Le projet de pipeline Trans Mountain est un bon coup politique, mais une politique mal avisée : sénatrice Galvez
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Sait-on bien pourquoi les Canadiens — et même les Albertains — devraient soutenir le projet de pipeline Trans Mountain?
Je n’en suis pas certaine.
Le Sénat débat sur le projet de loi d’intérêt public S-245, Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain. Ce projet de loi, rédigé par mon collègue le sénateur Doug Black, vise à déclarer que le projet de pipeline Trans Mountain est d’intérêt général pour le Canada.
J’ai soulevé certaines questions durant mon discours en deuxième lecture la semaine dernière.
Selon moi, le projet de pipeline Trans Mountain comporte trois grandes lacunes : la sous‑estimation des enjeux environnementaux, la surestimation des retombées économiques et le manque de consultation des peuples autochtones.
Le pipeline de Kinder Morgan a 60 ans et a clairement besoin d’être remplacé. Cependant, le projet triplerait la capacité quotidienne du pipeline à 890 000 barils et augmenterait le nombre de pétroliers de près de 700 % dans le port de Vancouver, là où s’étendent des centaines de kilomètres de plages, d’îles et de littoral sauvage.
Par ailleurs, le pipeline transporterait du bitume dilué, qui est très différent des autres pétroles bruts, ce qui entraînerait des modifications à la réglementation sur les plans d’intervention et de nettoyage en cas de déversement.
Les promoteurs des pipelines disent qu’ils sont sécuritaires à 99,9 %, mais le pipeline Trans Mountain a déversé environ 5,5 millions de litres dans 82 incidents survenus au cours de sa vie. Peut‑on blâmer les gens en Colombie-Britannique de vouloir protéger leurs eaux côtières?
Ne nous laissons pas influencer non plus par les discours sur les retombées économiques.
La baisse des investissements dans les combustibles fossiles est de plus en plus préoccupante pour les entreprises liées aux sables bitumineux. Le fonds souverain de la Norvège, d’une valeur d’un billion de dollars, s’apprête à se dessaisir de toutes ses participations dans le secteur des combustibles fossiles, ce qui pourrait malmener le cours des actions canadiennes de pétrole et de gaz, qui valent 2,86 milliards de dollars américains. Cette décision pourrait toucher 61 capitalisations boursières canadiennes du secteur, dont Suncor, TransCanada, Enbridge, Canadian Natural Resources Ltd., Encana, Cenovus et Imperial Oil.
Durant ce temps, les producteurs étrangers qui exploitent les sables bitumineux, dont ConocoPhillips Co., Royal Dutch Shell PLC et Statoil ASA, ont liquidé près de 30 milliards de dollars d’actions. De plus, la principale banque d’Europe, la HSBC, a annoncé récemment qu’elle ne financerait plus les projets d’exploitation des sables bitumineux.
L’économie albertaine est en croissance. Ce n’est pas grâce au pétrole, mais plutôt à l’agriculture et l’agroalimentaire, à l’énergie renouvelable, au tourisme et à l’immobilier. Il est clair qu’une économie diversifiée est profitable à l’Alberta. Une croissance fondée sur de nombreux domaines est essentielle à la stabilité économique à long terme. Même les pétrolières se départissent de leurs actions dans le secteur.
L’Agence internationale de l’énergie a indiqué que les États-Unis pourraient devenir un exportateur net de pétrole et le principal producteur mondial de pétrole et de gaz au cours des prochaines décennies. Le Canada n’a pas la capacité de raffiner les sables bitumineux. Les sables bitumineux issus de l’Alberta, une province enclavée, sont un pétrole non conventionnel qui exige des capacités de raffinage particulières. Peuvent-ils concurrencer les pétroles bruts classiques américains, qui sont plus faciles à raffiner?
Certaines Premières Nations contestent la légalité du projet de pipeline, car son tracé empiète sur leur territoire traditionnel.
Comme mon collègue le sénateur Murray Sinclair l’a dit, les peuples autochtones ne soutiennent peut-être pas le pipeline comme on a voulu le croire. À une époque où nous sommes censés chercher à nous réconcilier avec les peuples autochtones, il semble contre-productif d’envoyer de la machinerie lourde sur leurs terres sans leur consentement.
On verrait l’histoire se répéter. Dans une décision récente, la Cour d’appel fédérale a indiqué que le gouvernement n’avait pas agi dans l’intérêt de la bande indienne Coldwater en ne modernisant pas la décision de 1952, ce qui a permis la construction du pipeline Trans Mountain dans la réserve. Pouvons-nous blâmer les peuples autochtones d’exiger des consultations approfondies et des conditions justes avant d’accorder leur consentement?
Le projet de loi S-245 a maintenant été renvoyé au Comité sénatorial des transports et des communications. Cette décision me rend perplexe, puisque le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a le mandat de mener une étude sur les pipelines. Les comités des affaires juridiques et constitutionnelles et des peuples autochtones devraient aussi donner leur avis sur le projet de loi.
Étant donné que les pétrolières vendent leurs actions dans le secteur, que les États-Unis vont sans doute devenir un exportateur net de pétrole, que le Canada ne possède pas de capacités de raffinage des sables bitumineux, que les acheteurs potentiels en Asie se tournent vers l’énergie renouvelable, que les raffineries et les entreprises liées aux pipelines au Canada appartiennent à des intérêts étrangers et que la diversification de l’économie albertaine est sur la bonne voie, le désir d’aller de l’avant avec le projet de pipeline est-il une politique avisée?
Ou s’agit-il simplement d’un bon coup politique?
La sénatrice Rosa Galvez, Ph. D., ing., représente la division de Bedford au Québec. Elle fait partie des principaux experts canadiens en matière de contrôle de la pollution et préside le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles
Cet article a été publié le 18 avril 2018 dans le Hill Times (en anglais seulement).
Sait-on bien pourquoi les Canadiens — et même les Albertains — devraient soutenir le projet de pipeline Trans Mountain?
Je n’en suis pas certaine.
Le Sénat débat sur le projet de loi d’intérêt public S-245, Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain. Ce projet de loi, rédigé par mon collègue le sénateur Doug Black, vise à déclarer que le projet de pipeline Trans Mountain est d’intérêt général pour le Canada.
J’ai soulevé certaines questions durant mon discours en deuxième lecture la semaine dernière.
Selon moi, le projet de pipeline Trans Mountain comporte trois grandes lacunes : la sous‑estimation des enjeux environnementaux, la surestimation des retombées économiques et le manque de consultation des peuples autochtones.
Le pipeline de Kinder Morgan a 60 ans et a clairement besoin d’être remplacé. Cependant, le projet triplerait la capacité quotidienne du pipeline à 890 000 barils et augmenterait le nombre de pétroliers de près de 700 % dans le port de Vancouver, là où s’étendent des centaines de kilomètres de plages, d’îles et de littoral sauvage.
Par ailleurs, le pipeline transporterait du bitume dilué, qui est très différent des autres pétroles bruts, ce qui entraînerait des modifications à la réglementation sur les plans d’intervention et de nettoyage en cas de déversement.
Les promoteurs des pipelines disent qu’ils sont sécuritaires à 99,9 %, mais le pipeline Trans Mountain a déversé environ 5,5 millions de litres dans 82 incidents survenus au cours de sa vie. Peut‑on blâmer les gens en Colombie-Britannique de vouloir protéger leurs eaux côtières?
Ne nous laissons pas influencer non plus par les discours sur les retombées économiques.
La baisse des investissements dans les combustibles fossiles est de plus en plus préoccupante pour les entreprises liées aux sables bitumineux. Le fonds souverain de la Norvège, d’une valeur d’un billion de dollars, s’apprête à se dessaisir de toutes ses participations dans le secteur des combustibles fossiles, ce qui pourrait malmener le cours des actions canadiennes de pétrole et de gaz, qui valent 2,86 milliards de dollars américains. Cette décision pourrait toucher 61 capitalisations boursières canadiennes du secteur, dont Suncor, TransCanada, Enbridge, Canadian Natural Resources Ltd., Encana, Cenovus et Imperial Oil.
Durant ce temps, les producteurs étrangers qui exploitent les sables bitumineux, dont ConocoPhillips Co., Royal Dutch Shell PLC et Statoil ASA, ont liquidé près de 30 milliards de dollars d’actions. De plus, la principale banque d’Europe, la HSBC, a annoncé récemment qu’elle ne financerait plus les projets d’exploitation des sables bitumineux.
L’économie albertaine est en croissance. Ce n’est pas grâce au pétrole, mais plutôt à l’agriculture et l’agroalimentaire, à l’énergie renouvelable, au tourisme et à l’immobilier. Il est clair qu’une économie diversifiée est profitable à l’Alberta. Une croissance fondée sur de nombreux domaines est essentielle à la stabilité économique à long terme. Même les pétrolières se départissent de leurs actions dans le secteur.
L’Agence internationale de l’énergie a indiqué que les États-Unis pourraient devenir un exportateur net de pétrole et le principal producteur mondial de pétrole et de gaz au cours des prochaines décennies. Le Canada n’a pas la capacité de raffiner les sables bitumineux. Les sables bitumineux issus de l’Alberta, une province enclavée, sont un pétrole non conventionnel qui exige des capacités de raffinage particulières. Peuvent-ils concurrencer les pétroles bruts classiques américains, qui sont plus faciles à raffiner?
Certaines Premières Nations contestent la légalité du projet de pipeline, car son tracé empiète sur leur territoire traditionnel.
Comme mon collègue le sénateur Murray Sinclair l’a dit, les peuples autochtones ne soutiennent peut-être pas le pipeline comme on a voulu le croire. À une époque où nous sommes censés chercher à nous réconcilier avec les peuples autochtones, il semble contre-productif d’envoyer de la machinerie lourde sur leurs terres sans leur consentement.
On verrait l’histoire se répéter. Dans une décision récente, la Cour d’appel fédérale a indiqué que le gouvernement n’avait pas agi dans l’intérêt de la bande indienne Coldwater en ne modernisant pas la décision de 1952, ce qui a permis la construction du pipeline Trans Mountain dans la réserve. Pouvons-nous blâmer les peuples autochtones d’exiger des consultations approfondies et des conditions justes avant d’accorder leur consentement?
Le projet de loi S-245 a maintenant été renvoyé au Comité sénatorial des transports et des communications. Cette décision me rend perplexe, puisque le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a le mandat de mener une étude sur les pipelines. Les comités des affaires juridiques et constitutionnelles et des peuples autochtones devraient aussi donner leur avis sur le projet de loi.
Étant donné que les pétrolières vendent leurs actions dans le secteur, que les États-Unis vont sans doute devenir un exportateur net de pétrole, que le Canada ne possède pas de capacités de raffinage des sables bitumineux, que les acheteurs potentiels en Asie se tournent vers l’énergie renouvelable, que les raffineries et les entreprises liées aux pipelines au Canada appartiennent à des intérêts étrangers et que la diversification de l’économie albertaine est sur la bonne voie, le désir d’aller de l’avant avec le projet de pipeline est-il une politique avisée?
Ou s’agit-il simplement d’un bon coup politique?
La sénatrice Rosa Galvez, Ph. D., ing., représente la division de Bedford au Québec. Elle fait partie des principaux experts canadiens en matière de contrôle de la pollution et préside le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles
Cet article a été publié le 18 avril 2018 dans le Hill Times (en anglais seulement).