organismes et d’entreprises. On nous dit : « Nous savons que cela arrive. Nous ne savons pas quoi faire. » Nous avons fait montre de mesure dans notre réponse en disant ceci : « Oui, cela arrive, mais vous mettez peut-être trop l’accent sur le cannabis et pas suffisamment sur l’affaiblissement des facultés et l’aptitude au travail, des questions que le cannabis soulève et que les entreprises devraient déjà aborder. »

C’est donc une occasion en ce sens que cela a permis de soulever la question et de sensibiliser les gens au problème du travail dans des postes où la sécurité est un enjeu et à la question générale des facultés affaiblies en milieu de travail.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Ma prochaine question s’adresse à M. Hynes.

J’entends beaucoup parler d’éducation et de sensibilisation, d’une part, de dépistage des drogues, de l’autre, ou d’une combinaison des deux solutions. J’aimerais savoir à quel point le dépistage des drogues est efficace, non pas pour obtenir les résultats des tests à proprement parler, mais pour changer les comportements. Avons-nous de l’information à ce sujet? Y a-t-il des recherches ou des résultats? C’est un des volets de la question.

M. Hynes : Je vais commencer, mais je céderai ensuite la parole à mon collègue, M. MacDonald.

Nos données indiquent qu’il y a des effets dissuasifs, c’est-à-dire que lorsqu’une politique de dépistage aléatoire de l’alcool et des drogues est mise en place dans un milieu de travail, on constate au fil du temps une réduction du nombre de résultats positifs, ce qui est précisément le résultat recherché. On cherche à changer les comportements; les tests ne sont pas censés servir de moyen de punition. Il s’agit d’un outil préventif qui vise à réduire la consommation.

Chris, vous pourrez sans doute présenter des données plus probantes.

Christopher MacDonald, membre, directeur, Relations gouvernementales, J.D. Irving, Limited, ETCOF : Merci, Derrick, et merci, sénatrice, de votre question.

Nous avons des données probantes. Je voudrais vous indiquer la présence de ces données dans la documentation que nous vous avons fournie. Il y a un document de quatre pages qui comprend une annexe où la question de la dissuasion est abordée au moyen d’exemples provenant des États-Unis, de Londres et de la Nouvelle-Galles-du-Sud. Toutes les données pointent dans la même direction, à savoir que, lorsque l’on a introduit des tests aléatoires, les chiffres ont chuté de façon très marquée.

En fait, des données montrent que la même chose s’est produite lorsque l’on a procédé au dépistage aléatoire de l’alcool en bordure de route, un sujet dont traite le projet de loi C-46. Selon les données, on a noté une baisse spectaculaire de la consommation d’alcool dans la province où cela a été mis en œuvre. En un mot, je dirais que c’est un moyen de dissuasion éprouvé.

La sénatrice Petitclerc : Je viens du monde du sport, alors j’aimerais savoir à quel point les tests sont efficaces. Je suppose que vos tests ne sont pas des tests antidopage du calibre de ceux de l’Agence mondiale antidopage. D’un point de vue scientifique, savons-nous quelle est l’efficacité de ces tests?

M. MacDonald : L’alcool est assez facile à dépister et la plupart des gens reconnaissent la valeur de l’alcootest. Il y a des données probantes à ce sujet.

Comme M. Elliott y a fait allusion, certaines organisations, comme la Toronto Transit Commission et le CN, utilisent des tests de salive. Ces tests permettent aux experts médicaux de conclure qu’il y a un affaiblissement probable des facultés. Je dirais que les tests ont beaucoup évolué au cours des dernières années. Aujourd’hui, les tests sont suffisamment fiables pour que ceux qui les administrent puissent affirmer qu’une personne présentant un résultat positif a les facultés affaiblies.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés et de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Ma question s’adresse à vous, monsieur Hynes. Dans le mémoire que vous avez présenté au groupe de travail, vous recommandez que le gouvernement retarde la légalisation jusqu’à ce que les experts s’entendent sur une définition établie de « facultés affaiblies par la marijuana » et qu’il existe une technologie permettant de déterminer l’affaiblissement des facultés de manière fiable et éprouvée.

Recommandez-vous toujours le report de la légalisation? Pensez-vous que les employeurs sont prêts à s’attaquer au problème de l’affaiblissement des facultés en milieu de travail après la légalisation?

M. Hynes : Pour répondre à la seconde partie de votre question, je dirais que les employeurs ne sont pas tout à fait prêts en raison du manque réel de compréhension des règles auquel j’ai fait allusion dans mes observations. Chose certaine, la jurisprudence va dans toutes sortes de directions différentes. On ne peut simplement renvoyer à une décision de la Cour suprême et dire : « Bien, maintenant nous comprenons les règles du jeu. Allons de l’avant. » Il faut reconnaître que nous ne savons pas vraiment quelle est la marche à suivre.

Nous avons rédigé ce mémoire il y a près de deux ans. Les tests ont beaucoup évolué depuis. Pour revenir à ce que mon collègue a dit plus tôt, la Toronto Transit Commission a récemment lancé un programme dans lequel certains outils de dépistage sont utilisés. L’on croit que ces outils seront bientôt à même de signaler un affaiblissement des facultés et la probabilité qu’il y ait eu consommation au cours des heures ayant précédé le prélèvement de la salive — les experts de la commission confirmeront que c’est bien le cas.

Nous avons davantage confiance qu’auparavant en l’évolution des outils. Pourrions-nous aller plus loin? Bien sûr. Nous n’en sommes pas encore au niveau du dépistage de l’alcool. Il reste encore du travail à faire, mais nous croyons que des outils sont déjà disponibles et pourraient être utilisés si nous devions arriver à mettre en place des tests de façon plus complète et coordonnée.

La sénatrice Seidman : Monsieur Elliott, voulez-vous aussi répondre à cette question?

M. Elliott : Je suis tout à fait d’accord avec M. Hynes au sujet de l’état d’avancement des tests de dépistage. À Sécurité énergétique Canada, nous sommes en train de terminer le travail avec la Construction Owners Association of Alberta pour élaborer le modèle canadien pour les programmes de lutte contre l’alcool et les drogues. Nous créons un modèle normalisé que tous les représentants de nos sociétés membres — ou n’importe qui d’autre — peuvent consulter sur les sites web et utiliser pour créer leurs propres programmes de lutte contre les drogues et l’alcool. Il s’agit de gérer le problème de l’affaiblissement des facultés en milieu de travail.

Ainsi, les gens peuvent mettre en place les mesures adéquates pour gérer efficacement la plupart des risques. Cependant, comme nous l’avons dit, le problème réside dans le fait que nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires. Les tests sont excellents, mais les tests aléatoires, qui présentent des avantages supplémentaires, seraient très utiles.

La sénatrice Seidman : Ai-je encore quelques minutes?

Le président : Oui. Par ailleurs, si d’autres témoins veulent s’exprimer, vous n’avez qu’à me faire signe. Si votre intervention ne dépasse pas les cinq minutes dont dispose le membre du comité, et si celui-ci est d’accord, faites-le savoir au sénateur, à la sénatrice ou à moi-même et nous pourrons vous écouter.

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur le président. Nous avons donc entendu parler des emplois où la sécurité est un enjeu. Comme citoyenne canadienne, je suis heureuse que cette question ait été abordée. Je prends l’avion et le train, je conduis une voiture sur des routes où roulent des camions. Aussi suis-je certaine que tous les Canadiens peuvent comprendre les membres que vous représentez.

Je m’intéresse tout particulièrement au cadre législatif portant sur l’aptitude au travail. J’ai noté que vous avez dit que le Canada n’est pas au diapason de nombreux autres pays, dont la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Australie. Je me demande donc pourquoi nous n’avons pas de règles qui permettraient aux employeurs de faire ce qu’il faut pour s’assurer qu’il n’y a pas de manquement à la sécurité de la part de leurs employés — employés dont ils pourraient être tenus responsables, en fin de compte.

M. MacDonald : Je suis heureux de répondre à cette question, sénatrice. Merci beaucoup. Vous posez là une très bonne question. Nous nous posons la même question.

Par exemple, dans mon conglomérat, nous faisons des tests de dépistage de l’alcool et des drogues depuis 1995, parce que nous sommes une entreprise transfrontalière de camionnage. Aux États-Unis, on a examiné la question en profondeur, c’est-à-dire la situation des pilotes de ligne, des chefs de train et des camionneurs. Il en va de même au Royaume-Uni ainsi que dans beaucoup d’autres pays.

Pour que vous compreniez bien l’importance que revêt, selon moi, cette question, je citerai l’exemple suivant : en 2015, aux États-Unis, 10 pilotes ont subi des tests d’alcoolémie positifs. Même si ce nombre peut sembler modeste, c’est une situation qui se produit effectivement. En Inde, où l’on teste l’ensemble de l’équipage de l’avion avant chaque vol — chaque membre d’équipage sait donc qu’il aura à subir un test — il y a eu 43 résultats positifs pour alcoolémie. C’est donc une situation qui se produit réellement.

Je répète que, pour nous, il s’agit d’une mesure préventive, d’un système de freins et de contrepoids. Toutes les statistiques prouvent que la dissuasion est efficace. Est-ce parfait? Éliminera-t-on ainsi complètement le phénomène? Non, mais cela fonctionne, et ce, de façon très marquée.

Il y a dans notre document des statistiques — sur lesquelles je ne m’étendrai pas — qui proviennent d’une étude qui a été menée aux États-Unis après l’introduction d’une série de programmes de tests de dépistage, étude qui montre que les chiffres ont alors considérablement chuté. Nous posons donc la même question. Nous sommes d’accord pour dire que la consommation accrue de marijuana constitue un aspect du problème. Or, comme l’a dit M. Moore, nous avons déjà un problème. Nous devons nous y attaquer, puisqu’il ne fera qu’empirer. Selon nous, la meilleure façon de régler le problème consiste à mettre en place une série complète de tests qui serviront de moyens de dissuasion. J’espère que j’ai pu répondre à votre question.

La sénatrice Seidman : Oui. Merci.

Le président : Je vais glisser une question dans la conversation, question qui se rattache au thème général dont nous parlons.

Des experts médicaux, des scientifiques et des chercheurs nous ont dit, entre autres, que dans le cas du cannabis, contrairement à l’alcool, des niveaux de THC peuvent demeurer dans le système pendant des semaines, éventuellement. On pourrait détecter le THC, mais cela n’indiquerait pas qu’une personne a les facultés affaiblies. Vous avez mentionné, comme d’autres l’ont fait, que les tests ne reposent pas forcément sur une science exacte.

Comment pouvez-vous justifier la pratique des tests aléatoires sur une telle base? J’aimerais que vous répondiez à cette question, puis j’aimerais aussi entendre le point de vue du Congrès du travail du Canada.

M. Hynes : Excellente question. Chose certaine, des progrès ont été accomplis dans ce domaine afin de mieux comprendre comment confirmer le degré d’affaiblissement des facultés d’une personne. Nous avons parlé tout à l’heure des données liées à la mise en œuvre de la politique à la Toronto Transit Commission. Les experts médicaux de la commission, qui ont témoigné devant des arbitres, peut-être même des juges, ont dit qu’ils sont d’avis qu’un résultat positif provenant de leur test pour la marijuana indique la présence d’un affaiblissement probable des facultés lié à une consommation ayant eu lieu au cours d’une période de — j’espère ne pas me tromper sur les chiffres — quatre à six heures précédant le test. Je vais devoir vous revenir avec les chiffres exacts. En tout cas, étant donné la proximité temporelle entre la consommation et le test, les experts soutiennent qu’il y a un niveau d’affaiblissement des facultés pouvant empêcher une personne de faire son travail en toute sécurité et d’être apte au travail.

M. Yussuff : D’abord et avant tout, on ne s’entend pas sur les données scientifiques à ce moment-ci. Chacun mentionne les références de son choix pour appuyer sa propre position. On ne s’entend pas sur les données scientifiques. Je ne suis pas le seul à le dire; les membres de la communauté scientifique vous diront la même chose.

De fait, si vous utilisez une méthode particulière pour déterminer la capacité d’une personne à faire son travail, je crois que vous feriez mieux d’en être bien certains, puisque c’est son gagne-pain qui est en jeu. Il va sans dire que, du fait de la légalisation du cannabis à des fins récréatives, nous devons éduquer davantage les gens pour nous assurer que les règles actuelles soient respectées en l’état. Ces règles interdisent aux travailleurs de se rendre au travail avec les facultés affaiblies, que ce soit par l’alcool, le cannabis ou toute autre drogue, d’ailleurs. Ces règles n’ont pas changé et ne changeront pas dans la foulée de ce projet de loi.

Il est impératif que nous comprenions le contexte auquel nous avons affaire. Bien entendu, la Cour suprême du Canada nous a remis la jurisprudence à cet égard. C’est la plus haute autorité du pays qui a la capacité de déterminer la légalité des tests de dépistage de drogues et d’alcool imposés par l’employeur. La Cour suprême a dit que c’était tout à fait injustifié. Cependant, elle a convenu qu’il y a des circonstances dans lesquelles une demande peut être présentée pourvu, bien entendu, qu’on soit en mesure de démontrer qu’il y a suffisamment de preuves pour le faire.

Toutes les études que mes collègues ont citées sont des études américaines. L’approche américaine à ce sujet est fondamentalement différente de celle que nous avons adoptée, ici, au Canada.

Les arbitres se sont prononcés. Certains milieux de travail mettent actuellement en place une politique dont ont été saisis les tribunaux et les arbitres, et nous les contestons. Nous nous retrouverons devant la Cour suprême. Plus récemment, un de nos employeurs en Alberta, Suncor, en a présenté une. Les tribunaux, bien entendu, ont annulé leur décision unilatérale d’imposer une telle tâche aux employeurs. Je suppose que la Cour suprême finira par entendre de nouveau cette affaire, mais essentiellement, à l’heure actuelle, nous avons une jurisprudence.

Nous travaillons très fort pour veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs et nous collaborons très consciencieusement avec les employeurs pour voir à ce que nos lieux de travail soient sécuritaires.

À mon avis, il faut reconnaître que la légalisation du cannabis récréatif ne change en rien le fait qu’il incombe aux travailleurs de se présenter au travail en mesure de bien s’acquitter de leurs tâches. Dans ce contexte, c’est la règle et la loi actuellement en vigueur au Canada.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Ma première question s’adresse à M. Yussuff. Les assurances au travail sont à un taux variable selon qu’un travailleur fume ou non. Il s’agit d’une obligation pour les travailleurs de s’identifier à ce sujet au risque de perdre leurs privilèges en cas de réclamation.

Je vais vous parler des assurances dont bénéficient les travailleurs. Est-ce que ce serait une intrusion dans la vie privée si un assureur demandait à un travailleur s’il fume de la marijuana? Croyez-vous que les primes augmenteraient pour ceux qui déclareraient fumer du cannabis? Cela pourrait-il faire augmenter la portion de la prime payée par l’employeur?

[Traduction]

M. Yussuff : Je tiens d’abord à dire que j’estime qu’il s’agit d’une violation de la vie privée des travailleurs et d’une infraction à la législation sur la protection des renseignements personnels du Canada. Je pense qu’un employeur n’a pas le droit de poser cette question.

Au bout du compte, s’agissant de mes employés du CTC, je suis un employeur et je ne leur pose pas cette question, car, à mon avis, il s’agit d’une atteinte fondamentale à la vie privée. En fait, si je l’avais fait, je pense que je me présenterais devant la Commission des droits de la personne pour nous défendre d’avoir violé leur vie privée concernant ce qu’ils font à l’extérieur du lieu de travail.

Bien entendu, nous avons un certain contrôle sur ce qu’ils font au travail. Il est juste de ma part de questionner l’employé si j’estime qu’il n’est pas apte à rentrer au travail, car ses facultés sont affaiblies. J’ai le droit de lui poser cette question si je crois que c’est le cas. Mais ce n’est pas à moi, en tant qu’employeur, de demander à un employé comment il se comporte à l’extérieur du milieu de travail.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Yussuff, plusieurs assureurs posent la question à leurs assurés. J’ai déjà été superviseur dans une compagnie d’assurance, et les gens qui déclaraient qu’ils ne fumaient pas avaient une prime moins élevée. J’acquiesce à votre réponse.

Ma prochaine question s’adresse à M. Moore. Monsieur Moore, le gouvernement canadien dit qu’il allouera une partie des taxes sur le cannabis aux provinces afin de les aider à couvrir les coûts importants liés à cette législation.

En entreprise, il y aura certainement des coûts pour gérer cette situation. Est-ce que les employeurs reçoivent suffisamment d’appuis de la part du gouvernement afin de s’organiser et d’assurer la sécurité des travailleurs, c’est-à-dire de ceux qui fumeront de la marijuana et de ceux qui travailleront avec eux?

[Traduction]

M. Moore : Les employeurs ont-ils suffisamment de soutien de la part du gouvernement? C’est une très bonne question. Je n’ai pas une très bonne réponse à vous donner.

L’organisme que je représente, le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, reçoit un certain montant de financement du gouvernement fédéral qui représente environ 50 p. 100 de notre budget de fonctionnement, ce qui nous a permis de produire beaucoup de matériel éducatif et beaucoup de programmes à l’intention des employeurs, y compris ceux qui portent sur l’affaiblissement des facultés et le cannabis. Nous ne recevons pas de financement direct du gouvernement à cette fin.

Nous allons certainement cogner à la porte de certains ministères en particulier. Nous avons, par exemple, travaillé avec Santé Canada par le passé, lorsque le SIMDUT, le Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail, a été révisé en 2015 et que Santé Canada lui a accordé des fonds pour mettre au point des programmes d’éducation publique. Nous pourrions peut-être faire quelque chose de semblable au sujet du cannabis, mais pour l’instant, nous nous débrouillons avec notre propre budget.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Moore.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Ma question s’adresse à M. Yussuff et peut-être à M. Hynes.

Nous avons parlé de la nécessité d’éduquer davantage. Nous avons parlé du droit à la vie privée. Nous avons parlé du manque de données scientifiques. Nous avons parlé du droit des employeurs d’avoir des lieux de travail sécuritaires. Nous avons parlé de la décision rendue en 2013 par la Cour suprême. M. Hynes a pris part à cette décision et l’a intégrée à sa déclaration. M. Yussuff a pris part à cette décision et l’a intégrée à sa déclaration.

J’essaie simplement de trouver un équilibre — je suis sûr que nous le faisons tous — pour m’assurer que si je me déplace en avion, le pilote n’est sous l’emprise ni de la drogue ni de l’alcool. Je suis sûr que nous sommes tous dans la même situation.

Les employeurs et les employés sont-ils prêts pour ce projet de loi, ou faut-il prendre du recul pour nous assurer de disposer des données scientifiques nous permettant de bien informer les gens sur l’utilisation ou le mauvais usage des drogues? Je crains que nous ne soyons pas là où nous devrions être. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Yussuff : Permettez-moi d’abord de parler de notre relation. Nous entretenons une relation de collaboration très étroite avec l’ETCOF. Nous travaillons au niveau fédéral, tant au CTC qu’à l’ETCOF, dans un esprit de collaboration, pour nous assurer, lorsque le gouvernement fédéral adopte une loi qui nous touche tous les deux, de collaborer du mieux que nous le pouvons avec le gouvernement du Canada pour veiller à ce que tout ce que le gouvernement rédige tienne compte de nos points de vue et de nos opinions. Dans l’ensemble, je pense que le gouvernement a raison. De temps en temps, bien sûr, il y a quelque chose qui cloche.

Sénateur Manning, je tiens à préciser que je n’ai pas pris certaines parties de la décision de la Cour suprême. J’ai pris la décision majoritaire de la Cour suprême que j’ai citée. Mon collègue a adopté la position minoritaire de la Cour suprême. C’est la position majoritaire que je vous ai donnée, qui est la règle de la Cour suprême.

En ce qui concerne la légalisation du cannabis récréatif, — et je l’ai dit à mon ami et je l’ai répété directement au gouvernement — je ne pense pas que nous avons fait assez pour bien éduquer le public, car je crois qu’on a l’impression que les choses vont évoluer et que nous pouvons faire ce que nous voulons. Les règles, dans leur version actuelle, interdisent bien des choses aux employés qui utilisent, par exemple, un véhicule et ces règles n’ont pas changé. À mon avis, il faut dire très clairement que même si l’usage du cannabis récréatif sera légal, pour voir à ce que les gens n’aient pas de dossier criminel, il reste que nous ne sommes pas censés consommer du cannabis et conduire un véhicule ou piloter un avion; on ne consomme pas de cannabis avant de se rendre au travail et risquer de mettre en danger la vie et la santé des collègues. Notre opinion est cohérente à cet égard.

Ce qui est vrai, c’est que nous ne sommes pas en faveur du dépistage aléatoire de drogues. Nous estimons que cette mesure n’est pas nécessaire parce que les employeurs savent qu’une nouvelle règle sera établie. Ils pourraient afficher ce qu’ils veulent sur leur babillard. Ils peuvent faire toutes sortes de sensibilisation auprès de leurs travailleurs pour s’assurer qu’ils sont pleinement conscients que cela ne sera pas toléré, et nous serons là pour aider les employeurs à le faire. Fondamentalement, le milieu de travail devrait être un endroit sûr pour ce qui est de la façon dont nous nous traitons les uns les autres, mais aussi de la façon dont nous assumons la responsabilité de nous assurer que nous ne mettons pas en danger la vie d’un travailleur parce que nous venons travailler avec des facultés affaiblies.

M. Hynes : Je dois d’abord dire que je suis d’accord avec au moins la première moitié de tout ce que mon ami a dit, à savoir que nous avons une relation de collaboration. C’est un lien mature et nous collaborons habituellement de façon tripartite avec le gouvernement lorsque des modifications législatives sont apportées. En toute honnêteté, 90 p. 100 du temps, la solution sur laquelle nous nous entendons est satisfaisante pour toutes les parties en cause. Il y a des points sur lesquels nous sommes en désaccord et ce qui devrait être évident pour vous aujourd’hui, c’est que c’en est un.

Nous avons des points communs. Évidemment, nous avons tous à cœur la sécurité, cela ne fait aucun doute. Nous tenons tous à ce que l’éducation soit un volet important. Le gouvernement y a affecté des ressources et nous l’appuyons sans réserve.

Nous croyons que nous divergeons d’opinion sur la question des tests. Notre position, c’est que nous devons trouver une solution raisonnable qui établit une distinction entre, d’une part, le droit à la vie privée en milieu de travail et d’autre part, la sécurité publique. Voilà deux ans que nous travaillons sur ce dossier et nous avons toujours soutenu qu’il devait y avoir une façon de trouver une solution qui satisfait à ce critère.

La décision de la Cour suprême du Canada ne concerne qu’un organisme en particulier, dans une situation donnée. Il y a des dizaines d’autres causes d’arbitrage et d’affaires judiciaires dans le cadre desquelles les tribunaux se sont prononcés sur cette question et, chaque fois, ils statuent selon les circonstances particulières de l’affaire dont ils sont saisis. Nous demandons une façon globale d’aborder directement la question en élaborant une série de règles. Ainsi, nous savons tous en quoi elles consistent et nous devons tous nous y conformer.

Mon ami aime signaler que les employeurs n’ont pas à se présenter au gouvernement pour demander des règlements. Or, nous pensons que nous en avons besoin dans ce cas-ci. Sommes-nous prêts? Nous croyons que ce projet de loi fait ressortir une lacune qui existe déjà et qu’il va l’aggraver. Lorsque la consommation de cannabis devient plus normalisée, les statistiques sur l’usage aux États-Unis sont convaincantes. La consommation va augmenter. Nous le croyons fermement et nous pensons aussi que la consommation risque de se frayer un chemin dans les milieux de travail.

Nous ne cherchons pas une solution qui crée un ensemble de règles générales pour chaque employé. Nous cherchons plutôt à faire ressortir les postes à risque élevé en matière de sécurité, car nous croyons que le risque pour la sécurité l’emporte sur le droit à la vie privée des personnes en ce qui concerne le dépistage.

La sénatrice Raine : Merci à tous d’être ici. Je suis persuadée que vous pouvez constater à quel point nous prenons cette question au sérieux et je pense que le court délai proposé nous préoccupe tous un peu. J’aimerais m’attarder au dépistage des facultés affaiblies, car la façon dont cela se ferait est très ambiguë.

L’autre jour, j’ai demandé à deux agents de la GRC avec qui je m’entretenais s’il y avait un test de dépistage des facultés affaiblies. Je sais, pour en avoir discuté avec des médecins, que nous sommes tous différents les uns des autres et que la capacité de supporter le THC dans le système sans que les facultés soient affaiblies varie selon les personnes et leur consommation.

Tout d’abord, pensez-vous qu’il serait utile, pour une personne consommant de la marijuana à des fins médicales, de mettre en place un régime dans le cadre duquel une personne pourrait être autorisée à voir du THC dans son système pour des raisons médicales, mais que la tolérance zéro soit réclamée dans les milieux de travail où la sécurité est un enjeu? C’est ma première question.

Je sais que cela va peut-être à l’encontre, mais quand il est question de tolérance zéro, je dirais que s’il y a un test et que la personne l’échoue, il y a des mesures correctrices à prendre; il ne s’agit pas de fermer complètement la porte, car il y a beaucoup de gens très bien et qu’il faut que tout le monde travaille dans notre pays.

J’ai ensuite mentionné aux agents de la GRC qu’on m’avait dit que le test le plus efficace pour déterminer si une personne avait les facultés affaiblies, peu importe la substance en cause, était de lui demander de mettre son doigt sur le nez et de marcher en ligne droite. Envisageons-nous de créer une sorte d’application qui permettrait de photographier sur un appareil mobile la réaction d’une personne à qui on demande de faire trois choses en évitant des cônes qui auraient peut-être été installés? Les agents ont convenu que c’est la meilleure façon de dépister les facultés affaiblies, mais qu’ils ne veulent pas devoir défendre un critère subjectif devant les tribunaux.

Nous devrions peut-être sortir des sentiers battus, nous éloigner de l’alcootest et du test de salive et envisager quelque chose qui serait efficace sur le terrain.

J’aimerais entendre ce qu’en pensent M. Hynes et M. Yussuff.

M. Hynes : Je vais commencer puis je vais céder la parole à mon ami, qui est beaucoup plus expert que moi en matière de dépistage. Vous avez parlé de consommation de cannabis à des fins médicales. Nous avons discuté de cette question et ce que j’ai à dire, c’est qu’il y a vraiment deux sources d’information.

D’une part, il y a l’usage médical de cette drogue couvert dans la législation sur les droits de la personne à laquelle les employeurs se conforment aujourd’hui. Si un employé utilise une substance du genre, toute substance prescrite par un professionnel de la santé, l’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de cet employé en vertu de la Loi sur les droits de la personne. C’est déjà ainsi et cela ne changera pas. Puis, il y a l’usage à des fins récréatives, l’aspect qui nous préoccupe vraiment le plus, ne sachant pas vraiment comment le contrôler et n’ayant que des connaissances limitées à ce sujet.

Chris peut parler plus clairement des tests de dépistage.

M. MacDonald : Sénatrice, votre question est excellente. J’insiste sur ce que Derek vient de dire. Comme je l’ai mentionné, notre organisme le fait depuis longtemps. Nous nous occupons du cannabis à des fins médicales. C’est un simple fait; les gens ont des ordonnances. De toute évidence, il faut gérer la question, en particulier dans un environnement où la sécurité est un enjeu. Y a-t-il d’autres options possibles, par exemple? Le critère de base, dont on a déjà parlé, est de savoir s’ils sont aptes au travail. En fin de compte, c’est la vraie question. Il y a peut-être 15 employés qui prennent du Tylenol; c’est une substance légale, mais ils ne devraient pas conduire un camion, par exemple.

Nous gérons la question aujourd’hui. L’usage du cannabis à des fins médicales est nul doute plus compliqué que d’autres questions. Notre préoccupation évidente à l’égard du cannabis récréatif est fondée sur l’exemple du Colorado et nous avons des statistiques. Étant donné l’augmentation, surtout chez les adultes, nous allons nous retrouver avec plus de problèmes de ce genre. En fin de compte, c’est la grande préoccupation.

Je comprends votre question sur les tests. Je ne suis pas un expert en matière de tests en soi, mais je reviens toujours à ce qui a été fait. L’alcootest n’est pas différent de ce que vous avez dit pour le cannabis. Je suis peut-être en faveur de 0,04 et vous de 0,08, mais on reconnaît que les tribunaux étaient satisfaits de 0,04. Nous estimons que les facultés sont affaiblies.

Il n’y aura jamais un test de dépistage des facultés affaiblies parfait. Nous avons mentionné ceux de la CTT et du CN et l’utilisation de la salive. Ce n’est pas immédiat. Il faut envoyer le test au laboratoire. Il peut y avoir un délai de trois jours, mais, essentiellement, le test est là. À notre avis, la mesure appropriée est d’opter pour le test de salive parce que c’est là.

M. Yussuff : Je serai bref. Il n’y a pas une entente quelconque sur le critère qui est exact en ce qui concerne le cannabis; je ne pense pas qu’il y en ait une. Il n’y a pas d’entente. Mes amis parlent de tests utilisés. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord. Les employeurs ont décidé d’adopter cette approche à cet égard et qu’il en soit ainsi. Ces questions feront l’objet d’un litige et seront tranchées.

En ce qui concerne l’alcool, oui, il y a entente. En règle générale, la plupart des tests existent depuis aussi longtemps que leur valeur scientifique a été établie et qu’ils sont utilisés, bien sûr, pour s’assurer qu’ils sont exacts; je pense qu’il en a été question.

En ce qui concerne le dernier point soulevé par mon collègue, il y a la reconnaissance de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation notamment pour les personnes qui souffrent. Ces exigences font en sorte que les personnes consommant du cannabis pour des raisons médicales ne se retrouveront pas dans des postes névralgiques pouvant avoir une incidence sur la vie d’autres personnes au travail.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous d’être ici et de nous avoir fait part de vos commentaires, de vos préoccupations et de vos recommandations. Nous vous en sommes très reconnaissants.

J’ai quelques questions. La première s’adresse à M. MacDonald. Votre entreprise a fait des recommandations au gouvernement fédéral, y compris la mise en œuvre d’un cadre réglementaire de dépistage de l’alcool et des drogues pour les employés et l’harmonisation de ce cadre avec celui des États-Unis.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le cadre recommandé et sur les mesures à prendre pour s’aligner sur les États-Unis?

M. MacDonald : Bien sûr, sénatrice. Ce à quoi nous faisons allusion, c’est à ce dont j’ai parlé tout à l’heure. Depuis 1995, les États-Unis ont adopté des lois à plusieurs endroits, mais dans notre cas, nous nous référons à la partie 382 de la réglementation du département des Transports des États-Unis qui régit les conducteurs de véhicules commerciaux. Comme vous venez du Nouveau-Brunswick, vous connaissez sûrement Midland et Sunbury, certaines de nos entreprises. Nous ne pouvons pas traverser la frontière à moins que nos chauffeurs ne fassent partie d’un bassin, qu’ils fassent l’objet de tests aléatoires et qu’ils soient soumis à des tests préalables à l’emploi, après l’accident, pour des motifs raisonnables — toute une série de tests prévus dans la loi américaine. Je le répète, c’est ce que nous faisons depuis 1995, donc depuis 23 ans.

Je ne suggère absolument pas de prendre exemple sur les États-Unis et d’adopter ce régime au Canada, mais ils ont certainement fait énormément de travail à ce sujet. Ils ont 23 ans d’expérience, et leurs lois sont très détaillées et, je dirais, très exactes. Je pense qu’il y a des leçons à en tirer, c’est certain.

Nous pensons que leur série de tests et les types de tests qu’ils font sont sensés. Il faudrait probablement discuter des seuils, mais c’est vraiment ainsi que ça se fait et c’est la même chose pour les chemins de fer. Le régime ne s’applique pas aux pilotes canadiens qui volent à destination des États-Unis et c’est un problème. Si vous prenez connaissance des rapports du BST, c’est une préoccupation. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Poirier : Pour poursuivre dans la même veine, le Comité de la sécurité nationale et de la défense a entendu l’avocat spécialisé en droit de l’immigration Len Saunders évoquer la possibilité que les États-Unis refusent des gens à la frontière. Est-ce que cela préoccupe vos membres? Est-ce que c’est un problème?

M. MacDonald : Cela nous préoccupe. Nous savons tous à quoi ressemble l’administration américaine de nos jours. Nous avons des différends commerciaux à n’en plus finir, très franchement, et les États-Unis ne voient pas le problème du même œil que le Canada.

Une de nos préoccupations du point de vue commercial était de savoir s’ils allaient faire quelque chose. Nous ne le savons pas. Il est difficile de savoir ce qu’ils vont faire. Je ne pense pas que quiconque puisse le prédire, mais c’est certainement une préoccupation.

La sénatrice Poirier : Dans votre liste de membres, on trouve Postes Canada, Purolator, UPS, toutes ces entreprises qui font la livraison à domicile. Nous savons qu’il y a eu par le passé — et qu’il y en aura probablement de plus en plus avec la légalisation et la commercialisation de la marijuana récréative — des livraisons de marijuana par les employés de ces entreprises.

Voyez-vous un risque supplémentaire pour les employés qui transporteront peut-être une quantité plus grande de marijuana dans leurs véhicules de livraison? Est-ce que cela vous préoccupe ou non?

M. Hynes : Vous parlez de la valeur de ce qu’ils transportent?

La sénatrice Poirier : Oui.

M. Hynes : La question a été soulevée, pas précisément par Postes Canada, mais certainement dans les conversations que j’ai eues avec les employeurs en général, à savoir que cette substance a une certaine valeur. Si on pense par exemple à une charge de semi-remorque qui circule sur l’autoroute, il peut y avoir des questions de sécurité qui entrent en jeu. Alors, le sujet alimente certainement la conversation. Nous ne sommes pas nécessairement venus en discuter aujourd’hui, mais effectivement, j’en ai entendu parler.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Moore. Si j’ai bien compris, la légalisation ne changerait rien parce que les travailleurs fument déjà, mais que le projet de loi conscientisera peut-être les entreprises à la problématique des facultés affaiblies.

Selon M. MacDonald, les pilotes subissent déjà des tests de dépistage d’alcool et certains d’entre eux ont été empêchés de prendre les commandes de leur avion, ce qui me rassure. Toutefois, je suis étonnée parce que si ce n’est que maintenant que la loi conscientisera les employeurs, comment se fait-il que cela n’a pas déjà été fait auparavant? Ai-je mal compris?

[Traduction]

M. Moore : D’après mon interprétation, étant donné que l’alcool est légal depuis de nombreuses années, beaucoup d’employeurs ont l’impression qu’ils ont déjà la situation en main. Ils s’en occupent déjà. C’est de l’histoire ancienne. Or, il ne suffira pas de demander où est le cannabis. C’est du nouveau, là.

En fait, nous sommes d’avis que les employeurs devraient le traiter de la même façon. Le problème, c’est l’affaiblissement des facultés, non pas l’agent qui le provoque. Dans l’ensemble, il s’agit d’adopter de bonnes politiques et de bonnes méthodes, d’amener tous les employés à reconnaître les facultés affaiblies. Nous ne prenons pas position sur la question des tests. Nous comprenons les points de vue des deux camps. Chose certaine, il faut des mesures particulières dans différents secteurs. Le secteur des transports a déjà beaucoup de règles, tout comme les mines, la construction et d’autres secteurs à risque élevé, concernant les facultés affaiblies, les drogues illégales et l’alcool.

Comme je l’ai dit, dans le cas du cannabis, c’est plutôt la crainte — peut-être justifiée — qu’il y ait plus de gens qui pensent que parce que c’est légal, on peut en fumer, en manger et en ingérer comme on veut sur les lieux de travail.

C’est donc vraiment aux employeurs de s’assurer que leurs travailleurs comprennent que ce n’est pas parce qu’on peut acheter du cannabis maintenant que les règles ont changé en milieu de travail.

M. Hynes : J’ai deux ou trois choses à dire au sujet de la documentation que nous vous avons distribuée. À la page 6 de notre exposé, vous trouverez des statistiques provenant du Colorado. Elles montrent le changement survenu dans la consommation après que la marijuana a été légalisée à des fins récréatives dans cet État.

Vous verrez que dans tous les cas, le Colorado, qui se situait quelque part entre la huitième et la quatorzième position aux États-Unis, est passé à la première ou à la deuxième au chapitre des habitudes de consommation.

Je suis d’accord avec mon collègue pour dire que les Canadiens et les Américains ne sont pas pareils, mais nous pensons qu’il y a des leçons à tirer de cette expérience. Si, après la légalisation à des fins récréatives, les habitudes de consommation ont changé de façon appréciable aux États-Unis, la même logique, à notre avis, doit s’appliquer au Canada. Nous pensons que le problème sera encore plus grave.

La deuxième chose concerne les drogues par rapport à l’alcool. Je pense qu’il est juste de dire que les employeurs se sentent un peu plus à l’aise dans le domaine de l’alcool. L’alcool se prête mieux aux tests de dépistage pour motif raisonnable, parce qu’on peut le sentir, on peut voir les yeux injectés, les difficultés d’élocution. Nous sommes habitués à côtoyer des gens intoxiqués par l’alcool. C’est différent dans le cas des drogues; on ne sait pas toujours. Voici ce que j’ai entendu de la part des gens qui font des tests : les tests menés pour motif raisonnable révèlent souvent la présence d’alcool. Vous soupçonnez que quelqu’un est sous l’influence de l’alcool. Vous faites un test. Le plus souvent, c’est de l’alcool qu’on dépiste. Les tests aléatoires, eux, révèlent le plus souvent la présence de drogues, parce qu’on ne peut pas les voir; elles ne sont pas visibles.

Voilà les préoccupations que nous avons en tant qu’employeurs. Nous pensons vraiment que les choses vont changer. Oui, il y a déjà des outils en place pour gérer la marijuana, mais lorsqu’elle sera légalisée, nous verrons un changement qui demeure inconnu pour l’instant, mais les données sont assez claires.

M. Yussuff : Je tiens à dire, devant cette crainte de fin du monde imminente qui se répand chez les employeurs, que mon ami n’a pas encore parlé des mesures qu’ils prennent pour s’assurer que tous leurs employés sont parfaitement au courant qu’il est toujours illégal de consommer de la marijuana quand on s’en vient travailler. À moins d’avoir des raisons médicales, on n’a pas le droit de le faire.

Il importe également de souligner que ce que les employeurs n’ont pas réussi à obtenir de la Cour suprême, ils essaient maintenant de dire aux législateurs — y compris aux sénateurs ici présents aujourd’hui — de le faire en leur nom. La réalité, c’est qu’il s’agit toujours d’une substance illégale à consommer lorsqu’on s’en va travailler. Au fond, il n’y aura rien de changé demain matin ou la semaine prochaine, ou peu importe quand ce sera légal. Il faut rappeler aux gens que le fait que ce ne soit pas illégal et que vous n’aurez pas de casier judiciaire si vous en achetez ou en consommez ne signifie pas que vous pouvez venir travailler avec des facultés affaiblies.

Nous devons marteler ce message pour que les travailleurs en soient beaucoup plus conscients, au même titre que leurs supérieurs qui ont la responsabilité et le rôle de veiller à ce que tout le monde s’y conforme dans le milieu de travail.

Le président : Désolé, votre temps est écoulé. Nous devons avancer.

Le sénateur Munson : Merci d’être ici. Aux fins du compte rendu, vous avez parlé d’une décision partagée de la Cour suprême. Partagée signifie habituellement 5 voix contre 4. Dans ce cas-ci, c’était 6 contre 3. Je le signale en passant, pour mémoire.

Entre vous deux… Je ne dirais pas adversaires, mais il y a certainement une différence de points de vue, comme nous le voyons ici ce matin. Monsieur Yussuff, j’ai été témoin de nombreux conflits de travail et en définitive, chacun veut y trouver son compte et il faut un certain temps pour arriver à un compromis avec l’employeur.

Tout d’abord, une chose m’intrigue : les critères qui sous-tendent les tests aléatoires. Si quelqu’un dans une ville dit qu’il a vu un tel fumer beaucoup de drogue et que c’est son style de vie, et cetera, est-ce que vous allez cibler ce genre de personne? Comment cet aspect-là fonctionne-t-il?

Mon autre question est plus vaste. Aucun d’entre nous ne veut du statu quo, alors y a-t-il moyen de trouver un compromis entre l’employeur et le syndicat et d’arriver à une formulation qui dirait, sans nécessairement employer ces mots, que les tests aléatoires l’emportent sur la protection de la vie privée? Je ne le pense pas, mais il faut quand même qu’il y ait quelque chose en place. Vous parlez des législateurs et des tribunaux qui essaient de rendre des décisions, mais il vous incombe certainement d’arriver avec une solution aussi.

M. Yussuff : Nous sommes persuadés qu’il existe un juste milieu. La Cour suprême a énoncé les trois critères que, à son avis, les employeurs peuvent utiliser dans le contexte du dépistage des drogues, mais cela ne peut pas être simplement aléatoire. Bien entendu, les employeurs ont fait valoir qu’il faut que ce soit aléatoire, parce que c’est la seule façon d’avoir un régime efficace en milieu de travail.

Au bout du compte, nous croyons que les tribunaux ont trouvé un juste milieu qui respecte le droit à la vie privée et, bien sûr, la Charte des droits et libertés. Je pense que, dans l’ensemble, si un employeur agissait à l’intérieur des balises établies par la Cour suprême, nous ne serions pas ici à discuter de la nécessité de faire quoi que ce soit. Les tribunaux ont déjà dit qu’il y a des circonstances dans lesquelles on peut faire certaines choses; voici quelles sont ces circonstances et vous devriez vous en inspirer pour la suite des choses.

Le président : Monsieur MacDonald, si vous êtes d’accord, sénateur Munson?

Le sénateur Munson : Oui, bien sûr.

M. MacDonald : Merci de votre question. Mon collègue, aussi aimable que je le trouve aussi, fait allusion à… Soit dit en passant, je travaille pour le groupe Irving, alors l’affaire Pâtes et Papier Irving était la nôtre, en fin de compte. J’étais là. J’ai assisté à l’audience de la Cour suprême et à la décision.

Mon collègue aura beau continuer d’affirmer que cette cause portée devant la Cour suprême règle la question une fois pour toutes et qu’il n’y en a pas d’autres qui s’appliquent en la matière, eh bien, il y en a des tonnes d’autres et elles vont dans tous les sens. Tout dépend de l’arbitre qui entend la cause. Les décisions concernant la TTC en Ontario sont très différentes de celle rendue par la Cour suprême du Canada.

Une des choses que nous dirions, sénateur, c’est que cela met le problème en évidence. Nous pouvons tous dépenser beaucoup d’argent pour arbitrer des causes dans toutes les instances possibles à travers le pays et obtenir des résultats différents selon l’arbitre ou le juge, ou nous pourrions nous donner, comme d’autres organisations et d’autres administrations l’ont fait, des lois ainsi faites que tout le monde comprend les règles et joue selon les mêmes règles.

Nous sommes en faveur de cela. Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire à partir d’une seule décision de la Cour suprême du Canada.

Pour en venir à votre question sur les tests aléatoires, ils sont déterminés par un programme informatique. C’est vraiment aléatoire. On inscrit les noms dans un programme informatique. Disons que vous avez 100 personnes et que vous en testez 10 p. 100, le programme vous sortira 10 noms au hasard et ce sont ces personnes-là qui seront testées.

Si vous faites des tests mensuels, vos 100 noms sont reversés dans le programme, alors une personne peut être choisie trois fois de suite ou ne pas être choisie du tout. Pour que vous compreniez bien, c’est ainsi que les tests aléatoires fonctionnent en général. C’est vraiment du hasard.

M. Yussuff : Je tiens à préciser que la décision dans l’affaire de la TTC est provisoire. La procédure suit son cours et la question n’est pas encore réglée.

Le président : J’aimerais tirer une chose au clair. Dans le cas de la TTC, la Toronto Transit Commission, la décision a-t-elle été imposée par la direction ou a-t-elle fait l’objet d’une entente avec le syndicat?

M. Yussuff : Elle a été imposée par la direction.

Le président : D’accord. Poursuivons.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup. J’aimerais d’abord dire un mot sur ce document, qui nous vient de l’ETCOF ou du groupe de l’énergie — je ne sais pas très bien qui l’a distribué —, mais il s’agit des statistiques en provenance de la zone des Rocheuses où on enregistre un fort trafic de stupéfiants.

Permettez-moi de répéter que les données de sources différentes révèlent des choses différentes. Je cite la National Survey on Drug Use and Health des États-Unis, qui fait autorité dans le monde entier. On a constaté qu’au Colorado, la proportion de jeunes de 12 à 17 ans qui consomment du cannabis chaque mois est passée de 11 à 9 p. 100. C’est simplement pour vous dire que nous avons affaire à beaucoup de données et que rien n’a l’air de correspondre.

Cela dit, ma question s’adresse à la coalition des employeurs et à M. Yussuff. Vous avez déjà des pratiques et des politiques en place pour vous assurer que vos gens, lorsqu’ils montent dans l’avion, dans le camion ou dans le train, ne sont pas en état d’ébriété. Vous avez déjà de ces politiques.

Malgré tout ce que nous pouvons entendre, je pense que nous sommes assez sûrs d’être en sécurité lorsque nous montons à bord d’un avion, à moins de circonstances exceptionnelles. Je ne crois pas que l’usage de drogues en milieu de travail passera de nul à excessif, parce que vous avez déjà vos politiques et vos pratiques.

Vous pourriez peut-être me dire, d’abord les gens d’ETCOF, si elles contribuent effectivement à notre sécurité. Ne parlons pas des correctifs législatifs que vous avez proposés, mais des politiques et des pratiques en vigueur. Sont-elles efficaces? En quoi consistent-elles?

Monsieur Yussuff, de votre point de vue également, les politiques et les pratiques actuelles sont-elles efficaces pour assurer notre sécurité?

Le président : Commençons par M. Hynes ou M. MacDonald.

M. Hynes : Oui, je ne tiens pas à passer ici pour un alarmiste. Les employeurs, comme nos amis des syndicats, prennent très au sérieux la sécurité en milieu de travail. C’est très important et c’est pourquoi les employeurs ont mis en place de nombreuses politiques à ce sujet.

La plupart des grands employeurs ont des politiques relatives à la consommation d’alcool et de drogues en milieu de travail. Nous avons bien quelques préoccupations, que nous avons déjà soulevées. La première est que les règles sont encore floues. Je ne suis pas d’accord avec mon ami; je ne pense pas que la Cour suprême ait vraiment réglé tout cela pour nous. Voilà un premier problème.

Deuxièmement, nous pensons qu’il y aura un changement de comportement. Je crois que le gouvernement l’a reconnu avec son projet de loi C-46. Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-45, il a déposé en même temps son complément, le projet de loi C-46, qui améliorait grandement la capacité des agents de la paix de gérer les facultés affaiblies lors de contrôles routiers. Il faut partir d’un postulat et, pour moi, ce postulat est que la consommation va augmenter. Il faudra de meilleurs outils aux agents de la paix pour y faire face. Nous pensons que la même logique s’applique en milieu de travail.

M. Yussuff : Nous avons un régime de santé et de sécurité assez solide dans tout le pays; les syndicats et les employeurs sont très consciencieux à cet égard. D’ailleurs, le 28 avril, dans quelques jours, sera une journée nationale en l’honneur de ceux et celles qui ont été blessés ou tués au travail partout au pays. Je pense pouvoir dire que nous avons un bon régime. En tout cas, au niveau fédéral, nous avons travaillé très fort pour nous assurer que les régimes en place sont efficaces et qu’ils offrent donc un milieu de travail sécuritaire aux employés.

Je ne souscris pas au point de vue que claironnent mes collègues du côté patronal — je le dis en tout respect —, selon lequel la consommation va augmenter et que les gens vont abuser de la relation patronale-syndicale en arrivant au travail avec les facultés affaiblies parce que le cannabis récréatif sera devenu légal. Je ne suis pas d’accord.

Oui, certains d’entre nous vont sortir et si vous n’avez pas encore essayé un joint, vous voudrez peut-être aller voir si c’est bien ce qu’on en dit. À un moment donné, vous vous direz : « Je peux aller prendre de l’alcool aussi bien que du cannabis », comme c’est déjà le cas pour certaines personnes.

À mon avis, nous avons un bon régime au Canada. Il faudra cependant continuer d’éduquer les travailleurs. Les employeurs ont un rôle important là-dedans, comme les syndicats et les travailleurs, pour assurer que la règle ne change pas : on ne peut pas se présenter au travail avec des facultés affaiblies et s’imaginer que maintenant que c’est légal, on peut être là et exercer ses fonctions.

Pour ce qui est de la conduite automobile, les agents de la paix doivent avoir un motif raisonnable pour arrêter quelqu’un et lui faire passer un test. C’est la différence fondamentale au regard de la loi. Nous ne renonçons pas à notre droit à la vie privée ou à nos droits constitutionnels parce que le gouvernement s’apprête à adopter une loi qui va effacer les casiers judiciaires de je ne sais combien de personnes dont le seul tort a été de fumer un joint. Je pense qu’il faut mettre les choses en perspective.

Je vous exhorte, mesdames et messieurs du Sénat, à recommander au gouvernement qu’il prévoie des dispositions exigeant des parties concernées un effort de sensibilisation accrue dans les milieux de travail de compétence fédérale et qu’il encourage ses homologues des provinces et des territoires à faire de même.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous de votre présence et de votre témoignage. Certaines des questions que je voulais poser ont déjà été posées, alors je vais approfondir un peu.

Il y a d’abord toute la question des tests aléatoires. Dans beaucoup de vos réponses, vous semblez insister davantage sur la consommation de drogue que sur les facultés affaiblies par la drogue. Monsieur Moore, en réponse à une question, vous en avez parlé précisément. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Une bonne partie de la discussion semble porter sur la consommation et non sur l’affaiblissement des facultés. Qu’en est-il au juste?

M. Moore : C’est une très bonne question. Comme je l’ai dit, la position de mon organisme est que les employés doivent être en mesure de travailler en sécurité, ce qui nous ramène à l’affaiblissement des facultés.

D’après toutes les recherches que nous avons menées, les sources publiques de renseignements et les recherches disponibles, nous croyons comprendre que la question du dépistage est un débat stérile. En fait, c’est ainsi que nous voyons les choses, puisqu’il ne s’agit pas de vérifier si vous avez du THC dans le sang, mais bien de savoir si vous êtes capable de faire votre travail en toute sécurité.

Donc, dans l’ensemble, ce n’est pas comme s’il y avait un test de dépistage unique parce que, comme nous l’avons vu, le test de dépistage est raisonnablement clair pour l’alcool, mais il ne l’est pas pour le cannabis. Comme quelqu’un ici l’a mentionné, il n’y a rien au sujet des comprimés de Tylenol 3 ou des médicaments contre la toux en vente libre qui contiennent de la codéine, ce genre de choses, qui sont tous des agents qui nuisent à la sécurité au travail et qui revêtent une importance égale à cet égard. Donc, de notre point de vue, nous mettons l’accent sur l’affaiblissement des facultés par opposition à l’utilisation.

Je dirais qu’il y a trois catégories de consommateurs de cannabis. Il y a le consommateur occasionnel, qui consomme de temps en temps, quand quelqu’un lui en offre lors d’une fête de fin de semaine, ou qui l’essaie pour la première fois. Il y a des consommateurs de marijuana à des fins médicales, et l’on a déjà dit que ce type de consommation est reconnu comme une mesure à laquelle les employeurs sont tenus de s’adapter. Donc, si une personne occupe un poste à risque élevé en matière de sécurité et qu’elle consomme de la marijuana à des fins médicales, il faut déterminer si ses facultés sont affaiblies. La troisième catégorie est celle des utilisateurs chroniques — je veux utiliser la bonne terminologie ici, mais il s’agit des personnes ayant développé une dépendance. Il s’agit également d’une catégorie de personnes que les employeurs sont tenus d’accommoder. La dépendance à l’égard de la marijuana est considérée aux yeux de la loi comme une incapacité et, en conséquence, l’employeur doit prendre des mesures d’adaptation.

La consommation de drogues comporte divers aspects. Le dépistage aléatoire d’un utilisateur occasionnel qui a consommé une fois dans sa vie à une fête de fin de semaine peut être positif. Ensuite, un utilisateur chronique peut avoir encore du THC dans le sang deux ou trois mois après avoir fumé pour la dernière fois. Comme je l’ai dit, cela arrive parfois. Il y a aussi les utilisateurs à des fins médicales et ceux qui ont développé une dépendance. Ils sont traités un peu différemment.

La question sous-jacente, de notre point de vue, dans le milieu de travail est la suivante : la personne qui se présente au travail dans un poste à risque élevé en matière de sécurité peut-elle faire son travail ce jour-là?

La façon générale d’aborder la question consiste à adopter des politiques et des procédures, à faire de l’éducation, à s’assurer que tout le monde est formé pour reconnaître les facultés affaiblies et être à l’affût, tout comme les employés sont formés pour être à l’affût d’autres dangers pour la sécurité.

La sénatrice Bernard : Me reste-t-il du temps?

Le président : Il vous reste 30 secondes. Question rapide.

La sénatrice Bernard : Je vais donc passer au deuxième tour, si vous le voulez bien.

Le président : Nous en sommes au deuxième tour? En effet. Comme le premier tour est terminé, je vais autoriser une question.

Je vais céder la parole à M. Moore. Nous avons entendu les opinions divergentes des représentants des employés et des représentants des employeurs. Nous avons aussi vu qu’ils s’entendent très bien. Pourquoi les employeurs et les employés ne pourraient-ils donc pas s’entendre sur un protocole, des politiques, sans que le gouvernement ait à intervenir par voie législative ou réglementaire? Qu’en pense votre organisation, monsieur Moore?

M. Moore : Comme je l’ai mentionné, nous ne prenons pas position sur les tests de dépistage en soi. Nous voyons les deux revers de la médaille. Nous sommes aussi une organisation tripartite en ce sens qu’un de nos gouverneurs est à la table. Notre point de vue concilie donc très bien les préoccupations du gouvernement, de l’employeur et du syndicat.

Nous essayons d’examiner la situation du point de vue de ce qui va assurer la sécurité des travailleurs et de ce qui va aider l’employeur à offrir un milieu de travail sain et sécuritaire.

D’après notre examen de toutes les recherches disponibles publiquement — nous ne testons pas les gens ou quoi que ce soit du genre, nous sommes un établissement tertiaire —, étant donné que les tests sont incertains à ce stade-ci et que l’affaiblissement des facultés peut être causé par de nombreuses sources, la meilleure façon de s’assurer que les travailleurs sont en sécurité et que l’employeur fait de son mieux et fait preuve de diligence raisonnable pour assurer un milieu de travail sécuritaire consiste à faire observer de saines politiques et directives, et à offrir de bons programmes d’éducation et de formation sur l’affaiblissement des facultés.

Tout cela se trouve déjà, si ce n’est pas directement dans les lois de certaines provinces, indirectement dans toutes les lois sur la santé et la sécurité au travail, en ce sens que l’employeur est tenu d’assurer un milieu de travail sain et sécuritaire. Certains précisent expressément qu’il est interdit de consommer des drogues ou de l’alcool et d’autres ne le font pas, mais ils sont quand même couverts par cette obligation générale d’offrir un milieu de travail sain et sécuritaire. Je veux dire par là que mon organisation ne ressent pas particulièrement le besoin particulier de règlements supplémentaires dans ce domaine, mais considère plutôt qu’il faut s’assurer d’avoir de saines politiques et procédures, et un bon programme d’éducation.

La sénatrice Seidman : C’est intéressant, parce que j’allais parler de cette obligation législative d’un employeur. C’est vous, monsieur Elliott, qui en avez parlé dans votre mémoire. Vous avez dit que les employeurs du secteur pétrolier et gazier ont d’importantes obligations législatives pour assurer la sécurité de leurs travailleurs, y compris le maintien d’un milieu de travail sécuritaire. Vous avez dit que le Code criminel impose aux employeurs l’obligation d’assurer la sécurité au travail. Vous avez ajouté que vous craignez que la légalisation de la marijuana à des fins récréatives ne rende ces obligations plus difficiles à remplir.

J’aimerais vous entendre parler, et peut-être que je pourrais ensuite entendre M. Hynes à ce sujet, des défis auxquels votre industrie fait face pour ce qui est de surveiller l’affaiblissement des facultés sur le lieu de travail. Pourriez-vous m’en dire davantage à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Elliott : C’est une très bonne question, sénatrice. Le problème avec la surveillance, c’est que nous avons un certain nombre d’outils différents pour essayer de la gérer, y compris l’éducation. En assurant la formation de personnes capables de reconnaître les facultés affaiblies, nous aidons les superviseurs et les travailleurs à mieux connaître et comprendre cet affaiblissement. Nous disposons ensuite d’une série d’outils que tout le monde peut mettre en place, y compris des tests préalables à l’emploi, des tests pour motif valable et des tests post-incident, et notre modèle comporte aussi des tests aléatoires. Cela se fait dans le cadre d’une vaste collaboration à laquelle contribuent aussi les syndicats.

C’est à chaque employeur de décider d’utiliser ou non ces outils. Sur le terrain toutefois, il s’agit de sensibiliser les gens et de faire des tests. Nous savons que les données scientifiques ne sont pas parfaites en ce qui concerne les tests; il faut se fonder sur le risque. Il faut appliquer des critères. Les critères sont énoncés dans le modèle que nous avons pour chaque substance, qu’elle soit légale ou illégale, en fonction du risque, pour préciser qu’au-delà d’un certain niveau, il y a un risque élevé que la personne ait les facultés affaiblies. Les données scientifiques ne seront jamais parfaites à cet égard, pas avant très longtemps. Même pour l’alcool, après toutes ces années, le test de dépistage n’est pas parfait, mais il y a une probabilité raisonnable qu’au-delà d’un certain seuil, quelqu’un ait les facultés affaiblies. Voilà le genre d’outils dont nous disposons. Nous interdisons l’alcool ou les drogues illégales de toutes sortes sur tous nos lieux de travail. Nous faisons tout, même en utilisant des chiens détecteurs de drogue, pour nous assurer que les véhicules et le matériel transportés sur les lieux ne transportent pas de substances illicites. L’on y consacre beaucoup d’énergie pour s’assurer de protéger les gens et le public contre les risques.

La sénatrice Seidman : Vous craignez qu’il soit de plus en plus difficile de vous acquitter de vos obligations à titre d’employeur?

M. Elliott : Cela met assurément en évidence une lacune qui existe déjà, et qui risque d’empirer. Voilà le risque réel.

M. Hynes : Je vais demander à M. MacDonald de donner plus de détails sur le milieu de travail. Pour ce faire, la partie II du Code canadien du travail porte sur la santé et la sécurité au travail dans le secteur fédéral. À cela s’ajoute le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, qui compte quelque 250 pages. Dans ce cas, c’est le gouvernement qui réglemente la sécurité. Comme employeurs, nous avons la responsabilité de nous conformer à la loi et aux règlements.

Les règlements sont très précis. On y indique le genre de formation en secourisme qui est exigé, l’endroit où l’extincteur doit se trouver dans la salle, et ce genre de détails, mais rien à ce sujet. C’est une lacune énorme. Chris peut vous expliquer comment cela se passe dans le milieu de travail.

M. MacDonald : Honorable sénatrice, c’est une bonne question. À titre d’employeur, comme pour bien d’autres choses, il faut soupeser les intérêts de chacun. En ce qui concerne cette question particulière, que vous releviez de la réglementation provinciale ou fédérale, il s’agit d’une loi sur la santé et la sécurité au travail et de l’obligation de fournir un milieu de travail sécuritaire, et cette obligation incombe à l’employeur. En revanche, nous devons composer avec la Loi sur les droits de la personne. Nous sommes donc parfois tenus de prendre des mesures d’adaptation, et nous prenons cette obligation au sérieux. Nous sommes toujours mis au défi de fournir un milieu de travail sécuritaire. En fin de compte, c’est notre devoir.

Le problème, c’est que cela devient plus difficile à mesure que la consommation augmente. Encore une fois, quelqu’un a fait valoir que l’alcool est plus facile à détecter. Les drogues sont plus difficiles, et ce qui nous préoccupe — et je dois aborder ce point parce que j’essaie d’y arriver depuis un certain temps —, c’est que nous avons beaucoup entendu parler d’éducation, et c’est très bien. Nous faisons beaucoup d’éducation. Il ne fait aucun doute que les gens comprennent que nous avons des politiques claires à ce sujet, mais si l’éducation était la panacée, pourquoi 43 pilotes en Inde auraient-ils obtenu un résultat positif à des tests aléatoires de dépistage de l’alcool? Pourquoi les tests de 10 pilotes ont-ils donné des résultats positifs aux États-Unis? Même si elles sont éduquées, certaines personnes ne respectent pas les règles. C’est aussi simple que cela.

Le projet de loi met en place des freins et contrepoids. Je ne suis pas d’accord avec M. Moore pour dire que… c’est vrai, il faut davantage d’éducation — nous sommes d’accord pour qu’il y en ait davantage, mais cela forme un tout. Nous demandons aux gens de se manifester volontairement. Nous leur offrons des possibilités d’éducation. Il pourrait s’agir d’une évaluation confidentielle. Nous faisons tout cela, mais il se produit tout de même des choses. Il ne devrait y avoir aucun résultat positif si l’éducation était la panacée, mais ce n’est pas le cas. C’est pourquoi nous avons besoin de tests.

La sénatrice Petitclerc : Je vais poursuivre sur la question de l’éducation.

M. MacDonald : J’ai dit ce que j’avais à dire.

La sénatrice Petitclerc : Je n’ai trouvé cette réponse nulle part parce que, bien entendu, nous avons beaucoup parlé d’éducation. Dans le cadre de ce comité, nous entendons souvent parler de l’impact de l’éducation et des résultats que nous obtenons grâce à l’éducation sur le plan de nombreux comportements et situations en société. La seule chose à laquelle je n’arrive pas à trouver la réponse, c’est lorsque je regarde l’investissement du gouvernement, et les fonds qui ont déjà été engagés en matière de sensibilisation et d’éducation, je vois des fonds pour la santé mentale, pour les jeunes, pour la recherche, mais je ne trouve rien qui soit consacré à la santé et à la sécurité, aux lieux de travail et aux employeurs. Peut-être, ai-je simplement mal vu?

Monsieur Moore, avez-vous la réponse? Si votre secteur n’a pas reçu ce financement, croyez-vous qu’il devrait le recevoir?

M. Moore : Il y a beaucoup de programmes gouvernementaux d’éducation et de formation en matière de santé et de sécurité. Pour prendre mon propre organisme comme exemple, c’est une grande partie de notre mandat — l’éducation et l’information. Nous recevons environ la moitié de notre financement du gouvernement fédéral. Donc, de façon générale, nous recevons des fonds pour offrir des programmes d’éducation et de formation sur la sécurité au travail, mais rien de précis sur l’affaiblissement des facultés ou le cannabis. Habituellement, lorsqu’un changement législatif important a des répercussions profondes sur le milieu de travail, l’on élabore un programme important. Comme je l’ai déjà mentionné, avec le Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail, le SIMDUT, il y a eu un grand changement dans la façon dont les produits chimiques dangereux sont identifiés et dans la façon dont les travailleurs doivent être formés pour des situations comme celle qui a été observée en 2015. Il y a eu des années de préparation. Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, mon organisation, a collaboré avec Santé Canada, et nous avons reçu du financement de Santé Canada afin d’élaborer des programmes pour les milieux de travail.

Jusqu’à maintenant, je n’ai rien entendu de tel au sujet du cannabis ou de l’affaiblissement des facultés. Oui, il y a beaucoup d’initiatives en matière de santé mentale, de violence, de sensibilisation des jeunes, et ainsi de suite, mais je n’ai pas entendu parler de l’affaiblissement des facultés.

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Yussuff?

M. Yussuff : Le point que vous soulevez est très précis. En n’octroyant pas de ressources supplémentaires, par l’entremise du CCHST à titre d’organisme tripartite, le gouvernement a omis de redoubler d’efforts dans ce domaine particulier. Je pense que c’est nécessaire. En toute franchise, même si nous considérons qu’il s’agit du continuum de l’effort permanent de prévention, il y a une prise de conscience accrue en raison de la nouveauté sur le point de se produire et du fait que les gens doivent comprendre la complexité, mais aussi la légalité de ce qui sera permis dans le milieu de travail.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. J’aimerais poursuivre un peu dans la même veine que la sénatrice Petitclerc. Nous avons beaucoup entendu parler aujourd’hui de la grande industrie, des grandes entreprises, mais je m’inquiète de ce qui se passe dans les petites entreprises et même dans l’entreprise privée, parce qu’un grave problème risque aussi de se produire si quelqu’un qui est chargé de resserrer les boulons de ma voiture manque de concentration et que je perds soudainement une roue à haute vitesse sur l’autoroute. Qui est alors responsable?

Je ne sais pas qui devrait répondre à cette question. J’aimerais peut-être avoir quelques commentaires de M. Elliott, parce que si l’on pense aux pipelines — et j’y pense beaucoup ces temps-ci —, vous devez être très, très sûr de ce que vous faites quand vous construisez et soudez ce pipeline, et ce n’est pas nécessairement un danger pour la santé, mais c’en est un pour l’environnement finalement.

Quelles sont les obligations d’un employeur et quels sont ses droits? Que peut-il faire, s’il soupçonne — et s’il n’est qu’un petit entrepreneur — que son employé n’est plus apte à faire son travail au niveau de confiance, exigé, et quels sont ses droits? Que faites-vous dans le cas des très petites entreprises?

M. Elliott : Merci de votre question, sénatrice. Dans le cadre de notre travail comme organisme chargé de la sécurité énergétique dans l’industrie pétrolière et gazière, nous appuyons des organisations de toutes tailles, et même des organisations individuelles ou de petits employeurs, de 20 personnes jusqu’à des milliers d’employés.

Bon nombre de nos outils sont développés conjointement avec de nombreux acteurs différents, de sorte que nous avons un modèle canadien pour l’alcool et les drogues. Des employeurs de toutes catégories peuvent s’en servir afin de savoir exactement quoi faire et comment le faire. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est de l’adapter à leur organisation en particulier et à la façon dont ils veulent procéder.

Il existe donc des outils. Leur obligation légale, en tant qu’employeur, est la même que celle d’une organisation de toute autre taille. Ils composent avec cela maintenant, qu’il s’agisse de substances illégales ou légales. Ils doivent disposer des bons outils pour gérer le risque. C’est une occasion pour tout le monde de repartir à neuf, de réfléchir à ce qu’ils font et de s’assurer qu’ils informent leurs employés que même si l’affaiblissement des facultés ne sera jamais acceptable, il ne le sera pas plus à l’avenir, simplement parce que le cannabis deviendra légal.

La sénatrice Raine : Même si quelqu’un n’est pas membre de votre organisation, un petit entrepreneur qui exploite un garage, par exemple, peut-il avoir accès à votre trousse d’outils comme point de départ?

M. Elliott : Le modèle, sur la consommation d’alcool et de drogues, créé conjointement avec la Construction Owners Association of Alberta est accessible au public sur l’un ou l’autre de nos sites web. Nous sommes sur le point de publier une mise à jour, juste avant l’adoption de ce projet de loi.

La sénatrice Raine : Pourriez-vous fournir à notre greffière un lien vers cette version mise à jour, afin que nous puissions contribuer à en faire la promotion? Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Mes questions seront très brèves. J’aimerais que les témoins répondent brièvement afin que nous puissions passer à d’autres questions.

Mais auparavant, j’aimerais clarifier la question du vol à Postes Canada. Postes Canada livre du cannabis à 200 000 utilisateurs à des fins médicales, partout au pays. Il n’y a eu aucun problème à cet égard.

Ma question s’adresse à M. Yussuff. L’ETCOF a déclaré que le gouvernement devrait retarder la légalisation de la marijuana jusqu’à ce que les experts s’entendent sur un test normalisé de dépistage d’affaiblissement des facultés par la marijuana. Quelle est votre position à ce sujet?

M. Yussuff : Je ne suis pas d’accord pour que le gouvernement retarde sa décision. Je crois que cette question a été soulevée lors des dernières élections et qu’elle a certainement été discutée auprès des partis politiques qui faisaient campagne pour gouverner le pays. Elle a été débattue au Parlement. Le Sénat en est maintenant saisi. Rien n’a changé. Les Canadiens veulent que nous adoptions le projet de loi pour légaliser cette substance à des fins récréatives.

Oui, il y aura une évolution des lois dans ce pays, et là où j’estime qu’il existe une lacune, bien sûr, nous allons nous en occuper. Nous ne croyons pas qu’il y ait une lacune dans le régime de santé et de sécurité au niveau fédéral.

M. Hynes : Je veux simplement rétablir les faits. Le mémoire que nous avons présenté au groupe de travail remonte à près de deux ans. Nous en étions aux toutes premières étapes de la discussion sur la légalisation de la marijuana.

Comme je l’ai dit aujourd’hui, nous acceptons l’idée que la légalisation de la marijuana est pour bientôt. Nous aimerions que des amendements soient apportés au projet de loi pour tenir compte des préoccupations que nous avons soulevées.

La sénatrice Omidvar : Une question rapide, monsieur Hynes. Vous avez une foule d’employeurs membres. Vos consultations ont-elles également été menées auprès de vos travailleurs membres?

M. Hynes : Non. Les consultations que nous avons menées concernent les employeurs membres de notre organisation.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Hynes, encore une fois, vous avez dit qu’il faut tenir compte de nombreux facteurs lorsqu’on élabore un document de principe comme le vôtre. Vous avez recommandé que soit retardée l’adoption de la loi. Est-ce que je dois comprendre que vous n’êtes plus en faveur de retarder l’adoption de la loi?

M. Hynes : Ce que je dis, c’est que la communauté des employeurs est pleinement consciente de l’imminence d’une loi. Si celle-ci était retardée pour permettre de régler certains problèmes, nous ne nous y opposerions pas. Ce n’est pas une bataille que nous tenons à mener. Nous reconnaissons que la légalisation s’en vient, mais nous aimerions que des amendements soient proposés au projet de loi pour donner suite aux préoccupations que nous avons soulevées.

La sénatrice Omidvar : Vous ne tenez pas, à tout prix, à ce report. Ai-je bien compris?

M. Hynes : C’est exact.

La sénatrice Omidvar : Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je ne sais pas qui pourra répondre à ma prochaine question. Je comprends que l’employeur d’une personne qui consomme de la marijuana à des fins médicales peut essayer de trouver une façon, étant donné que les tests ne sont pas vraiment fiables, de le transférer à un poste moins dangereux ou à risque.

Prenons l’exemple de quelqu’un qui est rendu à l’étape de consommer de la marijuana à des fins médicales — donc, qui a déjà un problème de santé qui le rend moins apte à occuper certains postes — et que son employeur, par humanité ou pour respecter sa vie privée, le laisse travailler. Dans ce cas, il serait donc possible que l’employé ait de la marijuana dans son système, mais, comme les tests ne sont pas fiables, on ne peut pas savoir s’il est apte à accomplir sa tâche.

Cela m’inquiète. Pas vous?

[Traduction]

M. Moore : Les gens consomment de la marijuana à des fins médicales pour un certain nombre de raisons. Pour certains, cela peut être un moyen de combattre une douleur chronique et, une fois le problème géré, la personne est capable de bien s’acquitter de ses fonctions. Si ces personnes ne consommaient pas de marijuana à des fins médicales, leur état de santé pourrait les distraire et les empêcher de travailler en toute sécurité.

Pour quelqu’un qui consomme de la marijuana à des fins médicales, il faut d’abord qu’il y ait une discussion entre l’employeur et l’employé sur la façon dont les choses vont se passer.

Un employeur peut toujours dire qu’il applique la tolérance zéro à l’égard du cannabis en milieu de travail. Si votre test donne un résultat positif, vous ne pouvez pas occuper le poste convoité. Mais cela doit commencer par un dialogue et par une tentative d’en arriver à une entente mutuellement acceptable. Par exemple, une personne qui consomme de la marijuana à des fins médicales doit en prendre un peu la nuit pour mieux dormir, parce qu’elle souffre de douleurs chroniques, mais ses facultés ne sont pas affaiblies le lendemain matin. Également, une certaine forme de marijuana utilisée à des fins médicales a une teneur plus élevée en CBD, qui est le produit chimique médicinal, et plus faible en THC, qui est le produit chimique affaiblissant les facultés, et c’est donc très compliqué à départager.

Cela doit commencer par un dialogue, et si l’utilisateur de marijuana à des fins médicales divulgue son utilisation à l’employeur, les deux doivent trouver une façon qui permettra à l’employé de fonctionner de façon sécuritaire. Cela peut être plus ou moins facile.

La sénatrice Bernard : Je veux revenir sur un commentaire que vous avez fait plus tôt, monsieur MacDonald, en réponse à une question. Je veux parler de toute cette notion de dépistage aléatoire et déterminer à quel point c’est aléatoire.

L’une des choses qui me viennent à l’esprit, c’est que nous connaissons le profilage racial et d’autres types de profilage liés à cette notion de caractère aléatoire. Vous expliquez très clairement comment les tests aléatoires sont effectués. J’ai bien aimé entendre cela. Je me demande si c’est généralisé. Est-ce que tout le monde fait des tests aléatoires de cette façon? Y a-t-il un risque de profilage?

M. MacDonald : Merci de votre question. Je ne suis pas un expert des tests aléatoires en soi. Je les connais parce que notre organisation en fait depuis 1995. Il y a des protocoles et des logiciels établis qui permettent de les faire. Ce que je sais, et c’est le cas pour la plupart des entreprises à qui j’ai parlé, c’est qu’il s’agit vraiment de tests déterminés par un programme informatique.

Il est certain que dans notre organisation, le tour de certains cadres revient plus souvent, et quelques-uns commencent à se poser des questions, mais c’est vraiment aléatoire. Des noms reviennent plus souvent. Avec ces programmes, votre nom peut sortir trois fois de suite. C’est ce que nous avons constaté avec les programmes informatiques. Je crois savoir que des entreprises que je connais utilisent un type de programme semblable, alors il n’y a pas de profilage racial. Il n’y a pas d’autres conclusions à tirer en ce sens. Le programme est simplement généré par ordinateur.

La sénatrice Bernard : Est-ce le cas partout dans l’industrie?

M. MacDonald : Pour autant que je sache, oui, mais je ne peux pas parler au nom de toute l’industrie.

M. Elliott : Dans le cadre de mon emploi précédent, je travaillais pour une grande société pétrolière et gazière internationale active dans de nombreux pays. J’ai donc travaillé un certain nombre de fois aux États-Unis et à des endroits où il y avait des tests aléatoires. Ils étaient tous générés par un ordinateur dans l’arrière-salle et les résultats étaient annoncés par quelqu’un qui ne connaissait même pas les personnes concernées. C’est très aléatoire dans les cas dont j’ai eu connaissance.

La sénatrice Bernard : Dans bon nombre des industries dont vous parlez, des gens sont peut-être privés de sommeil en raison de la nature de leur travail. Vos programmes d’éducation, vos plans et l’élaboration de politiques concernant les tests en tiennent-ils compte?

M. Moore : Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question, sénatrice, parce que c’est l’une des choses que nous soulignons — j’hésite à dire que nous le rabâchons sur tous les tons —, le fait que l’affaiblissement des facultés peut être attribuable à de nombreuses causes. Lorsque nous faisons des présentations à des groupes de l’industrie au sujet des programmes et des politiques concernant l’affaiblissement des facultés, nous soulignons qu’il y a parmi les facteurs de risque, le cannabis, les médicaments en vente libre, l’alcool, mais aussi un nouveau bébé à la maison qui vous empêche de dormir. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles vous pourriez avoir les facultés affaiblies. C’est pourquoi nous suggérons de mettre l’accent sur les politiques et les procédures d’identification de l’affaiblissement des facultés et sur ce qu’il faut faire lorsqu’on soupçonne quelqu’un d’avoir les facultés affaiblies.

M. Yussuff : La privation de sommeil peut aussi être attribuable à de longues heures de travail. Dans certains secteurs particuliers, en raison de la nature du travail, qu’il s’agisse du chemin de fer ou d’autres secteurs, les gens travaillent de longues heures. Dans certains cas, les quarts sont de 12 heures ou plus. La fatigue dépend de la mesure dans laquelle votre corps s’adapte à ce rythme. Vous pourriez être affecté très différemment de quelqu’un qui a plus d’endurance et de capacité à composer avec la privation de sommeil.

M. Elliott : Sénatrice Bernard, vous avez fait un très bon commentaire à ce sujet. Notre industrie pétrolière et gazière commence à se concentrer sur l’aptitude globale au travail. Il ne s’agit pas seulement de surveiller les drogues et l’alcool. Il s’agit d’être physiquement et psychologiquement apte au travail sous toutes ses formes. Les gens peuvent donc avoir des problèmes psychologiques ou des problèmes liés au stress autant qu’un manque de sommeil ou quoi que ce soit d’autre. Nous examinons la personne dans son ensemble. Est-elle prête et apte au travail?

Le président : Monsieur MacDonald?

M. MacDonald : Je sais que vous essayez de conclure, mais je pense que vous soulevez un excellent point. Nous avons parlé de la Commission de sûreté nucléaire, qui a adopté un règlement sur l’aptitude au travail. Ils ont procédé à toute une série de tests, y compris des tests aléatoires. Encore une fois, pour revenir à ce que vous disiez au sujet de l’aptitude au travail, nous gérons toute la série de mesures du mieux que nous le pouvons, mais je voulais souligner le fait que la Commission de sûreté nucléaire a en fait un règlement.

Le président : Cela met fin à la séance. Mesdames et messieurs les témoins, vous nous avez fourni d’excellents renseignements. Vous avez démontré une grande connaissance et avez bien exprimé vos positions. Mes collègues et moi en sommes ravis. Merci beaucoup pour tout cela.

Mesdames et messieurs les membres du comité, nous serons de retour lundi à 14 heures. Nous avons environ quatre heures d’audiences lundi, alors je vous souhaite un bon restant de semaine et un bon week-end.

(La séance est levée.)

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