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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 42 - Témoignages du 2 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 15 heures, afin de poursuivre son étudedu projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Avant de poursuivre, je vais donner la parole à la sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, je propose que nous observions une minute de silence à la mémoire de notre collègue, Gord Brown. Merci.

Le président : Veuillez vous lever.

Les honorables sénateurs observent une minute de silence.

Le président : Pour ceux qui nous regardent à la télévision, Gordon Brown était un collègue parlementaire qui est décédé subitement ce matin. Il était député de Leeds—Grenville—Thousand Islands et Rideau Lakes.

Je remercie la sénatrice Seidman de sa suggestion.

Comme le veut l’usage, nous allons faire un tour de table pour nous présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman de Montréal, Québec. Je suis l’une des vice-présidentes du comité.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario. Je suis remplaçante.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba. Je remplace la sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard.

La sénatrice Galvez : Sénatrice Galvez, du Québec. Je remplace la sénatrice Petitclerc.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Bernard : La sénatrice Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse. Je suis présente.

Le sénateur Campbell : Sénateur Campbell, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Deacon : Marty Deacon, Waterloo, Ontario.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Omidvar : Sénatrice Omidvar, de l’Ontario.

Le sénateur Sinclair : Sénateur Murray Sinclair, du Manitoba.

Le sénateur Munson : Sénateur Munson, de l’Ontario.

Le président : Nous nous réunissons aujourd’hui pour étudier le projet de loi C-45, comme nous l’avons déjà fait plusieurs fois. Nous ne sommes pas près d’avoir terminé. Il s’agit de la Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Nous recevons trois groupes de témoins aujourd’hui. Pendant les deux premières heures, nous allons entendre des collègues siégeant à d’autres comités permanents qui ont examiné certaines parties du projet de loi C-45. Le troisième groupe est constitué d’un grand nombre d’avocats représentant la Criminal Lawyers’ Association, l’Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec.

Je souhaite la bienvenue à nos collègues, l’honorable Serge Joyal, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et les vice-présidents, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu et la sénatrice Renée Dupuis, ici présents devant nous.

Vous disposez tous les trois, ensemble, de 10 minutes pour présenter votre exposé.

L’honorable Serge Joyal, C.P., président, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : Merci, monsieur le président. Je vais commencer sans tarder, puisque nous disposons chacun de peu de temps de parole.

J’aimerais rappeler aux honorables sénateurs que nous sommes ici cet après-midi parce que, premièrement, j’étais le président d’un des comités qui ont exprimé de vives préoccupations à propos des aspects du projet de loi que le Comité des affaires juridiques constitutionnelles était chargé d’étudier, c’est-à-dire les aspects qui vont se répercuter sur la Constitution, et les provinces et le gouvernement fédéral se partageant la responsabilité en ce qui a trait à la mise en œuvre de l’objet du projet de loi. Deuxièmement, il y a des dispositions dans le projet de loi qui, bien évidemment, concernent le Code criminel. Je parle, en particulier, des articles 2, 8, 9 et 14 du projet de loi. Voilà la part du gâteau qui nous avait été laissée.

D’autres collègues se sont penchés sur d’autres aspects du projet de loi, et vous pourrez entendre leur témoignage plus tard cet après-midi.

Dans l’ensemble, nous avons reçu 39 témoins — 39 experts — venant, d’abord, des provinces qui avaient manifesté un intérêt. Le ministre des Relations canadiennes du gouvernement du Québec est venu témoigner à propos des dispositions concernant la culture du cannabis à domicile ou dans une maison d’habitation, pour reprendre l’expression utilisée dans le projet de loi.

Nous avons aussi reçu des témoins des administrations municipales, puisque, comme vous le savez, ce sont les municipalités qui auront à faire respecter la réglementation dans les lieux publics, dans les parcs et partout ailleurs. Évidemment, nous avons aussi reçu des témoins de la force policière, puisque ce sera la police qui aura la responsabilité d’appliquer les dispositions du projet de loi liés au Code criminel. Comme vous le savez, le cannabis demeure un produit dangereux, et il est toujours visé par un grand nombre de dispositions réglementaires et d’articles du Code criminel. Les criminels organisés n’ont pas abandonné le marché, et, selon ce que les témoins nous ont dit, ils ne comptent pas l’abandonner non plus, malgré le fait que l’un des objectifs précis du projet de loi est de régler ces problèmes.

Selon les témoins de la GRC, le crime organisé occupe 50 p. 100 du marché. Nous avons aussi entendu dire que le crime organisé dispose de toutes sortes de moyens pour s’adapter à la légalisation. Vous pouvez consulter les observations à ce sujet dans le rapport que nous avons distribué aujourd’hui.

Nous avons eu sept séances comme celles-ci. Pendant sept jours, nous avons tenu des séances et reçu les mémoires de divers groupes et divers particuliers intéressés.

Dans l’ensemble, nous avons abouti à huit recommandations unanimes, et je tiens à mettre cette unanimité en relief. Nous avons atteint un consensus véritable. En d’autres mots, nous avons eu amplement le temps de débattre la question entre nous pour en arriver à des conclusions faisant l’unanimité. C’est un facteur important, et je tiens à le souligner.

Une de nos recommandations jouit de l’appui d’une majorité de sénateurs, et les sept autres sont soutenues par une minorité.

Nous avons trois observations unanimes — encore une fois, je veux mettre l’accent sur l’importance de l’unanimité —, une qui est appuyée par la majorité et sept autres qui ont un soutien minoritaire.

Je vais laisser mes collègues, la sénatrice Dupuis et le sénateur Boisvenu, vous parler de certaines de ces recommandations. Ensuite, nous serons prêts à répondre à vos questions.

J’espère avoir respecté la limite de temps qui nous avait été accordée pour notre témoignage cet après-midi.

Le président : Trois minutes et 45 secondes, seulement.

Le sénateur Joyal : Merci. Je suis soulagé d’avoir réussi.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis, vice-présidente, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : Merci aux membres du comité de nous recevoir. Vous avez eu la possibilité de lire l’ensemble du rapport. J’aimerais revenir sur un certain nombre d’éléments qui sont ressortis de l’information qu’on a reçue pendant la tenue de nos audiences.

Premièrement, la longue période de prohibition, depuis 1923, n’a pas empêché la consommation, la vente, la production ou la distribution de cannabis. Deuxièmement, des citoyens ont exercé des recours devant les tribunaux depuis les années 2000. Les tribunaux ont donné raison à ces citoyens, à savoir que la prohibition les empêchait de soulager leurs souffrances physiques et mentales, et violait leurs droits reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés. Cela a amené le gouvernement fédéral à ouvrir la possibilité de consommer du cannabis et d’en cultiver à domicile ou par l’entremise d’une personne désignée à des fins médicales, à la condition qu’un médecin fournisse un document médical qui appuie cette demande. Il importe de noter qu’il s’agit d’un document médical et non d’une prescription, puisque le cannabis n’est pas considéré comme un médicament.

Selon le gouvernement, la situation actuelle est intenable, entre autres, parce que, premièrement, le cannabis est produit depuis des décennies sans contrôle de la qualité. Deuxièmement, les revenus annuels illicites, estimés à au moins 6 milliards de dollars, sont concentrés dans les mains du crime organisé. Troisièmement, le marché licite du cannabis à des fins médicales est poreux aux activités du crime organisé. Quatrièmement, les données scientifiques sur le cannabis, surtout sur la corrélation entre la consommation du cannabis et certaines maladies, et aussi la corrélation entre la consommation du cannabis et le soulagement de certaines maladies ou souffrances, ne sont pas établies à ce jour.

De tous les témoignages entendus, je retiens, premièrement, la nécessité de mener une campagne d’information publique à l’intention des jeunes, des parents et des éducateurs sur les dangers du cannabis, surtout chez les jeunes, mais pas exclusivement. Deuxièmement, il y a un besoin et une nécessité de financer des recherches qui ne sont pas suffisantes à l’heure actuelle. Troisièmement, il faut assurer un suivi serré de la consommation de cannabis, mais aussi de la production, de la distribution et de la vente, et des effets du projet de loi C-45 sur la réduction ou non de la production et de la vente illégale par le crime organisé. Quatrièmement, il importe de reconnaître l’autorité des provinces et des territoires de légiférer pour autoriser ou prohiber la possession, la culture, la propagation et la récolte de cannabis dans des lieux désignés. Enfin, cinquièmement, il faut assurer l’application de la loi sur la justice pénale pour les adolescents en matière de cannabis afin de prévoir des mesures de rechange et, surtout, de veiller à ce que les jeunes ne soient pas soumis à des peines plus sévères que les adultes en vertu du projet de loi C-45. Merci.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu, vice-président, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : Merci de l’invitation. J’aimerais surtout attirer votre attention sur les recommandations que j’appellerais « mineures », provenant de l’opposition officielle, des conservateurs. Ces recommandations touchent à des éléments de nature sociale, qui représente une partie de votre mission. J’aborde la recommandation qui a fait l’unanimité chez les corps policiers, soit l’interdiction de production de marijuana à domicile pour différentes raisons. D’abord, il s’agit d’assurer la sécurité à domicile et la sécurité des enfants, et d’éviter la vente de ce produit sur le marché gris. La majorité des membres du comité étaient favorables à cette recommandation.

J’aimerais également aborder la question de l’âge en matière de consommation ou de vente. On sait que le gouvernement préconise l’âge de 18 ans. La majorité des membres du comité n’ont pas retenu la recommandation de repousser l’âge à 21 ans. Cette recommandation avait été formulée par l’ensemble des médecins canadiens et québécois, surtout les psychiatres, selon lesquels la consommation de cannabis à 25 ans ne comporte pas de risques et que l’âge de 21 ans constitue un compromis. Selon les médecins, l’âge de 18 ans représente un grand risque pour la santé. C’est pourquoi ces médecins ont recommandé l’âge de 25 ans.

Un autre élément apporté concerne l’âge de consommation selon le THC. Actuellement, dans la loi, aucun taux de THC n’est prescrit. Il faudra en recommander un. Selon les psychiatres, c’est entre 18 et 25 ans, selon le taux de THC, que le risque de développer des troubles psychiatriques est élevé. Donc, la marijuana vendue à des jeunes de 18 ou 19 ans doit avoir un taux de THC plus bas que celle qui est vendue aux jeunes de 25 ans et plus, puisque le niveau de risque diminue avec l’âge.

De plus, nous recommandons que l’échéancier pour l’adoption du projet de loi soit prolongé. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones recommande que l’adoption soit reportée d’un an. Cette recommandation a été formulée par l’ensemble des corps policiers. Nous constatons que les corps policiers ne seront pas prêts à bien gérer la consommation de cannabis, particulièrement en ce qui concerne la conduite automobile. Que ce soit en juillet ou en septembre prochain, les corps policiers ne disposeront pas des équipements et de la formation nécessaires. Lorsqu’on constate ce qui s’est passé au Colorado ou à Washington, où le taux de mortalité lié au cannabis a augmenté d’environ 20 p. 100, nous réclamons que la légalisation soit faite en parallèle avec la prise en charge de la sécurité sur les routes par les corps policiers.

Le professeur Brochu, de l’Université de Sherbrooke, a aussi formulé une recommandation qui concerne la publicité. Le projet de loi traite déjà des restrictions et de la promotion des produits du cannabis. Nous croyons que nous devons aller plus loin en ce qui concerne la publicité auprès des jeunes, car ce sont eux qui sont les plus vulnérables en matière de consommation. Le professeur Brochu est d’avis qu’il faut imposer une interdiction totale de promotion du cannabis à l’intérieur et à l’extérieur des murs où le produit sera vendu.

Nous croyons que votre comité doit réfléchir à ces recommandations qui touchent aussi bien la protection des jeunes et la sécurité sur les routes que la cohésion sociale. D’ailleurs, l’Association des propriétaires d’immeubles est d’avis que la consommation de marijuana entraînera des problèmes sur le plan social et qu’il sera difficile de gérer la consommation à l’intérieur d’un logement comme à l’extérieur, notamment sur les terrasses. Ce sont là les recommandations mineures que nous proposons, et nous souhaitons que votre comité y jette un coup d’œil.

[Traduction]

Le président : Merci. Passons aux questions des sénateurs. La liste est longue, aujourd’hui, puisque nous avons plus de sénateurs que d’habitude. Nous allons essayer de procéder comme d’habitude avec des questions de cinq minutes, et nous verrons bien où cela va nous mener.

La sénatrice Seidman : Merci, chers collègues, de votre exposé.

Sénateur Boisvenu, j’ai une question à vous poser. Je sais que ces questions ont une grande importance, et je sais aussi que votre comité a tenu des délibérations à ce sujet. Je m’adresse aux trois membres du comité. Vous avez tenu beaucoup d’audiences. Votre rapport nous sera très utile, entre autres pour la préparation de notre rapport final au Sénat. Avant tout, je tiens à exprimer notre très grande reconnaissance et remercier chacun d’entre vous — tous les membres du comité — pour le travail que vous avez accompli.

Sénateur Boisvenu, je m’adresse à vous spécifiquement à cause de quelque chose que vous avez dit dans votre exposé. L’Association canadienne des chefs de police, l’Association canadienne des policiers, la Fédération québécoise des municipalités, le président de la Fédération canadienne des associations de propriétaires immobiliers et M. Benedikt Fischer, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, ont tous exprimé de vives préoccupations à propos de la culture à domicile du cannabis.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails à propos de ce que ces témoins vous ont dit? Pourriez-vous aussi nous parler de ce que le ministre québécois Jean-Marc Fournier vous a dit? Je crois qu’il a dit, pendant son témoignage devant votre comité, que le projet de loi C-45 devrait explicitement établir que les provinces peuvent prohiber la culture du cannabis à domicile. Cela relève de la compétence provinciale, et cela soulève deux ou trois questions importantes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous faites référence à de nombreux éléments. Tout d’abord, le ministre Fournier est venu témoigner au Sénat pour dire que le gouvernement fédéral a le pouvoir de légaliser, mais que les provinces ont le pouvoir de réglementer. Donc, c’est pour cette raison que le Québec dispose d’une loi pour légiférer la consommation, la vente et la production. Selon lui, la production à domicile relève du domaine social. Donc, ce sont les provinces qui ont le pouvoir de légiférer dans ce dossier. Il a également affirmé qu’il y aura des points de vente légale pour la marijuana, alors les gens n’auront pas de raison pour en cultiver à domicile, ce qui comportera moins de risques pour la santé des enfants et des citoyens en général. On sait que le projet de loi autorisera la production d’huile de cannabis. Pour toutes ces raisons, le Québec a interdit la production à la maison.

De plus, les policiers se demandent comment ils parviendront à contrôler la culture de cinq ou six plants à domicile. C’est toute une problématique que les policiers nous ont exposée. C’est la problématique aussi du développement du marché gris. Les gens vendent ce produit entre eux. On peut parler de la qualité également. Donc, à ce propos, les policiers s’opposaient manifestement à la production à domicile. L’élément principal est de dire qu’on n’a pas les ressources pour contrôler les 10 millions de demeures au Canada qui pourraient potentiellement produire cette marijuana.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Oui, bien sûr. Je crois qu’il s’agissait d’une recommandation majoritaire, n’est-ce pas, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Oui. C’est la première recommandation qui a obtenu l’appui de la majorité du comité. Je trouve que le ministre du Québec a été très convaincant. Je vous invite à lire son mémoire, puisqu’il aborde, selon moi, des questions très fondamentales.

Le ministre a insisté sur le fait que le gouvernement du Québec avait l’intention d’interdire la culture du cannabis à domicile parce que l’autorisation de cultiver quatre plantes à domicile ne semble pas concorder avec l’esprit du projet de loi, ou plutôt, devrais-je dire, avec ses deux objectifs, qui sont axés sur la santé et le crime organisé.

Si vous réalisez une initiative au terme de laquelle vous concluez qu’il est préférable, à la première phase de la mise en œuvre d’un nouveau régime, de procéder étape par étape, en commençant par la légalisation et par la création de magasins gouvernementaux ou d’un réseau de distribution contrôlé par le gouvernement, vous atténuez les risques et limitez l’accès, conformément à l’objectif du projet de loi, c’est-à-dire empêcher les jeunes d’avoir accès à ce produit, mais vous constatez que, pour atteindre cet objectif, il serait préférable de limiter l’accès en premier lieu à un réseau public de distribution.

Le ministre a insisté sur le fait que son gouvernement comptait dans trois ou quatre ans examiner la loi et ses impacts afin de revoir, s’il y a lieu, sa position. Voilà l’approche qu’il adopterait en matière de politique publique pour commencer.

Le sénateur Munson : Merci d’être ici. J’ai parfois l’impression de revivre le jour de la marmotte; nous sommes au début du mois de mai, nous allons avoir une semaine de congé, et nous sommes censés avoir terminé d’ici le 7 juin. La Chambre des communes va ensuite se pencher là-dessus, et je m’attends à ce qu’elle rejette un grand nombre d’amendements.

Il n’est pas question ici de faire de petits ajustements, selon moi. Notre comité, le Comité des affaires sociales, va avoir des amendements à proposer. Nous savons aussi que le Comité des peuples autochtones a recommandé d’attendre. Vous proposez cinq amendements, et nous n’avons même pas encore entendu les sénateurs du Comité des affaires étrangères et du Comité de la défense.

Encore une fois, j’ai l’impression que nous arrivons à une croisée des chemins politiques. Sénateur Joyal, est-il réaliste de croire que nous serons en mesure de modifier le projet de loi, de faire adopter les amendements et d’avoir tout terminé d’ici le 1er juillet, ou devons-nous nous attendre à ce que le processus s’étire en raison des très nombreuses préoccupations formulées par tous ces comités?

Le sénateur Joyal : Laissez-moi vous dire avant tout que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles étudie la question du cannabis depuis janvier, puisque nous avons aussi tenu des séances sur le projet de loi C-46. Nous avons tenu un grand nombre de séances — je ne les ai pas comptées, mais il y en a eu au moins une dizaine sur le projet de loi C-46 —, essentiellement sur les impacts de la consommation du cannabis sur la conduite.

Il y a aussi toutes sortes d’autres questions connexes, comme la consommation au travail, entre autres choses.

À dire vrai, nous sommes le comité sénatorial qui a étudié le plus longtemps le cannabis. Nous devrions — avec un peu de chance — conclure notre étude sur le projet de loi C-46 à temps pour que le Sénat puisse prendre en considération tous les éléments de la question.

Il ne faut pas se le cacher : nous devions travailler sous pression. Notre comité devait produire son rapport le 1er mai au plus tard. Je tiens à remercier mes deux collègues ici présents. J’ai déposé le projet de loi à 23 h 30 hier soir. J’ai passé toute la soirée à corriger la dernière version, et, grâce au soutien de mes deux collègues, j’ai pu m’assurer que ce qui a été présenté satisfera à vos exigences.

Bien sûr, étant donné les contraintes de temps, nous n’avons pas pu vous donner le texte législatif comprenant les huit recommandations unanimes. Nous n’avons pas, concrètement, eu le temps de préparer des copies du texte pour vous les distribuer. Il en va de même pour les recommandations majoritaires ainsi que les autres recommandations. Je parierais que les autres comités qui ont étudié le projet de loi sont exactement dans la même situation que nous.

Je crois que le plus important, c’est de faire part au gouvernement des préoccupations que nous avons entendues pendant les séances du comité et que vous aussi allez entendre pendant votre étude. Ces préoccupations reflètent les inquiétudes des Canadiens moyens : elles concernent les forces policières, les municipalités, les enseignants, les familles, les personnes œuvrant dans le milieu de la santé mentale, et cetera.

Essentiellement, vous trouverez dans notre rapport des exemples représentatifs des préoccupations et des inquiétudes exprimées par les gens d’un bout à l’autre du pays à propos de diverses questions liées au cannabis. C’est la première fois qu’une étude de ce genre est entreprise.

Est-ce que nous serons en mesure, comme institution, d’apaiser ces préoccupations? La meilleure façon de répondre à cette question est de vous recommander d’y aller une journée à la fois, comme le veut la philosophie chinoise. Commençons par comprendre ce que nous faisons à titre de législateurs, étudions les impacts de tout cela, proposons des recommandations à la Chambre et demandons au Sénat et à la Chambre des communes de nous écouter, parce que je suis sûr que le gouvernement est à l’écoute, tout comme nous le sommes. Les forces policières, les gouvernements provinciaux et l’ensemble du système demandent plus de temps. Le gouvernement ne peut pas, selon moi, dans toute sa sagesse, imposer sa volonté. J’espère que le gouvernement est à l’écoute. Le gouvernement est très attentif à l’opinion et aux préoccupations du public qui sont logiques et rationnelles, surtout lorsqu’elles viennent de personnes responsables dans leur milieu.

Comme je l’ai dit, nous sommes tenus de respecter la date du 7 juin. Je crois aussi que votre comité est tenu de présenter son rapport le 26 mai. Nous essayons de faire tout ce qu’il est possible de faire dans les délais extrêmement serrés qui nous enferment comme dans un carcan. Croyez-moi, je ressens la même chose que vous, mais c’est tout ce que j’ai à vous offrir.

[Français]

La sénatrice Poirier : Je vous remercie d’être là tous les trois. Merci pour le travail que vos comités ont fait au cours des dernières semaines pour en venir au rapport que vous venez de nous présenter. J’ai quelques questions à vous poser.

[Traduction]

Pour commencer, j’aimerais donner suite à la question que ma collègue, la sénatrice Seidman, a posée à propos de Jean-Marc Fournier. Pouvez-vous préciser quels éléments de la Constitution M. Fournier a soulevés pendant les audiences?

Le sénateur Joyal : Je vais demander à la sénatrice Dupuis de répondre. Elle est aussi avocate et professeure. Elle saura sans aucun doute vous parler des questions constitutionnelles pertinentes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je pense que votre comité est comme le nôtre, c’est-à-dire confronté à la réalité d’avoir entendu beaucoup de choses. C’est une question extrêmement complexe, et il y aura des priorités à établir. Vous aurez à le faire, puisque vous aurez à nous fournir un rapport à partir de tout ce que vous aurez entendu.

Par contre, je voudrais attirer votre attention sur le fait que ce n’est pas pour rien que la première recommandation adoptée à l’unanimité par notre comité porte sur la nécessiter de modifier le projet de loi pour préciser la compétence des provinces à légiférer pour autoriser ou interdire le cannabis en ce qui a trait à la possession, à la culture et la multiplication dans des lieux déterminés.

La position qui a été très rapidement indiquée par le gouvernement du Québec est appuyée par le gouvernement du Manitoba, d’ailleurs. Après que le ministre Fournier est venu au comité, le gouvernement du Manitoba, que nous avions invité, a décliné notre invitation, pour des raisons qui lui appartiennent. Le Manitoba a tout de même précisé qu’il appuyait l’intervention du ministre Fournier, lequel nous a dit qu’il n’y avait pas nécessairement de conflit ni dans les objectifs ni dans la mise en application des deux lois, soit le projet de loi no 157, dont discute le Québec présentement et qui est devant l’Assemblée nationale, et le projet de loi C-45.

Cependant, le discours de la ministre fédérale de la Justice devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a eu pour effet d’introduire une incertitude qui a amené le ministre Fournier à insister sur la nécessité de clarifier la question, à savoir que les provinces ont l’autorité de légiférer quant à l’autorisation ou à l’interdiction. La raison pour laquelle ils en viennent à cette conclusion, c’est qu’ils ne souhaitent pas laisser aux tribunaux le soin de discuter, pendant un certain nombre d’années, ou peut-être même des décennies, afin de déterminer si une loi provinciale, qu’elle soit manitobaine ou québécoise, doit céder le pas face au projet de loi C-45.

Donc, la question, pour eux, c’est qu’une incertitude a été introduite par le discours de la ministre fédérale de la Justice, et ils demandent une précision à ce sujet. Selon eux, de toute façon, il y aura une révision de la loi dans trois ans, et il est plus facile d’être très prudent au début, quitte à réviser l’interdiction par la suite, que de faire l’inverse et d’autoriser dès le départ, pour se rendre compte, par la suite, qu’il y a un gros problème, que les gens sont habitués à un régime et qu’on veut le leur retirer.

L’autre élément qui nous a amenés à cette recommandation qui, à mon avis, est notre priorité, c’est le fait que la situation est très différente d’une province à l’autre, même si, dans les faits, il y a une prohibition nationale généralisée de consommer et de produire du cannabis. Autrement dit, il est important pour nous de laisser à chacune des provinces le soin d’établir son propre régime à partir de sa propre situation socioéconomique et juridique.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Dans votre rapport, vous recommandez à l’unanimité d’amender le projet de loi de façon à restreindre la quantité de cannabis séché ou de produits équivalents qu’une personne peut posséder pour sa consommation personnelle chez elle.

Pouvez-vous préciser quels sont les témoins que vous avez reçus qui appuient cette recommandation? Croyez-vous qu’il existe dans le projet de loi des façons de contourner la Constitution? Y a-t-il eu des observations quant à la limite qui devrait être imposée?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La plupart des corps policiers ne pourront pas appliquer une loi qui ne fait pas mention de quantités prédéterminées. Si vous entrez dans une résidence où la quantité de plants de cannabis dépasse la limite raisonnable, vous pouvez être devant une personne qui en fait le commerce. Il faudra donc établir une limite.

Nous avions fixé une limite lors des négociations avec nos collègues du Groupe des sénateurs indépendants, mais nous ne sommes pas parvenus à un consensus. Il y a déjà une limite de 5 grammes qui est fixée pour les mineurs; il faudrait que, pour les adultes, il y ait aussi une limite. On pourrait passer à 30 grammes, à 50 grammes, mais je pense que cela fera partie des discussions à venir. On avait convenu qu’il fallait une limite, et tous les corps policiers l’ont demandée. Maintenant, il faut déterminer ce qu’elle sera.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Merci.

Si le temps nous le permet, pourrais-je reprendre la parole au deuxième tour?

Le président : Bien sûr, vous serez inscrite sur la liste pour le deuxième tour.

Je vais poser une question. Cela concerne la réponse que la sénatrice Dupuis a donnée à la sénatrice Poirier. Vous avez parlé de la première recommandation en disant qu’elle était liée à la situation au Québec et au Manitoba en ce qui a trait, je crois, à la limite de quatre plantes. Ces deux provinces ne veulent pas de culture à domicile.

J’aimerais avoir des précisions quant à la formulation. La recommandation concerne-t-elle uniquement la limite de quatre plantes, ou a-t-elle une portée plus large que cela?

Le sénateur Joyal : Ce que nous voulons éviter, c’est un scénario où le jour suivant l’adoption du projet de loi, un Canadien se rende tout de suite devant les tribunaux pour contester le projet de loi parce qu’il y a un chevauchement entre la réglementation provinciale et la réglementation fédérale qui crée de l’incertitude. Comme ma collègue, la sénatrice Dupuis, l’a mentionné, la position du ministère fédéral de la Justice présentement est incertaine quant à la compétence des provinces de prohiber la culture des quatre plantes à domicile. La ministre a précisé qu’elle défendrait la loi fédérale en cas de contestation. C’est très bien, mais cela veut dire qu’il va falloir suivre tout le processus judiciaire — les tribunaux de première, de deuxième et de troisième instance — avant qu’une décision soit finalement rendue sur la compétence des provinces de prohiber la culture de quatre plantes à domicile.

Le président : Lorsque vous avez mentionné la culture, la récolte, et cetera, vous ne parliez pas des installations autorisées relevant de la compétence fédérale. Vous parliez de la culture à domicile, est-ce exact?

Le sénateur Joyal : Absolument. C’est exact.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Donc, on ne parle que des articles du projet de loi C-45 qui traitent de la possibilité de posséder ou de cultiver les quatre plants.

[Traduction]

Le président : D’accord, merci.

Le sénateur Joyal : En outre, nous avons utilisé une approche d’une précision chirurgicale afin de veiller à préserver le plus d’éléments possible du projet de loi fédéral dans la façon dont tout cela est formulé.

Le président : D’accord, je comprends. En passant, je tiens à vous rappeler que vous disposez de cinq minutes en tout. Soyez concis dans vos questions et vos réponses pour obtenir le plus d’information possible.

Le sénateur Manning : Merci, chers collègues, de vos exposés et du travail que votre comité a accompli.

Nous avons entendu des témoignages contradictoires à propos de nombreux aspects du projet de loi, et je suis sûr que cela a également été votre cas dans vos comités. À un moment ou à un autre, comme l’a dit le sénateur Munson, nous finirons par entamer l’étude article par article.

Nous avons une liste de témoins. Y a-t-il des témoins que votre comité a reçus et qui devraient également, selon vous, venir témoigner devant nous avant l’étude article par article? C’est essentiellement notre objectif ultime. Y a-t-il un témoin qui n’a pas eu le temps de dire tout ce qu’il avait à dire devant votre comité et que nous devrions inviter?

Le sénateur Joyal : Nous avons joint en annexe à notre rapport la liste des témoins que nous avons entendus. J’inviterais votre comité directeur à lire avant toute chose notre rapport résumant l’ensemble des témoignages que nous avons entendus. Le résumé compte 10 pages, alors c’est loin d’être une tâche insurmontable. Il y a des notes de bas de page pour tous les témoignages, alors vous pouvez facilement déterminer quels témoins ont abordé les questions prioritaires, selon vous.

Je vais donc m’abstenir de parcourir la liste pour vous recommander tel ou tel témoin. Vous avez la liste et vous pouvez voir facilement et rapidement ce qu’ils ont dit. Je recommande à votre comité directeur ou à n’importe lequel d’entre vous de consulter le rapport pour déterminer facilement quels témoins vous devriez inviter. Nous demeurons à votre disposition si vous avez besoin de nous pour des observations rapides par rapport à la liste. Nous sommes à votre entière disposition pour cela.

Le sénateur Manning : À la lumière de ce que vous avez entendu… Il y a déjà eu quelques commentaires aujourd’hui à propos d’un éventuel report de la légalisation. Le Comité des peuples autochtones s’est prononcé là-dessus hier. Selon vous — vous avez tous une formation en droit et vous comprenez le processus qui s’enclenchera une fois que le projet de loi sera adopté —, serait-il dans le meilleur intérêt du pays de reporter la légalisation?

Le sénateur Joyal : Me demandez-vous mon opinion personnelle…

Le sénateur Manning : J’aimerais l’entendre.

Le sénateur Joyal : … ou l’opinion du comité? J’aimerais revenir sur les commentaires formulés dans le rapport. Les observations, si je puis dire, parlent d’elles-mêmes. J’ai aussi mes opinions, et je compte les exprimer devant le Sénat à l’étape de la troisième lecture. En tant que président, ma responsabilité est de veiller à ce que nous travaillions ensemble et que nous en arrivions à un consensus. Je vais laisser mes collègues vous répondre.

[Français]

La sénatrice Dupuis : La mise en œuvre de cette loi est très controversée, comme à peu près tous les éléments de ce projet de loi. On a entendu des témoignages qui vont dans tous les sens. Certaines municipalités ont dit, en réponse à des questions, qu’elles n’étaient pas prêtes, qu’elles aimeraient avoir plus de temps, mais ce n’est pas ce qui les intéresse. Ce qui les intéresse, c’est d’élaborer un cadre clair, pour que les lois provinciales et fédérales soient claires.

L’Association canadienne des policiers nous a dit qu’en Colombie-Britannique il y a une confusion au sein de la population, car on ne sait plus comment appliquer la loi. On est censé appliquer une prohibition, mais on annonce une légalisation. Il faut donc procéder à partir du moment où on l’a annoncée. Ce sont des buts qui sont tout de même opposés.

Le sénateur Boisvenu : Dans le rapport, il y a trois observations mineures, dont une qui concerne le milieu de travail. De ces observations découle peut-être une avenue pour inviter des témoins afin d’approfondir ce sujet, qui nous a été apporté, mais qu’on n’a pas approfondi. Je pense, entre autres, aux enjeux liés à la sécurité au travail, à la transparence au sein des compagnies, et à tout ce qui est investissement. Je ne sais pas si vous en traiterez, mais, actuellement, il y a une problématique qu’on a soulevée à ce sujet et qu’on n’a pas approfondie avec nos témoins. Le problème existe en milieu de travail, mais constitue également peut-être un enjeu social très important.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : En réponse à la question du sénateur Manning, je vous inviterais à lire le résumé des témoignages que nous avons entendus. Les témoins — les forces policières en particulier — ont soulevé cette préoccupation, alors je vous recommande de lire leur témoignage et ce qu’ils ont dit pour justifier leur demande de repousser l’adoption du projet de loi. Ce n’est pas simplement qu’ils préféreraient avoir six mois de plus; ils ont des raisons de vouloir plus de temps pour veiller à ce que tout soit en place pour composer avec cette nouvelle réalité.

[Français]

La sénatrice Galvez : Je remercie les témoins de leur travail ardu et intense. Comme on en a discuté à plusieurs reprises, ce sujet suscite beaucoup d’émotions au sein de la population.

[Traduction]

J’aimerais en savoir davantage à propos de la recommandation no 7. C’est la première fois qu’on soulève des préoccupations à propos de la possibilité d’exporter du cannabis. Pouvez-vous me donner davantage de contexte relativement à cette recommandation? J’ai aussi une question à propos de la confusion touchant la définition de « maison d’habitation ». Pourquoi avez-vous besoin de plus de précisions par rapport à cela?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous parlez des amendes?

La sénatrice Galvez : Oui, et de l’exportation du cannabis.

Le sénateur Boisvenu : En vertu de la loi actuelle sur le tabac, même si on introduit des substances comme du chocolat ou du parfum, l’amende maximale est de 300 000 $. On a voulu aligner la loi sur la marijuana sur celle du tabac. On imposerait des sentences moins sévères pour l’exportation de marijuana que pour le tabac. C’est simplement une question d’harmonisation.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Il y a aussi les « maisons d’habitation », ou « dwelling houses ».

[Français]

Le sénateur Joyal : Votre question est très bonne. Je regarde mon collègue, le sénateur Carignan, qui a soulevé cette question.

La façon dont le terme « dwelling house » est défini dans le projet de loi implique non seulement l’appartement, mais le terrain qui peut y être rattaché. Si vous êtes dans un condo, vous avez votre appartement, mais vous pouvez aussi avoir un jardin communautaire, c’est-à-dire un espace commun à tous les propriétaires pour aménager un jardin potager. Il existe toutes sortes de manières de rattacher un terrain à une habitation.

Nous suggérons de définir ce concept de sorte que l’on ne se retrouve pas dans une situation où on aurait un terrain qui n’est pas vraiment rattaché à l’appartement, mais qui se trouve ailleurs et qui fait partie de la copropriété. Toutes les questions reliées à la copropriété sont très importantes. Ce point a été soulevé par le sénateur Carignan et par les représentants des propriétaires que nous avons entendus.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup de tout le travail que vous avez accompli. J’ai une question pour la sénatrice Dupuis à propos de la recommandation no 7, celle concernant l’entrée en vigueur du projet de loi un an après la sanction royale.

Je remarque que cette recommandation a été rejetée par la majorité. Pouvez-vous nous fournir davantage de détails sur cette décision ainsi que sur les témoins qui en ont parlé? Nous aimerions comprendre ce qui s’est passé pendant la discussion à ce sujet.

Le président : J’aimerais apporter une précision pour ceux qui nous suivent, puisqu’il a été question précédemment d’une autre recommandation no 7. Nous parlons présentement du deuxième ensemble de recommandations, à la page 12. Il s’agit de la recommandation no 7 à la page 12.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Si j’ai bien compris la question, elle porte sur la recommandation no 7, à la page 12 de la version française et à la page 11 de la version anglaise.

[Traduction]

Le président : Celle qui concerne l’entrée en vigueur après la sanction royale.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je pense que le titre de cette section illustre bien le fait qu’une majorité de sénateurs a rejeté cette disposition, car elle estime, selon les témoignages entendus, que même si certains ont besoin de plus de temps — des municipalités nous ont dit, en réponse à une question, qu’il pourrait être intéressant d’avoir plus de temps —, ce n’est pas l’aspect critique qui les intéresse. Elles veulent d’abord que les lois soient claires. Elles seront alors en mesure de vivre avec ces lois, et des règlements municipaux suivront. Selon la majorité des gens, des éléments nous ont amenés à conclure que les organisations étaient capables de s’ajuster au projet de loi tel qu’il est et à sa mise en application telle qu’elle est prévue.

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous donner un calendrier très pratique pour ce qui est des corps policiers.

Nous sommes le 2 mai. Le gouvernement fédéral devait, au mois d’avril, préciser l’équipement à être utilisé pour le dépistage à partir d’échantillons de salive avant de recourir aux prises de sang. Or, le gouvernement n’a pas encore pris cette décision. Les municipalités ont besoin d’un minimum de deux mois pour commander l’équipement. Cela nous mène au mois de juillet. De plus, il faut entre trois et six mois pour compléter la formation des policiers qui utiliseront cet équipement. L’école de Nicolet peut accepter un maximum de 50 policiers. Or, on doit en former plus de 2 500.

Le projet de loi actuel pose donc un problème majeur. Si la marijuana est légalisée le 1er juillet, on peut prévoir que, pendant trois à six mois, les policiers canadiens ne disposeront pas des outils pour bien contrôler les utilisateurs de marijuana qui conduisent un véhicule. C’est une question de bon sens en matière de sécurité routière.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Encore une fois, ma question s’adresse à la sénatrice Dupuis. Cela concerne les éléments du projet de loi concernant la possession de 5 grammes ou plus par une jeune personne. Pourriez-vous nous fournir des détails sur le contexte de votre discussion? À dire vrai, je ne vois rien dans vos recommandations à propos de la criminalisation des jeunes trouvés en possession de plus de 5 grammes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : La discussion qu’on a tenue a porté sur l’aspect technique de notre mandat, en tant que Comité des affaires juridiques, soit sur les pénalités, les contraventions et les sanctions. Notre étude nous a menés à la recommandation no 6, adoptée à l’unanimité, qui est d’endosser la recommandation du barreau qui prévoit que rien ne doit être interprété dans cette loi de manière à empêcher d’avoir recours au système de justice pénale pour les adolescents, notamment un avertissement, une mise en garde ou un renvoi. Notre étude nous mène aussi à la recommandation no 8, adoptée à l’unanimité, à savoir que toute sanction prévue pour les jeunes ne doit pas être plus sévère que celles prévues pour les adultes.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Ma question est très simple. Pourriez-vous nous répéter ce que les témoins vous ont dit par rapport à la limite d’âge? Pourquoi serait-ce une bonne chose de la fixer à 18 ans?

Le sénateur Joyal : Comme la sénatrice Dupuis l’a mentionné, c’est une question de précaution. Il n’y a pas de données scientifiques irréfutables sur l’effet du cannabis sur les gens. La génétique de la personne joue un rôle, tout comme son poids, sa prédisposition aux troubles psychotiques, ses antécédents familiaux, et cetera.

Les raisons pour lesquelles nous n’avons pas de données scientifiques concluantes sont très claires : puisque le cannabis est illégal, la communauté scientifique était limitée quant aux études qu’elle pouvait mener. Donc, comme la sénatrice Dupuis l’a mentionné, il y avait une certaine incertitude scientifique quant aux effets à de nombreux niveaux, et l’approche adoptée par le milieu psychiatrique était plus ou moins — et je veux préciser que c’est moi qui le dis, et non pas eux — de nature théologique; c’est-à-dire que, si vous croyez commettre un péché, il vaut mieux vous abstenir. Il en va de même, dans l’ensemble, pour les médecins. Il vaut mieux éviter de consommer un produit que l’on croit dangereux.

Voilà donc leur approche. C’est le principe de précaution : puisque le cerveau des jeunes de moins de 21 ans n’est pas encore complètement formé, il est préférable qu’ils ne consomment pas de cannabis, sinon ils s’exposent à des conséquences nuisibles pour leur santé et leurs capacités mentales globales.

Je vous invite à consulter le témoignage de la Dre Igartua. Nous en parlons dans le compte rendu.

La sénatrice Raine : Merci. Je comprends tout cela, et je suis d’accord avec le principe de précaution, mais ce que je veux savoir, c’est si vous avez entendu des témoins dire que l’âge de 18 ans était une bonne chose ou que c’est ce qui devrait être imposé. Je ne sais pas pourquoi on a choisi cette limite d’âge, mais c’est ce qu’il y a dans le projet de loi, et maintenant, nous sommes plus ou moins obligés de la modifier.

Le sénateur Joyal : La limite vient du consensus suivant : il est généralement accepté dans la société qu’à l’âge de 18 ans, vous avez le droit de voter, le droit de vous marier sans le consentement de vos parents, le droit de signer un contrat en votre nom propre, le droit de conduire. La société vous accorde beaucoup de « permissions » dans divers domaines. Nous tenons donc pour acquis qu’une personne est tout à fait mature à l’âge de 18 ans. Si vous êtes âgé de 17 ans et 364 jours, vous êtes immature, mais dès le lendemain, vous êtes une personne tout à fait mature, et votre jugement est aussi parfait que celui d’un adulte de 30, 40 ou 50 ans.

Nous ne nous sommes pas vraiment penchés sur cette question, pour tout vous dire. Selon moi, si le gouvernement permet aux provinces de déterminer l’âge légal pour posséder du cannabis sur leur territoire, c’est probablement parce qu’elles sont les mieux placées pour connaître le niveau de maturité nécessaire, selon elles, pour prendre une telle décision.

La sénatrice Bernard : Merci à tous de votre excellent travail. Vous mentionnez dans le rapport le problème des casiers judiciaires existants pour possession simple, mais vous n’en avez pas parlé dans vos observations ni dans vos recommandations. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Le sénateur Joyal : Madame la sénatrice, je vous dirais que nous n’avons pas examiné cet aspect en profondeur. Il est évident que, lorsque le cannabis deviendra un produit légal — et je ne parle pas au nom du gouvernement, je ne me suis pas adressé à la ministre de la Justice et je n’ai aucun mandat à cet égard non plus —, pour ce qui est des casiers judiciaires, il est évident que le but ultime est de protéger les jeunes.

Si vous voulez protéger les jeunes qui ont la malchance d’avoir un casier judiciaire avec tout ce que cela signifie aujourd’hui — impossible de franchir la frontière, impossible même de survoler les États-Unis en avion parce que vous êtes inscrit sur la liste d’interdiction de vol en raison d’un casier judiciaire établi avant l’âge de 18 ans, à un moment où il est difficile de prendre conscience de toutes les conséquences de ses décisions stupides —, il semble qu’il soit tout à fait sensé de régler ce problème.

Le gouvernement n’a pas pris d’engagement clair à cet égard. Vous avez peut-être entendu les propos du ministre de la Sécurité publique à ce sujet. Des questions ont été posées à la Chambre des communes. Mais c’est un problème que nous devrons régler rapidement puisque l’objectif du projet de loi est la prévention et qu’il cible particulièrement les jeunes, mais aussi ceux qui ont déjà consommé dans un contexte de laisser-faire. Je ne parle pas des personnes qui vendent de la drogue et qui ont gagné leur vie en menant ce type d’activités illégales; je parle de ceux qui ont consommé sans chercher à nuire à personne d’autre qu’à eux-mêmes.

Le gouvernement devra se pencher sur ce problème, et je suis convaincu que le public insistera pour qu’il propose un projet de loi, ressemblant plus ou moins au projet de loi C-66, et qui permettra de supprimer le casier judiciaire des personnes qui se sont retrouvées dans cette situation afin qu’elles puissent recommencer à neuf et assumer des responsabilités au sein de notre société. Dans toutes les collectivités, un jeune qui a un casier judiciaire a beaucoup de difficulté à dénicher un emploi.

Le but global du système de justice pénale est de donner aux contrevenants l’occasion de se réhabiliter. La sénatrice Dupuis et la sénatrice Pate y ont consacré une partie de leur vie. Cela fait partie de notre approche humaniste qui nous pousse à aider ceux qui en ont besoin à se reprendre en main.

Le président : Nous avons le temps d’entendre une dernière question.

Le sénateur Patterson : J’ai deux petites questions. Tout d’abord, l’Union québécoise des municipalités a témoigné devant le comité. Je crois qu’elle représente 7 000 élus et 1 000 municipalités, et elle a demandé le report de l’adoption du projet de loi. Je constate que cela a été adopté par moins de la moitié du comité. Pouvez-vous expliquer en détail pourquoi les membres de la fédération jugeaient important que l’entrée en vigueur du projet de loi soit reportée?

Le sénateur Joyal : Encore une fois, la sénatrice Dupuis a répondu en partie à cette question. Il plane toujours une certaine incertitude quant à l’approche que les municipalités adopteront pour interdire, par exemple, la consommation de cannabis dans les endroits publics, dont les parcs, et à l’endroit où les membres des services de police seront formés. Autrement dit, pourront-elles compter sur les compétences nécessaires pour maintenir l’ordre public une fois que le cannabis sera légal? Il est question ici des petites municipalités qui comptent moins de 2 000 habitants. Ce sont de très petites collectivités qui sont très mal outillées pour faire face à cette nouvelle situation.

Dans certains cas, ces municipalités partagent des services régionaux. Et elles sont très différentes les unes des autres. Certaines ne comptent que 500 habitants, et les différences entre elles sont si grandes qu’elles ne disposent pas des mêmes moyens pour faire face à cette nouvelle réalité. Elles ont tenté de faire une moyenne et elles ont demandé plus de temps afin d’être certaines de pouvoir composer avec la situation.

La sénatrice Dupuis a soulevé un point important, soit la certitude de l’application de la loi et de son règlement. Tout le monde est en attente. Peut-être que cela se produira ou peut-être que non. Comme le sénateur Boisvenu l’a mentionné, le matériel permettant de détecter la drogue dans la salive n’est pas encore au point et il n’est pas certifié. Quand va-t-il l’être? Y aura-t-il assez de dispositifs pour tout le monde en même temps? Comment envisagez-vous de former les agents qui seront affectés à la détection? C’est tout le système qui change, et le changement est radical. Nous devons en être conscients.

Étant donné la réalité des petites municipalités et leurs modestes moyens, leurs demandes sont justifiées. Vous avez certainement constaté dans leur mémoire que leurs explications sont claires.

Le président : J’ai le regret de vous annoncer que le temps est écoulé. Je m’excuse auprès des deux sénateurs qui ne sont pas membres du comité. Tous les membres du comité ont pu poser leurs questions, mais les deux qui n’en font pas partie n’ont pas pu le faire, faute de temps.

Si autant de personnes participent à nos prochaines réunions, nous devrons prévoir une plus grande salle.

Je remercie chaleureusement nos trois collègues d’être venus témoigner au nom de leur comité. Sur ce, je demande aux membres du Comité des peuples autochtones de s’installer au bout de la table.

Nous sommes rendus au deuxième groupe de témoins inscrit à l’ordre du jour pour étudier le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. Les témoins du deuxième groupe nous parleront d’un rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis ravi d’accueillir trois collègues : la sénatrice Dyck, présidente du comité, le sénateur Tannas, vice-président, et le sénateur Christmas, membre du comité permanent. Bienvenue à vous trois. Vous pouvez tous témoigner, mais vous disposerez d’un total de 10 minutes — pas plus, s’il vous plaît —, car nous passerons ensuite à la période de questions du comité. Nous avons une heure à consacrer au groupe.

L’honorable Lillian Eva Dyck, présidente, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : Le 1er mai 2018, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a déposé un rapport présentant les observations et les recommandations découlant de son examen du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, examen réalisé dans le contexte de la réalité des peuples autochtones du Canada. Le comité a mené son examen de février à avril 2018.

Le rapport du comité tient compte des témoignages entendus, qui ont donné lieu à 10 recommandations divisées en deux parties. Les deux premières recommandations proposent des amendements au projet de loi C-45.

Le deuxième ensemble de recommandations est de nature stratégique et vise le gouvernement du Canada et les ministères concernés. Formulées par les témoins, ces recommandations sont abordées dans d’autres instruments législatifs extérieurs au projet de loi C-45 ou touchent des questions non législatives relevant de la compétence du gouvernement fédéral. En ce qui a trait à la recommandation sur la taxe d’accise, le Sénat lui-même ne peut pas adopter un amendement qui donnerait lieu à l’affectation de fonds ou à l’établissement d’une nouvelle mesure de taxation. C’est un aspect important à ne pas oublier qui explique en partie notre recommandation visant à retarder l’adoption du projet de loi.

L’honorable Dan Christmas, membre, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : Après avoir entendu divers témoignages, ce qu’il faut retenir, c’est que le comité reconnaît la complexité de l’examen des conséquences de la loi proposée sur le cannabis sur les collectivités autochtones. Malgré les contraintes de temps, le comité a eu la chance d’entendre toutes sortes de témoins. Le rapport du comité repose sur les témoignages entendus durant cinq réunions à Ottawa et une réunion à Winnipeg, ainsi que sur les mémoires présentés par divers organismes et particuliers.

Le comité a entendu 23 témoins de tous les horizons qui représentaient des organismes autochtones, des Premières Nations, des aînés inuits, des services de police, des acteurs autochtones de l’industrie du cannabis et Manitoba Advocate for Children and Youth, qui parlait au nom du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes.

Le rapport du comité est organisé en fonction des thèmes soulevés durant les témoignages : consultation, sensibilisation du public, services de santé mentale et de traitement des dépendances, justice et services policiers, compétences et développement économique.

Pour ce qui est de la consultation, les organisations et collectivités autochtones ont déclaré au comité qu’elles n’avaient pas été consultées au sujet du projet de loi sur le cannabis. Dans les cas où des consultations avaient bel et bien eu lieu, le comité a entendu dire que celles-ci étaient inadéquates et qu’elles laissaient peu de place aux Autochtones.

Relativement à la sensibilisation du public, le comité a appris que les collectivités autochtones manquent de documents de sensibilisation adaptés à leur culture, au sujet du cannabis et de ses effets sur la santé.

Sur le plan de la santé mentale et des dépendances, des témoins, y compris des aînés inuits, des représentants de collectivités autochtones et des fournisseurs de services de première ligne ont soulevé des préoccupations au sujet du manque d’accès à des services de santé mentale et de traitement des dépendances adaptés à leur culture, ainsi qu’au manque de financement de ces services.

Parlons maintenant de la justice et des services policiers. Il a été question, devant le comité, du besoin de trouver des façons proactives de maintenir l’ordre et de miser sur la prévention, dans le contexte de la légalisation du cannabis, mais les ressources et la main-d’œuvre sont insuffisantes pour aller au-delà des interventions en situation de crise.

En ce qui concerne les compétences, devant le comité, les Premières Nations se sont entendues sur le fait qu’elles devaient avoir à leur disposition de mécanismes pour autoriser ou interdire l’accès au cannabis sur leur territoire et que cela constitue un élément essentiel à leur autonomie gouvernementale.

Au chapitre du développement économique, le comité a entendu que certaines collectivités désirent saisir les possibilités économiques qui découlent de la légalisation proposée du cannabis. Les Premières Nations, ainsi que des entreprises et des organisations autochtones ont proposé des façons de permettre aux Premières Nations de percevoir une taxe d’accise auprès des fabricants de produits du cannabis dans les réserves et de la redistribuer.

L’honorable Scott Tannas, vice-président, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : Chers collègues, je vais vous présenter les recommandations du comité.

Le comité recommande deux amendements au projet de loi C-45. Tout d’abord, le comité recommande de retarder d’au plus un an l’adoption du projet de loi C-45, de façon à ce que les collectivités autochtones et le gouvernement du Canada puissent négocier et adopter certaines mesures, soit la mise en œuvre d’un régime de perception de la taxe d’accise et de partage des recettes provenant du cannabis, le financement accru des services de santé mentale et de traitement des dépendances, la création de matériel de sensibilisation du public au cannabis adapté à la culture, avec le financement connexe, l’établissement de nouveaux centres résidentiels de traitement des dépendances et, enfin, la reconnaissance et la confirmation du droit inhérent des collectivités autochtones de s’autogouverner et, par conséquent, de réglementer le cannabis.

Le comité a également recommandé un amendement pour qu’au moins 20 p. 100 des permis de production de cannabis octroyés par Santé Canada soient réservés à des producteurs établis sur les terres relevant de la compétence des gouvernements autochtones ou leur appartenant.

Le rapport soumet également au gouvernement du Canada huit recommandations stratégiques relativement à l’adoption du projet de loi sur le cannabis ainsi qu’aux mesures de soutien connexes nécessaires en matière de santé et de services sociaux, que voici : élaborer du matériel de sensibilisation adapté à la culture concernant le cannabis et fournir un financement stable pour ce matériel; permettre aux collectivités autochtones de restreindre les activités liées au cannabis sur leurs terres; respecter le droit des collectivités autochtones d’établir leur propre réglementation en matière de cannabis et de taxation; augmenter le plus rapidement possible le financement des programmes de santé mentale et de traitement des dépendances, des centres résidentiels de traitement, des services de santé, des centres de guérison traditionnels et des services de police destinés aux peuples et aux collectivités autochtones, compte tenu de l’augmentation prévue de la demande provoquée par la légalisation proposée du cannabis; augmenter le nombre de centres résidentiels de traitement des dépendances en prévision de la hausse prévue de la demande et mettre sur pied un centre résidentiel de traitement des dépendances pour les peuples autochtones au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon; utiliser les recettes tirées de la taxe d’accise pour investir dans la prestation de services de première ligne en santé mentale et en traitement des dépendances, les centres de traitement situés à proximité des collectivités, les programmes de santé publique et les infrastructures de loisirs dans les collectivités; collaborer avec les Premières Nations et les institutions des Premières Nations afin qu’elles puissent percevoir la taxe d’accise sur les produits du cannabis; et, enfin, réserver 20 p. 100 des permis de production de cannabis pour les activités de production sur les terres relevant de la compétence des gouvernements autochtones ou leur appartenant.

La sénatrice Dyck : Le comité a entendu que la légalisation proposée du cannabis pourrait avoir un impact disproportionné sur les peuples autochtones. Il est important que les peuples autochtones soient consultés de manière concrète lorsqu’un projet de loi les touche directement, et c’est le cas de la légalisation proposée du cannabis. Le comité croit fermement que les peuples autochtones disposent d’un droit inhérent à l’autodétermination, y compris le pouvoir législatif de prendre les décisions pertinentes qui influent sur la vie de leurs membres et de leurs collectivités, ce qui inclut la réglementation du cannabis.

Le comité appuie les collectivités autochtones qui désirent participer pleinement au marché du cannabis, vu particulièrement les possibilités économiques qu’elles n’ont pu saisir par le passé. Les collectivités autochtones intéressées devraient disposer des outils nécessaires pour tirer parti des possibilités économiques qui se présentent.

Compte tenu de la structure législative et de la teneur du projet de loi C-45, nous constatons qu’il n’existe aucun mécanisme approprié qui nous permettrait de modifier certaines dispositions du projet de loi en fonction de nos préoccupations. De plus, pour ce qui est de la recommandation sur la taxe d’accise, il nous a été dit que cela allait au-delà des compétences du Sénat, car c’est une mesure qui touche la fiscalité et l’affectation de fonds.

Nous espérons que notre rapport et les recommandations qu’il contient orienteront les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sujet du projet de loi C-45.

Le président : Merci beaucoup. Les trois témoignages étaient excellents, et vous avez pris moins de 10 minutes.

Je vais commencer par poser une question avant de donner la parole aux membres du comité.

Dans votre première recommandation, vous demandez de retarder d’au plus un an l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Je comprends votre demande, mais beaucoup d’entre nous ont remarqué au fil du temps que si vous accordez un an à quelqu’un, il prend l’année au complet, si vous lui donnez deux ans, il prend les deux années, et cetera. Pourquoi bon nombre de ces mesures ne pourraient-elles pas être prises maintenant ou combien d’entre elles sont déjà prises en ce moment? Cette recommandation est accompagnée des points a, b, c, d et e, et il y a aussi la deuxième recommandation.

Ces discussions ont-elles lieu en ce moment? Et sinon, pourquoi pas? Tout cela ne pourrait-il pas être fait plus rapidement, vu le temps qu’il faudrait pour que le projet entre en vigueur et puisque l’on dit qu’il faudra attendre de 8 à 12 semaines après la sanction royale?

La sénatrice Dyck : Je vous remercie de votre question. Nous avons indiqué « au plus un an » en espérant évidemment que le tout sera terminé en moins d’un an.

Il y a actuellement des discussions avec l’Assemblée des Premières Nations. En fait, l’assemblée tient une réunion, de l’autre côté de la rivière, et le projet de loi C-45 est à l’ordre du jour. Il y a un groupe de travail sur la Loi concernant le cannabis, mais d’après ce que l’on nous a dit, les consultations et les travaux du groupe de travail ne seront pas terminés avant la fin de juin. Le rapport sera prêt au cours de l’été, et je crois que le tout sera présenté à l’assemblée des chefs en juillet, je crois.

Les consultations sont en cours, et, étant donné la pression supplémentaire, le gouvernement finira peut-être par agir avec plus de sérieux. Selon moi, nous lui avons formulé des instructions très claires quant à ce qui doit être fait relativement aux services de traitement des dépendances et aux occasions financières. C’est une forme d’avertissement. Nous lui avons déjà dit ce qui doit être fait dans le cadre d’autres instruments législatifs.

Le sénateur Tannas : Nous nous fions aux leçons tirées du projet de loi S-3. Le gouvernement avait promis de mener des consultations, et personne ne le croyait. Il a laissé passer beaucoup de temps avant de faire des consultations; si on acceptait d’adopter le projet de loi, il procéderait à toutes les consultations.

Nous avons décidé d’attendre pour voir s’il l’avait bel et bien fait, et nous allions poursuivre ensuite. C’était ça, la discussion.

Nous sommes également conscients du fait qu’il s’agit d’une promesse électorale. Si le gouvernement peut le faire adopter plus rapidement, il gagnera des points pour ce qui est de sa crédibilité et de sa bonne volonté. S’il peut déclarer victoire et passer à autre chose, les Canadiens en jugeront.

Le président : Passons maintenant à la période de questions, soit cinq minutes pour chaque question et sa réponse.

La sénatrice Seidman : Je tiens à remercier tous nos collègues d’être avec nous aujourd’hui et d’avoir fait ce travail avec les membres de leur comité. Vous nous avez fourni un rapport concis assorti d’une orientation claire. Je vous en remercie infiniment.

Ma question touche une recommandation particulière touchant les amendements. Il s’agit de la mesure b, qui propose la création de matériel et de programmes d’éducation adaptés à la culture et à la langue.

Les organismes de santé autochtones ont dit à votre comité que des programmes d’éducation adaptés à la culture et à la langue sont nécessaires pour répondre aux besoins des peuples autochtones. Votre rapport indique que la ministre de la Santé vous a affirmé que du matériel de sensibilisation du public adapté à la culture et à la langue est en cours d’élaboration. Le comité a entendu à maintes reprises que la clé du succès de la sensibilisation du public, c’est d’intervenir rapidement. Il faut que son objectif soit atteint avant que le cannabis soit légal. Ce conseil nous vient particulièrement du Colorado, mais de nombreux autres témoins nous ont souligné l’importance de fournir ce matériel d’éducation.

J’aimerais savoir si la ministre vous a dit à quel moment le matériel d’éducation sera prêt puisqu’elle affirme qu’il est en cours d’élaboration. Craignez-vous que les jeunes Autochtones ne bénéficient pas d’assez de programmes d’éducation avant la légalisation, même s’ils sont particulièrement vulnérables aux méfaits?

La sénatrice Dyck : Je vais commencer. Je vous remercie de votre question. La ministre ne nous a pas dit quand le matériel sera prêt. Nous savons que des discussions sont en cours, mais nous n’avons aucune idée du moment où elles prendront fin. Cette information ne nous a pas été transmise.

Pour ce qui est des jeunes, cette préoccupation a été soulignée par plusieurs témoins, car tout le monde sait que les Autochtones sont une très jeune population; plus de la moitié d’entre eux sont âgés de moins de 25 ans. Les effets néfastes de la consommation récréative sur cette population inquiète.

Le sénateur Christmas : La ministre Petitpas Taylor ne m’a pas non plus fourni de date, mais je suis d’accord avec vos commentaires quant au besoin criant de programmes efficaces de sensibilisation du public.

Le Canada compte plus de 50 groupes linguistiques autochtones. Il faudra du temps pour élaborer du matériel adapté à tous ces groupes linguistiques et le distribuer. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons demandé de retarder l’adoption du projet de loi d’au plus un an. Cela nous permettrait d’élaborer le matériel, de le faire approuver et de le fournir aux collectivités.

La sénatrice Seidman : Il faut aussi du temps pour la sensibilisation. Ce n’est pas tout de produire le matériel, n’est-ce pas? Il faut aussi le fournir aux principaux intéressés et les sensibiliser à la situation, je suppose.

Le président : J’aimerais poser une question qui se greffe à la vôtre.

Nous tentons d’en faire un enjeu lié à la santé plutôt qu’à la criminalisation. En ce moment, beaucoup de membres des collectivités autochtones sont criminalisés. Quelles seront les conséquences si la loi est adoptée, mais n’est pas appliquée, ce qui revient à dire que les médias affirmeront que le cannabis est maintenant légal, alors que ce n’est pas le cas? La loi sera-t-elle quand même appliquée? Les gens continueront-ils d’être criminalisés durant cette période de transition? Rappelons que l’ancienne loi est toujours en vigueur. Qu’arrivera-t-il durant la transition?

La sénatrice Dyck : Nous espérons que la période de transition ne sera pas trop longue.

Le président : Jusqu’à un an.

La sénatrice Dyck : Oui, mais le danger, c’est que les jeunes Autochtones sont si nombreux que les effets sur la santé, nous l’avons entendu dire, risquent d’être encore plus graves, particulièrement au sein des collectivités ayant vécu un traumatisme générationnel. Les effets sur la santé seront graves.

On essaie d’atteindre un équilibre en réduisant la criminalisation, mais on augmente du même coût les risques pour la santé.

Nous avons également entendu dire que le projet de loi lui-même pourrait accroître la criminalisation des Autochtones parce qu’il y a une peine minimale obligatoire qui diluera l’effet Gladue dont ils peuvent se prévaloir par application de l’alinéa 718.2e) du Code criminel.

Il y a donc un peu de tout. Il y a de bonnes choses, et il y a de mauvaises choses. Ce qui est ressorti du lot, c’est que l’on s’inquiète beaucoup d’une augmentation de la consommation. Cette consommation accrue aura des conséquences sur la santé et nuira au développement normal du cerveau. Elle affectera la capacité des jeunes de terminer leurs études. Et ceux qui ne terminent pas leurs études ne réussissent pas à dénicher un emploi. C’est un véritable cercle vicieux.

En somme, je dirais qu’attendre, disons, six mois avant d’adopter le projet de loi serait une sage décision, car cela nous permettrait de sensibiliser convenablement cette communauté incroyablement vulnérable.

Le sénateur Munson : Merci à tous d’être ici. J’ai deux questions. Quel est l’intérêt pour les Premières Nations de produire du cannabis? On entend parler de nombreux autres intéressés à l’extérieur de Brampton et de Smiths Falls, en Ontario, entre autres. J’aimerais le savoir, car je ne les connais pas par leur nom.

De plus, en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, vous exigez le respect du droit des collectivités autochtones d’établir leurs propres lois en matière de cannabis et de taxation.

Nous vivons dans un marché libre, alors si les collectivités des Premières Nations imposent une taxe, à savoir une taxe d’accise, aussi appelée taxe sur le péché, en plus des taxes déjà imposées, le cannabis pourrait être moins cher, mais aussi plus cher. Une taxe trop élevée pourrait avoir un effet prohibitif. Je ne sais pas quelle direction cela prendrait.

Avez-vous des commentaires relativement au marché libre dans lequel nous vivons, qui fait que nous avons de la difficulté à vendre de la bière de l’autre côté de la frontière, semble-t-il?

Le sénateur Tannas : Comme l’a mentionné la présidente, nous tenions fermement à proposer un amendement qui inclurait les peuples autochtones et leurs gouvernements au régime de la taxe d’accise. C’est la proposition qu’a formulée la Commission de la fiscalité des premières nations, organisme financé par le gouvernement fédéral qui a de l’expérience et qui est très crédible. Nous n’avons pas le pouvoir de faire cela, au Sénat; si nous l’avions, nous l’aurions fait.

C’est une des raisons pour lesquelles nous demandons que l’adoption du projet de loi soit retardée. Cela permettra au gouvernement fédéral de faire ce qu’il aurait dû faire auparavant. Comme l’a souligné le commissaire, avec ce projet de loi, nous agissons exactement comme nous l’avons fait avec les cigarettes; nous nous sommes retrouvés avec un marché semi-clandestin dans les collectivités autochtones, tout près de la frontière, et il a fallu de nombreuses années pour régler la situation, non sans tensions considérables.

Nous ne semblons tirer aucune leçon de cela. Selon moi, il s’agit là d’une preuve accablante de manque de consultation, et il n’y a effectivement eu aucune consultation. Quelqu’un aurait dû remettre cela sur la table bien avant.

Pour ce qui est du développement économique, voici pourquoi nous proposons cet amendement : un certain nombre de chefs de collectivités autochtones et de chefs d’entreprise désirent vivement y participer. Soyons francs. Il s’agit là d’une des plus grandes possibilités d’affaires qui arrive de nulle part. Nous allons partir de zéro à un marché légal d’environ 7 milliards de dollars par année. Cela n’arrive pas tous les jours.

Les collectivités des Premières Nations et les collectivités autochtones ne sont pas stimulées de la même façon que d’autres parties du marché. Notre recommandation de leur fournir une part des permis et de permettre à ce développement d’avoir lieu est tout à fait logique, à notre avis.

La sénatrice Dyck : Si je puis ajouter quelque chose à cela, je pense qu’elle porte également sur la question du droit à l’autonomie gouvernementale. Les nations autonomes devraient pouvoir bénéficier de leur propre régime fiscal. À l’heure actuelle, les ententes relatives à la taxe d’accise n’ont été conclues qu’avec les provinces et les territoires, pas avec les Premières Nations. Si vous voulez qu’elles aillent de l’avant, vous devez également leur offrir des chances égales face aux possibilités économiques qui se présentent.

Le sénateur Christmas : Si je puis intervenir, l’un des témoins a souligné très clairement le fait que le but de l’élaboration de lois autochtones, même sur l’imposition ou sur le partage des recettes dans le cadre de l’actuelle entente relative à la taxe d’accise, était que ces recettes puissent être réinvesties dans les Premières Nations afin qu’elles puissent s’occuper de l’éducation publique et du manque de services et de centres de traitement en santé mentale, ou même simplement fournir des infrastructures qui peuvent appuyer certains producteurs de cannabis sur leur territoire.

Il ne s’agissait pas de prélever des impôts pour le simple plaisir d’en prélever. Le but était de permettre aux collectivités autochtones de récupérer ces nouvelles recettes et de les réinvestir dans la collectivité afin qu’elles puissent faire face à certains des effets néfastes du projet de loi C-45.

Le sénateur Manning : Chers collègues, je vous remercie de vos exposés.

Je veux aborder l’introduction de votre rapport et le manque d’accès aux fonds et le financement insuffisant destiné à des services de traitement des troubles de santé mentale et des dépendances propres à la culture. Le sénateur Christmas vient tout juste de mentionner les centres de traitement.

À Terre-Neuve-et-Labrador, un grand nombre de ces collectivités se situent en région éloignée dans la partie septentrionale du Labrador, et l’accès aux services pose un gros problème depuis de nombreuses années. Je crois que l’entrée en vigueur du projet de loi exacerbera ce problème.

Je me demande seulement, en ce qui concerne le nombre et le type d’exposés qui vous ont été présentés, quelle voie nous devons emprunter pour nous assurer que ce problème sera réglé non seulement grâce au report… Je comprends le but du report, ou plutôt de la demande de report, devrais-je dire. Je comprends cela. Toutefois, quelles suggestions vous ont été faites, en tant que comité, et le comité a-t-il des suggestions à faire concernant la façon dont nous pourrons nous assurer, sans aucun doute, d’avoir établi quelque chose avant l’entrée en vigueur du projet de loi, sur le plan juridique?

La sénatrice Dyck : Il est sûr que nous avons entendu pas mal de témoins nous dire qu’il est très important que l’on dispose de centres de traitement et de documents éducatifs adaptés à la culture. Je crois que certains ont affirmé que les ressources sur place, qui plongent leurs racines dans les traditions culturelles, étaient plus efficaces pour le traitement des dépendances.

Je ne suis pas certaine d’être en train de répondre à votre question, mais, comme tout est lié, si les recettes fiscales retournaient aux collectivités, comme l’a mentionné le sénateur Christmas, elles pourraient appuyer le nombre de services accessibles qui sont réellement adaptés à la collectivité en question. Ce sont ces collectivités qui devraient décider comment le faire. Il ne nous incombe pas de leur dire ce qui peut être fait, car nous ne le savons pas. Ce qui pourrait fonctionner dans le Nord de la Saskatchewan ne fonctionnera pas nécessairement au centre-ville de Saskatoon.

Le sénateur Manning : Pardonnez mon ignorance, mais disons que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador décidait aujourd’hui de permettre ou non la culture à domicile, la collectivité au Labrador aurait-elle le droit de décider qu’il n’y aura aucune culture à domicile sur son territoire, s’il s’agit d’une compétence provinciale?

La sénatrice Dyck : Actuellement, elle n’a pas le droit, c’est parce qu’il s’agit d’une loi d’application générale, alors elle s’applique à tout le monde. C’est un peu notre dilemme, car, au début, nous pensions que les Premières Nations pourraient choisir d’y participer, mais elles n’ont pas le choix. Si la loi entre en vigueur, elle s’applique à tous.

Le sénateur Manning : Les collectivités ne pourront pas s’y soustraire?

La sénatrice Dyck : Non.

Le sénateur Manning : Même si la collectivité décide…

La sénatrice Dyck : C’est à ce sujet que ces discussions doivent avoir lieu. Si nous croyons à l’autonomie gouvernementale, si une collectivité veut adopter un règlement administratif qui limite la culture à domicile d’une certaine manière, ce règlement devra faire l’objet d’une discussion avec le gouvernement fédéral avant d’entrer en vigueur. Autrement, la collectivité aura les mains liées avant son entrée en vigueur, avant de pouvoir obtenir tout type de mécanisme permettant d’adapter la loi à ses propres besoins.

Le sénateur Manning : Monsieur le sénateur Tannas, voulez-vous ajouter quelque chose?

Le sénateur Tannas : Non, je pensais qu’il s’agissait d’une bonne description.

Le sénateur Christmas : Nous pensions, par exemple, que certaines collectivités avaient la capacité d’interdire l’alcool sur leur territoire. Ce sont des collectivités sans alcool, et elles possèdent le pouvoir de promulguer des règlements administratifs au titre de la Loi sur les Indiens. Certains témoins ont déclaré : « Nous voudrions faire la même chose. Nous voudrions pouvoir avoir notre mot à dire pour ce qui est de déterminer si le cannabis devrait se retrouver dans nos collectivités. »

Ils ont présenté cette notion de se soustraire à la Loi sur le cannabis, mais, malheureusement, comme la sénatrice Dyck vient tout juste de le mentionner, comme le projet de loi C-45 est une loi d’application générale, les collectivités autochtones ne disposent pas d’un mécanisme leur permettant de s’y soustraire.

Le sénateur Manning : Cette recommandation n’a pas été formulée, toutefois. La demande de report a été faite dans le but de régler… Je suppose que c’est ainsi que vous traitez cette demande de report, afin que vous puissiez régler des problèmes comme celui-ci, n’est-ce pas?

La sénatrice Dyck : Ces genres de problèmes devraient être réglés durant les consultations.

Le sénateur Tannas : Dans la situation actuelle, un avocat du ministère de la Justice nous a dit que nous ne pourrions pas y intégrer une disposition qui permettrait aux Autochtones de participer ou de se soustraire à l’application du projet de loi. Il s’agit d’une loi d’application générale, et une telle disposition serait rejetée d’emblée.

Ce problème doit être réglé avant l’entrée en vigueur du projet de loi.

Le sénateur Manning : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, chers collègues, de votre travail et pour le rapport.

Quand nous lisons le rapport, deux ou trois éléments sautent aux yeux, notamment la vulnérabilité des Premières Nations et des Autochtones, et les problèmes qu’ils connaissent déjà en ce qui a trait à la toxicomanie. Vous avez également mentionné les taux de suicide. Par conséquent, vous concluez qu’il y a un besoin fort et crucial d’augmenter les capacités de traitement.

À la lumière de cette information, j’ai été surprise de constater, qu’aucun amendement du projet de loi C-45 ne portait précisément sur l’interdiction de promotion, les limites de THC ou l’âge, ou ne ressemblait à ceux qu’ont présentés d’autres comités dans le but d’appliquer le principe de précaution et de tenter de protéger le plus possible les jeunes. Pouvez-vous formuler un commentaire sur les éléments qui ont été abordés ou sur les raisons pour lesquelles ces éléments ne l’ont pas été?

La sénatrice Dyck : C’est une bonne question. Je vous remercie, madame la sénatrice Galvez. De fait, aucun des témoins n’a même soulevé ces questions, et je pense que c’est parce qu’ils étudiaient le projet de loi du point de vue de ses effets généraux sur les collectivités au lieu de se pencher sur des détails précis. À mon avis, c’est le Comité des affaires juridiques qui se pencherait sur les différents détails du projet de loi, alors je pense que c’est pour cette raison que nos témoins n’ont pas soulevé ces préoccupations particulières.

Le sénateur Tannas : Il s’agit d’une préoccupation pour tous les jeunes Canadiens, et nous nous sommes concentrés davantage sur les éléments qui étaient propres aux collectivités autochtones, sachant que votre comité et d’autres comités allaient se concentrer sur les éléments qui touchaient l’ensemble des Canadiens.

La sénatrice Poirier : Merci à vous trois ainsi qu’à tous les membres du comité de l’excellent travail que vous faites à ce sujet.

Ma question porte sur les défis dans les collectivités nordiques dont vous parlez dans notre rapport, en particulier en ce qui a trait au manque de programmes de traitement des dépendances dans le Nord. Les résidants de cette région ont-ils l’impression d’être prêts pour cette légalisation?

La sénatrice Dyck : Non.

La sénatrice : Se sentent-ils appuyés par le gouvernement fédéral pour ce qui est de mettre en place les outils nécessaires? Sont-ils convaincus que cela aura lieu?

La sénatrice Dyck : Je ne sais pas si nous pouvons répondre à cette question.

Le sénateur Tannas : Ma réponse est non, mais ce n’est pas parce que nous leur avons posé cette question précise d’une manière aussi simple.

La sénatrice Poirier : D’accord. Le fait d’avoir plus de temps leur procureraient-ils davantage de possibilités de consultation au sujet des outils et des services de soutien qui sont requis? Est-ce là une des raisons pour lesquelles nous demandons plus de temps?

La sénatrice Dyck : Oui, assurément. Nous avons entendu dire qu’il n’y a aucun centre de traitement dans le Nord et qu’il faut prendre l’avion pour être traité. En outre, dans d’autres régions du pays, les centres de traitement ne sont pas situés dans la collectivité où habitent les Autochtones.

Le nombre de centres et d’installations de traitement n’est pas suffisant pour que l’on puisse traiter le nombre de cas que nous avons actuellement, et encore moins pour faire face à toute augmentation qui pourrait se produire après l’entrée en vigueur du projet de loi.

La sénatrice Poirier : Votre rapport établit très clairement l’importance cruciale de ce report d’un an, que vous recommandez pour les collectivités en raison de toutes les préoccupations qui ont été soulevées et des consultations qui, selon vous, n’ont pas été tenues. En outre, je pense que son importance est très claire dans les déclarations que vous avez faites.

Selon vous, quelles conséquences pourrait-il y avoir si, pour une raison ou pour une autre, cette recommandation n’était pas acceptée par le gouvernement?

La sénatrice Dyck : Je pense que les témoins étaient très préoccupés par le fait que, comme l’ont souligné d’autres sénateurs, les taux de toxicomanie, de suicide et de diplomation sont très élevés dans certaines collectivités, et on craint que la situation empire. Ces collectivités ne peuvent pas se le permettre, surtout compte tenu de la grande proportion de jeunes. Elles sont dans une période où les choses pourraient prendre une très bonne tournure simplement parce qu’elles comptent un très grand nombre de jeunes. Je pense que cela ralentirait vraiment le rétablissement de la population.

Le sénateur Christmas : Madame la sénatrice Poirier, la situation actuelle dans de nombreuses collectivités est déjà en crise sans le projet de loi C-45. Alors, les collectivités sont traumatisées; elles subissent les effets intergénérationnels des pensionnats et de la colonisation. Nous faisons déjà face à de graves problèmes de santé mentale et de dépendance, et certaines collectivités sont même aux prises avec des épidémies de suicide. Actuellement, certaines collectivités sont en crise. Ajoutez le projet de loi C-45 à ce mélange, et je crains que les répercussions sociales ne feront qu’augmenter considérablement.

Nous n’avons vraiment aucun filet social qui soit assez solide pour régler ces problèmes. Par exemple, le sénateur Patterson a été l’un de nos témoins, et il a déclaré que les collectivités inuites dans le Nord ne sont pas prêtes et qu’elles exhortent le Parlement à les laisser se préparer avant l’adoption du projet de loi. C’est non seulement du point de vue des documents de sensibilisation du public, mais aussi — comme l’a mentionné la sénatrice Dyck — en raison de l’absence de centres de traitement en établissement pour faire face aux problèmes actuels. Comment ces collectivités vont-elles faire face aux problèmes qui découleront du projet de loi C-45 dans l’avenir?

Il s’agit là de l’une des raisons pour lesquelles nous étions fortement d’avis que nous devons régler tout ce problème lié aux services de santé mentale et aux centres de traitement des dépendances avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-45.

La sénatrice Poirier : Merci. Nous espérons que ce plaidoyer soit entendu.

La sénatrice Dyck : En décembre 2017, l’Assemblée des Premières Nations a adopté à l’occasion de l’assemblée de ses chefs une résolution visant à reporter d’un an la mise en œuvre du projet de loi. Les chefs ont déjà entendu les préoccupations de l’ensemble du pays.

La sénatrice Poirier : Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, madame la sénatrice. J’ai compté. Vous avez posé cinq questions. Il s’agit de la meilleure utilisation de votre temps que j’aie jamais vue. C’est excellent.

La sénatrice Omidvar : Je vais essayer d’être aussi efficiente que la sénatrice Poirier.

Je veux me concentrer sur les conséquences disproportionnées de la criminalisation sur les jeunes Autochtones. Avez-vous consulté des organismes œuvrant auprès des jeunes Autochtones? Quels conseils ont-ils donnés? Qu’ont dit leurs représentants dans leurs témoignages?

La sénatrice Dyck : Je ne crois pas que nous avons reçu des témoins de ce type d’organisation, mais nous avons reçu un mémoire du conseil des jeunes du Nunavut. Des préoccupations ont été soulevées concernant les jeunes, mais aucun représentant de groupes de jeunes n’est venu témoigner. Je crois que nous avons essayé d’en convoquer, mais, comme vous le savez, en raison du calendrier que nous devions respecter, il y a beaucoup de témoins qui n’ont pu venir.

La sénatrice Omidvar : Merci. Pour poursuivre, ma question s’adresse à vous, sénateur Christmas, et porte aussi sur les déclarations des témoins. Parmi ceux entendus, y en a-t-il qui ont abordé le sujet de l’échange de cannabis dans un contexte social entre adultes ou entre mineurs seulement, par exemple dans la situation où un jeune de 19 ans passe un joint à un jeune de 18 ans, et les peines sévères auxquelles s’expose le jeune de 19 ans? Étant donné les incidences déjà disproportionnées sur les jeunes Autochtones… je viens de prendre connaissance des résultats d’une étude qui montrent que, à Regina, les Autochtones sont neuf fois plus susceptibles qu’une personne blanche de se faire arrêter pour des motifs liés au cannabis. Il s’agit probablement d’une préoccupation dans votre collectivité, c’est-à-dire la peine d’emprisonnement de 14 ans prévue par le projet de loi pour avoir posé le geste, somme toute assez inoffensif, de partager un joint.

Avez-vous entendu des commentaires à ce sujet? Des témoins en ont-ils parlé ou ont-ils exprimé des préoccupations à cet égard?

Le sénateur Christmas : Je partage votre préoccupation concernant les taux d’incarcération élevés chez les jeunes Autochtones. C’est un fait bien connu. Malheureusement, non, personne n’a abordé dans son témoignage l’incidence des peines sévères qui pourraient être imposées pour avoir partagé du cannabis avec des mineurs. Aucun témoin n’a abordé les peines sévères imposées en cas de possession de plus de 5 grammes.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre excellent exposé. Je suis un membre du même comité, donc j’ai peut-être un parti pris, mais à mon avis, vous avez fait un très bon exposé.

Sénatrice Dyck, vous avez mentionné plusieurs fois l’Assemblée des Premières Nations, qui représente plus de 600 Premières Nations d’un bout à l’autre du pays, et avez dit que ses responsables tiennent une réunion aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-45. De ce que j’en comprends, ils ont discuté ce matin du Cadre pour la reconnaissance et la mise en œuvre des droits que le premier ministre a annoncé et dont il a fait une priorité principale. On parle dans ce document de réconciliation, de respect et de reconnaissance, ainsi que de l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard de la déclaration de l’ONU, qui exige d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des Autochtones. Je sais que les membres de votre comité étaient d’avis que l’une des principales lacunes touchait la consultation, et c’est une des premières observations que nous avons formulées.

Ce matin, quand le premier ministre a parlé du Cadre pour la reconnaissance et la mise en œuvre des droits autochtones, il a déclaré : « Nous pouvons le réaliser rapidement, ou nous pouvons le réaliser correctement. » Pourriez-vous nous dire si cette façon de voir les choses reflète les témoignages des représentants des peuples autochtones entendus au cours de notre étude du projet de loi C-45?

La sénatrice Dyck : Je crois qu’un certain nombre de témoins nous ont mentionné qu’ils n’ont pas été consultés. Il y en a eu sept, si je me souviens bien. Certains témoins nous ont parlé de repousser la mise en œuvre du projet de loi — des représentants de trois organisations, y compris de l’Assemblée des Premières Nations —, et plusieurs représentants des Premières Nations ont évoqué un manque de préparation.

La démarche ne correspond pas au concept de consultation permettant d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le gouvernement actuel en a beaucoup parlé. Une occasion se présente à lui en ce moment. Le gouvernement a entamé les consultations, mais il a l’occasion de donner suite aux commentaires exprimés et de passer véritablement à l’action et ensuite, au cours des trois ou six prochains mois, d’obtenir véritablement un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Il semble que des représentants du gouvernement ont commencé des démarches en ce sens. Ils se sont exprimés lors de l’assemblée extraordinaire des chefs hier, et le feront encore aujourd’hui. Ils ont un plan. Comme je l’ai mentionné précédemment, il existe un groupe de travail sur le cannabis qui collabore avec l’Assemblée des Premières Nations, mais les responsables du gouvernement doivent véritablement changer la façon de tenir ces discussions ou ces séances de consultation pour que les membres des Premières Nations soient de véritables partenaires et que des échanges et de la collaboration aient lieu.

Le sénateur Patterson : Selon ce que vous avez observé, il semble que la majeure partie des consultations menées auprès des Premières Nations ou des Autochtones l’ont été après la rédaction et le dépôt du projet de loi, et non avant.

La sénatrice Dyck : Le document présenté par un des chefs autochtones mentionnait que la consultation finale a été entreprise en janvier de cette année, c’est-à-dire il y a seulement quatre mois. Le gouvernement a fourni une liste d’autres réunions, événements et tribunes qui ont été tenus, mais le groupe de travail qui collabore avec l’Assemblée des Premières Nations n’a été mis sur pied qu’en janvier.

Le sénateur Patterson : Nous avons aussi examiné les consultations menées auprès des Inuits. Avez-vous des commentaires à fournir concernant la façon dont le gouvernement fédéral a mené ces consultations?

La sénatrice Dyck : J’ai oublié la façon dont le processus s’est déroulé avec les Inuits. J’espère que quelqu’un d’autre s’en souvient.

Le sénateur Christmas : Assurément, des représentants des Inuits sont venus témoigner. Je me souviens avec beaucoup de précision que, une soirée, deux aînés inuits ont comparu devant le comité. Ils ont fait un vibrant et puissant plaidoyer, et ont affirmé que leurs collectivités n’étaient pas prêtes, que les membres n’ont pas été consultés et qu’ils craignaient les répercussions du projet de loi C-45 sur leurs jeunes.

Si vous prenez par exemple des personnes qui vivent dans une collectivité et qui ne font pas partie d’un gouvernement ou d’une organisation, elles n’ont certainement pas participé à ces discussions. Le responsable de l’ITK est venu témoigner; il a reconnu qu’il a rencontré des représentants du gouvernement, mais que, à ses yeux, il ne s’agissait pas d’une consultation.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Dyck : Puis-je ajouter quelque chose?

Le président : Brièvement, s’il vous plaît.

La sénatrice Dyck : Je me souviens que nous avons reçu un mémoire des responsables de l’organisme Nunavut Tunngavik Incorporated, dans lequel ils demandaient de repousser la mise en œuvre parce qu’ils étaient d’avis qu’ils n’avaient pas été consultés. Il s’agit en fait d’une résolution en bonne et due forme.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous de votre présence et de votre travail.

J’ai quelques questions. Je vais essayer de réussir à toutes les poser.

Je vais commencer par la sénatrice Dyck. Vous avez mentionné dans votre déclaration liminaire que le projet de loi diminuera les effets des rapports Gladue. Pouvez-vous donner plus d’explications à ce sujet?

La sénatrice Dyck : Oui. Des représentants de l’Association du Barreau Autochtone du Canada nous ont mentionné que le libellé des dispositions touchant les peines faisait en sorte que les juges seraient obligés d’imposer une peine minimale pour certaines infractions. Selon l’alinéa 718.2e) du Code criminel, qui fait l’objet de l’arrêt Gladue, le juge doit tenir compte de l’ensemble des délinquants, et si possible ne pas leur infliger une peine d’emprisonnement, en particulier si le délinquant est un Autochtone. Les dispositions du projet de loi limitent le pouvoir discrétionnaire du juge. Les principes émanant de l’arrêt Gladue seront, d’une certaine façon, diminués et écartés.

La sénatrice Bernard : Merci.

Ma deuxième question porte sur l’intersectionnalité. Je me demande si des témoins ont abordé les incidences différentes que les femmes autochtones pourraient subir. Je fais le lien entre cette situation et les témoignages entendus ailleurs à propos de l’augmentation du nombre de femmes autochtones incarcérées et d’enfants pris en charge par les programmes d’aide à l’enfance.

La sénatrice Dyck : Malheureusement, nous n’avons pas entendu de témoignage à ce sujet. Je crois que nous avons demandé aux responsables de certains organismes autochtones qui auraient pu être en mesure de répondre à cette question de témoigner, mais ce n’était pas possible pour eux de le faire.

La sénatrice Bernard : Cela rejoint votre deuxième amendement, soit votre recommandation selon laquelle la ministre devrait réserver au moins 20 p. 100 des permis de production de cannabis. J’ai présenté quelque chose de semblable relativement à la communauté afro-canadienne. J’ai aussi tenu compte du fait qu’une personne ayant des antécédents criminels ne pourrait pas participer à cette industrie. Avez-vous entendu des témoignages à ce sujet? Ces commentaires ont-ils été pris en compte dans l’élaboration de l’amendement?

Le sénateur Tannas : Nous étions axés sur le développement économique plutôt que sur les détenteurs de licence.

La sénatrice Bernard : Qui peut prendre part à ce développement économique?

Le sénateur Tannas : Notre recommandation ne vise pas à limiter la participation à des entreprises autochtones exploitées sur des territoires autochtones, parce qu’il est possible que les responsables de nombreuses entreprises déjà établies dans le domaine projettent de créer des installations supplémentaires de production, et elles pourraient créer des coentreprises et offrir des emplois dans le commerce en ligne.

Cet aspect nous intéressait davantage. Puisque les choses avancent rapidement, l’accent a été mis sur le fait de nous assurer que les membres des collectivités autochtones qui cherchent des occasions de développement économique aient la possibilité de rejoindre l’industrie et d’y participer.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Raine : Je suis aussi membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et j’ai entendu les témoignages. Je souhaite profiter de cette occasion pour approfondir certains points qui n’auraient peut-être pas suffisamment fait l’objet de discussions. Je souhaite préciser l’idée voulant que, puisque le projet de loi C-45 est d’application générale et que la vie des peuples autochtones est régie par la Loi sur les Indiens, les Autochtones n’ont pas, en conséquence, le pouvoir d’interdire la vente de cannabis sur leurs propres terres. Je sais que les administrations municipales ont le droit de le faire, et si les responsables des collectivités autochtones n’ont pas le même droit, quelque chose cloche.

Savez-vous s’il serait possible de modifier la Loi sur les Indiens au moyen du projet de loi C-45 pour faire en sorte que ce pouvoir soit aussi conféré aux collectivités autochtones? Le sénateur Christmas est peut-être la personne qui a le plus d’expérience dans ce domaine.

La sénatrice Dyck : J’ai pensé proposer de modifier la Loi sur les Indiens, mais je me suis dit que les gens en sont tellement insatisfaits qu’il semblerait étrange de la modifier pour y inclure des dispositions sur le cannabis. Comme le sénateur Christmas l’a souligné, vu que le cannabis, contrairement à l’alcool, n’est pas mentionné de façon spécifique dans la Loi sur les Indiens, cela explique pourquoi il y a une différence quant à la réglementation que les dirigeants autochtones peuvent adopter à l’égard de ces produits. Cela semble incongru de revenir à la Loi sur les Indiens et de la modifier.

La sénatrice Raine : Je peux comprendre cette réticence; toutefois, je sais que bien souvent, quand une loi est adoptée, elle modifie d’autres lois, donc il est assez facile de penser que la même chose pourrait s’appliquer. Si notre intention est de donner l’occasion à une collectivité de décider d’interdire la vente de cannabis sur son territoire, alors je me demande…

La sénatrice Dyck : Cela correspondrait très bien au concept de la mise en œuvre du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, dont la portée dépasse celle de la Loi sur les Indiens. Il appartient au gouvernement de prendre le temps de déterminer de quelle façon il peut le faire et dépasser la portée de la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Christmas : Une de nos recommandations relativement aux politiques, soit la recommandation no 2, touche directement ce sujet. Nous avons recommandé que le gouvernement du Canada établisse des mécanismes à l’intention des collectivités autochtones pour qu’elles puissent restreindre la production, la distribution, la vente ou la possession de cannabis sur des terres sous leur compétence ou leur appartenant.

Assurément, nous sommes d’avis, comme les membres du Comité des peuples autochtones, que les Autochtones ont le droit de promulguer leur propre réglementation concernant le cannabis. La plus récente déclaration du premier ministre concernant le fait que l’article 35 reconnaît un large éventail de droits aux Autochtones, et non le contraire, sous-entend que les collectivités autochtones ont la capacité de promulguer leurs propres mesures réglementaires.

Encore une fois, je reviens à l’idée que le fait de repousser la mise en œuvre de ce projet de loi pourrait permettre aux Premières Nations d’exercer ces droits et de créer leur propre régime réglementaire sur le cannabis.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vous remercie, chers collègues, pour votre rapport. Vous avez dit plus tôt qu’il n’y a pas assez de centres de désintoxication. Où vont les jeunes en ce moment lorsqu’ils sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie? Qui s’en occupe actuellement?

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Il existe environ 50 centres de traitement de la toxicomanie au Canada pour les Autochtones, et, malheureusement, à bien des endroits, les centres de traitement résidentiels ou les centres de traitement de la toxicomanie ne sont pas situés à proximité de bien des collectivités. Vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice, d’affirmer que, dans bien des cas, malheureusement, les gens qui ont besoin de traitement de la toxicomanie doivent se déplacer assez loin pour obtenir de l’aide.

Si c’est la situation qui prévaut actuellement, c’est-à-dire qu’il n’y a pas suffisamment de centres de traitement de la toxicomanie dans les collectivités autochtones, qu’arrivera-t-il après l’adoption du projet de loi C-45, alors que nous créerons peut-être par mégarde plus de cas de dépendance et qu’un plus grand nombre de personnes auront besoin de traitement?

[Français]

La sénatrice Mégie : Les témoignages entendus ont-ils révélé des données qui indiquent avec quelles substances les jeunes deviennent intoxiqués? Est-ce uniquement par la marijuana ou est-ce également par d’autres drogues dures?

[Traduction]

La sénatrice Dyck : Nous n’avons obtenu de données objectives d’aucun des témoins. Je ne suis même pas certaine que ce genre de données existent. Il est possible que Statistique Canada soit une source à consulter, mais, bien souvent, quand les responsables recueillent des données, l’identité autochtone n’est pas toujours consignée ou cette donnée n’est pas toujours fiable.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma suggestion peut paraître simpliste, mais la légalisation ne pourrait-elle pas être un tremplin pour accélérer la mise sur pied des centres de désintoxication de proximité? Ce pourrait être une occasion. Qu’en pensez-vous?

[Traduction]

La sénatrice Dyck : Ce serait une occasion, puisque nous nous attendons à une hausse, mais il faudrait repousser la mise en œuvre du projet de loi pour les établir avant que l’augmentation de la demande exerce de la pression sur ces centres. Comme le sénateur Christmas l’a mentionné, nous savons déjà qu’il n’y a pas suffisamment de centres de traitement.

Le sénateur Tannas : Il est également juste de dire que leur nombre est insuffisant, et la légalisation créera une demande supplémentaire pour laquelle, selon ce que nous avons entendu, il n’y a aucun financement. Ces collectivités éprouvent déjà des difficultés à s’en sortir, alors voilà le problème, le retard de l’entrée en vigueur de la loi touche précisément les programmes de financement permettant la création de centres de traitement.

Le président : Deux de nos collègues et invités sont ici. J’aimerais leur permettre de poser chacun une petite question.

La sénatrice Lankin : Tout d’abord, sénateur Christmas, vous et moi avons eu l’occasion de parler de deux ou trois de ces centres. Je suis désolée; cela vous paraîtra répétitif, mais je voulais aborder cette question.

Vous avez réalisé un travail fantastique. Il importe pour nous d’entendre ces voix. Je n’approuve pas toutes les recommandations, mais ce n’est pas parce que je ne crois pas que les questions sont importantes. Je pense qu’il faut regrouper de multiples perspectives, y compris celles-là.

Ma première question porte sur la consultation, et il s’agit d’un appel direct à votre comité afin qu’il relève le défi d’élaborer un cadre de consultation. Nous devons créer ce cadre — peu importe ce qui se passe, nous ne nous y prenons pas de la bonne manière — puis trouver, de concert avec les collectivités autochtones, ce qui fonctionnerait et la façon dont cela fonctionnerait, et mettre en place un cadre auquel nous pouvons tous souscrire.

Ensuite, pour ce qui est du retard, je crois que nous n’entendons qu’un côté de la médaille, mais il faut aussi savoir ce qui va se produire avec le marché illicite si nous suspendons les discussions et repoussons le projet de loi d’un an et ce qui arrivera aux entreprises qui sont déjà prêtes à commencer leurs activités et à réaliser des investissements. Il y a énormément de considérations.

Je crois que la question relative aux droits est importante. Comme le Comité des affaires juridiques a proposé un amendement qui clarifierait le droit des provinces de réglementer — en l’occurrence, concernant la culture à domicile —, il ne s’agirait plus d’une loi d’application générale. Elle respecterait les compétences fédérale et provinciales sur certaines questions. Elle serait parallèle, mais asymétrique, et on pourrait proposer un amendement. Si on prend la recommandation no 2 et qu’on en fait un amendement au projet de loi, et pas à la Loi sur les Indiens, cela donne à ces collectivités une occasion de confirmer leurs droits, comme vous l’avez déjà dit, alors ces collectivités pourraient profiter du retard pour se préparer à l’adoption du projet de loi. Et les personnes qui sont prêtes pourraient procéder selon le développement économique ou peu importe. Quelqu’un pourrait-il nous faire part de son opinion à cet égard?

Le président : Sénatrice Deacon, voudriez-vous poser votre question, et ensuite nous pourrions obtenir les réponses à toutes les questions?

La sénatrice Deacon : Je vais laisser la parole à la sénatrice Lankin. J’allais aborder ce sujet, mais il y aura peut-être un chevauchement.

Le président : Les réponses, s’il vous plaît, à la question de la sénatrice Lankin.

La sénatrice Dyck : je ne pense pas qu’il soit approprié que notre comité établisse un cadre de consultation parce que, à mon avis, une entité non autochtone ne devrait pas dire quoi faire aux Premières Nations. Comme un chef nous l’a dit concernant la gouvernance des Premières Nations, rien sur nous ne se fera sans nous. Cela veut dire qu’on ne tiendra aucune discussion sans la participation des Premières Nations. Alors si nous établissons un cadre, cela pourrait être vu comme une autre forme de colonialisme. Ce cadre doit venir des Premières Nations. Ce n’est pas nous qui devrions l’établir.

La sénatrice Lankin : Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Le sénateur Tannas : Nous parlons exactement de l’idée de conférer les pouvoirs d’une province à un gouvernement autochtone d’une manière ou d’une autre ou de trouver un moyen d’égaliser les choses. Si nous avions pu apporter des amendements précis à cet égard, nous l’aurions fait, mais on nous a dit que nous ne le pouvions pas. Quant au partage des recettes, nous ne pouvons pas, en tant que sénateurs, nous mêler de qui recevra quoi par rapport aux taxes.

Ensuite, pour ce qui est de l’adhésion facultative, nous n’avons reçu aucun avis précisant si nous pouvions faire quelque chose dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Le ministère de la Justice nous a avisés que nous ne pouvions rien faire relativement à l’adhésion facultative. C’est la règle d’application générale.

La Loi sur les Indiens pourrait offrir une mesure provisoire ou une autre mesure pourrait être prise pendant la période intermédiaire parce qu’il s’agissait d’une des demandes les plus importantes des collectivités, à savoir qu’elles aimeraient avoir la possibilité de refuser d’adhérer.

Le président : D’accord. Nous avons dépassé le temps alloué. Je dois mettre fin à ce groupe de témoins.

Je remercie nos chers collègues, la sénatrice Dyck, et les sénateurs Tannas et Christmas, d’être venus présenter leur rapport et d’avoir répondu à nos questions.

Nous allons maintenant passer à notre troisième groupe de témoins de l’après-midi en ce qui a trait au projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Nous avons trois associations d’avocats. Permettez-moi de vous les présenter. Nous recevons Annamaria Enenajor, avocate criminaliste, et Michael Spratt, avocat criminaliste, de la Criminal Lawyers’ Association. Nous recevons également Paul J. Calarco, membre, et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, de l’Association du Barreau canadien.

[Français]

Du Barreau du Québec, nous accueillons, par vidéoconférence, Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel.

[Traduction]

Me Lévesque est avec nous par vidéoconférence.

Je vais demander aux représentants de chacun des trois groupes de faire leur déclaration liminaire; les groupes disposent tous de sept minutes. La Criminal Lawyers’ Association et l’Association du Barreau canadien ont chacune deux personnes qui devront partager les sept minutes.

Michael Spratt, avocat criminaliste, Criminal Lawyers’ Association : J’aimerais commencer par vous remercier. C’est un honneur et un privilège de témoigner devant le comité afin de parler de cette question très importante.

Me Enenajor et moi sommes ici au nom de la Criminal Lawyers’ Association. Nous sommes un organisme sans but lucratif comptant 1 000 avocats criminalistes. Notre association a pour mission d’éduquer, de soutenir et de représenter ses membres, ainsi que les personnes qu’ils défendent, relativement à des questions en matière de droit pénal et de droit constitutionnel. Notre association a souvent témoigné devant des comités comme le vôtre et elle est intervenue dans le cadre d’appels interjetés devant la Cour d’appel et la Cour suprême du Canada.

La CLA appuie les dispositions législatives qui sont équitables, modestes et, surtout, constitutionnelles. Je vais être franc avec vous : le projet de loi C-45 est un projet de loi difficile pour moi personnellement et pour nous en tant qu’organisme. Il est difficile parce que nous savons, en tant qu’avocats criminalistes, que la guerre contre les drogues est un échec lamentable. Les coûts sociaux et financiers de la criminalisation des drogues excèdent tout avantage illusoire. Le meilleur exemple est celui de l’interdiction du cannabis.

Chaque année, beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes sont incarcérés, stigmatisés et tués en raison de quantités relativement petites de marijuana. La criminalisation de la marijuana impose des peines déraisonnables pour un crime présentant un risque relativement faible. Dans le monde réel, un casier judiciaire, simplement pour possession de marijuana, signifie des possibilités d’emploi et des occasions de voyage limitées et d’autres conséquences collatérales dévastatrices. Ce sont le plus souvent les personnes marginalisées, pauvres et racialisées qui subissent ces conséquences.

Simplement, c’est la criminalisation de la marijuana, non pas la marijuana elle-même, qui cause ces préjudices.

En ce sens, nous saluons la légalisation du cannabis, mais ce n’est pas vraiment ce que fait ce projet de loi. Il ne légalise pas le cannabis dans assez de situations et il ne va pas assez loin. Cependant, par-dessus tout, il est truffé de dispositions et d’articles inconstitutionnels qui seront invalidés par les tribunaux peu de temps après leur adoption. En vertu de ce projet de loi, les jeunes sont punis et criminalisés plus que les adultes. Un jeune âgé de 17 ans qui a en sa possession six grammes de marijuana est un criminel qui sera arrêté et poursuivi. Son ami âgé de 18 ans, qui a en sa possession une plus grande quantité de marijuana — jusqu’à 30 grammes —, ne commet pas d’infraction. Cela ne figure nulle part ailleurs dans le Code criminel et devrait déclencher un signal d’alarme pour le comité. Il s’agit d’une criminalisation fondée sur l’âge, laquelle sera jugée inconstitutionnelle.

Le projet de loi présente de nombreux autres problèmes. Je vais maintenant parler des contraventions avant de laisser les dernières minutes à Me Enenajor.

La disposition sur les contraventions constitue également une discrimination à l’égard des jeunes. Ceux-ci ne peuvent pas s’en prévaloir, et ils seront forcés à s’engager dans la voie de la criminalité. Les policiers ou les procureurs ne disposeront d’aucun pouvoir discrétionnaire leur permettant de donner une contravention à un jeune.

Mais ce n’est même pas le pire problème que présente la disposition sur les contraventions. La disposition offre deux avantages : elle évite que des adultes soient poursuivis au criminel et elle scelle les dossiers judiciaires afin que certaines des conséquences criminelles collatérales ne touchent pas les adultes qui reçoivent des contraventions. Mais nous savons que cette disposition ne vise pas les jeunes et que les personnes pauvres continueront de faire de l’objet de marginalisation et de discrimination dans le cadre de ce régime de contravention parce qu’on ne peut voir son dossier judiciaire scellé que si on a les moyens de payer l’amende dans les 30 jours. C’est un cas évident de discrimination ou de disposition inconstitutionnelle. Il s’agit d’une solution facile.

Je vais maintenant laisser la parole à Me Enenajor, qui abordera d’autres problèmes que présente le projet de loi.

Annamaria Enenajor, avocate criminaliste, Criminal Lawyers’ Association : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vais aborder deux problèmes que pose le projet de loi C-45 selon la Criminal Lawyers’ Association. Le premier réside dans les conséquences collatérales liées à l’immigration de certaines infractions prévues par le projet de loi. Le deuxième est un oubli flagrant dans le libellé du projet de loi, à savoir qu’il ne tient pas compte de la criminalisation du cannabis au Canada et des conséquences pour certains Canadiens et qu’il ne les atténue d’aucune façon.

Les peines pour les infractions prévues dans le projet de loi C-45 sont assez sévères. Contrairement à la loi actuelle sur la marijuana, par exemple, le projet de loi C-45 augmente la peine maximale pour la distribution de trois kilogrammes ou moins de marijuana, qui passe de 5 à 14 ans. Par conséquent, plus de résidants canadiens verront leur statut légal menacé de manière injustifiée à la suite d’une condamnation relative à ces infractions.

L’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit qu’une personne est interdite de territoire pour criminalité au Canada pour deux raisons : premièrement, si elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement de six mois ou plus, et deuxièmement, si elle a été condamnée pour une infraction punissable par un emprisonnement maximal de plus de 10 ans. Le projet de loi C-45 augmente l’emprisonnement maximal au-delà de ce seuil de 10 ans pour un certain nombre d’infractions liées à la possession et à la distribution de marijuana. Ainsi, plus de Canadiens ayant commis une infraction qui présente un risque relativement faible ou participé à une telle infraction seront expulsés du pays et, possiblement, détenus entre-temps.

En pratique, si un résident permanent canadien âgé de 18 ans est condamné pour avoir passé un joint à son ami âgé de 17 ans, celui-ci fera l’objet d’une mesure d’expulsion même s’il écope seulement d’une condamnation avec sursis sans emprisonnement, ce qui reflète la véritable gravité morale de l’infraction dans le cadre du système pénal.

L’effet de ces conséquences collatérales peut être assez néfaste et sera évidemment subi de manière disproportionnée par nombre de personnes vulnérables de la société. Les nouveaux arrivants au Canada, les immigrants et les résidents permanents présentent souvent des problèmes de santé mentale, comme l’a décrit la Société de schizophrénie de l’Ontario dans un article publié en 2010.

Le projet de loi proposé ne fait rien pour lutter contre la stigmatisation subie par des Canadiens en raison de condamnations au criminel. Nous savons que ces condamnations et la criminalisation du cannabis se sont répercutées de manière disproportionnée sur les Autochtones du Canada et d’autres groupes vulnérables comme les Noirs du Canada.

Le fait de ne pas atténuer l’effet de la stigmatisation sur la vie de ces personnes fera en sorte qu’elles continueront d’être stigmatisées et criminalisées, et de faire l’objet de la surveillance envahissante de l’État jusqu’à ce qu’on règle la question. Dans notre mémoire, il s’agit d’une conséquence disproportionnée que le projet de loi ne prévoit pas.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à l’ABC.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Bonjour, et merci de nous avoir invités aujourd’hui à présenter le point de vue de la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-45.

L’ABC est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Notre mandat est notamment d’améliorer le droit et l’administration de la justice. Notre Section nationale du droit pénal représente de manière égale les avocats de la Couronne et de la défense de partout au pays.

Je suis accompagnée aujourd’hui de Paul Calarco, un avocat de la défense de Toronto et membre exécutif de notre section. M. Calarco résumera les points saillants de notre mémoire et répondra à vos questions. Merci.

Paul J. Calarco, membre, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Honorables sénateurs, depuis 1978, l’Association du Barreau canadien préconise une approche différente de celle adoptée traditionnellement au pays en matière de possession et de consommation de marijuana.

L’expérience nous a appris qu’une interdiction absolue n’a pas fonctionné, mais elle a entraîné la distribution de la drogue sur le marché noir, stimulé la croissance d’éléments criminels et fait en sorte que nombre de personnes ont un casier judiciaire ayant un effet néfaste sur leur vie. En même temps, les personnes qui avaient besoin de cette drogue à des fins thérapeutiques légitimes se voyaient refuser, jusqu’à récemment, l’accès à cette drogue, ce qui les forçait à l’acheter illégalement.

Un meilleur système était et est encore nécessaire. En 2013, l’Association du Barreau canadien a expressément demandé au gouvernement d’adopter un modèle de réduction des méfaits en matière de consommation de drogues en précisant qu’il s’agissait non pas principalement d’une question de droit pénal, mais d’une question sociale et médicale.

Cela ne signifie pas que l’ABC ne voit pas les dommages associés à la consommation de drogues, mais, en bref, la criminalisation généralisée est un échec.

Le projet de loi C-45 préconiserait une approche visant une industrie réglementée en matière de consommation et de distribution de drogues. Il s’agit d’une importante initiative à volets multiples, mais, comme pour tout grand changement complexe, il est plus important de bien faire les choses que de les faire rapidement.

Le projet de loi est un grand pas vers le traitement non criminel de la consommation et de la possession de cannabis, mais la Section de l’ABC continue de nourrir de vives inquiétudes au sujet du projet de loi, et je vais en aborder quelques-unes.

Premièrement, le projet de loi C-45 ferait trop souvent en sorte que des personnes passeraient d’une activité légale à une activité criminelle grave assortie de peines sévères, même s’il n’existe qu’une différence factuelle minime entre les deux situations. Nous exhortons à la prudence relativement aux exemples concrets que notre section et d’autres ont fournis concernant la façon dont les propositions toucheraient les Canadiens ordinaires.

Le message qu’on envoie maintenant aux Canadiens, c’est que le cannabis sera bientôt entièrement légal. Ce n’est pas le cas. Le projet de loi maintient un régime criminel très ferme pour de nombreux aspects de la possession, de la distribution et de la culture. La clarté est essentielle.

Deuxièmement, les peines prévues par le projet de loi C-45 devraient être réexaminées. Les peines proposées vont bien au-delà de ce que les tribunaux imposent aujourd’hui. Même lorsque de grandes installations de culture de la marijuana sont découvertes, les tribunaux n’envisagent pas des peines de 14 ans, mais le projet de loi prévoit un emprisonnement maximal de 14 ans et de lourdes amendes, ou un emprisonnement de cinq ans moins un jour pour possession simple. Même si les infractions font l’objet de poursuites par procédure sommaire, les peines d’emprisonnement et les amendes sont encore très élevées.

Il est impossible d’avoir recours à une ordonnance de sursis lorsque la Couronne procède par acte d’accusation, et l’absolution sera impossible, puisque l’emprisonnement maximal est de 14 ans. Nous proposons que les fourchettes de peines déterminées par la loi reflètent les véritables peines imposées actuellement et permettent des mesures de rechange comme l’ordonnance de sursis et l’absolution. Cela signifie que les peines maximales doivent être réduites.

En outre, nous demandons que, jusqu’à ce que les dispositions actuelles soient remplacées, les poursuites soient menées conformément à l’esprit du nouveau projet de loi et que des conditions sans placement sous garde soient imposées chaque fois que c’est raisonnablement possible. L’ABC s’oppose depuis longtemps aux peines minimales obligatoires, et nous proposons qu’on n’y ait pas recours pendant la période intérimaire.

Troisièmement, le régime de contraventions prévu aux articles 51 à 60 est très limité; il prévoit un maximum de 50 grammes ou de cinq à six plantes de cannabis pour ce qui est de la culture, et d’une ou deux plantes de cannabis au-dessus de la limite légale. Il convient d’envisager un plus grand éventail de contraventions.

Nous tenons également à souligner qu’il faut surveiller attentivement le pouvoir discrétionnaire conféré à certaines autorités parce qu’il peut être un moyen de marginaliser davantage des groupes vulnérables ou racialisés. Le projet de loi devrait être amendé afin d’exiger, plutôt que de permettre, que l’on ait recours aux contraventions, à moins qu’elles soient appropriées dans les circonstances.

Quatrièmement, ces propositions ne reflètent pas les conditions sociales dans nombre de régions du pays où les gens peuvent ne pas pouvoir se procurer légalement du cannabis ni être autorisés à s’approvisionner à long terme. Par exemple, des dispositions pénales prévoient des limites de 30 grammes pour les adultes et de 5 grammes pour les jeunes, ainsi que quatre plantes par maison d’habitation, peu importe le nombre de personnes qui y vivent.

Les dispositions en matière de transport sont restrictives, comme les interdictions relatives à la possession de plantes de cannabis qui sont en train de bourgeonner ou de fleurir. Cela signifie que les gens qui peuvent avoir un mode de vie communal, demeurer dans des régions éloignées ou qui désirent simplement transporter une grande quantité de cannabis pour un certain nombre d’adultes consentants feraient l’objet de pénalités sévères.

Pour les jeunes, il n’y a aucune façon d’obtenir légalement du cannabis. On désire incontestablement éduquer les jeunes et les dissuader de consommer des drogues, mais l’expérience passée montre clairement qu’ils en consommeront.

Le projet de loi sous sa forme actuelle va créer un marché noir plutôt que de l’éliminer. Même s’il est reconnu que les jeunes peuvent se distribuer entre eux jusqu’à 5 grammes de cannabis sans écoper une peine criminelle, le projet de loi ne permet pas l’obtention légitime d’une quantité de marijuana.

À l’heure actuelle, la réglementation, qui est un élément essentiel du nouveau régime réglementant les substances, n’a pas été publiée. Si nous nous tournons vers le modèle d’une industrie réglementée, il est essentiel que l’industrie sache ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Une infraction à la réglementation peut entraîner un emprisonnement et de très lourdes amendes, mais les entreprises ne peuvent pas se préparer à ce que pourra imposer la réglementation en vue de modéliser leurs activités en conséquence et de demeurer dans les limites de la loi. Cette question doit être réglée.

Le moment venu, je serai heureux de répondre aux questions des sénateurs.

[Français]

Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel, Barreau du Québec : Honorables sénateurs, je suis Pascal Lévesque, président du Comité consultatif en droit criminel du Barreau du Québec. C’est avec beaucoup d’intérêt que le Barreau du Québec témoigne devant vous en ce qui a trait au projet de loi C-45, intitulé Loi sur le cannabis.

En tant qu’ordre professionnel, le Barreau du Québec a pour mission la protection du public. La légalisation et l’encadrement du cannabis comprennent différents enjeux de société, à la fois d’ordre juridique, de santé et de sécurité publique, qui interpellent le barreau dans l’exercice de cette mission. Ce faisant, nous vous remercions d’avoir convié le barreau à partager avec vous sa position sur la légalisation et l’encadrement du cannabis au Canada.

De façon générale, sans toutefois prendre position sur l’occasion de légaliser le cannabis, le barreau accueille favorablement le projet de loi C-45, qui propose un régime complet et des mesures claires relativement à la production, à la distribution et à la vente de cette substance. Nous tenons toutefois à revenir sur quelques enjeux majeurs qui méritent d’être soulignés dans une perspective de protection du public.

Tout d’abord, nous voulons réitérer l’importance des mesures de sensibilisation, de prévention et d’éducation, notamment juridiques, pour le public et particulièrement pour les jeunes. Afin de permettre au public de faire un choix éclairé quant à la consommation de cannabis à des fins récréatives, il est essentiel d’allouer des fonds à la recherche dans des domaines des plus variés, notamment en santé, en sociologie et évidemment en droit.

Même si le cannabis deviendra sous peu un produit de consommation légale dans une certaine mesure, force est de constater qu’on lui reconnaît encore certains effets néfastes. Si le choix de légaliser ce produit peut se justifier par une balance des inconvénients qui en découlent, c’est l’usage et le temps qui nous renseigneront pour savoir si les choix que nous avons faits méritent d’être bonifiés, maintenus ou renversés.

En ce qui concerne le besoin de poursuivre la recherche dans une optique pédagogique, il faut rappeler que ce sont les plus jeunes qui consomment davantage de cannabis. En effet, Statistique Canada nous informe que le groupe d’âge qui consomme le plus de cannabis est celui des 18 à 24 ans, suivi de près des jeunes de 14 à 17 ans. Ainsi, les jeunes devraient être davantage ciblés par les efforts de sensibilisation et de prévention.

La Loi sur le cannabis criminalisera la possession de cannabis de manière plus stricte pour les mineurs qu’elle ne le fait pour les majeurs. Alors que les personnes de 18 ans et plus pourront posséder jusqu’à 30 grammes de cannabis, le mineur, lui, est limité à au plus 5 grammes. Le barreau rappelle l’importance de ne pas criminaliser les personnes mineures pour des comportements qui sont permis chez l’adulte. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une population particulièrement vulnérable qui doit être protégée adéquatement. À cet égard, rappelons que le système de justice pénale pour les adolescents est distinct de celui pour les adultes. Il est fondé sur un principe de culpabilité morale moins élevée et doit mettre l’accent, notamment, sur la réinsertion sociale et la réadaptation des jeunes. Ainsi, il faut éviter de les soumettre aux conséquences sérieuses qui peuvent découler d’une condamnation criminelle.

Compte tenu de l’importance de ne pas criminaliser les jeunes pour la possession simple de cannabis en deçà de la limite permise, nous vous recommandons de décriminaliser la possession de moins de 30 grammes de cannabis chez les jeunes. Il appartiendrait alors aux provinces de sanctionner, par exemple, par l’imposition d’une amende, la possession de cannabis chez les mineurs. Certaines provinces, notamment le Québec, dans son projet de loi no 157, proposent d’ailleurs de le faire pour la possession de toute quantité allant jusqu’à 5 grammes.

Mentionnons également que le régime de contravention prévu dans la Loi sur le cannabis ne s’appliquerait pas aux personnes mineures. Ce régime prévoit que les personnes de 18 ans ou plus commettant certaines infractions peuvent être poursuivies par la remise d’une sommation n’entraînant pas de conséquence criminelle.

On impose donc le processus criminel habituel à une population particulièrement vulnérable. Nous considérons que la sensibilisation, l’éducation et la prévention sont les meilleurs moyens pour éradiquer la consommation de cannabis chez les jeunes. En effet, il ne faut pas avoir recours au système de justice criminel pour compenser un système de prévention et d’éducation inadéquat.

En ce qui concerne les normes d’étiquetage prévues dans la Loi sur le cannabis, il est incontestable, pour le barreau, que des normes strictes d’étiquetage sont nécessaires à l’atteinte d’objectifs d’information, de prévention et, dans certains cas, notamment chez les jeunes, de dissuasion, qui doivent chapeauter l’encadrement du cannabis au Québec, dans son ensemble.

Rappelons que le projet de loi C-45 prévoit un emballage simple, particulièrement en ce qui concerne les couleurs et le lettrage. Dans le cadre de son mémoire sur le projet de loi C-45, le Barreau du Québec demande au gouvernement fédéral d’établir une norme nationale plus stricte qui comprendrait des informations et des images dissuasives, à l’instar de ce qui se fait actuellement pour le tabac.

Finalement, la Loi sur le cannabis reconnaît le pouvoir des provinces et des territoires d’autoriser et de surveiller la distribution et la vente de cannabis sous réserve du respect des conditions fédérales minimales énumérées dans une liste. Or, nous constatons que cette liste n’est pas exhaustive eu égard à ce qui relèverait effectivement de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en droit criminel. Cela peut apporter une certaine confusion quant aux dispositions que devront respecter les provinces lorsqu’elles légiféreront la vente au détail et la distribution du cannabis. Par souci de clarté, le législateur est appelé à modifier la Loi sur le cannabis en conséquence.

Voilà qui fait le tour des enjeux principaux que le Barreau du Québec voulait aborder avec vous, monsieur le président et membres du comité, dans le cadre de vos consultations sur le projet de loi C-45. Des explications plus détaillées sur les différents enjeux que nous venons de présenter se retrouvent dans le mémoire que nous vous avons soumis et qui est également affiché sur le site web du Barreau du Québec. Nous espérons que notre présentation saura contribuer à votre réflexion.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. Encore une fois, chaque sénateur dispose de cinq minutes pour poser des questions et obtenir des réponses. Nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Je remercie tous les témoins de leurs exposés. Je dois admettre que j’ai été particulièrement frappée par le fait que vous avez tous souligné qu’il est vraiment sans précédent en matière de droit de criminaliser chez les jeunes un comportement qui est légal pour un adulte, et il est particulièrement déconcertant d’entendre qu’une loi censée aider les jeunes avec le système pénal et décriminaliser la consommation de cannabis va, en fait, créer une situation pire. Et ce n’est pas du tout ce que nous devrions faire.

J’aimerais vous poser la question suivante : qu’est-ce qui est mal conçu dans ce projet de loi? Je sais que vous en avez tous parlé et que vous avez énuméré certains amendements, certaines propositions et certaines recommandations, mais j’aimerais que ce soit un peu plus précis, si c’est possible. Qu’est-ce qui est mal interprété, et quelles mesures devrait-on mettre en place dans ce projet de loi afin de protéger les jeunes?

M. Spratt : Pour être bref, ce qui est mal interprété dans le projet de loi, c’est la criminalisation continue de la marijuana. Elle ne devrait pas être traitée différemment du tabac et de l’alcool. Nous n’avons pas observé une réduction du taux de tabagisme chez les jeunes parce que nous l’avons criminalisé. Le Code criminel — et vous avez déjà entendu cela de la part d’autres avocats de la défense — est un outil brutal pour régler les problèmes sociaux.

Je ne suis pas assez naïf pour croire que le comité retirera la criminalisation de la marijuana du projet de loi C-45, mais nous pouvons du moins aplanir les divergences entre les jeunes et les adultes. Et lorsque vous regardez les jeunes, il est très important d’examiner le contexte précis. Il est illégal pour les jeunes d’avoir en leur possession 5 grammes ou plus de cannabis. C’est une grande quantité pour un jeune.

Les jeunes transportent souvent leur marijuana dans leur sac à dos. Ils mettent souvent leur argent en commun afin d’en acheter et peuvent transporter de plus grandes quantités qu’à l’habitude. Le comportement des jeunes est particulier. De plus, nous reconnaissons dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qu’ils sont moins matures, qu’ils pensent moins à l’avenir et qu’ils sont moins sensibles aux moyens de dissuasion qui peuvent être prévus dans le droit criminel. Si 100 ans de criminalisation sévère ne les ont pas arrêtés, le projet de loi ne le fera certainement pas.

Non seulement des problèmes liés à la Charte sont soulevés par l’inégalité entre les jeunes et les adultes, mais nous observerons également l’entretien des préjugés et de la criminalisation qui existent dans la loi actuelle. La pire chose qui peut arriver à un jeune, qui a en sa possession de la marijuana, c’est d’avoir des démêlés avec le système de droit pénal et d’être entraîné dans une spirale d’infractions continues.

M. Calarco : J’aimerais répondre en deux volets : premièrement, les idées fausses; deuxièmement, les mesures visant à protéger les jeunes.

L’une des principales idées fausses, c’est que les gens pensent que, suivant la sanction ou la Proclamation royale, il s’agira d’une situation tout à fait légale pour la marijuana. Il faut qu’il soit très clair que ce n’est pas le cas. Il y aura des exceptions non criminelles limitées à la possession de cannabis. C’est tout ce qui se produit ici.

Tout d’abord, les gens doivent savoir cela. Ensuite, si nous voulons protéger les jeunes, nous devons envisager une bien meilleure communication et une bien meilleure éducation. Il s’agit de quelque chose qui suppose la participation non seulement du gouvernement fédéral, mais aussi des provinces, des municipalités, des commissions scolaires et des organismes sociaux. Les gens doivent comprendre qu’il y a des dangers associés à la consommation de drogues, et je sais que le comité a entendu nombre de personnes très qualifiées parler de ces dangers.

Le message doit être compris à bien des échelons afin que les attitudes changent. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais le message doit être lancé.

[Français]

M. Lévesque : Grosso modo, si on autorise les adultes à posséder jusqu’à 30 grammes et les jeunes, jusqu’à 5 grammes, l’idéal serait de limiter la possession à 30 grammes pour les jeunes, mais d’autoriser les provinces à prévoir des infractions pénales pour une possession jusqu’à 30 grammes. Ce serait tout de même mauvais, car il s’agirait de sanctions, mais ce ne serait pas criminel.

Le barreau comprend que le gouvernement est très avancé dans le projet de loi, et qu’il y a même des provinces qui se sont déjà ajustées. Il pourrait être difficile pour vous de revenir en arrière. Un moindre mal serait de réaffirmer, dans le projet de loi C-45, qu’en ce qui concerne les mineurs, les principes, les objectifs et les mesures de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents doivent primer. Le barreau a déjà proposé un amendement à cet égard à un autre comité sénatorial, qui se trouve à l’article 5.1 et se lit comme suit :

Il est entendu que rien dans la présente loi ne doit être interprété de manière à limiter les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, notamment quant au recours à un avertissement, une mise en garde, un renvoi ou une sanction extrajudiciaire.

Les intervenants, les policiers communautaires, les procureurs de la Couronne pourraient contourner le problème de la pénalisation en appliquant les principes de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents.

Selon l’article 5, le système de justice pénale s’applique à cette loi, mais ce n’est pas clair comme de l’eau de roche. Si ce n’est pas clair pour nous les juristes, ce ne le sera pas plus pour les policiers qui côtoient les jeunes.

[Traduction]

Le président : J’aimerais intervenir ici et poser une question. Si nous voulons conserver la criminalisation pour les gros joueurs, les gens qui vendent, qui produisent et qui importent ce produit — le véritable élément criminel dont nous avons parlé faisant partie d’une industrie importante —, comment pourrions-nous le faire sans criminaliser les jeunes ou même les personnes qui se passent un joint de façon décontractée ou qui commettent quelque autre infraction mineure que ce soit? Nous pouvons donner des amendes à certains, et nous pourrions avoir en place un genre de système de justice réparatrice pour les jeunes, particulièrement, mais comment limiter cela dans le cas des gros joueurs? Comme cela avait été le cas dans les années 1920 et 1930 lorsqu’on importait de l’alcool pendant la prohibition. Que pouvons-nous faire pour arrêter les trafiquants, les gros joueurs? Vos commentaires seraient appréciés.

M. Calarco : On peut faire beaucoup de choses. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, bien sûr. Si vous avez un régime dans le cadre duquel une microculture, à défaut d’un meilleur terme, est permise pour que les gens puissent produire des quantités réalistes à des fins de consommation personnelle, de consommation par d’autres personnes et de distribution, vous pourriez avoir une industrie artisanale, faute d’un terme mieux choisi, pour la distribution. Il pourrait s’agir d’une industrie acceptée.

Les gens qui prennent part à des opérations massives de cargaison ne seraient pas autorisés à le faire en vertu de la loi. Cette dernière établirait certains niveaux de tolérance afin que les gens ne soient pas criminalisés dans les cas les plus mineurs.

Le gros problème, c’est qu’il faut s’assurer qu’il n’y a pas de profit, car là où il y a des profits, il y aura des activités illégales. C’est pourquoi il s’agit d’une question plus complexe comme l’imposition, l’établissement de taux par le gouvernement et ainsi de suite. Si vous avez, par exemple, une industrie artisanale de microdistribution ou de microtransformation, cela pourrait essentiellement ouvrir la porte aux profits ou les éliminer.

Je ne peux pas dire que cela va fonctionner, mais cela mérite d’être examiné, monsieur le sénateur.

M. Spratt : L’autre chose que vous pouvez faire, c’est éliminer la simple possession de cannabis du Code criminel de sorte que les gens aient le droit de posséder du cannabis. En ce qui a trait au trafic, vous pouvez ajouter des exceptions pour les petites quantités ou des exemptions reposant sur la proximité d’âge pour éliminer les situations très fâcheuses qui pourraient découler de ce projet de loi, comme la personne âgée de 18 ans qui passe un joint à son ami âgé de 17 ans.

Ce que nous savons d’après notre jurisprudence, c’est que la définition du mot trafic est très large. Pour améliorer certains de ces effets, vous pouvez ajouter des exceptions, mais je crois que le point de départ serait de traiter le cannabis de la même manière que nous traitons le tabac et l’alcool. La possession devrait être éliminée du Code criminel, et les provinces pourraient s’occuper de cette question à l’aide d’autres mécanismes qui n’entraînent pas autant de stigmatisation que les infractions prévues au Code criminel.

[Français]

M. Lévesque : On peut soulever un autre point. C’est une question de paradigme. Lorsqu’un jeune de moins de 18 ans commet une infraction en vertu de la loi, il faut que l’intervenant ait le réflexe de dire que, non, on ne parle pas du même individu. Ce n’est pas eux qu’on veut viser par la loi, parce que ce ne sont pas de gros joueurs. Il faut garder une certaine discrétion à l’égard des gens sur le terrain. Le crime organisé, les gros joueurs peuvent se servir des jeunes pour mener leurs opérations. Il est possible qu’un jeune ne comprenne pas la première, la deuxième et la troisième fois, et le fasse de façon répétée. À ce moment-là, la loi peut avoir son plein effet. Dans la loi, il faut que ce soit clair que lorsqu’il s’agit d’un jeune qu’on veut protéger, il faut que le premier réflexe soit de se dire qu’on ne le traite pas de la même façon.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : J’ai deux questions à poser, je vais donc essayer d’être concise. Ma première question s’adresse à Me Enenajor. Merci d’avoir précisé dans votre mémoire ce que sont les dommages collatéraux que la criminalisation cause aux immigrants.

Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que les répercussions du projet de loi C-45 sur la résidence permanente, bien qu’involontaires, sont graves? De plus, pourriez-vous nous apporter des précisions quant à l’incidence sur la réunification des familles de résidents permanents ou même sur les citoyens qui cherchent à parrainer un membre de la famille qui appartient à cette catégorie?

Mme Enenajor : Je dois dire qu’il s’agit d’une conséquence imprévue. Rien n’indique dans le libellé du projet de loi que cette conséquence préjudiciable ou plutôt grave sur les résidents permanents était voulue.

Toutefois, je ne dis pas que ce n’est pas grave ni décevant de voir une telle conséquence. C’est plutôt grave. Cela peut toucher la vie de centaines de milliers de personnes. Cette conséquence montre qu’il y a réellement une lacune dans le libellé du projet de loi compte tenu de la manière dont il peut engendrer des conséquences juridiques du point de vue non seulement des démêlés avec le système de justice pénale, lorsqu’on conçoit des manières de traiter le cannabis et de l’interdire, mais aussi d’autres aspects de la vie des gens, notamment en ce qui concerne les conséquences sur l’immigration et les conséquences à long terme que représente un casier judiciaire, lequel nuit à l’accès au logement, à l’emploi et aux possibilités de voyage. Ce sont toutes des répercussions sociales qui se font sentir sur les gens en raison de la criminalisation du cannabis.

En ce qui concerne les autres conséquences collatérales que vous avez soulevées à l’égard du risque d’incidence sur la réunification des familles, si une personne a été renvoyée du Canada parce qu’elle est interdite de territoire pour des motifs criminels en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, cette personne ne peut pas être parrainée pour revenir au Canada; cela aura assurément un effet néfaste sur les familles qui seront séparées à la suite de cette expulsion.

La sénatrice Omidvar : D’où vient la peine d’emprisonnement de 14 ans? Quelqu’un peut-il m’éclairer? Si vous deviez rédiger le projet de loi, où inscririez-vous cette sanction?

M. Spratt : Cela ne vient certainement pas de la jurisprudence, des précédents que nous avons vus en cour ou d’une évaluation de la possibilité des peines d’emprisonnement avec sursis, d’absolutions ou d’autres types de peines fondées sur le principe de la justice réparatrice. Cela ne vient pas non plus d’une évaluation fondée sur le principe du préjudice.

Je ne sais pas d’où cela vient, mais je pense qu’on peut dire qu’on ne s’est pas encore penché sur le lien entre cette peine de 14 ans et d’autres mesures législatives qui n’ont pas été modifiées par le gouvernement.

M. Calarco : Je crois que la peine de 14 ans vient de l’utilisation normalisée de l’infraction punissable par mise en accusation, car ce type d’infraction est normalement sanctionné par une peine d’emprisonnement de 2, 5, 10, ou 14 ans ou à perpétuité. Ces chiffres sont utilisés dans le Code criminel depuis très longtemps, et je crois que les rédacteurs doivent avoir simplement intégré le chiffre 14.

La sénatrice Omidvar : Où l’inscririez-vous si vous le pouviez?

M. Calarco : Bien, l’Association du Barreau canadien a indiqué que cette question devrait être traitée comme un problème social. Je dirais que les peines devraient être d’un maximum de cinq ans, si l’infraction est punissable par acte d’accusation. Et je crois que cela est conforme à ce que la commission Le Dain a recommandé il y a tant d’années.

[Français]

M. Lévesque : Oui, on pourrait les baisser. Le projet de loi C-75 a été déposé et propose de réduire des peines maximales. Je ne suis pas en mesure de vous dire lesquelles, on n’y a pas réfléchi. Vous pouvez infliger une peine assez élevée pour montrer la gravité objective de ces infractions qui, en même temps, donne l’option aux praticiens, c’est-à-dire les procureurs de la Couronne sur le terrain et les avocats de la défense, de moduler la peine selon les circonstances. Donc, cela signifie peut-être emprunter la voie sommaire, ou prévoir une série de peines qui, autrement, ne seraient pas ouvertes, comme l’a dit M. Spratt.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Je vous remercie de vos exposés.

J’ai deux questions. La première s’adresse à Me Spratt. Nous avons entendu parler de gens qui ont été refusés aux États-Unis, non pas parce qu’ils étaient accusés d’infractions liées à la marijuana, mais parce qu’ils ont admis avoir consommé de la marijuana par le passé. Dernièrement, nous avons entendu encore plus d’histoires de ce genre et, avec le possible projet de loi C-45, des conséquences pour les gens qui essaient de se rendre aux États-Unis.

Nous avons même entendu parler de cas où les gens risquent de se voir confisquer leur carte NEXUS et interdire l’accès aux États-Unis. Qu’avez-vous à dire à cet égard?

M. Spratt : Ces préoccupations sont valides et légitimes. La stigmatisation perçue à l’égard de ces infractions demeure si élevée qu’il se peut que ce ne soit pas une condamnation qui entraîne une interdiction d’entrée.

Pour illustrer l’absurdité de la situation dans laquelle nous nous trouvons, je peux dire au comité que j’ai eu des clients qui ont été reconnus coupables, se sont vu imposer de petites amendes et ont purgé des peines avec sursis pour de petites quantités de marijuana, il y a de cela des décennies, et qui se voient régulièrement refuser l’accès à la frontière. Et j’ai des clients qui ont été reconnus coupables d’homicide involontaire et d’autres infractions avec violence qui franchissent la frontière sans problème.

Voilà la situation à laquelle nous faisons face. Et cela illustre certains des préjudices qui accompagnent la criminalisation continue. Ce n’est pas parce qu’une personne a possédé de la marijuana qu’elle présente un danger pour la société en comparaison d’une personne qui a commis un homicide involontaire, mais c’est la façon dont ces infractions sont perçues. C’est le danger de les criminaliser et de les conserver dans le Code criminel.

La sénatrice Poirier : Croyez-vous que les Canadiens sont au courant ou qu’ils sont suffisamment informés à ce sujet?

M. Spratt : Je ne pense pas. Un bon exemple est le nombre de Canadiens qui croient qu’il est déjà légal de posséder de la marijuana ou, comme le préposé au dépanneur du coin m’a dit l’année dernière, il est légal de posséder la marijuana une fois par année, pourvu que ce soit pendant le rassemblement du 20 avril sur la Colline du Parlement.

C’est amusant, mais cela montre que c’est grâce à l’éducation et à la mobilisation sociales que nous pouvons changer les attitudes de la société quant à ce qui est nuisible et à ce qui est dangereux. Ce n’est pas au moyen de la criminalisation.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse à l’Association du Barreau canadien. Le comité a entendu différentes personnes qui ont beaucoup parlé de la sensibilisation. Il faut plus de sensibilisation quant aux risques associés au cannabis, mais nous n’avons pas suffisamment entendu parler de la sensibilisation à l’égard des conséquences des mesures législatives lorsqu’il est question de possession de culture à domicile, ou d’âge limite, et ainsi de suite.

Selon vous, est-ce que les Canadiens, jeunes et moins jeunes, sont bien informés et suffisamment au courant des conséquences du projet de loi C-45? S’ils n’en sont pas pleinement conscients, quelle sera l’incidence sur notre système juridique?

M. Calarco : Avant tout, les Canadiens ne sont pratiquement pas informés des répercussions de ce projet de loi. C’est un immense malentendu, et je pense que le Canadien moyen n’a aucune idée de ce que contient ce projet de loi très volumineux.

Les gens se renseignent dans les médias, et on en parle quelques secondes à la télévision. Ce n’est pas assez pour savoir ce qui se passe. En raison du manque d’information, les gens risquent facilement de commettre des crimes graves, et cela aura de graves répercussions sur notre système de justice pénale. Il y aura beaucoup plus de causes devant les tribunaux; cela entraînera plus de retard. Nous manquerons de ressources pas seulement pour la Couronne, qui doit intenter des poursuites, mais pour les personnes accusées et pour les programmes d’aide juridique dans les cas où les gens y ont accès.

Il y aura aussi beaucoup de gens qui ne seront pas couverts par l’aide juridique, et ils devront donc affronter le système de justice pénale seuls. Cela engendrera encore plus de retards, car la dernière chose que souhaite un juge, c’est de voir une personne accusée non représentée devant le tribunal. Je pense que cela répond à votre question.

[Français]

M. Lévesque : Il est indéniable que nul n’est censé ignorer la loi, mais ayant dit cela, c’est une fiction juridique dans un certain sens. Cela ne veut pas dire nécessairement que les gens sont au courant. J’abonde dans le même sens que mes deux prédécesseurs. Le barreau l’a déjà dit, il y a un important devoir d’éducation auprès des populations visées, particulièrement en ce qui concerne les jeunes. Au Barreau du Québec, on a déjà entamé la réflexion. Il y a un organisme sans but lucratif de vulgarisation juridique qui s’appelle Éducaloi, qui développera des programmes s’adressant directement aux jeunes. Toutefois, ce n’est pas systématique ni obligatoire. Cela entre dans les curriculums déjà assez chargés des écoles secondaires et des collèges. Je suis d’accord avec les propos de M. Calarco de l’Association du Barreau canadien : si on change le régime juridique de façon détaillée, il faut absolument que les administrés et les justiciables soient au courant. Sinon, des infractions seront commises par inadvertance.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Mes questions s’adressent à Me Enenajor. D’abord, j’ai remarqué que les Afro-Canadiens sont très absents du débat, mais aussi qu’il y a un manque de consultations avec cette communauté. Vous avez tous les deux mentionné dans votre mémoire que, lorsque vous regardez la surreprésentation des Afro-Canadiens incarcérés, vous constatez que, dans de nombreux cas, ce n’est que pour une simple possession. Pouvez-vous nous dire pour quelle raison vous pensez que c’est le cas?

Mme Enenajor : C’est une question très complexe, mais je suis d’accord avec vous pour dire que le projet de loi C-45 présente une lacune en ce qui a trait à son incapacité de reconnaître la manière disproportionnée avec laquelle la guerre sur le cannabis et les drogues en général a ciblé les communautés raciales et eu une incidence sur leur vie, plus particulièrement les communautés afro-canadiennes, et de remédier à ce problème. C’est décevant, car le projet de loi visait à diminuer la criminalisation inutile, et cette criminalisation inutile est d’autant plus évidente chez les personnes représentées par cette communauté.

Nous savons que, grâce à l’exercice du pouvoir discrétionnaire au moment de déposer des accusations, de procéder à des arrestations et d’intenter des poursuites, les personnes qui appartiennent à des communautés marginalisées ou racialisées sont plus susceptibles d’être arrêtées que de recevoir un avertissement ou d’être relâchées. Elles ont plus de risque de se voir refuser la liberté sous caution. Elles sont plus susceptibles de recevoir des peines plus sévères. Par conséquent, elles sont plus susceptibles d’avoir des casiers judiciaires qui les suivront pour le reste de leur vie et qui les marginaliseront davantage en limitant leur possibilité de devenir des membres productifs de la société.

Je pense que, si cette erreur flagrante est présente dans le projet de loi C-45, c’est parce qu’il a en quelque sorte perdu son sens. Je pense que la première version du projet de loi qui avait été déposée par le gouvernement incluait une disposition qui laissait une place au pardon pour les gens arrêtés par le passé pour simple possession. Cette disposition a été retirée.

De mon point de vue, et de celui de nombreux avocats criminalistes qui travaillent dans ce domaine, il s’agit d’un amendement au projet de loi mal conçu, car il ne tient pas compte des personnes qui sont en fait les plus touchées par la criminalisation de cette substance dans la société.

Si ce projet de loi a pour effet ou pour objectif de supprimer, de modifier ou de rectifier d’une quelconque manière cette injustice historique, il n’est pas logique que ces personnes soient exclues du projet de loi. La raison pour laquelle je dis que le projet de loi s’est écarté de sa voie, c’est que, à mesure que le projet de loi avance dans le processus, il semble de plus en plus vouloir mettre en place une industrie du cannabis profitable pour les plus privilégiés de la société plutôt que d’éviter que le cannabis ou les condamnations liées au cannabis aient une incidence négative ou détruisent la vie des gens qui ont eu des démêlés avec la justice par le passé.

Je crois que l’objet du projet de loi a déraillé. S’il s’agit d’une question de justice sociale, nous devons réellement revenir en arrière et réexaminer la mesure dans laquelle la légalisation du cannabis dans ce cas-ci ne tient pas compte des personnes les plus vulnérables et les plus touchées par l’histoire de la prohibition.

La sénatrice Bernard : Je m’interroge au sujet de l’intersectionnalité. J’ai posé cette question au groupe de représentants autochtones qui étaient présents juste avant vous, et la question n’a pas été soulevée. Je me demande dans quelle mesure les femmes appartenant à des collectivités racialisées et marginalisées sont touchées de manière différente.

Mme Enenajor : En effet. Les femmes ont souvent des démêlés avec la justice liés à la drogue principalement pour des raisons de consommation personnelle, mais aussi parce qu’elles sont ce qu’on appelle des passeuses de drogues. Nous savons que les personnes qui ont été reconnues coupables de ce genre de choses sont en position de vulnérabilité, elles font souvent le trafic ou la distribution de cannabis dans le but de gagner un revenu pour subvenir aux besoins de leurs familles et de leurs enfants.

En ce qui a trait à l’intersectionnalité de la criminalisation du cannabis et de l’impact que cela aurait sur les femmes de couleur au Canada, ce que je dirais, c’est qu’en raison de la cause des démêlés de ces femmes avec le système de justice pénale — c’est-à-dire qu’elles tentent de gagner un revenu pour leur famille — la criminalisation punit non seulement la femme, mais aussi le reste de sa famille, les enfants qui ne peuvent plus compter sur son revenu et son soutien. Dans le cas des peines d’emprisonnement, les enfants sont souvent placés en familles d’accueil.

Les conséquences de la criminalisation peuvent être particulièrement dévastatrices pour les femmes de couleur qui sont plutôt vulnérables, particulièrement si elles se trouvent en dessous du seuil de la pauvreté.

La sénatrice Raine : Chose certaine, vous nous avez donné matière à réflexion aujourd’hui. Je dois vous confier que je commence à me demander comment le projet de loi a pu se rendre si loin, rédigé de cette manière. Je ne suis pas avocate et je ne comprends pas vraiment comment cela fonctionne, mais l’Association du Barreau canadien, le Barreau du Québec et l’Association des avocats criminalistes n’ont-ils pas pris part à la rédaction du projet de loi?

M. Spratt : Nous n’avons pas été consultés pour la rédaction, et je ne connais personnellement aucun avocat criminaliste qui a été consulté à cet égard. Il est certain que nos recommandations, qui sont semblables à celles que nous avons présentées ici, n’ont pas été prises en compte à la Chambre.

La sénatrice Raine : Donc, quand le comité a parcouru le Canada pour obtenir de la rétroaction, il a probablement eu votre opinion, mais il n’en a pas tenu compte.

M. Calarco : L’Association du Barreau canadien n’a pas été consultée. Je pense qu’il est mentionné dans l’un de nos mémoires que très peu de commentaires ont été pris en considération au cours de l’étude du projet de loi. Nous n’avons pas été consultés au sujet du véritable contenu du projet de loi.

[Français]

M. Lévesque : Je peux vérifier, mais je ne crois pas. Je suis membre du comité depuis 2015 et je n’étais pas président à l’époque. Je suis président du comité depuis 2017, et je ne crois pas que nous ayons été consultés lors des audiences du comité. Je dis cela sous réserve et il faudrait que je le vérifie, mais je crois que, si cela avait été le cas, on en aurait parlé lors des discussions. Donc, je ne pense pas qu’on ait été consulté.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Donc, le groupe de travail mis sur pied par le gouvernement, qui recueillait de l’information qui nous a été présentée comme étant la raison d’être du projet de loi, n’a pas consulté beaucoup de gens. Je pense que c’est vraiment dommage.

Je suis d’accord pour dire que les attitudes de la société à cet égard doivent être modifiées, mais la criminalisation de la possession n’est pas la manière de faire. Je pense que nous devons tout de même criminaliser le trafic, la production et la vente illégales de cette substance.

Est-ce que cela devrait être l’objectif du projet de loi? Devrions-nous retirer la possession des pénalités juridiques?

M. Spratt : Je crois que oui. Je pense que cela refléterait les observations que nous avons présentées dans notre mémoire.

J’aimerais profiter de l’occasion pour ajouter un dernier point à notre présentation qui rejoint assez bien ce que Me Enenajor disait à propos du pouvoir discrétionnaire et de la façon dont les groupes marginalisés sont touchés de manière négative.

Un grand nombre de gens qui soutiennent ce projet de loi disent que les préoccupations que nous avons soulevées au sujet des jeunes, des pénalités et des conséquences collatérales peuvent être éliminées parce que les policiers peuvent choisir de ne pas déposer d’accusations ou de donner une contravention, ou que les procureurs peuvent choisir une option ou l’autre. C’est ce même pouvoir discrétionnaire qui, selon Me Enenajor, touche de façon disproportionnée les groupes vulnérables.

Je conseillerais au comité, dans le cadre de son examen du projet de loi, à l’égard duquel il n’y a peut-être pas eu suffisamment de consultations ou d’amendements jusqu’à présent, d’écarter les gens qui disent que les problèmes soulevés peuvent être éliminés au bout du compte, au moyen du pouvoir discrétionnaire, car nous savons que cette méthode n’a pas fonctionné par le passé. La Cour suprême a récemment dit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne permet pas de régler les vices sur le plan constitutionnel comme ceux que nous avons soulignés. Je pense que c’est un aspect très important que le comité doit également examiner.

M. Calarco : Nous recommandons de traiter la question comme s’il s’agissait d’alcool ou de tabac.

[Français]

M. Lévesque : Oui, le Barreau du Québec crois qu’il est tout à fait légitime de contrôler la vente, le trafic, la distribution et la production. C’est bien certain, car les plus gros joueurs sont là. On fait le pari. Selon ce que je comprends des objectifs du Parlement, on fait le pari que les personnes vulnérables arrêteront de prendre de la drogue ou, si elles en prennent, qu’elles choisissent de la drogue légale et contrôlée par le gouvernement.

Dans son mémoire, le Barreau du Québec n’a pas pris position. Comme nous sommes des joueurs d’équipe, si le Parlement du Canada veut emprunter cette voie, nous ferons tout en notre possible pour protéger le public et aller dans le même sens.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup de comparaître et merci de me donner la possibilité de prendre part au débat. Je ne suis pas membre du comité, mais je m’investis dans le dossier du projet de loi, c’est pourquoi je suis ici.

J’aimerais dire à quel point j’apprécie vos recommandations à propos des fourchettes de peines reflétant la réalité. Cela m’horrifie que nous puissions imposer une peine de 14 ans, soit la même peine maximale que pour les meurtres et les viols. Cela dépasse l’entendement. Cela ne concerne pas le trafic et autres, mais bien la possession.

J’aimerais qu’on aborde précisément l’asymétrie des dispositions législatives. J’ai finalement compris ce que tout le monde disait à ce sujet; il m’a fallu quelques jours pour comprendre. J’ai entendu quelques commentaires au sujet de la décriminalisation pour les cas de possession de moins de 30 grammes et pour les personnes n’ayant pas atteint l’âge légal de la majorité, peu importe l’âge à laquelle elle est établie dans les différentes provinces; ces personnes pourraient être assujetties à un régime provincial de contraventions. Je suis tout à fait d’accord avec cela.

Est-ce que les provinces pourraient mettre en place un régime assorti de différentes amendes ou mesures de justice réparatrice ou de quelque disposition que ce soit à l’égard de la possession de moins de 5 grammes, et entre 5 et 30 grammes avant d’en arriver à la criminalisation? Auraient-elles la capacité de faire cela? Si oui, quels amendements au projet de loi pourraient régler cette question? Vous n’avez pas à les rédiger aujourd’hui, mais pouvez-vous nous en faire parvenir certains?

Le président : Posez-vous la question aux trois?

La sénatrice Lankin : Laissez-moi commencer avec la Criminal Lawyers’ Association.

M. Spratt : En ce qui concerne les sujets faciles liés à la répartition des compétences, j’espérais que vous commenceriez avec l’Association du Barreau canadien.

La porte est ouverte pour que les provinces puissent prendre ce genre de mesures législatives. Ce sujet a fait l’objet de beaucoup de discussions au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, car c’est une question épineuse lorsqu’on se penche sur la répartition des compétences et sur ce qui peut être fait.

Les provinces ne peuvent pas proposer de règles criminelles de fait, parce que cela fait partie de la compétence du gouvernement fédéral. Toutefois, s’il y a une certaine latitude, un peu comme avec le tabac et l’alcool, les provinces peuvent établir leurs propres règles.

J’aimerais faire une mise en garde : je ne crois pas que cela soit nécessairement une panacée, car vous êtes pris avec un ensemble de mesures disparates dans l’ensemble du Canada. En ce qui concerne l’alcool, nous avons ce problème, n’est-ce pas? Toutefois, avec la marijuana particulièrement, nous ne devons pas oublier que même une contravention provinciale pour simple possession de marijuana peut avoir des conséquences collatérales, notamment en ce qui concerne le passage à la frontière, en raison de l’importance que nous accordons à cela. Toutefois, cette approche serait beaucoup plus bénéfique que de prévoir des dispositions à cet égard dans le Code criminel.

M. Calarco : Il y a suffisamment de marge constitutionnelle pour permettre à une province d’adopter un système à plusieurs échelons. Par exemple, le gouvernement fédéral a dit que toute quantité en deçà de 30 grammes est légale, et que ce sera traité comme une question touchant la santé, la justice sociale les jeunes. La province pourrait alors imposer un régime de santé comprenant des variations à cet égard. Je ne vois aucune difficulté sur le plan constitutionnel à ce sujet.

[Français]

M. Lévesque : Le Barreau du Québec n’y voit pas de problèmes non plus. Par exemple, à supposer que la limite de 5 grammes soit remplacée par une limite de 30 grammes, on pourrait tout à fait imaginer qu’une province fasse une gradation pour la première fois, la deuxième fois, la troisième fois, ou en fonction de la quantité, et ce serait légitime. Vous parlez au juriste des paramètres de la Constitution. On pourrait même faire un renvoi à l’article 7 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans la mesure où on dit qu’on évite la criminalisation lorsqu’il y a un programme en place. La province pourrait élaborer un programme pour tout ce qui dépasse 30 grammes, mais en deçà de 30 grammes, le considérer de façon statutaire ou par des sanctions administratives et de façon gradée, un peu comme dans le cas de la sécurité routière avec l’alcool.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : D’abord, merci de vos exposés. J’étais heureuse d’entendre ce que vous avez dit, car je suis préoccupée par ce projet de loi et par la façon dont il s’applique aux Premières Nations.

Au Comité des peuples autochtones et au Comité des affaires juridiques, j’ai posé une question au sujet des Premières Nations et de leur capacité en ce qui a trait à l’article 35 de la Constitution, qui leur donne le droit d’établir leurs propres règlements administratifs. Lorsque j’ai posé la question au Comité des affaires juridiques, un témoin a dit que, si une province avait une loi qui allait à l’encontre de la loi fédérale, la loi fédérale aurait préséance. J’ai dit : « D’accord, vous devez alors tenir compte des Premières Nations », car les enjeux auxquels ils font face sont uniques à l’égard de ce projet de loi. J’ai demandé qui poursuivra les Premières Nations en justice si elles décident de s’opposer aux deux lois, car à l’heure actuelle, elles croient que leurs règlements administratifs seront maintenus.

J’ai participé à l’assemblée extraordinaire des chefs, hier. Les chefs disaient à d’autres chefs : « Commencez à créer vos propres lois. » J’ai entendu cela auparavant à d’autres assemblées des chefs : « Commencez à créer vos propres lois, et nous devrons porter l’affaire devant les tribunaux. » À un moment donné, cet enjeu atteindra un point critique.

Je crois que la situation dans laquelle on place le leadership des Premières Nations est injuste, car ces dernières ont compétence sur leurs terres. Tout cela ne me semble pas juste.

Ce qui me préoccupe également, c’est que je pense que ce projet de loi est discriminatoire. Pouvez-vous vous prononcer sur la question?

Le président : Nous demanderons aux trois organisations de répondre brièvement, car le temps est écoulé.

M. Spratt : Brièvement, les observations que nous avons faites en ce qui concerne les groupes marginalisés et racialisés s’appliquent tout autant aux Premières Nations. Toutefois, il y a certains autres aspects supplémentaires auxquels le comité pourrait réfléchir, par exemple, l’incidence de cette loi sur les collectivités éloignées. Il peut être plus difficile de payer votre amende dans un délai de 30 jours pour éviter d’avoir un dossier scellé si vous vivez dans une collectivité éloignée. De même, l’accès aux sources légales de marijuana peut être différent, ce qui peut mener à une criminalisation plus sévère. Tous ces aspects peuvent être inquiétants et avoir une incidence sur les Premières Nations.

En ce qui concerne votre première question, il s’agit d’une question de répartition des compétences qui va au-delà de la portée de notre organisation, mais cela n’a pas suffisamment été pris en considération.

M. Calarco : Je vais aborder la question de la répartition des compétences, si je puis me le permettre. Il n’est pas du tout clair que les Premières Nations auraient le pouvoir de créer de telles lois. La suprématie du dominion s’applique dans les cas où, par exemple, une loi provinciale et une loi fédérale sont en conflit et sont incompatibles. La loi fédérale aura donc préséance. S’il est possible d’éliminer les incompatibilités entre les deux lois, il y a des domaines de compétences coexistantes. Si une loi des Premières Nations peut coexister avec une loi fédérale, ce sera probablement possible.

La question de la suprématie est assez épineuse. La possession de cannabis est en fait légiférée pour la paix publique, l’ordre et le bon gouvernement depuis l’arrêt Hauser, de la Cour suprême du Canada, dans les années 1970, et non dans le cadre du droit criminel, qui donne aux autorités fédérales le pouvoir d’intenter des poursuites.

Le gouvernement fédéral continue d’intenter des poursuites; il peut y avoir délégation aux provinces, mais, de façon générale, les infractions liées à la drogue sont toutes punissables par le gouvernement fédéral. Il aurait le pouvoir de le faire et continuerait de l’avoir.

Vous abordez une question extrêmement délicate, et je ne suis pas certain que cela serait profitable aux Premières Nations.

[Français]

M. Lévesque : Le Barreau du Québec ne peut pas vraiment se prononcer quant au conflit de partage des compétences, parce qu’on est incertain. Cela dépend de plusieurs facteurs, comme le juge ou les circonstances de l’espèce. Il faut dire aussi que les juges des tribunaux au Canada ont tendance à interpréter la loi de façon à éviter les conflits. Alors, en présence de conflits, ils vont peut-être donner préséance au gouvernement fédéral, mais est-ce qu’on le ferait dans ce cas en particulier? C’est très incertain. On ne se prononce pas.

J’abonde dans le même sens. Cela peut avoir de graves conséquences sur les communautés autochtones. Mais ayant dit cela, les intervenants en matière de justice, comme les procureurs, les travailleurs sociaux, les avocats de la défense et les juges savent très bien — et c’est dans le Code criminel — qu’on ne traite pas les délinquants autochtones de la même façon que les Blancs pour toutes sortes de raisons historiques, essentiellement, et sociologiques, et particulièrement ceux qui habitent les réserves. Si la loi demeure telle qu’elle est, on peut raisonnablement penser que la réaction des intervenants du système de justice sera de traiter les Autochtones de façon différente, et tenant compte du fait qu’ils sont déjà défavorisés et surreprésentés dans le système.

[Traduction]

Le président : Je remercie les trois organisations et les cinq personnes qui faisaient partie du groupe de témoins. Nous vous sommes reconnaissants de vos points de vue sur la question. Je crois que vous avez eu une incidence sur notre comité.

Si le comité veut en savoir plus, demain matin, à 10 h 30, nous recevrons deux autres groupes de témoins. Nous parlerons aussi de finances sociales avec la sénatrice Omidvar, à huis clos, à propos d’une ébauche de rapport à ce sujet.

(La séance est levée.)

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