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Président du Sénat

Décision du Président – Question de privilège - Motion 302


Honorables sénateurs, je suis prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée par la sénatrice Beyak le 26 février concernant la motion 302, qui a été proposée par la sénatrice Pate. Si elle est adoptée, cette motion donnerait instruction à l’administration du Sénat de cesser temporairement tout soutien du site Web de la sénatrice Beyak. De nombreux sénateurs ont participé au débat sur la question, et je les remercie de leurs interventions.

Durant le débat, les expressions « rappel au Règlement » et « question de privilège » ont parfois été utilisées de façon interchangeable. Il existe toutefois d’importantes différences entre les deux. La question de privilège découle d’allégations d’atteinte aux pouvoirs, droits ou immunités du Sénat, d’un comité ou d’un sénateur, ce que nous appelons le privilège parlementaire. Le rappel au Règlement, quant à lui, concerne strictement les questions de procédure, soit le fonctionnement interne du Sénat ou des comités, et il se produit dans les cas où il peut y avoir eu manquement au Règlement du Sénat, à la procédure établie ou aux pratiques habituelles.

Bien que les sénateurs soient protégés par le privilège pour leur permettre d’exercer leurs fonctions parlementaires, ils sont néanmoins assujettis au Règlement, aux procédures et aux pratiques, qui sont des expressions des privilèges parlementaires du Sénat lui-même, à savoir de gérer ses propres affaires internes et de contrôler ses délibérations. Dans l’exercice de ce droit, le Sénat a établi des procédures précises qui régissent la façon de traiter les questions de privilège, comme celle soulevée par la sénatrice Beyak. En tant que Président, mon rôle à ce stade du processus consiste uniquement à évaluer une violation alléguée à la lumière des exigences procédurales et à déterminer si la question de privilège est fondée à première vue. Je n’examine pas le fond de la plainte. Il revient au Sénat de se prononcer sur celle-ci, si la question, à la suite de la décision, passe à l’étape suivante.

Aux termes de l’article 13-2(1) du Règlement, la priorité n’est donnée à une question de privilège que si elle répond à quatre critères. Ces derniers doivent tous être remplis, et il est toujours utile que les sénateurs se basent sur ces quatre critères lorsqu’ils débattent d’une question de privilège. Cela peut aider le Président dans son évaluation.

Le premier critère exige que la question soit « soulevée à la première occasion ». Lorsque la question de privilège porte sur un préavis, comme dans le cas présent, il faut également tenir compte de l’article 4-11(2)a) du Règlement. Selon cet article, la question de privilège peut être soulevée « seulement au moment où l’affaire est appelée pour la première fois ». Le préavis de la motion 302 a été donné le 14 février. Celui-ci a été appelé à la séance suivante, soit celle du 15 février, et elle a été mise en délibération. La question de privilège de la sénatrice Beyak aurait donc dû être soulevée ce jour-là, au lieu de la soulever le 26 février.

Selon le deuxième critère, la question doit se rapporter « directement aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur ». Avant de traiter de ce critère en détail, soyons clair que je ne détermine pas si le site Web d’un sénateur est protégé par le privilège ou non. Je me limite simplement à considérer les effets qu’aurait l’adoption d’une telle position dans le cas actuel. 

Le deuxième critère fait mention des privilèges du Sénat tout entier, de ses comités et de sénateurs individuels. Cela peut parfois créer des situations où il faut considérer la relation entre les privilèges de l’institution et ceux des individus. Le privilège parlementaire permet à chaque sénateur de contribuer entièrement et librement aux travaux du Sénat. Toutefois, comme il a été souligné dans une décision rendue le 24 février 2016, à laquelle le sénateur Pratte a fait référence :

Les privilèges dont nous jouissons à titre individuel ne sauraient l’emporter sur les privilèges du Sénat. Comme on peut le lire à la page 203 de la 24e édition de l’ouvrage d’Erskine May, « les membres d’une Chambre jouissent de privilèges individuels uniquement pour que la Chambre puisse s’acquitter collectivement de ses fonctions ».

Une observation semblable a été faite dans une décision rendue le 23 mai 2013, dans laquelle il était souligné que « … les droits et privilèges du Sénat comme tel l’emportent sur ceux des sénateurs, à titre individuel » et que le Sénat a le droit de régir ses affaires internes.

Les droits ou avantages d’un sénateur individuel peuvent donc être restreints par des décisions du Sénat. Comme c’est le cas en ce qui a trait à la motion 302, cela signifie que le Sénat a le droit prépondérant de décider comment gérer ses affaires internes, le droit de décider comment les honorables sénateurs peuvent utiliser les ressources y compris. 

Cette analyse nous aide aussi lorsque nous considérons le troisième critère, selon lequel la question de privilège doit viser « à corriger une atteinte grave et sérieuse ». Dans une situation où il existe, potentiellement, une divergence entre les droits du Sénat et ceux d’un sénateur en particulier, le premier doit avoir priorité. Pour citer la décision du 24 février 2016 : « … ces privilèges existent dans l’intérêt de l’institution comme telle. Les décisions du Sénat ne peuvent enfreindre les privilèges de l’institution ».

Le quatrième critère précise que la question de privilège doit chercher « à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire ». Dans le cas de la motion 302, d’autres procédures existent. Notons entre autres le débat, les amendements, le renvoi au comité et, éventuellement, le rejet ou l’adoption de la motion. Si le Sénat adoptait ou rejetait la motion, il s’agirait d’une expression de son droit de gérer ses affaires internes et de décider de la façon dont ses ressources peuvent être utilisées.

Avant de conclure, honorables sénateurs, permettez-moi de souligner que les questions concernant le privilège peuvent être compliquées. J’invite donc tous les sénateurs à examiner le septième rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement déposé au Sénat le 2 juin 2015, lequel donnait un aperçu détaillé du privilège au Canada.

Par suite de l’analyse des quatre critères, les exigences de l’article 13‑2(1) du Règlement n’ont pas été remplies en l’espèce. Je dois donc conclure que la question de privilège n’est pas fondée à première vue. J’encourage toutefois les collègues à participer au débat sur la motion 302. De nombreux sénateurs ont exprimé des préoccupations concernant cette motion, et il s’agit manifestement d’une question d’un grand intérêt pour le Sénat. Je remercie tous les honorables sénateurs de leur attention et de leur intérêt à l’égard de cette importante question.

 

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