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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 22 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-12, Loi prévoyant l'autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, se réunit aujourd'hui, à 10 h 03, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Landon Pearson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nos témoins ce matin sont M. George DaPont, Mme Wendy Reid et M. Allan MacDonald.

Le sénateur Tkachuk: J'invoque le Règlement, madame la présidente. Lors de la dernière séance, j'ai posé une question au sujet de la télédiffusion des délibérations du comité. Je pensais vous avoir entendu dire que, si la SCR voulait téléviser nos réunions, il lui fallait obtenir l'autorisation de la Chambre. Je crois savoir également que la chaîne parlementaire, la CPAC, a demandé l'autorisation et s'est fait dire que le comité avait décidé de l'autoriser à télédiffuser nos délibérations. Je ne sais pas si quelque chose m'échappe, mais je ne me souviens pas qu'on en ait discuté en comité.

La présidente: J'ai dit alors que nous sortions à peine d'une réunion du comité des affaires juridiques et constitutionnelles où certaines questions avaient été posées au sujet de la télédiffusion de nos délibérations sur la CPAC, et on avait demandé au comité de ne rien faire tant que la question n'était pas réglée par le Comité de la régie interne. C'est ce que j'ai dit la semaine dernière.

Le sénateur Tkachuk: D'après mes renseignements, la CPAC est autorisée à télédiffuser nos délibérations à moins que le comité ne lui demande de ne pas le faire.

La présidente: C'est la même chose. Peu importe le réseau, le fait est que la télédiffusion des comités doit être approuvée par le Sénat.

Le sénateur Tkachuk: N'a-t-on pas conclu un accord avec la CPAC?

La présidente: Il faut suivre la procédure pour chaque séance.

M. Tõnu Onu, greffier du comité: En matière de radiotélédiffusion, le Règlement prévoit que le Sénat doit donner son accord. Autrement dit, même si la CPAC désire le faire, le comité doit présenter une motion au Sénat pour obtenir l'autorisation d'être télévisé.

La SCR ou un autre réseau peut venir prendre des photos ou filmer avant le début de la réunion. Une fois celle-ci commencée, nous demandons aux cameramen de s'en aller à moins d'avoir obtenu du Sénat l'autorisation de télédiffuser nos séances. C'est une règle générale.

Le sénateur Tkachuk: Quand la CPAC a-t-elle demandé l'autorisation?

M. Onu: Elle ne l'a pas demandét. Un accord est en cours de négociation actuellement avec la chaîne parlementaire. Celle-ci n'a pas télédiffusé nos séances de façon régulière. La chaîne est disposée maintenant à télédiffuser huit heures de séances de comités du Sénat par semaine, soit un total de 32 heures par mois. Les responsables n'ont pas demandé à retransmettre les délibérations d'un comité plutôt qu'un autre; autrement dit, ils s'en remettent pour cela à la discrétion du Sénat. Ce dernier peut dire aux responsables de la chaîne: «À notre avis, il y a certaines réunions de comité intéressantes cette semaine, et voulez-vous télédiffuser ces deux, trois ou quatre séances?»

Le sénateur Tkachuk: Lorsque la CPAC a télédiffusé les réunions portant sur la Loi sur le tabac et la première séance du comité chargé de l'affaire de la Somalie, ces deux comités avaient-ils obtenu au préalable l'autorisation du Sénat?

La présidente: Oui.

M. Onu: On a également informé les responsables de la CPAC que le Sénat estimait que ces questions intéressaient suffisamment la population pour que les séances soient retransmises. Ce genre de négociations se déroulent entre la CPAC et le comité.

Le sénateur Tkachuk: Merci, madame la présidente.

La présidente: Nous vous écoutons, monsieur.

M. George DaPont, directeur général, Relations gouvernementales, Affaires indiennes et du Nord Canada: Madame la présidente, je vais commencer par un bref exposé pour vous présenter les principaux éléments de la politique du gouvernement relative à l'autonomie gouvernementale des autochtones, surtout en ce qui a trait à la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale; je parlerai ensuite des principales divergences qui semblent exister entre cette approche et certains aspects du projet de loi à l'étude. Ma collègue Wendy Reid, du ministère de la Justice, vous parlera plus en détail d'autres points que j'aborderai de façon générale.

En août 1995, le gouvernement fédéral a annoncé sa stratégie relative à l'autonomie gouvernementale et sa politique de reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. La politique avait pour objet d'adopter des dispositions pratiques, de concert avec les peuples autochtones, les provinces et les territoires, en vue d'en arriver à l'autonomie gouvernementale.

L'un des principaux éléments de la politique est la reconnaissance du fait que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est un droit ancestral garanti par l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Comme bon nombre d'entre vous le savent certainement, avant cette reconnaissance, presque tous les gouvernements du pays avaient décidé qu'il faudrait modifier la Constitution pour accorder ce genre de reconnaissance aux peuples autochtones.

En adoptant cette stratégie, le gouvernement fédéral a admis que tous les autres paliers de gouvernement ne reconnaissent pas comme lui ce droit inhérent sur le plan juridique. D'autres gouvernements et certains groupes autochtones n'acceptent pas nécessairement tous les éléments précis de la politique fédérale en matière de droit inhérent. Toutefois, par cette politique on voulait établir un cadre pour guider les négociateurs fédéraux, et les autres groupes n'étaient pas tenus d'accepter tous les éléments de la politique comme condition préalable aux négociations.

Le gouvernement fédéral s'est efforcé de mettre de côté certaines discussions sur le plan juridique et constitutionnel qui avaient entravé le progrès vers l'autonomie gouvernementale des autochtones et de se concentrer plutôt sur l'adoption de mesures pratiques dans le cadre d'accords négociés. Le gouvernement estimait également qu'il était essentiel de faire participer les autorités provinciales ou territoriales aux premières étapes d'un processus de négociation pour s'assurer que tous acceptent en général l'issue des négociations, pour garantir l'harmonie des relations et réduire au minimum le risque de conflits de compétence à l'avenir.

L'un des autres aspects fondamentaux de la démarche du gouvernement dans le cas de sa politique sur les droits inhérents est la reconnaissance du fait que l'autonomie gouvernementale ne représente pas forcément la même chose dans les moindres détails pour les groupes autochtones, selon leur situation particulière et leurs besoins, leur histoire et leur culture propres. Certaines de ces différences sautent aux yeux. Par exemple, les dispositions en matière d'autonomie gouvernementale concernant les peuples autochtones possédant une assise territoriale seront sans nul doute très différentes de celles qui concernent les autochtones qui ne possèdent pas de territoire propre.

La politique du gouvernement visait à prévoir tout un éventail de possibilités s'appliquant essentiellement aux peuples autochtones: les Indiens, les Inuit et les Métis. Les négociations entreprises dans le cadre de cette politique devaient déboucher sur l'octroi aux peuples autochtones d'importants pouvoirs législatifs dans de nombreux domaines. Mentionnons par exemple l'éducation, l'adoption, la protection de l'enfance, l'affiliation, les structures gouvernementales autochtones, la santé, les services sociaux, la gestion des ressources naturelles et le logement, pour n'en citer que quelques-uns.

L'une des principales caractéristiques de la politique du gouvernement fédéral était la volonté de ce dernier, moyennant l'accord du groupe autochtone et de la province ou du territoire concerné, de garantir les mesures d'autonomie gouvernementale à titre de droits issus de traités conformément à l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Outre un cadre général pour l'établissement de rapports entre la législation et les compétences législatives, la politique du gouvernement en matière d'autonomie gouvernementale mettait également l'accent sur certains autres éléments essentiels à l'adoption de dispositions efficaces dans ce domaine. Il s'agissait, entre autres choses, de créer des liens financiers prévisibles et sûrs entre les divers gouvernements: le gouvernement fédéral, le gouvernement autochtone et, le cas échéant, la province ou le territoire concerné. En conséquence, le gouvernement accorde énormément d'importance à cet aspect de sa politique, notamment pour énoncer des principes qui, d'après lui, doivent être pris en ligne de compte lorsqu'on élabore des ententes financières précises.

L'accord négocié relatif à la politique sur les droits inhérents équivaudra à un traité. La plupart du temps, il y aura également une loi de mise en oeuvre fédérale et/ou provinciale ou territoriale. Cela garantira une stabilité et une sécurité maximale pour s'assurer que toutes les parties comprennent bien les questions de compétence. Il y a à l'heure actuelle, dans tous les pays, environ 80 négociations en cours sur l'autonomie gouvernementale.

Certains éléments du projet de loi S-12 s'écartent apparemment des principes fondamentaux que je viens d'énoncer et qui se concrétisent dans la stratégie gouvernementale relative à la reconnaissance des droits inhérents.

Le projet de loi S-12 ne semble pas conçu pour tenir compte de la situation sociale, politique, culturelle, historique et économique différente des divers groupes. Nous avons constaté que même si de nombreux aspects d'une entente d'autonomie gouvernementale pourraient s'appliquer à divers types de situations, de nombreux groupes voudront sans doute négocier des dispositions particulières. Si l'on compare les exemples actuels d'ententes d'autonomie gouvernementale, même si elles ont été négociées en vertu de mesures antérieures, que ce soit les Naskapi au Québec ou les Sechelt en Colombie-Britannique ou encore la Loi qui reconnaît l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon, il y a là certains aspects similaires, mais aussi bien d'autres qui présentent des différences marquées.

La façon dont le gouvernement aborde les droits inhérents témoigne d'une bonne compréhension des relations entre les lois des gouvernements autochtone, fédéral, provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral reconnaît que les lois des Premières nations peuvent, dans bien des domaines, avoir la priorité sur les lois fédérales, provinciales et territoriales. On croit toutefois que ces domaines devraient être spécifiés dans les ententes et que celles-ci devraient également inclure des règles négociées pour le règlement des conflits juridiques si le cas se présente.

Le gouvernement estime que, dans tous les cas, les lois d'une importance nationale prépondérante devraient l'emporter sur les lois autochtones. Il faudrait également régler les questions comme celles des normes et de l'harmonisation dans des domaines comme ceux de la santé et de la sécurité. Le gouvernement fédéral estime fondamental que les lois concernant la santé, la sécurité et la justice pénale s'appliquent également à tous les Canadiens.

Comme je l'ai mentionné, l'un des principaux objectifs à atteindre est de s'assurer que les ententes juridiques sont énoncées le plus clairement possible, pour que tout le monde les interprète de la même façon et que tous les Canadiens, qu'ils relèvent du gouvernement autochtone ou d'un autre gouvernement, sachent quelles sont les lois qui s'appliquent à eux. C'est important pour éviter les incertitudes juridiques et le risque d'actions en justice.

Le rapport entre les lois fédérales et les lois autochtones que propose le projet de loi S-12 semble assez confus. Ma collègue, Wendy Reid, du ministère de la Justice, en dira plus à ce sujet.

Le projet de loi S-12 ne semble pas confier au gouvernement provincial ou territorial la responsabilité de mettre au point les détails d'une entente d'autonomie gouvernementale. C'est particulièrement important selon nous du fait que le projet de loi semble accorder aux lois fédérales la primauté sur les lois provinciales.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'un des objectifs que poursuit le gouvernement dans le cadre de sa politique des droits inhérents est de veiller à ce que toutes les instances participent à la délimitation des champs de compétence et soient satisfaites du résultat. La politique gouvernementale part du principe que les provinces ou les territoires doivent jouer un rôle lorsque les questions qui sont négociées relèvent normalement de leur compétence ou lorsque le pouvoir législatif autochtone ou le champ de compétence peut avoir des répercussions au-delà du groupe autochtone ou de son territoire. L'objectif premier est de s'assurer que les négociations déboucheront sur des relations harmonieuses entre tous les niveaux de gouvernement, encore une fois pour réduire le risque de conflits de compétence et d'incertitude.

Une dernière différence est que le projet de loi S-12 n'aborde aucune question relative au financement du gouvernement autochtone. On ne voit pas très bien comment une communauté autochtone visée par ce projet de loi financera son autonomie gouvernementale à moins qu'elle n'ait les ressources voulues dès le départ. Le gouvernement fédéral cherche à faire en sorte que les dispositions financières relatives à l'autonomie gouvernementale soient négociées en même temps que l'attribution des compétences et tiennent compte des responsabilités assumées et de divers autres principes ou facteurs sur lesquels je pourrai insister si vous le jugez nécessaire.

Voilà les premières observations que nous voulions faire pour souligner les principales différences entre la politique à l'égard du droit inhérent et certaines des questions soulevées dans le projet de loi S-12.

Mme Wendy Reid, avocate principale, ministère de la Justice: Madame la présidente, je commencerai par parler de la compétence législative des Premières nations en ce qui concerne la paix, l'ordre et le bon gouvernement, un pouvoir que la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement.

Selon le paragraphe 8(1) du projet de loi S-12:

Est reconnu à la première nation le pouvoir de légiférer pour la paix et l'ordre sur son territoire ainsi que pour son bon gouvernement, notamment dans les domaines énumérés à l'annexe II, sous réserve des restrictions imposées à l'autorité législative par la Constitution.

En fait, il est dit dans cet article que les pouvoirs législatifs des Premières nations sont énumérés à l'annexe II du projet de loi, mais que le pouvoir qui prime sur tous les autres, est celui de légiférer pour la paix, l'ordre et un bon gouvernement.

Comme le professeur Hogg l'a expliqué, le but de ce pouvoir législatif réside dans ses rapports avec les compétences provinciales. Autrement dit, toute question qui n'est pas citée dans la Constitution comme une compétence provinciale entre dans le champ de compétence du Parlement fédéral dans le cadre de ce pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et un bon gouvernement. Les tribunaux ont considéré que ce pouvoir reconnaissait la compétence du Parlement sur les questions d'intérêt national. Autrement dit, il l'autorise à légiférer sur des questions qui outrepassent les intérêts locaux ou provinciaux.

Les tribunaux considèrent que le pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et un bon gouvernement autorise de nombreux types de lois et de mesures fédérales. Par exemple, ce principe a permis de conclure des traités avec des puissances étrangères, d'adopter la Loi sur les langues officielles, de légiférer à l'égard des ressources minérales extra-côtières et de l'aéronautique, de créer la région de la capitale nationale, de légiférer dans le domaine de la pollution maritime, de confier au gouvernement fédéral la responsabilité de l'énergie atomique, d'autoriser un contrôle fédéral des prix et des salaires, d'autoriser la Loi sur les stupéfiants et d'autoriser la Loi sur les mesures de guerre, pendant les deux guerres mondiales.

Le professeur Hogg a expliqué que, en cas d'urgences nationales, le pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et un bon gouvernement autorise des lois qui, normalement, seraient uniquement du ressort des provinces. Étant donné l'ampleur de ce pouvoir et son caractère résiduel, il est difficile d'envisager comment il pourrait être exercé, en pratique, par les Premières nations et comment il pourrait se répercuter sur une compétence législative qui autrement serait fédérale ou provinciale.

Le pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et un bon gouvernement se rapporte à des questions comme la souveraineté de l'État et le pouvoir de conclure des traités avec des puissances étrangères. Néanmoins, dans sa politique sur l'autonomie gouvernementale autochtone, le gouvernement canadien précise que les pouvoirs du gouvernement des Premières nations ne s'étendraient pas à la souveraineté canadienne et aux affaires étrangères.

Le projet de loi S-12 n'est pas du tout clair quant aux lois fédérales qui auront la primauté ni ne précise si les lois des Premières nations l'emporteront sur les lois fédérales. Comme M. DaPont l'a expliqué, en voulant mettre en oeuvre le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, le gouvernement veut notamment reconnaître que les Premières nations doivent posséder d'importants pouvoirs législatifs. Dans certains cas, les lois des Premières nations pourraient bien l'emporter sur les lois fédérales. Néanmoins, étant donné la primauté de diverses lois fédérales comme le Code criminel et la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, il est important de préserver la primauté de certaines lois fédérales sur les lois des Premières nations. Comme M. DaPont l'a expliqué, le gouvernement canadien a pour politique de négocier les conflits potentiels et de les résoudre au moyen d'accords très précis.

Le paragraphe 34(1) du projet de loi dit ceci:

Sauf incompatibilité avec la présente loi, les lois fédérales d'application générale s'appliquent à la première nation, à ses citoyens et à ses terres [...]

Une loi fédérale d'application générale s'appliquerait. Puis au paragraphe (2) au peut lire ceci:

Sous réserve des traités ou des accords sur les revendications territoriales, une loi fédérale d'application générale portant sur un domaine mentionné à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s'applique pas à la première nation, à ses citoyens et à ses terres en cas d'incompatibilité avec la Constitution ou une loi de celle-ci [...]

Autrement dit, une loi fédérale ne s'appliquerait pas. Le projet de loi énonce ensuite aux alinéas a) à c) les conditions que doit remplir la loi d'application générale pour pouvoir s'appliquer. En effet, l'article 34 porte que la loi fédérale d'application générale ne s'applique pas, sauf sous certaines conditions. C'est une façon peu claire d'indiquer si une loi fédérale s'applique ou non. Cela n'éclairerait probablement pas les citoyens qui feraient les frais de cette confusion législative.

Le paragraphe 34 (4) précise le rapport entre les lois des Premières nations et les lois provinciales en ces termes:

Les lois d'application générale d'une province ayant un lien territorial avec la première nation ne s'appliquent aux citoyens sur les terres de celle-ci [...] que si elles ne sont incompatibles ni avec un traité conclu par la nation, ni avec la présente loi ou une autre loi fédérale, ni avec la Constitution ou une loi de la nation, ni avec un accord, applicable en l'occurrence, sur les revendications territoriales.

Par conséquent, si la Première nation adopte une loi qui est incompatible avec la loi provinciale, la loi de la Première nation l'emporte. Cette situation est différente de celle qui existe actuellement dans les réserves. Les tribunaux ont estimé que les réserves indiennes n'étaient pas des enclaves au sens constitutionnel et que les lois provinciales d'application générale s'appliquaient aux Indiens résidant dans les réserves, tout comme elles s'appliquaient aux autres citoyens de la province.

Il y a de nombreuses exceptions à ce principe général. Par exemple, une loi provinciale ne s'applique pas si elle est incompatible avec la Loi sur les Indiens, un règlement des Premières nations pris en application de cette loi ou les traités ou encore si la loi provinciale a pour effet de modifier le statut d'un Indien. C'est un domaine complexe du droit constitutionnel et il y a de nombreuses exceptions à la règle, mais en général, les lois provinciales s'appliquent aux Indiens qui résident dans les réserves.

En pratique, la Loi sur l'éducation de chaque province régit les normes d'éducation et l'accréditation des enseignants. Ces règles s'appliquent à tous les citoyens de la province, même si le ministère des Affaires indiennes finance l'éducation des enfants indiens. Également, les lois provinciales régissant les relations de travail s'appliquent dans les réserves. D'autre part, les Indiens qui résident dans une réserve sont assujettis à l'autorité provinciale en ce qui concerne l'administration de la justice. Les procureurs généraux des provinces peuvent intenter des poursuites criminelles contre les résidents des réserves, comme contre tous les autres citoyens canadiens.

Le projet de loi S-12 doit en principe conférer des pouvoirs législatifs aux Premières nations dans certains domaines qui peuvent entrer dans le champ de compétence des provinces en vertu de la Constitution. L'exemple que je voudrais citer figure à l'article 35 de l'Annexe II, à la fin du projet de loi, page 38. Il y est dit que les Premières nations ont compétence législative sur:

[...] l'administration de la justice, y compris la constitution et la désignation de juridictions civiles et criminelles.

Ce pouvoir sur l'administration de la justice est confié aux provinces au paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui confère aux assemblées législatives provinciales les pouvoirs législatifs à l'égard de l'administration de la justice dans la province, y compris la constitution des tribunaux tant civile que criminelle. Le gouvernement fédéral a également certains pouvoirs dans le domaine du droit pénal et de l'administration de la justice; il s'agit toutefois d'une compétence concurrente que se partagent le Parlement et les assemblées législatives provinciales. Il est possible qu'en raison de l'article 35 de l'Annexe II, ce projet de loi empiète sur la compétence des provinces dans ce domaine.

Il est certainement souhaitable que les Premières nations aient des pouvoirs gouvernementaux étendus, surtout dans les domaines étroitement associés à la préservation de la culture et de l'identité autochtones comme l'aide à l'enfance et l'éducation. Il faudrait toutefois que les Premières nations négocient avec les provinces leur relation avec les lois provinciales de façon à éviter les conflits de compétence.

Le projet de loi S-12 porte également que certaines lois des Premières nations s'appliquent aux citoyens de celles-ci, même s'ils ne résident pas dans la réserve. Il y a lieu de mentionner que le projet de loi S-12 accentue la confusion à l'égard des compétences, car en principe, il étend le pouvoir législatif du Parlement au-delà des limites des réserves pour l'appliquer aux citoyens des Premières nations, quel que soit le lieu où ils résident. Le paragraphe 91(24) de la Constitution confère au Parlement la compétence législative sur les Indiens et les terres qui leur sont réservées. Comme ce projet de loi vise des champs de compétence des provinces, même en dehors des réserves, la validité de certaines de ces dispositions peut être contestée.

Voici ce qu'on peut lire à l'article 10 du projet de loi:

La portée des lois de la première nation se limite à son territoire, sauf disposition contraire de la présente loi ou d'une loi de la nation édictée dans un domaine visé aux points 13, 14, 15, 16, 17 ou 33 de l'annexe II.

Le gouvernement de la Première nation peut préciser, dans une loi portant sur l'un de ces pouvoirs, que la loi en question s'appliquera à ses citoyens en dehors du territoire de la réserve.

Prenons quelques exemples dans lesquels les lois des Premières nations s'appliqueraient en dehors de la réserve. L'article 17 de l'annexe II confère au gouvernement des Premières nations des pouvoirs législatifs à l'égard de

L'éducation des citoyens, indépendamment du lieu de leur résidence, et des autres personnes résidant sur les terres de la première nation.

«Indépendamment du lieu de leur résidence» laisse entendre que les citoyens n'ont même pas à résider dans la province où se trouve la Première nation. Si vous êtes citoyen d'une Première nation, même si vous déménagez dans une autre province, il se peut que vous soyez assujetti aux lois adoptées pour les habitants de la réserve et on ne voit pas très bien comment ces lois pourront être appliquées.

Un autre exemple figure à l'article 33 de l'annexe II qui confère au gouvernement des Premières nations des pouvoirs législatifs en ce qui concerne

Les fiducies détenues au profit de citoyens et modifications de ces fiducies, indépendamment de la localisation des fiducies ou du lieu de résidence des citoyens.

Là encore, la validité de cette disposition est contestable étant donné que l'assemblée législative provinciale a la compétence législative sur les droits de propriété et les droits civils dans la province en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle.

Enfin, je dirais que, dans bien des cas, il peut être souhaitable, pour diverses raisons, que les lois des Premières nations s'appliquent en dehors de la réserve. Dans le domaine des services à l'enfant et à la famille, par exemple, les Premières nations devraient disposer d'une plus grande autonomie pour concevoir des lois qui sont adaptées à leur culture et à leur situation particulières. Néanmoins, une législation sur l'autonomie gouvernementale qui crée beaucoup de confusion et de conflits juridiques n'est pas souhaitable. En effet, il importe que tous les citoyens sachent quelles sont les lois qui s'appliquent à eux pour éviter des conflits juridiques et des contestations devant les tribunaux.

Pour atteindre l'objectif c'est-à-dire une plus grande autonomie pour les autochtones, il faudrait qu'il y ait des négociations avec les provinces visées et qu'on adopte des lois provinciales réciproques pour éviter les conflits juridiques.

M. DaPont et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Tkachuk: Je suppose que vous êtes ici pour nous aider à mettre au point un bon projet de loi sur l'autonomie gouvernementale que nous pourrons adopter au Sénat. Êtes-vous ici pour nous aider ou vous opposez-vous au projet de loi?

La présidente: Je suppose que les témoins sont là pour nous aider.

Le sénateur Tkachuk: Oui. Si j'étais le chef d'une réserve du Manitoba et si je voulais que cette loi s'applique à moi, je pourrais aller trouver le ministre pour lui dire: «Nous voulons être assujettis à cette loi; nous nous conformerons à toutes ses obligations, mais comme nous sommes du Manitoba, nous désirons apporter les modifications suivantes à la loi». Le Parlement n'aura alors aucune difficulté à adopter ces modifications, n'est-ce pas? Elles s'appliqueront seulement à la réserve en question.

M. DaPont: Certainement pas. De tels amendements mèneraient à tout un éventail de lois.

Le sénateur Tkachuk: N'est-ce pas ce qui se passe actuellement?

M. DaPont: Je ne voyais pas là une critique. Je disais simplement que ce projet de loi ne permet pas de faire des tas de choses. C'est simplement une observation et pas nécessairement une critique.

Par exemple, il y a un certain nombre de groupes autochtones qui semblent concevoir l'autonomie gouvernementale dans une structure gouvernementale publique. Il est évident que ces groupes ne seraient pas touchés par ce projet de loi et qu'il faudrait pour eux un autre contexte législatif.

Le sénateur Tkachuk: En fait c'est possible aux termes des dispositions de la loi actuelle.

M. DaPont: Je pensais que ce projet de loi représentait une structure essentielle mais vous semblez indiquer que certains éléments de cette structure pourraient être négociés ou retravaillés. Cela ne m'a pas semblé évident à la lecture du projet de loi.

Le sénateur Bryden: En vertu de quel article du projet de loi ce genre d'arrangements serait-il possible?

Le sénateur Tkachuk: Il s'agit d'un projet de loi. Tout projet de loi peut être modifié à loisir. Celui-ci n'oblige aucune réserve, nulle part au pays, à se plier aux dispositions prévues. Certaines conditions doivent être satisfaites avant qu'une réserve n'entre dans la catégorie prévue par ce projet de loi.

Par exemple, un chef au Manitoba peut dire: «La structure générale du projet de loi me semble satisfaisante mais je voudrais que l'on modifie certaines choses. Avant de satisfaire à toutes les conditions du projet de loi, je voudrais que soient adoptés un certain nombre d'amendements correspondant à ma situation au Manitoba.» Étant donné qu'il s'agit d'un projet de loi, ces amendements peuvent être apportés pour s'appliquer spécifiquement à cette bande. Rien ne les empêche de demander de tels amendements et il n'est pas nécessaire d'inclure dans le projet de loi une disposition les y autorisant. Comme il s'agit d'un projet de loi, il peut être modifié. Nous ne parlons pas là d'un amendement constitutionnel.

Le sénateur Bryden: Êtes-vous en train de dire que pour que ce projet de loi puisse s'appliquer à une situation particulière, il faudrait adopter un autre projet de loi?

Le sénateur Tkachuk: Pas forcément, mais ce serait possible.

Le sénateur Taylor: Le sénateur Tkachuk est-il en train de dire que l'on pourrait envisager 400 lois différentes sur l'autonomie gouvernementale?

Le sénateur Tkachuk: C'est dans cette voie que nous nous dirigeons. C'est exactement ce qui se fait actuellement. Cette loi représenterait un cadre général. Il arrive souvent que des municipalités, des villes ou toute autre administration autonomes soient régies par des dispositions spéciales. La Constitution prévoit que des règles différentes puissent s'appliquer aux différentes provinces.

En principe, quelles sont les principales différences entre ce projet de loi et la Loi sur le Yukon ou la Loi sur la bande de Sechelt?

M. DaPont: Je parlerai d'abord de la relation entre les lois. Nous nous sommes longuement penchés sur la question.

Dans le cas de la Loi sur la bande de Sechelt, il y a une différence assez importante, à savoir, une disposition générale stipulant que les lois fédérales et provinciales d'application générale continuent de s'appliquer. La Loi sur la bande de Sechelt dresse une liste de pouvoirs législatifs que peut exercer cette Première nation mais on a reconnu qu'elle n'avait pas encore réfléchi à la façon dont elle exercerait ces pouvoirs ni à la relation qui pourrait exister entre ses pouvoirs et ceux des autres administrations. Par conséquent, la loi sur la bande de Sechelt prévoit une procédure en vertu de laquelle ces rapports seraient précisés à l'occasion d'autres négociations que demanderait la Première nation de Sechelt. À première vue, cela peut ne pas sembler très différent, en ce sens qu'il y a une liste générale mais il y a dans le projet de loi une procédure qui prévoit que ses relations devront être précisées avant que ces pouvoirs ne puissent être exercés.

Dans le cas de la Loi sur le Yukon, les pouvoirs législatifs sont divisés en deux catégories. Une catégorie de lois s'applique aux terres territoriales et l'autre peut s'appliquer aux citoyens des Premières nations du Yukon où qu'ils se trouvent au Yukon. Il s'agit là d'une application extraterritoriale des lois. Il existe également un certain nombre de dispositions très spécifiques dans la Loi sur le Yukon visant une procédure d'harmonisation des lois des Premières nations et des lois territoriales dans ces domaines.

Il y a aussi des dispositions qui concernent les situations d'urgence. Je vais vous en donner un exemple. Les soins des enfants constituent un domaine où les lois de la Première nation du Yukon couvrent l'ensemble du territoire et s'appliquent à l'ensemble des membres de la Première nation. Par exemple, un citoyen de la Première nation du Yukon est toujours assujetti à cette législation, même s'il ne réside pas dans les limites du territoire. Néanmoins, on reconnaît qu'il faut harmoniser les accords de ce genre.

Deuxièmement, dans un domaine comme celui-là, il peut être nécessaire d'intervenir dans une situation d'urgence concernant le soin des enfants. Il est admis que, compte tenu du grand nombre de Premières nations et de l'éventuelle diversité des législations, on ne peut pas, dans une situation d'urgence, prendre le temps de déterminer la loi applicable. On a donc adopté des dispositions habilitantes qui permettent d'intervenir dans les situations de risque, quitte à régler après coup les questions de compétence. C'est un domaine où les lois peuvent avoir une application extra-territoriale et où il importe de tenir compte des circonstances particulières de leur application.

Nous voulons montrer que les lois peuvent malheureusement avoir entre elles des relations extrêmement complexes, en particulier dans la structure fédérale. Il importe donc de leur conférer une plus grande spécificité que ne semble en avoir le projet de loi à l'étude.

Le sénateur Tkachuk: Si ce projet de loi est adopté et qu'une bande autonome se conforme à ses dispositions, quelles en seront pour elle les conséquences négatives?

M. DaPont: Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un changement négatif. Ce que nous voulons dire, c'est que compte tenu de la formulation actuelle du projet de loi, on peut avoir des doutes sur la législation applicable dans une situation donnée. Le ministère estime que le projet de loi va créer des incertitudes car en pareilles situations, il va falloir recourir aux tribunaux.

En ce qui concerne l'application de la loi, les dispositions ne sont pas suffisamment précises. C'est une question de clarté. Il faudrait mettre en place une structure qui permette de régler tous les conflits potentiels de façon parfaitement intelligible. À première vue, ce n'est pas ce que fait le projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: Pouvez-vous me donner un exemple?

M. DaPont: Je vais reprendre l'exemple précédent concernant le Yukon. D'après les dispositions de ce projet de loi, les lois de la Première nation s'appliquent à ses citoyens dans le domaine des soins des enfants. C'est ce qu'on trouve dans l'une des dispositions. Il n'y a pas de limite territoriale dans le domaine des soins des enfants. On peut donc supposer que les enfants bénéficient de l'application de ces lois partout au Canada. Voilà un point auquel il convient de réfléchir.

Mais surtout, ce projet de loi manque de clarté en ce qui concerne son rapport avec la législation provinciale sur les soins des enfants. Il ne comporte pas de dispositions sur les situations d'urgence dont j'ai parlé et qui s'appliquent au Yukon. Le problème n'est pas nécessairement d'avoir ce pouvoir législatif, car en l'occurrence, nous en avons des exemples manifestes. Le problème, c'est de ne pas pouvoir déterminer quelle législation, d'origine fédérale ou provinciale, a préséance sur l'autre dans les domaines de ce genre.

Il reste également des questions à régler dans ce projet de loi en ce qui concerne l'application du pouvoir législatif. En situation d'urgence, on ne sait pas exactement ce qui va se passer, ni quels services compétents vont pouvoir intervenir. Un organisme qui s'occupe des enfants d'une Première nation ne pourra pas nécessairement intervenir auprès d'un citoyen qui se trouve à Calgary ou à Vancouver, par exemple. En conséquence, il faudra peut-être faire intervenir un organisme d'une autre province. La situation n'est pas claire.

Le sénateur Tkachuk: Comment la Saskatchewan et l'Alberta s'entendent-elles dans le domaine des soins des enfants?

M. DaPont: Les deux provinces ont des accords réciproques concernant les soins des enfants.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela remonte à l'Acte constitutionnel de 1867? Y a-t-il eu à l'époque des lois qui définissaient les soins des enfants, ou est-ce qu'on a simplement confié le pouvoir aux provinces?

M. DaPont: Ce n'est pas vraiment le problème, sénateur. La différence, c'est que les lois de la Saskatchewan ne permettent pas d'intervenir en Alberta.

Le sénateur Tkachuk: Exactement.

M. DaPont: Ce qu'on propose ici, c'est que les lois de la Première nation s'appliquent aux citoyens des Premières nations dans les autres provinces ou territoires. Il y a une différence fondamentale entre les relations interprovinciales et ce qu'on propose ici.

Le sénateur Andreychuk: Voulez-vous dire que le projet de loi actuel a l'avantage de définir un principe et une orientation pour l'autonomie gouvernementale, mais que sur certains aspects, il nécessite plus de précisions et de rationalisation, en particulier en ce qui concerne les conflits de juridiction?

M. DaPont: C'est une bonne question. Il existe des précédents concernant les accords de ce genre. La question n'est pas de définir l'orientation de l'autonomie gouvernementale ni d'accorder des pouvoirs législatifs importants aux peuples autochtones. Les principes sont bien définis, mais certains détails font défaut.

Le sénateur Andreychuk: Je veux dire que le projet de loi n'a pas de lacune fondamentale. Vous dites que certains aspects appellent des précisions.

M. DaPont: Oui. À mon avis, le défaut fondamental de ce projet de loi, c'est qu'il ne précise pas suffisamment les rapports entre les lois des Premières nations et celles des provinces, et qu'il ne semble pas avoir donné lieu à une consultation suffisante des provinces concernées. C'est plus un problème de méthode que de contenu.

Le sénateur Taylor: Rien ne s'oppose à ce que la loi d'une Première nation l'emporte sur une loi provinciale. Jusqu'à maintenant, le fait de confier les droits de la personne et le sort des minorités aux provinces n'a pas toujours donné les meilleurs résultats. Vous auriez tort de demander que ces domaines relèvent de la législation provinciale.

Comment pouvez-vous prétendre que les provinces ont le droit de bousculer les Premières nations en ce qui concerne les lois sur l'autonomie gouvernementale?

M. DaPont: J'espère que je ne vous ai pas laissé entendre que les provinces devaient avoir un veto absolu, ni même qu'elles pouvaient prendre des décisions dans ce domaine.

Le sénateur Taylor: C'est pourtant l'impression que j'ai eue.

M. DaPont: Il existe des accords prévoyant que les lois des Premières nations ont la priorité sur la législation provinciale. Nous critiquons seulement le fait qu'il n'y ait pas eu de discussion à ce sujet. Comme il n'y a pas eu d'accord avec toutes les juridictions concernées, il risque d'y avoir des contestations sur toutes sortes de sujets. Voilà ce que j'ai voulu dire. Je ne veux pas dire que les lois provinciales doivent l'emporter dans tous les cas sur les lois des Premières nations. C'est peut-être souhaitable dans certains cas; l'idée importante, c'est qu'il faudrait négocier sur les situations particulières pour parvenir à des dispositions aussi précises que possible.

Le sénateur Taylor: Mme Reid pourrait peut-être nous donner des détails sur les rapports entre les dispositions de ce projet de loi et les domaines des droits de la personne et de l'autonomie gouvernementale. M. DaPont a parlé des incertitudes concernant la définition des Premières nations dans ce projet de loi, et on nous parle également de l'autorité qui leur est conférée. Les droits fondamentaux d'un membre d'une Première nation risquent-ils d'être amoindris par l'autonomie gouvernementale? J'aimerais savoir ce qu'il va advenir des droits individuels lors du passage à l'autonomie gouvernementale.

Mme Reid: Ce projet de loi est assujetti à la Charte des droits et libertés. Si une loi d'une Première nation adoptée en vertu de ce projet de loi a un effet discriminatoire sur un citoyen, il pourra recourir aux tribunaux et contester ses effets discriminatoires en vertu de la Charte.

Le paragraphe 30(4) précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux mesures prises en vertu de ce projet de loi. Cette disposition est semblable à l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En réalité, elle protège les dispositions de la Loi sur les Indiens de l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En tout cas, même si la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut pas être invoquée dans toutes les situations par un membre d'une Première nation, il peut toujours recourir aux tribunaux pour faire valoir les droits que lui confère la Charte.

Le sénateur Taylor: J'ai un peu de mal à vous suivre. C'est peut-être parce que je ne suis pas avocat.

Le projet de loi précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux mesures prévues par ses dispositions. Vous dites qu'il est des cas où elle pourrait s'appliquer puis vous dites qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter puisque de toutes façons, on peut recourir aux tribunaux. La chance d'exercer un recours est-elle plus mince lorsqu'une disposition précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas?

Mme Reid: Il y a toujours matière à interprétation sur les questions juridiques.

Le sénateur Taylor: Quelles seraient les chances d'obtenir gain de cause en invoquant cette Loi devant un tribunal?

Mme Reid: Tout dépend des circonstances. Le paragraphe 30(4) précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux actes accomplis sous le régime de la présente loi. Par exemple, si la Première nation adoptait une loi, cette disposition aurait sans doute pour effet de soustraire ladite loi à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais on ne peut pas savoir s'il en serait de même pour une décision stratégique ou une position de principe de la Première nation. Malgré cette disposition, la question pourrait toujours être débattue devant les tribunaux.

L'important, c'est que la Charte s'applique. Du point de vue juridique, il n'y a guère de différence entre les droits conférés par la Loi canadienne sur les droits de la personne et les droits conférés par la Charte. Les deux prévoient la possibilité de contester les mesures discriminatoires imposées par les gouvernements. Même si un citoyen ne peut pas se prévaloir de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il pourra toujours se prévaloir de la Charte.

Le sénateur Taylor: Est-ce vrai pour tous les membres de la Première nation?

Mme Reid: Oui.

Le sénateur Bryden: D'après mes souvenirs de droit constitutionnel, l'autorité gouvernementale au Canada est entièrement distribuée entre les juridictions fédérale et provinciales. Toute réduction de cette autorité doit recevoir l'assentiment de la juridiction concernée, n'est-ce pas?

Mme Reid: C'est exact.

Le sénateur Bryden: D'après ce que vous avez dit, le projet de loi dans sa formulation actuelle créerait une nouvelle institution ayant compétence sur une partie de cette autorité gouvernementale. Je n'essaie pas de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit. Le gouvernement fédéral peut adopter une loi prévoyant un empiétement sur son autorité gouvernementale. Néanmoins, il ne peut permettre que ce projet de loi empiète, par exemple, sur ses pouvoirs dans les domaines de l'administration de la justice ou de l'éducation, sans obtenir l'accord des provinces.

Encore une fois, je vois des signes d'acquiescement à mes propos.

M. DaPont: On a mis l'accent sur l'intervention des provinces dans la négociation de ces relations, pour les motifs que vous avez indiqués. On fait notamment valoir que les pouvoirs ont été intégralement distribués et qu'un niveau de gouvernement ne peut pas concéder des pouvoirs dont un autre niveau de gouvernement est investi. En ce qui concerne la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, ce principe implique un certain contenu, mais on ne s'est pas encore mis d'accord sur ce contenu.

On pourrait faire valoir divers arguments, mais si l'on veut obtenir une issue pratique et un accord concret, il est essentiel de faire intervenir toutes les juridictions pour que les accords leur paraissent acceptables. On évitera ainsi les contestations juridiques ou constitutionnelles auxquelles vous faites référence.

Le sénateur Bryden: Si le gouvernement du Canada le souhaite, il pourra obtenir le même résultat en invoquant les dispositions sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

Le sénateur Andreychuk: L'éducation relève des provinces, mais pas en ce qui concerne les autochtones.

Le sénateur Bryden: Je disais que l'autorité gouvernementale avait été intégralement répartie, sauf dans le cas exceptionnel où le gouvernement du Canada intervient pour faire régner la paix, l'ordre et le bon gouvernement. On a dit que ce projet de loi ne traitait pas de la question du financement des structures envisagées. Si le gouvernement l'adopte, cela implique-t-il que le gouvernement du Canada ou un autre niveau de gouvernement devra fournir les ressources nécessaires à la mise en oeuvre de la loi?

M. DaPont: Je ne peux pas me prononcer sur ce sujet. Ma collègue pourrait peut-être vous dire si la loi crée une obligation juridique. On peut raisonnablement s'attendre à ce qu'on doive un jour résoudre la question des ressources et du financement lorsqu'un accord sera en place et qu'on aura défini le cadre de l'exercice des importants pouvoirs législatifs des Premières nations, compte tenu de ce qu'elles ne font pas actuellement. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est là à notre avis une lacune essentielle, car les deux éléments vont de pair.

Je ne pense pas qu'il faille nécessairement aborder la question financière dans le projet de loi. Néanmoins, je n'y ai trouvé aucune référence à cette question. Si c'est la formule qu'on a retenue, il aurait fallu prévoir des dispositions à ce sujet. Les dispositions que nous avons négociées dans les accords d'autonomie gouvernementale indiquent un engagement général en matière de financement et fixe certains des principes à prendre en considération dans le cadre des négociations.

Le sénateur Tkachuk: On ne trouve pas ce genre de dispositions ici. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Il ne peut contenir de dispositions obligeant la Couronne à payer. Voilà l'origine du problème. Actuellement, le gouvernement fédéral a des obligations en matière d'éducation, de soins de santé et sur divers autres points. Évidemment, ces obligations seront maintenues.

Pour répondre à la question du sénateur, prenons l'exemple d'une bande qui relève des dispositions de ce projet de loi et qui parvient à l'autonomie gouvernementale. Pourquoi aura-t-elle besoin d'argent?

M. DaPont: Il existe déjà un certain niveau de soutien financier dans la structure actuelle pour les différents programmes et services. Néanmoins, dans les dispositions concernant les pouvoirs législatifs, j'ai remarqué la possibilité de créer des tribunaux. Nous n'en avons pas actuellement. Le gouvernement fédéral n'en finance pas actuellement. Je ne vois pas comment on pourrait exercer ce pouvoir sans disposer des ressources financières nécessaires à la création d'une telle institution.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela ne pourrait pas être négocié? Faut-il que tout soit consigné dans la loi?

M. DaPont: Je ne prétends pas que tout doive être consigné dans la loi. Je signale que le projet de loi ne fait absolument pas référence à la question du financement. C'est un problème pour diverses raisons. On s'attendrait à ce que le gouvernement et les groupes autochtones veuillent savoir quelles ressources seront libérées pour soutenir l'exercice de l'autonomie gouvernementale.

Cette question n'est pas abordée et elle devra l'être dans le cadre de l'accord pratique d'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Bryden: Je veux dire que le gouvernement du Canada ne peut pas adopter un projet de loi qui crée des tribunaux et un système d'administration de la justice sans fournir les fonds nécessaires. Le gouvernement du Canada doit s'engager à fournir des fonds supplémentaires à cette fin. Sinon, ce projet de loi n'est qu'une copie vide.

Le sénateur Tkachuk: Lorsqu'il sera envoyé à la Chambre des communes, on pourra régler la question du financement. C'est là la prérogative de la Chambre des communes. Nous pouvons adopter une loi qui ne nécessite pas de défense de fonds. C'est ce que nous faisons en permanence. En fait, c'est sans doute un avantage du projet de loi. Toutes ces questions peuvent être négociées par la suite. C'est ce qui se produit pour toutes les lois, n'est-ce-pas? Je ne vois pas comment un projet de loi pourrait affecter des crédits. Ce n'est possible que dans un projet de loi de finances.

M. DaPont: Je n'entends pas fixer de principe général, mais je peux parler des accords d'autonomie gouvernementale. D'après mon expérience, le gouvernement et les groupes autochtones ont toujours eu intérêt à se mettre d'accord sur les questions de financement, sur un accord de financement et sur un plan de mise en oeuvre lors de l'approbation d'un projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce ainsi qu'on a procédé avec la Première nation Yukon?

M. DaPont: Oui, on l'a fait avec les Premières nations du Yukon, de Sechelt et de Cri Naskapi. Avant l'adoption des projets de loi, on règle ces questions dans le cadre de l'accord général d'autonomie gouvernementale. Je ne connais aucune situation dans laquelle on aurait adopté un projet de loi en laissant toutes les questions de financement à des négociations ultérieures.

Le sénateur Taylor; Il existe un autre scénario. Nous avons déjà reconnu un certain nombre de scénarios d'autonomie gouvernementale. Vous en avez signalé trois, mais on pourrait en imaginer des centaines.

Je ne pense pas que l'absence de dispositions d'ordre financier rende ce projet de loi inopérant. Peut-être y a-t-il des bandes qui ont des sources de financement indépendantes, auquel cas cette question de financement ne les concerne pas. Il en va différemment pour d'autres bandes, mais peut-être y en a-t-il plusieurs qui n'ont pas besoin de financement. Je connais de nombreuses bandes qui n'ont pas besoin de financement pour assurer leur autonomie politique, alors que vous dites que des dispositions à ce sujet sont indispensables.

M. DaPont: Peut-être.

Le sénateur Taylor: Cela ne rend pas le projet de loi inopérant.

M. DaPont: Dans ce cas, il faudrait faire en sorte que l'adoption du projet de loi dans de telles situations n'implique d'engagement financier pour le gouvernement. Si vous considérez que certaines Premières nations seront disposées à financer elles-mêmes tout l'accord d'autonomie politique, le gouvernement devra s'assurer qu'il n'a accepté implicitement aucun engagement.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que vous représentez ici le gouvernement libéral ou le ministère? Je ne suis pas tout à fait certain de ce que le témoin veut dire, madame la présidente.

Nous sommes ici pour parler du projet de loi. De toute façon, l'autonomie politique constitue un sujet nouveau pour les parlementaires. Ce n'est certainement pas à nous de décider si ce projet de loi nécessite ou non des mesures de financement.

La présidente: Vous avez dit, je crois, qu'il n'y avait aucune référence à la procédure à suivre. Cela n'a rien à voir avec l'obligation de fournir de l'argent. La référence à la procédure à suivre constitue l'une des faiblesses du projet de loi, et elle nécessite des explications.

Le sénateur Tkachuk: Il n'y a rien, dans ce projet de loi, qui y fasse obstacle.

Y a-t-il dans ce projet de loi quelque chose qui y fasse obstacle?

M. DaPont: Non. Mais il n'y a rien, dans ce projet de loi, qui indique comment régler le problème.

Nous sommes ici, sénateur, pour essayer d'aborder les questions qui, d'après notre expérience, ont dû être réglées dans le contexte des accords d'autonomie gouvernementale. Nous ne sommes pas ici pour soutenir le projet de loi ou pour le critiquer. Si j'ai donné une impression différente en soulevant la question du financement, je voulais simplement signaler que d'après notre expérience, il est essentiel de régler cette question. Généralement, la Première nation et le gouvernement jugent préférable de la régler avant de mettre un accord en oeuvre.

Madame la présidente, c'est dans ce contexte que j'ai voulu intervenir, et non pas dans le but de me prononcer pour ou contre ce projet de loi.

Le sénateur Bryden: Vous êtes ici, je crois, pour nous aider à comprendre ce projet de loi et pour le situer dans son contexte et je vous en remercie.

Madame Reid, vous avez signalé des dispositions qui, aux niveaux fédéral ou provincial, sont en conflit avec la AANB. J'ai une certaine expérience de la question. Mais vous avez résumé le paragraphe 34(1) en disant, à juste titre, que cette disposition précise que la loi fédérale s'applique, puis qu'elle ne s'applique pas, puis qu'elle s'applique à certaines conditions.

J'hésite à poser cette question, mais le projet de loi a-t-il été rédigé par le ministère de la Justice?

Mme Reid: Non.

Le sénateur Bryden: Nous avons déjà reçu de vos collègues des projets de loi dont la formulation était tout aussi confuse.

Le sénateur Taylor: Vous avez dit à plusieurs reprises que le droit pénal est de compétence fédérale. Est-il possible que certains actes soient criminels dans la société non autochtone et ne le soient pas dans la société de la Première nation, ou vice-versa? Les Premières nations ont une institution que l'on appelle le conseil de détermination de la peine. Peut-il y avoir différentes modalités d'application du droit pénal? Je dois reconnaître que les Premières nations ont des conceptions différentes des nôtres en matière de propriété. À partir du même principe, il me semble concevable qu'un même acte puisse être considéré comme criminel dans le centre-ville de Calgary alors qu'il ne l'est pas ailleurs.

Lorsque vous dites que le droit pénal est de compétence fédérale, je me demande s'il n'y a pas là matière à discussion.

Mme Reid: C'est un domaine très complexe du droit constitutionnel. Je pense qu'il faut considérer l'administration de la justice comme un domaine de compétence partagée entre les provinces et le Parlement fédéral.

Le sénateur Taylor: Pensez-vous que ce partage puisse s'étendre aux Premières nations?

Mme Reid: Certainement. Il y a des dispositions en ce sens dans l'actuelle Loi sur les Indiens. Elle prévoit, par exemple, la nomination des juges de paix qui doivent présider les audiences sur certaines infractions. Comme il s'agit d'une compétence partagée, et qu'on ne sait pas exactement à quel moment on empiète dans le domaine de l'autre juridiction, comme l'a indiqué M. DaPont, il est préférable d'adopter une mesure réciproque qui évite les contestations juridiques et constitutionnelles.

Vous parlez de l'adoption des lois; si un justiciable est insatisfait d'une loi, il peut la contester et si elle est non conforme à la Constitution, le gouvernement du Canada succombera et sera condamné aux dépens. Je ne prétends pas que ce projet de loi soit inconstitutionnel et inopérant, je dis simplement qu'il laisse planer une certaine ambiguïté juridique que l'on pourrait éviter grâce à un accord avec la province concernée et, éventuellement, grâce à une loi qu'adopterait cette province.

Le sénateur Andreychuk: Du point de vue du gouvernement, les principes de bonne gestion exigent sans doute que l'on négocie tous les détails et que l'on connaisse toutes les réponses avant d'adopter une mesure législative. Mais vous reconnaîtrez que ce n'est pas la seule méthode possible.

Ce projet de loi présenté au Sénat a le mérite de proposer une méthode au gouvernement ou à la Chambre des communes. Autrement dit, le Sénat a étudié les divers éléments de la question et propose un projet de loi. L'autre méthode consiste à énoncer un principe et à proposer un projet de loi en fonction de l'expérience acquise, puis à énumérer les questions non encore résolues pour les soumettre à la négociation, mais on risque d'obtenir le même résultat.

M. DaPont: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris la question.

Le sénateur Andreychuk: Vous dites que lors de l'adoption des autres projets de loi, vous connaissiez le point de vue des provinces et vous aviez négocié tous les détails avec elles.

Dans le cas de ce projet de loi, le principe est bien défini et bien compris. Vous reconnaissez que plusieurs de ces dispositions sont acceptables. Il y en a certaines qui posent des problèmes, notamment celles où les domaines de compétence ne sont pas clairement précisés. Ne peut-on pas considérer ce projet de loi comme acceptable, sous réserve des dispositions a), b) ou c)? Dans ce cas, il suffirait d'apporter les précisions nécessaires avant de passer à la question suivante. Si nous utilisons la structure du projet de loi pour terminer les négociations, au lieu de faire de son analyse une condition préalable, sous réserve qu'il soit adopté par les deux Chambres, est-ce qu'on n'obtiendra pas le même résultat?

M. DaPont: Ce sera à vous de le déterminer au cours de vos délibérations, madame le sénateur. Ce serait inadmissible pour moi de spéculer sur ce qui pourrait être ou ne pas être acceptable.

Le sénateur Andreychuk: Cependant, vous avez spéculé sur le contraire. Vous avez formulé une opinion politique indiquant que c'est la méthode que l'on devrait suivre; vous ne vous en êtes pas tenu à des observations d'ordre strictement juridique pendant le premier tour.

M. DaPont: J'ai signalé, comme j'ai cru qu'on me demandait de le faire, que la rédaction de certains aspects de ce projet de loi pourrait donner lieu à une certaine confusion ou à des malentendus de nature juridique. Pour les raisons que nous avons essayé d'expliquer dans les deux exposés, j'ai suggéré que la participation des provinces dans cette discussion semblerait être dans l'intérêt du public. C'était dans cet esprit que j'ai fait ces remarques. Je ne critiquais pas les points précis du projet de loi. Mais pas critiquer le projet de loi serait sans doute plus risquer que le contraire.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais discuter la disposition qui concerne la paix, l'ordre et le bon gouvernement, dans ce projet de loi. Ce dont nous avons discuté jusqu'à présent ne me pose pas beaucoup de problèmes. En tant que législateurs, il est tant que nous examinions sérieusement la question de l'autonomie gouvernementale. En tant que législateurs, nous devrions arrêter de traiter la question de l'autonomie gouvernementale comme quelque chose que nous devons faire pour eux. C'est pourquoi je pose cette question.

Disons que la réserve du sénateur Twinn ou une réserve au Manitoba ou en Saskatchewan satisfait aux critères de ce projet de loi et atteigne l'autonomie gouvernementale. Que se passerait-il? Rien ne se passerait. Les gens dans cette réserve continueraient de vivre leur vie. Ils auraient des frontières communes. Ils seraient obligés de prendre des dispositions pour l'éducation, les lois et l'administration de la justice. Pourquoi ne pas leur permettre de le faire eux-mêmes? Pourquoi le faisons-nous pour eux? Pourquoi nous assurons-nous que tout est parfait pour eux? Je crois qu'ils se comporteront comme toute autre municipalité qui a des frontières qui se chevauchent. Lorsque nous avons un problème à Saskatoon avec une municipalité avoisinante, ou une municipalité qui a des problèmes avec la réserve, nous ne nous adressons pas au gouvernement fédéral pour qu'il nous aide. La plupart du temps, ces questions sont résolues sur place, qu'il s'agisse d'autobus scolaires, d'hôpitaux, de services d'ambulance, d'administration de la justice, de circulation ou de routes d'une frontière à l'autre. Laissez-les résoudre leurs propres problèmes.

J'ai fait ce petit discours parce que je suis tellement frustré, sénateur Bryden. Je suis fatigué d'attendre.

Pour ce qui est de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement, le ministère de la Justice a été impliqué dans toutes sortes de législations concernant le Yukon. Vous devriez lire certains des passages du projet de loi C-34 adopté pendant la dernière session, qui s'intitule maintenant la Loi relative à l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon. L'article 3(1) se lit comme suit:

(1) [...] les dispositions de la présente loi l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi fédérale.

(2) Les dispositions de la Loi sur le Règlement des revendications territoriales des Premières nations du Yukon, d'un accord définitif et d'un accord transfrontalier, au sens de cette loi [...]

Là où je veux en venir, c'est qu'on ne fait pas mieux. Il est possible toutefois de faire pire.

Une fois que ce projet de loi est adopté par le Sénat, rien n'empêche certaines dispositions d'être rajoutées, comme l'a signalé le sénateur Andreychuk. Nous savons que chaque réserve devra traiter de certaines questions à l'occasion au fur et à mesure que la loi évolue. Il n'y aura pas d'entente universelle car il y en a jamais. Nous devrions certainement avoir un débat. En tant que législateurs, nous commençons à comprendre non seulement la difficulté de la procédure, mais aussi son éventuelle simplicité si nous faisons preuve de suffisamment de volonté.

La présidente: Ce n'est pas une question?

Le sénateur Tkachuk: C'est une affirmation, mais je voulais simplement signaler que ça ne peut pas mieux tomber.

Le sénateur Twinn: Avez-vous les procès-verbaux de toutes les négociations entre les Premières nations et le ministère des Affaires indiennes?

M. DaPont: Nous conservons rarement les procès-verbaux. Nous travaillons habituellement à partir d'un document commun et ce document-là évolue.

Le sénateur Twinn: Nous avions parafé ces ententes-là avec le ministère. Si vous n'avez pas les procès-verbaux, je pourrais vous en fournir.

Ce qui m'étonne, c'est que les mêmes questions sont soulevées. Il est malheureux que le Sénat ne puisse pas entendre les gens expliquer les préoccupations qu'ils avaient et qu'ils ont encore une fois.

Le ministère de la Justice talonnait toujours le ministère des Affaires indiennes. Nous avons rencontré des responsables de Revenu Canada et de plusieurs autres ministères, et pas seulement ceux du ministère des Affaires indiennes. La bande de Sechelt n'avait pas encore terminé la négociation lorsque le projet de loi a été adopté. Vous m'avez demandé ce qu'il en était du côté financier. Comment procède la bande de Sechelt? Posez-moi des questions sur les finances, sur qui a financé cette autonomie gouvernementale, contrairement aux grosses sommes d'argent que je n'ai pas dépensées pour le Yukon? Voyons donc.

La loi générale s'applique. Vous avez parlé des conséquences pour quelqu'un en dehors de la province. La Loi sur les Indiens s'applique maintenant. Si quelqu'un de l'extérieur est en dehors de la province, la Loi sur les Indiens s'applique à cette personne. Ce projet de loi viendrait remplacer la Loi sur les Indiens.

S'il y a encore confusion, nous devrons passer une journée avec le ministère et avec tous ceux qui s'opposent au projet de loi afin de pouvoir l'expliquer davantage. Je comprends que le Sénat doit savoir ce qui se passe. Il doit bien connaître le projet de loi. Nous avons fait de notre mieux pour l'expliquer. Donnez-nous l'occasion de nous faire entendre. Accordez-nous quelques jours et laissez-nous l'expliquer à fond. Arrêtons de tergiverser. Nous nous sommes adressés au Sénat pour une raison bien particulière.

La présidente: Je vous remercie tous d'être venus. J'ai trouvé cela fort utile. Comme le sénateur Twinn et le sénateur Tkachuk le savent très bien, nous sommes en train d'aborder des questions sur lesquelles plusieurs d'entre nous ne nous sommes jamais penchés auparavant. Cela a été une excellente occasion pour nous. J'espère qu'il y en aura d'autres.

Honorables sénateurs, nous avons trois projets de loi qui exigent notre attention immédiate et on ne sait pas exactement comment s'y prendre. Les projets de loi C-39 et C-40 sont là.

Le sénateur Taylor: Le sénateur Andreychuk peut peut-être m'aider à ce sujet. Si nous sommes pressés, nous pourrions peut-être nous dispenser de l'étape au comité et passer directement en troisième lecture à la prochaine séance. C'est une décision que le comité doit prendre.

Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Johnson prendra la parole au sujet des projets de loi C-39 et C-40. Je n'ai entendu aucune opposition à ces projets de loi.

Je crois comprendre que les réserves concernées ont déjà procédé aux négociations. Il s'agit en fait de leur entente. Elle concerne les inondations et ressemble à d'autres projets de loi qui ont été adoptés. Il y en a eu un en Nouvelle-Écosse. Nous pouvons faire l'une de deux choses: nous pouvons nous former à nouveau en comité plénier ou nous dispenser de l'étape du comité. Je me souviens très bien qu'il y a trois ans il y avait eu une discussion entre les cadres des deux côtés quant à savoir si nous voulions établir le précédent de ne pas avoir de renvoi au comité. Nous devrions vérifier cela et ensuite discuter de la possibilité de traiter de ces projets de loi en comité plénier.

Le sénateur Taylor: J'ai parlé à nos leaders et d'après ce que je peux comprendre, à moins que le leader à la Chambre n'ait parlé aux autres, il n'avait aucune objection hier soir. Il a dit toutefois que si quelqu'un dans l'opposition voulait le mettre en délibération, il pouvait le faire. Je veux qu'il soit bien clair que je n'essaie pas de hâter les choses. Nous avons une telle charge de travail au Sénat, et il ne semble y avoir aucune opposition à ces projets de loi. Je me suis renseigné à ce sujet au cours des deux dernières semaines. Nous renvoyons beaucoup de choses au comité qui pourraient se passer de cette étape.

Le sénateur Andreychuk: L'essentiel du discours que j'ai entendu il y a trois ans c'était que, si nous voulons que le Sénat soit pris au sérieux, nous devrions respecter notre procédure, laquelle comprend un examen en comité, même s'il ne s'agit que d'indiquer que quelqu'un qui a une responsabilité précise pour ce domaine a fait son travail et est satisfait. Il peut s'agir d'une réunion de comité qui dure cinq minutes pour simplement consigner nos impressions au procès-verbal.

Nous pouvons contourner cette procédure dans certains cas pour un motif bien justifié. J'ai l'intention de vérifier auprès des leaders pour savoir comment traiter de cette question, si nous pouvons faire autrement ou si le projet de loi doit se rendre ici. Ces deux projets de loi ne font l'objet d'aucune controverse. Je ne vois pas le besoin de faire le tour de toutes les questions comme nous le faisons dans certains cas.

Le sénateur Johnson: C'est très clair. Cela fait un an que nous attendons pour les faire adopter.

Le sénateur Andreychuk: Si nous pouvons accélérer le processus, nous le ferons.

Le sénateur Taylor: Vous avez affirmé une chose avec laquelle je ne suis pas d'accord. Vous dites que cela crée un précédent. J'ai jeté un coup d'oeil au Règlement du Sénat. Seuls les projets de loi d'intérêt privé doivent être renvoyés à un comité.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'était pas de cela dont je parlais.

Le sénateur Taylor: Le Sénat peut passer outre. Dans ces cas-là, nous devons faire une motion explicite pour le faire parvenir à un comité. Faute d'une telle motion, il passe automatiquement à l'étape de la troisième lecture.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'était pas là où je voulais en venir. C'est la raison qu'on m'a donnée pour expliquer que si nous voulons que le public perçoive que nous faisons bien notre travail, nous devrions au moins examiner ce projet de loi un peu plus et ne pas nous contenter des seuls deux critiques.

La présidente: Il serait possible de faire quelque chose demain à 17 h 15.

Le sénateur Andreychuk: Examinons ça avec les leaders, si le comité n'a aucune objection à se dispenser de l'examen de ces deux projets de loi.

Le sénateur Tkachuk: Je ne sais même pas pourquoi nous devrions renvoyer ces questions-là au comité. Pourquoi ne pas leur permettre d'aller de l'avant?

Le sénateur Andreychuk: C'est ce que nous sommes en train de discuter.

Le sénateur Tkachuk: Cette décision ne nous revient pas.

Le sénateur Taylor: Si vous me le permettez, je vais proposer la troisième lecture. Je ne veux pas être très peiné si le Sénat ne l'accepte pas. Nous irons tout simplement au comité. Je vais foncer.

Le sénateur Andreychuk: L'autre question, cependant, est que le projet de loi C-75 est sur la voie accélérée. Le projet de loi C-75 prévoit la ratification et l'entrée en vigueur de l'entente-cadre sur la gestion des terres des Premières nations. C'est très compliqué.

J'ignore si c'est un sujet litigieux. J'ai étudié un peu la question, et cela mérite définitivement une étude par le comité, mais reste à savoir quand.

La présidente: J'ai dit que nous nous réunirions sur convocation du président.

Le sénateur Tkachuk: Qu'allons-nous faire avec le projet de loi S-12 dont nous sommes saisis? Est-ce que nous en faisons rapport au Sénat?

La présidente: J'ai cru comprendre que nous voulions entendre deux autres groupes de témoins, l'un étant un groupe de juristes-experts indépendants tel que Peter Hogg et l'autre serait des autochtones de la communauté.

Le sénateur Tkachuk: Allons-nous procéder avec le même plan de travail pour le projet de loi C-75, qui est également très compliqué?

La présidente: Je m'attends à ce que nous devions faire la même chose pour le projet de loi C-75, oui. C'est ce que je crois comprendre.

Lorsque nous avons commencé cette étude, on avait convenu d'entendre deux autres groupes de témoins. Je préférerais suivre cette voie.

Le sénateur Taylor: Puis-je demander au sénateur Tkachuk, parrain de ce projet de loi, s'il serait utile que les témoins présentent des amendements aujourd'hui?

Le sénateur Tkachuk: J'essayais de les écouter pour voir s'ils avaient des idées pour apporter des amendements, mais il n'y en avait pas vraiment.

Le sénateur Taylor: Il est vrai qu'on ne peut pas parler de financement, mais je pensais qu'ils voudraient aborder d'autres questions.

Le sénateur Tkachuk: Je ne crois pas qu'ils avaient des amendements à proposer.

Le sénateur Bryden: Ils seraient prêts à aider notre comité, à titre gratuit. C'est un projet de loi d'initiative privée, il n'émane pas du gouvernement. On ne leur demande pas de nous faire des propositions sur la façon de régler le problème. Par contre, ils peuvent nous dire ce qui ne va pas, de telle sorte qu'on pourrait pousser nos recherches dans ce sens.

Le sénateur Tkachuk: Y a-t-il encore des questions que certains d'entre vous voudraient éclaircir d'ici à demain?

Le sénateur Taylor: Il y a bien sûr le problème que pose l'article 34. Je pensais qu'on pourrait le régler.

La présidente: Je suis un peu gêné car le sénateur Watt est malade aujourd'hui et je sais qu'il avait quelque chose à dire à ce propos.

Le sénateur Tkachuk: Il estimait que le projet de loi n'allait pas assez loin, mais ici, son opinion est un peu différente.

La présidente: Je préférerais qu'il l'explique lui-même. Je pense qu'il est inutile de poursuivre cette discussion aujourd'hui, il vaut mieux attendre la prochaine réunion car, de toute façon, nous devons en avoir encore une.

Le sénateur Tkachuk: Nous pensions que nous pourrions peut-être nous entendre sur les problèmes que ce projet de loi pose aux sénateurs.

La présidente: Nous devons avoir une réunion demain.

Le sénateur Tkachuk: Que cela nous plaise ou non, nous devons bien admettre qu'il nous manque du temps.

Le sénateur Taylor: C'est la raison pour laquelle j'essayais de faire adopter les projets de loi C-39 et C-40 sans les envoyer au comité.

Le sénateur Tkachuk: Ce sera au gouvernement de régler le problème du projet de loi C-75. Nous, nous avons le projet de loi S-12. Si nous adoptons la même procédure pour le projet de loi C-75, il faudra siéger dimanche.

Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi C-75 ne concerne que la gestion des terres, et pas les autres pouvoirs. C'est un projet de loi différent, beaucoup plus complexe.

Le sénateur Tkachuk: Certaines personnes s'y opposent, et notre tâche ne sera pas si facile que cela.

Le sénateur Andreychuk: Je ne comprends pas car on m'avait dit que le projet de loi C-75 ne faisait pas l'objet d'une procédure d'adoption rapide.

La présidente: C'est ce qu'on m'avait dit aussi.

Le sénateur Andreychuk: Certains groupes prétendent le contraire, et ils affirment aussi que nous aurons les trois projets de loi cet après-midi. Attendons de voir ce qui va se passer.

La présidente: Je vais essayer de convoquer une réunion au moment qui convient au maximum de personnes.

Que pensez-vous de jeudi après-midi? Nous allons siéger vendredi. Jeudi après-midi vous convient-il?

Le sénateur Tkachuk: N'importe quel projet de loi a priorité sur un projet de loi d'initiative parlementaire, mais s'il y a des questions que nous pouvons régler sans tarder, le projet de loi pourra être renvoyé au Sénat dès vendredi.

La présidente: Je suis prête à étudier cette possibilité, mais je préférerais quand même que le sénateur Watt soit présent.

Le sénateur Johnson: Le sénateur Watt sera-t-il remis pour jeudi après-midi?

Le sénateur Tkachuk: Je vais m'enquérir auprès de lui.

La présidente: Merci beaucoup. Nous ferons ce que nous pourrons.

La séance est levée.


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