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La sénatrice Dyck dit adieu à la Chambre rouge

La nomination de la sénatrice Lillian Eva Dyck au Sénat a marqué deux premières pour la Chambre rouge : il s’agissait de la première sénatrice des Premières Nations et de la première sénatrice d’ascendance chinoise née au Canada. Représentant sa province natale, la Saskatchewan, pendant plus de 15 ans, la sénatrice Dyck a été membre de plusieurs comités sénatoriaux. Elle a été présidente du Comité sénatorial des peuples autochtones de 2015 à 2019. Scientifique primée, avant d’arriver au Sénat, elle a été professeure titulaire en neuropsychiatrie et doyenne associée du College of Graduate Studies and Research de l’Université de la Saskatchewan.

La sénatrice Dyck a été une championne des peuples autochtones du Canada, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chambre haute, et elle a passé la majeure partie de sa carrière de sénatrice à sensibiliser les gens à la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées.

Avant son départ à la retraite en août 2020, SenCAplus lui a demandé de revenir sur son expérience au Sénat.


Extrait d’un article du magazine Focus montrant la sénatrice Lillian Eva Dyck qui examine une séparation sur gel d’enzymes métabolisant l’alcool qui proviennent d’échantillons de racines de cheveux humains.

Vous avez été nommée au Sénat en 2005 sur recommandation de l’ancien premier ministre Paul Martin. Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu l’appel à ce sujet?

C’était totalement inattendu. Mon assistante a pris un message et a collé sur l’écran de mon ordinateur une note sur un papier ‘post-it’ disant : « Appelle le premier ministre! » Je me suis dit, bon sang, si le premier ministre a appelé, mon assistante aurait pu interrompre ma réunion et me demander de sortir. J’ai donc appelé le bureau du premier ministre et on m’a dit que j’étais nommée au Sénat et que je devais dire immédiatement si j’acceptais l’offre. Je n’avais aucune idée de ce que faisait le Sénat, et je n’étais pas impliquée en politique; ça a donc été un grand choc.

Je me suis dit que cela m’était offert parce que j’étais une Autochtone titulaire d’un doctorat et que si je refusais, rien ne garantissait que pareille offre serait faite à une autre Autochtone. Voilà pourquoi j’ai décidé d’accepter. Et maintenant, je suis une des aînées au Sénat – j’ai du mal à le croire.

Vous avez un doctorat en psychiatrie biologique et, avant d’entrer au Sénat, vous avez travaillé comme neuroscientifique à l’Université de la Saskatchewan. Votre formation scientifique vous a-t-elle aidée dans votre travail de sénatrice?

Absolument. C’est la seule chose qui m’a permis de rester saine d’esprit. Je n’utilise peut-être pas les connaissances que j’avais en neurochimie, mais c’est la méthode de pensée qui m’a aidée. On pense de manière analytique, on ne saute pas trop vite aux conclusions – on fait beaucoup de recherche sur quelque chose pour avoir le plus de points de vue possible sur un problème avant de tirer des conclusions. On fait de son mieux pour être neutre.

Le fait d’être une scientifique a été un grand avantage pour moi, car il est si facile de se laisser entraîner dans des disputes où les gens s’emballent avant de connaître le fin mot d’une histoire. Je ne suis pas patiente, et ce genre de réflexion scientifique m’a aidée à rester plus stable.

Au cours de vos nombreuses années en tant que membre du Comité sénatorial des peuples autochtones, vous avez supervisé un certain nombre d’études. Quelle est l’étude dont vous êtes la plus fière?

Une étude sur laquelle j’ai beaucoup travaillé portait sur l’éducation postsecondaire, le but était d’offrir des chances égales d’éducation pour les étudiants autochtones. Cette étude de 2011 s’appelait La réforme de l’éducation chez les Premières Nations : de la crise à l’espoir. Il y était question du financement de l’éducation dans les réserves, qui est nettement inférieur à celui des écoles hors réserve; il est impossible d’obtenir la même qualité d’enseignement si l’on ne dispose pas des mêmes fonds pour les enseignants et les ressources.

La sénatrice Dyck parle avec des membres de la communauté de Délı̨nę dans les Territoires du Nord-Ouest le 11 septembre 2018, au cours d’une mission d’étude du Comité sénatorial des peuples autochtones.

On y parlait de la nécessité de modifier les programmes d’études, d’avoir des structures et des conseils scolaires pour concevoir les programmes. Pour moi, l’éducation est primordiale, car je viens d’une famille très pauvre et les chances de réussir étaient contre nous. Mais plus on est instruit, plus il est facile, en théorie, de sortir de la pauvreté et de se façonner une vie meilleure. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir aller dans une très bonne école secondaire, et certains de mes professeurs nous ont dit, à mon frère et à moi : « Vous devez vraiment aller à l’université si vous voulez réussir dans la vie. » Sans ça, nous ne l’aurions probablement pas fait.

Le tout dernier rapport que nous avons produit est très important – Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada. Je pense que 99 % des Canadiens, dont je fais partie, n’ont jamais reçu, durant toute leur scolarité, des leçons d’histoire sur les peuples autochtones et sur la vraie histoire de la colonisation du Canada, sur la façon dont les peuples autochtones d’ici ont subi le racisme de la Loi sur les Indiens, sur les mauvais traitements dont ils ont été victimes dans les pensionnats, sur le système des laissez-passer et sur le fait qu’ils ne pouvaient pas voter; les peuples autochtones ont subi tant d’injustices. Pour ce rapport, notre comité a bénéficié de la contribution d’Autochtones de partout au Canada, ainsi que d’experts et d’universitaires. Nous sommes également allés à la rencontre des gens, dans les communautés, pour recueillir leur version de l’histoire.

C’était une chose importante à faire, parce que nous semblons être sur la voie de la réconciliation, mais avant de pouvoir avancer, il faut connaître l’histoire. Sinon, c’est assez difficile de changer des pratiques ou des lois discriminatoires, parce que les gens ignorent qu’elles sont discriminatoires. De ce point de vue, c’est important.

Ce comité a participé activement au forum jeunesse « Vision autochtone au Sénat », un événement qui a eu lieu quatre fois depuis 2016. Quel est votre plus beau souvenir de ce forum jeunesse?

Je me souviens d’une jeune en particulier : Kluane Adamek, une jeune leader autochtone qui a participé à la première édition de Vision autochtone au Sénat. Maintenant, elle est la chef régionale pour le Yukon à l’Assemblée des Premières Nations. La plupart des jeunes ont parlé de leur réalité. Mme Adamek a raconté comment elle a cofondé un groupe de soutien des jeunes autochtones au Yukon après avoir perdu un proche parent qui s’était suicidé.

La sénatrice Dyck et d’autres membres du Comité sénatorial des peuples autochtones rencontrent des participants au forum jeunesse « Vision autochtone au Sénat » à l’édifice du Centre, lors de l’événement inaugural du 21 juin 2016. Kluane Adamek, de la Première Nation de Kluane, au Yukon, est à l’extrême gauche.

Il était important que nous obtenions officiellement leur point de vue et qu’il figure dans le hansard. Cela leur permettait également d’ajouter quelque chose à leur CV, pour leur ouvrir davantage de portes. C’était leur donner une chance de déployer leurs ailes, de savoir que leur opinion est suffisamment importante pour que nous voulions entendre leurs témoignages. C’était fascinant et stimulant de voir leurs réalisations et de savoir qu’ils étaient des leaders qui font bouger les choses dans le bon sens.

Je me souviens d’autres jeunes du Nunavut venus à Ottawa pour témoigner au sujet des politiques sur le logement qui étaient discriminatoires parce qu’elles favorisaient les familles au détriment des personnes seules. Les jeunes qui commencent leurs études postsecondaires sont souvent célibataires et ont eux aussi besoin d’un logement. Lorsqu’ils essaient d’en obtenir un dans le cadre des programmes existants, ils se retrouvent à la toute fin de la liste et ce n’est pas juste.

Pour moi, ce qui ressort, c’est la résilience, le dévouement et l’intelligence des jeunes autochtones. Comme ils constituent la majorité de la population autochtone du Canada, c’est de bon augure pour l’avenir. Avec tant de jeunes qui se manifestent et réclament ce qui leur revient de droit – l’égalité en matière d’éducation et de logement, le droit d’être traité équitablement –, les choses vont changer.

Comment votre identité de Canadienne d’origine crie et chinoise a-t-elle influencé votre travail au Sénat? Pouvez-vous nous donner quelques exemples?

Mon identité de Canadienne d’origine chinoise et crie était au cœur de mon travail de sénatrice. Par exemple, mon père a dû payer une taxe d’entrée pour venir de Chine. Lorsque je suis devenue sénatrice, j’ai commencé par me pencher sur les lois racistes qui étaient discriminatoires à l’endroit des Chinois, ce qui m’a amenée à travailler avec d’autres personnes pour obtenir les excuses que le gouvernement fédéral a présentées en 2006.

En ce qui concerne mon côté cri, je me suis surtout concentrée, au cours des 10 dernières années, sur la violence à l’égard des femmes et la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées (FFADA) en particulier. Je faisais partie d’un groupe, à Saskatoon, qui travaillait sur ce sujet et j’ai donc poursuivi ce travail à Ottawa. La question des FFADA a monopolisé une grande partie de mon temps.

Ma mère, qui venait de la Première Nation de George Gordon (disponible en anglais seulement), était une survivante des pensionnats. Elle a aussi perdu son statut, parce qu’elle a épousé quelqu’un qui n’était pas un Indien inscrit, donc je connaissais bien les effets de perdre de son statut. Cela m’a beaucoup aidée pour mes discours et ma compréhension du projet de loi S-3, la Loi modifiant la Loi sur les Indiens. De nombreux sénateurs pensaient que perdre son statut ce n’était pas si important, puisque les personnes concernées n’avaient de toute façon aucun lien avec la réserve. Mais ce n’est pas de notre faute – c’est le gouvernement fédéral qui nous a retiré le droit de vivre dans la réserve. Si nous n’avons pas beaucoup de liens avec la réserve, c’est parce que le gouvernement a essentiellement jeté ma mère hors de la réserve et ne nous a pas laissés y vivre, ni elle ni nous.

Et regardez le Sénat maintenant. C’est un avantage d’être Autochtone quand on veut devenir sénateur. Ils recherchent des sénateurs autochtones. Pouvez-vous le croire? J’en suis vraiment surprise. Toute ma vie, cela a toujours été un désavantage.

La sénatrice Dyck participe à la marche des Sœurs par l’esprit à Saskatoon le 4 octobre 2016.

Vous vous êtes battue avec succès afin de faire modifier un projet de loi du gouvernement en 2019 pour que les tribunaux envisagent des peines plus sévères dans les affaires de violence conjugale contre des femmes autochtones. Pourquoi la présentation de cet amendement avait-elle tant d’importance à vos yeux?

J’avais mon propre projet de loi, le projet de loi d’intérêt public du Sénat S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones). L’objectif était de faire en sorte que, dans un procès, lors de la détermination de la peine, le fait que la victime était une femme autochtone devienne une circonstance aggravante. J’ai considéré que ce n’était pas la seule façon de mettre fin à la violence contre les femmes, mais plutôt une des choses qui devaient changer en dissuadant et en dénonçant la violence contre les femmes autochtones, qui sont plus susceptibles d’être victimes de violence que les autres femmes.

Dans le Code criminel, il y a la disposition Gladue selon laquelle le tribunal doit prendre en compte les effets de la colonisation sur un délinquant autochtone – par exemple, les pensionnats et le système de protection de l’enfance – au moment de la détermination de la peine. Mais si la victime du délinquant est également autochtone, il est totalement injuste d’ignorer ses antécédents de colonisation qui l’ont rendue plus susceptible d’être victime, plus susceptible d’être assassinée, plus susceptible d’être violée ou de faire l’objet de la traite de personnes. Est-ce juste que la personne qui l’a maltraitée bénéficie d’un traitement spécial en raison des effets de la colonisation sur elle, mais pas elle, la victime? Je voyais mon projet de loi comme un moyen d’ajouter un certain équilibre dans le Code criminel et, heureusement, le rapport de l’enquête sur les FFADA a recommandé l’adoption de mon projet de loi; mais celui-ci a été rejeté à la Chambre des communes avant le dépôt du rapport.

Cependant, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi C-75, j’ai pensé que je pourrais peut‑être en amender une partie pour y intégrer les objectifs de mon projet de loi, et cela a très bien fonctionné. Lorsque le projet de loi est arrivé au Sénat, je me suis assise avec mon incroyable assistante Shaili Patel, et j’ai dit que nous devions rédiger des amendements aux dispositions de ce projet de loi se rapportant aux partenaires intimes. Ces amendements ont été acceptés et même bonifiés par le gouvernement, et maintenant ils font partie du Code criminel. Je n’arrive toujours pas à y croire. Je suis toujours sous le choc. Une recherche Google sur le Code criminel fait ressortir ces amendements, et je me dis, c’est fantastique, ce sont des changements historiques.

La sénatrice Dyck sourit aux côtés de sa voisine de siège et amie de longue date, la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas en février 2020.

Les gens affirment que le système de justice est aveugle, en voulant dire qu’il est neutre. Eh bien, je dis qu’il est aveugle devant le racisme systémique contre les peuples autochtones et la discrimination systémique contre les femmes. C’est quelque chose de profondément ancré dans le système de justice. Le fait de mentionner les femmes dans le Code criminel, et en particulier les femmes autochtones, et de considérer leur identité essentiellement comme un facteur aggravant dans la détermination de la peine, est remarquable. Ces changements viendront faire contrepoids au racisme et au sexisme systémiques du système judiciaire à l’endroit des femmes, des femmes autochtones et d’autres personnes vulnérables.

Quels conseils donneriez-vous aux sénateurs nouvellement nommés?

Vous devez faire partie d’un groupe qui vous soutient et vous aide dans votre travail, mais qui vous permet d’être indépendant. Nous sommes appelés au Sénat pour être des législateurs. Notre responsabilité première est l’examen des lois et nous devons nous concentrer sur le travail, sur ce que nous voulons faire, et ne pas abandonner. Le travail que j’ai fait dans le dossier des FFADA m’a essentiellement occupée pendant 15 ans. Il s’agit de cerner ses priorités et ses passions et de faire preuve d’une grande persévérance.

Qu’est-ce qui vous réjouit à la perspective de prendre votre retraite?

Ne plus avoir autant de responsabilités. Je serai maître de mon temps. Je pourrai faire ce que je veux et passer plus de temps avec mes amis et ma famille, tout en profitant de mes loisirs. Je suis ornithologue amatrice et j’aime beaucoup photographier les oiseaux. Je viens tout juste de m’acheter un nouvel appareil photo et j’ai hâte de l’essayer.

La sénatrice Dyck dit adieu à la Chambre rouge

La nomination de la sénatrice Lillian Eva Dyck au Sénat a marqué deux premières pour la Chambre rouge : il s’agissait de la première sénatrice des Premières Nations et de la première sénatrice d’ascendance chinoise née au Canada. Représentant sa province natale, la Saskatchewan, pendant plus de 15 ans, la sénatrice Dyck a été membre de plusieurs comités sénatoriaux. Elle a été présidente du Comité sénatorial des peuples autochtones de 2015 à 2019. Scientifique primée, avant d’arriver au Sénat, elle a été professeure titulaire en neuropsychiatrie et doyenne associée du College of Graduate Studies and Research de l’Université de la Saskatchewan.

La sénatrice Dyck a été une championne des peuples autochtones du Canada, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chambre haute, et elle a passé la majeure partie de sa carrière de sénatrice à sensibiliser les gens à la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées.

Avant son départ à la retraite en août 2020, SenCAplus lui a demandé de revenir sur son expérience au Sénat.


Extrait d’un article du magazine Focus montrant la sénatrice Lillian Eva Dyck qui examine une séparation sur gel d’enzymes métabolisant l’alcool qui proviennent d’échantillons de racines de cheveux humains.

Vous avez été nommée au Sénat en 2005 sur recommandation de l’ancien premier ministre Paul Martin. Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu l’appel à ce sujet?

C’était totalement inattendu. Mon assistante a pris un message et a collé sur l’écran de mon ordinateur une note sur un papier ‘post-it’ disant : « Appelle le premier ministre! » Je me suis dit, bon sang, si le premier ministre a appelé, mon assistante aurait pu interrompre ma réunion et me demander de sortir. J’ai donc appelé le bureau du premier ministre et on m’a dit que j’étais nommée au Sénat et que je devais dire immédiatement si j’acceptais l’offre. Je n’avais aucune idée de ce que faisait le Sénat, et je n’étais pas impliquée en politique; ça a donc été un grand choc.

Je me suis dit que cela m’était offert parce que j’étais une Autochtone titulaire d’un doctorat et que si je refusais, rien ne garantissait que pareille offre serait faite à une autre Autochtone. Voilà pourquoi j’ai décidé d’accepter. Et maintenant, je suis une des aînées au Sénat – j’ai du mal à le croire.

Vous avez un doctorat en psychiatrie biologique et, avant d’entrer au Sénat, vous avez travaillé comme neuroscientifique à l’Université de la Saskatchewan. Votre formation scientifique vous a-t-elle aidée dans votre travail de sénatrice?

Absolument. C’est la seule chose qui m’a permis de rester saine d’esprit. Je n’utilise peut-être pas les connaissances que j’avais en neurochimie, mais c’est la méthode de pensée qui m’a aidée. On pense de manière analytique, on ne saute pas trop vite aux conclusions – on fait beaucoup de recherche sur quelque chose pour avoir le plus de points de vue possible sur un problème avant de tirer des conclusions. On fait de son mieux pour être neutre.

Le fait d’être une scientifique a été un grand avantage pour moi, car il est si facile de se laisser entraîner dans des disputes où les gens s’emballent avant de connaître le fin mot d’une histoire. Je ne suis pas patiente, et ce genre de réflexion scientifique m’a aidée à rester plus stable.

Au cours de vos nombreuses années en tant que membre du Comité sénatorial des peuples autochtones, vous avez supervisé un certain nombre d’études. Quelle est l’étude dont vous êtes la plus fière?

Une étude sur laquelle j’ai beaucoup travaillé portait sur l’éducation postsecondaire, le but était d’offrir des chances égales d’éducation pour les étudiants autochtones. Cette étude de 2011 s’appelait La réforme de l’éducation chez les Premières Nations : de la crise à l’espoir. Il y était question du financement de l’éducation dans les réserves, qui est nettement inférieur à celui des écoles hors réserve; il est impossible d’obtenir la même qualité d’enseignement si l’on ne dispose pas des mêmes fonds pour les enseignants et les ressources.

La sénatrice Dyck parle avec des membres de la communauté de Délı̨nę dans les Territoires du Nord-Ouest le 11 septembre 2018, au cours d’une mission d’étude du Comité sénatorial des peuples autochtones.

On y parlait de la nécessité de modifier les programmes d’études, d’avoir des structures et des conseils scolaires pour concevoir les programmes. Pour moi, l’éducation est primordiale, car je viens d’une famille très pauvre et les chances de réussir étaient contre nous. Mais plus on est instruit, plus il est facile, en théorie, de sortir de la pauvreté et de se façonner une vie meilleure. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir aller dans une très bonne école secondaire, et certains de mes professeurs nous ont dit, à mon frère et à moi : « Vous devez vraiment aller à l’université si vous voulez réussir dans la vie. » Sans ça, nous ne l’aurions probablement pas fait.

Le tout dernier rapport que nous avons produit est très important – Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada. Je pense que 99 % des Canadiens, dont je fais partie, n’ont jamais reçu, durant toute leur scolarité, des leçons d’histoire sur les peuples autochtones et sur la vraie histoire de la colonisation du Canada, sur la façon dont les peuples autochtones d’ici ont subi le racisme de la Loi sur les Indiens, sur les mauvais traitements dont ils ont été victimes dans les pensionnats, sur le système des laissez-passer et sur le fait qu’ils ne pouvaient pas voter; les peuples autochtones ont subi tant d’injustices. Pour ce rapport, notre comité a bénéficié de la contribution d’Autochtones de partout au Canada, ainsi que d’experts et d’universitaires. Nous sommes également allés à la rencontre des gens, dans les communautés, pour recueillir leur version de l’histoire.

C’était une chose importante à faire, parce que nous semblons être sur la voie de la réconciliation, mais avant de pouvoir avancer, il faut connaître l’histoire. Sinon, c’est assez difficile de changer des pratiques ou des lois discriminatoires, parce que les gens ignorent qu’elles sont discriminatoires. De ce point de vue, c’est important.

Ce comité a participé activement au forum jeunesse « Vision autochtone au Sénat », un événement qui a eu lieu quatre fois depuis 2016. Quel est votre plus beau souvenir de ce forum jeunesse?

Je me souviens d’une jeune en particulier : Kluane Adamek, une jeune leader autochtone qui a participé à la première édition de Vision autochtone au Sénat. Maintenant, elle est la chef régionale pour le Yukon à l’Assemblée des Premières Nations. La plupart des jeunes ont parlé de leur réalité. Mme Adamek a raconté comment elle a cofondé un groupe de soutien des jeunes autochtones au Yukon après avoir perdu un proche parent qui s’était suicidé.

La sénatrice Dyck et d’autres membres du Comité sénatorial des peuples autochtones rencontrent des participants au forum jeunesse « Vision autochtone au Sénat » à l’édifice du Centre, lors de l’événement inaugural du 21 juin 2016. Kluane Adamek, de la Première Nation de Kluane, au Yukon, est à l’extrême gauche.

Il était important que nous obtenions officiellement leur point de vue et qu’il figure dans le hansard. Cela leur permettait également d’ajouter quelque chose à leur CV, pour leur ouvrir davantage de portes. C’était leur donner une chance de déployer leurs ailes, de savoir que leur opinion est suffisamment importante pour que nous voulions entendre leurs témoignages. C’était fascinant et stimulant de voir leurs réalisations et de savoir qu’ils étaient des leaders qui font bouger les choses dans le bon sens.

Je me souviens d’autres jeunes du Nunavut venus à Ottawa pour témoigner au sujet des politiques sur le logement qui étaient discriminatoires parce qu’elles favorisaient les familles au détriment des personnes seules. Les jeunes qui commencent leurs études postsecondaires sont souvent célibataires et ont eux aussi besoin d’un logement. Lorsqu’ils essaient d’en obtenir un dans le cadre des programmes existants, ils se retrouvent à la toute fin de la liste et ce n’est pas juste.

Pour moi, ce qui ressort, c’est la résilience, le dévouement et l’intelligence des jeunes autochtones. Comme ils constituent la majorité de la population autochtone du Canada, c’est de bon augure pour l’avenir. Avec tant de jeunes qui se manifestent et réclament ce qui leur revient de droit – l’égalité en matière d’éducation et de logement, le droit d’être traité équitablement –, les choses vont changer.

Comment votre identité de Canadienne d’origine crie et chinoise a-t-elle influencé votre travail au Sénat? Pouvez-vous nous donner quelques exemples?

Mon identité de Canadienne d’origine chinoise et crie était au cœur de mon travail de sénatrice. Par exemple, mon père a dû payer une taxe d’entrée pour venir de Chine. Lorsque je suis devenue sénatrice, j’ai commencé par me pencher sur les lois racistes qui étaient discriminatoires à l’endroit des Chinois, ce qui m’a amenée à travailler avec d’autres personnes pour obtenir les excuses que le gouvernement fédéral a présentées en 2006.

En ce qui concerne mon côté cri, je me suis surtout concentrée, au cours des 10 dernières années, sur la violence à l’égard des femmes et la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées (FFADA) en particulier. Je faisais partie d’un groupe, à Saskatoon, qui travaillait sur ce sujet et j’ai donc poursuivi ce travail à Ottawa. La question des FFADA a monopolisé une grande partie de mon temps.

Ma mère, qui venait de la Première Nation de George Gordon (disponible en anglais seulement), était une survivante des pensionnats. Elle a aussi perdu son statut, parce qu’elle a épousé quelqu’un qui n’était pas un Indien inscrit, donc je connaissais bien les effets de perdre de son statut. Cela m’a beaucoup aidée pour mes discours et ma compréhension du projet de loi S-3, la Loi modifiant la Loi sur les Indiens. De nombreux sénateurs pensaient que perdre son statut ce n’était pas si important, puisque les personnes concernées n’avaient de toute façon aucun lien avec la réserve. Mais ce n’est pas de notre faute – c’est le gouvernement fédéral qui nous a retiré le droit de vivre dans la réserve. Si nous n’avons pas beaucoup de liens avec la réserve, c’est parce que le gouvernement a essentiellement jeté ma mère hors de la réserve et ne nous a pas laissés y vivre, ni elle ni nous.

Et regardez le Sénat maintenant. C’est un avantage d’être Autochtone quand on veut devenir sénateur. Ils recherchent des sénateurs autochtones. Pouvez-vous le croire? J’en suis vraiment surprise. Toute ma vie, cela a toujours été un désavantage.

La sénatrice Dyck participe à la marche des Sœurs par l’esprit à Saskatoon le 4 octobre 2016.

Vous vous êtes battue avec succès afin de faire modifier un projet de loi du gouvernement en 2019 pour que les tribunaux envisagent des peines plus sévères dans les affaires de violence conjugale contre des femmes autochtones. Pourquoi la présentation de cet amendement avait-elle tant d’importance à vos yeux?

J’avais mon propre projet de loi, le projet de loi d’intérêt public du Sénat S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones). L’objectif était de faire en sorte que, dans un procès, lors de la détermination de la peine, le fait que la victime était une femme autochtone devienne une circonstance aggravante. J’ai considéré que ce n’était pas la seule façon de mettre fin à la violence contre les femmes, mais plutôt une des choses qui devaient changer en dissuadant et en dénonçant la violence contre les femmes autochtones, qui sont plus susceptibles d’être victimes de violence que les autres femmes.

Dans le Code criminel, il y a la disposition Gladue selon laquelle le tribunal doit prendre en compte les effets de la colonisation sur un délinquant autochtone – par exemple, les pensionnats et le système de protection de l’enfance – au moment de la détermination de la peine. Mais si la victime du délinquant est également autochtone, il est totalement injuste d’ignorer ses antécédents de colonisation qui l’ont rendue plus susceptible d’être victime, plus susceptible d’être assassinée, plus susceptible d’être violée ou de faire l’objet de la traite de personnes. Est-ce juste que la personne qui l’a maltraitée bénéficie d’un traitement spécial en raison des effets de la colonisation sur elle, mais pas elle, la victime? Je voyais mon projet de loi comme un moyen d’ajouter un certain équilibre dans le Code criminel et, heureusement, le rapport de l’enquête sur les FFADA a recommandé l’adoption de mon projet de loi; mais celui-ci a été rejeté à la Chambre des communes avant le dépôt du rapport.

Cependant, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi C-75, j’ai pensé que je pourrais peut‑être en amender une partie pour y intégrer les objectifs de mon projet de loi, et cela a très bien fonctionné. Lorsque le projet de loi est arrivé au Sénat, je me suis assise avec mon incroyable assistante Shaili Patel, et j’ai dit que nous devions rédiger des amendements aux dispositions de ce projet de loi se rapportant aux partenaires intimes. Ces amendements ont été acceptés et même bonifiés par le gouvernement, et maintenant ils font partie du Code criminel. Je n’arrive toujours pas à y croire. Je suis toujours sous le choc. Une recherche Google sur le Code criminel fait ressortir ces amendements, et je me dis, c’est fantastique, ce sont des changements historiques.

La sénatrice Dyck sourit aux côtés de sa voisine de siège et amie de longue date, la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas en février 2020.

Les gens affirment que le système de justice est aveugle, en voulant dire qu’il est neutre. Eh bien, je dis qu’il est aveugle devant le racisme systémique contre les peuples autochtones et la discrimination systémique contre les femmes. C’est quelque chose de profondément ancré dans le système de justice. Le fait de mentionner les femmes dans le Code criminel, et en particulier les femmes autochtones, et de considérer leur identité essentiellement comme un facteur aggravant dans la détermination de la peine, est remarquable. Ces changements viendront faire contrepoids au racisme et au sexisme systémiques du système judiciaire à l’endroit des femmes, des femmes autochtones et d’autres personnes vulnérables.

Quels conseils donneriez-vous aux sénateurs nouvellement nommés?

Vous devez faire partie d’un groupe qui vous soutient et vous aide dans votre travail, mais qui vous permet d’être indépendant. Nous sommes appelés au Sénat pour être des législateurs. Notre responsabilité première est l’examen des lois et nous devons nous concentrer sur le travail, sur ce que nous voulons faire, et ne pas abandonner. Le travail que j’ai fait dans le dossier des FFADA m’a essentiellement occupée pendant 15 ans. Il s’agit de cerner ses priorités et ses passions et de faire preuve d’une grande persévérance.

Qu’est-ce qui vous réjouit à la perspective de prendre votre retraite?

Ne plus avoir autant de responsabilités. Je serai maître de mon temps. Je pourrai faire ce que je veux et passer plus de temps avec mes amis et ma famille, tout en profitant de mes loisirs. Je suis ornithologue amatrice et j’aime beaucoup photographier les oiseaux. Je viens tout juste de m’acheter un nouvel appareil photo et j’ai hâte de l’essayer.

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