« Un journal du Canada gravé dans la pierre » : Le programme de sculptures du Parlement et les sculpteurs du Dominion qui l’ont façonné
En février 2019, le Sénat a déménagé à l’édifice du Sénat du Canada, une ancienne gare construite en 1912. Le Sénat occupera temporairement cet espace pendant les travaux de réhabilitation de l’édifice du Centre du Parlement, demeure permanente du Sénat.
Bien que l’édifice du Centre soit inaccessible pendant les travaux de réhabilitation, les Canadiens peuvent continuer d’admirer son architecture et ses œuvres d’art grâce à la visite virtuelle du Sénat.
Tout comme le Canada, le Royaume-Uni, la Barbade, et la Hongrie ont des édifices parlementaires qui sont des exemples remarquables de l’architecture néogothique.
Cependant, l’édifice du Centre, qui fait partie d’un majestueux trio d’édifices sur la Colline du Parlement, est unique pour une raison : il est une œuvre en constante évolution.
Lorsque le premier édifice du Centre a été rasé par les flammes en février 1916, l’architecte en chef John A. Pearson a eu l’idée de le remplacer par un édifice qui serait une vitrine permanente pour la sculpture. Lorsque le nouvel édifice du Centre a été reconstruit, M. Pearson a laissé des milliers de blocs de pierre vierges pour qu’ils soient sculptés par de futures générations de sculpteurs.
« Il a eu l’idée de faire de l’édifice comme un journal du Canada gravé dans la pierre », a indiqué le sculpteur du Dominion, Phil White, qui est le sculpteur officiel du Parlement et le conservateur de son patrimoine sculptural.
« Aucun autre pays n’a un tel programme. »
La vision artistique de M. Pearson a permis à des générations de sculpteurs de la Colline du Parlement de laisser leur marque à l’édifice du Centre et d’en faire un édifice aussi mémorable que magnifique.
Au cours des 85 dernières années, ce travail a été géré par le sculpteur du Dominion, en consultation étroite avec les bureaux du Président du Sénat et du Président de la Chambre des communes.
Poursuivez votre lecture pour en apprendre davantage sur les cinq sculpteurs en chef qui ont supervisé le programme de sculptures du Parlement jusqu’à ce jour :
Cléophas Soucy (1936-1950)
Cléophas Soucy est né à Montréal dans une famille de sculpteurs et a déménagé à Ottawa en 1919 pour travailler à la reconstruction de l’édifice du Centre.
Constant et fiable, il est arrivé à point nommé, lorsqu’une crise est survenue. Quand le sculpteur en chef Ira Lake a soudainement démissionné en 1927 — au moment où le travail sur la Tour de la Paix était bien amorcé — M. Soucy a calmement dirigé le projet jusqu’à sa conclusion.
Les travaux de sculpture à l’édifice du Centre ont été interrompus pendant la Grande Dépression, mais lorsque le programme a repris en 1936, M. Soucy est devenu un employé permanent du ministère des Travaux publics et a reçu le titre de sculpteur du Dominion, qui était bien choisi.
L’équipe de M. Soucy, composée de treize sculpteurs, a terminé les sculptures à l’extérieur de l’édifice du Centre ainsi que le gros des sculptures du Sénat et de la Chambre des Communes. Lorsqu’il est décédé subitement en 1950, il a laissé un tas de projets non réalisés, mais surtout, il a laissé un programme bien stable.
William Oosterhoff (1950-1962)
Né en Hollande, William Oosterhoff a étudié à l’Académie nationale des beaux-arts à Amsterdam avant de venir s’établir dans la capitale du Canada. Il ne travaillait au programme de sculptures du Parlement que depuis un an lorsqu’il a été nommé pour succéder à M. Soucy.
Dans les années 1950, la belle époque de la sculpture sur pierre était révolue et peu de sculpteurs qualifiés gravissaient les échelons. M. Oosterhoff a donc personnellement formé les quatre membres de son équipe.
Ces cinq sculpteurs ont produit une série de sculptures complexes dans le Hall de la Confédération, la rotonde octogonale de l’édifice du Centre, qui met en vedette les provinces ainsi que leurs plantes et leurs animaux indigènes. À la fin des années 1950, l’équipe a porté son attention sur le foyer du Sénat, sculptant une frise de 30 mètres représentant les premiers personnages de l’histoire du Canada, notamment les explorateurs John Cabot et Jacques Cartier.
En 1962, M. Oosterhoff a pris sa retraite et s’est installé à Hamilton, en Ontario.
Eleanor Milne (1962-1993)
Eleanor Milne a été formée par le fondateur du Groupe des sept, Arthur Lismer, à la Art Association of Montreal (Société des arts de Montréal), qui est maintenant le Musée des beaux-arts de Montréal, et à l’Université de Syracuse sous la direction du sculpteur avant-gardiste croate Ivan Mestrovic. Prolifique, polyvalente et dotée d’un bagage universitaire en histoire de l’art et en conservation, elle l’a emporté sur 21 autres candidats dans le cadre d’un concours national pour trouver un remplaçant à M. Oosterhoff.
Pendant les 30 années où elle a occupé ce poste, Mme Milne et son équipe de quatre sculpteurs ont sculpté de grandes sections de la Chambre des communes et de son foyer adjacent. Elle a également travaillé dans le foyer du Sénat, sculptant et restaurant les têtes du roi Georges VI, de la reine Victoria et du roi Édouard VII.
Mme Milne a révolutionné la façon de travailler des sculpteurs. Pendant des décennies, l’équipe sculptait sur place, travaillant tard la nuit après l’ajournement des travaux du Sénat et de la Chambre. En 1973, les travaux de sculpture ont commencé à se dérouler dans un atelier de l’est d’Ottawa; une fois terminées, les sculptures étaient réacheminées vers l’édifice du Centre pour y être installées.
Le travail de sculpture est également devenu moins laborieux sous la direction de Mme Milne. Ses prédécesseurs créaient dans un premier temps des modèles en plâtre grandeur nature qui étaient ensuite copiés dans la pierre, détail par détail. Mme Milne chargeait plutôt ses assistants de transférer ses dessins préparatoires sur la pierre, laissant à ses collègues la liberté d’interpréter les dessins à leur convenance.
Mme Milne a reçu l’Ordre du Canada en 1988 et a pris sa retraite en 1993.
Maurice Joanisse (1993-2006)
Maurice Joanisse est devenu sculpteur du Dominion au départ de Mme Milne. Recruté en 1971, il a appris son métier comme apprenti plutôt qu’en suivant une formation universitaire classique.
« Il n’y a pas d’école au Canada où on peut apprendre la sculpture. C’est une tradition et un style qu’on apprend sur le tas, selon la vieille méthode », a expliqué M. Joanisse dans une entrevue qu’il a donnée en 2001 à la Revue Légion.
Il a rapidement travaillé à la frise de l’histoire du Canada dans le foyer de la Chambre des communes et a complété plusieurs projets ambitieux déjà en cours, dont la série Évolution de la vie de la Chambre des communes.
Joanisse a également consacré deux années à un inventaire de l’ornementation extérieure des trois édifices du Parlement — l’édifice du Centre, l’édifice de l’Est et l’édifice de l’Ouest — documentant ainsi plus de 3 000 sculptures. À bord d’une nacelle l’élevant à la hauteur des toits, il a pris note de chaque détail et de chaque imperfection.
« Dans de nombreux cas, j’ai dû prendre des mesures immédiates pour sécuriser les pièces afin qu’elles ne tombent pas et ne blessent personne », a-t-il raconté à la Revue Légion en 2001.
Joanisse a annoncé son départ à la retraite en 2005. Comme il avait travaillé seul pendant ses 13 années comme sculpteur du Dominion, il n’y avait aucun successeur formé pour occuper son poste. Une fois de plus, le Parlement a tenu un concours pour trouver son prochain sculpteur du Dominion.
Phil White (2006-2021)
Phil White a été choisi parmi un bassin de 75 candidats. Initié à la sculpture par son grand-père, un maître maçon et sculpteur sur bois, M. White s’est installé à Ottawa en 1987 comme conservateur et sculpteur pour le Musée canadien de la guerre.
Après que M. White eut accepté l’offre de diriger le programme de sculptures du Parlement, M. Joanisse a convenu de rester un peu plus longtemps pour agir comme mentor auprès de son successeur afin de faciliter la transition.
White a réalisé de nombreux projets dans le cadre du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II en 2012, dont une sculpture de la tête de la Reine dans le foyer du Sénat et un buste de la Reine.
De plus en plus, il est appelé à réaliser ses sculptures ailleurs que sur la Colline du Parlement. Il a consacré la majeure partie des années 2016 et 2017 à créer des motifs pour le nouvel édifice du Sénat du Canada dans l’ancienne gare ferroviaire restaurée d’Ottawa.
Puisqu’il reste plus de 150 blocs de pierre vierges encore à sculpter à l’intérieur de l’édifice du Centre et qu’il y a des sculptures de cent ans à restaurer, M. White a récemment embauché deux adjoints.
« Il y a encore beaucoup de travail à faire », a avoué M. White. « Je vois le programme se poursuivre bien après mon départ. »
« J’ai l’intention de laisser un programme aussi solide que celui qui m’a été légué par mes prédécesseurs. »