Aller au contenu

Président du Sénat

Décision du Président – Rappel au Règlement (Sénateur Harder) - Instruction de diviser le projet de loi C-44


Honorables sénateurs, je suis prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé hier par le sénateur Harder concernant la motion présentée par le sénateur Pratte, qui proposait que le Comité sénatorial permanent des finances nationales divise le projet de loi C-44. Le sénateur Harder craignait principalement que l’adoption de la motion fasse en sorte qu’il y ait deux nouveaux projets de loi émanant du Sénat qui nécessiteraient chacun une recommandation royale au lieu du projet de loi unique qui provenait de la Chambre des communes.

Le projet de loi C-44 est une loi d'exécution du budget. Si le Sénat accepte la motion du sénateur Pratte, cela déclencherait un processus dans lequel le Sénat propose à la Chambre des communes qu’il y ait deux projets de loi, alors qu’il n’y en a qu’un seul actuellement. Un des nouveaux projets de loi porterait sur la Banque de l'infrastructure du Canada, dont l’établissement est proposé, tandis que l’autre porterait sur les autres parties du projet de loi C-44. Ce genre de motion, qui autorise un comité à faire quelque chose qu’il ne peut pas faire normalement, est une motion d’instruction qui nécessite un préavis d’un jour.

Le processus de division des projets de loi est rarement utilisé. Les grandes étapes à suivre dans de tels cas ont été résumées dernièrement dans le cinquième rapport du Comité du Règlement présenté au Sénat le 6 avril 2017 et adopté le 30 mai. Comme le rapport le signale, pour qu’un projet de loi de l’autre endroit soit divisé, la Chambre des communes doit éventuellement donner son approbation. L’adoption par le Sénat du rapport du Comité du Règlement établit clairement que nous pouvons au Sénat, dans certains cas du moins, prendre l’initiative de diviser un projet de loi qui émane de la Chambre des communes.

Une recherche dans les Journaux du Sénat a permis de trouver seulement deux précédents où la division d’un projet de loi est allée plus loin que l’adoption d’une motion d’instruction.

En 1988, le Sénat a proposé de diviser le projet de loi C-103. Le Président a jugé que la motion d’instruction était irrecevable à cause des questions entourant la recommandation royale. Toutefois, la décision du Président a été renversée. Par conséquent, le Sénat a proposé de diviser le projet de loi. La Chambre des communes a fini par rejeter la proposition en faisant valoir qu’elle empiétait sur ses droits et privilèges, et le Sénat n’a pas insisté pour que le projet de loi soit divisé. Le fait que la décision du Président a été renversée n’invalide pas nécessairement l’analyse qu’elle contient. Il est possible que le Sénat ait simplement choisi de ne pas appliquer les résultats dans cette situation.

Plus tard, en 2002, le Sénat a examiné le projet de loi C-10. Le Sénat a alors autorisé le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles à diviser le projet de loi. Dans ce cas, aucun recours au Règlement n’a été soulevé, et la motion d’instruction n’a pas été contestée. Le comité a fait rapport de sa proposition sur la façon de diviser le projet de loi et a retourné une partie du projet de loi – le projet de loi C-10A – au Sénat sans amendement. Le projet de loi C-10A ne semblait pas nécessiter une recommandation royale, donc les questions qui se posent dans le cas présent n’étaient pas au cœur des considérations du Sénat. L’approbation de la Chambre des communes a été demandée concernant la division du projet de loi et le projet de loi C-10A. La Chambre des communes a clairement indiqué qu’elle estimait qu’il ne s’agissait pas d’un précédent valide, mais elle a accepté la division du projet de loi et l’adoption du projet de loi C-10A, qui a reçu la sanction royale. L’autre partie – le projet de loi C-10B – était toujours à l’étude lorsque le Parlement a été prorogé.

La motion du sénateur Pratte est conforme à la façon dont le Sénat a traité la division des projets de loi dans le passé, et elle reflète très certainement le résumé fourni par le Comité du Règlement. Il n’est donc pas nécessaire de s’attarder aux préoccupations relatives au processus précis qui doit être suivi.

La véritable question consiste à déterminer, dans le cas du projet de loi C-44, si le Sénat peut proposer que le projet de loi soit divisé. Cette question, à son tour, est directement liée à la nature même du projet de loi C-44. Il s’agit d’un projet de loi du gouvernement qui provient de la Chambre des communes avec une recommandation royale. Si le projet de loi était divisé, cela découlerait d’une proposition provenant du Sénat, non du gouvernement. Il faut se demander s’il serait raisonnable de continuer de considérer les deux projets de loi comme étant des initiatives du gouvernement émanant de la Chambre des communes.

Ce qui est encore plus important, cependant, c’est la question de la recommandation royale. Le Règlement définit comme suit la recommandation royale :

Message du Gouverneur général autorisant l’étude d’un projet de loi proposant la dépense de fonds publics. La recommandation royale peut être donnée uniquement par un ministre et seulement à la Chambre des communes. Cette exigence trouve son fondement à l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Sans une recommandation royale, il ne convient pas que le Parlement soit saisi d’un projet de loi comportant des affectations de crédits. Ce fait reflète le principe fondamental selon lequel la Couronne doit approuver les dépenses proposées, qui doivent d’abord être examinées par la Chambre élue. Ce principe est un des fondements du gouvernement responsable et aide à assurer une structure financière cohérente. Cela est établi à l’article 10-7 du Règlement qui prévoit que « Le Sénat ne peut faire l’étude d’un projet de loi comportant des affectations de crédits que si l’objet en a été recommandé par le Gouverneur général. »

Pendant l’examen du rappel au Règlement, on a expliqué que les dispositions du projet de loi C-44 concernant la Banque de l'infrastructure du Canada autorisent des paiements importants tirés du Trésor. D’autres éléments du projet de loi autorisent aussi des paiements du Trésor. Par conséquent, la division proposée du projet de loi ferait en sorte qu’il y aurait deux projets de loi comportant des crédits à la suite d’une initiative du Sénat. Il est difficile de voir comment cela respecte l’esprit et la lettre du Règlement et des principes parlementaires fondamentaux.

Je tiens à souligner que cela ne signifie pas que le Sénat ne peut pas modifier un projet de loi conformément aux règles et aux pratiques. Le Sénat peut aussi rejeter des articles, et même rejeter un projet de loi en entier. Toutes ces possibilités sont toutefois très différentes d’un processus en vertu duquel le Sénat déclencherait des mesures pour créer deux projets de loi, qui nécessiteraient tous les deux une recommandation royale, alors qu’il n’y avait au départ qu’un projet de loi avec une recommandation.

Même si la motion à l’étude respecte les mécanismes de la division d’un projet de loi, son adoption mènerait à une situation où une initiative du Sénat ferait effectivement en sorte qu’il y aurait deux projets de loi nécessitant chacun une recommandation royale. Pour cette raison, je me dois de déclarer que cette motion est irrecevable.

 

Écoutez l'audio >>

Haut de page