Aller au contenu

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à exhorter le gouvernement à évaluer le coût de mise en œuvre de son Plan d’action quinquennal sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang

1 décembre 2020


L’honorable René Cormier [ + ]

Conformément au préavis donné le 5 novembre 2020, propose :

Que, étant donné que l’année 2020 représente la date limite pour l’atteinte des objectifs 90-90-90 de l’ONUSIDA, le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à évaluer le coût de mise en œuvre du Plan d’action quinquennal du gouvernement du Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, à fixer des cibles nationales de lutte contre le VIH-sida et à s’engager à augmenter le financement de l’Initiative fédérale de lutte contre le VIH/sida au Canada, conformément à la recommandation 20 du 28e rapport du Comité permanent de la santé, déposé à la Chambre des communes durant la première session de la quarante-deuxième législature.

— Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui afin que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à évaluer le coût de mise en œuvre de son Plan d’action quinquennal sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, à fixer des cibles nationales de lutte contre le VIH-sida et à s’engager à augmenter le financement de l’Initiative fédérale de lutte contre le VIH/sida au Canada, conformément à la recommandation no 20 du 28e rapport du Comité permanent de la santé, déposé à la Chambre des communes durant la première session de la 42e législature.

Pourquoi faire une telle demande en pleine pandémie de COVID-19, me demanderez-vous? Pourquoi aborder cette maladie chronique qui, aux yeux de certains, touche maintenant une petite partie de la population et, qui plus est, est pratiquement enrayée, car il y a aujourd’hui un traitement permettant aux malades de vivre presque normalement?

Honorables collègues, il y a de nombreuses réponses à ces questions. Voici quelques faits. Depuis le début de l’épidémie, au début des années 1980, environ 75,7 millions de personnes ont été infectées par le VIH, et 32,7 millions de personnes sont mortes de maladies liées au sida. En 2019, 38 millions de personnes vivaient encore avec le VIH.

Évidemment, il y a encore trop de gens qui sont infectés par ce virus chaque année, et trop de gens à l’échelle mondiale qui risquent d’en mourir.

Au Canada, les données les plus récentes publiées dans le Rapport de surveillance du VIH au Canada de l’Agence de la santé publique du Canada sont fort préoccupantes. En 2018 seulement, 2 561 nouveaux diagnostics positifs ont été répertoriés au pays. Ce nombre représente une augmentation de 8,2 % par rapport à 2017.

À titre comparatif, en 2015, on avait recensé 2 078 diagnostics positifs, soit environ 500 cas de moins. De 2014 à 2018, le nombre de nouveaux cas d’infections au Canada a augmenté de 25,3 %.

Le plus troublant, selon les estimations de l’Agence de la santé publique du Canada en 2016, est que 14 % des personnes vivant avec le VIH-sida ignoraient qu’elles étaient infectées. Cela signifie donc que 8 835 personnes risquaient de propager le VIH-sida au pays bien malgré elles.

Saviez-vous que les groupes d’âge avec le plus grand nombre de nouveaux cas de VIH-sida au Canada sont le groupe de 30 à 39 ans, suivi du groupe de 40 à 49 ans, puis du groupe de 20 à 29 ans? Il est troublant qu’autant de personnes, en particulier de jeunes adultes qui sont au plus fort de leur vie active, contractent encore le virus au moment où ils sont le plus aptes à contribuer à la société. Ces chiffres ne sont pas que des statistiques, honorables collègues; derrière chaque diagnostic positif, il y a un être humain, bien souvent une jeune personne, qui voit sa vie complètement basculer et dont les perspectives sont compromises.

Au Canada, les populations clés de tous les groupes d’âge comprennent les migrants, en particulier ceux qui viennent de pays avec un taux élevé de prévalence du VIH, les Autochtones, les consommateurs de drogue, les travailleurs du sexe et leurs partenaires, les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes et les personnes qui ont purgé une peine d’emprisonnement. Le taux d’infection au VIH-sida est 15 fois plus élevé dans les pénitenciers fédéraux que dans la population générale.

Ces populations clés doivent faire face à des difficultés à la fois particulières et répandues, soit la discrimination, les préjugés et les problèmes d’accès à des soins, des traitements et un suivi appropriés. La COVID-19 n’a fait que multiplier ces obstacles.

Le coronavirus a eu un impact majeur sur la prévention, l’accès aux traitements et le soutien continu aux patients. La crise sanitaire actuelle complique la production et la distribution des médicaments et crée des problèmes importants dans l’approvisionnement en traitements ici et dans le monde. Il est évident que cela risque d’entraîner une augmentation des décès liés au VIH-sida.

Selon une modélisation récente basée sur une interruption de six mois de traitements du VIH-sida en raison de la COVID-19, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida estime que le nombre de décès lié au VIH augmentera de plus de 500 000 l’année prochaine en Afrique subsaharienne seulement.

Le Canada n’est pas en reste. Je me suis entretenu récemment avec le Dr Réjean Thomas, fondateur de la réputée Clinique médicale l’Actuel de Montréal. Le portrait qu’il brosse de l’impact de la pandémie sur les services offerts aux victimes du VIH-sida au Canada est alarmant.

Si cette clinique a réussi à demeurer ouverte durant les récents confinements stricts, ce n’est pas le cas de plusieurs centres de services qui ont dû fermer leurs portes de façon provisoire, conformément aux règles tout à fait justifiées de la santé publique.

Parmi ceux-ci, notons les centres d’injection supervisée, les cliniques médicales où les rendez-vous téléphoniques sont devenus la norme, l’inaccessibilité de certains services psychologiques et la fermeture de nombreux organismes communautaires voués à la sensibilisation et à l’accompagnement des personnes atteintes du VIH-sida.

Autre effet de la pandémie, bon nombre de patients séropositifs, comme beaucoup de citoyens, ont été touchés par des pertes d’emplois, ce qui signifie des pertes de revenus et la disparition possible d’une assurance privée couvrant certains de leurs traitements.

L’inaccessibilité aux services et les baisses de revenus se traduisent malheureusement trop souvent par une interruption des traitements essentiels à la survie des patients. Ainsi, ceux et celles qui avaient accès à la PrEP, un traitement préventif dont l’efficacité peut aller jusqu’à 99 %, ont dans certains cas interrompu leur traitement en raison de la complexité accrue du renouvellement de ce médicament ou des suivis.

C’est en outre une évidence que la pandémie nuit à la santé mentale d’un grand nombre de patients et de personnes souffrant d’une dépendance, notamment au sexe ou aux stupéfiants. Chers collègues, il est faux de croire qu’en raison de la pandémie, ces personnes ont cessé d’avoir des relations sexuelles non protégées, de consommer des drogues ou de s’adonner au commerce du sexe. Par conséquent, certaines cliniques ont observé une augmentation des taux d’infections transmissibles sexuellement et par le sang comparativement à l’an dernier, plus particulièrement pour la syphilis et la gonorrhée. Cela peut s’expliquer par de multiples facteurs. En effet, puisque le VIH-sida est aussi une infection de ce type, il est possible que nous observions une augmentation de la prévalence de cette maladie partout au Canada lorsque les données seront disponibles.

Il y a une autre réalité déconcertante : s’il était difficile d’avoir accès à des soins dans les milieux ruraux avant la pandémie, imaginez la situation actuelle provoquée par le confinement.

C’est le cas de Daniel Robichaud, qui vit en région rurale au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Celui-ci a déjà parlé publiquement du bouleversement qu’il a vécu en apprenant qu’il était séropositif, il y a quelques années.

Si les traitements auxquels il a accès ont réussi à réduire radicalement la charge virale dans son sang, les séquelles de la maladie sont aujourd’hui permanentes et exigent des soins constants.

Bien que sa charge virale soit contrôlée, Daniel doit multiplier les interventions chirurgicales et les suivis médicaux en raison de ses comorbidités. Selon ses dires, l’impact de la pandémie sur l’accès aux services a été majeur. Le nombre de rendez-vous médicaux ou d’accompagnement auxquels il avait accès par semaine avant la pandémie est passé de deux à pratiquement aucun. Il a dû attendre sept mois pour recommencer à obtenir des suivis stables.

De plus, le coût de certains médicaments essentiels à sa survie a augmenté substantiellement. Pour quelqu’un qui doit vivre de l’aide financière du gouvernement en raison de son état de santé, vous pouvez imaginer l’anxiété et le stress provoqués par l’augmentation de ces coûts.

Chers collègues, à lui seul, ce récit illustre la raison d’être d’une telle motion et montre bien qu’il est urgent d’agir.

Le 1er décembre est la Journée mondiale de lutte contre le sida. Cette année, elle revêt une importance toute particulière. Alors que nous sommes aux prises avec cette pandémie, décembre 2020 marque la fin de l’échéance fixée pour atteindre la cible 90-90-90 de l’ONUSIDA, à laquelle a souscrit le Canada.

Cet engagement signifie que, si nous atteignons ces objectifs d’ici la fin de cette année, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaîtraient leur statut sérologique, ce qui suppose qu’elles auraient eu accès à un test.

Quatre-vingt-dix pour cent des personnes infectées par le VIH seraient donc dépistées et suivraient une thérapie antirétrovirale. Elles auraient donc accès à un traitement. Cela signifie que 90 % des personnes qui suivraient une thérapie antirétrovirale auraient une charge virale durablement supprimée.

Ce dernier objectif est capital, car une charge virale indécelable signifie que le virus n’est pas transmissible. Même si la personne n’est pas guérie, la charge virale dans son sang est tellement basse qu’on ne peut pas la détecter, et le virus ne peut plus être transmis à des partenaires sexuels.

L’atteinte de ces cibles en 2020 devrait permettre à la communauté mondiale d’enrayer l’épidémie de sida d’ici 2030, ce qui sera bon pour la santé de tout le monde et pour l’économie.

Le Canada s’est engagé à atteindre ces cibles, mais, malheureusement, il ne les atteindra pas en 2020, contrairement à plusieurs États qui les ont atteintes et même dépassées, comme l’Australie, les Pays-Bas, la Namibie, la Suisse, la Zambie et l’Eswatini.

La cueillette des données fait partie de nos défis. Il faut savoir qu’au Canada, le recensement des cas de VIH-sida est effectué par les provinces et les territoires, qui transmettent l’information selon leurs barèmes respectifs au gouvernement fédéral. Il en résulte une disparité dans les données disponibles.

La Saskatchewan, par exemple, répartit les cas selon que les patients sont autochtones ou non autochtones. Pour sa part, le Québec ne donne aucune information sur l’origine ethnique des cas dépistés ni sur la catégorie d’exposition. La Colombie-Britannique, quant à elle, ne transmet pas d’information sur l’origine ethnique des nouveaux cas.

Ces dernières années, le gouvernement du Canada a élaboré le Cadre d’action pancanadien sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, suivi du Plan d’action quinquennal sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang.

Bien que ce plan d’action soit bien accueilli par beaucoup de personnes, ses coûts n’ont pas été calculés et ses objectifs n’ont pas été précisés; cependant, des investissements précis dans la lutte contre le VIH-sida sont réclamés depuis longtemps par les nombreux organismes consultés lors de la préparation de cette motion.

Selon une analyse du Réseau juridique canadien VIH-sida, dès 2004, lors du lancement de l’Initiative fédérale de lutte contre le VIH-sida au Canada, le gouvernement de l’époque a pris l’engagement d’augmenter le financement jusqu’à 85 millions de dollars spécifiquement pour cette maladie. Or, cet engagement n’a pas été respecté et le Canada n’a atteint cette cible de financement à aucun moment par la suite.

En juin 2019, le Comité permanent de la santé de l’autre endroit a recommandé que le gouvernement s’engage fermement à consacrer un financement de 100 millions de dollars par année spécifiquement à la lutte contre le VIH-sida au Canada. Le rapport du comité est resté sans réponse. Le gouvernement a publié son plan d’action le mois suivant, mais celui-ci ne comportait aucun engagement en ce sens.

Pourtant, le VIH-sida coûte cher à l’État canadien, chers collègues. Selon des informations de la Société canadienne du sida, pour chaque citoyen infecté, les coûts directs et indirects s’élèvent à 1,3 million de dollars.

Pour les gens de ma génération, le coronavirus nous rappelle la tragédie du début des années 1980, lorsque cet ennemi terrible et invisible, le VIH-sida, a fait ses premières victimes au Canada.

Moi-même, j’ai dû pleurer beaucoup trop d’amis chers à l’époque, trop de jeunes gens qui ont souffert de discrimination, d’isolement et de préjugés; certains sont morts sans le soutien de leur famille et de leur communauté.

Si je prends la parole aujourd’hui, chers collègues, c’est aussi en mémoire de mon meilleur ami Bernard, scénographe réputé, auteur et acteur, dont la carrière a été interrompue trop vite. C’est en pensant à mon ancien collègue Pierre LeBlanc, talentueux réalisateur à Radio-Canada Acadie, qui est parti trop tôt.

Je prends la parole également pour mon compatriote acadien Daniel, qui lutte avec détermination pour sa survie aujourd’hui. Je pense à cette mère monoparentale décédée trop jeune, laissant ses jeunes enfants sans parent.

Enfin, je prends la parole pour ces travailleurs et travailleuses de la santé et ces nombreux bénévoles qui accompagnent les patients atteints du VIH-sida depuis plus de quatre décennies, et qui ont besoin d’être mieux appuyés.

Chers collègues, il y a peut-être autour de vous aujourd’hui des gens qui sont porteurs de ce virus et qui ne le savent toujours pas. Il y a peut-être aussi autour de vous des gens qui sont séropositifs, qui le savent et qui n’osent pas en parler, de peur d’être rejetés.

En effet, encore aujourd’hui en 2020, vivre avec le VIH-sida, cela signifie vivre avec la peur du rejet et de la discrimination. Malgré les traitements, vivre avec le VIH en 2020, cela signifie aussi parfois vivre avec une bombe à retardement à l’intérieur de soi. C’est le sentiment de beaucoup de gens qui sont porteurs du VIH-sida.

Il faut reconnaître que le Canada a fait d’importants progrès depuis 40 ans. C’est vrai. L’arrivée des traitements a permis de prolonger la vie de nombreux patients. Or, nous devons admettre qu’aucun vaccin n’a encore été trouvé à ce jour...

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénateur Cormier. Votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Cormier [ + ]

Deux minutes?

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Cormier, vous pouvez poursuivre votre discours.

Le sénateur Cormier [ + ]

Il faut reconnaître que le Canada a fait d’importants progrès, comme je le disais. Or, nous devons admettre qu’aucun vaccin n’a encore été trouvé à ce jour et que trop de jeunes Canadiennes et Canadiens continuent d’être infectés par cet horrible virus.

C’est notamment dû aux lacunes en matière de prévention et de sensibilisation au sujet du virus. Les problèmes concernant l’éducation sexuelle dans les écoles au pays et les tabous qui subsistent au sujet de la maladie nuisent à l’éradication du VIH-sida.

Plus que jamais, chers collègues, nous réalisons que la santé est le plus précieux des cadeaux. Le Canada doit continuer son engagement envers les objectifs 90-90-90 et l’éradication de cette maladie d’ici 2030. C’est pour cette raison que je propose l’adoption de la motion à l’étude, qui demande des mesures concrètes du gouvernement du Canada, en cette Journée mondiale du sida 2020.

Merci, meegwetch.

Je prends la parole en ce 1er décembre, Journée mondiale du sida, pour soutenir la motion no 44 présentée par le sénateur Cormier et demandant au gouvernement du Canada d’agir et d’atteindre les objectifs 90-90-90. L’idée était de faire en sorte que, avant la fin de 2020, soit dans 30 jours, 90 % des personnes infectées par le VIH soient diagnostiquées, que 90 % des personnes infectées reçoivent des traitements antirétroviraux et que 90 % de ces personnes puissent obtenir une suppression virale amenant le nombre de virus dans leur sang à des niveaux indétectables, empêchant ainsi toute nouvelle propagation du VIH.

Je suis désolée de devoir affirmer que ces objectifs pour une accélération des traitements ne seront pas atteints par la plupart des pays.

Le sénateur Cormier a bien expliqué la situation actuelle du VIH-sida au Canada et la nécessité d’une stratégie fédérale solide et adéquatement financée pour y répondre. Je suis entièrement d’accord avec lui et je veux souligner les points qu’il a soulevés au sujet de la protection des populations les plus vulnérables au pays qui sont touchées de façon disproportionnée par cette pandémie catastrophique qui dure depuis longtemps. J’ai l’intention d’exprimer brièvement mon appui à la motion et de nous inciter à également prendre le temps d’examiner nos engagements internationaux et les impacts qu’a la pandémie de COVID-19 sur la pandémie de sida à l’échelle mondiale.

Chers collègues, au petit matin du 8 avril 1982, à la lumière d’une lanterne au kérosène, à l’hôpital Kanye Adventist, à Kanye, au Botswana, avec l’assistance de sages-femmes très compétentes, j’ai donné naissance à un joli bébé, ma troisième fille, Lindelwa Naledi. Naledi signifie étoile et Lindelwa, la personne que j’attendais. Au même moment, de nombreuses autres femmes à travers ce pays de l’Afrique subsaharienne et les pays voisins donnaient naissance à leur précieuse enfant. Nous étions loin de nous douter de ce que l’avenir leur réservait, en particulier au chapitre de la santé.

Notre famille a déménagé de nouveau au Canada lorsque notre Lindi était encore bébé. Mis à part les maladies affligeant couramment les enfants et les adultes, Lindi jouit d’une bonne santé. Malheureusement, les autres filles nées ce rare soir pluvieux d’avril au pays désertique du Botswana appartiennent à l’une des pires catégories de statistiques sur le SIDA. En 2019, 26,3 % de toutes les femmes âgées de 15 à 49 ans au Botswana étaient infectées par le VIH.

Pourriez-vous imaginer si plus du quart de nos enfants, pris collectivement, étaient infectés par le VIH?

En l’an 2000, un adolescent de 15 ans au Botswana avait une probabilité supérieure à 50 % de mourir d’une maladie liée au SIDA. Entre 1999 et 2005, le Botswana a perdu près de 17 % de sa main-d’œuvre dans le domaine de la santé en raison du SIDA.

Selon le rapport de l’organisation ONUSIDA intitulé Prevailing Against Pandemics by Putting People at the Centre publié la semaine dernière, 38 millions de personnes à l’échelle mondiale sont actuellement atteintes du VIH, dont 12 millions sont en attente de traitements nécessaires à leur survie. En 2019, 1,7 million de personnes ont été nouvellement infectées par le VIH, et 690 000 personnes dans le monde sont décédées des suites du sida.

Dans le cadre d’une conversation et d’une correspondance subséquente que j’ai eues récemment avec Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada aux Nations Unies, ancien envoyé spécial de l’ONU pour le VIH-sida en Afrique, fondateur de la fondation Stephen Lewis et cofondateur et codirecteur de l’organisme AIDS-Free Word, M. Lewis a dit ceci :

Il est vraiment nécessaire de souligner les conséquences de la COVID-19. On ne parle pas seulement d’un nombre effarant de décès supplémentaires en raison de la perturbation des services, mais aussi du fait que le monde avait déjà du retard sur les cibles 90-90-90 avant même l’arrivée de la pandémie. Maintenant, il en a encore plus. Les personnes atteintes de maladies infectieuses comme le VIH et la tuberculose font maintenant partie des dommages collatéraux de la pandémie de COVID-19. Le défi, comme toujours, c’est le financement. De plus en plus, l’aide financière internationale va à la lutte contre la COVID, ce qui nuit considérablement aux efforts de lutte contre le VIH. Les services communautaires sur le terrain sont particulièrement durement touchés.

Les investissements dans les programmes de lutte contre le VIH et les leçons tirées de la réponse des communautés au VIH ont vraiment renforcé la lutte contre la COVID. Les militants et les communautés touchées par le VIH se sont mobilisés afin de défendre les gains réalisés contre le VIH pour protéger les personnes atteintes du VIH et les autres groupes vulnérables et lutter contre le coronavirus.

Par ailleurs, le récent rapport de l’ONUSIDA suggère que pour remettre sur la bonne voie les efforts mondiaux de lutte contre le VIH, nous devrions adopter une nouvelle série de cibles pour 2025 et que, si nous parvenons à les atteindre, nous pourrons remplir l’objectif de développement durable 3.3, à savoir mettre fin à la pandémie de sida d’ici 2030.

Il s’agit de cibles globales visant à corriger les injustices liées aux répercussions du VIH, de la COVID-19 et d’autres pandémies sur les personnes les plus à risque et marginalisées. Ces cibles accordent la priorité à ces personnes, soit les jeunes femmes et filles, des jeunes filles comme celles nées la nuit où notre Lindi est venue au monde en Afrique subsaharienne, les adolescents, les travailleurs du sexe, les transgenres, les personnes qui s’injectent des drogues, les homosexuels et d’autres hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes.

Chers collègues, le 25 novembre, des personnes partout dans le monde ont souligné la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ce qui a lancé la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe.

Il existe un lien important, mais pas souvent mentionné, entre la violence fondée sur le sexe — et plus particulièrement la violence sexuelle — et le VIH-sida.

Durant les élections de 2008 au Zimbabwe, un nombre incalculable de femmes associées aux partis de l’opposition ont été violées par des voyous engagés par le président de l’époque, Robert Mugabe, qui voulait montrer son pouvoir.

Nous savons que la violence sexuelle favorise la propagation du VIH. Durant le génocide rwandais en 1994, les miliciens hutus de l’Interahamwe ont ciblé intentionnellement et brutalement un grand nombre de femmes tutsies en les soumettant à de la violence sexuelle. Une étude réalisée en 2001 a indiqué que 70 % des survivantes de ces viols commis pendant le génocide étaient séropositives. J’ai rendu visite à certaines de ces femmes qui tentaient de rebâtir leur vie et celle de leurs enfants au Rwanda. De tels exemples d’utilisation du viol comme arme et de transmission intentionnelle du VIH sont très préoccupants et ils nécessitent une attention particulière.

Retournons maintenant au Botswana pour quelques développements prometteurs, après ces exemples douloureux et horribles de transmission du VIH.

En 2002, le Botswana a été le premier pays d’Afrique à offrir gratuitement un traitement antirétroviral aux personnes atteintes du VIH.

En Afrique subsaharienne, le Botswana et l’Eswatini, le pays qu’on appelait auparavant Swaziland, ont atteint la cible 90-90-90, et à l’heure actuelle, le Botswana arrive à couvrir presque les deux tiers des dépenses correspondantes avec ses ressources internes.

Le Zimbabwe, le Cambodge, la Thaïlande, la Suisse, les Pays-Bas, l’Australie, le Royaume-Uni et le Danemark sont aussi en bonne voie d’atteindre la cible 90-90-90, s’ils ne l’ont pas déjà fait. Bien entendu, plusieurs pays sont en retard.

Comme le sénateur Cormier l’a dit, il est choquant de constater que le Canada en fait partie. Nous y avons observé une hausse marquée des nouvelles infections au cours des quatre dernières années pour lesquelles nous avons des statistiques. De plus, on estime que 14 % des personnes qui vivent avec le VIH au Canada ignorent même qu’elles sont infectées. Les Autochtones représentent 9,6 % de toutes les personnes atteintes du VIH au Canada, et la population carcérale du pays a aussi un taux d’infection disproportionnellement élevé.

Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Cormier et j’appuie sans réserve sa motion exhortant le gouvernement du Canada à évaluer le coût de mise en œuvre de son plan d’action quinquennal sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, à fixer des cibles nationales de lutte contre le VIH-sida et à s’engager à augmenter le financement de l’Initiative fédérale de lutte contre le VIH/sida au Canada. Je demande toutefois au Sénat d’élargir la portée de ces discussions pour tenir compte des engagements du Canada envers les autres pays.

Comme l’a dit Winnie Byanyima, directrice exécutive de l’ONUSIDA, dans un rapport récent :

Nul pays ne parviendra à vaincre les deux pandémies, celles du VIH et de la COVID-19, en faisant cavalier seul. De tels problèmes mondiaux ne peuvent être réglés qu’au moyen d’une solidarité planétaire et d’une responsabilité partagée.

Lorsque l’Assemblée générale des Nations unies tiendra sa réunion de haut niveau en juin 2021, le Canada et d’autres pays membres auront une occasion en or de réitérer leur engagement à mettre fin à la pandémie de sida et de se mobiliser à nouveau.

Je vais citer une dernière fois une partie des échanges que j’ai récemment eus avec Stephen Lewis à propos de la motion no 44 :

Oui, le débat portera essentiellement sur le sida au Canada. C’est bien entendu. Le Canada pourrait toutefois se faire un champion de l’aide humanitaire sur la scène internationale s’il prenait les devants et mettait au point des mesures de soutien ciblées pour les pays à faible revenu qui sont aux prises avec des taux élevés de sida.

Honorables sénateurs, soyons solidaires envers les personnes atteintes du VIH-sida au Canada et à l’étranger, montrons notre engagement envers les personnes les plus à risque de contracter le VIH-sida partout dans le monde et honorons la mémoire des 26 000 Canadiens qui sont décédés des suites du VIH-Sida. Ce chiffre représente plus de la moitié du nombre de Canadiens morts au front lors de la Seconde Guerre mondiale. Honorons également la mémoire des 32 millions de personnes à qui ce véritable fléau a enlevé la vie en adoptant cette motion et en nous engageant à en faire beaucoup plus et à faire nettement mieux en cette Journée mondiale du sida. Merci, wela’loq.

L’honorable Larry W. Campbell [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion du sénateur Cormier concernant le financement fédéral du Plan d’action quinquennal du gouvernement du Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang.

Le sénateur a présenté les faits et les chiffres concernant l’état actuel du VIH-sida au Canada. La sénatrice Coyle nous a présenté des faits bouleversants sur la situation en Afrique.

La pandémie actuelle est une bonne occasion de demander des réponses du gouvernement. Bien que le nombre de décès liés au VIH-sida ait diminué au Canada et dans les pays développés au cours des 40 dernières années, nous ne devrions pas oublier que c’est encore une maladie mortelle incurable.

Il y a quarante ans, je suis devenu le coroner de Vancouver. Je me souviens très bien de la panique qui s’était emparée du service des coroners, de la profession médicale et des premiers intervenants parce que de jeunes hommes qui semblaient en bonne santé dépérissaient et souffraient de complications liées à une maladie inconnue. Ils mourraient en grand nombre, et certains étaient horriblement défigurés. La panique, la peur, le harcèlement des hommes gais et la discrimination étaient monnaie courante. Certains salons funéraires ne voulaient pas venir prendre les corps dans ma morgue. Les enquêteurs comme moi ne portaient habituellement que des gants. Nous ne savions pas du tout à quoi nous avions affaire, et la société a réagi d’une façon dont nous devrions avoir honte. Chaque jour, et parfois plusieurs fois par jour, nous trouvions des hommes étendus seuls dans une maison de chambres, sans personne autour.

Bien que le traitement antirétroviral ait fait diminuer le taux de décès, la maladie demeure incurable. Il y a 40 ans — si peu de temps —, nous étions dans l’ignorance totale. La communauté gaie de Vancouver a pris les choses en main. Elle a commencé à faire des recherches afin de comprendre ce qui se passait, d’où ce mal venait et comment il se répandait. Elle est intervenue pour que personne ne soit isolé. Elle était là pour les personnes mourantes.

À un moment donné, un journaliste m’a téléphoné pour me transmettre des informations selon lesquelles une personne dans la communauté des sidéens aidait les malades à mourir. Je suis allé rencontrer cet homme et je lui ai dit : « Peu importe ce que vous me direz, vous n’avez pas fait cela. » Telle était la situation dans laquelle nous nous trouvions. C’était aussi grave.

Certes, il y a lieu de se réjouir du fait que le taux de décès a chuté, mais il faut demeurer vigilant sur le plan de la recherche et du traitement. Le Canada a été un chef de file dans le domaine des médicaments antirétroviraux. Mais nous sommes loin derrière les autres pays du G7 en ce qui a trait à l’élimination de nouvelles infections. Comme l’a affirmé la sénatrice Coyle, des pays d’Afrique, qui n’ont pas les ressources dont nous disposons, ont entrepris de s’attaquer à ce fléau pour leurs citoyens et les citoyens du monde.

Bien que le médicament permette à bon nombre de personnes atteintes de mener une vie relativement normale, il n’est pas sans risque ni sans complications. Il est faux de croire que le VIH-sida n’est plus une maladie mortelle du fait du rétrovirus. Rien n’a changé, sauf que nous avons trouvé un médicament qui garde les gens en vie. Il ne fait toutefois pas disparaître la maladie, ni les complications.

Il est trop tôt pour relâcher les efforts. Je sais que nous sommes au milieu d’une autre pandémie mortelle, celle de la COVID, pour laquelle nous aurons bientôt un vaccin, je crois. Du côté du VIH-sida, 40 ans ont passé, et nous n’avons toujours ni remède, ni vaccin.

Honorables sénateurs, il n’est pas nécessaire de se concentrer soit sur une maladie, soit sur l’autre. Nous pouvons faire mieux. Nous devons intervenir et exiger — une simple demande ne suffit plus, il faut exiger — que le gouvernement mette en œuvre le plan d’action quinquennal. Sinon, nous serons encore aux prises avec le VIH-sida une fois la COVID disparue.

J’encourage vivement tous les sénateurs à appuyer la motion à l’étude. Merci.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

Haut de page