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Un parallèle déplorable : Sénateur Pratte

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De la sortie du maire de Québec [le mardi 22 août], on a surtout retenu qu'il envoyait paître les extrémistes (à Lévis ou à Trois-Rivières...) et qu'il souhaitait l'interdiction des cagoules et autres masques et voiles dans l'espace public. Certains en ont ri, d'autres ont applaudi ou s'en sont offusqués. Mais, outre le ministre de la Santé Gaétan Barrette, rares sont ceux qui se sont attardés à ce qui me semble être la déclaration la plus déplorable du long point de presse donné par M. Labeaume : le parallèle qu'il a tracé entre les manifestants cagoulés et les femmes portant la burqa.

«Pour moi, la cagoule d'un casseur de la bande de Jaggi Singh et le niqab et la burqa, c'est la même affaire (...) Ça braque les gens. Ça les dégoûte. Ça les agresse (...) Burqa ou cagoule, pour moi c'est pareil, pareil, pareil », a dit le maire. De tels propos, si peu nuancés, sont proprement scandaleux dans la bouche du dirigeant d'une grande ville. Surtout venant d'un maire qui, il y a six mois à peine, condamnait l'intolérance à l'égard des musulmans à la suite d'un attentat ayant fait six morts dans la grande mosquée de sa ville.

Les cagoulards qui manifestaient à Québec dimanche se couvrent le visage pour mieux commettre leurs méfaits. Cela leur permet, en toute impunité, de détruire le mobilier urbain, de fracasser des vitrines, de s'en prendre aux policiers et même de molester des passants. 

Or, quel est le crime des femmes portant la burqa ? «Le niqab et la burqa sont des gestes politiques des hommes (qui) utilisent leurs femmes pour les poser», dit le maire de Québec. C'est une vision des choses. Toutefois, chacun sait que la réalité est plus complexe. Chose certaine, les femmes elles-mêmes ne commettent aucun crime . Elles ne sont extrémistes qu'en une chose : leur discrétion. Nul doute que cela provoque un fort malaise chez beaucoup de Québécois. Mais le maire doit-il cautionner ce malaise, ce «dégoût», ou n'a-t-il pas plutôt le devoir de mettre les choses en perspective ? En commençant par rappeler que des femmes portant une burqa ou un niqab, à Québec, il y en a... combien, au juste ? Et qu'avant de les mettre dans le même bain trouble que les lanceurs de briques, on pourrait à tout le moins chercher à les mieux connaître.

Régis Labeaume voudrait interdire les masques, cagoules et autres burqas dans l'espace public. Pour ce qui est des masques et cagoules lors des manifestations, qu'attend-il ? Rien ne l'empêche d'agir lui-même. Il est vrai que les règlements municipaux qui allaient en ce sens ont été invalidés par les tribunaux (Québec en 2005, Montréal en 2016), mais seulement parce qu'ils interdisaient de couvrir son visage en toutes circonstances. Les deux jugements rendus en Cour supérieure laissent clairement entendre qu'un règlement plus circonscrit, qui interdirait le port d'un masque lors de manifestations troublant l'ordre public, serait avalisé.

Quant à la burqa et au niqab, le maire Labeaume est apparemment séduit par la «solution» adoptée en France, où le voile intégral est interdit sur la place publique depuis 2010. Pourtant, il ne semble pas que la promulgation de cette loi a entraîné une diminution du port du voile - environ 300 cas par année - encore moins qu'elle a diminué les tensions identitaires. Qui veut échanger notre situation pour celle de la France? Bref, la solution facile n'existe pas.

Les questions des cagoules et de la burqa sont fondamentalement distinctes. La première relève des règlements municipaux et du Code criminel, des conseils municipaux et de la police : à M. Labeaume de prendre l'initiative. La seconde a déjà fait couler une quantité phénoménale d'encre compte tenu de l'ampleur du «problème» au Québec. Chose certaine, elle nécessite d'être abordée avec doigté et nuances. Contrairement à ce qu'a dit le maire mardi, il ne s'agit pas d'éviter un tel sujet ou de se plier à un supposé discours «bien-pensant» ; il s'agit seulement de parler et d'agir de façon responsable.

Natif de Québec, visiteur fréquent et toujours amoureux de la capitale, j'aurais aimé que le maire saisisse l'occasion de cette longue sortie pour discuter du sujet avec toute l'intelligence dont il est capable. En laissant la démagogie prendre le dessus, il n'a certainement pas effrayé les anarchistes cagoulés. Cependant, qui sait quel tort il a fait aux relations déjà difficiles entre de nombreux Québécois «de souche» et leurs compatriotes musulmans ?


Le sénateur André Pratte représente De Salaberry, Québec. Il est membre du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, du Comité sénatorial des finances nationales, ainsi que le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts.

Avis aux lecteurs : L’honorable André Pratte est retraité du Sénat du Canada depuis octobre 2019. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

Cet article a été publié le 23 août, 2017 dans le journal le Quotidien.

De la sortie du maire de Québec [le mardi 22 août], on a surtout retenu qu'il envoyait paître les extrémistes (à Lévis ou à Trois-Rivières...) et qu'il souhaitait l'interdiction des cagoules et autres masques et voiles dans l'espace public. Certains en ont ri, d'autres ont applaudi ou s'en sont offusqués. Mais, outre le ministre de la Santé Gaétan Barrette, rares sont ceux qui se sont attardés à ce qui me semble être la déclaration la plus déplorable du long point de presse donné par M. Labeaume : le parallèle qu'il a tracé entre les manifestants cagoulés et les femmes portant la burqa.

«Pour moi, la cagoule d'un casseur de la bande de Jaggi Singh et le niqab et la burqa, c'est la même affaire (...) Ça braque les gens. Ça les dégoûte. Ça les agresse (...) Burqa ou cagoule, pour moi c'est pareil, pareil, pareil », a dit le maire. De tels propos, si peu nuancés, sont proprement scandaleux dans la bouche du dirigeant d'une grande ville. Surtout venant d'un maire qui, il y a six mois à peine, condamnait l'intolérance à l'égard des musulmans à la suite d'un attentat ayant fait six morts dans la grande mosquée de sa ville.

Les cagoulards qui manifestaient à Québec dimanche se couvrent le visage pour mieux commettre leurs méfaits. Cela leur permet, en toute impunité, de détruire le mobilier urbain, de fracasser des vitrines, de s'en prendre aux policiers et même de molester des passants. 

Or, quel est le crime des femmes portant la burqa ? «Le niqab et la burqa sont des gestes politiques des hommes (qui) utilisent leurs femmes pour les poser», dit le maire de Québec. C'est une vision des choses. Toutefois, chacun sait que la réalité est plus complexe. Chose certaine, les femmes elles-mêmes ne commettent aucun crime . Elles ne sont extrémistes qu'en une chose : leur discrétion. Nul doute que cela provoque un fort malaise chez beaucoup de Québécois. Mais le maire doit-il cautionner ce malaise, ce «dégoût», ou n'a-t-il pas plutôt le devoir de mettre les choses en perspective ? En commençant par rappeler que des femmes portant une burqa ou un niqab, à Québec, il y en a... combien, au juste ? Et qu'avant de les mettre dans le même bain trouble que les lanceurs de briques, on pourrait à tout le moins chercher à les mieux connaître.

Régis Labeaume voudrait interdire les masques, cagoules et autres burqas dans l'espace public. Pour ce qui est des masques et cagoules lors des manifestations, qu'attend-il ? Rien ne l'empêche d'agir lui-même. Il est vrai que les règlements municipaux qui allaient en ce sens ont été invalidés par les tribunaux (Québec en 2005, Montréal en 2016), mais seulement parce qu'ils interdisaient de couvrir son visage en toutes circonstances. Les deux jugements rendus en Cour supérieure laissent clairement entendre qu'un règlement plus circonscrit, qui interdirait le port d'un masque lors de manifestations troublant l'ordre public, serait avalisé.

Quant à la burqa et au niqab, le maire Labeaume est apparemment séduit par la «solution» adoptée en France, où le voile intégral est interdit sur la place publique depuis 2010. Pourtant, il ne semble pas que la promulgation de cette loi a entraîné une diminution du port du voile - environ 300 cas par année - encore moins qu'elle a diminué les tensions identitaires. Qui veut échanger notre situation pour celle de la France? Bref, la solution facile n'existe pas.

Les questions des cagoules et de la burqa sont fondamentalement distinctes. La première relève des règlements municipaux et du Code criminel, des conseils municipaux et de la police : à M. Labeaume de prendre l'initiative. La seconde a déjà fait couler une quantité phénoménale d'encre compte tenu de l'ampleur du «problème» au Québec. Chose certaine, elle nécessite d'être abordée avec doigté et nuances. Contrairement à ce qu'a dit le maire mardi, il ne s'agit pas d'éviter un tel sujet ou de se plier à un supposé discours «bien-pensant» ; il s'agit seulement de parler et d'agir de façon responsable.

Natif de Québec, visiteur fréquent et toujours amoureux de la capitale, j'aurais aimé que le maire saisisse l'occasion de cette longue sortie pour discuter du sujet avec toute l'intelligence dont il est capable. En laissant la démagogie prendre le dessus, il n'a certainement pas effrayé les anarchistes cagoulés. Cependant, qui sait quel tort il a fait aux relations déjà difficiles entre de nombreux Québécois «de souche» et leurs compatriotes musulmans ?


Le sénateur André Pratte représente De Salaberry, Québec. Il est membre du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, du Comité sénatorial des finances nationales, ainsi que le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts.

Avis aux lecteurs : L’honorable André Pratte est retraité du Sénat du Canada depuis octobre 2019. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

Cet article a été publié le 23 août, 2017 dans le journal le Quotidien.

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