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Dossier des demandeurs d’asile — le Canada a besoin de solutions, pas de sémantique : sénatrice Omidvar

Il n’y a pas que le mercure qui grimpe cet été : la pression et la rhétorique entourant les demandeurs d’asile sont aussi à la hausse. Il y a d’abord eu escarmouche entre le nouveau gouvernement ontarien de Doug Ford et les libéraux fédéraux de Justin Trudeau pour savoir qui encaisserait la facture des services fournis aux demandeurs d’asile. À la suite de cette prise de bec, Ottawa a décidé (en anglais seulement) d’emprunter une voie inhabituelle en traitant directement avec la Ville de Toronto, qui doit jongler avec les questions de refuge et de logement. Puis, il y a eu un nouveau ministre au Cabinet, Bill Blair (en anglais seulement), maintenant chargé du dossier frontalier. Enfin, il y a eu à la Chambre des communes une réunion d’urgence d’un comité qui tenait davantage du théâtre politique que de la recherche de solutions.

Où cela va-t-il mener? Est-ce seulement de la politique? Est-ce l’effet du mercure? Sommes-nous réellement confrontés à une crise ou est-ce seulement un problème (en anglais seulement)? Devrions-nous dire des demandeurs d’asile venant des États-Unis qu’ils sont « irréguliers » ou « illégaux »? L’une des visions est-elle plus canadienne que l’autre?

Aussi cruciales que ces questions puissent être pour certaines personnes, la question qui tue est plutôt : que peut faire le Canada?

À court terme, le Canada doit veiller à ce que les Canadiens aient confiance dans le système. Peu importe le nombre de demandeurs d’asile qui entrent au Canada, il est essentiel de démontrer que notre système fonctionne, que la situation soit ordinaire ou extraordinaire.

Pour y parvenir, nous devons respecter nos lois ainsi que les conventions internationales auxquelles nous faisons parties. Nous devons démontrer, par des actions et non seulement par des paroles, que « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » ont préséance, quelles que soient les circonstances.

L’unique solution passe par un renouvellement de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’institution chargée de déterminer l’admissibilité des demandes d’asile. La Commission doit disposer des ressources nécessaires pour entendre les demandes, ce qui veut dire qu’elle doit être en mesure d’embaucher et de former plus de juges, et rapidement. Un rapport récent déposé par Neil Yates, ancien sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, propose quelque 65 solutions, certaines de nature très générale et d’autres d’application progressive. Le gouvernement doit décider sans délai des recommandations qu’il adoptera. Des ressources doivent aussi être accordées pour l’immigration, les services frontaliers et la GRC, ne serait-ce que temporairement, pour garantir en amont un traitement efficace des demandes qui évitera les attentes interminables.

En parallèle, nous devons poursuivre nos démarches pour véhiculer des informations exactes sur notre système d’asile, que ce soit aux États-Unis ou dans les pays d’origine comme le Nigeria. Rhétorique mise à part, le nombre de demandeurs d’asile qui entrent au Canada est à la baisse depuis le début de l’année, et nos efforts de communication y sont peut-être pour quelque chose.

À moyen terme, le Canada doit examiner sérieusement ses politiques. Nos politiques d’immigration témoignent en effet d’un parti pris en faveur d’immigrants hautement qualifiés. Cependant, une économie a besoin de toutes sortes de travailleurs, surtout dans un pays comme le nôtre où certains emplois ne trouvent pas preneur parce que personne ne s’y intéresse ou ne s’y intéresse assez longtemps. Le temps est donc venu d’envisager la création d’un nouveau volet d’immigration qui ouvrira la porte à ceux qui, sans être des réfugiés, fuient la pauvreté abjecte de leurs pays et dont la main-d’œuvre comblera des besoins criants dans notre économie.

Une autre solution à moyen terme consiste à voir l’immigration comme un « triple avantage » (en anglais seulement), c’est-à-dire une situation dont tous les acteurs – pays d’origine, pays d’accueil et immigrants – sortent gagnants. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Les grands perdants pourraient bien être les pays d’origine victimes d’un exode des cerveaux, leurs travailleurs qualifiés éduqués décidant de s’expatrier. Il est toutefois possible de renverser cette tendance en investissant dans les systèmes et les établissements d’enseignement des pays d’origine traditionnels afin d’y former les gens selon les normes en vigueur dans les pays d’accueil. Cela vient hausser le capital humain des pays d’origine et facilite l’intégration rapide au marché de l’emploi pour ceux qui choisissent d’immigrer, en leur évitant les obstacles habituels à l’accréditation. Surtout, cela laisse un héritage de capital éducatif et humain dans les pays d’origine.

À long terme, le Canada et d’autres pays devraient reconnaître que l’immigration est un phénomène planétaire. Le meilleur moyen de prévenir l’immigration irrégulière est d’assurer la sécurité et la prospérité des pays d’origine, pour eux-mêmes et pour le monde.

Cela veut dire faire des investissements dans l’infrastructure, les secteurs locaux et l’éducation qui vont bien au-delà de la définition traditionnelle de l’aide humanitaire, afin que les débouchés et la justice triomphent de la pauvreté et de l’oppression. Nous devons aussi repenser la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui récompense les produits fabriqués à moindre coût et qui, dans un pays où les travailleurs sont oppressés, les pousse souvent à chercher une meilleure vie, et parfois à se joindre à la file de demandeurs d’asile. Voilà le meilleur moyen d’assurer la sécurité de notre frontière. 

La sénatrice Ratna Omidvar représente l’Ontario. Elle est professeure émérite invitée à l’Université Ryerson et vice-présidente du Comité sénatorial spécial sur le secteur caritatif.

Cet article est paru dans l’édition en ligne du vendredi 27 juillet 2018 du Huffington Post (en anglais seulement).

Il n’y a pas que le mercure qui grimpe cet été : la pression et la rhétorique entourant les demandeurs d’asile sont aussi à la hausse. Il y a d’abord eu escarmouche entre le nouveau gouvernement ontarien de Doug Ford et les libéraux fédéraux de Justin Trudeau pour savoir qui encaisserait la facture des services fournis aux demandeurs d’asile. À la suite de cette prise de bec, Ottawa a décidé (en anglais seulement) d’emprunter une voie inhabituelle en traitant directement avec la Ville de Toronto, qui doit jongler avec les questions de refuge et de logement. Puis, il y a eu un nouveau ministre au Cabinet, Bill Blair (en anglais seulement), maintenant chargé du dossier frontalier. Enfin, il y a eu à la Chambre des communes une réunion d’urgence d’un comité qui tenait davantage du théâtre politique que de la recherche de solutions.

Où cela va-t-il mener? Est-ce seulement de la politique? Est-ce l’effet du mercure? Sommes-nous réellement confrontés à une crise ou est-ce seulement un problème (en anglais seulement)? Devrions-nous dire des demandeurs d’asile venant des États-Unis qu’ils sont « irréguliers » ou « illégaux »? L’une des visions est-elle plus canadienne que l’autre?

Aussi cruciales que ces questions puissent être pour certaines personnes, la question qui tue est plutôt : que peut faire le Canada?

À court terme, le Canada doit veiller à ce que les Canadiens aient confiance dans le système. Peu importe le nombre de demandeurs d’asile qui entrent au Canada, il est essentiel de démontrer que notre système fonctionne, que la situation soit ordinaire ou extraordinaire.

Pour y parvenir, nous devons respecter nos lois ainsi que les conventions internationales auxquelles nous faisons parties. Nous devons démontrer, par des actions et non seulement par des paroles, que « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » ont préséance, quelles que soient les circonstances.

L’unique solution passe par un renouvellement de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’institution chargée de déterminer l’admissibilité des demandes d’asile. La Commission doit disposer des ressources nécessaires pour entendre les demandes, ce qui veut dire qu’elle doit être en mesure d’embaucher et de former plus de juges, et rapidement. Un rapport récent déposé par Neil Yates, ancien sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, propose quelque 65 solutions, certaines de nature très générale et d’autres d’application progressive. Le gouvernement doit décider sans délai des recommandations qu’il adoptera. Des ressources doivent aussi être accordées pour l’immigration, les services frontaliers et la GRC, ne serait-ce que temporairement, pour garantir en amont un traitement efficace des demandes qui évitera les attentes interminables.

En parallèle, nous devons poursuivre nos démarches pour véhiculer des informations exactes sur notre système d’asile, que ce soit aux États-Unis ou dans les pays d’origine comme le Nigeria. Rhétorique mise à part, le nombre de demandeurs d’asile qui entrent au Canada est à la baisse depuis le début de l’année, et nos efforts de communication y sont peut-être pour quelque chose.

À moyen terme, le Canada doit examiner sérieusement ses politiques. Nos politiques d’immigration témoignent en effet d’un parti pris en faveur d’immigrants hautement qualifiés. Cependant, une économie a besoin de toutes sortes de travailleurs, surtout dans un pays comme le nôtre où certains emplois ne trouvent pas preneur parce que personne ne s’y intéresse ou ne s’y intéresse assez longtemps. Le temps est donc venu d’envisager la création d’un nouveau volet d’immigration qui ouvrira la porte à ceux qui, sans être des réfugiés, fuient la pauvreté abjecte de leurs pays et dont la main-d’œuvre comblera des besoins criants dans notre économie.

Une autre solution à moyen terme consiste à voir l’immigration comme un « triple avantage » (en anglais seulement), c’est-à-dire une situation dont tous les acteurs – pays d’origine, pays d’accueil et immigrants – sortent gagnants. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Les grands perdants pourraient bien être les pays d’origine victimes d’un exode des cerveaux, leurs travailleurs qualifiés éduqués décidant de s’expatrier. Il est toutefois possible de renverser cette tendance en investissant dans les systèmes et les établissements d’enseignement des pays d’origine traditionnels afin d’y former les gens selon les normes en vigueur dans les pays d’accueil. Cela vient hausser le capital humain des pays d’origine et facilite l’intégration rapide au marché de l’emploi pour ceux qui choisissent d’immigrer, en leur évitant les obstacles habituels à l’accréditation. Surtout, cela laisse un héritage de capital éducatif et humain dans les pays d’origine.

À long terme, le Canada et d’autres pays devraient reconnaître que l’immigration est un phénomène planétaire. Le meilleur moyen de prévenir l’immigration irrégulière est d’assurer la sécurité et la prospérité des pays d’origine, pour eux-mêmes et pour le monde.

Cela veut dire faire des investissements dans l’infrastructure, les secteurs locaux et l’éducation qui vont bien au-delà de la définition traditionnelle de l’aide humanitaire, afin que les débouchés et la justice triomphent de la pauvreté et de l’oppression. Nous devons aussi repenser la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui récompense les produits fabriqués à moindre coût et qui, dans un pays où les travailleurs sont oppressés, les pousse souvent à chercher une meilleure vie, et parfois à se joindre à la file de demandeurs d’asile. Voilà le meilleur moyen d’assurer la sécurité de notre frontière. 

La sénatrice Ratna Omidvar représente l’Ontario. Elle est professeure émérite invitée à l’Université Ryerson et vice-présidente du Comité sénatorial spécial sur le secteur caritatif.

Cet article est paru dans l’édition en ligne du vendredi 27 juillet 2018 du Huffington Post (en anglais seulement).

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