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Président du Sénat

Décision du Président – Question de privilège - L’accès aux courriels d’une sénatrice


Honorables sénateurs,

Je suis prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée par la sénatrice Marshall le 17 juin 2019 et qui a fait l’objet de plus amples discussions le 19 juin 2019.

La question de privilège porte sur la communication de certains courriels provenant du compte de messagerie du Sénat de la sénatrice Marshall qui aurait eu lieu à la suite d’une demande de renseignements du conseiller sénatorial en éthique. Si l’accès aux courriels de la sénatrice a été donné, cela s’est fait sans le consentement de cette dernière et sans qu’elle en soit formellement avisée. La sénatrice Marshall a indiqué qu’elle avait collaboré avec le Bureau du conseiller sénatorial en éthique dans le cadre d’une enquête, mais qu’elle avait appris de façon informelle que ses courriels avaient été consultés. Elle a été très troublée et a mis en garde les sénateurs contre ce risque.

Lorsque le Sénat a abordé la question le 19 juin, les sénateurs Housakos et Downe ont dit qu’ils étaient préoccupés par l’idée que les courriels des sénateurs puissent être consultés sans avertissement, et sans même qu’on leur offre la possibilité de collaborer. Ils ont indiqué que, à tout le moins, les sénateurs doivent être au courant de ce fait lorsqu’ils songent à utiliser cet outil. Le sénateur Marwah a lui aussi incité ses collègues à réfléchir à l’incident et à la possibilité de modifier au besoin les instruments de gouvernance qui ont pu mener à cette situation.

La sénatrice Andreychuk, présidente du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, est également intervenue le 19 juin. Elle a expliqué le fonctionnement du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et son interaction avec le Règlement administratif du Sénat dans l’affaire qui nous occupe. Le conseiller sénatorial en éthique a l’obligation de faire enquête rapidement et de manière confidentielle, et ce, pour protéger toutes les parties intéressées. Les sénateurs et autres personnes participant à l’enquête ont, quant à eux, l’obligation de collaborer avec le conseiller sénatorial en éthique et de respecter les règles de confidentialité. La sénatrice McPhedran a ensuite souligné l’importance des règles de confidentialité pour garantir que les enquêtes soient équitables et que rien ne vienne nuire à leur déroulement.

Les honorables sénateurs savent que le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs confère au conseiller sénatorial en éthique de vastes pouvoirs pour chercher les renseignements dont il a besoin lorsqu’il mène des enquêtes confidentielles. Selon ce que prévoit le Code, il ne peut obtenir l’accès à des courriels que dans le cadre d’une enquête. La confidentialité est nécessaire pour maintenir l’intégrité du processus et pour protéger les personnes participant à l’enquête.

Ce cas indique que les sénateurs ne sont peut-être pas tous suffisamment au courant du régime d’éthique créé par le Sénat. Les sénateurs voudront peut-être réfléchir sur les vastes pouvoirs du conseiller sénatorial en éthique qui lui permettent d’accéder à des renseignements sans avertissement. Nous avons l’obligation de mieux comprendre la nature et les conséquences du régime que nous avons mis en place. Le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs se penchera, sans doute, sur ce point lorsqu’il recommandera des modifications au Code. Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, ce régime établit le cadre qui gère notre fonctionnement.

L’article 2-1(2) du Règlement circonscrit l’autorité du Président à l’égard du Code aux seules dispositions qui font partie du Règlement. Cela étant, et malgré la prudence qui s’impose, j’insisterais pour dire que les obligations de collaborer et de maintenir la confidentialité découlent l’une comme l’autre des décisions que le Sénat a lui-même prises. Elles sont donc le résultat de l’exercice, par le Sénat, de son contrôle sur ses affaires internes.

Tel qu’indiqué dans une décision du 22 mars 2018, les droits individuels des sénateurs sont « assujettis au Règlement, aux procédures et aux pratiques [du Sénat], qui sont des expressions des privilèges parlementaires du Sénat lui-même, à savoir de gérer ses propres affaires internes et de contrôler ses délibérations. » J’en profite également pour rappeler aux collègues que le privilège parlementaire ne protège pas toutes les communications électroniques des sénateurs. Chaque communication doit être évaluée pour déterminer si elle a un lien direct avec les délibérations parlementaires. En l’espèce, il n’est pas possible pour l’instant de savoir si l’accès a effectivement été donné à des courriels qui sont peut-être protégés par le privilège.

L’article 13-2(1) du Règlement énonce les quatre critères que doit satisfaire une question de privilège. Le quatrième critère est que la question doit « cherche[r] à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire ». Aux termes du Règlement administratif du Sénat, les demandes d’accès à des courriels qui proviennent du conseiller sénatorial en l’éthique sont renvoyées au Sous-comité du programme et de la procédure du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, qui traite par la suite de la communication des renseignements. Il semble donc que les préoccupations et questions entourant cet incident pourraient vraisemblablement être soulevées dans le cadre d’une autre procédure, à savoir en s’adressant au Comité de la régie interne et à son comité directeur. Je signale, bien entendu, l’obligation de tous les sénateurs, y compris ceux qui siègent à ce comité, de respecter la confidentialité globale des enquêtes que prévoit le Code.

Je dois donc conclure que les critères applicables aux questions de privilège ne sont pas satisfaits pour l’instant et qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège. Soyons clairs, toutefois : vu les circonstances inhabituelles de la situation, s’il devenait manifeste plus tard que des renseignements protégés par le privilège ont été communiqués de façon inappropriée, rien n’empêcherait alors la sénatrice Marshall de soulever une nouvelle question de privilège à ce sujet.

Avant de terminer, j’aimerais aborder certaines questions reliées à cette affaire. Lorsqu’elle a fait connaître ses préoccupations, la sénatrice Marshall a fait voir comment l’interaction des divers instruments de gouvernance et d’éthique peut mener à l’obtention de renseignements que les honorables sénateurs pourraient normalement considérer comme étant privés. Les sénateurs doivent s’interroger sur le caractère désirable d’une telle chose et sur les modifications qu’il pourrait convenir d’apporter à leur régime de gouvernance et d’éthique.

Cela dit, je suis profondément troublé par la manière dont la sénatrice Marshall a appris ce qui s’était passé. Elle a dit au Sénat qu’elle l’avait appris « entre les branches ». Le Code prévoit une obligation stricte de confidentialité globale, qui de toute évidence n’a pas été respectée. Je dois également rappeler de nouveau aux sénateurs que les affaires examinées à huis clos doivent respecter les obligations de confidentialité qui découlent de ce processus. Ces obligations doivent être prises au sérieux par les sénateurs et leur personnel et par les employés de l’administration. Elles sont le reflet des décisions du Sénat et doivent toujours guider nos actions.

Enfin, à moins de preuve du contraire, nous ne devrions jamais mettre en doute l’intégrité et la diligence de ceux qui nous aident avec notre travail. Cette retenue est particulièrement importante dans le cas du conseiller sénatorial en éthique, puisqu’il ne sert à rien de lui reprocher d’exercer les fonctions prévues par le Code que nous, les sénateurs, avons adopté pour gouverner ses travaux. Si, en tant que Sénat, nous avons des inquiétudes quant au fonctionnement du Code que nous nous sommes donné, ces questions devraient être ouvertement débattues et résolues ici, dans la salle du Sénat.

 

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