Stephen Greene
GSC - Nouvelle-Écosse (Halifax - La Citadelle)
Quand les gens me demandent où je vis, je dis bien sûr « Halifax » et ils me répondent habituellement que je suis très chanceux. Autrefois, je rétorquais sur un ton plutôt défensif : « Eh bien, ça s’améliore, » même si je n’en étais pas certain. Aujourd’hui, je réponds avec optimisme : « Oui, et ça s’améliore continuellement ! »
Il n’y a pas de doute que c’est ce que l’on ressent à Halifax. Au cours des dernières années, sur l’horizon de la ville sont apparues des grues comme on n’en a jamais vu auparavant. Cet investissement s’explique par une confiance renouvelée dans l’avenir de la ville. La nouvelle architecture est fort impressionnante et nous rend fiers.
L’investissement dans la ville est sûrement une anomalie quand on examine les sombres statistiques régionales que nous connaissons presque par cœur : une population vieillissante, la réduction des services de santé, la faible immigration, la migration de sortie, une croissance démographique stagnante, des frais de scolarité élevés au niveau universitaire, des salaires élevés dans le secteur public, des impôts élevés, une forte dette publique, un salaire minimum élevé, et une bureaucratie gouvernementale excessive.
Bref, la croissance de la ville, qui est bien réelle, semble se produire malgré ce qui se passe autour d’elle.
Ou peut-être s’explique-t-elle par les faibles taux de croissance aux abords de la ville. Comme les habitants des Maritimes ne veulent jamais quitter leur région, ils convergent vers Halifax, leur dernier espoir, avant d’aller voir ailleurs. Halifax peut-elle être un moteur de croissance pour toute la région ?
Il y a trente ans, quand l’industrie du poisson de fond était florissante et que les usines de transformation fonctionnaient à longueur d’année dans les régions côtières et y attiraient une main-d’œuvre permanente, la population d’Halifax équivalait à moins du tiers de celle de la province; aujourd’hui, elle en représente environ la moitié et elle continue d’augmenter. La croissance de la ville est stimulée par la migration de gens venus non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, surtout de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du‑Prince‑Édouard.
Halifax est en pleine croissance, mais pas la région.
Avec ces éléments pour toile de fond et à la lumière de mes propres sentiments optimistes au sujet de l’avenir d’Halifax, j’ai lu récemment le livre du professeur Donald Savoie intitulé Looking for Bootstraps: Economic Development in the Maritimes [traduction : Chercher à se prendre en main : Le développement économique dans les Maritimes]. Soulignons le titre du livre. Tout d’abord, le mot « Bootstraps » (expression « se débrouiller seul »). Il demande ce que les habitants des Maritimes peuvent faire d’eux‑mêmes — pour prendre la situation en main sans attendre qu’Ottawa prenne l’initiative.
Ensuite, nous lisons les mots « in the Maritimes » (dans les Maritimes). Il ne dit pas « au Canada atlantique », et il ne choisit pas ces mots à la légère. Le professeur Savoie précise que l’expression « Canada atlantique » a été inventée par Ottawa et qu’elle n’a aucune origine régionale. En nous mettant tous dans le même panier, le gouvernement fédéral a moins de mal à nous gérer.
Les Maritimes correspondent à notre région naturelle, selon le professeur Savoie – elles ont la même histoire, la même culture, la même géographie, la même économie, les mêmes gens, les mêmes problèmes et peut-être aussi les mêmes solutions – et elles regroupent trois provinces.
Son analyse renforce ma conviction qu’un ingrédient manque dans nos plans de développement économique : il nous faut voir dans la région des Maritimes une seule entité, et trouver des façons de fusionner, de coordonner et d’offrir des services publics à l’intérieur des trois provinces en nous donnant pour objectif d’agir de concert tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région.
Cela pourrait entraîner des gains de productivité grâce à la diminution des coûts du gouvernement par habitant et de la réduction des impôts, ce qui suscitera l’investissement.
Ceux qui veulent savoir comment nous en sommes venus là où nous sommes aujourd’hui auraient avantage à lire ce livre. Le professeur Savoie décrit comment nous avons été mis de côté dans les années qui ont suivi la Confédération, alors que les débouchés étaient saisis par le Canada central. Comme notre région était divisée en trois provinces, elles se sont bousculées pour s’approprier les restes.
Il décrit en détail l’occasion manquée du canal de Chignectou qui aurait relié le détroit de Northumberland à la baie de Fundy et qui aurait énormément stimulé le commerce; or, le projet a échoué en raison d’une querelle entre le Nouveau‑Brunswick et la Nouvelle‑Écosse.
Il y a environ 75 ans, Ottawa a commencé à nous attribuer tous les ans des fonds de développement économique qui ont donné lieu, pendant des décennies, à des subsides versés par le Ministère de l'Expansion économique régionale, le Ministère de l'Expansion industrielle régionale et l’Agence de promotion économique du Canada atlantique et à des subventions motivées par des intérêts politiques.
Le professeur Savoie souligne que le méli-mélo des programmes fédéraux de développement n’a pas fonctionné, c’est pourquoi il fait maintenant la promotion de modèles axés sur la croissance communautaire.
Un de ces modèles s’apparenterait à ce que Jim Meek a récemment proposé dans ce journal (en anglais seulement), c’est-à-dire la recommandation d’investir dans des services informels tels que des voies cyclables urbaines et des pistes de randonnée pour attirer des emplois et des investissements, dans le secteur des technologies de pointe, qui redéfiniraient Halifax comme étant une ville « intelligente ».
Nous devons aussi investir pour accroître l’immigration et les soins de santé, stimuler l’éducation postsecondaire, multiplier les incubateurs de démarrage d’entreprises, recourir davantage à la formule du paiement par l’utilisateur et réduire la bureaucratie gouvernementale, autant de mesures recommandées par Ray Ivany.
La région doit chercher des moyens novateurs d’acquérir un avantage compétitif qui attirera de nouvelles entreprises et de nouvelles ressources humaines. Comme les budgets et les dettes des provinces laissent très peu de marge de manœuvre aux premiers ministres provinciaux, le moment est peut-être venu de songer à des idées non conventionnelles pour regonfler les voiles de notre économie.
Voici une idée folle :
Je constate que l’APECA dépense environ 225 millions de dollars par année dans notre région, sans compter des frais administratifs de 75 millions de dollars. Ces sommes, qui nous viennent des contribuables canadiens, équivalent donc à environ 300 millions de dollars et elles profitent aux quelques entreprises qui obtiennent les subventions et les prêts. Parallèlement, toutes les entreprises de la région versent à peu près 900 millions en taxes d’entreprise.
Ne donnerions-nous pas un bon élan à la région si nous nous débarrassions de l’APECA, qui ne profite qu’à quelques-uns, et si nous l’échangions contre une réduction du tiers des impôts fédéraux payés par les entreprises ? Cette solution serait avantageuse pour tout le monde.
Cette solution ne coûterait absolument rien de plus au trésor fédéral et elle attirerait de nouveaux investissements et de nouvelles entreprises, tout en stimulant les entreprises établies peu importe leurs tailles.
Les idées non orthodoxes telles que celle-ci profiteraient à toutes les entreprises de la région et elles pourraient aussi confirmer la croissance d’Halifax, car la ville compte de très nombreuses sociétés commerciales. Nous devrions commencer à percevoir le potentiel d’Halifax comme un moteur de croissance pour toute la région et faire tout ce que nous pouvons pour renforcer cette croissance.
Si notre croissance est surtout entretenue par la population de la région, elle risque d’avoir des limites.
Au risque de faire preuve d’optimisme, ce qui est un état presque fatal dans les Maritimes, je pose les questions suivantes : « Ce qui se passe à Halifax représente-t-il un changement de paradigme ? Halifax est-elle en train de « décoller », pour reprendre l’ancienne expression de Walt Rostow ? La croissance de la ville commencera-t-elle à se perpétuer d’elle-même, pour engendrer un phénomène continu qui se propagera au profit de toute la région ? »
Halifax se « prend-elle en main » régionalement, comme Savoie le voulait ?
Le sénateur Stephen Greene représente la Nouvelle-Écosse.
Le présent article a paru pour la première fois dans le numéro du 23 août 2017 du journal The Chronicle Herald (en anglais seulement).