Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 241

Le mardi 30 octobre 2018
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 30 octobre 2018

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Les victimes de la tragédie

Pittsburgh, en Pennsylvanie—Minute de silence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’aimerais prendre un moment pour souligner l’acte de violence insensé commis samedi à Pittsburgh (Pennsylvanie).

Onze personnes, y compris une femme originaire de Toronto, ont tragiquement perdu la vie, et pas moins de six autres ont été blessées, dont quelques agents de police.

Je vous invite à vous lever pour observer un moment de silence à la mémoire des victimes.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La tragédie survenue à Pittsburgh, en Pennsylvanie

L’honorable Howard Wetston : Honorables sénateurs, Joyce Fienberg était originaire de Toronto. Elle avait 75 ans. Elle a travaillé comme chercheuse au Centre de recherche et de développement sur l’apprentissage de l’Université de Pittsburgh, de 1983 jusqu’à sa retraite, en 2008.

En 1965, elle s’est mariée au Holy Blossom Temple, à Toronto. Son époux, Stephen, décédé du cancer en 2016, était professeur émérite et spécialiste des statistiques sociales à l’Université Carnegie Mellon. Le couple avait déménagé à Pittsburgh au début des années 1980.

Joyce est morte samedi dernier lors de la fusillade à la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh.

Honorables sénateurs, cela me trouble et m’attriste d’intervenir aujourd’hui pour parler du terrible événement survenu samedi dernier dans un lieu de culte. Je suis peiné, car je constate que cette tragédie est attribuable à l’antisémitisme, que l’on a souvent qualifié de plus vieille haine du monde.

Honorable sénateurs, ils ont été tués simplement parce qu’ils étaient juifs.

Depuis 2 500 ans, le peuple juif a été victime de condamnations et de persécutions. Toutefois, en Amérique du Nord, les juifs croyaient que les pires manifestations de l’antisémitisme appartenaient au passé. On avait l’impression de vivre dans une ère plus ouverte, plus tolérante, mais le massacre de samedi, au cours duquel 11 personnes ont été abattues et 6 blessées, nous a brutalement fait prendre conscience d’une tout autre réalité.

Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une augmentation incontestable du nombre de crimes antisémites tant aux États-Unis qu’au Canada. Pour preuve, l’organisme Anti-Defamation League, établi aux États-Unis, a signalé une augmentation de 57 p. 100 des actes antisémites en 2017 par rapport à l’année précédente.

Pourquoi, honorables sénateurs? Le discours politique agressif propre à diviser est-il le coupable? Quel rôle jouent les médias sociaux, ce phénomène mondial aux proportions sans cesse grandissantes? Ont-ils une « influence positive » ou constituent-ils une plateforme de désinformation qui répand et alimente la haine — haine des juifs et, aussi, d’autres minorités ethniques?

Il y a aussi, évidemment, l’accès aux armes à feu, aux armes de type militaire. Cela a de vastes conséquences.

Honorables sénateurs, ces personnes sont mortes parce qu’elle étaient juives. Elles sont mortes dans un lieu de culte. Après son arrestation, le tireur a déclaré qu’il voulait « que tous les juifs meurent ».

Souvenons-nous de ceux et celles qui ont perdu la vie dans cette attaque barbare, atroce. La société canadienne, forte et compatissante, est solidaire de la communauté juive de Pittsburgh. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Linda Frum : Joyce Fienberg, Rich Gottfried, Rose Mallinger, Jerry Rabinowitz, Cecil Rosenthal, David Rosenthal, Bernice Simon, Sylvan Simon, Daniel Stein, Melvin Wax, Irving Younger.

Ces 11 personnes méritent qu’on se souvienne d’elles ici, au Sénat du Canada. Elles méritent qu’on se souvienne de leur vie à chacune. Elles méritaient aussi de pouvoir se rendre dans un lieu de culte sans craindre les attaques ou le harcèlement.

Ce qui s’est produit le matin du sabbat dernier à Pittsburgh est une manifestation violente d’un mal qui existe de longue date : l’antisémitisme.

(1410)

Ces personnes innocentes, dont une survivante de l’Holocauste âgée de 97 ans et une universitaire de 75 ans qui avait passé une grande partie de sa vie à Toronto, ont été assassinées uniquement parce qu’elles étaient juives.

Hier soir, j’ai participé à une vigile tenue à Toronto en l’honneur de ces victimes. Plus de 5 000 personnes se sont réunies au square Mel Lastman pour dire non — non à la haine, aux forces du mal et à l’antisémitisme.

Des cérémonies semblables d’appui à la communauté juive se sont tenues dans diverses villes canadiennes et américaines. Ces rassemblements ont réuni des juifs, des musulmans, des chrétiens et des athées. Je tiens simplement à remercier tous ces gens. Nous avons la chance de vivre dans un pays tolérant et accueillant pour les personnes de confession juive, un pays où les citoyens se serrent les coudes dans les épreuves afin de trouver ensemble une façon de se remettre des effets dévastateurs de telles tragédies. En pareilles circonstances, nous devons absolument renouveler notre engagement à lutter contre l’antisémitisme sous toutes ses formes.

Comme les honorables sénateurs le savent, je suis juive et j’en suis fière, et, comme bien d’autres juifs, je m’inquiète au sujet de la recrudescence de l’antisémitisme partout dans le monde, y compris ici même, au Canada.

Bien que le resserrement de la sécurité dans les établissements juifs et les lieux de culte puisse être une solution à court terme à la situation actuelle, aucun Juif ne veut vivre dans un monde où il est nécessaire de passer au détecteur de métal pour assister à un mariage, placer un garde armé à chaque point d’accès des festivals religieux ou vérifier l’emplacement de la sortie la plus proche avant de pouvoir simplement prier.

En effet, nous devons travailler ensemble pour dénoncer les forces des ténèbres et de la haine chaque fois qu’elles se manifestent.

Nous espérons que les familles des 11 victimes trouveront du réconfort et que tous les blessés se rétabliront rapidement et complètement. Nous espérons que les premiers intervenants qui se sont précipités vers le danger dans l’espoir de sauver des vies savent que nous leur sommes tous très reconnaissants et que nous les respectons énormément. Nous espérons aussi nous inspirer de leur courage pour faire ce qui s’impose lorsque les valeurs que nous chérissons en tant que pays sont menacées et attaquées.

Des voix : Bravo!

[Français]

Les événements liés à la francophonie tenus en octobre

L’honorable René Cormier : Honorables sénatrices et sénateurs, permettez-moi à mon tour d’offrir mes condoléances aux familles touchées par cette tragédie. Sans comparer les deux situations, évidemment, à titre d’Acadien issu d’un peuple qui a fait l’objet de discrimination de différentes manières pour sa langue et sa culture, je comprends tout à fait la nécessité que nous avons de créer des rapprochements.

Pour créer un peu de lumière en cette journée, je voudrais souligner que, ce mois-ci, la francophonie canadienne a célébré plusieurs événements dont je voudrais témoigner. Vous connaissez l’importance que revêt la langue française pour l’avenir du Canada, tant à l’intérieur de ses frontières que dans ses relations internationales, et l’importance aussi de moderniser la Loi sur les langues officielles, qui aura 50 ans en 2019. Le Comité des langues officielles est très heureux d’avoir déposé son deuxième rapport à ce sujet cette semaine.

Les 11 et 12 octobre derniers se tenait le 17e Sommet de la Francophonie à Erevan, en Arménie. Depuis l’intégration récente de l’Ontario à titre de membre observateur, le Canada compte maintenant quatre membres au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), puisque le Nouveau-Brunswick, le Québec et le Canada sont des membres à part entière avec droit de vote, et ce, depuis la création de l’organisme.

L’OIF a pour mission de donner corps à une solidarité active, dont nous avons tant besoin, entre les 88 États et gouvernements qui la composent, soit 61 membres et 27 observateurs. Le Canada, le Québec, l’Acadie et la francophonie canadienne y jouent un rôle important. Je tiens à remercier Mme Michaëlle Jean de la contribution importante qu’elle a apportée à cette organisation, notamment en ce qui concerne la défense et la promotion des droits des femmes et des jeunes.

Je désire particulièrement féliciter la Louisiane pour son entrée à l’OIF à titre de nouveau membre observateur. Grâce au travail acharné de nos cousins cajuns, l’Acadie et l’Amérique seront encore plus présentes au sein de ce forum international d’importance.

Il faut dire que la francophonie de l’Amérique, que ce soit le Québec, l’Acadie ou la francophonie canadienne, est un espace d’accueil, d’échange, de solidarité et de rayonnement de cette grande Francophonie. Il suffit de mentionner le Sommet de la Francophonie qui a eu lieu à Moncton en 1999 et les prochains Jeux de la Francophonie qui se tiendront dans la région de Moncton-Dieppe en 2021.

À celles et ceux qui prétendent — et je fais particulièrement référence ici à une certaine romancière — que la francophonie canadienne est en mode de survie et qu’elle est en voie de disparition, force est de constater que tel n’est pas le cas. La francophonie canadienne est un acteur incontournable qui participe plus activement que jamais à l’essor et à la solidarité des peuples de notre pays.

Pour terminer, permettez-moi de féliciter les artistes du 40e Gala de l’ADISQ, qui a été télédiffusé dimanche dernier par Radio-Canada. Ils savent, par la force de leur créativité et leur ouverture d’esprit, créer des passerelles avec tous les francophones de tous les pays et avec tous les peuples de la terre.

Merci à eux, et merci à vous de votre attention.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Victoria Perrie. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice McPhedran.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Cain’s Quest

L’honorable Fabian Manning : C’est avec plaisir que je vous présente aujourd’hui le chapitre 44 de « Notre histoire ».

Cain’s Quest est une course de motoneige biennale qui a lieu au Labrador. Cette épreuve de 3 100 kilomètres est la plus longue course de motoneige au monde. Les participants mettent environ sept jours à la terminer. Ils forment des équipes de deux et font la course, jour et nuit, en naviguant au moyen d’un GPS à travers la neige profonde, des lacs congelés et des forêts denses, en passant par des points de contrôle. Ce sont ces périls intenses qui attirent les amateurs de sports extrêmes de partout dans le monde pour relever le défi de cette course audacieuse.

Cain’s Quest remonte à 2006 et a été conçue pour être un attrait touristique hivernal qui présenterait la beauté naturelle et rustique du Labrador. L’événement doit son nom au célèbre explorateur Jacques Cartier qui, voyant le paysage inhospitalier, l’a nommé « la terre que Dieu donna à Caïn », en référence au personnage biblique. La course promet d’être fidèle à cette description, offrant une aventure dans un paysage glacé qui présente les plus magnifiques décors naturels que vous verrez jamais, « où les participants repoussent leurs limites, naviguant sans piste et s’appuyant sur leurs compétences et leurs instruments ».

Cain’s Quest offre un défi unique dans le milieu des sports extrêmes en partie parce qu’elle se déroule dans le Nord. En mars, lorsque la course a lieu, il peut faire extrêmement froid dans les régions sauvages du Labrador. On a déjà enregistré des températures aussi basses que moins 40 degrés Celsius au cours de l’événement. Les équipes sont souvent isolées au cours de la course, mais elles sont équipées d’un suiveur de satellite pour des raisons de sécurité et pour que l’on puisse suivre leur progression.

Compte tenu de la dangerosité de la région, il est courant que les participants fassent preuve d’esprit sportif et s’entraident au besoin pour atteindre le fil d’arrivée.

Le simple fait de finir la course est en soi considéré comme un exploit, alors imaginez quand on est le premier à y arriver. En 2018, moins de la moitié des équipes ont terminé la course, ce qui montre à quel point ce défi est immense.

Depuis sa création, Cain’s Quest a pris de l’importance, tant pour le nombre de participants que pour sa popularité. Quatre ans après la première course, le nombre d’inscriptions avait augmenté de plus de 300 p. 100. Le montant des prix a aussi augmenté : on offre maintenant un prix de 50 000 $ au gagnant. Des millions de personnes suivent la course en ligne à partir de 70 pays différents. Des centaines de dévoués bénévoles rendent cet événement possible en entretenant et en élargissant la route entre les courses. Cain’s Quest est devenue l’un des attraits touristiques hivernaux les plus populaires de la province.

En 2010, en raison des températures élevées, la neige et la glace ont fondu et disparu partout au Labrador, de sorte qu’il était dangereux de circuler en motoneige. Le parcours de Cain’s Quest est devenu impraticable. Le comité organisateur a donc reporté la course à l’année suivante. Heureusement, les courses ont depuis eu lieu sans problème. La prochaine édition se tiendra en 2020. Cette activité attire toujours des foules de spectateurs et de supporters. J’invite les sénateurs et toute personne de leur connaissance qui se sentent à la hauteur à s’inscrire et à faire l’expérience de cette partie unique et spéciale de notre province, que nous appelons affectueusement « la Grande Terre ». Je leur promets qu’il vivront l’aventure d’une vie. Merci.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

L’étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles

Dépôt du dixième rapport du Comité des langues officielles auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 6 avril 2017 et le 18 octobre 2018, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a déposé auprès du greffier du Sénat, le 25 octobre 2018, son dixième rapport (intérimaire) intitulé La modernisation de la Loi sur les langues officielles - la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le Sénat

Préavis de motion concernant les séances du mercredi jusqu’à la fin de 2018

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, jusqu’à la fin de 2018, lorsque le Sénat siège un mercredi :

1.les dispositions de l’ordre du 4 février 2016, concernant la levée ou la suspension de la séance à 16 heures ne prennent effet qu’à 16 heures, à la fin de la période des questions, ou à la fin des affaires du gouvernement, selon la dernière éventualité;

2.nonobstant les dispositions du premier paragraphe du présent ordre, la séance ne dépasse pas l’heure prévue dans le Règlement;

3.sans que cela ait une incidence sur toute autorité séparément accordée à un comité à se réunir pendant que le Sénat siège, si le Sénat siège après 16 heures conformément au présent ordre, les comités devant siéger soient autorisés à le faire afin d’étudier des affaires du gouvernement, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

(1420)

Projet de loi sur le cadre de référence national sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre

Première lecture

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) dépose le projet de loi S-256, Loi concernant l’élaboration d’un cadre de référence national sur les compétences essentielles de la main-d’œuvre.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Bellemare, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Traduction]

Le Groupe interparlementaire Canada-États-Unis

La réunion d’été de la Western Governors’ Association, tenue du 25 au 27 juin 2018—Dépôt du rapport

L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation canadienne du Groupe interparlementaire Canada–États-Unis concernant sa participation à la réunion d’été de la Western Governors’ Association, tenue à Rapid City, au Dakota du Sud, aux États-Unis d’Amérique, du 25 au 27 juin 2018.

La réunion annuelle de la Southern Legislative Conference du Council of State Governments, tenue du 21 au 24 juillet 2018—Dépôt du rapport

L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation canadienne du Groupe interparlementaire Canada–États-Unis concernant sa participation à la 72e réunion annuelle de la Southern Legislative Conference du Council of State Governments, tenue à St. Louis, au Missouri, aux États-Unis d’Amérique, du 21 au 24 juillet 2018.

Le Sommet législatif annuel de la National Conference of State Legislatures, tenu du 29 juillet au 2 août 2018—Dépôt du rapport

L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation canadienne du Groupe interparlementaire Canada–États-Unis concernant sa participation au Sommet législatif annuel de la National Conference of State Legislatures, tenu à Los Angeles, en Californie, aux États-Unis d’Amérique, du 29 juillet au 2 août 2018.

[Français]

Affaires sociales, sciences et technologie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 14 décembre 2017, la date du rapport final du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, relativement à son étude sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général, soit reportée du 30 décembre 2018 au 30 septembre 2019.

Arctique

Préavis de motion tendant à autoriser le comité spécial à reporter la date du dépôt de son rapport final

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre de renvoi du Sénat adopté le mercredi 27 septembre 2017, la date du rapport final du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique concernant son étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants soit reportée du 10 décembre 2018 au 30 septembre 2019.

[Traduction]

Le Sénat

Préavis de motion concernant la séance du 20 novembre 2018

L’honorable Sabi Marwah : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, afin de permettre aux sénateurs de prendre part à la formation obligatoire sur la prévention du harcèlement en milieu de travail, conformément aux recommandations du premier rapport du sous-comité sur les ressources humaines du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, lorsque le Sénat siège le mardi 20 novembre 2018 :

a)la séance soit levée au plus tard à 16 heures comme s’il s’agissait de l’heure fixée pour la clôture de la séance prévue à l’article 3-4;

b)si un vote a été différé jusqu’à 17 h 30 ce jour, il ait plutôt lieu à la fin des Affaires courantes, la sonnerie d’appel des sénateurs retentissant pendant 15 minutes avant le vote;

c)nonobstant toute disposition du Règlement, ordre antérieur ou pratique habituelle, les comités ne se réunissent pas entre 16 heures et 19 h 30 ce jour.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à la motion adoptée par le Sénat le jeudi 25 octobre 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.


ORDRE DU JOUR

Le Code criminel
La Loi sur le ministère de la Justice

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Adoption de la motion d’amendement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Sinclair, appuyée par l’honorable sénateur Pratte, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Deacon (Ontario),

Que le projet de loi C-51 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a)à l’article 10, à la page 5 :

(i)par substitution, aux lignes 20 à 22, de ce qui suit :

« b) il est incapable de le former, pour l’activité en question, notamment pour l’un des motifs suivants :

(i) il n’a pas la capacité de comprendre la nature, les circonstances, les risques et les conséquences de l’activité sexuelle en question,

(ii) il n’a pas la capacité de comprendre qu’il peut choisir de se livrer ou non à l’activité sexuelle en question,

(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou sa façon d’agir; »,

(ii)par adjonction, après la ligne 22, de ce qui suit :

« (2.2) L’article 153.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (3) de ce qui suit :

(3.1) Il est entendu que la capacité de consentir au moment de l’activité sexuelle à l’origine de l’accusation ne peut être déduite d’éléments de preuve portant sur la capacité de consentir lors d’une autre activité sexuelle. »;

b)à l’article 19, à la page 9 :

(i)par substitution, aux lignes 23 à 25, de ce qui suit :

« b) il est incapable de le former, pour l’activité en question, notamment pour l’un des motifs suivants :

(i) il n’a pas la capacité de comprendre la nature, les circonstances, les risques et les conséquences de l’activité sexuelle en question,

(ii) il n’a pas la capacité de comprendre qu’il peut choisir de se livrer ou non à l’activité sexuelle en question,

(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou sa façon d’agir; »,

(ii)par adjonction, après la ligne 25, de ce qui suit :

« (2.2) L’article 273.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2) de ce qui suit :

(2.1) Il est entendu que la capacité de consentir au moment de l’activité sexuelle à l’origine de l’accusation ne peut être déduite d’éléments de preuve portant sur la capacité de consentir lors d’une autre activité sexuelle. ».

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer l’amendement proposé par la sénatrice Pate au projet de loi C-51.

Nous sommes tous conscients du fait que, dans toutes les affaires criminelles, notamment les agressions sexuelles, pour que justice soit rendue, il faut trouver un juste équilibre entre les droits de l’accusé et ceux de la personne victime de l’agression présumée. L’application de la Charte canadienne des droits et libertés nous a aussi appris que, dans les affaires d’agressions sexuelles, le principe d’équité ne peut pas être simplement axé sur l’accusé.

Nous avons appris que la violence sexuelle est une affaire de pouvoir, pas seulement de nature sociale ou économique, mais de différentes natures. Le pouvoir qu’une personne exerce sur une autre peut naître des circonstances. C’est cette réalité qui est essentielle pour comprendre pourquoi l’amendement de la sénatrice Pate renvoie à une vision plus moderne de ce qu’est le délit d’agression sexuelle, et pourquoi le Code criminel du Canada doit fournir le cadre nécessaire pour que les procès dans les cas d’agressions sexuelles soient équitables si l’on songe à la nature complexe des concepts de capacité, de pouvoir et de consentement, ainsi qu’au critère objectif de la possibilité que des torts soient causés.

[Français]

Cet amendement ne concerne pas la réforme de la loi sur le consentement. Cet amendement vise à ce que nos lois codifiées représentent réellement les lois existantes sur le consentement afin de protéger les victimes et les survivantes d’agressions sexuelles.

[Traduction]

Cet amendement vise à instaurer équilibre, clarté et intégrité au sein du système de justice pénale, et ce, afin que justice soit rendue. Nous avons l’occasion aujourd’hui de veiller à ce que les changements que nous envisageons d’apporter au Code criminel soient en harmonie avec la jurisprudence.

Comme nous le savons, la Cour suprême a confirmé en 2011, dans l’arrêt R. c. J.A., qu’un consentement conscient de tous les instants est nécessaire à toute activité sexuelle et qu’un consentement donné à l’avance ne justifie pas un rapport sexuel.

L’affaire R. c. J.A. démontre la nécessité du consentement actif. Si nous n’adoptons pas l’amendement de la sénatrice Pate au projet de loi C-51, nous omettons de tenir compte de la notion de consentement établie par la Cour suprême, qui a été appuyée par des experts du droit canadien sur les agressions sexuelles.

(1430)

Il est nécessaire, dans une certaine mesure, de s’en remettre au pouvoir discrétionnaire des juges, mais la détermination de ce qui constitue un consentement ne doit pas être laissée exclusivement aux juges. Depuis plusieurs décennies, il a été amplement démontré que, dans les cas d’agression sexuelle, les juges interprètent souvent la loi d’un point de vue hautement subjectif, voire partial, de l’avis de certains. La décision rendue dans l’affaire R. c. Al-Rawi, impliquant un chauffeur de taxi, en est un bon exemple.

Ce sont généralement des femmes et des jeunes filles qui sont victimes d’agression sexuelle. Dans notre société, les tribunaux perpétuent dans certains cas la discrimination et les stéréotypes fondés sur le sexe. Il ne fait aucun doute que la discrimination prend souvent la forme de la misogynie, du racisme ou des deux dans l’application et l’interprétation de la loi en matière d’agression sexuelle.

Voici un exemple : en 2001 en Saskatchewan, trois hommes ont violé à tour de rôle une fillette autochtone de 12 ans. Un des violeurs a écopé d’une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans. Les deux autres ont été acquittés. Ces acquittements ont été invalidés, mais, lors d’un second procès, un des hommes a de nouveau été acquitté par le jury alors que le jury au procès de l’autre accusé en est arrivé à une impasse, ce qui a donné lieu à l’annulation du procès.

En tant que législateurs, il nous incombe de veiller à ce que les juges et les jurés aient la meilleure compréhension possible des lois que nous adoptons. Honorables sénateurs, vous avez déjà entendu des préoccupations concernant l’interprétation du terme « inconscient » à l’alinéa 273.2a.1) du projet de loi C-51.

Des spécialistes féministes du droit en matière d’agression sexuelle ont déclaré que l’inclusion du terme « inconscient » risque de créer un faux critère relativement à la capacité à consentir. Il y a plus de 30 ans, j’ai cofondé le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes. Trente ans se sont écoulés, et les attitudes discriminatoires et préjudiciables existent toujours dans tous les aspects du système juridique. Les représentantes du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et d’autres experts ont encore beaucoup de pain sur la planche.

Des spécialistes ont informé le comité sénatorial que l’alinéa 273.2a.1) pourrait porter trompeusement à penser que l’inconscience constitue la démarcation nette de l’incapacité à consentir. Il est inutile de codifier que le consentement ne peut être donné par une personne inconsciente, parce que c’est manifestement impossible et que c’est un principe juridique établi.

Le débat que nous devons tenir à propos de la législation en matière d’agression sexuelle ne devrait pas porter sur l’état de conscience ou d’inconscience de la victime. Il s’agit plutôt d’articuler clairement dans le Code criminel la question de la capacité à donner un consentement lorsque nos facultés sont affaiblies, et d’appliquer le critère de la probabilité objective de préjudice. Nous ne saurons jamais exactement ce qui s’est passé quand Bradley Barton a pénétré le corps de Cindy Gladue de telle façon qu’elle a subi des lésions de 11 centimètres à la paroi vaginale et qu’elle a saigné jusqu’à en mourir. Nous savons toutefois que Cindy Gladue était une mère, et qu’elle gagnait sa vie en vendant son corps. Elle n’aurait jamais, au grand jamais, consenti à subir un assaut d’une telle violence et à risquer que des blessures l’empêchent de travailler et puissent même la tuer.

Janine Benedet, professeure spécialiste du droit en matière d’agression sexuelle, a mené des recherches et participé à des démarches judiciaires à ce sujet. Elle souligne qu’il est crucial de comprendre l’incapacité de donner un consentement dans des situations où il y a consommation de drogues et d’alcool. La jurisprudence nous montre que les tribunaux sont davantage portés à conclure qu’une victime était incapable de consentir si elle n’a pas consommé les drogues ou l’alcool volontairement; ils sont moins portés à le faire quand la victime a consommé ces substances volontairement. Cette façon de faire renforce le stéréotype de la victime d’agression sexuelle « vertueuse » et ne contribue aucunement à promouvoir une bonne administration de la justice.

Voilà qui rappelle des remarques formulées par certains juges à l’endroit de victimes d’agression sexuelle, les blâmant pour leur tenue vestimentaire ou soutenant qu’il leur aurait suffi de serrer les genoux pour empêcher le viol.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la sénatrice Pate et la sénatrice Lankin ont signalé que, étant donné le libellé du projet de loi C-51, les victimes risquent grandement d’être blâmées si elles étaient intoxiquées au moment de l’agression sexuelle. Le projet de loi ne les protégera pas. L’amendement proposé par la sénatrice Pate assurerait que les tribunaux puissent considérer que l’intoxication diminue considérablement la capacité à consentir, à acquiescer à l’activité sexuelle en question, que ce soit par des paroles ou par des gestes. Il permettrait aussi aux tribunaux de comprendre que l’apparence de consentement n’est pas nécessairement l’expression de la volonté.

Avec cet amendement, le projet de loi C-51 contiendrait un critère contextuel de la capacité à consentir. Cette capacité ne peut être déterminée par un simple « oui » ou « non », car il s’agit de saisir dans toutes ses nuances l’aptitude d’une personne à faire un choix libre et éclairé.

Comme le montre la jurisprudence, l’absence de nuance par rapport au consentement dans le Code criminel a mené à un manque de cohérence dans les décisions judiciaires et a contribué à la confusion entourant la capacité dans la loi en matière d’agressions sexuelles. Après tout, nous ne pouvons pas ignorer le fait que des hommes ont été acquittés d’accusations d’agression sexuelle à l’endroit de fillettes aussi jeunes que 12 ans parce qu’il avait été impossible de prouver le non-consentement de l’enfant.

Certains craignent que cet amendement ne complique davantage les procès. C’est une possibilité, mais qu’est-ce qui est plus important? L’efficacité ou la justice? On ne peut pas justifier le fait de ne pas rendre justice aux victimes d’agression sexuelle en disant que la solution proposée serait plus compliquée. Ne tenons pas pour acquis que cet amendement compliquerait indûment les procédures. Voyons plutôt cet amendement comme une façon de bien prendre en considération les circonstances déjà complexes qui entourent la capacité à donner son consentement.

Les questions liées à la capacité de consentir sont complexes, mais on peut les résoudre dans le but d’atteindre une égalité réelle. Pour atteindre l’égalité réelle, il faut reconnaître les divers aspects interreliés qui peuvent empêcher une personne de faire valoir ses droits et prendre des décisions qui garantiront l’égalité des résultats en matière de justice.

L’amendement proposé reflète un engagement à atteindre l’égalité réelle, puisqu’il vise à ce que la capacité de donner son consentement soit établie en fonction d’une analyse des circonstances, notamment la capacité de reconnaître les risques et les conséquences associés à la conduite sexuelle, la compréhension que toutes les parties ont le droit de dire « non », et — autre aspect important à noter — la capacité des parties de manifester leur accord de manière explicite.

Tout en protégeant la liberté de choix en matière de sexualité, le cadre qui est proposé dans cet amendement afin d’atteindre l’égalité réelle permettra de toujours considérer cette liberté dans le contexte d’une analyse intersectionnelle des inégalités, plus particulièrement les inégalités entre les sexes et les inégalités raciales. En proposant une mise en contexte de la capacité de consentir, cet amendement donnera aux juges les moyens nécessaires pour bien prendre en considération les circonstances propres à la victime.

Il importe de se rappeler qu’aucun expert en droit relatif aux agressions sexuelles ni aucune juriste féministe n’ont été consultés pendant la rédaction du projet de loi C-51. Ainsi, le projet de loi C-51 ne permet pas de nuancer l’interprétation des circonstances ayant entraîné une poursuite pour agression sexuelle. Des spécialistes ont affirmé que le projet de loi C-51 risquait d’entraîner de nouveaux procès sur des questions relatives à la capacité de consentir qui ont déjà été réglées dans l’affaire R. c. J.A. .

Étant donné que nous avons la responsabilité d’assurer un second examen objectif, nous devons prendre ces préoccupations au sérieux. Nous avons l’obligation, comme parlementaires, de répondre adéquatement aux besoins du pouvoir judiciaire et d’adopter des lois qui vont assurer l’administration de la justice. C’est particulièrement vrai pour des enjeux comme celui de la capacité de consentir. Si nous refusons de reconnaître ces difficultés et de nous y attaquer, ce sont les victimes qui en font les frais et qui en assument les conséquences.

[Français]

Je vous encourage donc chers collègues, à voter en faveur de l’amendement de la sénatrice Pate, un amendement qui apporte une meilleure protection et une représentation plus adéquate aux survivantes et aux survivants d’agressions sexuelles et de violences. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement proposé par ma collègue, la sénatrice Pate, et afin de signaler à l’autre endroit qu’il y a, à mon avis, une faille dans le projet de loi C-51. Cette faille importante devrait être comblée avant que la loi entre en vigueur.

La question du consentement sexuel est au cœur de mes préoccupations depuis des années. À titre d’ancienne présidente du Conseil du statut de la femme, je suis intervenue à de nombreuses reprises sur l’évolution de ce concept et l’idée que nous sommes à une époque où le consentement doit être affirmatif. Il faut dire « oui » à une activité sexuelle. La passivité, l’intoxication, le fait de ne pas dire « non » ne sont pas des critères suffisants pour juger que le consentement a eu lieu.

(1440)

Or, il y a dans ce projet de loi une définition du consentement, mais ce qui est plus faible, c’est la définition de ce qui constitue un vice au consentement. Selon une juriste qui offre de la formation à des juges sur la question du consentement sexuel, il n’y a pas assez de jurisprudence et de sensibilité parmi les juges pour croire que la formulation proposée par le projet de loi aux articles 10 et 19 est suffisamment claire pour les guider.

Je vous rappelle ici cette formulation. Il n’y a pas de consentement du plaignant dans les circonstances suivantes :

a.1) il est inconscient;

b) il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1);

Je ne répéterai pas les arguments de mes collègues, les sénatrices McPhedran et Lankin, avec lesquelles je suis d’accord, qui soulèvent le risque de nommer le critère lié à l’inconscience dans le projet de loi C-51.

La faille dans ce projet de loi touche potentiellement bien des femmes. Quand une personne est volontairement intoxiquée, donc qu’elle se saoule, mais qu’elle est consciente, comment mesurer son consentement ou son absence de consentement? C’est là que le bât blesse et que la victime présumée a de la difficulté à obtenir justice devant les tribunaux.

Il me semble à propos de modifier le projet de loi C-51 aux articles 10 et 19 en ajoutant le sous-alinéa (iii) de l’amendement, qui indique ceci :

il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou sa façon d’agir; »,

Toutefois, je ne suis pas convaincue qu’une partie de l’amendement proposé par ma collègue, la sénatrice Pate, notamment le fait qu’une personne ait la capacité de comprendre les risques et les conséquences de l’acte sexuel, soit applicable dans une cour de justice.

J’ai écouté avec attention tous les arguments pour ou contre cette question difficile et, notamment, ceux de mon collègue, le sénateur Dalphond, pour qui j’ai beaucoup de respect. J’aurais en effet souhaité, comme lui, d’ailleurs, que le comité passe davantage de temps à peaufiner l’amendement pour qu’on en vienne à un consensus plus large sur sa nature et sur les mots choisis.

En dépit de mes réserves sur la formulation d’une partie de cet amendement, je voterai en faveur de ce dernier, car je crois important de manifester mon appui à une meilleure définition du vice au consentement, et ce, dans l’espoir que davantage de victimes d’agression sexuelle puissent obtenir justice. Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, j’aimerais donner mon appui aux amendements au projet de loi C-51 que propose la sénatrice Pate.

Rehtaeh Parsons était une jeune fille pleine de vie quand elle est arrivée à l’école secondaire de Cole Harbour, en septembre 2011. Elle avait 15 ans et elle était remplie d’espoir, de rêves et d’optimisme.

Deux mois plus tard, elle s’est rendue dans une fête en compagnie d’une amie. Elle a trop bu et, comme elle l’a ensuite elle-même expliqué, elle a été agressée sexuellement. Une photo a alors été prise. On y voit un des jeunes hommes qui semble avoir des rapports sexuels avec Rehtaeh pendant que celle-ci est penchée à une fenêtre en train de vomir à l’extérieur. Cette photo a été partagée à maintes et maintes reprises.

Rehtaeh est allée voir la police une semaine plus tard. Après un an d’enquête, le dossier a été fermé. Aucune accusation n’a été portée. En avril 2013, 17 mois après cette fête fatidique, Rehtaeh a essayé de se suicider. Elle est morte une semaine plus tard.

Tout ce temps, Rehtaeh s’est sentie terriblement seule et complètement abandonnée par quiconque était en position d’autorité. Elle pouvait compter sur le soutien de ses parents et de quelques amis proches, mais c’est tout. Elle s’est tournée vers la justice, mais les responsables ont jugé peu réaliste que le dépôt d’accusations puisse mener à un verdict de culpabilité, alors l’affaire est demeurée sans suite. Même si une photo prouvait qu’elle était intoxiquée au point d’en être malade, les procureurs considéraient qu’il s’agissait au fond de la parole de Rehtaeh contre celle de ses agresseurs.

Le père de Rehtaeh, Glen Canning, a écrit par la suite que sa fille avait perdu foi dans le système de justice. Je suis d’accord avec lui quand il dit qu’il est inexcusable qu’une chose pareille arrive à une personne aussi jeune.

L’histoire de Rehtaeh serait probablement tombée dans l’oubli sans les actions prises par Anonymous, le groupe international de pirates informatiques. Chers collègues, le contexte est particulièrement dangereux et effrayant si des acteurs non étatiques ressentent le besoin d’intervenir dans un dossier local parce que de vastes segments de la population considèrent que justice n’a pas été rendue.

Habituellement, la loi nous empêche de nommer les victimes de tels crimes. Toutefois, les parents de Rehtaeh ont réclamé vigoureusement que son nom et son histoire continuent de circuler. Le procureur général de la Nouvelle-Écosse a convenu qu’il est dans l’intérêt public de se souvenir de Rehtaeh et de tirer des leçons de ce qu’elle a vécu.

J’ai hésité à prendre la parole, parce que je suis très conscient du fait que je suis un nouveau sénateur, que je ne suis pas avocat et que je ne détiens pas une expertise en droit pénal. Je considère toutefois que ce problème ne touche pas seulement les spécialistes, mais qu’il est collectif. Après avoir écouté le discours de la sénatrice Pate sur son amendement et le débat qui a suivi, j’en conclus qu’il ne suffit pas d’étudier ce problème dans un contexte judiciaire, du point de vue des procureurs ou des policiers. Il faut viser à changer la façon dont tous les Canadiens tiennent compte du consentement.

L’examen des données n’a fait que renforcer ma conviction à cet égard. Trop de Canadiens sont agressés sexuellement tous les jours. Un très grand nombre d’entre eux ne le signalent pas à la police. Statistique Canada estime qu’il y a eu environ 636 000 agressions sexuelles autodéclarées au Canada en 2014. Fait révoltant, il estime aussi que seulement 1 agression sur 20 a été signalée à la police. Cela représente 5 p. 100 de tous les cas, honorables collègues. Est-ce que quelqu’un peut nommer un autre crime où pas moins de 95 p. 100 des victimes ont l’impression de ne pas pouvoir s’en remettre au système de justice?

Je voulais avoir une idée de l’ampleur du problème. J’ai appris que, au cours de la même année, il y a eu plus de 116 000 accidents de voiture au Canada. Cela signifie qu’il y a approximativement cinq fois plus d’agressions sexuelles non signalées au Canada que d’accidents de voiture; cinq fois plus. Il est question ici d’accidents. Pensez à tout ce que nous faisons, à tout le temps et à l’argent que les gouvernements, le système de justice et les particuliers investissent pour réduire le nombre d’accidents de voiture. Nous sommes donc sûrement capables d’en faire davantage pour réduire le nombre d’agressions sexuelles, surtout puisqu’il ne s’agit pas d’accidents, mais d’actes tout à fait évitables.

Je pense que, pour prévenir les agressions sexuelles, il faut absolument que les Canadiens comprennent comment obtenir le consentement mutuel et agissent toujours à la lumière de ces connaissances. Pensez aux préjudices permanents qui pourraient être évités.

Il faut empêcher les agressions avant qu’elles n’aient lieu et bien avant qu’elles n’arrivent devant les tribunaux. C’est assurément notre but, et c’est notre capacité à prévenir le problème qui servira de mesure de notre réussite ou de notre échec. Pour y parvenir, nous devons veiller à ce que la loi précise clairement de quelle façon et dans quelles circonstances quelqu’un peut consentir ou non à une activité sexuelle.

Finalement, le gouvernement de Nouvelle-Écosse a ordonné un examen indépendant de la façon dont la police et les procureurs avaient traité l’affaire Rehtaeh Parsons. Le rapport Segal qui en a résulté et qui compte plus de 150 pages conclut que, même si un autre procureur en était arrivé à un verdict différent, la décision de ne pas porter d’accusation d’agression sexuelle était compréhensible dans le contexte de notre système de justice actuel.

Un long chapitre du rapport est consacré au consentement. Ce qui m’a profondément frappé à ce sujet, c’est de constater à quel point la loi était imprécise et vague sur la notion de consentement par rapport à l’activité sexuelle. Par contre, elle est claire si — et le rapport le décrit très bien — la victime est intoxiquée au point d’être inconsciente, mais la clarté s’arrête là.

Dans le cas de Rehtaeh, la police et les procureurs ont décidé de ne pas porter d’accusation d’agression sexuelle ni même de saisir un juge de l’affaire. Certes, les opinions divergent sur la preuve. Certes, un autre procureur aurait pu raisonnablement en arriver à une conclusion différente. N’empêche que, selon moi, le manque de précision dans la loi par rapport au consentement contribue grandement à cette multiplicité d’opinions.

Chers collègues, il nous est impossible de ressusciter Rehtaeh Parsons et de lui permettre de grandir et de vivre la vie qui aurait dû être la sienne. Nous sommes toutefois des législateurs. Nous avons le devoir — et l’occasion — de rendre une certaine justice à beaucoup trop de Canadiens que le système a laissé tomber. Lorsque le système est défaillant, il nous incombe à titre de législateurs de régler le problème. Il est de notre devoir d’examiner la loi et de faire de notre mieux pour combler toute lacune qu’elle peut comporter.

J’ai le plus grand respect pour le sénateur Dalphond et je l’ai écouté attentivement expliquer pourquoi le gouvernement considère que le projet de loi C-51 devrait avoir un champ d’application plus étroit. Cependant, chers collègues, je peux seulement considérer le projet de loi et les amendements proposés en fonction de tous les éléments du système de justice, dont, bien sûr, la magistrature, les procureurs et la police, mais surtout le public. Je me concentre fermement sur les façons de réduire considérablement le nombre d’agressions sexuelles qui ont lieu au Canada chaque jour, que l’incident soit signalé et les auteurs poursuivis ou non, comme c’est le cas la plupart du temps.

(1450)

Nous utilisons régulièrement le droit criminel pour atteindre cet objectif. Prenons un exemple évident. Le Code criminel interdit la conduite avec facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool. Pensez aux centaines de milliers de discussions tenues et de décisions prises quotidiennement par les Canadiens dans l’ensemble du pays. Songez aux ravages évités.

J’ai mentionné que, l’année dernière, Statistique Canada a publié un rapport portant sur les agressions sexuelles autodéclarées. On tentait de comprendre les raisons pour lesquelles la plupart des victimes d’agression sexuelle ne s’adressent pas à la police, et pourquoi il s’agit d’un des crimes les plus sous-déclarés. Par ailleurs, le rapport précise que les chiffres relatifs aux agressions sexuelles autodéclarées demeurent peut-être sous-estimés.

L’activité sexuelle à laquelle la victime ne pouvait pas consentir est l’un des trois types d’agressions sexuelles abordés dans le rapport. La question posée était la suivante : « Est-ce que quelqu’un vous a obligé(e) à vous livrer à une activité sexuelle à laquelle vous ne pouviez pas consentir, c’est-à-dire que vous étiez sous l’effet d’une drogue, de l’alcool ou manipulé(e) ou forcé(e) d’une autre façon que physiquement? »

Neuf pour cent des agressions sexuelles autodéclarées tombent dans cette catégorie. Chers collègues, il y a eu 636 000 agressions sexuelles autodéclarées en 2014. Cela signifie que, en l’espace d’une seule année, plus de 57 000 personnes ont été victimes d’une agression sexuelle alors qu’elles étaient incapables de donner leur consentement. Cela représente 157 cas chaque jour.

La première fois que cette catégorie a été mesurée, c’était en 2014. Cette année-là, seulement 26 p. 100 des cas d’agression sexuelle où la victime ne pouvait consentir ont été déclarés à la police. Cela signifie que 74 p. 100 des incidents, ou trois incidents sur quatre, où la victime ne pouvait consentir n’ont pas été déclarés à la police. Trois fois sur quatre, la victime n’a pas cru que justice serait rendue.

Autrement dit, chers collègues, les femmes — car, soyons honnêtes, les victimes d’agression sexuelle sont majoritairement des femmes et des jeunes filles — reçoivent le message qu’elles ne doivent pas déclarer l’agression à la police. J’ai compris cela dans mes conversations avec des policiers en service ou à la retraite. Ils m’ont parlé du processus déshumanisant entourant une déclaration. Le sénateur Dalphond a exprimé une préoccupation sincère lorsqu’il a expliqué que le processus était encore pire dans les rares situations où l’affaire se rend devant un tribunal.

Chers collègues, je doute que ce soit là le système de justice que nous souhaitions au Canada. Je suis convaincu que cela ne reflète pas qui nous sommes en tant que pays ni qui nous désirons être.

Le projet de loi à l’étude vise à clarifier les dispositions relatives au consentement. Encore une fois, on trace la ligne sur le fait qu’une personne soit consciente ou non. Le libellé comprend des termes plus ou moins précis sur l’incapacité à consentir pour tout autre motif. Comme les experts nous l’ont dit, si nous adoptons ce projet de loi sans amendement, nous risquons de renforcer le message affirmant que ce qui compte, c’est de savoir si la personne était consciente ou non. Est-ce bien le message que nous voulons envoyer aux policiers, aux procureurs et aux tribunaux? Est-ce bien le message que nous voulons envoyer aux Canadiens, particulièrement aux jeunes Canadiens, que, même si une personne est intoxiquée au point de vomir par la fenêtre, elle est toujours en mesure de consentir à des actes sexuels?

Chers collègues, la majeure partie de l’application de la loi au Canada ne se fait pas par les tribunaux, par les procureurs ou par la police. C’est M. et Mme Tout-le-monde qui la font par l’entremise des décisions qu’ils prennent chaque jour. Les analyses sont claires : les Canadiens doivent améliorer leur manière de prendre des décisions en matière de consentement. Ici même aujourd’hui, nous avons l’occasion de bien faire les choses, de clarifier ce qui est important lorsqu’on veut déterminer si une personne est apte à donner son consentement ou non. Je crois que les amendements proposés par la sénatrice Pate nous permettraient de le faire.

Certains affirment que les juges n’ont pas besoin de ce genre de conseils parce qu’ils sont bien formés. Chers collègues, je suis persuadé que la grande majorité des juges qui président un tribunal lors d’un procès criminel sont d’excellents magistrats et n’ont pas besoin de conseils. Malheureusement, au cours des dernières années, de nombreux cas très médiatisés ont mis en cause des juges qui n’ont pas fait preuve d’une grande clairvoyance. En fait, certains juges ont besoin de conseils. C’est particulièrement important quand on constate qu’une infime fraction des agressions débouche sur une poursuite devant les tribunaux.

Évidemment, les juges ne sont pas les seuls à blâmer. Dans le cas de Rehtaeh Parson, les enquêteurs de la police et le procureur de la Couronne ont décidé de ne pas porter d’accusations. En parlant du système judiciaire, le père de Rehtaeh a dit que c’était le monde à l’envers. Selon lui, la police a abordé l’affaire du point de vue du tribunal et a agi comme enquêteur, procureur, juge et jury. Apparemment, personne ne s’emploie sérieusement à prévenir les 157 agressions sexuelles qui se produisent quotidiennement au Canada, notamment dans des cas d’incapacité de consentement. Commençons à mettre l’accent sur la prévention plutôt que de réagir de façon inadéquate une fois que le mal est fait.

Ne souhaitons-nous pas tous que les Canadiens sachent très clairement comment reconnaître un consentement? C’est précisément ce que permet l’établissement de critères dans le Code criminel, le recueil de lois le plus clair et le plus rigoureux qui soit.

Avant de terminer, j’aimerais parler de l’argument qui veut que ce n’est pas à l’étape de la troisième lecture qu’il faut présenter des modifications précises à un domaine aussi complexe du droit criminel, mais bien en comité. En tant que nouveau sénateur, je me réjouis du travail effectué par les comités. Les travaux qui y sont réalisés m’aident beaucoup dans l’apprentissage de mes nouvelles fonctions. Cependant, rien ne permet de croire que les travaux en comité remplacent ceux qui sont effectués dans cette enceinte. C’est tout le contraire. Comme la sénatrice Lankin l’a souligné, je sais que les amendements proposés par la sénatrice Pate ont été rejetés au comité parce qu’il y avait égalité des voix, soit six contre six. Le fait que les opinions soient si partagées montre bien, selon moi, qu’il était indispensable que la sénatrice Pate présente de nouveau la question dans cette enceinte pour qu’elle soit étudiée par l’ensemble du Sénat.

Bien avant que j’aie pu m’imaginer avoir la responsabilité de siéger au Sénat, j’étais un Canadien qui voyait le Sénat se buter contre le projet de loi C-14, la loi sur l’aide médicale à mourir. Ce projet de loi également mettait en cause un domaine du droit criminel très complexe, mais il a fait l’objet de débats vigoureux et d’amendements à l’étape de la troisième lecture. Les Canadiens ont vu de leurs propres yeux à quel point le Sénat a traité cette affaire de manière sérieuse et réfléchie. En tant que Canadien à l’écoute, j’étais très fier du travail difficile qui avait été accompli.

Pour mettre les choses en perspective, au cours des deux années qui ont suivi la mise en œuvre du projet de loi C-14, il y a eu 3 714 décès attribuables à l’aide médicale à mourir. Chers collègues, les 636 000 agressions sexuelles autodéclarées, dont plus de 57 000 affaires où la victime était incapable de consentir, méritent assurément qu’on leur accorde le même niveau d’attention, de soin et de temps qui a été consacré au projet de loi C-14.

Je sais que, si nous adoptons ces amendements, la mise en vigueur du projet de loi sera retardée, mais j’ai également vu combien le délai peut être court et à quel point l’autre endroit peut répondre rapidement aux amendements que nous adoptons. Si la Chambre des communes le veut, elle peut accepter nos amendements le jour même et le projet de loi peut passer tout de suite à l’étape de la sanction royale.

Chers collègues, on ne peut pas changer le passé. On ne peut pas faire marche arrière pour les centaines de milliers de victimes d’agression sexuelle ou pour Rehtaeh Parsons et sa famille. Toutefois, nous avons le pouvoir, comme législateurs, de tenter de bâtir un meilleur avenir.

Aujourd’hui, honorables sénateurs, nous pouvons adopter une loi qui changera la manière dont les Canadiens se parlent et prennent leurs décisions au quotidien. Nous pouvons changer la dynamique bien avant que les choses ne se rendent au poste de police, dans les bureaux des procureurs et devant les tribunaux.

Le respect est une vertu cardinale pour les Canadiens. À mes yeux, personne ne devrait être forcé de se livrer à quelque activité sexuelle que ce soit. Il faut qu’il y ait consentement mutuel et authentique. De plus, selon moi, cet objectif important doit figurer dans nos lois, qui doivent définir ce qui constitue un consentement authentique et mutuel. J’entends appuyer les amendements de la sénatrice Pate. Je vous remercie.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je n’avais pas prévu parler de cet amendement, mais j’y ai repensé, et les discours d’aujourd’hui m’ont beaucoup fait réfléchir.

Le notion de consentement dans les cas d’agression sexuelle revêt une importance vitale dans la société canadienne. Je remercie la sénatrice McPhedran d’avoir donné tous ces exemples, dont le viol d’une jeune Autochtone de 12 ans à Tisdale, en Saskatchewan. Vous nous avez aussi parlé d’une autre Autochtone, Cindy Gladue, qui vivait à Edmonton. Évidemment, nous avons tous déjà entendu parler de Rehtaeh Parsons.

Personne n’a pourtant parlé d’Helen Betty Osborne, une affaire qui remonte à 1971 et que le sénateur Sinclair connaît bien. Quand j’étais jeune, son histoire m’avait beaucoup ébranlée. Cette jeune Autochtone fréquentait l’école secondaire de Flin Flon. Un jour, quatre jeunes hommes ont décidé qu’ils avaient envie de faire la fête. Ils ont choisi Betty parce qu’elle était une Indienne et qu’ils avaient justement envie de coucher avec une Indienne et de faire la fête avec elle. Elle a été brutalement assassinée.

Les femmes et les filles autochtones, comme nous le savons tous, risquent davantage d’être victimes de viol, d’agression sexuelle et de meurtre. La question du consentement dans ce cas-ci est de savoir si la voix des femmes autochtones est aussi bien entendue que celle des autres femmes. Souvent, l’alcool est en cause. On fait boire la victime. On sort faire la fête. Dans l’affaire de viol de Tisdale, on a fait boire de la bière à la jeune fille de 12 ans. Non seulement elle était trop jeune, mais on l’a fait boire pour qu’elle soit ivre. Nous savons tous que l’alcool a des effets inhibiteurs et affecte la pensée rationnelle en nous empêchant de penser rationnellement. Même si la fille n’est peut-être pas inconsciente ou même si elle est une adulte, qu’on l’ait forcée à boire ou qu’elle ait bu de son plein gré, elle ne peut pas penser rationnellement. Comment peut-elle donner son consentement dans les circonstances?

(1500)

Nous savons aussi aujourd’hui que les drogues du viol rendent les victimes totalement inertes. Elles ont l’air inconscientes, mais leur cerveau fonctionne. Nous avons pris connaissance de tout cela aux États-Unis, notamment avec l’affaire Bill Cosby.

J’appuie votre amendement, sénatrice Pate, mais je pensais surtout au rôle que doit jouer le Sénat. L’intervenant précédent, le sénateur Dalphond, disait que c’est au comité qu’il revient d’agir. Je pense qu’il s’agit d’un dossier extrêmement complexe et c’est pourquoi je suis ravie de la déclaration du sénateur Colin Deacon. C’est en effet un dossier très complexe, mais, en tant que sénateurs, il nous incombe de prendre ces décisions.

Je pense que le sujet dont nous nous occupons est crucial pour le bien-être de toutes les Canadiennes, d’où la nécessité de prendre position. Qu’importe si le projet de loi est retardé. Si la Chambre des communes refuse notre proposition et nous renvoie le texte, nous devrions encore dire non. Prenons position. Qui prendra position pour les femmes, en particulier les femmes autochtones? Les questions qui touchent les femmes sont souvent reléguées au bas de la liste des priorités. Nous avons aujourd’hui la chance, en tant que groupe, en tant que Sénat, de changer la donne. Nous pouvons intervenir et dire : « Oui, le comité aurait dû faire cela. » Dans ce cas, toutefois, et pour quelque raison que ce soit, le comité en a décidé autrement. Les comités sont en effet composés de particuliers qui se laissent convaincre par différents arguments.

Je pense donc, comme dans le cas du projet de loi sur l’aide médicale à mourir, que nous devons tous prendre position et exprimer notre opinion. Même si j’ai confiance dans le processus et si je pense que les membres du comité auraient dû s’occuper de cela, parce qu’ils sont les experts, je crois aussi qu’il y a des choses à propos desquelles, en tant que sénateurs, nous devons prendre position et dire que nous ne les accepterons pas. Nous ne sommes peut-être pas élus, mais, en disant qu’il faut que cela change, nous défendons ces femmes, en particulier les femmes les plus vulnérables de la population autochtone. C’est un mal qui ronge notre société.

Je vous remercie, sénatrice Pate, en qualité de nouvelle arrivée au Sénat, d’avoir eu le courage de proposer cet amendement. Je l’appuierai.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice Pate, avec l’appui de l’honorable sénatrice M. Deacon (Ontario), propose que le projet de loi C-51 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié : a) à l’article 10, à la page 5... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Je vais reposer la question. Je crois que j’ai entendu quelques « non ».

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : J’entends des « non ». Je ne vois personne se lever. À mon avis, les oui l’emportent.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Plett : Avec dissidence.

(La motion d’amendement de l’honorable sénatrice Pate est adoptée avec dissidence.)

Son Honneur le Président : Nous reprenons le débat sur la motion principale.

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-51 — bien sûr, pour parler d’une autre question que celle du consentement qui a été débattue au Sénat dans le cadre de ce projet de loi — concernant les audiences du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et les témoignages livrés par l’Association du Barreau canadien, l’Association canadienne des libertés civiles, l’Association du Barreau autochtone et, évidemment, par l’avocat et criminaliste de renom Michael Spratt, qui contribue régulièrement aux travaux des comités.

Si je prends la parole, honorables sénateurs, c’est parce que, selon moi, le projet de loi pose un problème relatif aux droits conférés par la Charte, notamment par l’article 11 de la Charte, qui se lit comme suit :

11. Tout inculpé a le droit :

c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche;

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

Ce sont les deux alinéas de l’article 11 de la Charte qui, selon moi, sont touchés par des dispositions très précises du projet de loi C-51. Je suis désolé si j’utilise un langage technique lorsque je parle du Code criminel, mais c’est un peu inévitable. C’est un texte complexe qui contient des passages obscurs. Néanmoins, il s’agit de la liberté des citoyens. Avant que nous procédions au vote, je tiens à souligner que je suis convaincu que ces questions se retrouveront probablement devant les tribunaux, tôt ou tard. Il en va de la crédibilité du Sénat de parler de ces préoccupations : le jour où elles seront soulevées devant les tribunaux, nos commentaires pourraient éclairer les délibérations de la cour à propos de la teneur des droits prévus aux alinéas 11c) et d) que je viens de citer.

Permettez-moi de lire deux conclusions probantes tirées du mémoire de l’Association du Barreau canadien :

Dans une société juste, libre et démocratique, le procès doit respecter le principe fondamental voulant que le vaste pouvoir étatique soit contrebalancé par le droit de l’accusé, à de rares exceptions près, de garder sa défense secrète et de ne la révéler à la poursuite qu’au moment où il décide de la produire en cour. Le projet de loi C-51 viendrait rompre cet équilibre fondamental.

Dans le mémoire, l’association ajoute que l’obligation de divulgation que le projet de loi C-51 imposerait à la défense :

[...] hypothéquerait l’efficacité du contre-interrogatoire que l’avocat de la défense pourrait mener. La section de l’ABC s’interroge sur le caractère constitutionnel d’imposer cette obligation de divulgation à l’accusé, et sur les conséquences possibles sur le droit de celui-ci à une défense et réponse complètes, un droit garanti par la Charte.

Je vais vous lire un passage de l’opinion de l’Association canadienne des libertés civiles :

[...] le projet de loi C-51 est inconstitutionnel, inapplicable et inefficace...

... pour trois raisons :

Premièrement, nous croyons que l’obligation de divulgation imposée à la défense est inconstitutionnelle parce qu’elle contrevient au droit au silence et au droit à un procès juste.

Deuxièmement [...] nous jugeons que les dispositions de l’article 276 qui permettent au plaignant d’être représenté par un avocat et les requêtes prescrites par l’article 278.92 créent une situation d’injustice pour le défendeur.

Troisièmement, nous estimons que l’élargissement de la portée de l’article 276 pour y inclure les communications compromet le droit à un procès juste et introduit une ambiguïté impossible en droit pénal.

Honorables sénateurs, j’aimerais vous soumettre certains des arguments que l’honorable sénateur Sinclair, le parrain de cette mesure législative, a avancés lorsqu’il nous a demandé d’appuyer le projet de loi C-51 à l’étape de la troisième lecture.

Le sénateur Sinclair — avec tout le respect que je lui dois et l’amitié que j’ai pour lui — soutient ce qui suit :

Les modifications proposées dans le projet de loi C-51 protègent les intérêts des victimes en matière de vie privée tout en préservant le droit de l’accusé à un procès équitable, et elles réaffirment la règle de longue date selon laquelle il n’est jamais acceptable, dans le cadre d’un procès pénal, de soumettre des éléments de preuve relatifs aux activités sexuelles antérieures de la victime dans le seul but de démontrer qu’il est plus probable que la victime a consenti à l’activité sexuelle en cause ou que la victime est moins digne de foi.

Il s’agit d’un des arguments dont nous a fait part le sénateur Sinclair au terme de ses réflexions.

Je fais respectueusement remarquer aux sénateurs que le projet de loi C-51 va beaucoup plus loin. En effet, il prévoit d’imposer à la défense une obligation de divulgation. Il faut savoir que l’admissibilité de la preuve est traitée à l’article 276 du Code criminel. La preuve ne peut être utilisée dans le seul but de démontrer qu’il est plus probable que la victime a consenti à l’activité sexuelle en cause ou que la victime est moins digne de foi. C’est, bien entendu, la même formulation que l’on retrouve à l’article 276 du code.

La preuve dont il est question dans le projet de loi C-51 doit être admissible, pertinente et ne pas être sous le coup des exclusions prévues à l’article 276 du code. Je crois que les sénateurs conviendront que c’est la bonne façon d’interpréter la nature des dispositions du projet de loi C-51 concernant l’obligation de communiquer des éléments de preuve.

(1510)

Voici le deuxième argument présenté par l’honorable sénateur :

Le processus ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable car, à mon avis, il s’agit simplement d’exiger que l’accusé divulgue de l’information, comme dans d’autres circonstances. C’est le cas, notamment, s’il a des éléments de preuve concernant un alibi. Des avocats ont fait valoir au comité qu’il existe une différence entre une défense d’alibi et un contre-interrogatoire à propos de documents. D’accord. Quoi qu’il en soit, c’est la même idée. C’est le même principe.

Encore une fois, honorables sénateurs, je vous signale respectueusement que, en ce qui concerne la communication des éléments de preuve, les dispositions du projet de loi C-51 ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent dans l’autre situation à laquelle le sénateur a fait allusion dans son discours. Une telle comparaison est trompeuse. La défense ne doit fournir une copie du rapport d’experts qu’après la fermeture du dossier par la Couronne. Elle n’est pas tenue de fournir cette information aux experts de la Couronne avant le contre-interrogatoire.

De même, la défense doit donner avis qu’elle produira des pièces commerciales, mais rien n’exige qu’elle les communique d’avance. La loi n’exige pas qu’un accusé divulgue son alibi. La non-divulgation d’un alibi ne nuit pas à l’admissibilité de la preuve; elle ne peut qu’influer sur l’importance que lui accordera la cour. Chose importante, lorsqu’on donne préavis d’un alibi, on n’est pas tenu de fournir les détails exacts ni les preuves qui devront être produites à l’appui de cet alibi.

La communication du dossier prévue dans le projet de loi C-51 a une incidence sur le droit à un procès équitable, car le contenu et la nature de la preuve communiqués sont beaucoup plus vastes que dans les exemples cités par le sénateur Sinclair. Le droit à un procès équitable entre en ligne de compte, car la preuve doit être communiquée au témoin qu’elle servira à faire condamner. Contrairement aux autres cas, ce type de communication nuira plus fondamentalement à la fonction de détermination de la vérité dans le cadre du procès.

Le troisième argument avancé par le sénateur Sinclair se lit comme suit :

Ces avocats soutiennent également que cela porte atteinte au droit de l’accusé de garder le silence, ce qui est faux, car l’accusé n’est pas tenu de témoigner ni à l’audience concernant les documents ni au procès. C’est son avocat qui peut utiliser ces documents si le juge de première instance détermine que ceux-ci peuvent être utilisés à des fins de contre-interrogatoire. Ainsi, l’exigence ne porte nullement atteinte au droit de l’accusé de garder le silence.

Malgré tout le respect que je vous dois, encore une fois, sénateur Sinclair, c’est, fondamentalement, une mauvaise interprétation du droit de garder le silence. Le droit de garder le silence englobe plus que le choix de témoigner ou non; le droit de garder le silence s’étend à tous les aspects de la procédure, pas seulement au procès. Par exemple, l’information fournie par un accusé à la suite d’une accident de la route est constamment exclue des procès pour des motifs liés au droit de garder le silence. Forcer un accusé à divulguer de l’information empiète sur le droit de garder le silence. Seulement en de rares circonstances devrait-on obliger un accusé à fournir des renseignements à la Couronne. Le droit de garder le silence doit être fermement préservé pour préserver la dignité de l’accusé, son autonomie et sa vie privée. D’ailleurs, en 2003, dans sa décision relative à l’affaire R. c. S.A.B., la Cour suprême indiquait clairement, au paragraphe 57 :

[...] le principe interdisant l’auto-incrimination repose sur la notion fondamentale que le ministère public a le fardeau de faire une « preuve hors de tout doute raisonnable » et ce, sans la participation forcée de l’accusé.

En donnant pleinement effet à ce principe, la Cour suprême a affirmé que, bien qu’un accusé ait le droit constitutionnel à la communication d'éléments de preuve de la part de la Couronne, il n’existe pas d’obligation générale de communication d'éléments de preuve imposée à la défense. Je cite le paragraphe 39 du jugement de la Cour suprême dans l’affaire R. c. P. (M.B.) :

Pour ce qui est de la communication d'éléments de preuve, la défense au Canada n’est pas légalement tenue de collaborer avec le ministère public ou de l’aider en annonçant le recours à un moyen de défense spécial, comme un alibi, ou en produisant une preuve documentaire ou matérielle.

Puis, il y a la citation provenant de la décision relative à l’affaire R. c. Stinchcombe, que tous les avocats connaissent sans doute:

La défense [...] n’est nullement tenue d’aider la poursuite et il lui est loisible de jouer purement et simplement un rôle d’adversaire à l’égard de cette dernière.

Honorables sénateurs, autrement dit, l’accusé a le droit de « jouer purement et simplement un rôle d’adversaire » à l’égard de la poursuite.

Honorables sénateurs, dans son exposé, le sénateur Sinclair n’a pas parlé de la question du procès équitable. Même si on peut remettre en doute le droit de garder le silence, il reste qu’il faut tenir compte de la question du droit à un procès équitable. En l’espèce, une contradiction demeure entre l’obligation de communiquer la preuve prévue dans le projet de loi C-51 et les alinéas 11c) et 11d) de la Charte.

Honorables sénateurs, je reconnais que ces questions sont très techniques et complexes, mais elles se trouvent dans le projet de loi C-51 sur lequel nous allons voter. Comme je vous l’ai indiqué après avoir lu le mémoire de l’Association du Barreau canadien et celui de l’Association canadienne des libertés civiles, et après avoir eu un échange avec l’avocat criminaliste Michael Spratt — je le remercie de sa contribution à ma réflexion —, j’estime que ce projet de loi risque non seulement de faire l’objet d’une contestation judiciaire devant les tribunaux mais aussi d’être considéré comme laissant à désirer aux termes des alinéas 11c) et d) de la Charte. La portée du renversement de l’obligation de communiquer des éléments de preuve est très large et n’est pas précisée. Je cite le projet de loi :

[...] toute communication à des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle.

Il n’y a pas de limite de temps.

Autrement dit, dans les procédures liées à un procès, la partie plaignante devrait divulguer, avec l’aide d’un avocat, toute communication qu’un accusé pourrait avoir eue avec elle par le passé, quelle qu’en soit la nature. À mon avis, cette obligation, énoncée de façon si large, remet en question le droit à un procès juste et le droit au silence.

Honorables sénateurs, c’est pour cette raison que je serais arrivé à la conclusion que j’aurais manqué à mon obligation d’attirer votre attention sur ces problèmes, parce que, quand un projet de loi est adopté dans cette enceinte, qu’il devient loi, qu’il est contesté devant les tribunaux et qu’il est déclaré contraire à la Charte, cela rejaillit sur notre travail à tous, notamment le travail de ceux d’entre nous qui siègent au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. À titre de président du comité, c’est à moi qu’il revient d’attirer votre attention sur ces questions, parce que cela fait partie de notre responsabilité commune au moment de voter sur le projet de loi C-51 à l’étape de la troisième lecture.

L’honorable Michael Duffy : J’ai une question, si le sénateur accepte d'y répondre.

Son Honneur le Président : Sénateur Joyal, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à une question?

Le sénateur Joyal : Ai-je le consentement des honorables sénateurs?

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Duffy : Votre travail est toujours rigoureux, sénateur Joyal, et nous vous savons tous gré de vos contributions à ces dossiers importants. Le Canada et, en fait, la plupart des pays du monde font grand cas des agressions sexuelles et la question nous interpelle tous.

(1520)

En vous entendant parler de la communication d’éléments de la preuve par la défense, je me demande si, au cas où elle serait autorisée dans les affaires d’agression sexuelle, vous craignez ou pensez que cette approche contaminera d’autres affaires criminelles, sapant ainsi l’un des fondements de notre système de justice pénale, à savoir le droit qu’a l’accusé de ne pas s’incriminer.

Le sénateur Joyal : Merci, sénateur, de votre question. J’y ai réfléchi, car je me souviens très bien des modifications visant à inclure l’alibi dans le Code criminel. En effet, si l’accusé a un alibi, il est invité à en informer le tribunal dès que possible. Ce n’est pas définitif, comme je l’ai dit dans mes observations. L’alibi peut être invoqué à n’importe quel moment du procès, mais le moment où on l’invoque influera évidemment sur la crédibilité. Toutefois, la preuve peut être, évidemment, présentée devant le tribunal.

Cela s’applique à la communication de dossiers. L’accusé doit informer le tribunal de son intention de communiquer des dossiers. Toutefois, il n’est pas tenu d’en communiquer tous les détails, contrairement à cette obligation par laquelle il faut remettre toutes les communications relatives à l’activité sexuelle, qu’il s’agisse de clavardage sur Internet, sur Twitter ou toute sorte de communication immatérielle.

Évidemment, lorsqu’on introduit ce genre d’exception dans le Code criminel sans restreindre le critère et sans pouvoir définir la mesure dans laquelle les circonstances exceptionnelles sont abordées, on crée un précédent. N’importe qui pourra, à un moment donné, affirmer que la protection prévue dans les cas d’agressions sexuelles devrait s’appliquer à d’autres infractions criminelles qui sont tout aussi répugnantes et qui suscitent également une réaction dans la société en général.

Voilà pourquoi, honorables sénateurs, j’attire votre attention sur la question aujourd’hui. Avec le projet de loi à l’étude, nous souhaitons tous régler le problème des infractions d’ordre sexuel, qui nous rebutent tous. Nous voulons tous les voir disparaître. Je pense aussi au harcèlement sexuel, car il s’agit du même phénomène, qui prend racine dans l’attitude de la société envers les femmes, en général et la plupart du temps.

Je crains que, si nous permettons ce genre d’ouverture, si nous insérons dans le Code criminel des restrictions au droit de se défendre, au droit à un procès équitable, au droit de contre-interroger un témoin qui ment ou qui exagère... Un procès, c’est la quête de la vérité; essentiellement, voilà ce que c’est. Un procès sert à découvrir ce qui est arrivé, à savoir qui est responsable et à établir dans quelle mesure l’accusé est responsable afin que la peine puisse se rattacher à quelque chose que, autant que possible, la cour a su comprendre et établir hors de tout doute raisonnable. En effet, c’est cela, la mesure de la crédibilité.

Comme je l’ai dit, j’ai écouté toutes les questions que les honorables sénateurs ont posées en comité aux témoins dont j’ai parlé, aux spécialistes que nous avons entendus. Puisque, selon moi, ces points auront une influence considérable sur les modifications futures du Code criminel, j’ai voulu attirer votre attention là-dessus.

J’aimerais dire aux honorables sénateurs qui ont assisté et qui ont participé aux travaux du comité que je suis persuadé que ces questions se retrouveront devant les tribunaux, tôt ou tard.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Martin : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

Projet de loi de 2017 sur la sécurité nationale

Deuxième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, et des objectifs qu’il propose relativement aux organismes de sécurité nationale du Canada. Tout d’abord, je tiens à féliciter le sénateur Gold de son excellent travail à titre de parrain du projet de loi.

Je vais parler brièvement des objectifs globaux du projet de loi, mais je vais plutôt faire porter mon intervention sur la façon dont il s’attaquera au cloisonnement des organismes de sécurité et à leur processus d’examen et, de ce fait, améliorera la surveillance pour la protection et le bien-être des Canadiens.

Le projet de loi est conçu en partie pour rétablir l’équilibre entre les pouvoirs des services de sécurité et ceux des organismes d’examen qui leur demandent des comptes. S’il est adopté, le projet de loi complétera le comité d’examen parlementaire mixte sur la sécurité en créant l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Il créera aussi le poste de commissaire au renseignement. L’office de surveillance est un élément essentiel du projet de loi. Il insiste sur l’importance de la surveillance et met en place un système de freins et de contrepoids qui protégera les Canadiens et leurs droits.

Le projet de loi C-59 modifierait le Centre de la sécurité des télécommunications de manière à ce que bon nombre de ses responsabilités soient définies par la loi plutôt que par le pouvoir ministériel ou des politiques internes. Des experts en sécurité affirment que ces changements seront porteurs de clarté pour les organismes de sécurité nationale et leur permettront d’accomplir leur travail plus efficacement. Les experts ont également qualifié la mesure proposée d’avant-gardiste, puisqu’elle établirait de nouveaux mécanismes grâce auxquels les organismes de sécurité nationale pourraient s’adapter avec souplesse à l’arrivée de nouvelles technologies.

Le projet de loi C-59 vise notamment à corriger la fragmentation actuelle des processus d’examen et à assurer une surveillance plus vaste des organismes de sécurité et de renseignement du Canada. Afin d’accentuer la transparence et la reddition de comptes, le projet de loi s’éloigne des anciens modèles fondés sur des vase clos et propose plutôt une approche globale. Ainsi, les activités d’examen seront menées par de multiples agences, dont le Service canadien du renseignement de sécurité, la GRC, le Centre de la sécurité des télécommunications et l’Agence des services frontaliers du Canada.

Dans le cadre de mes anciens emplois, j’ai déjà, comme bien des sénateurs, dirigé des initiatives qui visaient à réduire le cloisonnement des activités au sein des organismes du secteur public. J’ai été témoin des faiblesses propres aux politiques conçues en vase clos, à la prestation de programmes compartimentés ou au financement morcelé.

De plus, nous avons tous été témoins des faiblesses qui se produisent lorsque la gouvernance et la reddition de comptes sont fragmentées en vase clos. Le rapport produit par le Congrès américain à la suite des attentats du 11 septembre a révélé non seulement que les organismes du renseignement étaient barricadés dans leur bulle et ne partageaient pas des renseignements cruciaux à propos de menaces provenant de l’étranger, mais aussi qu’il existait des organismes de sécurité américains inconnus jusque-là. C’est ce que j’appelle des super-silos ou des méga-silos.

Dans un document de 2016 intitulé Bridging the National Security Accountability Gap: A Three-Part System to Modernize Canada’s Inadequate Review of National Security , les experts Craig Forcese et Kent Roach définissent l’examen comme « le processus utilisé par les organismes indépendants pour évaluer rétrospectivement la conduite des organismes de sécurité et de renseignement ». Ils laissent entendre que, pour être efficace, un système d’examen doit être tourné vers l’avenir, et donc en mesure d’évaluer la nécessité d’apporter des modifications aux lois ou aux politiques.

Les deux experts affirment qu’il est important d’effectuer des examens à cause des pouvoirs considérables détenus par les organismes de sécurité et de renseignement, plus particulièrement le pouvoir de restreindre les droits et les libertés. Ils précisent qu’on a déjà abusé de ces pouvoirs au Canada et ailleurs, que les organismes de sécurité et de renseignement exercent ces pouvoirs en secret et qu’ils pourraient donc empêcher le dépôt de plaintes d’inconduite, et que ces organismes ne sont pas généralement exposés au monde extérieur ou soumis à une surveillance externe, deux choses essentielles pour assurer leur efficience et leur efficacité.

Bien que plusieurs mécanismes d’examen soient actuellement en place, ils ne donnent pas — conjointement ou individuellement — un mandat suffisant aux organismes pour examiner les questions qui trancendent les champs de compétence des organismes.

(1530)

À l’heure actuelle, trois organismes surveillent les activités des organismes de sécurité. Le Centre de la sécurité des télécommunications est actuellement surveillé par le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Le SCRS est surveillé par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, un organisme externe et indépendant qui présente des rapports au Parlement sur les opérations du SCRS. La GRC, elle, est surveillée par la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, qui s’assure que les plaintes du public au sujet de la conduite des membres de la GRC sont examinées de façon équitable et impartiale.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Sénateur Dean, je suis désolé de vous interrompre, mais le ministre vient d’arriver. Vous disposerez du reste de votre temps de parole après la période des questions.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous avons parmi nous aujourd’hui, pour la période des questions, l’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre.

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Jonathan Wilkinson, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.

Le ministère des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne

La captivité des baleines et des dauphins

L’honorable Donald Neil Plett : Bienvenue, monsieur le ministre.

Comme vous le savez sans doute, nous étudions en ce moment le projet de loi C-68 à l’étape de la deuxième lecture. Ce texte, présenté par votre gouvernement, modifie la Loi sur les pêches.

Ce projet de loi prévoit beaucoup de choses, dont quelques-unes soulèvent des inquiétudes chez moi et plusieurs de mes collègues. Toutefois, comme je l’ai dit à votre prédécesseur, le ministre LeBlanc, j’appuie la disposition qui interdit la capture de cétacés sauvages, sauf lorsqu’il est question d’un animal blessé ou ayant besoin d’une réadaptation. Je crois que c’est un principe que la plupart des Canadiens appuient.

Monsieur le ministre, le gouvernement a présenté ce projet de loi alors que les débats sur le projet de loi S-203 étaient déjà bien amorcés. Il est donc raisonnable de croire que le gouvernement, en rédigeant cette politique, s’est penché sur ce que proposait le projet de loi S-203, mais qu’il a décidé de ne pas ajouter de restrictions supplémentaires.

Monsieur le ministre, pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de ne pas inscrire les dispositions détaillées du projet de loi S-203 dans le projet de loi C-68? Croyez-vous, comme votre prédécesseur, le ministre LeBlanc, que le projet de loi C-68 réussit à établir le bon équilibre?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de m’avoir invité au Sénat aujourd’hui. C’est tout un honneur d’être ici avec vous. Il y a de nombreuses années, j’étais négociateur constitutionnel et mon travail était grandement axé sur la réforme des institutions et celle du Sénat. Par conséquent, je comprends raisonnablement bien et je respecte énormément le travail que vous faites.

J’occupe mon poste depuis trois mois, mais je tenterai de répondre à toutes vos questions. Je m’engage certainement à faire le suivi de toute question qui l’exige.

En ce qui concerne le projet de loi S-203, je dirai qu’il faut mettre fin à la pratique qui consiste à capturer des cétacés dans le seul but de les garder en captivité. C’est l’avis du gouvernement, et je sais que les Canadiens de partout au pays partagent cet avis.

D’ailleurs, bien que l’interdiction de la mise en captivité des baleines ne soit pas encore prévue dans la loi, elle est en pratique depuis de nombreuses années. Le ministre des Pêches et des Océans a le pouvoir de délivrer des permis pour la mise en captivité de cétacés vivants aux fins d’exposition publique, mais aucun permis de ce genre n’a été délivré au cours des 20 dernières années.

Nous appuyons en principe le projet de loi S-203. C’est exactement pourquoi le projet de loi C-68 comprend une modification qui vise à mettre fin à la captivité des baleines, sauf à des fins de réadaptation.

J’ai certainement hâte de voir l’excellent travail que fera le Sénat lorsqu’il débattra et étudiera le projet de loi C-68. Comme il le sait, le projet de loi S-203 est actuellement à l’étude à l’autre endroit et j’ai aussi hâte d’entendre le débat qui s’y tiendra.

Le sénateur Plett : Eh bien, monsieur le ministre, comme vous l’avez dit, vous allez tenter de répondre à toutes les questions.

Lors de son passage ici, le ministre LeBlanc a dit ce qui suit :

Dans la mesure où nous avions l’intention de présenter des modifications visant à renforcer et à moderniser la Loi sur les pêches, je me suis dit que nous pourrions intégrer ce qui était prévu dans le projet de loi S-203.

C’est ce que nous avons fait.

C’est le ministre LeBlanc qui a dit cela.

Dans plusieurs provinces — dont l’Ontario, où se trouve bien sûr Marineland —, certaines pratiques dans ce domaine relèvent du gouvernement provincial. Lorsqu’il est question d’animaux gardés en captivité dans des installations comme celles-là, je ne veux pas m’ingérer dans un domaine de compétence provinciale.

Cette affirmation sur la constitutionnalité et la division des pouvoirs a été soulevée devant notre comité par des témoins experts.

Monsieur le ministre, diriez-vous, comme votre collègue, que le projet de loi S-203 risque d’empiéter sur le champ de compétence provincial en Ontario, ce qui, évidemment, le rendrait inconstitutionnel?

M. Wilkinson : Le projet de loi S-203 n’est pas un projet de loi d’initiative ministérielle, tandis que le projet de loi C-68 l’est. Ce dernier découle d’une promesse qui a été faite lors de la campagne électorale de 2015 en vue de rétablir les mesures de protection prévues dans l’ancienne Loi sur les pêches avant 2012. Nous avons travaillé fort pour que la mesure législative soit étudiée à la Chambre des communes et ensuite renvoyée au Sénat pour que vous en débattiez.

La modification ou la disposition concernant la captivité des baleines y a été ajoutée, étant entendu que le gouvernement fédéral est pleinement autorisé, sur le plan constitutionnel, à légiférer à cet égard.

Les infrastructures côtières du Nord-Ouest—L’interdiction des pétroliers

L’honorable Nicole Eaton : Monsieur le ministre, il y a deux semaines, votre collègue, le ministre Sohi, a indiqué que l’interdiction des pétroliers que propose le gouvernement dans le Nord-Ouest a été motivée par un manque d’infrastructures côtières pour réagir à un déversement potentiel. Quelle est votre opinion à ce sujet, étant donné votre expérience à titre d’ancien secrétaire parlementaire de la ministre de l’Environnement et d’actuel ministre responsable de la Garde côtière canadienne, qui est l’une des premières organisations à envoyer des gens pour agir en cas de déversement?

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les commentaires du ministre Sohi? Quelles infrastructures côtières sont nécessaires dans le Nord-Ouest, et quelles sont les mesures que prend le gouvernement pour garantir une construction rapide?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : La décision d’interdire les pétroliers est motivée par plusieurs raisons, dont certaines sont liées à la forêt pluviale de Great Bear et le fait que ce n’est pas un endroit approprié pour construire un pipeline, mais aussi par la nécessité de tenir compte de l’infrastructure existante et de celle que l’on prévoit construire pour réagir aux accidents maritimes lorsqu’ils se produisent.

Il est évident que la vaste majorité des infrastructures marines chargées des interventions en cas de déversement sont situées près de la baie Burrard, et c’est précisément pourquoi on expédie le pétrole de la baie Burrard depuis 60 ans. Je parle du poste de la Garde côtière de Kitsilano, de Sea Island, des gens de la société Western Canada Spill Response, de la Garde côtière auxiliaire et d’autres petits postes. Ce genre d’infrastructure n’existe pas plus au nord de la côte.

Cela dit, il est certainement important de prendre des mesures pour que les gens et les communautés autochtones au nord de la côte soient éventuellement en mesure d’intervenir en cas de déversements mineurs, comme celui impliquant une barge qui s’est produit l’an dernier au large de la côte nord.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Eaton, je vais devoir vous inscrire sur la liste pour le deuxième tour.

La dotation des postes dans les phares

L’honorable Patricia Bovey : Merci de vous être déplacé, monsieur le ministre. Ma question porte sur la dotation des postes dans les phares et sur les conditions de travail des employés qui travaillent dans les 50 phares gardés du Canada. L’emploi de gardien de phare est aussi important que complexe, et la vigilance de ces employés s’est avérée capitale pour la sûreté maritime, les opérations de sauvetage en cas d’urgence, la surveillance et le signalement d’activités illicites et le suivi des grands mammifères marins.

Pour les gardiens de phare, les journées sont longues : 11 heures tous les jours de la semaine, y compris le samedi et le dimanche. Ces gens sont toujours sur appel et, par manque de relève, bon nombre d’entre eux ont été incapables de prendre congé à plusieurs reprises depuis quelques années. Plusieurs sont actuellement en congé pour cause de stress.

Monsieur le ministre, pourquoi le ministère met-il autant de temps à bouger, quand il bouge, et à pourvoir les postes vacants? Pourquoi ne pas embaucher des remplaçants pour permettre à ces gens de prendre une pause bien méritée? Pourquoi la Garde côtière laisse-t-elle sans surveillance, même temporairement, certains des 50 phares qui sont censés être gardés?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question d’une grande importance.

Les phares gardés du Canada sont l’un des symboles de notre organisation, et ils contribuent directement à la sécurité des côtes canadiennes. Ils font partie de l’organisation, ils remplissent un rôle fonctionnel, ils sont exploités de manière durable et ils répondent aux besoins du milieu maritime depuis plus d’une centaine d’années.

Travailler comme gardien de phare, c’est s’engager dans une aventure remarquable : on vit dans un milieu éloigné et peu fréquenté où on se rend uniquement par bateau ou par hélicoptère et on passe sa vie au bord d’un majestueux et puissant océan. Cet emploi n’est toutefois pas pour tout le monde, et c’est ce qui explique que nous ayons du mal à embaucher du personnel.

Ces gens vivent dans des endroits éloignés où les possibilités d’entrer en contact avec les autres, que ce soit en personne ou par voie électronique, sont limitées.

(1540)

Comme dans bien d’autres secteurs du marché canadien du travail, il y a eu, au cours de la dernière année, un certain nombre de départs à la retraite parmi les gardiens qui s’occupent d’un grand nombre de nos phares. La Garde côtière a prévu des mesures en fonction de ces départs à la retraite, et elle s’emploie activement à attirer et à recruter la prochaine génération de gardiens de phare.

Au Canada, il y a actuellement 51 phares tenus par du personnel, ce qui nous oblige à doter 113 postes de gardien de phare. Certains gardiens de phare font des quarts rotatifs, alors que d’autres vivent à proximité d’un phare de façon permanente. La Garde côtière canadienne est en train de mettre en œuvre une stratégie de recrutement. Cependant, nous connaissons actuellement des pénuries de personnel.

Nous avons effectué un sondage auprès des gardiens de phare afin de trouver des solutions novatrices pour recruter et maintenir en poste la prochaine génération de gardiens de phare. La Garde côtière participe à des salons de l’emploi, organise des séances de recrutement, publie des offres dans les banques d’emplois en ligne et utilise les médias sociaux pour promouvoir ces initiatives.

Nous voulons assurer la pérennité des phares et du personnel qui s’en occupe. Nous déployons notre savoir-faire en matière de recrutement afin que les phares emblématiques du Canada, qui symbolisent la sécurité maritime, la promesse du retour au foyer et la lumière qui nous guide dans les ténèbres, continuent de jouer un rôle plus que symbolique. Ce sont des bâtiments fonctionnels dont nous avons besoin pour remplir notre mandat de protéger les voies navigables du Canada et ceux qui les empruntent.

[Français]

Les propriétaires-exploitants de flottes de pêche

L’honorable Éric Forest : Merci, monsieur le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière, d’être avec nous aujourd’hui. Ma question concerne le projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence, qui est généralement bien accueilli par les pêcheurs de l’Est du Québec et des Maritimes. Je pense à l’Alliance des pêcheurs professionnels du Québec et à la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada, qui représentent plus de 14 000 pêcheurs propriétaires de petites entreprises et 30 000 travailleurs membres d’équipage.

Les petits pêcheurs indépendants craignent pour leur mode de vie. Ils veulent éviter que les multinationales étrangères et les transformateurs monopolisent les droits de pêche. Les permis et les quotas de pêche doivent appartenir aux pêcheurs actifs indépendants et aux collectivités côtières. Il faut lutter contre la spéculation et l’intégration verticale de l’industrie si on veut que la pêche continue de faire vivre les gens de chez nous. Heureusement, le ministère des Pêches et des Océans a reconnu cette problématique depuis 40 ans. Des politiques sur le propriétaire-exploitant et la séparation de la flottille ont été mises en place. Cependant, ce sont des politiques ministérielles. Les pêcheurs indépendants de l’Atlantique souhaiteraient que ces politiques soient enchâssées dans la Loi sur les pêches.

Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager à répondre à la demande de l’Alliance des pêcheurs professionnels du Québec et à modifier le projet de loi C-68 afin d’assurer la pérennité des politiques sur le propriétaire-exploitant et la séparation de la flottille?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Mon prédécesseur, Dominic LeBlanc, s’était déjà engagé à tenir compte des objectifs sociaux et économiques dans l’administration de la Loi sur les pêches, et je compte maintenir cet engagement.

Le projet de loi C-68 contient certaines clarifications et de nouveaux pouvoirs qui me permettront, en tant que ministre, de prendre des mesures pour préserver l’indépendance des titulaires de permis dans le cadre des pêches côtières commerciales. Le projet de loi clarifiera les éléments dont je tiens déjà compte à titre de ministre dans la prise de décisions en vertu de la Loi sur les pêches. Deux de ces considérations sont particulièrement importantes dans le contexte des pêches côtières commerciales, c’est-à-dire les facteurs sociaux, économiques et culturels dans la gestion des pêches et la préservation ou la promotion de l’indépendance des titulaires de permis dans le cadre des pêches côtières commerciales.

De nouveaux pouvoirs de réglementation sont aussi proposés qui permettront d’enchâsser les éléments des politiques côtières commerciales dans la réglementation. Mon ministère travaille déjà à l’élaboration de ce règlement. La proposition réglementaire enchâssera certains éléments clés des politiques sur les propriétaires-exploitants et la séparation de la flottille. De plus, le projet de modifications réglementaires contient de nouvelles mesures afin que les titulaires de permis conservent la maîtrise des droits et des privilèges qui découlent des permis de pêche côtière qu’ils ont reçus. Des consultations avec les parties prenantes ont eu lieu au cours des derniers mois, et le ministère continue de travailler afin que ces modifications deviennent réalité le plus rapidement possible.

[Traduction]

La protection du saumon de l’Atlantique

L’honorable David Richards : Merci, monsieur le ministre, d’être parmi nous aujourd’hui. J’ai posé ma question à plusieurs reprises au cours du dernier mois et demi, et les Néo-Brunswickois la posent depuis plus de deux ans.

Que peut-on faire pour atténuer les pressions qui s’exercent sur le saumon de l’Atlantique dans la rivière Miramichi et la rivière Restigouche en raison de l’arrivée du bar rayé, vorace et protégé, qui semble être choyé par le ministère des Pêches et des Océans? Il y a actuellement plus d’un million et demi de ces poissons dans nos cours d’eau. Ils épuisent les stocks de saumon. Si rien n’est fait, nous perdrons le saumon de l’Atlantique. Il s’agit d’une crise complètement attribuable à l’intervention humaine qu’il faut régler maintenant. Merci.

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de votre question. Les questions concernant les stocks de saumon de l’Atlantique sont assurément importantes pour les Néo-Brunswickois et tous les autres Canadiens.

Toutes sortes de questions et de facteurs ont une incidence sur le saumon de l’Atlantique. Les changements climatiques en font partie, de même que la température de l’eau de la rivière Miramichi et d’autres rivières, ainsi que la destruction de l’habitat et la nécessité de le restaurer. Le bar rayé est un sujet de discussion important depuis quelque temps. Compte tenu de l’augmentation de la population de bar rayé, nous avons pris diverses mesures, dont une hausse de la limite de prises pour les pêcheurs sportifs, ainsi que pour les pêcheurs autochtones qui pratiquent cette activité à des fins d’alimentation ou à des fins sociales ou cérémonielles. En 2018, nous avons autorisé une Première Nation à pêcher le bar rayé dans la rivière Miramichi, de manière limitée, à des fins commerciales. C’est la première fois depuis 1996 qu’on autorise la pêche commerciale du bar rayé.

Le bar rayé et le saumon de l’Atlantique sont des espèces indigènes, qui cohabitent depuis des millénaires. Nos travaux de recherche révèlent que, même si le bar rayé est un prédateur des saumoneaux de l’Atlantique, il ne constitue pas la cause principale de la baisse actuelle de cette espèce. Toutefois, il est important que nous nous penchions constamment sur ces enjeux.

Les projets d’infrastructure

L’honorable Elizabeth Marshall : Bienvenue au Sénat du Canada, monsieur le ministre.

Monsieur le ministre, dans la phase 1 du programme d’infrastructure du gouvernement, votre ministère a approuvé pour 433 millions de dollars de projets. Si des ministères comme Infrastructure Canada ont rendu publique la liste de leurs projets d’infrastructure dans le site web du gouvernement, votre ministère ne l’a pas fait. Le gouvernement s’est fait élire en promettant davantage d’ouverture, de transparence et de reddition de comptes. D’ailleurs, votre plateforme électorale affirmait explicitement que les données financées par les Canadiennes et les Canadiens leur appartiennent.

Ce sont les contribuables canadiens qui financent ces projets et ils ont le droit de savoir à quoi servent leurs impôts. En tant que ministre des Pêches, quand vous engagez-vous à rendre publics les projets d’infrastructure que finance votre ministère?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de la question. Si la majorité des projets d’infrastructure dont vous parlez consistent en des ports pour petits bateaux, ceux-ci sont rendus publics et annoncés de façon régulière. Si j’ai mal compris votre question, je peux vous dire qu’il existe des listes des projets annoncés chaque année. C’est avec plaisir que je vous les transmettrai, si c’est ce que vous voulez savoir. S’il y a quoi que ce soit d’autre, je suis tout à fait disposé à étudier la question et à vous revenir avec des réponses.

Le ravitaillement du Nord

L’honorable Dennis Glen Patterson : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Je tiens également à vous remercier de l’annonce récente de la création d’une région de l’Arctique pour la Garde côtière. La nouvelle est accueillie avec le plus grand enthousiasme dans le Nord, et vous devez maintenant faire la même chose avec le ministère des Pêches et des Océans.

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : C’est ce que nous avons fait.

Le sénateur Patterson : Ce n’est pas ce que je voulais demander. Ma question porte sur le ravitaillement du Nord, monsieur le ministre. Hier soir, le directeur général de la Garde côtière canadienne, Gregory Lick, a comparu devant le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Il a déclaré que les équipages spécialisés de la flotte de brise-glaces assurent la sécurité de la navigation dans les glaces, ce qui permet à son tour d’assurer que les biens essentiels de ravitaillement soient livrés dans les collectivités.

Malgré le fait que le ravitaillement du Nord soit désigné comme une activité importante pour les brise-glaces, j’ai l’impression qu’on n’y accorde pas vraiment la priorité. En fait, la Garde côtière a indiqué le contraire en disant que toutes les situations de détresse et d’urgence ont préséance sur les services ordinaires.

(1550)

À la fin de l’été 2018, lorsque le comité spécial s’est rendu dans le Nord, la présidente et directrice générale de NEAS, une société de transport maritime du Nord, a expliqué ceci : en raison de la politique voulant que les brise-glaces répondent à toutes les situations de détresse ou d’urgence, un brise-glace a été redirigé vers un bateau de plaisance échoué et un autre a été envoyé auprès d’un navire de croisière qui s’était échoué en parcourant des eaux inconnues. Un brise-glace a ensuite été dérouté pendant trois jours à cause d’un changement d’équipage obligatoire. Pendant ce temps, le navire commercial était coincé dans l’embâcle bloquant le détroit de Bellot, transportant à son bord des marchandises essentielles aux communautés de l’Arctique de l’Ouest.

À la lumière de ces événements et d’autres situations semblables dont les transporteurs du Nord se sont plaints, je me demande, monsieur le ministre, si votre ministère envisagerait de donner priorité au ravitaillement des communautés, une activités essentielle à la survie des communautés du Nord. Il pourrait, pour ce faire, revoir ses politiques de manière à donner priorité au ravitaillement des communautés plutôt qu’à des situations de détresse où aucune vie n’est en danger, ou peut-être encourager le ministère des Transports à établir et à réglementer un corridor marin sécuritaire pour le transport maritime dans l’Arctique, ou encore établir des exigences de cautionnement pour les voyageurs qui parcourent l’Arctique en quête d’aventure.

M. Wilkinson : Je vous remercie de cette question. Elle est très importante.

La question de l’expédition de fournitures dans le Nord-est, de toute évidence, appelée à devenir un sujet de discussion de plus en plus fréquent. Cette année, je pense que 60 bateaux de plaisance sont passés par Cambridge Bay. La situation est bien différente de ce qu’elle était il y a seulement 20 ans, ou même 10 ans. Les besoins en matière recherche et sauvetage et d’interventions liées à des situations environnementales vont aller en augmentant. Nous devons tenir compte de cet élément dans le contexte des ressources affectées au Nord, y compris par l’entremise de la nouvelle région de l’Arctique de la Garde côtière canadienne et de Pêches et Océans Canada. Les discussions sur ce sujet vont devoir se poursuivre.

En ce qui concerne certains des détails que vous avez relevés, je pense que le bateau de plaisance en question se trouvait dans une situation assez dangereuse. Si la Garde côtière n’était pas intervenue, il y aurait probablement eu des pertes de vie. Les choix ne sont pas toujours faciles à faire. Les activités de recherche et sauvetage dans les situations où des vies sont en danger devront toujours être une priorité.

Cela dit, il est sûr que le ravitaillement des collectivités est aussi extrêmement important. Cette année, cela a été particulièrement difficile en raison de l’état de la glace dans le Nord. Le passage du Nord-Ouest était essentiellement impraticable et l’Arctique de l’Ouest a été paralysé par l’écoulement vers le sud de banquises de l’Arctique. Les services de ravitaillement n’ont pas réussi à se rendre dans trois communautés. Elles devront être ravitaillées par avion. Ce n’est pas l’idéal. Nous allons devoir réfléchir à ce qui est arrivé et tenter d’en tenir compte à partir de maintenant.

La pêche

L’honorable Marc Gold : Bienvenue, monsieur le ministre. Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans étudie les activités de recherche et de sauvetage, y compris les aspects préventifs de la sécurité maritime. Plus tôt cette année, des représentants du Bureau de la sécurité des transports sont venus nous parler de la conclusion à laquelle ils sont parvenus en 2017, à savoir que les règlements fédéraux sur les pêches offrent aux pêcheurs des incitatifs économiques et d’autres types d’incitatifs qui peuvent les pousser à prendre des risques qui pourraient donner lieu à des incidents de recherche et de sauvetage. Cela inclut le remplacement de quotas saisonniers par des quotas hebdomadaires, ce qui permettrait de reporter des quotas d’une semaine à l’autre, des dates de clôture imprévisibles pour une saison donnée et des règles sur la fréquence à laquelle les pêcheurs doivent s’occuper des filets.

Les représentants ont aussi informé le comité que bon nombre de pêcheurs ne savent pas qu’ils peuvent demander à votre ministère de leur accorder des exceptions en cas de mauvais temps. Ils prennent donc des risques qu’ils ne sont vraiment pas obligés de prendre, ce qui peut avoir des conséquences terribles.

En décembre dernier, l’un des directeurs régionaux de votre ministère aurait déclaré que le ministère prendrait très au sérieux les recommandations du Bureau de la sécurité des transports et en tiendrait compte dans ses décisions relatives à la saison de pêche de 2018.

Ma question est la suivante : pourriez-vous faire le point sur les mesures que votre ministère a prises à la suite du rapport du Bureau de la sécurité des transports pour rendre la pêche plus sécuritaire et réduire le risque d’incidents de recherche et de sauvetage maritimes? Que compte faire votre ministère pour mieux informer les pêcheurs que, en cas de mauvais temps, ils doivent d’abord penser à leur sécurité, et qu’il est possible d’obtenir des exceptions aux règlements?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. La sécurité des marins est une priorité pour tout gouvernement et tout ministre des Pêches et des Océans. C’est l’une des principales responsabilités associées à cette fonction : il faut mettre en œuvre des mesures qui font en sorte que les pêches ne sont pas seulement productives, mais également sécuritaires.

En ce qui concerne votre question à propos du Bureau de la sécurité des transports, je n’ai pas la réponse sous la main. Je m’efforcerai toutefois de vous soumettre une réponse complète à la suite de cette conversation.

La protection du saumon de l’Atlantique

L’honorable Paul E. McIntyre : Monsieur le ministre, ma question fait suite à l’une des questions soulevées par le sénateur Richards et elle porte sur le saumon de l’Atlantique, une ressource extrêmement importante dans ma province, le Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Richards a soulevé des préoccupations entourant le bar rayé dans les rivières Restigouche et Miramichi. Il a tout à fait raison. Récemment, plusieurs organismes de conservation au Nouveau-Brunswick ont sonné l’alarme au sujet du déclin de la population de saumon de l’Atlantique dans les rivières Restigouche et Miramichi. Dans la rivière Miramichi, la montaison de gros saumon a diminué de 20 p. 100 par rapport à 2016 et celle des madeleineaux — les jeunes saumons — a diminué de 13 p. 100. Dans l’ensemble, la population de saumon a décliné de 26 p. 100 au cours des 12 dernières années.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire ce que votre ministère fait pour lutter contre le déclin de la population de saumon dans les rivières Miramichi et Restigouche?

L'honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci beaucoup. Le déclin des montaisons est un problème extrêmement préoccupant. Il existe beaucoup de facteurs, le moindre étant certains des changements observés à cause des changements climatiques.

En ce qui concerne les mesures que prend le gouvernement, la température de la rivière Miramichi est demeurée élevée, ce qui a causé le déclin de la population de saumon de l’Atlantique. Pour la première fois, nous avons décidé de suspendre la pêche sportive dans les fosses de repos d’eau froide pendant 49 jours et de n’autoriser la pêche que le matin pendant 19 jours. Nous travaillons avec les intervenants pour appliquer ces protocoles de fermeture à d’autres rivières durant ces périodes critiques.

Comme je l’ai déjà dit, dans l’ensemble de la région, nous obligeons ceux qui s’adonnent à la pêche sportive à remettre leurs prises à l’eau. De plus, nous nous efforçons de limiter la pêche au saumon de l’Atlantique dans d’autres pays afin de protéger davantage l’espèce. Les communautés autochtones de la région choisissent volontairement de ne pas prendre la quantité de prises permises à des fins alimentaires, sociales ou rituelles dans le règlement. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il y a aussi le problème du bar rayé, pour lequel nous avons permis une augmentation du nombre de prises de façon régulière.

Il faut continuer d’investir en science et en restauration de l’habitat, et déterminer comment gérer la situation à l’avenir et trouver des solutions aux effets complexes de l’écosystème.

[Français]

L’honorable Percy Mockler : Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter pour vos nouvelles fonctions ainsi que pour votre maîtrise de la langue française.

Ma question fait suite à celle que vous ont posée les sénateurs Richards et McIntyre. Monsieur le ministre, au Nouveau-Brunswick, l’industrie du saumon de l’Atlantique est en crise.

[Traduction]

Monsieur le ministre, il faut absolument protéger la population de saumon de l’Atlantique, une espèce emblématique. Il est également primordial de prendre des décisions fondées sur des études scientifiques et le savoir. Aussi, il est nécessaire que tous les intervenants soient consultés, soit les Premières Nations, les pourvoyeurs, les scientifiques et le ministère des Pêches et des Océans. Monsieur le ministre, les stocks de saumon atlantique sont dans un état déplorable. Ce déclin a des répercussions négatives considérables sur les régions qui dépendent du saumon de l’Atlantique. L’association du saumon de Miramichi et la Fédération du saumon atlantique ont collaboré avec des scientifiques et des gens de l’industrie pour assurer l’avenir des stocks de saumon. À l’origine, le ministère des Pêches et des Océans s’était montré favorable au programme, qui prévoyait l’approbation de l’initiative d’ensemencement avec des saumoneaux élevés en captivité jusqu’à l’âge adulte, dont l’objectif est d’ensemencer la population de saumon avec des poissons adultes pour contourner le problème de la faible survie en haute mer. Maintenant, des milliers de poissons sont prêts à être remis en liberté, monsieur le ministre, mais le ministère des Pêches et des Océans refuse de délivrer un permis à cet effet.

Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est, monsieur le ministre? Nous avons besoin qu’une décision soit prise maintenant. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à approuver et à délivrer le permis pour la réintroduction du saumon adulte dans le réseau hydrographique afin qu’il fraie immédiatement, ce qui aiderait nos concitoyens qui en ont bien besoin, tant pour leur gagne-pain que pour leur qualité de vie?

(1600)

M. Wilkinson : Merci de votre question. Nous convenons qu’il faut prendre des mesures pour protéger cette espèce emblématique. C’est très important. Je crois que nous sommes convenons tous de l’importance des études scientifiques. Je reconnais tout à fait que toutes les voix doivent se faire entendre dans ce genre de discussion.

Pour ce qui est du projet du groupe Collaboration for Atlantic Salmon Tomorrow, ou CAST, je dirai que le ministère des Pêches et des Océans et le groupe en ont longuement discuté. Nous avons fait part au groupe de nos préoccupations, fondées sur des données scientifiques, concernant le fait que les spécimens arrivent à maturité avant d’être relâchés dans le cours d’eau, ce qui évacue complètement du cycle de vie la période censée se dérouler en milieu marin.

Nous avons très clairement communiqué au groupe CAST que l’aval des communautés autochtones locales était une de conditions essentielles à la réalisation du projet. Or, comme elles n’y sont pas favorables, nous avons indiqué au groupe CAST que nous n’accorderons pas le permis.

J’ajoute que d’autres partagent nos préoccupations fondées sur des données scientifiques, y compris la Fédération du saumon atlantique, qui avait appuyé le projet à l’origine. Je crois que si vous abordiez le sujet avec des représentants de la fédération, vous constateriez qu’ils y sont beaucoup moins favorables.

La pollution marine

L’honorable Thanh Hai Ngo : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre. Votre lettre de mandat exige que vous mettiez l’accent notamment sur la santé des trois océans — Arctique, Atlantique et Pacifique — qui bordent le Canada. Ma question concerne les graves dommages causés à l’océan Pacifique par le déversement de résidus industriels qui s’est produit au Vietnam il y a moins de deux ans. Je parle de la catastrophe environnementale de Formosa.

La forte pollution sous-marine a tué et contaminé une quantité importante d’organismes marins. On estime que des centaines et des centaines de tonnes de poissons d’élevage en liberté, de palourdes et de grands mammifères marins se sont échoués sur plus de 200 kilomètres de littoral du Vietnam dans l’océan Pacifique.

Malheureusement, le gouvernement du Canada n’a pas mentionné les risques que ce déversement toxique représente pour nos importations de fruits de mer du Vietnam, qui est notre quatrième source d’importation de ces produits. La valeur des fruits de mer importés du Vietnam par le Canada s’élevait à 240 millions de dollars l’année dernière — l’année de la catastrophe environnementale —, et elle a maintenant grimpé à 276 millions de dollars.

Monsieur le ministre, je soulève cette question parce que les effets de la catastrophe sont maintenant ressentis au Vietnam par des écologistes dissidents pacifiques, que le régime communiste du pays a incarcérés parce qu’ils réclamaient des eaux propres, un gouvernement intègre et de la transparence.

Je veux vous poser la question suivante. Pouvez-vous nous dire quelles précautions ont été prises par le gouvernement du Canada pour empêcher l’importation de fruits de mer contaminés au Canada? Le gouvernement fédéral a-t-il soulevé, auprès de la République socialiste du Vietnam, les violations des droits de la personne que j’ai décrites?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de votre question. Le problème de la pollution marine de diverses sources est important. Si vous aviez assisté aux récentes réunions du G7, dans Charlevoix, ainsi qu’aux réunions subséquentes, à Halifax, vous auriez constaté que la ministre McKenna et moi avons beaucoup insisté sur la pollution marine, particulièrement sur les problèmes comme le plastique, qui englobe toutes sortes de problèmes liés aux pêches.

En ce qui a trait aux mesures que nous prenons pour garantir que les produits importés du Vietnam sont propres à la consommation, je vous invite à poser la question à la ministre de la Santé, qui est responsable de la réglementation dans ce domaine. Toutefois, si vous souhaitez que je fasse un suivi auprès d’elle et que je revienne avec une réponse, je serais ravi de le faire.

Le sénateur Ngo : Merci.

Les infrastructures côtières du Nord-Ouest—L’interdiction des pétroliers

L’honorable Nicole Eaton : J’ai une question complémentaire pour faire suite à ma question précédente. Comme vous le savez, environ 300 pétroliers passent près de la côte Ouest chaque année. Le long de la côte Est, il y en a environ 2 000 qui traversent le couloir d’icebergs. Disposons-nous des infrastructures nécessaires pour nettoyer un déversement majeur sur la côte Est?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. Je crois qu’il est important de poser ces questions et de veiller à ce que la réponse soit toujours affirmative. Comme vous le soulignez avec raison, des cargaisons de produits pétroliers partent des côtes Est et Ouest depuis de nombreuses années.

Chose certaine, il existe une capacité d’intervention sur la côte Est. Cela dit, lors de son arrivée au pouvoir, le gouvernement a notamment mis en place le Plan de protection des océans. Ce programme vise essentiellement à combler diverses lacunes sur les deux côtes et dans le Nord en ce qui concerne la prévention des déversements et la capacité de gérer la pollution lorsqu’elle se produit. Nous pouvons ainsi dire en toute confiance aux Canadiens que le tout se fait de manière appropriée et réfléchie et que nous sommes en mesure d’intervenir en cas de déversement.

Les projets d’infrastructure

L’honorable Elizabeth Marshall : Monsieur le ministre, je vais poursuivre sur le sujet abordé dans ma question précédente. Votre ministère compte tout un éventail de projets d’infrastructure. Si je me souviens bien, il y en a environ 1 000 qui sont compris dans ces 433 millions de dollars.

Il y a quelques semaines, des représentants de votre ministère nous ont dit que les projets ne figurent pas sur votre site web. Peut-être que certains types de projet sont mentionnés ailleurs, mais les ministères présentent tous leurs projets d’infrastructure au même endroit. Votre ministère en a un assez large éventail. Ces représentants ont indiqué qu’il n’était pas prévu de donner des détails sur ces projets d’infrastructure sur le site web.

D’autres ministres dont les projets ne figuraient pas sur le site web du ministère l’an dernier ont pris un engagement et, à présent, l’information est disponible.

Pourriez-vous déterminer à quel moment tous ces projets seront présentés sur le site web du ministère et prendre un engagement à cet égard?

L’honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : J’en serai heureux. Une grande partie des projets d’infrastructure sont liés aux ports pour petits bateaux, qui sont annoncés publiquement. Toutefois, s’il est nécessaire de rassembler les renseignements d’une certaine façon pour qu’ils soient faciles à trouver, je serai ravi de prendre des mesures à cet égard.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je suis convaincu que vous vous joindrez à moi pour remercier le ministre Wilkinson de sa présence parmi nous aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

Des voix : Bravo!


ORDRE DU JOUR

Projet de loi de 2017 sur la sécurité nationale

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.

L’honorable Tony Dean : Je parlais tout à l’heure du fonctionnement en vase clos des organismes, notamment nos organismes de sécurité et de renseignement.

Même si le Service canadien du renseignement de sécurité, le Centre de la sécurité des télécommunications et la GRC collaborent en échangeant certains renseignements sur leurs activités, leurs organes d’examen interne sont mandatés uniquement pour examiner les activités de leur propre organisme.

La création de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement est un aspect important du projet de loi C-59, et il permettrait de rehausser la reddition de comptes et la transparence. Le projet de loi permettrait de renforcer la sécurité nationale en permettant à l’office de suivre le cheminement d’un dossier de sécurité nationale lorsque celui-ci passe, par exemple, du Centre de la sécurité des télécommunications au SCRS, et ensuite de ce dernier à la GRC. L’enquête sur la tragédie d’Air India a clairement mis en lumière la nécessité de créer un tel mécanisme.

Le suivi de l’évolution du dossier constituera un incitatif pour favoriser davantage la communication entre les organismes, de manière générale et notamment en ce qui concerne les activités opérationnelles.

Comme nous le savons, trop souvent, ces organismes se retrouvent généralement dans le pétrin lorsque des renseignements n’ont pas été communiqués. À l’instar de tout autre organisme essentiel, ils fonctionnent mieux lorsqu’ils collaborent et communiquent entre eux. Le projet de loi C-59 donnerait un solide incitatif aux organismes pour qu’ils en fassent davantage à cet égard.

Comme il n’existe aucun organisme de surveillance sophistiqué chargé de superviser l’ensemble des activités de sécurité nationale, celles-ci ne sont généralement soumises à un examen qu’en cas de nécessité ou de façon ponctuelle, ce qui peut entraîner des coûts considérables pour les contribuables canadiens. En effet, quand on organise une commission ou une enquête, il faut des avocats, du personnel et des locaux où tenir les audiences. De plus, dans certains cas, leurs recommandations ne nous apportent rien.

En 2010, le Parlement a mis sur pied un comité chargé de déterminer si l’armée canadienne était devenue complice de torture lorsqu’elle a transféré des talibans détenus en Afghanistan aux autorités afghanes. En fin de compte, les parlementaires et un groupe de juges à la retraite n’ont communiqué que quelques-uns des documents secrets grandement caviardés qu’ils avaient réclamés. Cette initiative a coûté 12 millions de dollars, et le mandat du comité n’a pas été renouvelé après l’élection de 2011. Tout cela n’a donc produit aucune réforme durable. Dans le cadre d’un examen supplémentaire, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a examiné le rôle que le Service canadien du renseignement de sécurité avait joué auprès des détenus afghans, sans toutefois examiner le rôle de la Défense nationale.

(1610)

Lorsqu’il a témoigné devant le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, en 2015, Michael Doucet, directeur du CSARS, a déclaré ceci : « À l’époque, les opérations en Afghanistan relevaient du ministère de la Défense nationale, si bien que nous n’avions accès qu’aux renseignements détenus par le SCRS, et non à l’ensemble des renseignements à la disposition des organismes de renseignement [...] À cause de cela, je dirais que le Parlement et les Canadiens n’ont pas pu avoir une vision d’ensemble de la situation. »

Le rapport sur les événements concernant Maher Arar contenait plusieurs recommandations sur la mise en place d’un organisme d’examen centralisé. Il disait notamment que « [l]es pratiques et ententes de la GRC en matière de partage d’information devraient être sujettes à examen par un organisme indépendant ». C’était il y a 10 ans, et ces recommandations n’ont pas été suivies.

Nous sommes maintenant saisis d’un projet de loi qui propose de mettre en place un organisme de surveillance mieux outillé. Selon le projet de loi C-59, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement serait chargé d’examiner l’ensemble des activités de sécurité nationale à l’échelle du gouvernement du Canada, afin d’éviter d’autres examens en vase clos et, idéalement, d’autres commissions d’enquête ponctuelles.

L’office examinerait les activités de nos organismes de sécurité nationale pour s’assurer qu’elles sont légitimes, raisonnables, nécessaires et conformes aux directives ministérielles. De plus, il serait le nouvel organisme chargé d’examiner les plaintes.

L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement serait dirigé par un comité composé d’au plus sept membres nommés sur la recommandation du premier ministre, en consultation avec les leaders de la Chambre des communes et du Sénat. L’office aurait un accès absolu aux renseignements nécessaires pour examiner toutes les activités du gouvernement fédéral liées à la sécurité nationale. Il fournirait un rapport classifié de ses conclusions et de ses recommandations aux ministres pertinents, et produirait un rapport public annuel non classifié à l’intention du Parlement résumant ces conclusions et recommandations. L’office serait complètement indépendant du gouvernement.

Le commissaire au renseignement serait également indépendant du gouvernement et aurait pour mandat de surveiller un sous-ensemble des activités du Centre de la sécurité des télécommunications et du SCRS. Il remplacerait le commissaire actuel du Centre de la sécurité des télécommunications et, compte tenu de la nature du mandat du bureau, le poste serait occupé par un juge à la retraite d’une cour supérieure.

Certains sénateurs craignent que la création du poste de commissaire au renseignement et de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement ajoute d’autres couches de bureaucratie et nous inonde de paperasse. Je les comprends. C’est une préoccupation tout à fait légitime.

Toutefois, il s’agit d’un domaine d’activité complexe dont on peut difficilement faire rapport en une note d’information d’une page, et, croyez-moi, nul n’est plus partisan des notes d’information d’une seule page que je ne le suis.

Par contre, je crois qu’un accroissement de la responsabilité, de la transparence et de la clarté mènera à des processus simplifiés qui ne seront pas entravés ou compliqués par les questions de compétence ministérielle. Le gouvernement ne devrait plus avoir à dépenser des dizaines de millions de dollars en processus d’examen spéciaux.

Il est important de se rappeler que les organismes canadiens de sécurité nationale sont déjà assujettis à des examens par le CSARS, dans le cas du SCRS, et par le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, dans le cas de la GRC.

Le projet de loi C-59 n’ajoute pas un nouvel organisme d’examen; il intègre plutôt ceux qui existent en un seul organisme qui sera à même de suivre les dossiers qui passent d’un organisme à l’autre.

Le 13 février dernier, à l’autre endroit, on a demandé à Tricia Geddes, directrice adjointe au SCRS, si le processus d’examen prévu par le projet de loi C-59 coûterait trop cher. Voici sa réponse :

Nous sommes tout à fait à l’aise avec l’examen [...]

[...] je crois sincèrement qu’il est essentiel d’avoir la confiance des Canadiens. Je pense que les opérations peuvent être ralenties si les organismes de sécurité perdent la confiance des Canadiens ou si, par exemple, nous devons nous arrêter et sécuriser les données. Par conséquent, il est essentiel d’avoir la confiance de la population si nous souhaitons agir rapidement sur le plan opérationnel.

Chers collègues, la création d’un organisme d’examen indépendant est une bonne chose. Ce dernier pourra accroître la confiance que nous accordons aux organismes de sécurité nationale et de renseignement.

Honorables sénateurs, nous convenons tous, je crois, que, pour être couronné de succès, le changement organisationnel — car c’est bien de cela qu’il s’agit ici — doit reposer sur une bonne planification des ressources humaines. Selon moi, l’office et le commissaire au renseignement doivent pouvoir compter sur les services d’un secrétariat disposant de ressources suffisantes, et les membres de l’office doivent avoir les connaissances et l’expérience nécessaires dans plusieurs domaines — comme la sécurité, le renseignement, l’application de la loi — pour bien faire leur travail.

Prenons un instant pour parler des autres dispositions du projet de loi C-59. Comme d’autres avant moi, j’ai des réserves concernant les dispositions sur la cybersécurité et sur l’autorisation, dans des circonstances bien précises, de ce que j’appelle la surveillance de masse. Une grande question de principe se pose, en effet : le cadre à l’intérieur duquel ces autorisations seront données réussit-t-il à équilibrer nos droits individuels et notre sécurité collective? Jusqu’ici, j’ai demandé l’avis de deux spécialistes et, selon eux, la réponse est affirmative. Je suis toutefois aussi impatient que vous d’entendre un plus vaste éventail d’opinions.

Les droits et libertés sont extrêmement importants, tout comme la protection du Canada. C’est à nous de voir à ce que le projet de loi fasse l’objet d’un examen rigoureux. Je vous invite à le renvoyer au comité afin que nous puissions avoir l’avis des spécialistes de la sécurité nationale et de tous ceux que cette importante question pourrait intéresser. Je vous remercie.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dean, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Dean : Absolument.

L’honorable Yuen Pau Woo : Sénateur Dean, vous avez parlé de l’importance de la reddition de comptes pour protéger les droits des Canadiens. Les critiques ont affirmé que le projet de loi C-59 empêchera les organismes d’accomplir leur travail et, partant, réduira globalement la sécurité nationale. Selon votre expérience, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure un processus d’examen mené en temps opportun pourrait permettre aux organismes de mieux faire leur travail?

Le sénateur Dean : Merci, sénateur Woo. J’y ai fait allusion dans ma déclaration, mais j’estime que, si ce projet de loi est approuvé, il soutiendra nos organismes de sécurité et de renseignement en leur expliquant de façon précise les règles d’engagement et les règles du jeu. Ils nous ont dit en effet qu’ils veulent connaître les règles du jeu, qu’ils veulent agir dans le respect de la Constitution et qu’ils veulent faire leur travail convenablement. Ainsi, le fait de s’écarter des déclarations d’orientation ministérielles ou de politiques internes pour mieux suivre les exigences législatives leur apporterait le genre de certitude qu’ils souhaitent. C’est ce que nous ont dit les porte-parole des organismes de sécurité et de renseignement.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.

Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour accorder cinq minutes de plus au sénateur Dean?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Dean : Je poursuis, sénateur Woo. Je pense que ce projet de loi ne peut qu’aider les dirigeants, les gestionnaires et les membres du personnel affectés à des opérations de renseignement à connaître le milieu et à avoir l’assurance qu’ils ne portent pas atteinte à la Constitution ni à la loi. Ils sauront qu’il est possible de mener un examen exhaustif des opérations de l’agence. Cela incitera les organisations à collaborer et à coopérer encore davantage.

Nous savons que les agences de renseignement ne sont pas les seules entités à travailler en vase clos. Dans toutes les organisations pour lesquelles j’ai travaillé, l’échange de renseignements entre collègues a toujours soulevé des préoccupations et des questions. Je n’ai encore jamais vu une organisation éprouver beaucoup de problèmes pour avoir collaboré et échangé des renseignements de manière appropriée et au moment opportun entre collègues. Par contre, j’ai vu de nombreuses entités, y compris des agences de sécurité et de renseignement, éprouver beaucoup de problèmes parce qu’elles n’avaient pas communiqué les renseignements pertinents.

L’honorable Ratna Omidvar : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Dean : Certainement.

La sénatrice Omidvar : Sénateur Dean, merci. Je vous ai entendu mentionner la tragédie d’Air India. Je rappelle à la Chambre que l’attentat à la bombe contre le vol d’Air India a eu lieu en 1985. Le rapport du juge John Major a été publié en 2010. Quelque 35 ans plus tard, nous cherchons encore des solutions. Je me demande si on peut appeler cela du progrès.

Vous avez parlé de la création de nouvelles institutions — l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, le commissaire en chef au renseignement — en fait, de plusieurs institutions qui se superposent. Je m’inquiète pour la personne qui va se faire prendre. Il est difficile, dans ce genre de mesure législative, de trouver le juste équilibre entre la protection de la société et la protection des personnes.

À votre avis, y a-t-il un juste équilibre dans cette mesure législative ou devrions-nous continuer à clarifier ce point en comité?

(1620)

Le sénateur Dean : Il s’agit d’une question importante, sénatrice Omidvar. Elle est au cœur de l’intérêt que j’accorde à ce projet de loi. C’est une question que je me suis posée et que j’ai posée à d’autres. Nous sommes au début de ce processus. Je n’exagère certainement pas en disant que nous allons tous nous y intéresser pendant l’étude en comité pour savoir comment les choses se passeront sur le terrain. Pour être honnête, je suis relativement satisfait en ce moment. C’est une question ouverte et nous allons tous l’étudier rigoureusement tout au long du processus.

Je peux dire ceci : dans les organisations de cette importance, le leadership est primordial. Chaque personne au sein de chaque organisation — du moins celles où j’ai travaillé — doit connaître son rôle. Elle doit connaître les règles d’engagement. Elle doit connaître les paramètres à respecter.

De plus, les personnes concernées doivent savoir où elles en sont sur le plan du rendement. Ces deux éléments renvoient à l’essence de la gestion du rendement au sein des organisations. Si les changements sont adoptés, il sera impératif que les dirigeants des organismes canadiens de renseignement et de sécurité prennent le temps d’aider le personnel et les gestionnaires à comprendre leurs responsabilités qui seront désormais précisées, et la façon dont celles-ci seront assumées dans le cadre des fonctions du personnel et des gestionnaires. Je pense que le fait qu’il y ait une surveillance et un examen exhaustifs constitue un encouragement formidable pour y arriver.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question complémentaire à poser. Sénateur Dean, croyez-vous que cette nouvelle mesure législative empêchera que des cas comme celui de Maher Arar se reproduisent?

Le sénateur Dean : Il s’agit là d’une excellente question, madame la sénatrice. Je suis conscient de mes connaissances, et encore plus de leurs limites. Personne ne peut empêcher de tels cas. Cependant, je crois que, en pratique, le projet de loi favoriserait une plus grande coopération entre nos organismes de renseignement. Il comblerait des lacunes qui existent actuellement sur le plan de l’organisation, de la culture, de la reddition de comptes et de la gouvernance, et cela ne peut qu’être bénéfique.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Joyal, vous disposez de 16 secondes.

L’honorable Serge Joyal : Ma question porte sur un élément qui n’est pas couvert dans le projet de loi, à savoir essentiellement la capacité des services de renseignement de demander à un juge l’autorisation de porter atteinte aux droits que la Charte garantit à une personne...

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Joyal, je m’excuse, mais votre temps de parole est malheureusement écoulé.

[Traduction]

L’honorable Linda Frum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à propos du projet de loi C-59, qui modifierait en profondeur nos lois en matière de sécurité nationale. Il s’agit d’une mesure législative de vaste portée qui renferme de nombreux éléments. Il est vrai que certains des éléments qui y sont proposés sont souhaitables. Les dispositions qui renforcent les pouvoirs du Centre de la sécurité des télécommunications pour ce qui est de protéger le Canada contre les cyberattaques me semblent être un élément positif. Cela dit, je crains que ces dispositions utiles ne soient complètement éclipsées par d’autres éléments du projet de loi qui, au lieu de renforcer la sécurité nationale du pays, l’affaiblissent.

J’aimerais utiliser mon temps de parole pour traiter d’un point qui me préoccupe tout particulièrement, un aspect qui est, à mon avis, complètement inexplicable. Le projet de loi renferme des dispositions qui viennent éliminer l’infraction qui consiste à préconiser ou fomenter la commission d’une infraction de terrorisme et proposent de la remplacer par un autre libellé, soit l’infraction de conseiller la commission d’infractions de terrorisme.

Selon le gouvernement, puisqu’il n’y a eu aucune poursuite pour l’infraction de préconiser ou fomenter la commission d’une infraction de terrorisme au cours des trois dernières années, cette infraction devrait tout simplement être éliminée. Le ministre Goodale a déclaré que, en étant plus précise, l’infraction de conseiller la commission d’infractions mènera à un plus grand nombre d’accusations qui pourront être portées devant les tribunaux. Or, certains témoins qui ont comparu devant le comité de l’autre endroit ont contesté cet argument.

À titre d’expert en sécurité et d’ancien procureur de la Couronne, Scott Newark a indiqué que l’acte de conseiller à une personne de commettre une infraction est déjà considéré comme une infraction au titre du Code criminel. En abrogeant la loi liée à la promotion du terrorisme, le projet de loi rend la poursuite des personnes qui font la promotion du terrorisme pratiquement impossible.

M. Newark a affirmé ceci :

Je peux vous garantir que, si on conserve le libellé, dans certaines affaires, des avocats de la défense se présenteront devant le tribunal quand une personne est accusée et demanderont : « À qui cette personne conseillait-elle de commettre une infraction? » S’il n’y a pas une autre personne d’impliquée...

...ou si la promotion du terrorisme est seulement de nature générale,...

...il n’est pas possible de prouver que l’infraction a été commise.

C’est stupéfiant puisque nous savons que la propagande terroriste est utilisée activement dans le processus de radicalisation, de recrutement et de facilitation. La propagande terroriste a contribué à la radicalisation de Martin Couture-Rouleau et de Michael Zehaf-Bibeau, qui ont perpétré les attaques terroristes d’octobre 2014 à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa. D’autres témoins qui ont comparu devant le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes lors de l’étude du projet de loi ont soulevé les mêmes préoccupations. M. Michael Mostyn, directeur général du Bureau national de B’nai Brith Canada, a déclaré sans équivoque que la modification proposée à la loi affaiblit la loi actuelle et est futile.

Plus précisément, il a souligné ce qui suit :

Nous admettons que le droit à la liberté d’expression est important, mais le droit des victimes potentielles d’être à l’abri du terrorisme et de la menace terroriste doit avoir une plus grande priorité.

Je suis tout à fait d’accord. S’il y a un problème dans la loi actuelle qui empêche que des actions en justice soient intentées, nous devons trouver ce qui cloche et le régler, car la promotion du terrorisme augmente dans tous les pays occidentaux, y compris au Canada. La solution est donc d’améliorer notre capacité à faciliter les poursuites tant pour le discours haineux que pour la promotion du terrorisme, et non d’abroger complètement la loi.

Dans un témoignage livré au Comité de la sécurité nationale de l’autre endroit, M. David Matas, conseiller juridique principal de B’nai Brith Canada, a déclaré ce qui suit :

[...] il est loin d’être évident qu’on résoudra le problème en remplaçant préconiser ou fomenter par conseiller la commission d’infractions de terrorisme.

M. Matas a également dit que préconiser et fomenter des actes de terrorisme ne sont pas des infractions nouvelles. L’infraction de préconisation existe déjà dans le cas du génocide ou de l’activité sexuelle avec une personne de moins de 18 ans. Il en est de même pour ce qui est de l’infraction de fomentation en ce qui concerne le génocide et les gestes haineux.

M. Matas a affirmé que l’idée que les procureurs se retiennent parce qu’ils ne comprennent pas parfaitement la législation actuelle ou parce qu’ils s’inquiètent de sa portée trop générale ne résiste pas à un examen du Code criminel et de la jurisprudence. B’nai Brith a présenté des mémoires au comité de la Chambre des communes concernant différentes affaires entendues par la Cour suprême du Canada où elle a étudié, défini et circonscrit les infractions en ce qui a trait à la préconisation et à la fomentation. M. Matas a également souligné qu’amplement de conseils juridiques ont été obtenus au sujet de la signification de ces concepts. Plutôt que de simplement abroger cette disposition de la loi — ce que propose le projet de loi C-59 —, nous devrions accorder encore plus d’importance aux enquêtes et aux poursuites liées à ces infractions. Cela exigerait peut-être davantage de ressources, d’expertise et de formation, ainsi qu’une plus grande place pour les approches préconisant la collaboration internationale. Cela ne signifie pas qu’il faut restreindre la portée de la loi.

Il ne s’agit pas simplement d’une question théorique, malgré ce que les sénateurs d’en face ont l’habitude de dire. C’est une question qui touche directement à la sécurité des Canadiens. La radicalisation est l’un des facteurs principaux qui ont contribué à l’attaque lancée par Martin Couture-Rouleau à Saint-Jean-sur-Richelieu en octobre 2014, lorsqu’il a tué l’adjudant Patrice Vincent. Avant de mener son attaque, il avait publié des images des drapeaux noirs du groupe État islamique et des propos anti-occidentaux sur son compte Facebook, mais il n’avait pas été arrêté. Les lois sur la préconisation et la fomentation d’actes de terrorisme n’avaient pas encore été mises en place. Elles l’ont été par le gouvernement conservateur précédent, dans le projet de loi C-51.

Le journaliste Stewart Bell a fait une recherche exhaustive sur le défi important que posent les efforts de radicalisation au Canada. Dans son livre, The Martyr’s Oath, il écrit ceci :

[...] les gouvernements peuvent remettre en question la vision du monde des extrémistes et intervenir lorsque la radicalisation dépasse les limites et qu’elle devient un mécanisme de recrutement qui fournit un soutien matériel au terrorisme.

Les prédicateurs extrémistes doivent être isolés et ils doivent faire l’objet de poursuites s’ils enfreignent les lois sur les crimes haineux ou les lois régissant l’incitation.

Ce qu’il faut retenir, c’est que des lois efficaces doivent être mises en place. Malgré ce que prétend le gouvernement, les dispositions mises en place par le gouvernement conservateur précédent sont appliquées. Pendant l’été, les procureurs de la Couronne se sont servis des dispositions de la loi sur la propagande terroriste pour tenter de faire supprimer du contenu terroriste sur Internet. Des audiences à ce sujet ont eu lieu au début de l’été à Montréal, dont les détails n’ont pas encore été rendus publics.

(1630)

Le gouvernement actuel croit que nous n’avons pas besoin de ces lois. Certains sénateurs d’en face ont soutenu essentiellement que si des dispositions sont rarement appliquées, notamment celles qui sont liées aux audiences d’investigation, à l’engagement assorti de conditions et aux infractions relatives à la promotion du terrorisme, alors nous devrions nous en débarrasser ou les rendre plus difficiles à mettre en œuvre. Je suis fondamentalement en désaccord avec ces affirmations.

Les menaces à la sécurité de notre pays et de notre société sont réelles. Nous ne pouvons pas simplement fermer les yeux sur cette réalité et éliminer ou réduire les mesures de protection clés qui figurent dans la loi, en espérant que tout se passera bien. J’ai bien peur que la solution proposée dans le projet de loi ne protège pas davantage les Canadiens. De plus, ce projet de loi ne prévoit aucune aide pour les jeunes vulnérables qui risquent de se radicaliser à cause de ceux qui pourront maintenant promouvoir plus ouvertement le terrorisme.

Je ne peux tout simplement pas appuyer un projet de loi qui affaiblit aussi gravement notre capacité à protéger les Canadiens. Je demande à ce que cette question soit étudiée attentivement au comité sénatorial et à ce qu’on demande au gouvernement d’expliquer pourquoi il n’a pas proposé de mesures pour mieux utiliser les dispositions actuelles au lieu de prendre la décision irresponsable de les éliminer complètement. Merci.

L’honorable Marc Gold : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Frum : Bien sûr.

Le sénateur Gold : Je vous remercie, sénatrice Frum. La question que vous soulevez est très importante. Je suis d’accord : elle doit faire l’objet d’un examen minutieux de la part du comité. Je ne doute pas que ce sera le cas.

Au cours des dernières années, les juristes ont beaucoup critiqué la disposition dont vous avez parlé, celle sur la promotion du terrorisme en général. Ils font valoir trois points à ce sujet, et j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

D’abord, ils font remarquer que l’expression « infraction de terrorisme en général » est inconnue dans le droit canadien et qu’elle n’est pas définie ailleurs, malgré l’existence de nombreuses infractions de terrorisme. Par conséquent, elle contrevient à un principe de base de la primauté du droit selon lequel il faut savoir ce qui est interdit avant d’être passible de sanctions pénales. Plus important encore, la portée de cette expression, comme vous l’avez souligné, et l’absence de tout moyen de défense — comme les motifs utilisés pour maintenir les dispositions sur la propagande haineuse — font en sorte qu’il y a un fort risque de violation inconstitutionnelle de la Charte.

Enfin, le Code criminel compte une longue série d’articles sur les actes de parole, ce qui fait dire à un grand spécialiste qu’il est extrêmement difficile de justifier l’existence d’une telle disposition. Compte tenu de ces problèmes, pensez-vous toujours que la disposition, qui n’a pas été utilisée pour ces raisons, devrait être conservée et qu’elle est nécessaire pour protéger la sécurité nationale?

La sénatrice Frum : Merci, sénateur Gold.

Je vais encore me reporter au témoignage de M. David Matas, de B’nai Brith Canada, devant la Chambre à propos de l’idée que le concept de terrorisme est trop général pour être défini. La solution pourrait être que le gouvernement publie des lignes directrices proposées à titre indicatif sur ce que signifie défendre et promouvoir le terrorisme. Les lignes directrices n’engageraient pas nécessairement les procureurs, mais elles pourraient contribuer à dissiper les doutes. Les lignes directrices peuvent être tirées de la jurisprudence canadienne et internationale, qui existe déjà.

Je ne pense pas qu’il soit trop difficile de définir en quoi consiste le terrorisme; par conséquent, nous ne pouvons pas avoir de mesures à cette fin. En outre, en ce qui concerne les violations de la Charte, celles que vous mentionnez seraient des violations de la liberté d’expression, mais il y a aussi, dans la Charte, le droit de ne pas être incité au terrorisme. Ces deux éléments doivent s’équilibrer. Bien que vous donniez la priorité à la liberté d’expression garantie par la Charte, il y a d’autres droits garantis aux Canadiens par la Charte dont il faut tenir compte. Je pense que la mesure législative, comme elle était rédigée auparavant, présente le parfait équilibre entre les deux — nous avons une interdiction de défendre et de promouvoir le terrorisme et je ne pense pas qu’il y ait, dans la Charte, un droit de défendre et de promouvoir le terrorisme.

Le sénateur Gold : Je pense que j’ai peut-être été mal compris, sénatrice Frum.

Ce n’est pas que la notion d’« infraction de terrorisme » n’est pas définie. En fait, le Code criminel présente toutes sortes d’actes terroristes qui sont bien définis. C’est que la disposition dont vous parlez traite des actions de préconiser et de fomenter des actes terroristes en général. C’est cette expression, « infraction de terrorisme en général », qui est simplement non limitative et non définie. C’est un principe de base de la primauté du droit que le droit doit traiter de certitudes, surtout le droit pénal. C’est cette incertitude qu’introduit cette disposition dans la loi, et le fait qu’il n’y a aucune défense comme ce que l’on trouve dans les dispositions sur les propos haineux, ou les défenses dont la Cour suprême s’est servie de justesse dans l’affaire R. c. Keegstra pour juger que la loi était constitutionnelle — et de justesse, c’est le cas de le dire.

C’est la trop grande portée de cette loi, ainsi que son manque de précision, qui porte les experts juridiques à dire qu’elle ne résistera jamais à une contestation constitutionnelle.

La sénatrice Frum : Pourtant, dans la jurisprudence, il on retrouve l’infraction de préconiser le génocide. On ne peut pas le faire. On ne peut pas promouvoir le génocide ou la haine. Alors, pourquoi ce concept n’est-il pas trop général?

Le sénateur Gold : Je ne peux pas répondre à une question par une question, même si nous avons l’habitude de le faire.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur l’évaluation d’impact
Projet de loi sur la Régie canadienne de l’énergie
La Loi sur la protection de la navigation

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Mitchell, appuyée par l’honorable sénateur Pratte, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

[Traduction]

Premièrement, je suis ravi que le gouvernement soit disposé à rétablir la fiabilité du processus d’évaluation environnementale.

[Français]

En accordant plus de place aux consultations publiques et aux intérêts des Premières Nations et en remettant la science au cœur du processus décisionnel, le gouvernement se donne les moyens de rétablir la confiance du public à l’égard du processus d’examen environnemental

L’évaluation d’impact vise avant tout la prise de décisions éclairées quant à l’autorisation des projets susceptibles d’avoir des impacts économiques et sociaux importants, tout en considérant le point de vue des communautés touchées. Bref, l’évaluation d’impact est l’instrument privilégié pour déterminer si un développement est durable, c’est-à-dire apte à répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Sachant que l’évaluation d’impact peut parfois mettre fin à des projets non viables en matière de protection de l’environnement, mais non moins porteurs d’espoir et de retombées économiques pour les travailleurs et les collectivités locales, il m’apparaît important que, à tout le moins, l’État soit en mesure d’offrir des explications rationnelles et crédibles pour justifier l’autorisation ou non d’un projet.

C’est un enjeu de cohésion sociale. Dans le cas d’un pays comme le nôtre, où les ressources naturelles sont dispersées de manière irrégulière, cela peut mener certains à remettre en cause la crédibilité de la fédération.

[Traduction]

Un processus d’évaluation d’impact fiable est essentiel pour la cohésion sociale, mais il est aussi important pour le monde des affaires.

[Français]

L’annulation du projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain par la Cour d’appel fédérale en raison de l’évaluation déficiente de l’Office national de l’énergie démontre clairement que les promoteurs bénéficieront d’un processus crédible d’évaluation environnementale. Cette décision montre aussi la nécessité de prévoir un processus d’évaluation rigoureux et transparent.

Avec le projet de loi C-69, on améliore nettement la prévisibilité et la clarté dont les promoteurs ont besoin. Ils sauront dès le début ce que l’on attend d’eux grâce à une meilleure planification en amont. De plus, le simple fait qu’un seul organisme réalisera les évaluations d’impact devrait favoriser l’efficacité et l’uniformité du processus.

[Traduction]

Étant donné que l’environnement est un domaine de compétence partagée par le gouvernement fédéral et les provinces, j’insisterai sur la collaboration entre le premier et les secondes.

[Français]

Le projet de loi C-69 reconnaît explicitement, et je cite :

[…] l’importance de coopérer avec les instances ayant des attributions relatives à l’évaluation des effets des projets désignés afin d’accroître l’efficacité des évaluations d’impact;

En soit, cet énoncé devrait être de nature à nous rassurer, d’autant plus qu’une entente de collaboration signée entre Ottawa et Québec en 2004, et renouvelée en 2010, prévoit la réalisation d’évaluations environnementales coopératives selon un processus coordonné de façon à permettre le respect des lois québécoise et fédérale.

(1640)

Or, au cours des dernières années, plusieurs promoteurs ou intervenants fédéraux ont prétendu que les lois du Québec ne s’appliquaient pas à eux. Pensons seulement aux forages d’Énergie Est à Cacouna, au projet d’installation de réservoirs pétroliers dans le port de Québec et à l’aménagement d’un terminal maritime sur le Saguenay pour la compagnie Arianne Phosphate. Il s’agit là de trois projets qui ont été autorisés sans que le Québec ait eu son mot à dire.

Permettez-moi de citer une lettre ouverte en date du 14 avril dernier de l’ex-ministre québécois responsable des Relations canadiennes, qui réitère ainsi la position constitutionnelle traditionnelle du Québec en matière d’environnement, et je cite :

Aucun projet situé en partie ou entièrement sur le territoire d’une province ne devrait échapper aux lois environnementales adoptées par le Parlement de cette province. L’aménagement d’un aérodrome, l’agrandissement d’une zone portuaire ou encore la réalisation d’un projet de pipeline sont des exemples de projets qui concernent tant le gouvernement provincial que le gouvernement fédéral : ils doivent faire l’objet d’une procédure unifiée pour réduire les délais, assurer le respect des lois des deux ordres de gouvernement et obtenir leur approbation de façon à favoriser leur acceptabilité sociale.

Le fédéral doit s’engager à travailler avec les provinces concernées à la mise en œuvre de ce type de projets. Le projet de loi fédéral C-69 doit prévoir explicitement que les promoteurs ne sont pas dispensés d’obtenir les autorisations nécessaires en vertu des lois provinciales.

Je dois dire que je partage entièrement cette position : les citoyens sont en droit de s’attendre à ce que leurs gouvernements collaborent pour appliquer leurs lois respectives, dans l’intérêt commun; c’est la base du fédéralisme coopératif.

C’est d’autant plus important de la part d’un gouvernement qui veut faire de l’acceptabilité sociale le prérequis à tout projet d’envergure. Comme l’écrivait de manière éloquente l’ex-ministre Jean-Marc Fournier, et je cite :

[…] comment peut-on espérer voir naître l’acceptabilité si, dès le départ, une communauté n’a pas la garantie que les lois dûment adoptées par le Parlement provincial qu’elle a élu, incluant les lois sur la protection de l’environnement et celles sur l’aménagement du territoire, seront appliquées?

Je comprends que le projet de loi C-69 n’a pas pour objectif premier de mettre fin à 40 ans de frictions constitutionnelles au sujet de l’environnement.

Cependant, si l’on part du principe de subsidiarité et que l’on admet que l’environnement est mieux protégé lorsque tous les ordres de gouvernements exercent leurs compétences en collaboration, il serait souhaitable, premièrement, que l’on inscrive dans le projet de loi C-69 l’exigence pour les promoteurs d’obtenir les autorisations nécessaires en vertu des lois provinciales.

Deuxièmement, il serait souhaitable, à la suite de l’adoption du projet de loi C-69, que l’on renégocie l’Entente de collaboration Canada-Québec en matière d’évaluation environnementale, pour tenir compte de la nouvelle législation et pour encadrer les éventuelles commissions d’examen conjointes, notamment en ce qui a trait au processus de coordination, à la formule de partage des coûts et aux modalités de règlement des différends. L’idée est ainsi de ne pas avoir à renégocier ces paramètres au cas par cas et d’accélérer le processus d’examen.

Passons maintenant à l’aménagement du territoire et au monde municipal.

Au cours du débat sur le projet de loi C-69, certains intervenants ont déploré le fait que les évaluations environnementales ratissent de plus en plus large. Au fil des ans, la portée de celles-ci s’est considérablement élargie afin d’inclure les impacts économiques, sociaux et sanitaires des projets.

Je suis tout à fait d’accord avec cette évolution. Les analyses d’impact doivent permettre une prise de décisions intégrée.

[Traduction]

C’est cette même logique qui m’amène à prôner une plus grande intégration des municipalités au processus d’évaluation d’impact.

[Français]

Ce printemps, à Halifax, devant la Fédération canadienne des municipalités, le premier ministre a vanté les mérites de la coopération avec les autorités locales et a plaidé pour que l’on respecte le leadership municipal. Soyons cohérents avec cette logique et formalisons la participation des municipalités au processus d’évaluation des projets. On me répondra qu’on les consulte déjà, au même titre que d’autres organisations de la société civile. À ceux qui ont cette prétention, je réponds respectueusement ceci : vous faites fausse route.

D’une part, les élus locaux reçoivent un mandat démocratique de la part des mêmes citoyens qui participent à l’élection de leurs députés provinciaux et fédéraux. D’autre part, il est nécessaire que l’on reconnaisse formellement les municipalités, au nom de la responsabilité qui leur est déléguée quant à l’aménagement du territoire.

On sait que, depuis 1979 au Québec, avec le projet de loi no 125, les municipalités et les municipalités régionales de comté sont responsables de la planification et de l’aménagement de leur territoire. Pour ce faire, elles doivent se doter de schémas d’aménagement, un véritable document de planification stratégique qui établit les lignes directrices de l’organisation physique du territoire. Ces schémas prennent en notamment en compte l’aspect environnemental et font l’objet d’une planification complexe qui implique plusieurs partenaires et de vastes consultations publiques. Il s’agit d’un long processus qui peut s’étaler sur plusieurs années.

Vous pouvez facilement imaginer l’exaspération et la frustration des élus locaux lorsqu’un promoteur ou un organisme fédéral propose de faire fi de ce travail de planification en prétendant ne pas être assujetti à la réglementation québécoise. D’autant plus que, en cas de catastrophes, tels un déversement d’hydrocarbure ou une déflagration, ce sont les élus locaux qui doivent gérer les mesures d’urgence et agir à titre d’intervenants de premier niveau.

On ne se le cachera pas : quand ça va mal, c’est vers l’ordre de gouvernement le plus près d’eux — le gouvernement local — que les citoyens se tournent. Rappelons-nous simplement la tragédie de Lac-Mégantic et le travail exceptionnel de la mairesse Colette Roy Laroche.

Dans le cadre du projet de loi C-69, reconnaître formellement le rôle des municipalités signifie à tout le moins d’insérer dans la loi l’obligation expresse de consulter les administrations municipales. Les municipalités devraient bénéficier d’un statut particulier, et non pas être assimilées à la catégorie des personnes « intéressées », ou encore être considérées comme n’importe quel propriétaire privé. Nous devons notamment tenir compte de leur mandat démocratique quant à l’aménagement du territoire et de leur responsabilité à l’égard de leurs citoyens.

Deuxièmement, cela signifie également de faire en sorte que la position des municipalités touchées soit un élément obligatoire de la description initiale du projet que les promoteurs doivent déposer auprès de l’Agence canadienne d’évaluation d’impact, afin que tous les acteurs qui interviendront dans le débat public aient accès aux éléments mis de l’avant par les municipalités, notamment en ce qui concerne la planification du territoire.

Troisièmement, cela signifie aussi de prévoir l’obligation de notifier aux municipalités les avis, rapports et invitations à formuler des observations.

En conclusion, l’acceptabilité sociale s’impose de plus en plus comme un élément incontournable de tout projet de mise en valeur des ressources. La réalisation d’un projet ne se limite plus à ses retombées économiques ou à ses impacts environnementaux. Elle nécessite également la prise en compte de l’acceptabilité sociale au sein des communautés concernées. Le promoteur qui ignore ce fait est voué à l’échec. L’acceptabilité sociale, c’est le résultat d’un dialogue transparent dans lequel promoteurs, citoyens et élus discutent ensemble des conditions permettant la réalisation ou non d’un projet de développement. Un processus d’évaluation d’impact qui ne permet pas aux citoyens, aux municipalités et aux provinces de prendre leur place est voué à l’échec dès le départ.

[Traduction]

J’appuierai le projet de loi C-69, car je sais qu’il rétablira la confiance du public dans le processus d’évaluation environnementale.

[Français]

Honorables collègues, il faut transmettre ce projet de loi au comité concerné le plus rapidement possible. Merci.

[Traduction]

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Chers collègues, j’interviens pour parler du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Il y a près de 50 ans, une conférence internationale tenue à Stockholm a mis sous les feux de la rampe le thème de la durabilité en déclarant que l’environnement ne devait pas être moins prioritaire que le développement économique. Cette sage conclusion n’a jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui, 50 ans plus tard.

Cet automne, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU nous a secoués par un avertissement auquel nous devons donner suite. Il affirme en effet que le monde pourrait connaître d’ici 2030 — c’est-à-dire dans à peine 12 ans — une augmentation de la température de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle. L’ampleur du réchauffement mondial pourrait entraîner des sécheresses extrêmes, des feux de forêt incontrôlables, des inondations et des pénuries alimentaires beaucoup plus rapidement que les scientifiques ne l’avaient tout d’abord envisagé.

(1650)

Étant donné l’énormité de la menace et la vitesse à laquelle elle évolue, nous n’avons d’autre choix que d’impliquer de toute urgence la société civile dans la gestion de la croissance au pays. Dans le projet de loi C-69, le gouvernement propose des mesures qui permettront une croissance responsable conciliant exploitation et durabilité de l’environnement. Cette harmonisation est une condition essentielle pour la création d’une économie qui assurera un avenir prospère et sécuritaire à nos enfants. Cela n’est pas seulement souhaitable, mais nécessaire.

L’argument selon lequel il faut planifier l’exploitation des ressources tout en prévoyant des protections environnementales est loin d’être nouveau. Il est impossible de nier que notre responsabilité à cet égard s’est intensifiée depuis que la question du développement durable a fait les manchettes à l’occasion d’une conférence historique des Nations Unies tenue en 1972, qui, soit dit en passant, a été dirigée par un éminent diplomate canadien du nom de Maurice Strong.

[Français]

Alors que les changements climatiques n’étaient encore qu’à une génération de devenir la menace qu’ils sont aujourd’hui, la déclaration qui a été faite à Stockholm incluait le principe selon lequel la pollution ne doit pas dépasser la capacité de l’environnement à se nettoyer. Elle a également indiqué que des mesures de développement sont des éléments clés pour l’amélioration de l’environnement.

[Traduction]

L’esprit de cette conférence a été repris 15 ans plus tard dans un rapport sur la durabilité rédigé sous la direction de l’ancienne première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland. Ce rapport a donné beaucoup de bons résultats, mais l’une de ses contributions les plus importantes a été l’observation selon laquelle les nombreux défis auxquels le monde est confronté sont la cause de défis interdépendants qui nécessitent la coopération de tous les secteurs de la société pour être relevés.

Ce rapport définit également le développement durable comme celui qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins ».

Au Canada, les gouvernements ont pris ces mots à cœur. Peu après le rapport Brundtland, le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney a créé la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui, ce que je trouve extrêmement regrettable. La table ronde a grandement contribué à réunir des intervenants de partout au pays pour qu’ils se penchent sur les questions de durabilité et proposent des solutions à cet égard. Des groupes environnementaux, des gouvernements, des entreprises, des syndicats et d’autres membres de la société civile ont participé à cette table. En fait, l’une de nos collègues les plus récemment nommées, la sénatrice Griffin, était membre de cette table ronde.

Ce groupe incroyablement diversifié s’est mis d’accord sur beaucoup de choses qui, aujourd’hui, semblent presque impossibles à croire. En 2009, la table ronde a publié un rapport recommandant l’établissement d’un prix national sur la pollution par le carbone intégré à un système pancanadien de plafonnement et d’échange. C’était il y a presque 10 ans, et je ne peux m’empêcher de penser que nous n’y avons peut-être pas accordé assez d’attention.

Parmi les signataires de ce rapport, mentionnons un conseiller en matière de changements climatiques auprès de l’un des plus grands développeurs d’énergie du Canada, un ancien ministre de l’Environnement du gouvernement de M. Mulroney et un professeur dont les recherches en combustibles fossiles durables ont remporté le prix Donner en reconnaissance de son travail stratégique. Je me permets de faire ici une parenthèse importante et de signaler que c’est le gouvernement de Brian Mulroney — un gouvernement progressiste-conservateur, rappelons-le — qui a signé la Convention sur les changements climatiques en 1992, au Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro.

Bien que de nombreux commentateurs et groupes d’intérêt aient appuyé les principes du projet de loi, j’ai également constaté que plusieurs groupes d’intérêts et entreprises préconisaient que le projet de loi soit vidé de sa substance ou même rejeté au Sénat. Certains d’entre vous ont peut-être remarqué un aéronef qui a récemment fait le tour d’Ottawa et d’autres villes canadiennes avec une banderole qui disait : « Tuez le projet de loi ». Un autre groupe de réflexion influent a suggéré que, si le projet de loi ne peut être modifié en profondeur, le vote devrait être reporté après la fin de la session printanière pour faire en sorte que le projet meure lorsque les électeurs se rendront aux urnes. D’autres ont demandé un moratoire.

Il n’incombe pas au Sénat de rejeter le projet de loi ou de retarder son adoption assez longtemps pour empêcher sa mise aux voix. Le Sénat est la Chambre de second examen objectif, qui assume une fonction de remise en question et qui favorise le compromis et la réflexion sur les projets de loi du gouvernement. Il me semble que ce projet de loi, qui porte sur l’environnement et le développement, est tout à fait le genre de mesure législative qui doit être étudiée par le Sénat dans un esprit de coopération et avec pondération.

Je suis conscient du fait que le débat politique s’est considérablement polarisé dans la sphère publique. Toutefois, nous ne devrions pas diverger d’opinions quant à cet enjeu. Le débat actuel sur le projet de loi C-69 ne vise pas à concilier deux intérêts divergents. Il n’est question ici que d’un seul enjeu, soit la nécessité de protéger l’environnement, afin que le Canada puisse continuer de se développer et de prospérer en tant que société.

Permettez-moi de citer le rapport dont j’ai parlé tout à l’heure et qui a été publié en 2009 par la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie. On peut y lire ce qui suit :

Le passage vers un monde faible en carbone est inévitable, mais notre place dans ce contexte n’est pas aussi claire. Comme l’ensemble de l’économie, la compétitivité à long terme du Canada dans un avenir faible en carbone ne pourra être assurée dans un pays où les administrations se livrent concurrence en matière de carbone, ou encore où l’on érige des frontières protectionnistes sur le carbone à l’étranger, à notre détriment. Le lien entre les deux est évident. L’engagement à l’échelon international doit être renforcé par des mesures harmonisées à l’échelon national. Les intérêts environnementaux et économiques nationaux du Canada commandent tous deux une telle approche.

Il s’agit d’un extrait du rapport de 2009. Je crois que le projet de loi à l’étude aujourd’hui est conforme à cet esprit d’harmonisation.

Le parrain du projet de loi, le sénateur Mitchell, a très bien décrit l’équilibre qui a été atteint dans cette mesure législative.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Le sénateur Harder : Compte tenu de cela, et comme nous débattrons de cette question plus en profondeur, je ne m’étendrai pas sur ce que le sénateur a dit. Toutefois, je tiens à expliquer brièvement comment l’économie et l’environnement vont de pair dans le cadre de ce projet de loi.

En somme, le projet de loi C-69 reconnaît l’importance d’indiquer clairement aux promoteurs comment se dérouleront les évaluations. Parmi ses nombreuses mesures, le projet de loi C-69 prévoit réduire les délais des évaluations effectuées par la nouvelle Agence canadienne d’évaluation d’impact proposée. Les délais des projets examinés par les organismes de réglementation du cycle de vie, comme la Régie canadienne de l’énergie, seront aussi réduits. Qui plus est, le projet de loi permettra de réaliser des gains d’efficacité qui bénéficieront aux entreprises et il fera passer de trois à un le nombre d’autorités fédérales responsables de mener des examens importants. De plus, certaines mines devant faire l’objet d’examens à l’échelle fédérale et provinciale seront désormais évaluées selon un seul processus harmonisé. La transparence accrue des décisions, le repérage plus rapide des problèmes et des lignes directrices ciblées en matière d’évaluation d’impact à l’intention des promoteurs auront aussi pour effet de fournir plus de clarté pour les projets.

[Français]

Comme je l’ai dit plus tôt, même si certains intervenants se sont engagés à apporter des modifications importantes à ce projet de loi et même si quelques autres préféreraient qu’il ne voie pas le jour, bon nombre d’autres personnes y ont accordé leur appui. Parmi ceux-ci, mentionnons l’Association minière du Canada, qui affirme que le projet de loi réduira l’incertitude et accélérera l’obtention des résultats. Cet appui provient d’un organisme dont les membres représentent environ 60 p. 100 de tous les examens fédéraux. Il s’agit de l'industrie qui a le plus d’expérience en matière d’études d’impact au pays.

[Traduction]

De plus, pour qu’une entreprise fasse preuve de civisme, il faut prévoir des protections environnementales rigoureuses et la participation des intervenants. Les entreprises qui ne le font pas risquent d’être laissées pour compte dans un monde où, comme je l’ai mentionné, la réduction des gaz à effet de serre est inévitable et l’obligation de consulter n’est pas optionnelle.

Soyons clairs : beaucoup d’entreprises font déjà à titre privé ce que le projet de loi fera publiquement et elles méritent nos félicitations. Certaines entreprises, comme la société minière Teck Resources, estiment que l’objet du projet de loi correspond à leurs propres valeurs et approches à l’égard des évaluations environnementales.

(1700)

Dans son mémoire présenté le printemps dernier au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes, Teck a dit, et je cite :

Nous continuons d’appuyer l’intention du gouvernement du Canada de renforcer la confiance du public dans les processus d’évaluation environnementale, d’accroître la participation des peuples autochtones et de soutenir une croissance économique durable. Pour Teck, ces intentions sont conformes à nos valeurs et à notre approche actuelle en matière d’évaluation environnementale. Dans l’ensemble, nous sommes heureux de constater que ces intentions sont largement prises en compte dans le projet de loi C-69.

Donc, comme vous pouvez le constater, il est faux de croire que les entreprises du secteur de l’énergie s’opposent d’une manière ou d’une autre à ce projet de loi. Teck, et beaucoup d’entreprises similaires, sont elles-mêmes des agents de changement lorsqu’il s’agit de conjuguer l’environnement avec leur principal objectif de développer l’économie des ressources.

Par exemple, Teck a fixé ses propres objectifs d’émissions pour 2030, s’engageant à réduire les GES de 450 kilotonnes d’équivalent CO2 et s’engageant à produire 100 mégawatts d’énergie de remplacement. Cela fait partie d’un vaste plan de développement durable que j’exhorte les sénateurs à lire.

Une autre société, la société d’énergie Suncor, a indiqué qu’elle vise une réduction globale de 30 p. 100 des GES d’ici 2030, alors qu’Acciona, une société chef de file dans le développement de l’infrastructure et des énergies renouvelables, a fixé des objectifs de réduction des émissions de 16 p. 100 d’ici 2030 par rapport à 2017.

Enfin, l’Association canadienne du gaz, qui répond à approximativement 30 p. 100 des besoins énergétiques du pays, s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 14 mégatonnes, ce qui équivaut à supprimer 3 millions de voitures par année d’ici 2030, en se servant d’une plus grande proportion de gaz naturel renouvelable dans ses activités.

Ce sont là des entités qui comprennent que les intérêts environnementaux et économiques ne sont pas contradictoires. Par ailleurs, l’appui accordé au projet de loi C-69 par des entreprises comme Teck ainsi que leurs efforts en vue de lutter contre les changements climatiques contribuent aussi à établir une crédibilité, ce qui permet aux gens de croire davantage en l’impartialité de l’examen des projets. C’est pourquoi, quand des sociétés minières conviennent que les conséquences des projets d’exploitation des ressources doivent faire l’objet d’un examen rigoureux, cela permet à d’autres membres du public, comme les Autochtones, de croire que les projets seront évalués rigoureusement. Quand nous assurons la prise en considération des points de vue autochtones en accordant aux autorités autochtones le même statut que les autres autorités lors de la création d’une commission conjointe intégrée, les promoteurs seront plus susceptibles de croire que leurs projets résisteront à un examen public et, peut-être, à un examen judiciaire.

Je signale également que les organismes environnementaux clés appuient le projet de loi en partie, parce que les exploitants des ressources naturelles et les groupes environnementaux ont tous les deux compris qu’ils ne pouvaient pas obtenir tout ce qu’ils souhaitaient. Voici ce qu’a dit Lindsay Telfer, directrice nationale de l’Alliance canadienne d’eau douce :

L’industrie pétrolière n’a peut-être pas obtenu tout ce qu’elle voulait, mais nous non plus. Nous appuyons ce projet de loi non pas parce qu’il est exactement ce que nous voulons, mais parce qu’il constitue un compromis que nous pouvons accepter, un compromis qui répond aux besoins de l’ensemble des secteurs et des Canadiens.

Il ne faut pas non plus oublier que le projet de loi C-69 est le résultat de deux ans de consultations, y compris celles qui ont été effectuées auprès de deux comités d’experts indépendants. L’ensemble des secteurs d’activités touchés, des organisations environnementales, des groupes autochtones et beaucoup d’autres ont été invités à s’exprimer avant le dépôt de la mesure législative. Plus de 100 témoins ont comparu. Tous les participants se sont efforcés d’atteindre un objectif commun dans le cadre des délibérations. Outre ces vastes consultations, les sénateurs se souviendront que les politiques que le projet de loi mettra en œuvre ont été promises lors de la campagne électorale de 2015. Le fait de s’opposer ou de retarder cette mesure législative, comme certains l’ont suggéré, équivaut à s’opposer ou à retarder la volonté de l’électorat.

Enfin, j’aimerais terminer là où j’ai commencé. Nous ne sommes pas réfractaires au progrès. Il faut développer l’économie pour donner à nos enfants l’avenir que nous leur souhaitons. Nous voulons qu’ils aient une vie meilleure tant sur le plan matériel, spirituel et émotif qu’intellectuel. Si elle a déjà existé, l’époque où nous pouvions exploiter les ressources en toute impunité est révolue.

Honorables sénateurs, seulement 12 années nous séparent de l’an 2030. Bon nombre d’entre nous seront toujours vivants lorsque nos enfants et nos petits-enfants nous demanderont ce que nous avons fait pour protéger le monde contre les effets dévastateurs des changements climatiques. Pour ma part, je vais voter en faveur de ce projet de loi et des autres mesures législatives similaires. J’espère que vous ferez de même afin que, un jour, nous puissions dire aux jeunes que nous avons tenté de faire ce qui s’imposait.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’aimerais poser quelques questions au sénateur. Accepteriez-vous de répondre à des questions?

Le sénateur Harder : Bien sûr.

La sénatrice Martin : Merci. Sénateur, je me soucie de l’environnement. Je me soucie de notre pays. Je me soucie de l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. Je pense qu’il en va de même pour nous tous ici. Je vous ai écouté attentivement. Vous avez dit que « l’environnement ne doit pas être moins prioritaire que le développement économique ». Vous avez parlé d’approche équilibrée, indiquant que c’est ce que ce projet de loi permettait d’obtenir. Or, j’avais l’impression qu’il y avait une question sous-jacente : l’économie devrait-elle être moins prioritaire que l’environnement?

Je sais que le délai est réduit, comme l’a dit la ministre. Il pourrait être raccourci de 60, 70 ou même 80 jours. Cela dit, il y a un élément dont nous n’avons pas parlé en détail et qui m’intéresse — il en sera peut-être question à l’étude au comité —, c’est-à-dire le tout nouveau processus qui vient s’ajouter avant même l’évaluation, soit l’étape préparatoire. Je crois comprendre que cette étape pourrait prendre plus de 180 jours. Qui plus est, aux termes de l’article 17 proposé, après cette étape, qui doit comprendre des consultations et d’autres choses du genre, le ministre aurait le pouvoir d’annuler tout projet.

J’aimerais parler de cette étape préparatoire qui pourrait ajouter 180 jours au processus. Même si on réduit le délai, on ajoute 100 jours. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet, s’il vous plaît?

Le sénateur Harder : Je serai heureux de le faire. Avant de répondre à votre question, permettez-moi simplement de répéter, comme j’ai essayé de le faire dans mon discours, qu’aucun enjeu n’a préséance sur l’autre. Le projet de loi assure une intégration. C’est le succès que de nombreuses entreprises ont mis de l’avant dans le débat et, à mon avis, nous devons adhérer à cette idée. Le projet de loi ne favorise pas l’économie au détriment de l’environnement ou l’environnement au détriment de l’économie. Le gouvernement cherche à adopter une approche intégrée.

En ce qui concerne les délais indiqués par l’honorable sénatrice, le sénateur Mitchell a assez bien passé le sujet en revue. Nous nous pencherons sans doute plus en détail sur la question au comité. Permettez-moi de répéter qu’il existe déjà des délais applicables au processus préalable. Il y a actuellement un pouvoir discrétionnaire ministériel qui est exercé à la suite du processus. Le sénateur Mitchell et le projet de loi font état du raccourcissement des processus, qui est accueilli favorablement par beaucoup des participants du monde des affaires, et des engagements pris par tous les intervenants, qui nous permettront d’avoir un processus décisionnel plus rapide qu’avant. La participation et les points de vue de tous les intervenants sont pris en considération dans le nouveau processus d’examen, ce qui mène à des décisions qui peuvent être mises en œuvre. Au bout du compte, le problème, au Canada, vient du fait de ne pas pouvoir faire avancer des projets. Il importe peu que les projets soient ou non approuvés à l’issue d’un processus d’évaluation, car ils ne répondent pas aux normes des tribunaux. Les décisions des tribunaux nous ont donné les lignes directrices qui se reflètent dans la position de principe prise dans le projet de loi C-69.

La sénatrice Martin : L’article 17 prévoit que le ministre peut ordonner à l’Agence canadienne d’évaluation d’impact de ne pas effectuer d’évaluation d’impact pour un projet désigné. Vous avez expliqué à quel point c’est important. Or, si le ministre exerce son pouvoir en vertu de l’article 17, le projet en question ne sera pas autorisé à aller de l’avant, et, si je comprends bien, le promoteur n’a aucun droit d’appel.

L’industrie craint que cette disposition soit foncièrement injuste, que ce soit l’Association canadienne de pipelines d’énergie, Enbridge, le Canadien National ou l’association des sociétés minières de la Colombie-Britannique... Je suis sûre qu’il y en a d’autres. Si un projet n’a pas encore été évalué, comment le ministre peut-il savoir que ses répercussions environnementales sont inacceptables? L’absence de droit d’appel et le fait que cette décision soit prise avant même qu’une évaluation ait lieu semblent foncièrement injustes.

Le sénateur Harder : Je le répète, sénatrice, je suis certain que nous examinerons les détails du projet de loi au comité. Selon ce que je comprends, le ministre ne peut pas exercer ce pouvoir avant que l’évaluation ait eu lieu.

(1710)

L’honorable Dennis Glen Patterson : Puis-je poser une question au sénateur? Merci.

Sénateur Harder, je suppose que je crois au vieil adage qui dit qu’on ne change pas ce qui fonctionne. Or, si je peux me permettre cette affirmation dramatique, je crois que ce projet de loi se débarrasse de l’Office national de l’énergie et de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Ils disparaîtront. Pour préparer ces changements, on a laissé entendre aux Canadiens que l’Office national de l’énergie, en particulier, avait perdu sa crédibilité.

Or, j’estime que l’Office national de l’énergie est reconnu à l’échelle internationale pour sa rigueur et son efficacité. Le leader du gouvernement au Sénat croit-il que l’Office national de l’énergie et la Commission canadienne de sûreté nucléaire ont perdu leur crédibilité?

Le sénateur Harder : Comme il y a, derrière moi, un ancien président de l’Office national de l’énergie, j’aurais de la difficulté à réserver à cet organisme un sort aussi dramatique que le laisse entendre l’honorable sénateur.

En fait, sénateur, vous dites que vous croyez au vieil adage qui dit qu’on ne change pas...

Le sénateur Patterson : On ne change pas ce qui fonctionne.

Le sénateur Harder : On ne change pas ce qui fonctionne. La réalité, c’est que nous n’avons pas fait construire d’oléoducs. Nous devons y remédier avec un processus qui permettra de faire une meilleure intégration. Apparemment, cela n’a pas aidé. Le gouvernement conservateur a été au pouvoir pendant 10 ans. Vous n’avez rien fait construire.

Je dirai simplement que l’objectif ici est d’adopter une approche plus intégrée qui raccourcit les échéanciers et donne aux intervenants l’assurance que les décisions seront mises en œuvre.

En ce qui a trait à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, elle continuera de jouer un rôle, ce qui permettra de conserver son expertise, mais il y aura une plus large participation aux plus grands projets qui font intervenir le secteur nucléaire.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Budget des dépenses de 2018-2019

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget supplémentaire des dépenses (A)

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 25 octobre 2018, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2019;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à siéger, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), tel que modifié.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Cools, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey,

Que le projet de loi S-237, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 1, à la page 1, par substitution, à la ligne 14 (telle que remplacée par décision du Sénat le 19 avril 2018), de ce qui suit :

« Canada majoré de trente-cinq pour cent si le capital prêté ou ».

L’honorable Howard Wetston : Je voudrais demander l’ajournement du débat à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Wetston, le débat est ajourné.)

Projet de loi visant à changer le nom de la circonscription électorale de Châteauguay—Lacolle

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Pratte, appuyée par l’honorable sénatrice Lankin, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-377, Loi visant à changer le nom de la circonscription électorale de Châteauguay—Lacolle.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je propose l’ajournement du débat au nom du sénateur Carignan, le porte-parole pour ce projet de loi.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, au nom du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Motion tendant à autoriser une modification à la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété) par proclamation de Son Excellence le gouverneur général—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Patterson, appuyée par l’honorable sénateur Runciman,

Attendu :

que le Sénat défend les intérêts de groupes souvent sous-représentés au Parlement, tels les Autochtones, les minorités visibles et les femmes;

que le point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit qu’une personne doit, pour être nommée au Sénat et y conserver son siège, posséder des terres d’une valeur nette minimale de quatre mille dollars situées dans la province pour laquelle elle est nommée;

qu’il se peut que des circonstances personnelles ou le marché immobilier d’une région donnée empêchent une personne de posséder la propriété requise;

que chacun devrait être admissible à une nomination au Sénat, indépendamment de la valeur nette de ses biens immobiliers;

que la qualification en matière de propriété immobilière n’est pas conforme aux valeurs démocratiques de la société canadienne moderne et qu’elle ne constitue plus une garantie adéquate ou valable de l’aptitude d’une personne à siéger au Sénat;

que chacun des vingt-quatre sénateurs du Québec est nommé pour un collège électoral donné et doit remplir la qualification en matière de propriété immobilière dans ce collège électoral ou y résider;

que les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province concernée;

que la Cour suprême du Canada a déclaré que l’abrogation complète du point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant la qualification des sénateurs en matière de propriété immobilière requiert une résolution de l’Assemblée nationale du Québec conformément à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982,

Le Sénat a résolu d’autoriser la modification de la Constitution du Canada par proclamation de Son Excellence le gouverneur général sous le grand sceau du Canada, en conformité avec l’annexe ci-jointe.

ANNEXE

MODIFICATION À LA CONSTITUTION DU CANADA

1.(1) Le point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 est abrogé.

(2) L’article 23 de la même loi est modifié par remplacement du point-virgule à la fin du point 5 par un point et par abrogation du point 6.

2. La Déclaration des qualifications exigées figurant à la cinquième annexe de la même loi est remplacée par ce qui suit :

Je, A.B., déclare et atteste que j’ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada.

3.Titre de la présente modification : « Modification constitutionnelle de (année de proclamation) (qualification des sénateurs en matière de propriété immobilière) ».

L’honorable Marc Gold : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat à mon nom.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion du sénateur Gold, le débat est ajourné.)

Motion tendant à demander au gouvernement de reconnaître le génocide des Grecs pontiques et de désigner le 19 mai comme journée nationale de commémoration—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Merchant, appuyée par l’honorable sénateur Housakos,

Que le Sénat demande au gouvernement du Canada :

a) de reconnaître le génocide des grecs pontiques de 1916 à 1923 et de condamner toute tentative pour nier un fait historique ou pour tenter de le dépeindre autrement que comme un génocide, c’est-à-dire un crime contre l’humanité;

b) de désigner le 19 mai de chaque année au Canada comme journée pour commémorer les plus de 353 000 grecs pontiques tués ou expulsés de leurs résidences.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je propose l’ajournement du débat à mon nom.

Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice Omidvar propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Le sénateur Plett : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné avec dissidence.)

Les politiques et mécanismes pour répondre aux plaintes contre les sénateurs et sénatrices en matière de harcèlement—Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice McPhedran, attirant l’attention du Sénat sur l’importante occasion qui nous est offerte de revoir nos principes et procédures pour que le Sénat ait les politiques et mécanismes les plus solides et les plus efficaces possible pour répondre aux plaintes contre les sénateurs et sénatrices en matière de harcèlement sexuel ou d’autres formes de harcèlement.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, en mai 2017, la sénatrice McPhedran a attiré l’attention du Sénat, de nous tous, sur l’importante occasion qui nous est offerte de revoir nos principes et procédures pour que le Sénat ait les politiques et mécanismes les plus solides et les plus efficaces possible pour répondre aux plaintes contre les sénateurs et sénatrices en matière de harcèlement sexuel ou d’autres formes de harcèlement.

Entre-temps, les sénatrices Bernard, Pate, Lankin, Hartling et Galvez et le sénateur Mitchell ont tous contribué de différentes manières substantielles et constructives au débat sur cette interpellation pertinente et d’une grande importance.

Le projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, une mesure législative visant à remédier au harcèlement et à la violence au travail, a été adopté par nous et par nos collègues de l’autre endroit et a reçu la sanction royale la semaine dernière.

(1720)

La version actuelle de la Politique du Sénat sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail a été adoptée par le Sénat le 22 juin 2009, il y a plus de neuf ans. La politique précédente avait été adoptée en 1993. Nos collègues siégeant au Sous-comité sur les ressources humaines du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration — qui sont en réunion en ce moment, je crois — ont travaillé diligemment à examiner et à proposer des améliorations à ladite politique sur le harcèlement. Il nous tarde à tous de prendre connaissance de leur rapport au cours des prochaines semaines.

Tout au long de ma réflexion sur les raisons qui m’ont poussée à parler de cette interpellation et sur ce que j’allais dire, j’ai hésité entre deux points de vue diamétralement opposés : le premier, très personnel et le second, plus détaché, plus général. Comme beaucoup de femmes de ma génération, j’ai moi aussi connu le harcèlement, malheureusement. Même si je jouis de tous les privilèges associés à mon statut de femme blanche, instruite, en bonne santé, hétérosexuelle et née au Canada, j’ai déjà, dans certains de mes anciens emplois, été agressée et harcelée sexuellement, j’ai été humiliée et j’ai fait l’objet d’attouchements non désirés ainsi que d’intimidation grave. Je me suis fait dire par mon superviseur de me taire lors d’une rencontre internationale de professeurs d’université pour lesquels je travaillais dans le cadre de mes études supérieures. Dans ma jeunesse, j’ai œuvré dans le domaine du développement international. J’ai fait du travail de terrain et, une fois sur place, je me suis fait caresser un sein par un des donateurs. Je me suis aussi fait dire que je pourrais perdre mon emploi si je n’accédais pas aux demandes d’un collègue à l’époque où j’étais vice-présidente d’un institut universitaire. Je n’ai jamais pu entrer par la porte principale d’un club privé de Toronto où avait un lieu une activité que j’avais moi-même organisée avec une figure de proue des milieux économiques latino-américains. On m’a demandé d’entrer par la porte de côté, pendant que les hommes qui étaient là à mon invitation pouvaient utiliser librement la porte de devant. Nul besoin de vous dire que je ne suis pas restée, mais j’ai craint les répercussions de mon geste. Risquais-je de perdre mon emploi? Après tout, je devais subvenir aux besoins de trois filles en bas âge et d’un mari étudiant.

Dans une autre situation, alors que je me trouvais en position d’autorité et que j’occupais un poste de haute direction, j’ai dû gérer de manière appropriée, ferme et équitable le cas d’un employé qui avait harcelé sexuellement un certain nombre de jeunes collègues. J’ai également dû faire preuve de transparence, de responsabilité et de bienveillance auprès de ces femmes qui avaient subi un harcèlement inexcusable sous ma direction. Il était extrêmement paradoxal pour un groupe qui défendait la justice sociale, l’égalité entre les sexes et l’habilitation des femmes de faire face à ce comportement irrespectueux, dégradant et misogyne. Personne n’est à l’abri, et c’est vrai pour tous les milieux de travail.

C’est pourquoi nous nous penchons d’abord sur les cas particuliers, et nous savons que les exemples ne manquent pas sur la Colline du Parlement, que l’on pense à une ministre respectée qui se voit affublée de l’étiquette dégradante de « Barbie du climat » ou aux employés de députés et de sénateurs qui subissent du harcèlement et de l’intimidation, mais qui sont peu nombreux à se sentir suffisamment en sécurité pour le signaler.

Nous passons ensuite à une vision plus globale. L’occasion qui se présente à nous de réviser nos principes et procédures est essentielle afin que le Sénat, la Chambre haute du Canada, dispose des politiques, des procédures et des mécanismes les plus solides et les plus efficaces possible afin de traiter les plaintes pour harcèlement de toutes sortes.

Je ne suis pas une spécialiste des procédures et mécanismes détaillés qui sont requis pour mettre en œuvre efficacement les trois piliers énoncés dans le projet de loi C-65 — prévenir le harcèlement, réagir aux plaintes présentées et soutenir les victimes, les survivants et les employeurs le plus efficacement possible. Nos collègues du Sous-comité sur les ressources humaines du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration se penchent sur la question, avec l’avis d’experts et, espérons-le, des personnes les plus touchées, comme l’a suggéré la sénatrice Lankin.

L’aspect dont j’aimerais parler, dans le domaine institutionnel général, concerne les principes fondamentaux qui guident notre politique, nos procédures et nos mécanismes mis à jour.

À l’heure où, dans notre monde et notre société, on peut lire, en gros titre, dans l’édition du 29 septembre du magazine The Economist : « Sexe et pouvoir : #MoiAussi, un an plus tard »;

À l’heure où des femmes de partout dans le monde proclament #BalanceTonPorc, #MyDressMyChoice, #Cuentalo! et #HearMeToo!;

À l’heure où, dans notre société canadienne, le premier ministre a publié la déclaration suivante le 26 avril dernier :

L’autonomisation des femmes est un moteur clé d’une croissance économique qui profite à tous. Il est dans l’intérêt de tous que les femmes puissent participer à nos économies et à nos sociétés de façon libre, pleine et égale. Le soutien et l’autonomisation des femmes et des filles doivent être au cœur des décisions que nous prenons.

C’est pourquoi nous faisons de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes un thème central de la présidence canadienne du G7 [...]

À l’heure où le Guardian Weekly a publié au moins deux articles au cours de la dernière année au sujet de nos cousins de Westminster intitulés « Comment lutter contre le harcèlement sexuel à la Chambre des communes », et « Des députés et leurs pairs pourraient être renvoyés ou expulsés pour harcèlement »;

À l’heure où nous sommes en train d’imaginer la forme que pourrait prendre la modernisation du Sénat et ce en quoi consiste un Sénat modernisé, nous tous, en tant que sénateurs, qui sommes responsables de cette institution très importante qui se réglemente en grande partie elle-même, avons une occasion en or d’être des leaders visionnaires, intelligents, responsables et bienveillants. Nous avons la chance de donner l’exemple à d’autres institutions parlementaires, et bien sûr, il est manifestement de notre devoir de le faire.

Nous avons également l’occasion de répondre aux craintes soulevées par mes collègues et par d’autres au sujet des dangers liés au déséquilibre des pouvoirs, qui est au cœur de notre institution et qui a des conséquences sur ceux qui travaillent avec nous et sur chacun d’entre nous.

Dans un discours antérieur prononcé au Sénat, j’ai parlé du sénateur Joyal, qui nous a dit ceci :

Le Parlement, c’est aussi une affaire de pouvoir. Il n’a qu’une raison d’être : il exprime la souveraineté du peuple […]

J’ai également cité mon ancien collègue, M. John Gaventa, d’IDS Sussex, qui fait une distinction importante entre les différentes facettes du pouvoir : qui le détient, sur qui ou sur quoi il s’opère, et cetera.

L’enjeu du pouvoir est au centre du changement de culture et de paradigme que mes collègues ont réclamé. Il faut, de toute urgence, collaborer afin de créer une culture saine, ouverte et inclusive, caractérisée par le professionnalisme, un respect mutuel authentique, ainsi qu’un code et un mode de conduite qui reflète cette culture et qui a son fondement dans la tolérance zéro à l’égard du harcèlement sous toutes ses formes.

Voilà quelles sont, pour moi, les caractéristiques fondamentales de cette culture. Ce sont les principes et le fondement central de notre politique, de nos procédures et de nos mécanismes.

En terminant, honorables sénateurs, je tiens à parler de quelque chose qui me fait plaisir mais qui, je dois l’admettre, m’a aussi mise parfois un peu mal à l’aise depuis mon arrivée dans cet endroit si privilégié, le Sénat du Canada. Je veux parler du qualificatif d’« honorable », dont je veux être digne. Pour moi, c’est un qualificatif que l’on doit mériter un peu chaque jour. « Honorable » signifie « caractérisé par des principes élevés »; autrement dit, « digne d’estime ». C’est un titre de respect.

(1730)

Honorables collègues, profitons de l’occasion pour nous élever à la hauteur de l’honneur qui nous est accordé. Donnons-nous le défi d’être des leaders dans la création d’un milieu de travail qui fait la promotion à la fois de l’excellence, du respect, de la sécurité et de l’entraide pour tous ceux qui contribuent à l’important travail du Sénat du Canada. Le public canadien et nous, sénateurs, n’en attendons pas moins de nous.

Merci. Wela’lioq.

(Sur la motion de la sénatrice Coyle, au nom de la sénatrice McCallum, le débat est ajourné.)

[Français]

Le racisme anti-Noirs

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Bernard, attirant l’attention du Sénat sur le racisme anti-Noirs.

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer l’intervention sur le racisme anti-Noirs prononcée récemment par la sénatrice Bernard. Tout en reconnaissant que ce n’est pas seulement l’apanage des personnes d’ascendance africaine, la sénatrice Bernard a aussi décrit de multiples formes de racisme. Ainsi, dans cette enceinte, je compte aborder le phénomène du racisme systémique.

Cette expression souvent galvaudée demeure aujourd’hui incomprise. Indépendamment de ceux qui les prononcent et de ceux qui les entendent, ces deux seuls mots ne passent jamais inaperçus. Invoquer cet enjeu épineux provoque indéniablement malaise, honte ou colère, tant chez les personnes qui le vivent que chez celles qui nient ce phénomène.

Afin que vous puissiez visualiser ce dont il retourne réellement, honorables collègues, laissez-moi faire un parallèle avec un sujet d’actualité : Jackson Katz, un éminent auteur, chercheur et conférencier, a créé un programme d’éducation et de prévention de la violence sexiste. Ce programme est utilisé par l’armée américaine, diverses organisations sportives et plusieurs entreprises privées.

Dans ses conférences, M. Katz demande aux hommes quelles mesures ceux-ci prennent au quotidien afin de ne pas être agressés sexuellement. La plupart des hommes répondent laconiquement : « Rien, je n’y pense pas! » Ensuite, le chercheur pose la même question aux femmes. Avec énergie, ces dernières racontent les précautions qu’elles prennent dans le cadre de leur quotidien. Je vous en cite quelques-unes : tenir leurs clés comme arme potentielle, ne pas faire de jogging en portant des écouteurs, se munir d’une alarme personnelle, avoir leur téléphone à portée de main et vérifier leur tenue vestimentaire.

C’est stupéfiant, n’est-ce pas? Pourtant, ce ne sont pas toutes les femmes qui ont été la cible de violence sexuelle ni tous les hommes qui en sont les auteurs. Toutefois, ces mesures de sécurité sont inculquées aux jeunes filles dès leur adolescence, alors qu’il en est tout autrement pour les jeunes garçons.

Honorables collègues, à mon tour de vous poser quelques questions.

Première question : lorsque vous magasinez, vous sentez-vous observés, suivis, traqués? Afin que vous soyez en mesure de mieux comprendre ce que vivent les membres des communautés noires, voyons ce que rapporte Tomee Elizabeth Sojourner-Campbell, consultante torontoise et spécialiste en prévention de profilage racial, et je cite :

La personne noire entre dans un magasin et réalise rapidement qu’elle est suivie [...]. Un employé est à quelques pas derrière, surveillant chacun des mouvements du client et vérifiant l’inventaire chaque fois qu’il fait une pause dans une allée. Le client noir achète quelque chose, mais il est intercepté à la sortie pour montrer son reçu. Personne d’autre ne l’est.

C’est subtil, mais absolument dérangeant. Cela peut sembler incroyable pour ceux qui ne le vivent pas, mais beaucoup de Noirs se questionnent constamment sur tout ce qu’ils font dans leur quotidien.

Deuxième question : comment abordez-vous le sujet des vêtements avec vos enfants? La plupart des parents posent des limites en raison de ce qui va à l’encontre de leurs valeurs, comme l’hypersexualisation et les messages haineux. Imaginez-vous donc que plusieurs familles issues de communautés noires vont jusqu’à interdire le port de la casquette ou du chandail de type kangourou à leur progéniture de peur qu’elle fasse ne l’objet de discrimination. Les raisons sous-jacentes à ce genre d’interdit modifient inutilement le comportement des enfants afro-canadiens. À force de se faire répéter que leurs droits risquent d’être bafoués en raison de leur tenue vestimentaire, ils sont susceptibles de grandir avec une vision très négative de la société qui les entoure.

Troisième question : quels sont les critères que vous considérez lorsque vous magasinez un véhicule? Vos rêves? Vos besoins? Votre budget? Les membres des communautés noires, surtout les jeunes hommes, doivent en plus veiller à choisir un modèle qui passera inaperçu aux yeux des forces de l’ordre. Combien de fois ai-je entendu des mères afro-canadiennes décourager leurs fils d’acheter des voitures de luxe ou de sport, même si ces derniers ont travaillé fort afin de pouvoir se les procurer?

Quatrième question : comment vous préparez-vous pour aller visiter un logement que vous souhaitez louer? J’imagine que vous n’y songez même pas. Pendant mon divorce, j’étais à la recherche d’un logement où habiter avec mes enfants. Ayant repéré un endroit convenable, j’ai fixé un rendez-vous avec le propriétaire pour le même jour. Comme j'avais été prévenue par mon entourage des défis qu’une femme noire monoparentale devait surmonter, je me suis préparée en conséquence. Ainsi, avant de me présenter au rendez-vous, je me suis vêtue comme si j’allais à une entrevue : tailleur, maquillage, bijoux, coiffure. Tout était agencé de façon à ce que je fasse une excellente première impression. Je me suis rassurée en me disant que tout allait bien se passer, que j’avais un excellent crédit et que j’avais entamé ma carrière de médecin depuis déjà plusieurs années. Malheureusement, à peine avais-je eu le temps de me présenter que le propriétaire m’a annoncé que le logement convoité était déjà loué. Exemple classique, direz-vous!

Combien de fois avez-vous été témoin, à l’école, d’une dispute entre deux enfants, un Noir et un Blanc, où la version de l’enfant noir n’a pas été jugée crédible et où celui-ci a été puni alors qu’il n’était pas coupable? Combien de fois, dans vos milieux de travail, avez-vous été témoin de plaintes dont le traitement a été inéquitable selon qu’il s’agissait d’une personne de race blanche ou de race noire qui en faisait l’objet?

Ces frappantes illustrations m’amènent à vous donner la définition du racisme systémique tel que le formule le Barreau du Québec :

[…] production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société.

Comme vous avez pu le constater, nous ne parlons pas ici de crimes haineux, comme celui qui a été commis au Mother Emanuel African Methodist Episcopal Church à Charleston, aux États-Unis, en 2015, ou celui qui a été perpétré à Pittsburgh en fin de semaine. Je ne vous parle pas non plus de violence envers les immigrants ou de blagues déplacées à l’égard d’un groupe culturel. Il s’agit plutôt de l’usage conscient ou inconscient de gestes discriminants à l’égard des membres d’une communauté désignée. Pour beaucoup de gens, ces situations peuvent paraître anodines et ils ne peuvent comprendre l’ampleur des conséquences sur les personnes qui les subissent.

Un rapport intitulé Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial, publié par la Commission ontarienne des droits de la personne, mentionne ceci :

L’obligation de faire appel à ces stratagèmes pour composer avec le profilage montre à quel point le phénomène est grave pour les membres des communautés qui y sont soumises. Il s’agit d’un volet de leur expérience de vie à tel point crucial qu’ils sont forcés de modifier tout leur comportement en conséquence.

Les préjudices comme l’humiliation et l’appréhension ressenties par les victimes du profilage racial sont si traumatisants que les effets sont susceptibles de se faire sentir sur plusieurs générations. Les parents qui en ont été victimes ou témoins ou à qui on a relaté des actes de discrimination encadrent scrupuleusement les comportements de leurs enfants en les prévenant qu’ils devront, tôt ou tard, en être la cible.

Comme vous avez pu le constater avec les exemples précédents, à force de subir de la discrimination, les membres des communautés noires en viennent à banaliser et même à normaliser ces actes d’injustice. Cela demeure très problématique, puisque les enfants en arrivent à considérer qu’ils sont la source du problème, et cela nuit grandement à leur développement. À l’âge adulte, ils hésiteront à lutter contre la discrimination raciale en transposant la responsabilité de l’auteur sur leurs propres épaules. Ainsi, les réels fautifs ne sont que très rarement réprimandés, et cela perpétue ce cercle vicieux.

(1740)

Honorables collègues, il est inquiétant de savoir que plusieurs générations d’Afro-Canadiens finissent par accepter qu’ils font nécessairement l’objet de discrimination sur la base de leur appartenance ethnique.

Pourtant, les impacts importants et durables observés chez les jeunes et les enfants sont bien connus. Au niveau scolaire, on rapporte une perte de concentration et une baisse de motivation chez les étudiants qui ont été exposés à des actes discriminatoires. Cela mène à une chute du rendement scolaire qui peut éventuellement retarder, voire contrecarrer l’accès aux études supérieures. Si les gestes odieux sont perpétrés par une personne en situation d’autorité, il s’ensuit une perte de confiance envers différents segments de la société, comme le système de justice, par exemple. Cela peut se traduire par une réticence à collaborer avec les institutions, comme lorsqu’il s’agit de signaler un acte criminel vécu ou, encore, d’agir en tant que témoin.

Chez les professionnels, on dénote un profond sentiment de désespoir, surtout si l’incident humiliant est survenu en public, à proximité de leur lieu de travail ou en présence de leurs pairs. Ils craignent que leurs clients, leurs collègues ou leurs supérieurs les croient responsables d’avoir provoqué l’incident. Conséquemment, le stress post-traumatique et la perception de menaces fondées sur l’identité culturelle peuvent provoquer chez ces professionnels une baisse de la performance au travail, une perte de confiance en soi ainsi qu’un état dépressif.

Afin de prévenir toute situation néfaste à l’inclusion des Afro-Canadiens et Afro-Canadiennes, agissons dès maintenant. Pour y arriver, nous devons déconstruire le processus de racialisation par lequel passent les communautés noires. Tel qu’il est indiqué dans le Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, la « racialisation » est le processus social de définition des races comme étant des entités bien réelles, différentes et inégales, caractérisation qui a une incidence sur les plans économique, politique et social.

Ne laissons pas dormir sur les tablettes les résultats des consultations publiques et les objectifs prometteurs qui en découlent. Parallèlement aux interventions au sein des institutions, pensons à des moyens de proximité que nous pouvons instaurer dans nos communautés.

Nous pourrions entre autres explorer l’approche par les tiers que le chercheur Jackson Katz a développée dans le cadre de son programme d’éducation et de prévention de la violence sexiste. Cette approche pourrait être adaptée au contexte dont il est question aujourd’hui. Pour ce faire, nous devons nous sortir quelque peu de la relation binaire que nous connaissons tous, afin de changer la dynamique Blancs-racistes et Noirs-victimes. Nous devons également promouvoir la place des pairs dans nos écoles, nos équipes sportives, nos milieux de travail et nos institutions afin de lutter contre les inégalités sous-jacentes et la « racialisation ». De plus, nous devons insister sur le rôle que les témoins, qu’ils soient Blancs ou Noirs, peuvent jouer dans la lutte contre la discrimination raciale. Enfin, nous pourrions organiser des ateliers sur cet enjeu dès l’école primaire, afin que nos enfants grandissent et deviennent des mentors pour leurs pairs.

Ce sont des solutions parmi tant d’autres. Je ne suis pas une experte dans ce domaine, mais je suis d’avis qu’il faut s’inspirer des stratégies exemplaires mises en pratique dans d’autres milieux afin de lutter contre le racisme. Il est temps de prendre des mesures concrètes afin de protéger les valeurs d’égalité et de dignité qui nous sont si chères.

Honorables collègues, il est de notre responsabilité de condamner sans réserve le racisme sous toutes ses formes, même les plus insidieuses. Favorisons le respect ethnoculturel de l’ensemble des Canadiennes et Canadiens. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir afin d’encourager la pleine participation de toute personne au développement socioéconomique de notre pays, sans égard à son origine, à sa race ou à sa couleur.

Je vous remercie.

(Sur la motion du sénateur Gold, le débat est ajourné.)

(À 17 h 45, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page