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Sénateur Seidman : Où est le règlement sur le vapotage qui doit protéger les adolescents contre la publicité qui les cible?

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Tout a commencé un soir où j’ai fait une petite course au dépanneur du coin en revenant chez moi.

J’attendais pour payer quand une grande affiche publicitaire colorée a capté mon attention. « MAKE THE SWITCH » (« Passez à Juul »), invitait l’annonce de l’entreprise qui vend des produits de vapotage à base de nicotine.

La publicité qui était affichée juste à côté était encore plus alléchante : elle offrait aux nouveaux clients 25 $ de rabais sur une trousse de départ pour le vapotage.

J’étais consternée. J’avais bien déjà vu des publicités pour le vapotage auparavant, mais je venais de me rendre compte que les adolescentes qui me suivaient dans la file fixaient elles aussi ces annonces.

Comment en sommes‑nous arrivés là?

Nous savons que la nicotine est une substance très toxique qui cause une dépendance. Nous avons passé des décennies et dépensé des milliards de dollars de fonds publics à mettre sur pied des campagnes antitabac et d’autres grands programmes de santé publique pour inciter les gens à arrêter de fumer et à réduire leur consommation de nicotine.

Et pourtant, une étude réalisée récemment par le professeur David Hammond de l’Université de Waterloo a révélé que le vapotage a presque doublé chez les jeunes Canadiens, passant de 8 % à 15 % de 2017 à 2018.

En effet, le Dr Robert K. Jackler, professeur à l’Université de Stanford, a présenté devant le sous-comité sur les politiques en matière d’économie et de consommation (en anglais seulement) de la Chambre des représentants des États‑Unis un témoignage au cours duquel il a déclaré (en anglais seulement) que « le facteur qui a probablement contribué le plus au succès de Juul auprès des jeunes est la manière dont le produit a été commercialisé. Au début, la mise en marché de Juul visait manifestement les jeunes. Cela a suscité un engouement chez les adolescents, puis entraîné la promotion de Juul entre les jeunes dans les médias sociaux s’adressant à eux, surtout Instagram. »

Il a été avancé que les campagnes de publicité et de mise en marché des entreprises comme Juul ont eu une grande influence sur l’épidémie de vapotage qui sévit chez les adolescents.

Au Canada, le problème actuel est l’absence de règlement qui limiterait la publicité ou obligerait les entreprises à indiquer si leurs produits de vapotage contiennent ou non de la nicotine. Le projet de règlement sur l’étiquetage et l’emballage des produits de vapotage a été publié dans la Gazette du Canada le 22 juin 2019.

Avant l’adoption par le Parlement du projet de loi S‑5, Loi sur le tabac et les produits de vapotage, il y a plus d’un an, j’ai soulevé au cours des débats au Sénat plusieurs préoccupations entourant la publicité et la mise en marché des produits de vapotage, en particulier auprès des jeunes. J’ai même tenté d’amender le projet de loi afin de limiter toute publicité jusqu’à ce que la réglementation soit rédigée.

Le gouvernement a plutôt choisi d’attendre et de régler ces problèmes seulement dans la réglementation. Mais, le processus réglementaire est beaucoup trop lent.

En effet, la plupart du temps, les règlements sont rédigés des mois après l’adoption d’une loi. Ils font l’objet d’audiences publiques et sont examinés par d’autres ministères avant d’être enfin publiés. La rédaction des règlements n’est visée par aucun délai fixe obligatoire. Il faut parfois des années pour qu’un règlement soit rédigé, approuvé et publié.

Ainsi, pendant que le gouvernement organise des consultations, qu’il discute de la réglementation et qu’il la rédige, l’industrie dispose de peu d’information pour orienter ses pratiques, si ce n’est que d’un texte de loi élémentaire. Pendant que nous attendons, des pratiques comme la mise en marché de vapoteuses et de cigarettes électroniques auprès des enfants s’installent et deviennent courantes.

En 2018, après la légalisation du cannabis, le même problème s’est posé à propos de la mise en marché de cette substance. Même si la loi interdit de promouvoir les produits du cannabis auprès des jeunes, elle autorise la publicité destinée aux adultes, l’emploi de couleurs et de logos, et même la promotion de l’image de marque et la commandite de produits qui ne proviennent pas du cannabis.

Santé Canada a finalement publié le règlement sur les produits de cannabis comestibles (y compris les boissons) ainsi que les produits pour usage topique et sous forme d’extrait – qui seront en vente au cours de l’hiver –, mais ce règlement est ambigu et donne peu de précisions sur la publicité, l’emballage et la mise en marché. Là encore, la majeure partie de l’interprétation est laissée au soin de l’industrie.

Par exemple, le règlement exige que les produits de cannabis comestibles soient vendus dans des emballages neutres et à l’épreuve des enfants, et qu’ils ne soient pas attirants pour les jeunes. Toutefois, je crois qu’il est difficile de trouver un enfant qui ne soit pas attiré par des oursons en gélatine ou des sucettes de gâteau.

En prenant trop de temps pour réglementer les vapoteuses et les cigarettes électroniques, le gouvernement obtiendra le même résultat inquiétant : la normalisation de la commercialisation de produits bourrés de nicotine auprès des enfants.

Ainsi, ce dont j’ai été témoin au dépanneur du coin un soir d’été m’amène à me demander : en faisons-nous assez pour garder ces produits à risque élevé hors de la portée de nos enfants?

Et sinon, quel genre de culture sommes-nous en train de créer pour eux?


Le sénateur Judith G. Seidman a été vice‑présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie à la fin de la 42e législature. Elle représente la région De la Durantaye, au Québec.

Cet article a été publié le 17 septembre 2019 dans le journal Toronto Star (en anglais seulement).

Tout a commencé un soir où j’ai fait une petite course au dépanneur du coin en revenant chez moi.

J’attendais pour payer quand une grande affiche publicitaire colorée a capté mon attention. « MAKE THE SWITCH » (« Passez à Juul »), invitait l’annonce de l’entreprise qui vend des produits de vapotage à base de nicotine.

La publicité qui était affichée juste à côté était encore plus alléchante : elle offrait aux nouveaux clients 25 $ de rabais sur une trousse de départ pour le vapotage.

J’étais consternée. J’avais bien déjà vu des publicités pour le vapotage auparavant, mais je venais de me rendre compte que les adolescentes qui me suivaient dans la file fixaient elles aussi ces annonces.

Comment en sommes‑nous arrivés là?

Nous savons que la nicotine est une substance très toxique qui cause une dépendance. Nous avons passé des décennies et dépensé des milliards de dollars de fonds publics à mettre sur pied des campagnes antitabac et d’autres grands programmes de santé publique pour inciter les gens à arrêter de fumer et à réduire leur consommation de nicotine.

Et pourtant, une étude réalisée récemment par le professeur David Hammond de l’Université de Waterloo a révélé que le vapotage a presque doublé chez les jeunes Canadiens, passant de 8 % à 15 % de 2017 à 2018.

En effet, le Dr Robert K. Jackler, professeur à l’Université de Stanford, a présenté devant le sous-comité sur les politiques en matière d’économie et de consommation (en anglais seulement) de la Chambre des représentants des États‑Unis un témoignage au cours duquel il a déclaré (en anglais seulement) que « le facteur qui a probablement contribué le plus au succès de Juul auprès des jeunes est la manière dont le produit a été commercialisé. Au début, la mise en marché de Juul visait manifestement les jeunes. Cela a suscité un engouement chez les adolescents, puis entraîné la promotion de Juul entre les jeunes dans les médias sociaux s’adressant à eux, surtout Instagram. »

Il a été avancé que les campagnes de publicité et de mise en marché des entreprises comme Juul ont eu une grande influence sur l’épidémie de vapotage qui sévit chez les adolescents.

Au Canada, le problème actuel est l’absence de règlement qui limiterait la publicité ou obligerait les entreprises à indiquer si leurs produits de vapotage contiennent ou non de la nicotine. Le projet de règlement sur l’étiquetage et l’emballage des produits de vapotage a été publié dans la Gazette du Canada le 22 juin 2019.

Avant l’adoption par le Parlement du projet de loi S‑5, Loi sur le tabac et les produits de vapotage, il y a plus d’un an, j’ai soulevé au cours des débats au Sénat plusieurs préoccupations entourant la publicité et la mise en marché des produits de vapotage, en particulier auprès des jeunes. J’ai même tenté d’amender le projet de loi afin de limiter toute publicité jusqu’à ce que la réglementation soit rédigée.

Le gouvernement a plutôt choisi d’attendre et de régler ces problèmes seulement dans la réglementation. Mais, le processus réglementaire est beaucoup trop lent.

En effet, la plupart du temps, les règlements sont rédigés des mois après l’adoption d’une loi. Ils font l’objet d’audiences publiques et sont examinés par d’autres ministères avant d’être enfin publiés. La rédaction des règlements n’est visée par aucun délai fixe obligatoire. Il faut parfois des années pour qu’un règlement soit rédigé, approuvé et publié.

Ainsi, pendant que le gouvernement organise des consultations, qu’il discute de la réglementation et qu’il la rédige, l’industrie dispose de peu d’information pour orienter ses pratiques, si ce n’est que d’un texte de loi élémentaire. Pendant que nous attendons, des pratiques comme la mise en marché de vapoteuses et de cigarettes électroniques auprès des enfants s’installent et deviennent courantes.

En 2018, après la légalisation du cannabis, le même problème s’est posé à propos de la mise en marché de cette substance. Même si la loi interdit de promouvoir les produits du cannabis auprès des jeunes, elle autorise la publicité destinée aux adultes, l’emploi de couleurs et de logos, et même la promotion de l’image de marque et la commandite de produits qui ne proviennent pas du cannabis.

Santé Canada a finalement publié le règlement sur les produits de cannabis comestibles (y compris les boissons) ainsi que les produits pour usage topique et sous forme d’extrait – qui seront en vente au cours de l’hiver –, mais ce règlement est ambigu et donne peu de précisions sur la publicité, l’emballage et la mise en marché. Là encore, la majeure partie de l’interprétation est laissée au soin de l’industrie.

Par exemple, le règlement exige que les produits de cannabis comestibles soient vendus dans des emballages neutres et à l’épreuve des enfants, et qu’ils ne soient pas attirants pour les jeunes. Toutefois, je crois qu’il est difficile de trouver un enfant qui ne soit pas attiré par des oursons en gélatine ou des sucettes de gâteau.

En prenant trop de temps pour réglementer les vapoteuses et les cigarettes électroniques, le gouvernement obtiendra le même résultat inquiétant : la normalisation de la commercialisation de produits bourrés de nicotine auprès des enfants.

Ainsi, ce dont j’ai été témoin au dépanneur du coin un soir d’été m’amène à me demander : en faisons-nous assez pour garder ces produits à risque élevé hors de la portée de nos enfants?

Et sinon, quel genre de culture sommes-nous en train de créer pour eux?


Le sénateur Judith G. Seidman a été vice‑présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie à la fin de la 42e législature. Elle représente la région De la Durantaye, au Québec.

Cet article a été publié le 17 septembre 2019 dans le journal Toronto Star (en anglais seulement).

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