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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 12 - Témoignages, le 19 février (15 h 25)


OTTAWA, le mercredi 19 février 1997

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-29, Loi régissant le commerce interprovincial et l'importation à des fins commerciales de certaines substances à base de manganèse, se réunit à 15 h 25 aujourd'hui pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui deux constitutionnalistes distingués qui nous parleront de la constitutionnalité -- ou de la non-constitutionnalité -- du projet de loi C-29.

Je vous en prie.

M. Patrick Monahan, Osgoode Hall Law School, Université York: Monsieur le président, c'est un plaisir de comparaître devant le comité pour commenter le projet de loi C-29.

Je vais aborder deux questions. J'ai cru comprendre, dans mes premiers contacts avec la greffière qu'on attendait de moi que je traite de deux questions: le projet de loi C-29 va-t-il à l'encontre de la Constitution, et viole-t-il l'Accord sur le commerce intérieur, signé en 1994 par le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux? J'aborderai cette deuxième question également.

J'ai présenté un mémoire au comité. Sauf erreur, on vient seulement de le distribuer. Il s'agit d'un document assez détaillé. Je ne vais pas essayer de le passer en revue avec les membres du comité, mais je vais les renvoyer à ce document s'ils veulent avoir plus de détails sur l'argumentation que je vais présenter.

En ce qui concerne la constitutionnalité du projet de loi C-29, j'ai été assez intrigué, à la première lecture de ce texte assez bref, qu'on prétende qu'il était anticonstitutionnel. Il me semblait évident que cette mesure était sans aucun doute constitutionnelle. J'en suis immédiatement venu à cette conclusion parce qu'elle traite uniquement du commerce interprovincial d'un produit et de l'importation de ce produit.

Il est vrai que les tribunaux, et plus particulièrement le comité judiciaire du Conseil privé, à l'époque où il était la dernière instance d'appel pour le Canada, ont imposé des limites très importantes au pouvoir du Parlement de réglementer le commerce. Pourtant, il a toujours été compris que seul le Parlement pouvait régir le commerce interprovincial et l'importation de biens au Canada parce que, selon la théorie du fédéralisme que le Conseil privé a élaborée, il y avait répartition de la totalité des pouvoirs entre le Parlement fédéral et les provinces. En d'autres termes, tout l'éventail des pouvoirs doit être réparti entre le Parlement et les provinces. Il est clair depuis plus d'une centaine d'années maintenant que les provinces ne peuvent pas réglementer l'importation des produits au Canada ni le transport interprovincial des produits. Étant donné que les provinces ne peuvent réglementer ce secteur, il faut que le Parlement puisse le faire.

Les tribunaux, en interprétant les pouvoirs à l'égard du commerce, ont dit qu'il y avait une distinction fondamentale à faire entre la réglementation du commerce interprovincial et la réglementation de ce qu'on peut décrire comme le commerce local ou le commerce intraprovincial. Si les tribunaux ont imposé de très importantes limites à la capacité du Parlement de réglementer les transactions qui se déroulent dans une seule province, il n'a jamais été dit que le Parlement ne pouvait pas réglementer le commerce interprovincial.

Il suffit de consulter rapidement les recueils de lois pour remarquer que des dizaines de lois portent sur une foule de choses qui concernent le commerce interprovincial et l'importation de produits. J'en énumère quelques-unes aux notes 3 et 22 de mon mémoire. Je ne vais pas les reprendre ici, mais ces notes vous donneront une bonne idée. Ce sont des listes partielles de tout ce que le Parlement fait. Il limite sa réglementation, dans un grand nombre de ces cas, au commerce interprovincial.

Pour les constitutionnalistes, il est évident que ces lois sont valides. Elles ne sont pas contestées au nom de la Constitution parce que les gens ne sont pas prêts à gâcher de l'argent pour retenir les services d'avocats. Étant donné ce qu'on dit des avocats qui incitent les gens à intenter des poursuites alors qu'il est évident qu'ils n'ont aucune chance d'avoir gain de cause, ils jugent tout de même qu'il ne vaut pas la peine de gaspiller de l'argent dans ce genre de démarche.

Un exemple que je donne dans mon mémoire est la cause Dominion Stores c. La Reine. Cela se trouve au paragraphe 2.10 de la page 4 de mon mémoire. Dans cette affaire, le pouvoir du Parlement de réglementer l'établissement de normes sur les pommes et d'autres produits naturels était contesté. La loi comportait deux parties, dont une portait sur la vente locale des pommes et l'autre sur le commerce interprovincial des pommes.

La Cour suprême du Canada a décidé que la réglementation de la vente locale n'était pas valide, mais même ceux qui contestaient la loi ont concédé que la réglementation du commerce interprovincial était valide. Je tiens à souligner qu'ils l'ont carrément concédé. En d'autres termes, ils n'ont même pas présenté d'argumentation. Cela ne valait pas la peine. C'était évident, limpide. Nous le savons. C'est ce que veut la doctrine admise. Il n'y a donc pas lieu d'insulter les juges en essayant de présenter une argumentation; elle serait rejetée.

Si on reprend les mêmes principes dans le contexte du sujet du projet de loi C-29, de la réglementation des carburants et de la réglementation des moyens de contrôle des émissions des véhicules, que constatons-nous? Que le Parlement du Canada, au cours des 25 dernières années, a réglementé les émissions des véhicules au moyen de la Loi sur la sécurité des véhicules automobiles. Il a réduit les émissions de plus de 90 p. 100 au moyen de cette loi.

Comment les autorités fédérales s'y sont-elles prises? Exactement de la même façon que dans le projet de loi C-29. Elles disent qu'on ne peut faire franchir à un véhicule une frontière provinciale et qu'on ne peut importer un véhicule au Canada à moins qu'il ne respecte ces normes d'émissions.

Cette loi est incontestablement valide, selon moi. Elle a permis au Canada de réduire les émissions d'environ 90 p. 100 au cours des 25 dernières années. Cela est parfaitement légal.

Je soutiens que c'est exactement la même chose qui se passe dans le projet de loi C-29. Il ne réglemente pas les transactions à l'intérieur des provinces. L'intervention législative doit donc être valide.

Je me demande quel est le problème, quelle argumentation on présente à propos de ce projet de loi. J'examine les arguments avancés contre le projet de loi. On les a portés à mon attention. Une lettre d'un avocat, M. Bruce Campbell, fait certaines affirmations selon lesquelles le projet de loi serait anticonstitutionnel. Je ne vais pas traiter de la question en détail, mais j'en parle aux pages 5 et 6 de mon mémoire. Sénateurs, vous pouvez jeter un coup d'oeil sur ce que j'ai ici. Comme M. Campbell n'est pas parmi nous, je ne veux pas entrer dans les détails, mais je dois dire, sauf son respect, qu'il interprète faussement la relation entre les accords commerciaux internationaux et la répartition interne des pouvoirs entre le Parlement et les provinces. J'ai l'impression qu'il a essayé, à tort, de soutenir que, parce que quelque chose lui semble aller à l'encontre de l'ALÉNA ou des normes américaines, cela a des répercussions sur la répartition des pouvoirs entre le Parlement et les provinces. À mon humble avis, sénateurs, il fait fausse route.

Mon collègue et ami, M. Frémont, est un constitutionnaliste réputé. Il a préparé à l'intention d'Ethyl Canada une opinion extrêmement détaillée. Je crois savoir que cette société a comparu devant le comité. M. Frémont a rédigé une opinion juridique selon laquelle le projet de loi serait peut-être inconstitutionnel. Je ne veux pas lui mettre des mots dans la bouche, mais je remarque qu'il est assez hésitant dans certains passages de son mémoire et dit même qu'on pourrait se prononcer pour ou contre la constitutionnalité. Il me dira dans un moment en quoi j'ai mal interprété son argument.

Si je comprends bien son point de vue, la difficulté que présente le projet de loi est que c'est en quelque sorte une tentative déguisée de réglementation du commerce local, que l'accent est mis sur les transactions interprovinciales, mais que le texte tend en fait à réglementer le commerce local. Il dit que, selon cette doctrine, le projet de loi est anticonstitutionnel.

Deux points, simplement, à ce propos-là. Tout d'abord, au sujet de l'idée d'intervention législative déguisée, M. Hogg dit que les arguments fondés sur cette idée réussissent rarement. Les causes ne sont pas très nombreuses. Il est très difficile de fonder un argument sur ce principe. En réalité, les causes où cette argumentation l'a emporté concernaient des lois provinciales et non des lois fédérales.

Laissons cela de côté. C'est très bien. Cet argument est rarement retenu. M. Frémont dira peut-être que c'est ici l'un des rares cas où nous sommes en présence d'une intervention législative déguisée. Les autorités fédérales essaient de réglementer le commerce local. Je présente une argumentation plus détaillée dans mon mémoire, mais je dirai ici simplement que, en toute déférence, les causes citées par M. Frémont sont des cas où le Parlement ne limitait pas son intervention réglementaire au commerce interprovincial; il tentait aussi de réglementer les transactions locales. Dans ces causes-là, les tribunaux ont effectivement conclu qu'il s'agissait d'une intervention déguisée. Étant donné que le Parlement cherchait à intervenir au niveau provincial et à réglementer des transactions locales, cela était inconstitutionnel. Mais ce n'est pas le cas ici.

Si M. Frémont a raison de dire que le Parlement ne peut pas se servir de ses compétences en matière de commerce international de façon à influencer ce qui se passe dans une province, l'ensemble de la Loi sur la sécurité des véhicules automobiles que nous avons au Canada depuis 25 ans pour réglementer les normes d'émissions est également contraire à la Constitution. Nous ne pourrions pas avoir ces normes au Canada. Bien entendu, l'objet de ces normes, même si elles réglementent le commerce interprovincial, est de régir ce qui se passe au moment de la fabrication des voitures. Étant donné que 95 p. 100 des voitures traversent des frontières, la réglementation fait sentir ses effets au niveau de la province, mais ce n'est pas une intervention législative déguisée. La doctrine ne s'applique pas, selon moi, lorsque la réglementation se limite au commerce interprovincial et international.

Mon étonnement demeure entier. J'ai grand hâte que M. Frémont m'explique pourquoi, en dehors de l'argumentation qu'il avance dans son mémoire, ce projet de loi est anticonstitutionnel. À mon sens, sénateurs, c'est un projet de loi dont la constitutionnalité ne fait aucun doute. Il n'y a pas d'argument sérieux, substantiel, qui permette de dire que ce projet de loi est inconstitutionnel. Tout est simple et évident: il est conforme à la Constitution.

Permettez-moi de dire quelques mots de l'Accord sur le commerce intérieur. Il est difficile de se prononcer de façon concluante à propos de ce texte, puisqu'il est tout nouveau. Nous n'avons pas une grande jurisprudence. Les tribunaux n'en ont encore donné aucune interprétation, mais nous pourrions il est vrai examiner des causes concernant le commerce international pour voir comment on pourrait l'interpréter.

Ce qu'il importe de comprendre dans l'Accord sur le commerce intérieur, sénateurs, c'est qu'il s'agit d'une première étape, mais très modeste. Les gouvernements ont choisi les formulations avec le plus grand soin pour se garder d'amples possibilités de réglementation. Un chapitre traite expressément de l'environnement, et ils ont expressément stipulé que l'adoption d'une mesure en matière environnementale, même si les fondements scientifiques de la mesure demeurent douteux, ne doit pas être considérée comme contrevenant à l'Accord. L'argument selon lequel ce type de mesure contrevient à l'accord découle de l'opinion du profane voulant qu'elle empêche le transport de certains biens d'une province à l'autre. La mesure viole-t-elle donc l'Accord sur le commerce intérieur? Cet accord ne vise-t-il pas à libéraliser la circulation des biens?

J'ai le regret de le dire, sénateurs, mais la réponse est que ce n'est pas ce que dit l'accord. Il stipule qu'il est possible de réglementer la circulation interprovinciale des biens pourvu que ce soit pour une fin légitime. En ce cas, la question qui se pose est la suivante: pouvez-vous prouver que la mesure législative vise effectivement à protéger l'environnement? Dans ce cas, une disposition, l'article 1505.8 dont je parle dans mon mémoire, dit que ce type de disposition ne peut pas être contesté.

Dans ce cas, j'ai passé en revue les témoignages recueillis par le comité. Ce qu'on a, ce sont les témoignages de 21 fabricants de voitures des quatre coins du monde qui sont venus dire que, selon eux, la présence de MMT dans l'essence gêne l'efficacité des systèmes de contrôle des émissions. J'ai été frappé par l'intervention du président de Mercedes-Benz, qui est venu nous dire que sa société fabrique 640 000 véhicules qui sont vendus partout dans le monde et que 635 000 d'entre eux ne posent aucun problème. Mais voici que les 5 000 qui sont vendus au Canada, où l'essence contient du MMT, ont des problèmes de dispositifs de contrôle des émissions. Il pense que c'est le MMT qui constitue le problème.

Si on applique le principe de prudence qui est expressément prévu dans l'Accord sur le commerce intérieur, il est fort peu probable -- je ne pense pas que ce soit aussi concluant que le jugement que je porte sur la question constitutionnelle -- qu'on puisse invoquer cet accord avec succès. J'ai eu beau passer en revue les témoignages et les mémoires présentés au comité, je n'ai trouvé nulle part d'analyse de l'accord qui passe en revue les dispositions de ce texte et dise pourquoi le projet de loi va à l'encontre de l'accord.

Je remarque que la semaine dernière, au moment où les représentants du gouvernement de l'Alberta ont comparu, monsieur le président, vous avez demandé au témoin: «Pourriez-vous nous expliquer à quel élément de l'accord on contrevient?» Voici la réponse: «Nous avons obtenu des opinions juridiques et un avocat quelconque nous a dit que notre cause était très défendable; nous allons donc porter l'affaire devant les tribunaux.»

Je me demande vraiment quels sont les fondements de cette affirmation. Si on considère le chapitre de l'accord consacré à l'environnement, on constate qu'il exclut expressément toute contestation du projet de loi C-29.

Le président: Merci, monsieur Monahan.

Je vous en prie, monsieur Frémont.

[Français]

M. Jacques Frémont, Faculté de droit, Université de Montréal: Merci beaucoup monsieur le président, je voudrais tout d'abord remercier le comité et ses membres de leur invitation à comparaître devant vous. On me permettra de m'exprimer en anglais afin de faciliter la discussion de tous autour cette table. Il me fera plaisir de répondre à vos questions dans la langue de votre choix.

[Traduction]

Vous aurez reçu un exemplaire de mon mémoire sur la constitutionnalité du projet de loi C-29. Je l'ai rédigé à la demande de l'Institut canadien des produits pétroliers.

Je dois faire observer que, dans ce document, on ne m'a pas demandé de voir si le projet de loi C-29 respecte ou non l'accord sur le commerce interprovincial. Le document passe donc le problème sous silence, et je dois avouer que je n'ai pas de compétence particulière pour répondre aux questions que vous pourriez avoir au sujet de cet accord.

Je dois dire que, au départ, lorsque j'ai lu le projet de loi, j'ai été plutôt intrigué, comme mon collègue et ami, M. Monahan. Je ne comprenais pas pourquoi une loi en matière d'environnement, une loi visant à protéger l'environnement était conçue dans un cadre aussi étroit, se limitant exclusivement au commerce interprovincial ou international. Cela me laissait et me laisse toujours perplexe. J'ai relu hier les propos que le ministre Marchi a tenus au cours du débat de troisième lecture aux Communes. Il est absolument renversant qu'il n'ait pas soufflé mot du moyen mis en oeuvre par le projet de loi. Le projet de loi concerne la salubrité de l'air et la santé, mais ces mots ne figurent même pas dans la loi.

C'est frappant et même remarquable: si ce projet de loi vise vraiment à protéger l'environnement, pourquoi est-ce qu'il n'est pas présenté comme un texte sur l'environnement? Nous y reviendrons.

M. Monahan a tout à fait raison. Je ne suis pas ici cet après-midi pour soutenir que le projet de loi est carrément inconstitutionnel. Ce serait aller trop loin. Ce que je prétends, c'est qu'il se pose des questions graves, et c'est ce genre de questions dont les tribunaux seront certainement saisis si le projet de loi est adopté. C'est le type de litige qui sera vraisemblablement tranché par la Cour suprême du Canada. Nous allons nous adresser directement à elle pour qu'elle se prononce sur la loi et ses dispositions. Dieu seul sait si le projet de loi aura des conséquences pour l'industrie pétrolière, mais il aura certainement un effet très favorable sur l'industrie des débats constitutionnels. Nous sommes donc tous profondément reconnaissants.

Le sénateur Nolin: C'est pourquoi vous affichez un large sourire.

Le sénateur Kenny: Qu'il soit consigné que les avocats sourient.

Le président: M. Monahan ne semble pas aussi souriant. Peut-être que ses services n'ont pas encore été retenus.

Le sénateur Nolin: C'est une question d'heures.

M. Frémont: Il ne servirait à rien de revenir sur tous les détails qui se trouvent dans le document que vous avez sous les yeux. Je tiens pourtant, au départ, à dire quelques mots de ce que je décrirais, aux fins du débat, comme une conception fondée sur le sens commun, dans l'évaluation de la constitutionnalité du projet de loi. Je parle de sens commun parce que, au fond, le droit constitutionnel est affaire de sens commun et concerne la manière dont un pays fonctionne et doit fonctionner et dont le système juridique fonctionne et doit fonctionner.

Il est de l'essence même du droit constitutionnel et de la souveraineté du droit que les provinces ou l'État fédéral ne peuvent se comporter à leur guise dans un régime fédéral. Il existe des ensembles de règles qui déterminent comment notre Parlement ou une assemblée législative peuvent légiférer. Ainsi, la Charte canadienne des droits et libertés impose de nombreuses contraintes. Le caractère fédéral de notre pays impose d'autres types de restrictions sur les pouvoirs législatifs pléniers du Parlement et, bien entendu, des assemblées législatives. En d'autres termes, ni le Parlement ni les assemblées législatives ne peuvent légiférer comme bon leur semble. Ils doivent se conformer à des règles.

Deuxièmement, le droit constitutionnel s'est donné une règle de sens commun inspiré du principe bien connu voulant qu'on ne puisse pas faire par des voies détournées ce qu'on ne peut pas faire directement. Il est facile de comprendre la justification de cette règle qui concerne les interventions législatives déguisées. Aucune règle juridique ni constitutionnelle ne saurait survivre si elle pouvait être constamment circonvenue. Le système s'effondrerait. Il en va de même en droit constitutionnel.

Les règles et la logique des lois constitutionnelles sont importantes et doivent être respectées. Autant que possible, il faut en tenir compte au niveau législatif et éviter ainsi des procédures judiciaires longues et coûteuses, avec les incertitudes juridiques qu'elles entraînent.

Troisièmement, et cela se rapporte aux points qui précèdent, il demeure important en droit constitutionnel, tout comme dans la vie, d'appeler un chat un chat. Si une loi du Parlement ou d'une assemblée législative vise à combattre un mal, il faut qu'elle le fasse directement et rationnellement. Elle doit le faire directement parce que, c'est un aspect important de la primauté du droit, les choses doivent être claires et non équivoques. Les tribunaux et le public doivent savoir exactement quels sont les objectifs du Parlement ou de l'assemblée législative. Dans la vie comme en droit constitutionnel, on fait les choses, rationnellement, avec un objectif en tête. Ce n'est donc pas un hasard si la rationalité est explicitement l'un des critères adoptés par les tribunaux dans le cadre de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est également une exigence explicite de notre Constitution, en matière de répartition des pouvoirs que les moyens choisis par le Parlement doivent cadrer avec les objectifs poursuivis.

Quatrièmement, enfin, toujours par souci d'être direct et rationnel, la Constitution exige que les lois poursuivent des objectifs constitutionnellement acceptables, par des moyens constitutionnellement acceptables aussi. À mon humble avis, c'est probablement à ce critère de constitutionnalité que le projet de loi C-29 ne satisfait pas.

Mon collègue, M. Monahan, a expliqué ma position au sujet du projet de loi C-29. Le point de départ et d'aboutissement, lorsqu'il s'agit de déterminer la validité du projet de loi C-29, sont la vraie nature de cette mesure législative. Au plan constitutionnel, nous disons qu'il s'agit du caractère véritable, de l'essence, du sujet, de la caractéristique dominante ou la plus importante, de la caractéristique prépondérante de la mesure législative. Ce sont là autant d'expressions qu'emploient les constitutionnalistes pour parler du caractère véritable d'une mesure.

Là-dessus, je conviens avec mon collègue, M. Monahan, que le caractère véritable du projet de loi en fait clairement une mesure qui concerne le commerce. Ce n'est pas une loi sur l'environnement ou la santé ni une loi pénale. Il s'agit ici assurément de commerce.

Il est important à cet égard de ne pas confondre les objectifs qui peuvent être poursuivis par l'assemblée législative. Ces objectifs peuvent fort bien être l'environnement, la santé ou le droit pénal. Dans ce cas-ci, les techniques utilisées se rapportent clairement au commerce.

La question fondamentale est la suivante: le Parlement peut-il invoquer les pouvoirs que la Constitution lui attribue en matière de commerce pour adopter une loi comme celle-ci?

Il est frappant, à la lecture du hansard, qu'on n'ait pas dit un seul mot ne soit dit du commerce, mais qu'on ait parlé d'abondance de l'environnement et de la santé. Cela m'a semblé étrange, et je me suis demandé pourquoi le gouvernement avait décidé de ne pas utiliser ses compétences à l'égard de l'environnement ou du droit pénal, comme il l'a fait dans le cas du tabac, il y a quelques années, et comme il le fait encore dans le projet de loi sur le tabac qui est à l'étude aux Communes.

Mais je peux comprendre, si je considère les problèmes de compétences qui auraient surgi si le Parlement fédéral avait décidé de légiférer en intervenant carrément dans les questions de santé ou dans le droit de l'environnement. Je reconnais le bien-fondé de l'analyse faite par le ministère de la Justice: compte tenu des faits que possèdent les scientifiques et l'industrie, il serait extrêmement difficile, devant les tribunaux, de satisfaire au critère voulant qu'on établisse que l'impact et le préjudice possibles pour la santé sont si graves qu'il est justifié de recourir au droit pénal, comme cela s'est passé dans le cas du tabac. Dans mon exposé, j'explique en long et en large les conséquences de la décision récente de la Cour suprême à propos du tabac, et je l'applique au projet de loi C-29. Je doute que ce soit un moyen prometteur pour justifier une intervention fédérale.

Il restait au Parlement la possibilité d'intervenir au moyen des pouvoirs fédéraux en matière de commerce, prévus à l'article 91.2. Il importe toutefois de rappeler que nous sommes dans un régime fédéral, et que ces pouvoirs n'existent pas dans le vide absolu. M. Monahan a dit que les pouvoirs faisaient l'objet d'une répartition exhaustive entre les provinces et les autorités fédérales. La Constitution canadienne est limpide à ce sujet: les provinces ont l'entière compétence à l'égard de la fabrication des produits, notamment l'essence.

Bora Laskin était un fédéraliste convaincu, et on ne peut guère le soupçonner de parti pris favorable aux provinces. Dans l'affaire de la potasse, il a dit clairement que le processus de fabrication était de ressort provincial. En 1978, le juge Pigeon s'est prononcé dans le même sens à propos du renvoi au sujet des produits agricoles, tout comme le juge Estey en 1980, dans la cause opposant Labatt au procureur général du Canada. On a là trois décisions récentes qui sont très convaincantes. Ce sont les dernières causes qui ont porté sur ces questions. Il a été clairement reconnu que la compétence fondamentale, le pouvoir principal, à l'égard de la fabrication des produits revient aux provinces, bien que cela ne veuille pas dire que les autorités fédérales n'ont pas leur place. Je reconnais avec M. Monahan qu'il existe une compétence fédérale claire concernant le commerce interprovincial et international. Ce n'est pas ce qui est en cause ici.

L'enjeu, ce sont les modalités d'application de ces pouvoirs, dans le projet de loi à l'étude. C'est là que les choses se brouillent quelque peu, et j'avance dans mon mémoire qu'on peut soutenir avec force devant les tribunaux que le Parlement ne peut, en prenant prétexte de ses pouvoirs en commerce international et interprovincial, régir les processus de production de l'essence à l'intérieur d'une province. On pourrait présenter des arguments très solides aux tribunaux. Je ne vais pas soutenir cet après-midi que le projet de loi est anticonstitutionnel, car je l'ignore. Si je devais parier, je serais plongé dans l'embarras. La décision pourrait aller dans un sens ou dans l'autre. On ne sait jamais, avec la Cour suprême, surtout dans des dossiers comme ceux-là. La Cour suprême n'a pas rendu de décisions sur ce genre de chose récemment, si bien que nous ne connaissons pas sa position. Mais je vous dis qu'il est possible de monter une argumentation solide pour montrer que, en utilisant ses pouvoirs en commerce international et interprovincial, le Parlement vise à régir ce qui se passe dans les raffineries où on produit l'essence. Si tel est le cas, et c'est ce que je dis dans mon mémoire, on pourrait dire qu'il s'agit d'une loi déguisée; le projet de loi répond à tous les critères définis par les tribunaux pour les lois déguisées. Je voudrais vous donner quelques exemples.

Dans la cause R. c. Morgentaler, le juge Sopinka a dit que, pour savoir si un texte est une intervention législative déguisée, il faut considérer deux choses: l'impact juridique de la loi et son impact dans le concret. Il est convenu qu'il y a présomption de constitutionnalité. La personne qui conteste la constitutionnalité a donc la charge de la preuve. Il n'est pas facile de démontrer qu'une mesure constitue une intervention déguisée.

Quels sont les aspects juridiques? Les divers points sont traités dans mon mémoire. Aucun d'eux n'est, en soi, concluant; mais, si on les considère tous ensemble, cela éveille des soupçons. Ça ne sent pas bon. C'est suspect. Les moyens législatifs employés sont louches. Le Parlement cherche à faire autre chose que ce que la loi semble indiquer au premier abord.

Trois points, à propos des effets juridiques, sont abordés aux pages 8, 9 et 10 de mon mémoire. Pour commencer, le projet de loi C-29 ne réglemente pas le commerce comme beaucoup d'autres projets de loi ou de textes qui sont dans les recueils de lois. Il interdit le commerce. Il interdit carrément le commerce d'un produit. Ce produit ne peut absolument pas circuler d'une province à l'autre sinon à des fins expérimentales. Il est convenu que le Parlement peut interdire la circulation de produits, et il le fait habituellement dans le contexte du droit pénal. Il est toutefois plutôt étrange de se retrouver face à une interdiction alors qu'il s'agit strictement de commerce.

Deuxièmement, le projet de loi C-29 vise un seul produit. Il ne vise pas l'industrie en général ni un important segment du monde industriel. Il vise seulement l'industrie pétrolière et le raffinage. La jurisprudence est constante: le Parlement ne peut pas, en vertu de ses pouvoirs généraux, régir une industrie isolée.

Troisièmement, les répercussions sur les pouvoirs législatifs provinciaux en matière commerciale à l'égard de la production de pétrole et d'essence sont énormes. Il n'en reste rien. Si ce projet de loi est adopté, n'importe quelle loi fédérale pourra en fait contrôler la production et la fabrication d'essence à l'intérieur des provinces.

Voilà les effets sur le plan juridique. Quels sont ou quels peuvent être les effets concrets du projet de loi? Quels effets peut-on établir devant les tribunaux, puisque c'est ce dont il s'agit ici? Nous parlons de preuves.

Je ne suis pas un spécialiste du processus de raffinage, loin de là, mais il semble que le projet de loi entraînera une transformation complète du processus de production d'essence au niveau local. Si c'est un importateur qui est en cause, il ne pourra plus importer, et l'additif MMT ne sera plus disponible. Par conséquent le mode de fabrication de l'essence sera profondément et même entièrement transformé. Dans ces conditions, il semble que le projet de loi va forcer une industrie à interrompre complètement l'utilisation des additifs MMT pour le commerce local et extérieur.

Cependant, quelle est la conséquence véritable du projet de loi? Sur quel plan agit-il? Il agit sur les usines, sur le processus de fabrication. La circulation ne vient qu'après. L'objectif visé est de modifier la façon de fabriquer l'essence, et c'est pourquoi le projet de loi devient suspect. Les effets du projet de loi C-29 ne se feront pas sentir surtout au niveau interprovincial ou international. Ce n'est pas à ce niveau-là que se situe la fabrication de l'essence. Le Parlement s'efforce de modifier la composition de l'essence au Canada. Si tel est l'objectif, il faut réaffirmer que le processus de fabrication relève clairement des provinces, cela ne fait aucun doute.

Il s'agit de voir les effets sur l'industrie. Si cela vous intéresse, je puis vous donner des exemples de textes qui ont été considérés comme des lois déguisées, ces dernières années.

Je reconnais que, normalement, ce sont des lois provinciales qui ont une portée extraterritoriale, mais, cette fois, rien n'empêche le Parlement de tenter de modifier les modalités de raffinage du pétrole et de l'essence. S'il est jugé que c'est là le caractère véritable du projet de loi, les tribunaux n'hésiteront pas, selon moi, à intervenir et à déclarer la loi inconstitutionnelle.

En toute déférence pour ceux qui ont une opinion contraire, le Parlement ne se soucie pas ici du commerce interprovincial en soi, mais des modalités de production de l'essence.

En 1980, dans la cause Labatt c. P.G. du Canada, affaire très semblable portant sur le processus de fabrication de la bière, le juge Estey a dit que, lorsqu'il s'agissait de la composition de la bière ou de l'essence, cela concernait strictement la réglementation du commerce intraprovincial, et que le Parlement ne pouvait pas intervenir.

Je ne vais pas soutenir cet après-midi que le projet de loi est carrément inconstitutionnel, bien que j'admire mon collègue et ami, M. Monahan, qui s'est prononcé clairement. Je crois pour ma part que nous sommes vraiment dans une zone nébuleuse. Je le répète, comme citoyen et non comme constitutionnaliste, je suis désolé à la perspective d'un nouveau débat fédéral-provincial sur cette question devant les tribunaux. Notre pays a peut-être besoin de choses un peu plus claires. Si le Parlement décidait d'invoquer ses pouvoirs en matière pénale ou environnementale, au moins les choses seraient claires et nous saurions à quoi nous en tenir.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Monsieur Monahan, voudriez-vous ajouter quelque chose avant que nous ne passions aux questions?

M. Monahan: Une mise au point. J'ai seulement commenté les pouvoirs du Parlement à l'égard du commerce interprovincial. Je n'ai rien dit de sa capacité de recourir à d'autres pouvoirs, notamment celui d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Si M. Frémont a laissé entendre que je serais d'accord pour dire que cette intervention est injustifiée en vertu du pouvoir d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, qu'il soit clair que je ne le suis pas.

Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas d'autres pouvoirs permettant de justifier le projet de loi. Je dis qu'il y a un fondement très clair. Cela me semble évident et, si j'ai raison sur ce point, il est inutile de se soucier du reste. Les autres arguments ne sont pas aussi solides que celui-là et c'est pourquoi j'ai choisi de m'y attarder.

M. Frémont soutient qu'il s'agit d'une loi déguisée parce qu'elle vise en fait à imposer une réglementation au niveau local. Pourquoi les autorités fédérales s'y prennent-elles de cette manière? Pourquoi est-ce qu'elles recourent à cette interdiction du commerce interprovincial et de l'importation? Cela semble étrange. C'est comme dire: face, je gagne; pile, vous perdez.

Je suis d'accord pour dire que cette mesure est prise par souci de l'environnement, pour assurer la compatibilité entre les carburants et les dispositifs de contrôle des émissions. Cela a été clairement dit dans les interventions fédérales. Toutefois, si les autorités fédérales essayaient de réglementer directement, les causes citées par M. Frémont seraient pertinentes. Elles ont donc décidé d'agir de cette manière parce que c'est inattaquable. Il est clair que cela ne prête pas le flanc aux contestations fondées sur la Constitution. C'est exactement la même chose avec la Loi sur la sécurité de véhicules automobiles. Les discours prononcés aux Communes et au Sénat au sujet de la Loi sur la sécurité des véhicules automobiles montrent que ces dispositifs de contrôle des émissions sont nécessaires à la salubrité de l'air. Le gouvernement fédéral a eu recours à la réglementation de la circulation interprovinciale parce que cela relève clairement de l'autorité du Parlement, mais, dans les faits, il réglemente les normes des véhicules. La situation est la même ici.

Une fois la décision rendue dans la cause Labatt c. P.G. du Canada, le Parlement a modifié la Loi sur les aliments et drogues pour qu'elle ne s'applique qu'au transport interprovincial des aliments. C'est exactement le même cas ici. Dans l'affaire Labatt, les tribunaux ont dit que la loi avait des effets au niveau provincial. C'est chose courante. Cela se trouve dans des dizaines de lois. Il n'y a là rien d'exceptionnel.

Le sénateur Beaudoin: Le débat se présente exactement comme vous l'avez dit tous les deux très clairement. La seule différence entre vos positions, c'est que vous, monsieur Monahan, dites que le projet de loi est constitutionnel parce qu'il porte sur le commerce interprovincial. En ce qui concerne le commerce à l'intérieur des provinces, je crois comprendre que vous appliquez la doctrine de la compétence accessoire, si bien que tout est visé. M. Frémont dit que c'est une intervention déguisée, car le caractère véritable du projet de loi consiste à régir la production ou le processus de fabrication d'un produit à l'intérieur d'une province, parce qu'une seule industrie est visée, l'industrie pétrolière, et un seul produit, le manganèse. Vous citez l'affaire Labatt qui n'a pas été beaucoup débattue.

Si vous avez raison, monsieur Monahan, cela veut dire que le Parlement du Canada peut -- et je ne suis pas en désaccord avec vous là-dessus -- légiférer en matière de commerce international et interprovincial. Nous devons toutefois admettre, après les décisions de la Cour suprême et du Conseil privé, que le commerce, à l'intérieur des provinces, relève des provinces elles-mêmes. Tous les juristes sont d'accord là-dessus.

Vous ajoutez toutefois que, étant donné que l'article 4 du projet de loi porte directement sur le commerce interprovincial et international, qui sont évidemment du ressort du Parlement du Canada, que toute la mesure est conforme à la Constitution. Je n'en suis pas si sûr. En réalité, un seul produit d'une seule industrie à l'intérieur des provinces -- et à l'extérieur aussi -- est réglementé, mais les deux aspects sont visés simultanément. C'est ce qui m'inquiète dans le raisonnement qui sous-tend le mémoire.

M. Monahan: Je dis que, étant donné que l'article 4 est constitutionnel, le reste du projet de loi l'est aussi. Cet article est celui qui impose l'interdiction. Le reste du projet de loi porte sur les autorisations de transport. Il y a aussi divers renseignements qui doivent être produits, ainsi qu'un pouvoir de réglementation. La disposition d'interdiction est l'article 4.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous.

M. Monahan: L'article 4 dit:

Il est interdit, sauf en conformité avec l'autorisation prévue à l'article 5, de se livrer au commerce interprovincial ou à l'importation à des fins commerciales d'une substance à usage contrôlé.

Mon point de vue est simple. Si le gouvernement avait rédigé le projet de loi de façon à essayer d'agir sur une transaction locale, on aurait pu prétendre qu'il était inconstitutionnel. Selon moi, il serait tout de même constitutionnel, car le problème d'incompatibilité du matériel de contrôle des émissions avec les carburants et les conséquences pour la pollution atmosphérique sont suffisamment importants pour justifier une réglementation fédérale de l'ajout de MMT dans l'essence. Les autorités fédérales auraient peut-être pu aller plus loin, mais elles doivent savoir qu'il aurait pu y avoir contestation de leur pouvoir de réglementation. Cela, à cause de l'affaire Labatt, où les tribunaux ont dit qu'elles ne pouvaient réglementer la composition de la bière. Dans cette affaire, elles ont essayé de dire: «Labatt, pour fabriquer de la bière légère, vous devez procéder comme ceci. Faisons les choses de la manière suivante.»

Le gouvernement, après avoir été débouté dans l'affaire Labatt, a décidé de modifier la Loi sur les aliments et drogues pour qu'elle s'applique uniquement au commerce interprovincial. Je vous dis, sénateur, que si cette façon de procéder est inacceptable, alors la Loi sur la sécurité de véhicules automobiles doit l'être aussi. Elle réglemente un seul secteur, celui des véhicules automobiles et de l'équipement qu'on y installe.

Sauf votre respect, sénateur, s'il y a un problème ici, il y en a un aussi dans cette autre loi. Et vous aurez sur les bras des problèmes avec des dizaines de lois existantes qui recourent précisément à ce stratagème pour réglementer le commerce local.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais comprendre l'autre version des faits. Vous dites que si ce projet de loi est anticonstitutionnel, bien d'autres lois le sont peut-être aussi. Le projet dont nous sommes saisis cet après-midi nous suffit pour l'instant. Je m'intéresse à ce projet de loi en particulier parce que, de toute évidence, son caractère véritable est qu'il réglemente la fabrication d'un seul produit dans une seule industrie. Nous ne pouvons pas y échapper. Il est vrai que le projet de loi parle de commerce interprovincial et international. Il est bien certain, comme vous le dites, que ces fondements-là sont parfaitement solides. Mais la réalité est qu'il y a beaucoup de voitures qui roulent dans les provinces et que toute l'industrie relève des provinces. Je voudrais entendre le point de vue de M. Frémont à ce sujet.

M. Frémont: Pour commencer, on dit que 12 ou 15 lois utilisent cette façon de procéder. Cet argument me laisse extrêmement mal à l'aise. Où veut-on en venir? Après tout, on ne conteste pas régulièrement les lois. Il est même très rare qu'une loi soit contestée.

Deuxièmement, M. Monahan a parlé de la Loi sur l'efficacité énergétique et de la Loi sur l'inspection des viandes, qui a établi un système national de marquage. À bien des égards, ces lois portent sur l'agriculture, champ de compétence partagé entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Il s'agit de programmes de commercialisation, d'une sorte de structure, et pas uniquement d'une interdiction. C'est tout un train de mesures portant sur la réglementation du commerce. C'est une authentique réglementation du commerce, mais de quoi s'agit-il, dans le projet de loi dont le comité est saisi? D'un seul produit. D'une seule industrie. D'un seul produit d'une seule partie d'une industrie. Cela n'a rien à voir avec le commerce, selon moi. J'ai lu les observations que le ministre a faites à la Chambre. Je ne vois aucun aspect commercial. C'est une réglementation qui concerne l'environnement.

Cependant, cela empiète sur les pouvoirs des provinces. C'est ce qui me rend extrêmement nerveux. Si je prends l'argumentation de Patrick Monahan voulant que le Parlement puisse faire tout ce qui lui chante par ses pouvoirs sur le commerce interprovincial, cela risque de devenir le cheval de Troie du fédéralisme canadien. Que restera-t-il aux provinces? Il sera toujours possible, pour une raison ou l'autre, d'invoquer ces pouvoirs et de contrôler ce qui se fait dans les provinces. Cela va à l'encontre du principe fédéral, et c'est pourquoi je dis que c'est probablement une intervention législative déguisée.

M. Monahan: M. Frémont a dit dans son mémoire que c'était en quelque sorte un cheval de Troie et que, si on laisse le gouvernement fédéral agir de cette façon, il pourra faire une foule d'autres choses. Ce n'est pas juste. Ce qui fait l'efficacité de cette mesure, c'est que le MMT n'est pas produit au Canada. Il n'y a aucun producteur au Canada. Le produit est importé. La seule façon d'ajouter ce produit à l'essence, c'est de lui faire traverser la frontière. Il est fabriqué aux États-Unis et des producteurs veulent l'importer au Canada. Le gouvernement fédéral peut exercer un vrai contrôle par la seule interdiction faite à l'article 4, puisque c'est un produit étranger qui n'est ni disponible ni fabriqué au Canada.

En toute déférence, sénateur, ce n'est pas un cheval de Troie. Ce n'est pas comme si on disait: «Nous pouvons empêcher la vente de pommes produites en Colombie-Britannique.» Ce n'est pas le cas, car le MMT n'est pas produit ici.

Le sénateur Beaudoin: Aucune objection. L'importation de manganèse et évidemment de ressort fédéral. Mais lorsque le manganèse se trouve au Canada et circule d'une province à l'autre, cela est encore de compétence fédérale. Que se passe-t-il lorsqu'il n'y a pas commerce interprovincial? Est-ce que la question est tout de même fédérale par le jeu de la compétence accessoire?

M. Monahan: Non. Vous venez de reprendre exactement mon point de vue, sénateur. Bien sûr, les autorités fédérales peuvent contrôler l'importation d'un produit. Tout ce que je dis, c'est que nous contrôlerons l'importation dans une province en provenance des États-Unis ou d'une autre province, mais il n'y a rien qui vous empêche d'en faire ce que vous voulez à l'intérieur d'une province. C'est exactement ce que je soutiens, sénateur. Tout ce que le gouvernement fédéral fait, c'est empêcher l'importation.

Le sénateur Beaudoin: Quand on se sert de ce produit, qu'est-ce qu'on en fait?

M. Monahan: Si le produit se trouve à l'intérieur d'une province, on peut en faire ce qu'on veut. Le projet de loi n'interdit aucune utilisation. Il n'y a pas un mot là-dessus dans le projet de loi. C'est exactement mon point de vue, sénateur.

Le sénateur Beaudoin: Il reste l'argument qui concerne la fabrication du produit.

M. Monahan: Si vous voulez ajouter ce produit dans l'essence et vendre l'essence, rien, dans le projet de loi, ne vous en empêche. Mais il n'est pas possible de l'importer ni de lui faire franchir une frontière provinciale. Si vous voulez mettre ce produit dans l'essence et vendre l'essence, vous avez parfaitement le droit de le faire. Pas un mot du projet de loi ne l'interdit.

Le président: Je voudrais vider cette question, si vous me permettez. Il y a bien longtemps que j'ai assisté à un cours de droit constitutionnel. Je puis comprendre que le gouvernement fédéral s'occupe de problèmes de viande avariée ou d'autres problèmes semblables qui concernent la santé de la population et qu'il essaie d'en bloquer le commerce. Je puis aussi comprendre qu'il établisse des normes sur le contrôle des émissions, comme vous l'avez dit. Mais disons qu'il s'agisse d'un produit dont la nocivité n'est pas prouvée et qui pourrait même être bénéfique pour combattre le smog, la pollution atmosphérique et les émissions d'oxydes d'azote. Le principe de prudence ne s'applique pas dans ces circonstances. Ai-je raison?

M. Monahan: Oui.

Le président: Vous agissez dans le domaine environnemental par le biais d'une loi sur le commerce, mais il n'y a pas de preuves sur lesquelles asseoir le jugement. N'est-ce pas un problème?

M. Monahan: Rendons les choses encore plus difficiles. Disons que non seulement il n'y a pas de preuve de la nocivité, mais qu'il y a même des preuves que c'est un produit sain et que nous devrions l'avoir au Canada pour le plus grand bien tous. Quelqu'un, au Parlement du Canada, au gouvernement dirait: «Nous ne voulons pas autoriser l'importation de ce produit au Canada.» Cette mesure serait-elle valable?

Le sénateur Beaudoin: Pour l'importation, oui; c'est après que le problème se pose.

M. Monahan: Exactement.

En 1951, nous avons eu exactement ce cas-là. Le Parlement du Canada a interdit l'importation de la margarine. Le produit était parfaitement sain. Il était probablement préférable au beurre. On ne devrait pas manger de beurre, mais de la margarine. Mais il était impossible de l'importer. Pourquoi? Parce que nous voulions protéger les producteurs laitiers. Nous voulions interdire l'importation de ce produit parfaitement sain. Dans ce cas, le Conseil privé a dit que le gouvernement fédéral ne pouvait pas réglementer la production locale de margarine.

Le sénateur Beaudoin: C'est une intervention déguisée.

M. Monahan: Mais on pourrait parfaitement réglementer l'importation dans une province. Autrement dit, sénateur, en 1951, dans le renvoi au sujet de la margarine, la réponse donnée à votre question a été la suivante: pourvu que vous touchiez ou contrôliez seulement le transport interprovincial, il n'y a pas de problème. Voilà ce que fait ce projet de loi. Il ne dit pas que, dans telle province, on ne peut pas mettre de MMT dans l'essence.

Le sénateur Beaudoin: Mais dans l'affaire de la margarine, les tribunaux ont dit que c'était une intervention législative déguisée.

M. Monahan: Non, sénateur. Il y avait deux éléments. Il y avait la question de l'importation et celle de la vente dans une province. Le juge Rand, de la Cour suprême du Canada a dit que, en ce qui concernait la vente locale de margarine, la loi était inconstitutionnelle, déguisée -- et il ne s'agissait pas de droit pénal -- mais l'interdiction de l'importation était parfaitement valable.

Dans ce cas, la Cour ne pouvait pas séparer le bon du mauvais, et toute la loi a été annulée. Elle l'a été à cause de la mauvaise partie, qui portait sur la vente locale. Mais le juge Rand a dit expressément que le Parlement pouvait interdire, et pas seulement réglementer, l'importation de margarine, un produit parfaitement sain.

Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Frémont?

M. Frémont: Une chose est claire. Si la logique de mon collègue est fondée, le Parlement peut empêcher non seulement l'importation, mais aussi l'exportation de toute la production locale, ce qui contreviendrait en fait à des pouvoirs provinciaux très clairs.

Imaginons que, pour protéger l'industrie de l'eau minérale en Colombie-Britannique, on rédigeait une loi interdisant l'exportation de toute l'eau minérale de l'Ontario. Je crois qu'il y a là un problème. Ou la loi pourrait imposer des normes. En pareil cas, il y a nettement un problème au niveau fédéral. Dans ce cas-ci, étant donné le fait bien précis qu'il y a une industrie et qu'elle est à l'étranger, le Parlement n'a pas à faire autre chose qu'interdire l'importation des produits dérivés du manganèse. Il pourrait simplement interdire l'importation et cela donnerait les résultats recherchés, je crois. Mais si ce n'est pas une façon de contrôler la composition de l'essence, je me demande bien ce que c'est.

Le président: Et si le MMT était fabriqué au Canada, mettons en Alberta, et non importé?

M. Frémont: Le projet de loi n'aurait sans doute pas été conçu de cette manière. Le gouvernement fédéral se serait attaqué de front au problème: avons-nous, en droit criminel, le pouvoir d'interdire l'utilisation de ce produit?

Le sénateur Robichaud: Je suis un nouveau venu dans ce comité et je ne connais pas très bien l'historique du projet de loi, mais je suis très heureux d'être témoin cet après-midi, avec mes collègues, d'une confrontation, peut-être même d'un affrontement, entre deux éminents juristes. L'un dit que le projet de loi est clairement respectueux de la Constitution. L'autre dit qu'il n'en est pas si sûr, que les choses ne lui paraissent pas évidentes. Mais il a dit certaines choses qui me laissent mal à l'aise. Selon lui, il y a quelque chose de louche dans le projet de loi. Ce projet est suspect. Si le projet de loi lui paraît si louche et suspect, cela veut-il dire que l'auteur du projet de loi a des motifs secrets?

M. Frémont: Si je demande à mes étudiants ou à qui que ce soit d'autre de lire le projet de loi C-29 tel qu'il se présente, ils me diront que c'est une loi commerciale qui porte sur un produit, et ils auront raison. Ce qui étonne, lorsqu'on va un peu plus loin, c'est que toutes les explications qui ont été données n'ont rien à voir avec le commerce. Les justifications avancées se rapportent à tout sauf au commerce. L'aspect commercial est un artifice, un stratagème. Comme le gouvernement ne peut faire les choses directement, il utilise cette tactique pour imposer son point de vue. Lorsque, comme juriste, j'ai pris connaissance du projet de loi et des explications qui en ont été données, je me suis demandé si j'avais lu le bon texte.

Considérez d'une part la présentation qui a été faite à la Chambre et les dispositions du projet de loi. Il y a très peu de rapport. D'habitude, lorsque le Parlement légifère pour protéger la santé des Canadiens, il le dit. Voyez la Loi sur le tabac. C'est limpide, et les moyens employés sont limpides également. Ici, nous sommes en présence d'un artifice. C'est un stratagème factice pour parvenir à ses fins. Ce que le Parlement cherche à faire, en adoptant ce projet de loi, c'est contrôler la composition de l'essence au Canada.

Je dis simplement que nous sommes toujours en régime fédéral et que les procédés de production relèvent des provinces. Il risque donc d'y avoir des problèmes.

Le sénateur Robichaud: Y a-t-il quelque chose d'illégal, d'immoral ou de nouveau dans tout le processus? Je veux parler de la présentation et de l'étude du projet de loi C-29.

M. Frémont: Je ne le pense pas. Je ne connais pas très bien les modalités de présentation et d'étude.

Le sénateur Robichaud: Mais dans un projet de loi suspect, pour reprendre vos propos, y a-t-il quelque chose de nouveau?

M. Frémont: Non. Certains projets de loi sont suspects et d'autres pas. Nous constatons après coup que certains éléments sont inconstitutionnels. Dans ce cas-ci, il est évident qu'une argumentation sera présentée.

Je puis vous dire que nous aurons des journées chaudes et ensoleillées l'été prochain et de la neige l'hiver prochain. C'est tout aussi évident.

La question sera soumise aux tribunaux, et je demande pourquoi, puisque c'est aussi évident, nous ne ferions pas les choses correctement. J'exhorte le Parlement à procéder comme il se doit. Cela veut dire éviter de recourir à des stratagèmes pour atteindre un objectif. Agissez directement, et nous verrons si c'est légal et constitutionnel. Je soupçonne que, pour faire les choses correctement, il faudrait inviter les provinces à légiférer, puisque la question est de leur ressort.

Cela dit, il n'y a rien d'anormal. Le Parlement va adopter le projet de loi, et il sera ensuite contesté devant les tribunaux. Entre-temps, je ne sais pas ce que l'industrie va faire, mais le processus me paraît parfaitement normal.

Le sénateur Robichaud: Ce que vous dites, en somme, c'est que vous conseilleriez à l'industrie de s'adresser aux tribunaux.

M. Frémont: Si le projet de loi est adopté, c'est certainement ce que je recommanderais à la partie de l'industrie qui le conteste. Je crois savoir qu'une autre partie de l'industrie est favorable au projet de loi. De toute évidence, il est possible d'avancer une argumentation très solide, et elle sera présentée.

Le problème est de savoir ce que l'industrie fera entre-temps. Va-t-elle changer ses procédés de fabrication? Si elle a gain de cause devant les tribunaux, il sera trop tard. Ce facteur a probablement été pris en considération.

Le processus judiciaire étant ce qu'il est, on ne peut pas s'adresser directement à la Cour suprême du Canada. Une solution intéressante serait de demander un renvoi à la Cour suprême. Ce serait très adroit. Je ne sais pas trop. Ce sera une solution intéressante.

[Français]

Le sénateur Nolin: M. Frémont, j'aimerais que vous nous expliquiez à nouveau d'où naissent vos soupçons quant à la validité de ce projet de loi. Le sénateur Robichaud vous a posé des questions à ce sujet. Pourquoi le ministre de l'Environnement ne pourrait-il pas déposer un tel projet de loi? Quels soupçons cela soulève-t-il en vous?

M. Frémont: Ce n'est pas compliqué. Les compétences fédérales ou provinciales en matière environnementale n'existent pas en tant que telles. C'est un champ partagé.

Le sénateur Nolin: Votre réponse n'est pas claire. Vous nous dites que c'est partagé mais que le gouvernement fédéral ne peut pas introduire un tel projet de loi.

M. Frémont: Ce que je suis en train de vous dire, c'est que pour légiférer en matière environnementale, le Parlement doit se rattacher à une compétence principale. Par exemple, le Parlement a compétence sur les pêcheries. Il peut légiférer en matière environnementale pour protéger la ressource, les poissons.

Le sénateur Nolin: Cela fait longtemps que je n'ai pas suivi de cours de droit constitutionnel. C'est pour cela que l'on invite des experts. Pour que le ministre de l'Environnement exerce une juridiction fédérale, à savoir introduire un projet de loi de la sorte, il doit rattacher son pouvoir à un pouvoir fédéral précis. Dans le cas qui nous occupe, est-ce la santé publique?

M. Frémont: En général, selon ce que j'ai lu dans les documents de la Chambre des communes, c'est très clairement la santé publique des Canadiens, c'est l'air que les Canadiens respirent. Ce sont les problèmes de santé, les coûts de santé qui découlent du fait que l'air soit pollué supposément par les additifs à base de manganèse.

Le sénateur Nolin: Si je vous disais que ce comité a entendu ou a eu des documents à l'effet que le ministère de la Santé ne reconnaissait aucun problème de santé relié à l'usage du MMT. On a cela en preuve.

M. Frémont: Oui c'est très clairement là où le bât blesse.

Le sénateur Nolin: C'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Est-ce sur cela que le ministre de l'Environnement se base pour dire: j'ai un pouvoir pour introduire cette loi.

M. Frémont: Je vous dis très clairement qu'à la justice, à partir du moment où les légistes du ministère de la Justice ont préparé le projet, normalement, le réflexe est d'y aller par le droit criminel dans ces matières. Les compétences fédérales en matière de protection de la santé relèvent de l'article 91(27), par le droit criminel. Je ne suis pas d'accord avec cela comme Québécois. Cela fait partie du jeu. La Cour suprême l'a confirmé dans l'affaire Imperial Tobacco il y a 2 ans. Elle a mis les paramètres très clairs. Parmi ceux-ci, il doit y avoir un «harmful effect» qui doit être démontré. Dans le cas du tabac, la Cour a dit que le tabac tue. Elle a dit qu'il y a des montagnes de preuve à cet effet. Il n'y a aucun doute là-dessus. Cela n'a pas été contredit en preuve jusqu'à quel point cela tue.

Le sénateur Nolin: Revenons à nos moutons.

M. Frémont: Oui, mais si vous me dites que cela a été mis en preuve, j'ai vu un communiqué de presse du ministère de la Santé d'il y a deux ans qui disait que non, non, tout est correct, il n'y a aucune preuve à cet effet.

Le sénateur Nolin: Aucune preuve à l'effet que le MMT cause un problème de santé publique...

M. Frémont: ... ou soit nocif ou plus nocif qu'un autre produit, à ce moment, il devient difficile de légiférer en vertu du droit criminel. C'est la voie normale à suivre si on parle de santé publique, d'air que l'on respire et d'environnement. Cela a toujours été fait en semblable matière depuis le début.

Probablement que l'on est capable de démontrer très clairement que les émissions des véhicules à moteur nuisent à la santé publique. À ce moment-là, on peut le rattacher à 91(27) qui est de compétence fédérale. Le Parlement peut légiférer. À partir du moment où on n'est pas capable de faire cette preuve, de procéder directement par des compétences environnementales qui n'existent pas, on ne peut pas passer par le droit criminel. C'est là le truc. On a compétence sur le commerce interprovincial et international. Donc on va régler le problème ainsi. Ce que l'on ne peut pas faire directement, on va le faire passer par cette technique ou cet artifice qui est le commerce interprovincial pour imposer une façon de fabriquer le produit en question.

Il n'est pas surprenant que les provinces sursautent. Ce sont elles qui ont la compétence dans ces matières.

Le sénateur Nolin: Vous avez entendu le professeur Monahan dire que le Parlement fédéral peut très bien interdire l'importation d'un produit parfaitement licite et même bénéfique pour la santé parce qu'il le décide ainsi. Est-ce que vous êtes d'accord avec cela?

M. Frémont: Je suis d'accord. Il peut faire n'importe quoi aussi.

Le sénateur Nolin: Prenons le cas de la margarine. C'est un très bon exemple. Le gouvernement fédéral a interdit l'importation de la margarine.

M. Frémont: C'est exact.

Le sénateur Nolin: Le Parlement est obligé d'entendre le pourquoi de cette interdiction.

M. Frémont: J'imagine.

[Traduction]

Le sénateur Nolin: Dans le cas de la margarine, le gouvernement doit avoir, à l'époque, énoncé clairement les raisons d'agir ainsi.

M. Monahan: Oui. Il s'agissait de protéger les producteurs laitiers.

[Français]

Le sénateur Nolin: Est-ce que vous voyez cela dans la loi actuelle ? Est-ce que le gouvernement ou le Parlement a clairement dit pourquoi il voulait utiliser la prohibition de l'importation?

M. Frémont: Dans l'affaire de la margarine, l'important est que l'on se servait des «trade powers» pour réglementer le commerce dans l'industrie de la margarine ou l'industrie du beurre local que l'on voulait protéger.

Ici on se sert de «trade powers» pour exercer des pouvoirs en matière environnementale ou de santé publique alors qu'on n'a très certainement pas la preuve sur la table.

C'est là où je dis qu'il y a anguille sous roche. Cela commence à sentir mauvais. C'est bizarre, on passe par la bande pour arriver au même résultat. C'est là où je me demande: est-ce que ce n'est pas une législation déguisée sous prétexte de pouvoir réglementer la circulation interprovinciale des biens? Est-ce que l'on ne vise pas essentiellement la façon selon laquelle la gazoline est produite? Si c'est le cas, on vise une fin carrément provinciale.

Le sénateur Nolin: Pourquoi le gouvernement fédéral ferait-il cela?

M. Frémont: Il n'a pas d'autres façons parce que la preuve n'y est pas en matière environnementale et la preuve n'y est pas en matière de santé publique. Tout ce qu'il peut faire, c'est utiliser un artifice. L'artifice marche particulièrement bien dans ce cas puisqu'il y a un producteur à l'extérieur du pays. Alors on coupe l'approvisionnement et tout déboule.

[Traduction]

M. Monahan: Je voudrais commenter ces questions, car le sénateur pose précisément la bonne question.

Le sénateur Nolin: Merci. C'est ce que j'essaie toujours de faire.

M. Monahan: Le sénateur Nolin demande comment le ministre de l'Environnement peut avoir compétence pour présenter ce projet de loi. Est-ce qu'il ne revient pas à ce ministre fédéral de présenter ce projet de loi? Je réponds que, si le ministre de l'Environnement du gouvernement fédéral ne peut présenter ce projet de loi, personne d'autre ne le peut. Nous serions alors aux prises avec une situation dans laquelle les provinces ne peuvent pas interdire l'importation d'un produit. Cela est clair et bien établi.

Je ne me préoccupe pas de la production locale. Le projet de loi ne change rien à ce qu'on peut faire à l'intérieur d'une province. Cela relève de la province, mais celle-ci ne peut pas empêcher qui que ce soit de faire entrer un produit chez elle. Cela a été décidé en 1896, dans une cause portant sur la réglementation de l'alcool. Il a été décidé que la province ne pouvait pas réglementer la circulation des biens.

Si le ministre de l'Environnement du gouvernement fédéral ne peut pas faire cela, cela voudrait dire qu'il y a un vide dans le pouvoir législatif. Un pays souverain se trouverait dans la situation où aucun ministre de l'Environnement ne pourrait adopter une disposition comme l'article 4 du projet de loi. Nous avons les provinces. Elles peuvent légiférer sur l'utilisation du MMT dans l'essence. Mais, si cet argument est juste, personne au Canada ne peut le faire.

Première chose, cela ne tient pas debout. Comment se peut-il que personne ne puisse agir? Deuxièmement, cela est contraire aux interprétations que les tribunaux ont données de la Constitution, selon lesquelles quelqu'un doit pouvoir agir.

Le sénateur Nolin: Le ministre de la Justice a présenté toutes sortes de lois portant interdiction, des dispositions du droit pénal, des modifications du Code criminel. Lui ou le ministre du Commerce auraient probablement été bien placés pour présenter cette mesure. Pourquoi pas?

M. Monahan: Permettez-moi de revenir sur l'autre point que M. Frémont a fait ressortir. Il faut que ce soit le ministre de l'Environnement du gouvernement fédéral, car il est le seul ministre de l'Environnement qui puisse le faire. M. Frémont dit que les compétences en matière d'environnement sont partagées; on pourrait donc utiliser ces compétences pour intervenir dans les pêches, par exemple. Dans l'exercice du pouvoir sur les pêches, il est possible de légiférer pour protéger l'environnement. On aurait pu utiliser le pouvoir de réglementation des chemins de fer. Les tribunaux ont dit qu'il était possible d'imposer une réglementation à des fins environnementales.

Dans ce cas-ci, on utilise à des fins environnementales le pouvoir de réglementer le commerce interprovincial. Il n'y a rien de déguisé là-dedans. Le gouvernement a fait preuve de franchise. Il n'y a rien de secret. Le ministre a fait des discours expliquant ses visées. Nous devons assurer la compatibilité entre les carburants et les systèmes de contrôle des émissions. Il n'y a rien de déguisé. La mesure vise à protéger l'environnement, et les compétences en matière d'environnement sont partagées. Nous sommes en régime fédéral, mais le gouvernement fédéral a des pouvoirs. Il peut utiliser son pouvoir de réglementer le commerce international pour protéger l'environnement, et c'est ce qu'il fait.

Le président: Une dernière observation. Il n'y a pas de vide comme vous le prétendez, monsieur Monahan, parce que, s'il y avait des preuves environnementales, en tant que ministre de l'Environnement, il pourrait faire adopter cette mesure législative. Où est le vide?

M. Monahan: Cela nous ramène à mon exemple de la margarine, sénateur. Ce que je dis, c'est que le Parlement ne peut pas réglementer uniquement l'entrée dans le pays des produits dont on a prouvé les effets nocifs. Un pays peut décider, pour diverses raisons, qu'il ne veut pas laisser entrer certains produits. Nous aimons simplement vivre de cette façon. Il n'y a rien de mal à cela. Nous choisissons de ne pas laisser entrer ces produits. Un pays souverain a le droit de faire ce qu'il veut, et le Canada a ce droit.

Ce n'est pas une question de dire que, si on pouvait prouver que c'était nocif, ce serait correct. Il y aurait un vide dans la mesure où les seuls produits dont le Canada pourrait empêcher l'entrée dans son territoire seraient ceux dont les effets nocifs ont été prouvés.

Je vous dis, monsieur le président, que c'est là un vide du point de vue du pouvoir législatif. Cela veut dire que, à moins de pouvoir prouver les effets nocifs d'un produit, on ne peut pas en contrôler l'importation. De toute façon, une décision a été prise à cet égard dans le cas de la margarine. On peut réglementer l'importation d'un produit sain si on veut.

M. Frémont: Je voulais parler de la question du vide et de celle de l'idée maîtresse du projet de loi.

Notre discussion révèle que nous avons de la difficulté à cerner l'idée maîtresse du projet de loi. C'est toujours le même problème. Les tribunaux devront déterminer ce qui constitue l'idée maîtresse du projet de loi. Quelle était l'idée maîtresse de la réglementation concernant la publicité sur le tabac? Nous nous sommes querellés à ce sujet pendant des années et nous le faisons encore. Nous nous querellerons probablement la semaine prochaine lorsque le projet de loi sera adopté à la Chambre.

M. Monahan semble dire que l'idée maîtresse du projet de loi est l'interdiction d'importation de ce produit au Canada. Je dis que c'est plutôt la production d'essence contenant des additifs. C'est la recette qui est visée dans ce projet de loi.

À cet égard, il n'y a pas de vide. Si l'idée maîtresse du projet de loi est ce que je dis qu'elle est, alors cette question est de compétence provinciale, et les provinces peuvent légiférer pour empêcher l'utilisation d'additifs à base de manganèse dans l'essence.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas suivi le débat aussi attentivement que les autres, mais mon whip m'a demandé d'être présent. Lorsque j'entends le nom du juge Laskin, un de mes professeurs, ou celui du juge Sopinka, un de mes confrères de classe, cela me fait dresser l'oreille.

Sincèrement, j'ai conclu qu'il ne s'agissait pas ici d'une question constitutionnelle. Vous avez tous deux présenté des arguments convaincants à cet égard. Cette question est vraiment une décision politique prise par le gouvernement et le Parlement, qu'elle plaise ou non.

En tant que diplômé de l'Université de Toronto, je suis rarement d'accord avec quelqu'un d'Osgoode Hall, mais, de prime abord, il semble que cette mesure législative soit conforme à la Constitution. C'est clairement une question de commerce interprovincial. Il ne s'agit pas ici d'imposer des restrictions indues sur la fabrication d'un produit dans une province en particulier.

L'essence est fondamentalement une question interprovinciale. L'essence se déplace, comme les poissons. Elle ne reste jamais, comme le dit notre ancien premier ministre, à l'intérieur des frontières d'une province en particulier. L'essence traverse les frontières, et le manganèse aussi.

Dans le test pratique du juge Sopinka, cela est très clair. Je vais demander qu'on fasse des observations sur le projet de loi. M. Frémont soulève un bon argument politique. Je ne réfute pas cet argument, mais il reste que c'est un argument politique. Ce n'est pas un argument constitutionnel parce que le document semble tout à fait conforme à la Constitution, et M. Monahan a fait valoir ce point à plusieurs reprises.

L'intention, le caractère malicieux et le manque de franchise qui se dégagent de ce projet de loi sont tous des arguments politiques, et c'est ce que nous faisons chaque jour.

Si vous présentez ce document à des étudiants de première année de droit, ils l'examineront et détermineront que, de prime abord, il est conforme aux règles régissant le commerce interprovincial.

Vous pourriez peut-être répondre à cette notion parce que Bora Laskin nous rappelait constamment que nous ne devrions pas faire de distinctions sans différences. Ici, je vois certaines distinctions, mais je ne vois pas les différences parce qu'il s'agit clairement d'une question commerciale.

J'ai écouté. J'ai pris le temps dont je disposais pour lire les mémoires attentivement. Toutefois, je vois cela comme un argument politique en réponse au sénateur Robichaud, qui soulève la question morale et politique, mais ce n'est pas une question constitutionnelle.

Dans ce pays, nous n'examinons pas l'intention pour transformer une question en question constitutionnelle.

En se servant du test pratique du juge Sopinka, nous pouvons restreindre tout ce que nous voulons. Si nous le faisons, on nous critiquera peut-être sur le plan politique, ou encore on nous expulsera aux prochaines élections.

M. Frémont: Je suis heureux d'entendre vos remarques. Je vais partager avec vous le secret que je partage avec mes étudiants de première année. Normalement, ils en ont la preuve avant la fin de l'année. Si vous pensez encore que le droit constitutionnel n'a rien à voir avec la politique, vous vous trompez.

Le sénateur Grafstein: Alors nous sommes d'accord.

M. Frémont: Nous sommes d'accord. Les juges, comme les politiciens, débattent des questions de justice et de moralité. Nous pouvons faire quelque chose, et il faudra deux ou trois ans avant que la Cour suprême du Canada en entende parler. Que feront les juges? Ils tireront la ligne de la même façon que le Parlement tire la ligne maintenant, ou ils refuseront de tirer la ligne.

Le droit constitutionnel est simplement de la politique déguisée, et c'est un droit de regard qu'on donne aux juges, des gens importants dans notre société, pour essayer de s'assurer que tout fonctionne bien selon le contrat social fondamental et, dans ce cas, le contrat fédéral que nous avons dans ce pays. Cette mesure pourrait fort bien passer le test. À mon avis, elle risque de poser certains problèmes graves. Nous verrons. C'est une question de droit constitutionnel.

Le sénateur Grafstein: Je crois aussi que cette mesure pourrait être contestée. La nature de la contestation dépendra beaucoup des faits. Autrement dit, s'il y a une différence entre vous deux, elle dépend de la façon d'attaquer cette mesure législative.

M. Frémont: Tout dépend aussi des arguments qui seront présentés.

Le sénateur Grafstein: Il est difficile pour moi de préjuger d'une question en particulier. Nous avons la responsabilité de faire subir à cette mesure un second examen et de nous demander si elle est conforme ou non aux normes juridiques. De prime abord, elle semble conforme aux normes juridiques. Nous pouvons dire que cette mesure revêt un caractère malicieux et que nous ne devrions donc pas l'accepter. Cependant, du point de vue constitutionnel, elle semble claire.

Le président: Je vous remercie tous les deux. Si j'étais le juge qui doit décider, j'attendrais trois ans avant de rendre mon jugement, en espérant que le problème disparaîtrait entre-temps. Ce fut une heure et demie des plus intéressantes. Je vous remercie de votre participation.

Chers collègues, nous entendrons maintenant les témoignages de deux avocats distingués qui sont spécialistes dans le domaine du commerce international.

M. Ivan Feltham, c.r., consultant en droit commercial international et en droit de la concurrence: Monsieur le président, je passerai en revue les questions liées à l'ALÉNA qui, si je comprends bien, ont été soulevées par diverses parties et serai prêt ensuite à répondre à vos questions.

De façon générale, l'environnement commercial international de l'ALÉNA comporte trois éléments. Je vais vous demander de vous éloigner des détails ésotériques du débat constitutionnel que vous venez d'entendre pour vous plonger sur la scène internationale. Nous examinerons l'ALÉNA en particulier et, dans le cas qui nous occupe, de l'application de ce qu'on appelle le GATT 1994, qui fait partie de l'accord mondial du commerce conclu il y a à peine un an ou deux.

Dans ce contexte, deux ou trois questions se posent. S'agit-il d'une mesure à la frontière que le Canada ne peut pas adopter sans violer ses obligations internationales? S'agit-il d'une question de traitement national liée à une mesure que le Canada ne pourrait pas adopter sans violer ses obligations internationales aux termes des dispositions de l'ALÉNA relatives au traitement national? S'agit-il d'un problème d'investissement? Nous aurons sans doute une discussion approfondie à ce sujet. S'agit-il d'une expropriation aux termes du chapitre 11 de l'ALÉNA, qui n'a pas d'équivalent dans les accords relatifs à l'Organisation mondiale du commerce?

Il s'agit clairement d'une mesure à la frontière, comme vous l'avez mentionné durant la séance précédente cet après-midi. Cependant, est-elle justifiable en vertu des dispositions de l'ALÉNA et du GATT? À mon avis, les dispositions pertinentes de l'ALÉNA et du GATT, prises ensemble, permettent les mesures nécessaires à la protection de la santé, y compris l'interdiction d'importation des substances désignées, à condition que ces mesures ne soient pas des restrictions commerciales déguisées.

À l'article 2101 de l'ALÉNA, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu de façon explicite que la protection de la santé englobe:

[...] les mesures de protection de l'environnement nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétau [...]

Parce que le GATT et l'ALÉNA reconnaissent qu'il convient de faire des exceptions à la règle générale qui s'oppose aux restrictions à l'importation, il incombe au pays qui se prévaut d'une exception de la justifier. Toutefois, lorsqu'il est question de santé et d'environnement, ces mesures revêtent l'importance de règles suprêmes.

Dans le cadre du GATT, dont l'histoire remonte à 50 ans et, de la même façon, dans le cadre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et de son successeur, l'Accord de libre-échange nord-américain, le droit souverain des pays de prendre des règlements pour assurer la protection de la santé fait l'objet d'une acceptation universelle. Dans le contexte de l'ALÉNA, comme je l'ai dit, toute ambiguïté concernant l'application des préoccupations environnementales à l'exception touchant la santé a été dissipée, les parties ayant explicitement convenu que l'environnement est bel et bien compris.

Je vous dirai respectueusement que ce droit souverain qu'exercent les pays est compris et accepté de façon si générale qu'il n'a guère besoin d'être justifié. Cependant, si vous avez besoin d'explications, cette question est abordée dans l'exposé et, de façon plus approfondie, dans le document d'information.

Dans la mise en oeuvre de l'ALÉNA, pour prendre un exemple récent, la déclaration du gouvernement américain accompagnant la présentation du projet de loi approuvant l'ALÉNA au Congrès parlait de façon explicite du pouvoir souverain des États-Unis de continuer à prendre des règlements dans certains domaines, et l'environnement en est un. C'est une des préoccupations exprimées par le gouvernement américain. La déclaration canadienne venant du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international disait essentiellement la même chose. L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement contient aussi des dispositions semblables reconnaissant de façon explicite le droit souverain des parties à l'Accord de libre-échange nord-américain de prendre des règlements pour assurer la protection de l'environnement.

Évidemment, un pays ne peut pas se contenter de déclarer qu'une mesure est nécessaire. Il doit pouvoir invoquer des raisons substantielles à l'appui de l'adoption de la mesure, et voilà où les libellés du GATT et de l'ALÉNA doivent être appliqués à la lumière de la preuve scientifique.

Dans le cadre du droit international, la preuve n'a toutefois pas à être universellement acceptée comme étant concluante. Si tel était le cas, s'il fallait que la preuve soit acceptée comme étant concluante, le droit souverain des pays de prendre des décisions stratégiques à la lumière de leur propre évaluation de la preuve serait annulé, et ni l'ALÉNA ni le GATT n'ont cet effet.

En ce qui concerne le GATT, les interprétations pertinentes sont issues des nombreux cas examinés au cours des années. Le plus récent a trait à la décision de l'organisme d'appel de l'Organisation mondiale du commerce concernant certaines mesures aux États-Unis. Les citations se trouvent dans la documentation. Le principe est énoncé de façon explicite par l'organisme d'appel. Il est arrivé à la conclusion que les États-Unis n'avaient pas respecté leurs obligations aux termes du GATT, mais a dit ceci:

Le fait que l'organisme d'appel ait souligné ce que cela ne signifie pas est passablement important. Ainsi, cela ne signifie pas ou ne laisse pas entendre que la capacité de tout membre de l'OMC de prendre des mesures pour contrôler la pollution atmosphérique ou, de façon plus générale, de protéger l'environnement est en jeu.

Il a dit que cela faisait partie des droits souverains des pays indépendants.

Un autre aspect bien établi du GATT, c'est qu'un pays qui se prévaut d'une exception doit également montrer que la mesure retenue est, parmi les solutions de rechange dont il dispose pour mettre en oeuvre sa politique, celle qui restreint le moins le commerce. Cela a été bien établi et, encore une fois, je vous ai fourni la documentation pertinente, que vous pouvez consulter.

Le ministre de l'Environnement a déclaré que la dépollution de l'air est l'un des objectifs stratégiques du gouvernement. On vous a dit que cet objectif ne peut être atteint si les carburants contiennent du MMT. Il n'y a donc pas de solution de rechange au projet de loi C-29 qui permettrait de réaliser cet objectif tout en restreignant moins le commerce. Le débat dans lequel vous venez de vous engager, avec l'aide du professeur Monahan et du professeur Frémont, n'a aucune pertinence au niveau international. Cela ne concerne que le Canada. Personne à l'extérieur du Canada ne peut nous dire comment embrouiller notre structure constitutionnelle encore plus que nous ne l'avons déjà fait.

Au niveau international, la question est de savoir si la mesure est essentiellement justifiable aux termes du GATT, et toutes les lois commerciales internationales nous disent que c'est l'impact réel et les circonstances réelles qui déterminent si une mesure est interdite ou permise en vertu d'un accord international.

Je ne veux pas m'attarder sur la preuve parce que je sais que vous en avez déjà probablement entendu plus que vous ne vouliez en entendre à ce sujet. Toutefois, je dois attirer votre attention sur ce point parce que, lorsqu'on entremêle les principes juridiques et les faits, c'est comme l'avocat avec le témoin expert. Au tribunal, l'avocat doit montrer que le témoin expert a raison. Dans ce cas, tout ce que l'avocat doit faire, c'est arriver à la conclusion que les témoins experts -- en l'occurrence les experts sur la question du contrôle des émissions et sur l'assainissement de l'air, qui est l'objectif ultime -- ont un motif raisonnable d'agir pour protéger la qualité de l'air au Canada.

Le principe de précaution dont il a été question dans le contexte de l'accord sur le commerce intérieur est semblable au principe qui s'applique au niveau international. À mon avis, compte tenu de la preuve qui vous a été présentée, il ne fait aucun doute que cette substance soulève de très graves préoccupations scientifiques.

Je remarque que le président a exprimé son désaccord à cet égard. C'est une question dont nous pourrons discuter plus tard.

Je ne veux pas m'attarder non plus sur la question du traitement national. Il y a deux écoles de pensée à ce sujet. L'une est que le principe du traitement national ne s'applique pas tant qu'un produit n'a pas traversé la frontière. Une fois qu'il est entré au pays, il a droit au même traitement que les produits de fabrication locale. Même si on élargit cette application dans le cas présent, il n'y a pas de fabricant de MMT au Canada. Par conséquent, aucune production canadienne n'est favorisée par l'interdiction d'importation.

De toute façon, le principe suprême donnant à un pays le droit de légiférer pour assurer la protection de la santé et de l'environnement l'emporte sur le principe du traitement national prévu dans l'ALÉNA et le GATT.

Je vais maintenant passer aux dispositions du chapitre 11 de l'ALÉNA. Ici, les choses deviennent très précises. Ethyl Corporation, exportateur de MMT au Canada, a donné avis d'une plainte, déposée par mon collègue, M. Appleton, soutenant que la mise en oeuvre du projet de loi C-29 aurait, sur ses investissements au Canada, c'est-à-dire l'usine d'Ethyl Canada en Ontario, l'effet d'une expropriation. M. Appleton soutient donc que son client a droit à une indemnité considérable aux termes du chapitre 11 de l'ALÉNA.

D'abord et avant tout, je tiens à signaler que le chapitre 11 n'interdit pas l'expropriation. Encore une fois, l'expropriation à des fins publiques relève du droit souverain d'un pays, d'une province ou d'une municipalité, selon la structure constitutionnelle interne de notre pays. Toutefois, notre système repose sur des principes bien établis conçus pour assurer le versement d'une indemnité adéquate en cas d'expropriation.

Dans le cas présent, la question est la suivante: si Ethyl Corporation donne suite à la plainte dont elle a donné avis au gouvernement du Canada, les arbitres qui seront nommés devront d'abord et avant tout décider si l'adoption du projet de loi aura pour effet d'exproprier les installations d'Ethyl au Canada et peut-être aussi tout droit de propriété accessoire, y compris le survaloir pouvant être associé aux activités de l'entreprise et, en fait, aux produits découlant de ses activités.

Ce n'est certainement pas de l'expropriation au sens traditionnel du terme. Nous voyons plutôt l'expropriation comme étant la prise de terrains pour l'aménagement de routes et ainsi de suite. L'ALÉNA ajoute les mots «équivalant à l'expropriation». Il s'agit donc de déterminer si l'effet du projet de loi C-29 équivaut à une expropriation.

J'ai un argument très simple à vous présenter à cet égard. On a pu observer tout au long de l'histoire de notre pays et plus particulièrement au cours des dernières années -- j'ai été avocat en chef de la Générale Électrique du Canada pendant quelque 14 ans et c'est quelque chose que je sais trop bien -- que tout nouveau règlement impose des coûts à l'industrie. D'après les renseignements que j'ai vus, lorsque l'essence sans plomb est devenue la norme, lorsqu'on a interdit l'utilisation du plomb dans l'essence, ces changements ont imposé des coûts énormes à l'industrie. J'ai, dans mon porte-documents, certains chiffres produits par Ethyl Corporation elle-même. C'est simplement l'évolution des normes de qualité, l'évolution des règles conçues pour améliorer la qualité de l'air.

Il me semble inconcevable, honorables sénateurs, que les négociateurs représentant le gouvernement du Canada et les deux autres pays aient pu arriver à la conclusion que tout règlement qui impose des coûts à l'industrie devrait donner à cette industrie le droit d'être indemnisée pour les coûts additionnels ou les pertes qu'elle peut subir. Ce n'est tout simplement pas comme cela que les choses se sont passées dans le monde jusqu'à maintenant. Quelle que soit la notion d'expropriation larvée -- c'est le nom qu'on lui donne parfois dans la documentation -- elle ne parvient pas à justifier cette mesure.

Je vous remercie de votre attention. Je suis impatient de répondre à vos questions.

[Français]

M. Barry Appleton, Appleton and Associates, avocats internationaux: Monsieur le président, avant de vous livrer mon témoignage aujourd'hui, je voudrais vous remercier de votre invitation. Je parlerai en anglais mais je serai heureux de répondre aux questions posées en français.

[Traduction]

Je m'appelle Barry Appleton. Je suis avocat spécialisé en droit international. Je suis membre des barreaux de l'Ontario et de New York et de la U.S. Court of International Trade. Je suis associé directeur général d'Appleton and Associates International Lawyers, qui est le plus important bureau d'avocats de droit international au Canada.

En tant qu'avocat, je suis spécialiste du droit international, particulièrement de l'ALÉNA. En 1993, j'ai agi à titre de conseiller commercial auprès du comité du Cabinet de l'Ontario sur l'Accord de libre-échange nord-américain. J'ai conseillé plusieurs gouvernements d'un bout à l'autre du pays sur l'ALÉNA. De plus, je suis l'auteur d'un livre intitulé Navigating NAFTA. Vous avez devant vous des extraits de mon livre, en anglais et en français, ainsi qu'un mémoire dans les deux langues qui pourra peut-être donner plus de profondeur aux remarques que je ferai aujourd'hui.

Mon bureau agit à titre de conseiller en droit international auprès d'Ethyl Corporation. Toutefois, je suis ici aujourd'hui pour vous conseiller sur l'ALÉNA et pour essayer de rendre un peu plus facile un sujet plutôt difficile.

L'ALÉNA est un document très compliqué. Il contient quelque 3 000 pages. Tout ce qu'on y lit ressemble un peu à la législation fiscale, pour ceux d'entre vous qui lisent ce genre de document. Ce qui semble vouloir dire une chose signifie autre chose en réalité. Mon travail aujourd'hui consiste à essayer de vous guider à cet égard. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Ce que je veux examiner avec vous aujourd'hui, c'est dans quelle mesure le projet de loi C-29 est conforme ou non à l'ALÉNA. Je veux faire ressortir quatre points en particulier. Premièrement, l'ALÉNA fait loi. Deuxièmement, l'ALÉNA impose des règles sur la façon dont le gouvernement traite les investisseurs étrangers. Troisièmement, ces règles sont strictes parce que ce sont les mêmes règles qui protègent les investisseurs canadiens aux États-Unis et au Mexique. C'est une question de réciprocité. Troisièmement, les obligations aux termes de l'ALÉNA n'empêchent pas le Parlement d'adopter des lois; toutefois, elles protègent les investisseurs étrangers qui ont des investissements au Canada au moyen d'un processus d'indemnisation spécial. Quatrièmement, parce que le projet de loi C-29 traite de la réglementation du commerce, le gouvernement du Canada se trouve dans une position où il peut violer plusieurs de ses obligations clés aux termes de l'ALÉNA si cette mesure législative devient loi.

Je peux vous dire sans hésitation que le projet de loi C-29 contrevient à au moins trois aspects de l'ALÉNA, soit les dispositions relatives au traitement national, aux prescriptions de résultats et à l'expropriation. Toutes ces dispositions concernent les investissements. À la fin de mon exposé, je vais revenir sur certaines des remarques faites par mon collègue parce que je crois que nous devons présenter la question en termes simples.

Le traitement national exige qu'un gouvernement ne fasse aucune discrimination entre les entreprises étrangères et les entreprises locales. Les prescriptions de résultats empêchent les gouvernements d'exiger que les investisseurs étrangers achètent des produits et services locaux. Les dispositions de l'ALÉNA relatives à l'expropriation exigent que les gouvernements qui portent atteinte aux intérêts de propriété des investisseurs étrangers aux fins de l'ALÉNA versent une indemnité à ces derniers. Elles n'empêchent pas l'expropriation, mais elles exigent le versement d'une indemnité. Il ne s'agit pas là d'une option, mais bien d'une exigence. Il n'existe absolument aucune réserve à l'égard de cette exigence.

Ethyl Canada est le seul importateur et le seul distributeur de MMT au Canada.

Depuis 1978, Ethyl Canada achète son MMT à la société Ethyl Corporation. Le projet de loi C-29 permet seulement la vente de MMT de fabrication canadienne et obligerait Ethyl Canada à acheter du MMT fabriqué au Canada si elle voulait continuer de faire la distribution du MMT. On ne fabrique pas de MMT au Canada. Le projet de loi C-29 ne fait qu'empêcher la vente au Canada de MMT de fabrication étrangère. Il n'y a aucune explication raisonnable ou plausible qui justifierait qu'on permette la vente au Canada de MMT produit localement, mais qu'on interdise la vente de MMT importé. Il n'existe aucune différence entre le MMT produit aux États-Unis et celui produit dans une province. Le projet de loi C-29 donne donc aux investisseurs canadiens un avantage injuste sur le plan de la commercialisation et de la promotion par rapport aux investisseurs étrangers qui vendent le même produit. Cela contrevient à l'ALÉNA.

Le projet de loi C-29 constitue de la discrimination déguisée à l'endroit d'Ethyl Canada et d'Ethyl Corporation. Cette mesure viole l'obligation relative au traitement national qu'a le gouvernement du Canada envers les investisseurs aux fins de l'ALÉNA, conformément à l'article 1102 de l'accord. La décision d'interdire l'importation et le commerce interprovincial du MMT est une mesure tout à fait arbitraire. Ce fait a été reconnu dès la présentation du projet de loi C-94, le précurseur du projet de loi C-29, par la ministre de l'Environnement à l'époque, Sheila Copps, qui a admis que cette mesure législative n'empêcherait pas l'utilisation du MMT dans l'essence puisque cette substance pourrait encore être produite et utilisée localement. Il s'agit là encore d'une infraction à l'ALÉNA.

Le gouvernement du Canada a choisi de retirer le MMT du marché d'une façon étrange. Il n'a pas interdit l'utilisation du MMT dans l'essence sans plomb de façon explicite ou directe. Il a plutôt interdit l'importation et le commerce interprovincial du MMT. Un fabricant canadien, s'il en existait un, pourrait produire et distribuer du MMT dans une province sans enfreindre le projet de loi C-29. Vous avez entendu des témoignages à ce sujet plus tôt aujourd'hui.

Le projet de loi C-29 viole les règles de l'ALÉNA interdisant qu'on exige l'achat de produits locaux. Si Ethyl Corporation veut maintenir sa présence nationale sur la marché canadien, elle devra construire des installations de fabrication et de mélange dans chaque province et territoire au Canada. Cela contrevient aussi à l'ALÉNA.

Parlons un peu d'expropriation. Dans sa lettre au ministre de l'Environnement en date du 23 février 1996, le ministre du Commerce international du Canada signalait que le projet de loi C-29 pourrait constituer une mesure équivalant à l'expropriation. Le ministre Eggleton avait raison. Les actions du gouvernement du Canada empêchent Ethyl Canada de jouir de son bien. Aux termes de l'ALÉNA, cela constitue une mesure équivalant à l'expropriation. Mettre fin aux activités commerciales d'Ethyl Canada, c'est comme exproprier les investissements de cette société, et l'ALÉNA exige que les sociétés soient indemnisées pour l'expropriation de leurs investissements. C'est la loi. C'est précisé dans l'ALÉNA. Ce n'est rien de nouveau. Ces dispositions sont entrées en vigueur en 1994. C'est exactement ce que dit l'ALÉNA.

L'ALÉNA fait maintenant loi. Il impose des exigences aux gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations en vertu de l'accord. Le projet de loi C-29 viole les obligations du Canada aux termes de l'ALÉNA. Il les viole non pas une fois ni deux fois, mais bien trois fois et expose donc le Canada au versement d'une indemnité pour violation de l'ALÉNA de même qu'à des mesures de rétorsion de la part de nos partenaires commerciaux.

Avant de terminer, je voudrais revenir sur certains des points soulevés par mon collègue. Je le remercie pour sa très bonne introduction à l'aperçu général de l'ALÉNA, mais nous avons une divergence d'opinion fondamentale. Je vais vous aider à trouver la réponse. Je ne vous donnerai pas la réponse. Vous pourrez la chercher vous-mêmes.

Le premier point est le suivant. Mon collègue dit qu'il y a des exceptions et vous cite, à titre d'exemple, l'article 2101 de l'ALÉNA. J'ai ici une copie de l'ALÉNA. Je vais vous lire ce que dit l'article 2101. Cela vous aidera peut-être à évaluer dans quelle mesure le projet de loi C-29 est conforme à l'ALÉNA.

L'article 2101 dit ceci:

Exceptions générales

1. Aux fins

a) de la partie II (Commerce des produits), sauf dans la mesure où toute disposition de cette partie s'applique aux services ou à l'investissement [...]

Qu'est ce que cela veut dire?

Cela veut dire que les exceptions générales s'appliquent à tout sauf aux services et aux investissements. Ainsi, lorsque mon collègue dit qu'il y a des exceptions générales et que nous pouvons nous tourner vers le GATT, il se trompe malheureusement. Il a lu le début, mais pas la fin. Les exceptions prévues dans le GATT ne s'appliquent pas aux investissements.

Pour rendre les choses encore plus claires, mon collègue parle du commerce des produits, mais pas des investissements. L'ALÉNA a élargi la gamme des obligations. C'est l'accord multinational en matière d'investissements le plus vaste jamais conclu par des pays développés et des pays en développement dans le monde. Le GATT ne concerne que le commerce des produits.

Lorsque mon collègue dit que le principe du traitement national s'applique uniquement dans le cadre d'une mesure à la frontière, il a raison aux termes du GATT, mais le GATT a changé et l'ALÉNA a changé. L'ALÉNA a changé l'impact de ces dispositions. Lorsqu'il est question d'investissements, le principe du traitement national s'applique, qu'on traverse la frontière ou non.

Les dispositions relatives au traitement national ont été incluses pour protéger les Canadiens qui investissent au Mexique. Ceux d'entre vous qui connaissez l'histoire de la protection des investissements au Mexique sauront qu'elle n'est pas particulièrement bonne. Les gouvernements des États-Unis et du Canada ont élaboré conjointement un code très sévère pour protéger nos investisseurs au Mexique et, si l'ALÉNA est élargi, au Chili et dans d'autres pays, afin de s'assurer qu'ils sont traités de façon juste. Ce code est sévère.

C'est ce code qu'on trouve au chapitre 11 de l'ALÉNA. Il ne dit pas qu'on ne peut pas adopter de lois. On peut adopter toutes les lois qu'on veut, mais le code dit que, si on veut adopter des lois qui contreviennent à l'ALÉNA et aux obligations du Canada en matière d'investissements aux termes de l'ALÉNA, on doit verser une indemnité. C'est ce que dit le code.

En ce qui concerne les dispositions relatives à l'expropriation, ne me posez pas de questions; le ministre du Commerce international a dit lui-même dans sa lettre que cette mesure équivalait à une expropriation. On a incorporé dans l'ALÉNA les balises supérieures du droit international en matière d'expropriation. Pour mieux protéger les investissements, l'ALÉNA ne se fie pas seulement aux décisions des tribunaux internationaux. Il expose de façon très détaillée ce qui constitue un investissement et ce qui constitue une expropriation.

Vous n'avez pas à me croire sur parole. Tout est là. Aucune réserve n'est permise en ce qui concerne les investissements, sauf celles prévues aux annexes I et II de l'ALÉNA. Aucune de ces réserves ne justifie toute mesure prise par le gouvernement du Canada dans ce domaine.

Voilà notre problème. Lorsque le gouvernement du Canada a négocié l'ALÉNA, il n'a prévu aucune disposition à cet égard, et le projet de loi C-29, qu'il soit bon ou mauvais -- et c'est évidemment à vous d'en juger -- contrevient à trois aspects de l'ALÉNA. Je suis certain que cette question sera au coeur de nos discussions. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions à ce sujet.

Le président: Je tiens à dire, en toute justice, que je ne crois pas que le ministre Eggleton ait dit exactement ce que vous avez dit qu'il a dit.

Sa lettre disait plutôt qu'Ethyl Corporation pourrait essayer de faire valoir l'argument selon lequel une telle interdiction pourrait constituer une mesure équivalant à une expropriation des investissements d'Ethyl au Canada.

Il n'a pas dit qu'il était d'accord. Il a simplement dit que c'était là la position d'Ethyl. Vous pouvez faire valoir cet argument.

Monsieur Feltham, avez-vous d'autres remarques à faire?

M. Feltham: Mon premier point était justement celui que vous venez de soulever, et je vous en remercie. Nous pourrons discuter d'autres aspects de la lettre du ministre en temps opportun, et je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet.

Je tiens à dire clairement que, si j'ai semblé attirer votre attention sur l'exception relative à la santé et à l'environnement, comme je l'appellerai aux fins de la présente discussion, je ne voulais pas dire qu'elle s'applique aux investissements, car ce n'est absolument pas le cas. Mon collègue a entièrement raison sur ce point. Cette disposition de l'ALÉNA et du GATT ne s'applique qu'au commerce des produits, et elle ne s'applique qu'à la disposition générale sur le traitement national, soit l'article 309 de l'ALÉNA et une disposition équivalente du GATT.

Notre divergence d'opinion, je crois, concerne le secteur des investissements. Je suis ravi que mon collègue n'ait pas contesté certains des autres arguments que j'ai présentés et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Beaudoin: Ma question s'adresse à M. Appleton. Le témoin précédent a dit que, compte tenu du principe fondamental selon lequel les exportateurs étrangers ne devraient pas subir de discrimination par rapport aux producteurs locaux, principe qui est énoncé à la fois dans l'ALÉNA et le GATT, on peut s'inquiéter du fait que le projet de loi C-29 interdise l'importation et le commerce international du MMT, mais n'interdise pas la production de MMT au Canada.

On ne produit pas de MMT au Canada, et il semble que cette situation ne changera pas. Ma question est purement une question d'information. Appuyez-vous cette affirmation?

M. Appleton: Le fait que je n'aie pas contesté tous les arguments présentés par mon collègue ne veut pas dire que j'appuie ces arguments. Nous divergeons d'opinion sur bien des points.

Vous soulevez une très bonne question, sénateur. Le traitement national est un point très important. Je suis foncièrement en désaccord avec mon collègue sur ce point. Je vais donc donner aux membres du comité des explications détaillées sur ce principe qui apporte un changement fondamental à notre façon de voir la loi en tant que Canadiens.

Le GATT a interprété le principe du traitement national comme signifiant l'application régulière de la loi tant sur le plan de la procédure que sur le plan des règles de fond du droit. L'équité doit exister sur les deux plans. Dans une décision très importante rendue en 1989 concernant une certaine disposition de la loi américaine sur les brevets, le GATT a dit qu'il devait y avoir égalité des possibilités de concurrence. Cela veut dire que, dans une situation où on sait qu'il y a un producteur étranger, un producteur américain dans le cas présent, si on prend une mesure, il ne suffit pas de traiter ce producteur étranger de façon égale. Il faut faire encore mieux que cela. Pour respecter le principe du traitement national, il faut faire l'impossible pour assurer l'équité sur tous les plans.

Ce n'est pas là ce que signifie, à mon avis, le principe du traitement national. C'est une décision d'un tribunal du GATT, et elle a été incorporée dans un certain nombre d'autres décisions.

Dans le cas qui nous occupe, l'égalité des possibilités de concurrence est importante parce que le gouvernement du Canada savait clairement que le MMT était fabriqué seulement à l'extérieur du pays. Par conséquent, en interdisant le MMT de fabrication étrangère mais pas le MMT de fabrication canadienne, il savait qu'il causerait un préjudice à Ethyl Corporation. Il savait qu'il causerait un préjudice à ce concurrent sur le marché et il savait qu'il causerait un préjudice à une société américaine. Cela constitue une violation de l'obligation relative au traitement national à l'égard des investissements aux termes de l'ALÉNA.

L'obligation relative au traitement national à l'égard des investissements déclenche un processus spécial, un processus auquel les investisseurs participent directement en demandant une indemnité. Ce n'est pas une situation où des poursuites sont intentées ou encore où le gouvernement américain peut prendre des mesures commerciales, bien que cela puisse se faire séparément. C'est une situation où les investisseurs demandent une indemnité pour le préjudice qu'ils ont subi.

En adoptant l'ALÉNA, le gouvernement du Canada a créé un contrat international. Comme tout autre contrat, ce contrat dit qu'on peut faire ce qu'on veut, mais que, si on cause un préjudice aux gains attendus, on doit verser une indemnité.

Je ne suis pas d'accord avec mon collègue, M. Feltham. Selon moi, il y a violation de l'obligation relative au traitement national. La question du traitement national est pertinente ici parce qu'on savait que cette société était la seule à fabriquer du MMT. On ne peut pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement, et on ne peut pas faire cela directement.

Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Beaudoin: Oui.

M. Feltham: L'affaire que mon collègue a mentionnée portait sur l'application de l'article 337 de la loi américaine de 1930 sur les tarifs. Dans sa décision, le groupe du GATT a fait une distinction entre les biens importés, qui étaient immédiatement assujettis aux lois et procédures américaines sur les brevets, et les biens fabriqués aux États-Unis en contrefaçon de brevet, auxquels les procédures ne s'appliquaient qu'à une étape ultérieure du processus. L'exportateur étranger était frappé d'une interdiction à la frontière. Il était pris au piège. Dès qu'il essayait de faire entrer les biens dans le pays, le producteur local disait: «J'ai le brevet et vous ne pouvez donc pas venir ici.» Par contre, si c'était un concurrent local qui faisait de la contrefaçon de brevet, le processus était complètement différent. Il y avait donc discrimination contre l'exportateur étranger.

Je suis d'accord avec mon collègue que le principe du traitement national est consacré dans l'ALÉNA. La seule question, c'est de déterminer ce que cela veut dire. Cela veut dire une situation qui, en pratique, est discriminatoire. Dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas de discrimination parce qu'il n'y a pas de producteur canadien.

L'exemple classique d'une violation du principe du traitement national est la situation où l'on applique un niveau de taxation différent. Un des cas les plus connus concerne une situation où le gouvernement de l'Italie avait imposé des exigences plus restrictives à l'égard des machines agricoles importées qu'à l'égard de celles produites localement. C'est l'exemple classique d'une violation du principe du traitement national.

Dans le cas présent, cette situation n'existe pas. S'il y avait deux producteurs de MMT au Canada et qu'on imposait une interdiction d'importation à l'un d'eux, il y aurait violation du principe du traitement national, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Kenny: M. Feltham a peut-être répondu à ma question, mais, si je comprends bien M. Appleton, il a décrit une situation où, si des investisseurs au Canada produisaient du MMT, ils auraient un avantage indu par rapport aux investisseurs produisant du MMT aux États-Unis; est-ce exact?

M. Appleton: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Qui sont les investisseurs qui produisent du MMT au Canada?

M. Appleton: L'article 1139 de l'ALÉNA définit un investisseur d'une partie comme étant:

[...] une partie ou une entreprise d'État de cette partie, ou un ressortissant ou une entreprise de cette partie, qui [...]

-- et viennent ensuite les mots qui nous intéressent --

[...] cherche à effectuer, effectue ou a effectué un investissement [...]

Ce n'est pas moi qui ai inventé ces mots, sénateur. Ils sont écrits en noir sur blanc. Aux termes de l'ALÉNA, un investisseur d'une partie n'est pas seulement quelqu'un qui est ici, mais bien quelqu'un qui cherche à faire un investissement. Il peut fort bien y avoir des gens qui veulent faire un investissement ici.

Je ne suis pas d'accord avec mon collègue sur ce point seulement. Aucune limite territoriale ne s'applique à l'obligation relative au traitement national. Essentiellement, aux termes de l'ALÉNA, tous les Canadiens, les Américains et les Mexicains doivent bénéficier du traitement national. Notre gouvernement doit respecter cette obligation en vertu de l'ALÉNA, tout comme les autres pays doivent le faire à notre endroit.

Le sénateur Kenny: Je ne comprenais pas très bien si nous faisions de la discrimination contre personne par rapport à Ethyl Corporation aux États-Unis ou si nous faisions de la discrimination contre Ethyl Corporation par rapport à Ethyl Corporation aux États-Unis. Ce point n'était pas clair dans mon esprit.

M. Appleton: D'autres sociétés pourraient un jour fabriquer du MMT aux États-Unis. En fait, le MMT est fabriqué par une autre société de toute façon.

Le sénateur Kenny: Le jour où ces concurrents apparaîtraient, vous auriez peut-être une chance de gagner votre cause?

M. Appleton: Je ne suis pas d'accord avec vous, sénateur, mais je prends note du point que vous venez de soulever.

Le sénateur Spivak: Ethyl ne détient-elle pas un brevet à l'égard du MMT?

M. Appleton: Sénateur, je ne peux pas répondre à cette question. Il y a un certain nombre de brevets, dont certains ont expiré et d'autres sont encore en vigueur. N'étant pas spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, je ne peux pas vous dire lesquels sont en cause et lesquels ne le sont pas.

Le président: Ethyl nous a dit que son brevet avait expiré.

M. Appleton: Le brevet à l'égard du MMT peut très bien avoir expiré, mais il y a peut-être d'autres questions en cause.

Le sénateur Spivak: Vous nous dites essentiellement que, même s'il n'y a pas de concurrent, il pourrait y en avoir un. Par conséquent, ce projet de loi contrevient à l'ALÉNA. N'est-ce pas là une réduction à l'absurde de la loi?

M. Appleton: C'est une partie absurde de l'ALÉNA. Ce n'est pas une réduction à l'absurde. C'est ce que dit l'ALÉNA.

Le sénateur Spivak: Votre avis juridique est que, même s'il n'y a pas de concurrent, il pourrait y en avoir d'ici l'an 2000, par exemple, ce qui fait que nous contrevenons donc à l'ALÉNA. C'est là votre avis juridique.

M. Appleton: Sénatrice, il ne reste que trois ans avant l'an 2000. Oui, c'est exactement ce que dit l'ALÉNA.

Le sénateur Spivak: C'est là votre avis juridique?

M. Appleton: Oui.

Le sénateur Kenny: Lorsqu'un tribunal sera saisi de l'affaire, si jamais il y a contestation en vertu de l'ALÉNA, conclura-t-il qu'il y a un problème?

M. Appleton: La loi dit que, si on veut vendre du MMT au Canada, on doit avoir une usine dans chaque province où l'on veut vendre. À mon avis, le tribunal dirait que la loi contrevient à au moins deux dispositions de l'ALÉNA.

Le sénateur Kenny: Évidemment, un producteur canadien ne pourrait pas exporter du MMT non plus.

M. Appleton: Le producteur canadien peut vendre son produit sur un marché, et il n'y a aucune différence entre le MMT fabriqué au Canada et celui fabriqué aux États-Unis.

Le sénateur Kenny: Ce projet de loi ne dit pas qu'Ethyl Corporation ne peut pas construire une usine au Québec ou en Ontario. Elle peut construire une usine n'importe où. Si je comprends bien, aucune usine n'est en construction.

M. Appleton: Sénateur, si cette société veut rester dans le marché avec ses méthodes de distribution, ses installations de mélange et tout le reste, elle doit faire cet investissement et créer ces emplois au Canada. Cela contrevient à l'ALÉNA. C'est une des concessions que nous avons faites.

Nous avons fait cette concession non seulement au Canada, mais dans toute la zone de l'ALÉNA. En acceptant les dispositions relatives aux prescriptions de résultats dans l'ALÉNA, le Canada a renoncé unilatéralement à sa capacité de créer des prescriptions de résultats s'appliquant à n'importe quel pays du monde, et pas uniquement aux parties à l'ALÉNA.

Le sénateur Kenny: Je reconnais votre compétence, monsieur Appleton, mais on dirait bien qu'une société canadienne serait obligée de construire une usine dans chaque province où elle voudrait produire du MMT.

Nous ne demandons pas à Ethyl Corporation de faire quoi que ce soit qu'une société canadienne ne serait pas tenue de faire. Si une société canadienne voulait produire du MMT au Québec et le vendre en Ontario, elle ne pourrait pas le faire. Si je comprends bien ce que vous nous avez dit, cette société devrait construire deux usines, une au Québec et une en Ontario. Je suppose que c'est ce qu'Ethyl Corporation sera obligée de faire.

M. Appleton: Sénateur, l'ALÉNA a créé un marché continental. C'était là le but premier de cet accord. Nous avons signé cet accord pour nous assurer que nous n'aurions pas à établir une usine dans chaque territoire.

Les Canadiens qui veulent vendre aux États-Unis n'ont pas à établir des usines au Michigan, en Illinois, en Ohio et en Floride. Cet accord nous a donné accès à tout le marché américain. En retour, nous avons ouvert le marché canadien aux Américains et aux Mexicains.

Le sénateur Kenny: Mais nous n'ouvrons pas tout le marché aux Canadiens. Une usine qui produit du MMT en Ontario n'a pas accès au marché de la Colombie-Britannique.

M. Appleton: Ce n'est pas pour argumenter, mais je vous dis que c'est l'obligation que nous devons respecter aux termes de l'ALÉNA. Je suis désolé, monsieur.

Le président: Cela n'est pas surprenant. N'est-ce pas là le but premier de l'ALÉNA?

Si je fabrique un produit aux États-Unis pour lequel il existe un marché au Canada et que, soudainement, on m'exclut de ce marché, l'ALÉNA n'est-il justement pas là pour voir à ce que nous n'excluions pas unilatéralement les entreprises des marchés, pour voir à ce que nous ouvrions ces marchés? Je ne suis pas aussi surpris que le sénateur Kenny, car je comprenais que c'était là le but de l'ALÉNA.

M. Appleton: En fait, c'était l'une des garanties que nous voulions obtenir. Nous ne voulions pas être exclus du marché américain ou encore du marché mexicain qui pourrait devenir un important marché.

Le sénateur Kenny: En réponse au président, je suppose que, si un produit ne pouvait pas être expédié d'un État à l'autre aux États-Unis, nous ne nous attendrions pas, en tant que Canadiens, à pouvoir expédier ce produit n'importe où aux États-Unis. Nous nous attendrions à être traités de la même façon que les Américains.

M. Appleton: Monsieur le président, l'entrée en vigueur de l'ALÉNA a changé la signification de l'expression «attentes raisonnables».

L'ALÉNA crée de nouveaux droits et de nouvelles obligations et, essentiellement, les trois gouvernements ont créé des contrats avec des centaines de milliers pour ne pas dire des millions d'entreprises dans chacun des trois pays.

Le président: S'il y a conflit entre l'ALÉNA et une loi canadienne, lequel des deux l'emportera sur l'autre?

M. Appleton: Il n'y a pas de conflit, monsieur le président. Le gouvernement du Canada, par exemple, peut adopter toutes les lois qu'il veut. L'ALÉNA n'empêche pas le gouvernement de prendre quelque mesure que ce soit, mais il oblige celui-ci à verser une indemnité.

Si le Sénat veut adopter ce projet de loi et que le gouvernement du Canada veut le promulguer, ils ont le droit de le faire. Cependant, il y aura un coût additionnel. C'est un point que la Chambre de second examen objectif devrait considérer.

M. Feltham: Premièrement, le projet de loi interdirait l'importation de ce produit au Canada. C'est une mesure commerciale. Elle vise à interdire l'importation du MMT au Canada, tout comme on a déjà interdit l'importation d'autres substances qui ont été jugées indésirables ou potentiellement indésirables. On ne peut pas importer de l'essence avec plomb, du DDT, des BPC et bien d'autres substances qui ont été déterminées comme étant nuisibles à l'environnement. C'est essentiellement une mesure commerciale.

Du point de vue des investissements, le but premier des dispositions relatives aux investissements est d'assurer le même traitement aux investissements appartenant à des Canadiens et aux investissements au Canada appartenant à des étrangers ou envisagés par des étrangers.

S'il y avait un fabricant de MMT au Canada, nous ne pourrions pas interdire l'importation de cette substance en vertu du chapitre 11. Nous pourrions l'interdire en vertu des autres dispositions que j'ai mentionnées, mais, comme il n'y a pas de production au Canada, le problème ne se pose pas.

Le sénateur Buchanan: Tout cet exercice commence à ressembler beaucoup aux négociations qui ont mené à l'accord de libre-échange durant les années 80. J'ai assisté à toutes ces négociations. Nous avons entendu beaucoup d'avocats qui avaient toutes sortes d'opinions, mais c'est là le rôle des avocats dans un système adversatif.

Il y a quelque chose qui n'est pas très clair ici. Essentiellement, lorsqu'on examine la question des mesures à la frontière, de prime abord, il ne fait pas de doute que le Canada, les États-Unis et le Mexique ont le droit d'adopter des lois ou de mettre en oeuvre des politiques visant à assurer la protection de la santé, ce qui englobe les mesures de protection de l'environnement nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux.

Cela veut donc dire que, si on invoque cette disposition de l'ALÉNA pour justifier l'adoption d'une mesure législative au Canada, cette mesure législative doit effectivement protéger la santé et l'environnement. Ce n'est pas le cas de ce projet de loi parce qu'il n'empêche pas Ethyl de construire une usine en Nouvelle-Écosse si elle le veut. Il n'empêche personne de construire une usine dans n'importe quelle province du Canada. La société ne peut pas transporter son produit d'une province à l'autre, mais elle peut construire l'usine.

Par conséquent, si une usine peut être construite au Canada, comment ce projet de loi se trouve-t-il à protéger la santé des Canadiens et l'environnement au Canada? La Nouvelle-Écosse fait encore partie du Canada. L'article 2101 ne s'applique donc pas à ce projet de loi. Ai-je raison ou ai-je tort?

M. Appleton: L'article 2101 ne s'applique effectivement pas à ce projet de loi. Vous avez absolument raison de dire que cette mesure législative n'interdit pas le MMT. C'est ce qui cause un des plus grands problèmes sur le plan du commerce international.

Si le gouvernement du Canada veut interdire un produit pour des raisons de santé et de sécurité, il a d'autres moyens à sa disposition. Cette mesure législative dit simplement que le MMT de fabrication étrangère est mauvais. Nous savons tous que le MMT fabriqué aux États-Unis est mauvais et que celui fabriqué au Canada est bon, c'est la même chose. Il n'y a aucune différence.

C'est là qu'intervient la notion de traitement national. C'est le genre de chose que l'ALÉNA visait justement à empêcher, car nous craignions que cela ne nous arrive au Mexique ou ailleurs.

Le sénateur Buchanan: Si un investisseur voulait construire une usine de MMT en Nouvelle-Écosse, ce projet de loi ne l'en empêcherait pas.

M. Appleton: C'est exact.

Le sénateur Buchanan: Ce projet de loi n'est donc rien d'autre qu'une mesure commerciale.

M. Appleton: À mon avis, c'est exact.

Le sénateur Buchanan: Le MMT n'est-il pas une substance dangereuse?

Environnement Canada nous a dit qu'il n'avait fait aucune étude de l'impact du MMT sur l'environnement. Comment ce projet de loi peut-il être une mesure visant à protéger la santé et l'environnement quand ces deux ministères fédéraux disent que ce n'est pas le cas? Nous pourrions construire une usine de MMT en Nouvelle-Écosse et nous sommes Canadiens.

M. Feltham: Pour ce qui est de la nature du projet de loi, je crois comprendre que le ministre de l'Environnement n'est pas encore venu témoigner pour décrire sa mesure législative. Mon but n'est évidemment pas d'anticiper sur ce qu'il va dire, mais plutôt d'attirer votre attention sur le fait que ce projet de loi est présenté dans des circonstances particulières, spécialement lorsqu'on l'examine du point de vue de son impact sur les accords commerciaux internationaux que sont l'ALÉNA et le GATT.

La situation actuelle, c'est que le MMT est fabriqué uniquement aux États-Unis. D'après les renseignements dont nous disposons, c'est la seule usine dans le monde. On ne fabrique pas de MMT au Canada. Si quelqu'un voulait construire une usine en Nouvelle-Écosse ou ailleurs, le gouvernement devrait alors intervenir s'il tenait vraiment à empêcher l'utilisation du MMT au Canada. Tout ce que le gouvernement doit faire maintenant pour atteindre son but qui est d'interdire le MMT -- la raison pour laquelle il désire interdire le MMT est une tout autre question -- c'est se servir de son pouvoir en matière de commerce. C'est tout ce qu'il a fait.

Le sénateur Buchanan: En quoi cela contrevient-il à l'ALÉNA?

M. Feltham: Ce que le gouvernement a fait ne contrevient pas à l'ALÉNA.

Le sénateur Buchanan: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Si le gouvernement du Canada voulait interdire le MMT pour des raisons liées à la protection de la santé et de l'environnement, pourquoi alors n'a-t-il pas modifié la Loi canadienne sur la protection de l'environnement ou la Loi sur le transport des marchandises dangereuses au lieu de présenter ce projet de loi?

M. Feltham: C'est le choix du gouvernement. Je dis simplement que, à mon avis, c'est une mesure commerciale permise aux termes de l'ALÉNA dans ces circonstances particulières.

M. Appleton: En tant que spécialiste du droit international, je suis d'avis que le gouvernement du Canada n'a pas choisi le bon mécanisme. Il a choisi un mécanisme qui, selon moi, l'exposera inutilement au versement d'une indemnité pour la mise en oeuvre d'une loi qui n'interdit pas la substance. Chaque parlement ou assemblée législative dans la zone de l'ALÉNA a le droit d'adopter toutes les lois qu'il veut, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.

Le sénateur Buchanan: Sous réserve du versement d'une indemnité.

M. Appleton: C'est exact, sénateur Buchanan. La loi qui s'applique est l'ALÉNA. Il y a trois infractions à l'ALÉNA. Si ce projet de loi est adopté, le gouvernement du Canada devra verser une indemnité. C'est aussi simple que cela.

Je n'ai pas inventé cette loi. Elle existe. Elle vise aussi à protéger nos investisseurs. C'est une nouvelle réalité, et il faudra un certain temps pour que tous les gouvernements et tous les pays de l'ALÉNA comprennent les ramifications de cet accord.

Dans le cas qui nous occupe, cette société subit un préjudice à cause de cette mesure et a droit à une indemnité en vertu de l'ALÉNA.

Le sénateur Spivak: Monsieur Appleton, je regrette que vous n'ayez pas agi à titre de conseiller juridique auprès du Conseil des Canadiens lorsque celui-ci s'est élevé contre le projet de loi de libre-échange parce que vous montrez de façon très convaincante à quel point cet accord empiète sur la souveraineté.

M. Appleton: J'ai conseillé le Conseil des canadiens sur ce point. C'est certainement une question qui relève des gouvernements. Les gouvernements ont renoncé à une partie de leur souveraineté lorsqu'ils ont adopté cet accord. Je ne me souviens pas que cette question ait suscité un vif débat au moment où l'accord a été adopté. Il n'en reste pas moins que cet accord existe maintenant et fait partie de la nouvelle réalité.

Le sénateur Spivak: Les Américains sont de meilleurs commerçants que nous.

Compte tenu de ce que je comprends au sujet du traitement national à l'égard des investissements et en supposant que ce soit là un argument valable, quelle défense peut-on invoquer en se fondant sur le principe de la souveraineté? Par exemple, supposons qu'Ethyl veuille importer de l'essence avec plomb. Nous ne pourrions évidemment pas l'en empêcher. Nous pourrions le faire, mais nous devrions lui verser une indemnité énorme, si ce que dit M. Appleton est vrai.

Le gouvernement est-il tenu de préciser dans la loi que c'est une question de protection de la santé ou a-t-il le choix? Le principe de précaution est-il suffisant pour faire valoir l'argument de la protection de la santé? Aux États-Unis, sur une période de dix-sept ans, Ethyl a essuyé quatre refus de la part de l'EPA parce que cette dernière ne voulait pas qu'Ethyl se serve des Américains pour faire des expériences. Quelle est la défense juridique?

M. Feltham: Le sénateur a posé au moins quatre ou cinq questions.

On doit examiner attentivement la défense fondée sur le chapitre 11. Il ne s'agit tout simplement pas d'une mesure équivalant à une expropriation. Il n'y a pas eu expropriation d'une installation. Il n'y a pas eu expropriation d'un bien matériel ou immatériel. Le principe du traitement national s'applique à des circonstances qui n'existent pas dans le cas présent.

Le sénateur Spivak: N'y a-t-il aucune défense fondée sur le principe de la souveraineté?

M. Feltham: Mon collègue et moi sommes entièrement d'accord sur le fait que le Parlement peut exproprier des biens. Si une mesure équivaut à une expropriation, les investisseurs étrangers ont le droit de recourir à l'arbitrage pour déterminer s'ils ont droit à une indemnité pour le bien qu'on leur a pris et, le cas échéant, le montant d'une telle indemnité.

Si la maison de M. Appleton est expropriée pour la construction d'une route à Toronto, son droit à une indemnisation ne fait aucun doute. C'est la même chose en l'occurrence. S'il était interdit d'importer de l'essence sans plomb, ce qui est le cas je crois, alors personne ne pourrait contester l'interdiction. Il s'agit d'une interdiction générale qui s'applique à quiconque voudrait exporter de l'essence au plomb ou des véhicules à moteur qui ne sont pas conformes aux règles de sécurité applicables à ces véhicules.

Le sénateur Spivak: En d'autres mots, il n'existe pas d'exclusion fondée sur la protection de la santé.

M. Feltham: Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus. Tous les arguments fondés sur la santé et l'environnement n'ont rien à voir avec les dispositions sur les investissements du chapitre 11 de l'ALÉNA. Ils se rapportent à d'autres dispositions de cet accord.

Le sénateur Spivak: Sur quoi reposent les ententes portant sur l'environnement et le droit du travail, s'il s'agit d'un principe primordial? Je ne suis pas avocate, il se peut que je n'utilise pas les bons termes.

M. Appleton: Vous demandez comment un gouvernement peut adopter de bonne foi des lois visant à protéger la santé et l'environnement tout en respectant les obligations du chapitre de l'ALÉNA sur les investissements? Est-ce bien cela?

Le sénateur Spivak: Je demande quel principe prime en droit.

M. Appleton: Le principe de précaution n'est pas codifié en droit. Les seules exceptions sont celles qui sont précisées. Par conséquent, le texte de l'ALÉNA a force de loi.

Lorsqu'un produit présente des risques, de la viande avariée, par exemple...

Le sénateur Spivak: Parlons de l'essence au plomb.

M. Appleton: Je voudrais d'abord parler de viande avariée parce que c'est un peu plus facile à comprendre. Ensuite, je parlerai de tout ce que vous voulez. Je suis ici pour cela.

Si un produit comme de la viande avariée est mis en vente et que le gouvernement veut l'interdire, il a le droit de le faire. Rien ne l'empêche d'agir. Cependant, il y a la question de l'indemnisation. Quelle est la valeur de la viande avariée? Cela vaut très peu, c'est évident. Lorsque l'on prouve qu'un produit présente des risques, sa valeur est déterminée dans le cadre du calcul de l'indemnisation. L'ALÉNA offre des possibilités que les gouvernements doivent laisser ouvertes, sinon, ils doivent verser des indemnisations.

En l'occurrence, je crois que mon ami essayait de dire qu'il n'existe aucun moyen de défense s'il y a infraction à l'ALÉNA et qu'il y a des dommages-intérêts sous trois chefs distincts et interdépendants. En d'autres mots, chacune des trois infractions justifie, en soi, une indemnisation d'Ethyl Canada. Il n'est pas nécessaire de commettre les trois infractions. Chacune, prise individuellement, permet à Ethyl Canada et à Ethyl Corporation de réclamer une indemnisation. Le projet de loi C-29 est conçu de manière à faire fermer Ethyl Canada et Ethyl Corporation.

Le sénateur Spivak: Vous dites que l'on ne peut en aucun cas invoquer comme défense la volonté de protéger la santé des citoyens. La seule question est celle du montant de l'indemnisation. Par conséquent, une personne qui voudrait importer de la viande avariée au Canada pourrait le faire, la seule question étant celle du montant de l'indemnisation. Il n'existe donc aucun principe. Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?

M. Appleton: Non, sénateur. Vous avez amalgamé des choses différentes. La question de l'importation et du commerce des biens est différente de celle des investissements. J'utiliserai un exemple absurde. Supposons que nous ne permettons pas la production de viande d'autruche au Canada, mais que cela est permis au Groenland et qu'il y a ici une entreprise qui importe et vend cette viande. S'il existe une entente offrant les mêmes garanties que l'ALÉNA, il s'agit d'une question d'investissements. Cependant, s'il ne s'agit que d'interdire la vente d'un produit jugé mauvais, comme du plutonium, le gouvernement du Canada a parfaitement le droit d'intercepter le plutonium à la frontière. C'est là une question de commerce.

Comme mon ami l'a dit, il existe différentes obligations et différentes questions. Cependant, s'il s'agit d'un produit jugé sûr aux États-Unis, qui n'est pas interdit et qui peut être fabriqué et vendu au Canada -- comme le MMT -- cela soulève des questions de commerce international. Puisque des investissements ont été faits au Canada dans le domaine de la distribution, du mélange, et le reste, il faut en tenir compte.

Le sénateur Spivak: Par conséquent, tout dépend de la question de la vente légale aux États-Unis. Il ne suffit pas que le gouvernement du Canada déclare qu'il ne pense pas que le produit soit sûr et adopte une loi pour interdire son importation?

M. Appleton: Je ne suis pas certain de comprendre votre question. Je suis désolé.

Le sénateur Spivak: Vous avez dit que si le MMT était jugé sûr aux États-Unis, il y avait une question d'indemnisation en jeu.

M. Appleton: Les deux questions ne sont pas liées. La question de l'indemnisation se pose, un point c'est tout. Il est ici question d'indemnisation. Que le produit soit déclaré sûr ou pas aux États-Unis ne change rien. Cependant, le MMT n'a pas été déclaré dangereux et peut être vendu aux États-Unis et, aux termes de la loi, il n'a pas été déclaré dangereux et peut être vendu au Canada. L'un des éléments les plus choquants du projet de loi, c'est qu'il crée un critère de rendement.

M. Feltham: Nous devrions accorder plus d'attention aux faits. Je crois savoir que le MMT est interdit en Californie, où on consomme plus d'essence que dans tout le Canada. Le MMT est interdit dans beaucoup d'autres régions des États-Unis, qui ont de la difficulté à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, c'est-à-dire, des problèmes de qualité de l'air.

Je crois que d'autres témoins ont établi que les grands fabricants de carburants à base de pétrole aux États-Unis ne prévoient pas introduire le MMT. L'administratrice de l'Agence de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency ou EPA) a déclaré sans réserve que l'EPA restait opposée au MMT.

Le président: Je suis désolé. Vous allez trop loin. Je viens juste de lire la décision à cet égard.

M. Feltham: C'est ce que j'ai compris de la déclaration de Mme Browner. Le sénateur Buchanan a fait allusion à la position de Santé Canada. Je crois que le comité a reçu la déclaration d'un haut fonctionnaire de ce ministère qui dit que celui-ci appuie le projet de loi.

Le président: Évitons d'aller sur ce terrain.

M. Feltham: Je voulais simplement souligner cela parce que certaines observations de mon collègue portent sur cet aspect et, à mon sens, il convient de le porter à l'attention des sénateurs.

Le président: À mon avis, votre interprétation ne correspond pas tout à fait aux éléments de preuve, mais cela importe peu.

Le sénateur Nolin: Monsieur Feltham, vous dites dans votre mémoire qu'un pays a le droit d'adopter des mesures de précaution en cas de risques possibles pour la santé et l'environnement. Dans un autre document que vous nous avez soumis, vous faites allusion au principe 15 de la Déclaration de Rio. Pouvez-vous nous expliquer comment ce principe s'applique au Canada?

M. Feltham: À mon avis, monsieur le sénateur, lorsque l'on interprète un traité international, comme l'ALÉNA ou le GATT, on doit s'arrêter aux déclarations provenant des sources faisant autorité. Mon collègue l'a très bien expliqué dans son propre mémoire, lorsqu'il a parlé des travaux faits pour déterminer quels sont les principes appropriés au niveau international.

La Déclaration de Rio, qui a été adoptée par le Canada et beaucoup d'autres pays, est une des sources internationales sur les questions de santé et d'environnement.

Le sénateur Nolin: C'est dans l'introduction.

M. Feltham: Oui.

Le sénateur Nolin: Disons que cela fait partie des règles que respecte le Canada dans le domaine de la santé et de l'environnement. Comment le respect de ce principe se répercute-t-il sur le Canada?

M. Feltham: La question, c'est de savoir si le projet de loi C-29 va à l'encontre des obligations internationales du Canada. Au moment de déterminer quelles sont ces obligations, il faut tenir compte des décisions des groupes spéciaux de l'OMC et des autres organismes qui définissent les grands principes. C'est dans le contexte du droit international qu'on invoque le principe de précaution dans la législation sur la protection de l'environnement et qu'on détermine si un État agit en conformité avec ce principe ou pas.

Le sénateur Nolin: Comment pourrait-on déclarer que le Canada respecte tous ces principes? À la page 10 de votre document d'information, vous écrivez:

Dans leurs dispositions législatives concernant l'environnement, les États-Unis et le Canada ont tous deux adopté le principe de précaution. Par exemple, les pays exigent la réalisation d'évaluations environnementales préliminaires avant que des activités d'envergure susceptibles de nuire à l'environnement ne soient entreprises.

Vous précisez dans une note en bas de page que cela se trouve dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, qui est, à cet égard, notre loi fondamentale.

Cela a-t-il été fait dans le cas du MMT?

M. Feltham: Cela renvoie aux éléments de preuve dont vous disposez. Certains d'entre vous diront que, si je m'aventure hors de mon domaine, je ne suis pas un spécialiste et je ne peux pas prétendre parler en tant que spécialiste des questions scientifiques. Cependant, je suis ici en qualité d'avocat qui entend les témoignages de spécialistes et je sais que, à ce titre, je dois être en mesure de comprendre ces témoignages.

J'ai examiné les déclarations faites par des experts-conseils d'Environnement Canada. J'ai examiné certains documents présentés au comité. J'ai examiné avec une attention particulière les éléments de preuve qui vous ont été soumis par les fabricants de véhicules à moteur. J'ai examiné les déclarations de Santé Canada et d'autres documents où on se demandait si, en l'occurrence, le gouvernement avait appliqué le principe de précaution en respectant le cadre juridique international que j'ai défini. À mon avis, comme il est dit dans la documentation dont vous disposez, compte tenu de la liberté dont jouit un État d'adopter ses propres normes et ses propres méthodes de lutte contre la pollution atmosphérique, le projet de loi n'enfreint pas les règles de droit international contre les mesures aux frontières.

M. Appleton: Sénateur Nolin, peut-être pourrais-je répondre autrement à votre question. Je me suis efforcé de présenter les documents très complexes sur l'ALÉNA en langage de tous les jours. L'ALÉNA est très complexe et comporte des dispositions très variées.

Une de ces dispositions a trait à l'application de l'ALÉNA simultanément à d'autres accords. Mon ami, qui connaît très bien la question et qui essaie d'aider le comité du mieux qu'il peut, vous a exposé un principe général de droit international qui est modifié par l'ALÉNA, plus précisément par l'article 103 de l'ALÉNA, qui porte sur l'application de cet accord simultanément à d'autres. Il porte ceci:

En cas d'incompatibilité entre le présent accord [...]

Il s'agit de l'ALÉNA.

[...] et ces autres accords, le présent accord prévaudra dans la mesure de l'incompatibilité [...]

On énumère ensuite une série d'accords internationaux sur l'environnement où il y a incompatibilité et on précise qu'ils ont préséance.

Il s'agit d'accords importants. Il y a notamment la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, le Protocole de Montréal, la Convention de Bâle et la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Cependant, la Déclaration de Rio n'est pas mentionnée.

Mon ami a peut-être raison lorsqu'il affirme que cette déclaration est en train d'être incluse dans le corpus du droit international, mais cela reste contestable. L'ALÉNA précise ce dont il faut tenir compte et ce dont il ne faut pas tenir compte. Par conséquent, la Déclaration de Rio n'entre pas en ligne de compte. Ce n'est pas parce que l'on ne veut pas en tenir compte, mais bien parce que l'ALÉNA nous dicte ce que l'on peut et ce que l'on ne peut pas faire. Lorsque l'ALÉNA entre dans le détail, il est très précis.

Le sénateur Nolin: Comment fonctionne une mesure à la frontière?

M. Appleton: Dans quel cas?

Le sénateur Nolin: Quel genre d'éléments de preuve faut-il pour que le ministre puisse être certain de pouvoir prendre une mesure?

M. Appleton: S'il est question de commerce de produits, le ministre peut faire ce qu'il veut. Cela entre dans le chapitre 3 de l'accord, sur le commerce des produits. Cependant, lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui fonctionnait légalement avant le 1er janvier 1994 et a poursuivi ses activités après cette date, soit la date d'entrée en vigueur de l'accord, le chapitre sur les investissements entre en jeu. Si l'entreprise existait avant le 1er janvier 1994, et s'il y a des investissements et pas simplement commerce de produits, il faut tenir compte du chapitre sur les investissements.

Il y a un autre élément très important. Dans une cause entendue par le GATT, celle des cigarettes thaïlandaises, il a été déterminé qu'il ne suffit pas de démontrer qu'il y a effectivement discrimination, mais s'il y a apparence de discrimination, le droit commercial international met fin à la pratique. Il y aura indemnisation.

Notre problème, c'est que le droit commercial international a de plus en plus de poids dans les décisions que nous prenons à l'échelle nationale. Les conséquences ne sont pas négligeables. Le ministre peut prendre la décision qu'il juge la meilleure pour protéger les Canadiens, mais, si cette décision touche les investissements, l'ALÉNA entre invariablement en ligne de compte.

Le président: Monsieur Feltham, connaissez-vous des éléments de preuve établissant que la présence de MMT dans l'essence constitue un risque de dommages graves ou irréversibles à l'environnement?

M. Feltham: Nous parlons ici d'éléments de preuve scientifiques. D'après ce que j'ai compris des documents que j'ai lus, l'essence contenant du MMT au Canada empêchera d'atteindre...

Le président: Ce n'est pas la question.

M. Feltham: Sauf votre respect, monsieur, c'est bien la question.

Le président: Je connais ces éléments de preuve. Je ne voulais pas vous interrompre, mais je voulais savoir si vous connaissez des éléments de preuve établissant que le MMT cause des dommages graves ou irréversibles à l'environnement. Vous avez mentionné le principe de précaution et je veux savoir si ce que vous dites s'appuie sur ce principe.

M. Feltham: Oui, tout à fait.

Le sénateur Spivak: Pardonnez-moi, mais il ne s'agit pas du principe de précaution.

Le président: Mais si.

M. Feltham: J'affirme, avec tout le respect que je dois à votre comité, que les éléments de preuve sont suffisants pour permettre au gouvernement et au Parlement du Canada de prendre des mesures visant à protéger la pureté de l'air au Canada en invoquant le principe de précaution, qui est généralement admis à l'échelle internationale.

Le président: Je lis la disposition sur le principe de précaution et cela correspond à ce que j'ai dit. Selon le principe de précaution de la Déclaration de Rio, qui a été signée par le Canada:

En cas de risque et de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement.

Il doit y avoir une menace de dommage grave ou irréversible à l'environnement pour que le principe de précaution entre en ligne de compte. Si je connaissais des éléments de preuve en ce sens, vous pourriez compter sur mon appui, mais on n'en a avancé aucun.

Le sénateur Nolin: Nous en demanderons au ministre demain.

Le sénateur Kenny: J'aimerais que le sénateur Spivak lise ce qu'elle a devant elle.

Le sénateur Spivak: J'ai une déclaration de Carol M. Browner, administratrice de l'EPA. Elle parle des annonces d'Ethyl Corporation. Elle dit:

Selon les annonces, l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis aurait déclaré: «L'EPA reconnaît qu'elle ne possède aucune donnée démontrant que l'exposition à de faibles doses de MMT constitue une menace [pour la santé].» Il est vrai que l'EPA ne possède pas de données établissant que le MMT constitue une menace, mais c'est justement l'absence de données qui fait problème. L'EPA ne possède pas de données établissant que le MMT ne constitue pas une menace.

Le principe de précaution vise à renverser le fardeau de la preuve.

Le président: Exactement.

Le sénateur Spivak: Je n'ai pas à vous prouver que le produit pourrait causer des dommages irréversibles. C'est le contraire. Ce sont les fabricants du produit qui doivent présenter des données établissant qu'il ne causera pas de dommages irréversibles. C'est à cela que se résume le principe.

Le sénateur Kenny: Lisez toute la déclaration, s'il vous plaît, sénateur.

Le sénateur Spivak: Je continue:

L'EPA a, à l'origine, refusé la demande de vente du MMT comme additif à l'essence présentée par Ethyl Corporation parce que la société a refusé d'effectuer des tests d'innocuité avant de mettre son produit sur le marché. La seule raison pour laquelle le MMT est maintenant vendu comme additif à l'essence, c'est que le tribunal a rejeté l'argument de l'EPA voulant que les répercussions des «additifs au carburant» sur la santé de la population soient évaluées à fond avant que leur usage se généralise.

L'EPA estime que la population des États-Unis ne devrait pas servir de cobaye pour tester l'innocuité du MMT. L'EPA croit que des tests additionnels devraient être faits avant de permettre que les automobiles de tout le pays commencent à rejeter cet additif dans l'atmosphère, car il contient du manganèse, qui est un métal lourd.

Le président: J'ai lu cela, sénateur. Je crois que les tribunaux ont conclu que l'EPA n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour s'aventurer dans ce domaine parce qu'il ne relevait pas de son mandat législatif. Cependant, je pense que nous nous écartons de notre sujet.

Merci. Nous vous remercions pour votre témoignage.

Nous entendrons maintenant les témoins suivants. Veuillez vous approcher.

M. Don Ingram, vice-président, Produits raffinés, Husky Oil Operations: Avant de commencer, je tiens à préciser que nous ne reprendrons pas ici les arguments déjà présentés par les porte-parole de l'Institut canadien des produits pétroliers, l'ICPP, le 4 février dernier. Comme nos collègues, nous estimons qu'il est essentiel d'amender le projet de loi C-29 à cause du précédent qu'il crée et parce qu'il est foncièrement inéquitable. Notre groupe s'intéresse tout particulièrement aux conséquences économiques et environnementales du projet de loi. Nous conclurons nos exposés en mettant de l'avant une proposition qui contribuerait, selon nous, à résoudre le problème.

M. Alain Ferland, président, Ultramar: Ultramar est une société engagée dans le raffinage du pétrole et la commercialisation de produits pétroliers dans l'Est du Canada -- soit en Ontario, au Québec et dans les provinces atlantiques -- et le Nord-Est des États-Unis. La société Ultramar est une filiale d'Ultramar Diamond Shamrock, une société née par la fusion d'Ultramar Corporation et de Diamond Shamrock, le 3 décembre 1996.

Ultramar emploie directement et indirectement plus de 10 000 Canadiens et Canadiennes. La société possède une raffinerie située près de Québec. D'une capacité de production de 150 000 barils par jour, cette raffinerie produit de l'essence, du carburant diesel, du mazout et d'autres produits pétroliers. Chaque année, notre raffinerie dépense plus de 100 millions de dollars, dont plus de 30 millions en salaires. Notre réseau de vente au détail compte environ 1 300 stations-service, dont environ 1 000 au Québec.

Pour un raffineur régional, le projet de loi C-29 crée de graves problèmes d'efficacité et de survie. Nous sommes tous membres de l'ICPP, mais son statut de raffineur régional place Ultramar dans une situation particulière à plus d'un titre. D'abord, nous ne sommes pas une société «intégrée». Nous sommes absents du secteur d'amont et du secteur des produits chimiques. Par conséquent, il ne nous est pas aussi facile qu'à d'autres entreprises d'absorber les investissements ou de les attirer. Deuxièmement, nos activités sont axées sur une seule raffinerie. Celle-ci fournit un réseau régional de détaillants dont beaucoup sont indépendants. Troisièmement, nous sommes d'abord et avant tout une société régionale, ce qui nous oblige à réussir en premier lieu sur notre territoire naturel. Quatrièmement, notre croissance dépend de notre capacité de conquérir de nouveaux marchés.

C'est pour cela qu'Ultramar a étendu ses activités au marché du Nord-Est des États-Unis. Si le projet de loi est adopté, il nous sera plus difficile de conquérir une partie du marché américain et d'y réaliser des profits. Il fera aussi augmenter nos frais d'exploitation. De plus, il réduira notre compétitivité aux États-Unis, car nous devrons affronter des raffineurs américains qui utilisent du MMT.

Pour demeurer concurrentiels, nous devons être en mesure de faire les investissements qui s'imposent et d'améliorer nos activités. Nous avons beaucoup investi dans les dispositifs de protection de l'environnement: élimination du plomb dans l'essence; réduction de la tension de vapeur de l'essence; récupération des vapeurs sur les rampes de chargement; carburant diesel à faible teneur en soufre; traitement des eaux résiduelles; remplacement des réservoirs souterrains; navires-citernes à double fond et à double coque. Nous avons également mis en marché de nouvelles essences, comme d'autres témoins l'ont déjà souligné au comité.

Pour recouvrer nos coûts, nous devons rendre notre produit attrayant pour le consommateur. Autrement, si nous devions absorber toutes les dépenses qui ne sont pas absolument nécessaires, notre rentabilité en souffrirait.

Puisque le consommateur peut facilement choisir les produits d'autres raffineurs canadiens ou de gros raffineurs américains ou européens, une entreprise régionale comme Ultramar doit faire face à une concurrence mondiale réelle. Théoriquement, nous faisons face à la concurrence des 200 et quelques raffineurs du bassin atlantique.

En outre, ces dernières années, les programmes du gouvernement fédéral nous ont imposé de nouvelles obligations financières comme le paiement des frais de la Garde côtière canadienne pour l'entretien de la voie maritime du Saint-Laurent et la création de centres d'intervention pour protéger l'environnement marin.

Dans un tel contexte, nous ne pouvons tout simplement pas refiler les augmentations de nos frais aux consommateurs, comme certains l'ont suggéré. Nous avons réussi à demeurer concurrentiels dans notre secteur d'activité pour plusieurs raisons. Il y a notamment notre partenariat avec les gouvernements qui nous a toujours permis de planifier nos investissements. Deuxièmement, nous avons réussi à conserver la clientèle de nombreux détaillants indépendants. Troisièmement, nous avons réussi, en innovant, à nous démarquer aux yeux des consommateurs dans la vente au détail et le raffinage. Nous offrons aussi des prix attrayants, nous avons ouvert des dépanneurs et nous produisons des pétroles bruts spécialisés.

Pour nous, le projet de loi C-29 représente une rupture du partenariat traditionnel établi avec le gouvernement fédéral. Sans qu'il ne soit justifié pour protéger la santé ou l'environnement, le projet de loi fera augmenter nos coûts de raffinage et aura des répercussions sur tous les aspects de nos activités. Nous sommes disposés à investir là où nous voyons des avantages certains. Cependant, en tant que raffineurs régionaux, nous avons droit à un meilleur processus que celui qui a été suivi dans l'étude du projet de loi C-29 jusqu'à maintenant.

Aujourd'hui, nous allons proposer au comité une solution qui, nous l'espérons sincèrement, réglera le problème que pose le projet de loi C-29 pour toutes les parties engagées dans le débat. Nous y voyons une façon, pour votre comité, de satisfaire tout le monde.

M. Ingram: Société pétrolière établie au Canada, Husky Oil est l'un des plus importants producteurs du pays et a réussi à occuper une place de choix dans les secteurs spécialisés des carburants et des services au Canada. Husky est engagée dans l'exploration, la mise en valeur, la production et le transport de pétrole brut, de gaz naturel, des liquides extraits du gaz naturel, du soufre et des produits raffinés.

Husky est également l'un des plus gros exploitants de haltes routières pour camions du Canada. On retrouve nos stations de Kingston, en Ontario, jusqu'au Yukon. Husky possède deux raffineries, dont une à Prince George, en Colombie-Britannique, qui dessert le centre et le nord de cette province, ainsi que le Yukon. Nous exploitons aussi une usine d'asphalte à Lloydminster, en Alberta. Husky Oil emploie environ 1 400 employés et son réseau de détaillants plus de 3 000.

Je voudrais maintenant parler des répercussions économiques du projet de loi C-29 sur notre entreprise. Si les décisions du gouvernement sont dorénavant soumises à des caprices et à l'arbitraire, comme le projet de loi C-29 nous le démontre, comment pouvons-nous convaincre nos employés, nos actionnaires, nos clients et nous-mêmes que notre entreprise demeurera concurrentielle dans le secteur en aval? Comment pouvons-nous justifier d'investir pour trouver des solutions valables si les lois adoptées ne reposent sur aucun fondement solide?

Tous les gouvernements doivent prendre des décisions qui s'appuient sur de solides données scientifiques. Nous comptons aujourd'hui sur vous, monsieur le président, pour faire justement cela.

Au Canada, la capacité technique de la plupart des raffineries ne leur permet pas de remplacer de façon économique l'octane perdu par l'élimination du MMT. Si nous devons le faire, nous perdrons notre indépendance financière et nous deviendrons presque totalement dépendants des grandes pétrolières avec qui nous sommes en concurrence.

Une entreprise a déjà souligné que le projet de loi C-29 réduira d'au moins 40 p. 100 les gains en efficience d'une raffinerie traitant 80 000 barils par jour. Imaginez un peu quelles conséquences ce projet de loi pourrait avoir sur notre raffinerie de Prince George, qui ne traite que 10 000 barils par jour, ainsi que sur les prix dans tout le nord de la Colombie-Britannique et au Yukon.

Le précédent qui consiste à restreindre le commerce interprovincial des produits pétroliers frappe très durement une entreprise comme la nôtre, qui est tributaire des échanges avec des entreprises d'autres provinces. Le précédent établi par le projet de loi C-29 revêt une grande importance, car le même scénario est reproduit dans d'autres projets de loi à l'étude. Par exemple, la même limitation du commerce interprovincial des carburants qui ne répondent pas aux critères inconnus d'un marché des carburants se retrouve dans l'article sur les carburants contenu dans le projet de loi C-74, qui modifie la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Pour survivre dans le secteur en aval de l'industrie pétrolière, Husky doit pouvoir compter sur la souplesse que confère la possibilité du commerce interprovincial.

De toute évidence, le projet de loi se répercuterait de façon différente sur chacune de nos entreprises. Les facteurs qui garantissent la survie de notre raffinerie sont les suivants: sa situation à Prince George, en Colombie-Britannique; le rendement garanti des capitaux consacrés à des mesures de protection de l'environnement; l'existence d'un processus décisionnel limpide reposant sur des fondements scientifiques donnant l'assurance que les décisions sont prises d'après des données factuelles et non pas de façon arbitraire, en raison de caprices politiques; des lois de protection de l'environnement visant à régler des problèmes régionaux et ne s'appliquant pas uniformément à tout le pays comme si les problèmes étaient les mêmes partout.

Finalement, Husky Oil fonctionne dans un marché très concurrentiel. Nous avons adhéré à l'ICPP et nous avons collaboré avec le gouvernement à la recherche de solutions aux problèmes environnementaux du Canada. Notre partenariat avec le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces où nous sommes présents a bien fonctionné. Nous avons pu prendre des décisions éclairées dans le meilleur intérêt du monde des affaires et de l'environnement.

Pourquoi veut-on aujourd'hui détruire un processus qui a fait l'unanimité dans le passé, qui a connu beaucoup de succès et qui a permis de protéger l'environnement et de maintenir notre compétitivité? Ce processus a permis à l'industrie de s'améliorer et aux dossiers environnementaux de progresser pour le mieux-être de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes. Ces gains ont pu être enregistrés grâce à la collaboration entre nos entreprises et le gouvernement qui se sont consultés, ont défini ensemble des objectifs et ont décidé ensemble d'orienter les ressources là où des besoins ont été reconnus.

Le projet de loi C-29, tant par sa rédaction et son contenu que par ses répercussions, est tout à fait contraire à l'esprit de collaboration qui existait, sans compter qu'il menace notre position concurrentielle.

M. Michael O'Brien, vice-président exécutif, Groupe Sunoco, Suncor Inc.: Sunoco est une filiale à part entière de Suncor Incorporated. Spécialisée dans le raffinage et la commercialisation, Suncor est une société pétrolière canadienne. Elle est probablement la société pétrolière la plus intégrée au Canada. Nous possédons une seule raffinerie, à Sarnia, en Ontario. Nos actifs de commercialisation et de distribution se retrouvent principalement dans le sud de l'Ontario, où nous vendons environ 85 000 barils de carburant par jour. Avec environ 20 p. 100 du marché, nous sommes un acteur important sur le marché de l'essence en Ontario. Nous vendons nos produits sous la bannière Sunoco et, grâce à des accords de coentreprise, dans les stations Pioneer Petroleums, qui sont indépendantes, et UPI, qui est la marque de la coopérative agricole en Ontario.

Le projet de loi C-29 comme tel ne pose pas, pour nous, une question de vie ou de mort, mais une question d'équité. Le dangereux précédent qu'il crée nous inquiète au plus haut point. À la veille d'une multitude de changements dans la formulation des essences et au moment même où l'industrie et le gouvernement s'efforcent de relever les défis et de mieux protéger l'environnement, nous croyons que l'adoption d'un projet de loi sans fondements scientifiques ne contribuerait pas efficacement à réduire la pollution et menacerait la rentabilité de notre raffinerie.

Le projet de loi C-29 aura des conséquences sur nos dépenses et sur notre compétitivité, et aussi sur l'environnement. Pour ce qui est des dépenses et de la compétitivité, le projet de loi C-29 fera augmenter nos frais d'exploitation sans que nous puissions jamais recouvrer cette augmentation par nos prix de vente.

Le prix de nos produits doit demeurer concurrentiel face aux produits importés d'Europe et d'Amérique du Sud dans l'Est de l'Ontario, et à ceux importés des États-Unis dans le sud de la province. Suncor doit donc faire preuve d'efficacité et de souplesse pour soutenir la concurrence des importations.

La concurrence des grandes raffineries des États-Unis et d'outre-mer nous oblige déjà à réduire au minimum nos frais d'exploitation et à augmenter notre souplesse.

C'est l'obligation de réduire nos frais, d'être concurrentiels et de protéger l'environnement qui nous a récemment poussés à ajouter de l'éthanol à nos essences et rend nécessaire de continuer d'utiliser du MMT.

Si le projet de loi C-29 ne nous l'interdit pas, nous ajouterons de l'éthanol et du MMT à tous nos mélanges d'essences pour être plus efficaces. Par contre, si on nous force à retirer le MMT, nous nous verrons forcés de modifier le fonctionnement de nos raffineries pour remplacer la perte d'octane résultante, cela limitera notre capacité concurrentielle, fera augmenter nos frais d'exploitation et nous rendra moins concurrentiels.

Pour ce qui est de la protection de l'environnement, nous croyons, chez Suncor, que, pour assurer notre prospérité à long terme, nous ne devons pas nous contenter d'être concurrentiels, mais nous devons souscrire aux principes du développement durable. Il y a déjà longtemps que nous offrons des carburants de remplacement, dont le propane, le méthanol, le gaz naturel et, depuis au moins quatre ans, les essences améliorées par l'ajout d'éthanol.

Avec les autres membres de l'ICPP, nous nous sommes associés au gouvernement fédéral pour parvenir à de nouvelles formulations d'essences de calibre mondial. La réglementation à cet égard est sur le point d'être publiée dans la Gazette du Canada.

Je crois que le projet de loi C-29 entre directement en contradiction avec les convictions, les efforts et l'esprit qui ont caractérisé notre collaboration jusqu'à maintenant. Le comité a entendu certains groupes invoquer le principe de précaution pour justifier le retrait du MMT. Suncor estime que, en toute logique, nous devons prendre des mesures lorsque le risque de dommages graves à l'environnement l'emporte sur le coût lié à la mise en oeuvre de ces mesures. C'est pour cette raison que Suncor souscrit aux mesures volontaires de lutte contre les changements climatiques mondiaux. Notre usine de traitement des sables bitumineux en Alberta et notre raffinerie de Sarnia investissent des sommes considérables dans l'amélioration de leur efficacité énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notre entreprise déploie des efforts appréciables pour se conformer à l'esprit qui régit le principe de précaution.

Quant au projet de loi C-29 et au principe de précaution, disons que nous connaissons bien le coût économique et environnemental d'une augmentation de 8 p. 100 des émissions d'oxyde nitreux qui résulterait de l'élimination du MMT, tandis que les avantages du projet de loi C-29 pour l'environnement n'ont toujours pas été quantifiés.

Un simple calcul révèle qu'il faudrait que le MMT rende totalement inopérants les systèmes de diagnostic de bord de deuxième génération et les convertisseurs catalytiques de 720 000 automobiles pour compenser la réduction des émissions d'oxyde nitreux attribuable à ce produit. Ce nombre d'automobiles est à peu de choses près, le nombre d'automobiles vendues chaque année au Canada.

Pour replacer les choses dans leur contexte, précisons que nous avons fait des tests sur les systèmes de diagnostic de bord de deuxième génération avec Ortech Corporation et Protect Air. Certains ont contesté la validité de cette étude, mais il reste que nous en avons fait une. Nous avons constaté que, sur 185 véhicules, 184 n'éprouvaient aucun problème. En faisant un petit effort d'imagination, on pourrait dire que le problème d'allumage des bougies de l'autre véhicule était attribuable au MMT. Les défaillances frappent donc moins de 1 p. 100 des véhicules. Il nous est donc difficile de voir comment le principe de précaution peut s'appliquer en l'occurrence. Nous ne croyons pas que le projet de loi C-29 constitue une application justifiée de ce principe.

En résumé, je dirai que Suncor tient à utiliser et l'éthanol et le MMT pour des raisons de rentabilité, de compétitivité et de réduction des émissions polluantes. Nous croyons fermement que l'éthanol et le MMT sont des produits complémentaires dans la réduction des émissions puisque le premier réduit les émissions de monoxyde de carbone et le deuxième réduit les émissions d'oxyde nitreux.

Les raisons qui sont à l'origine du projet de loi C-29 nous laissent perplexes, tout comme le précédent qui est établi ici suscite chez nous des craintes quant au processus que suivra à l'avenir le gouvernement pour modifier les lois sur la formulation de l'essence.

J'exhorte le comité à encourager le gouvernement fédéral à mettre fin au débat une fois pour toute en suivant un processus équitable. J'espère avoir réussi à établir la nécessité de faire des tests, comme l'ont proposé mes collègues, non seulement par souci d'équité et de rigueur scientifique, mais également par souci de protection de l'environnement.

M. Jack Donald, président-directeur général, Parkland Industries: Je suis de Parkland Industries, qui est une société ouverte inscrite à la bourse de Toronto, avec une valeur boursière maximale de 38,5 millions de dollars. Nous avons environ 700 actionnaires et nos actions se vendent environ 7 $, ce qui est inférieur à la valeur comptable, établie à 8,55 $ l'action. Cela vous donne une petite idée de la situation difficile dans laquelle nous pouvons nous retrouver de temps à autre.

Parkland a son siège à Red Deer, en Alberta, et est un des plus grands employeurs de la ville, avec 179 employés. Nous sommes peut-être la seule société de raffinage et de commercialisation purement canadienne à comparaître devant votre comité. Nous ne possédons aucune installation de production de pétrole brut. Parkland vend du carburant grâce à un réseau de 307 stations- service FasGas, Bi-Low, Payless, Thrifty, M. Petrol et Northern, réparties entre l'Est de la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, le Nord du Manitoba et le Yukon. Nous avons une marque pour à peu près tout le monde. Deux mille quatre cents cinquante employés travaillent dans ces stations-service. Cette année, nos ventes totaliseront environ 250 millions de dollars, auxquelles s'ajoutent les 106 millions de dollars en taxes qui iront dans les coffres des deux paliers de gouvernement.

Notre raffinerie de Bowden est unique. Elle utilise du condensat, un sous-produit de la production de gaz naturel. Nous n'utilisons pas du tout de pétrole brut. En traitant 6 000 barils par jour de matière première, nous sommes la plus petite raffinerie du Canada. Notre production se compose à 87 p. 100 d'essence et à 3 p. 100 de carburant diesel. De toute évidence, la question du MMT est importante pour nous en raison de la proportion élevée d'essence dans notre production. Notre essence ne contient pratiquement pas de soufre. Nous effectuons en ce moment des études d'ingénierie sur des méthodes efficaces d'élimination du benzène avant même que le gouvernement adopte une loi en ce sens. Nous nous efforçons de toujours avoir une longueur d'avance sur les exigences que nous anticipons.

Il est évident que notre raffinerie, avec 30 emplois hautement qualifiés à temps plein, est le principal employeur de Bowden. Sa production comble les deux tiers des besoins de notre réseau de stations-service et nous achetons l'autre tiers sur le marché libre.

Notre entreprise croit que, si le MMT est interdit, elle devra remplacer l'octane perdu par des achats. Les frais additionnels ne pourraient pas être récupérés auprès des consommateurs en raison de la compétitivité qui existe dans le domaine. En fait, la concurrence est si vive dans l'Ouest du Canada que les activités de raffinage et de commercialisation de notre entreprise ont été déficitaires ces deux derniers trimestres. Ce que je veux que vous compreniez, c'est que la marge de profit de notre entreprise est réduite à sa plus simple expression.

En terminant, je voudrais proposer une solution que, nous l'espérons, vous prendrez sérieusement en considération. Nous vous avons expliqué les conséquences de l'adoption du projet de loi C-29 dans sa forme actuelle pour nos entreprises régionales. Nous avons aussi démontré que le projet de loi aurait sur l'environnement l'effet contraire à l'effet recherché par ses partisans.

Nos collègues au sein de l'ICPP vous ont expliqué les conséquences de l'adoption d'une loi inéquitable envers un secteur industriel, qui empiète sur un domaine de compétence provinciale et qui va probablement à l'encontre de l'Accord sur le commerce intérieur récemment signé. Comme il a été souligné à maintes reprises, les gouvernements provinciaux et les premiers ministres de ces gouvernements, qu'ils appartiennent au parti libéral, conservateur, néo-démocrate ou péquiste, ont manifesté une vive opposition au projet de loi.

Que pouvons-nous faire à cette étape-ci des délibérations pour régler la question équitablement pour l'industrie et pour le gouvernement fédéral tout en faisant consensus parmi les provinces? Premièrement, vous pourriez reporter l'examen du projet de loi jusqu'à ce que des essais indépendants aient été réalisés. Vous respecteriez ainsi votre obligation de déposer des rapports intérimaires sur le projet de loi. Deuxièmement, vous pourriez amender le projet de loi de manière qu'il ne soit pas promulgué tant que les conclusions du programme d'essais ne seront pas connues, ce qui permettrait l'adoption du projet de loi sans plus d'opposition. Lorsque le projet de loi amendé serait renvoyé à la Chambre des communes, nous appuierions publiquement les amendements et inviterions tous les partis à l'étudier rapidement. La question d'équité du processus serait ainsi réglée.

Le gouvernement du Canada est déjà représenté par des agences compétentes. Deux provinces -- une qui est favorable au projet de loi et une qui s'y oppose -- représenteraient leurs collègues du Conseil canadien des ministres de l'Environnement, le CCME. L'ICPP et la Société des fabricants de véhicules à moteur s'assoiraient à la même table, ce qui les inciterait fortement à régler la question.

Le processus pourrait être dirigé par la Société royale du Canada, à qui votre gouvernement a récemment demandé d'effectuer un examen scientifique indépendant des raisons invoquées par la France pour interdire l'importation d'amiante canadien. Si l'étude ne porte que sur les prétentions de la Société des fabricants de véhicules à moteur, nous sommes certains que les essais ne prendront pas plus de quelques mois. Nous proposons un délai de trois ou quatre mois. Toutes les questions soulevées par le ministère de l'Environnement après le dépôt de l'étude Ortech seraient examinées lors des essais (kilométrage, taille de l'échantillon, style de conduite et entretien).

Les deux nouveaux éléments importants de notre proposition sont les suivants: l'étude sera concluante et ce sont des experts qui auront présenté les éléments de preuve. Elle ne sera pas une bataille d'experts, mais elle sera l'occasion de procurer à vos fonctionnaires des données réelles sur les véhicules dotés des systèmes les plus perfectionnés de réduction des émissions polluantes. Au bout du compte, le gouvernement prendra sa décision et nous nous y conformerons. Si le processus suivi est équitable, les membres de l'ICPP se soumettront volontairement aux conclusions.

Quelle que soit la décision du gouvernement, la nécessité d'améliorer le projet de loi devient inutile. Si le processus aboutit au retrait volontaire du MMT par l'industrie, la contestation du projet de loi C-29 pour des motifs commerciaux ou constitutionnels ne sera plus nécessaire puisqu'il s'agira d'une décision commerciale prise par des entreprises privées. Évidemment, le même résultat pourrait être obtenu si l'ICPP et Environnement Canada parvenaient à une entente sur la question. Sans une telle entente, l'amendement du projet de loi est le seul moyen de garantir aux sociétés pétrolières que le processus sera équitable et d'empêcher toute mesure de contestation devant les tribunaux.

Nous avons fait part de notre proposition au ministre Marchi. Nous n'avons pas encore reçu de réponse. Comme vous le savez, le ministre comparaîtra demain devant cotre comité et nous lui serions très reconnaissants de donner une réponse positive.

Je vous remercie de prendre notre proposition en considération. Nous sommes maintenant prêts à répondre à toute question que vous pourriez avoir à nous poser.

Le président: Quand avez-vous communiqué votre proposition au ministre Marchi?

M. Donald: Lundi.

Le sénateur Kenny: Monsieur Ingram, avez-vous des concurrents qui vendent en ce moment de l'essence sans MMT?

M. Ingram: Chevron n'utilise pas de MMT et nous sommes en concurrence dans la région de Vancouver.

Le sénateur Kenny: Et Mohawk?

M. Ingram: Mohawk utilise du MMT dans une partie de son carburant.

Le sénateur Kenny: Dans une partie seulement?

M. Ingram: Probablement dans plus de la moitié. Nous sommes en concurrence, mais Mohawk utilise du MMT en conjonction avec de l'éthanol dans un mélange.

Le sénateur Kenny: Comment votre entreprise réagira-t-elle si vous constatez qu'un plus grand nombre de vos concurrents vendent de l'essence sans MMT?

M. Ingram: Nous devons prendre des décisions qui influent sur le prix de notre produit. Le coût de notre produit est un facteur déterminant dans notre compétitivité. Aujourd'hui, si nous éliminions le MMT de notre essence, nos prix ne serait plus compétitifs, car cela nous coûterait très cher. Nous devrons passer en revue toute l'économie de notre raffinerie pour déterminer si elle pourra rester concurrentielle.

Le sénateur Kenny: Des témoins, parlant au nom de vos clients, ou des électeurs canadiens, ont déclaré devant nous que l'élimination du MMT coûterait 5 $ par année par client. Ils nous ont aussi dit que si le MMT est conservé, les consommateurs devront payer des centaines de dollars de plus en réparations. Qu'en pensez-vous?

M. Ingram: Compte tenu des renseignements dont nous disposons, nous n'acceptons pas ces chiffres.

Le sénateur Kenny: Quels chiffres avez-vous à proposer au comité?

M. Ingram: Nous n'avons pas fait les mêmes calculs. Nous croyons que les profits de nos raffineries chuteraient du tiers environ. Mais nous croyons que c'est l'équité qui compte avant tout ici. Nous savons que la protection de l'environnement nous impose toutes sortes de frais supplémentaires. Nous voulons comprendre le processus. En venant témoigner, nous voulions être certains qu'il était possible de parvenir à des décisions économiques sensées, de bien peser le pour et le contre de tout nouvel investissement. En l'occurrence, les règles ont été changées. C'est notre plus grande préoccupation.

Le sénateur Kenny: Monsieur Donald, vous avez expliqué de façon convaincante que le MMT aide les fabricants d'automobiles à respecter des normes plus strictes de réduction des émissions. Si tel est bien le cas, pourquoi, à votre avis, les grands fabricants d'automobiles s'opposent-ils à l'utilisation du MMT?

M. Donald: Nous sommes d'avis que, même si une seule automobile connaît des problèmes avant l'expiration de sa garantie, il est évident que quelqu'un devra payer, qu'il s'agisse d'un vrai problème ou d'un problème apparent. Si un phare brûle, l'automobiliste va chez le concessionnaire le faire remplacer. Cela coûte quelque chose au fabricant. En évitant tout risque d'ennui mécanique, on élimine complètement le problème. C'est pourquoi les fabricants d'automobiles voudraient éliminer le MMT: cela leur simplifie la vie.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Ferland, je vous parlerai français; on ne parle pas beaucoup français ici, alors quand on a la chance, on en profite. Le gouvernement du Québec est-il au courant de cette proposition?

M. Ferland: Effectivement, le gouvernement du Québec est au courant. Ce n'est pas un secret des dieux, ils ont envoyé des lettres qui, en gros, suggèrent qu'il faut faire un test avant d'aller plus loin, inclure des faits scientifiques. C'est un test un peu similaire à celui que l'on suggère ce soir, de façon à rendre le débat un peu moins politisé et un peu plus basé sur la science.

Notre proposition ce soir va le confirmer, mais nous croyons que le gouvernement de la province de Québec va probablement approuver et se rallier à notre proposition, qui consiste à faire des tests avec des autos réelles et concrètes et de vérifier si les fameux instruments sont effectivement problématiques ou pas.

[Traduction]

Le sénateur Nolin: Quelqu'un d'entre vous sait-il si d'autres gouvernements provinciaux ont été informés de cela et, si oui, quelle a été leur réaction?

M. Donald: Pas moi.

M. O'Brien: Je l'ignore.

M. Ingram: C'est la même chose pour moi.

Le sénateur Taylor: Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous seriez dans une moins bonne position concurrentielle si tout le monde était sur le même pied. Vous seriez dans la même situation que tous vos concurrents. Je pense surtout ici à Ultramar et à Parkland Industries. Si vos concurrents ne peuvent pas ajouter du manganèse et vous non plus, votre situation a peut-être changé, mais vous restez tous sur le même pied. Pourquoi seriez-vous dans une moins bonne position concurrentielle si le MMT était interdit?

M. Ferland: Je peux peut-être répondre pour Ultramar. Comme je l'ai dit dans mon mémoire, pour une raffinerie de l'Est, la concurrence provient de tout le bassin de l'Atlantique. Par exemple, on importe tous les jours de l'essence d'Europe à Montréal.

Vous ne le savez peut-être pas, mais le Canada est le seul pays du monde qui est entièrement ouvert à la concurrence étrangère. Par exemple, si un cargo rempli d'essence était envoyé à New York et un autre à Montréal, l'expéditeur devrait payer des droits aux États-Unis, mais pas au Canada. Les importateurs de produits finis ont tout naturellement tendance à se diriger vers Montréal où leurs frais sont moins élevés. En tant que raffineurs, nous devons acheter du brut, le charger sur des navires et l'expédier à Québec pour l'y raffiner. Nous additionnons tous nos frais et tentons de vendre le produit à un meilleur prix que nos concurrents importateurs.

Ils ne mettent pas de MMT dans l'essence, mais je peux vous dire qu'ils sont compétitifs parce qu'ils n'ont pas de droits à payer. Le MMT nous permet d'être plus concurrentiel parce qu'il réduit considérablement le coût de l'ajout d'octane au carburant pour automobiles.

Le sénateur Taylor: J'ai encore de la difficulté à comprendre. Si j'étais en concurrence avec vous et que j'importais mon essence par navire, et si vous souteniez mes prix en utilisant du MMT, tout ce que j'aurais à faire serait de mettre huit grammes de MMT par litre d'essence. Vos concurrents n'ont-ils pas découvert votre secret?

M. Ferland: En Europe, l'essence au plomb est encore permise. C'est pour cela qu'ils n'ajoutent pas de MMT à l'essence. Lorsque le plomb sera interdit en Europe, ils ajouteront du MMT, parce que c'est le meilleur produit de remplacement du plomb.

Le sénateur Taylor: Vous avez dit que vous vouliez vous tailler une part du marché aux États-Unis. Pourtant, selon les éléments de preuve fournis, environ 80 p. 100 de l'essence vendue aux États-Unis ne contient pas de MMT. L'utilisation du MMT ne risque-t-elle pas de vous nuire un jour aux États-Unis?

M. Ferland: Vous savez peut-être que, actuellement, il est permis d'utiliser du MMT aux États-Unis et que plus de raffineurs et de négociants en ajoutent à leur essence. J'ignore au juste qui le fait parce que, lorsque l'EPA autorise un raffineur ou un négociant à ajouter du MMT à l'essence, cela reste confidentiel. On ne peut pas savoir qui utilise du MMT et qui n'en utilise pas. Nous savons cependant que certains le font déjà et que leur nombre augmente parce que les petits raffineurs sont prêts à utiliser tous les outils qui leur permettent d'être plus compétitifs. Ces petits raffineurs sont en concurrence directe avec Ultramar dans le Nord-Est des États-Unis.

Le sénateur Taylor: Vous voulez donc vous imposer sur le petit marché de l'essence contenant du MMT et négliger le gros marché de l'essence sans MMT. Il se vend plus d'essence sans MMT que d'essence avec MMT aux États-Unis. Si vous n'ajoutiez pas de MMT à votre essence, vous pourriez vous attaquer à un gros marché plutôt qu'à un petit.

M. Ferland: C'est un marché important aux États-Unis. C'est là qu'est notre croissance. C'est là que nous voulons prendre de l'expansion.

C'est tout simplement que j'ai un outil de moins pour soutenir la concurrence sur ce marché. Il y a là un détail technique subtil. Si vous ne mettez pas de MMT dans votre essence et que vous devez respecter toutes sortes de normes en vigueur sur ce marché, il devient tentant d'ajouter du MMT à votre essence si cela est permis.

Le sénateur Taylor: Peut-être est-ce que cela s'applique à votre cas.

En tant qu'Albertain, je n'aime pas dire cela comme cela, mais vous exportez en Colombie-Britannique et cette province parle de modifier ses règles relatives à l'essence pour que les systèmes de diagnostic de bord des automobiles vendues dans la province ne soient pas débranchés. Il semble que la province s'apprête à interdire le manganèse dans la région continentale sud. Est-ce que cela vous inquiète? N'essayez-vous pas de vous imposer sur un marché qui rétrécit de plus en plus plutôt que de vous débarrasser du MMT et de vous attaquer à un grand marché?

M. Ingram: Le marché de la partie continentale sud connaît un problème particulier. Le gouvernement de la Colombie- Britannique nous a dit qu'il allait s'en remettre au gouvernement fédéral pour s'occuper du MMT. Il y a un problème dans cette région. La raffinerie de Prince George dessert surtout le Nord de la Colombie-Britannique et le Yukon. Nous n'avons pas, dans nos régions, le problème de pollution de l'air qu'il y a dans le Sud de la province. D'après ce que nous avons déduit de nos conversations avec des représentants du gouvernement provincial, la province s'apprêterait à prendre des mesures contre le benzène et le soufre dans les grandes régions urbaines. Il se pourrait que les normes varient entre les différentes régions de la province.

Le sénateur Taylor: Monsieur Donald, comme vous le savez, il existe maintenant une usine de MTBE, qui est un nouveau produit. Cette usine, située à Edmonton, produit environ 1 600 barils par jour et toute la production est exportée aux États-Unis, parce que le MTBE est un substitut au MMT.

Je ne sais combien de raffineries des États-Unis ont fait des pieds et des mains pour venir en Alberta acheter ce substitut au MMT et cela, sous votre nez. Pourquoi n'utilisez pas le MTBE à la place du MMT dans votre essence?

M. Donald: Probablement pour la même raison que le MMT nous est précieux. Nous sommes tout petits et nous affrontons des géants. Si nos raffineries survivent en ne produisant que 6 000 barils par jour, c'est parce que produisons beaucoup d'essence et très peu de produits de moindre valeur. Il est important pour nous de ne pas augmenter le prix de notre essence -- et je parle ici de marges d'un quart ou d'un demi cent -- et le MMT nous permet de limiter nos frais de production.

Le MTBE, dont vous parlez, fournit de l'octane et de l'oxygène. L'oxygène est exigé dans les additifs à l'essence, particulièrement dans les États du Sud-Ouest et à Houston, et c'est là que le gros de la production de l'usine d'Edmonton est exporté. D'ailleurs, le MTBE est un additif coûteux. La dernière fois que j'ai vérifié, il représentait environ 200 p. 100 du prix de vente de notre essence. Plus nous en ajoutons, plus nous faisons augmenter nos coûts.

Le sénateur Taylor: C'est beaucoup plus cher.

M. Donald: Beaucoup. Aucun raffineur canadien n'utilise le MTBE et tout ce que nous produisons est exporté. Nous ne pouvons pas nous offrir le MTBE au Canada.

Le sénateur Taylor: J'ai une question qui vise Suncor. À la page 12 de votre mémoire, vous dites:

Avec les autres membres de l'ICPP, nous nous sommes associés au gouvernement fédéral pour définir de nouvelles formulations d'essences.

Selon certains témoins, il est impossible de mettre du MMT dans un carburant reformulé.

M. O'Brien: Le carburant reformulé, tel qu'on l'entend sur le marché américain, doit inclure un composé oxygéné et ne peut pas inclure de MMT. Aucun test n'a été fait avec du MMT.

Le sénateur Taylor: Cependant, vous allez essayer de vous imposer sur ce marché.

M. O'Brien: Lorsque nous parlons d'essences reformulées au Canada, nous parlons du cocktail que nous avons négocié avec le CCME, c'est-à-dire avec un taux de benzène réduit, une tension de vapeur moindre, et le reste. Il y a une différence.

Le sénateur Taylor: Donc, dans l'essence reformulée que vous envisagez pour le Canada, vous croyez pouvoir utiliser du MMT?

M. O'Brien: Parfaitement.

Le sénateur Taylor: Pourtant, vous ne pouvez pas l'utiliser dans l'essence reformulée aux États-Unis.

M. O'Brien: Dans les régions qui ne se conforment pas totalement aux critères de la Clean Air Act -- et c'est vraiment ce que l'EPA a déclaré --, l'essence doit être reformulée. On ne peut pas utiliser de MMT. Cependant, puisque l'EPA et les fabricants d'automobiles n'ont pas réussi à imposer leur point de vue, ils ont dû permettre le MMT partout ailleurs.

Partant de là, les fabricants d'automobiles sont en train de faire une étude de 12 millions de dollars pour prouver, avec tous les détails pouvant satisfaire l'EPA, que le MMT devrait être interdit. C'est là un aveu de facto qu'ils ne possèdent pas d'éléments de preuve établissant que le MMT pose un problème. C'est ce que nous affirmons. Si le MMT cause un problème, nous l'éliminerons, cependant, il n'existe aucune preuve en ce sens.

Peut-être pourrais-je prendre une minute pour montrer quelques diapositives. Il est évident que certaines personnes accepteront notre argumentation et d'autres pas. C'est ainsi que nous nous expliquons la décision du ministre de l'Environnement et de ses fonctionnaires d'interdire le MMT. Ils prétendent que c'est une question de santé et d'environnement.

Logiquement, si le MMT encrasse les détecteurs d'oxygène au point d'en arrêter le fonctionnement et réduit le rendement du convertisseur catalytique, trois choses se produiront: premièrement, le rendement de ces convertisseurs diminuera; deuxièmement, les automobilistes recevront de faux avertissements des témoins des tableaux de bord; troisièmement, parce que les automobilistes se plaindront de défectuosités en raison de ces faux avertissements, les fabricants d'automobiles décideront peut-être de débrancher les détecteurs. Selon l'argument présenté, si cela se produit, la pollution non dépistée augmentera. C'est ici que le principe de précaution entre en jeu. Ce qui compte, à nos yeux, c'est qu'Environnement Canada n'a jamais calculé le risque évoqué dans ce scénario.

Faisons quelques calculs. Cela nous ramène à l'application du principe de précaution. Existe-t-il une menace grave pour l'environnement? Nous estimons qu'il faut trouver une réponse concluante à cette question avant d'appliquer le principe de précaution.

Comme on le voit sur la diapositive, les émissions d'oxyde nitreux provenant de la combustion de l'essence s'élèvent à 400 000 tonnes par année. Cela représente environ 25 p. 100 de toutes les émissions d'oxyde nitreux au Canada.

Selon des tests faits par l'EPA, l'élimination du MMT de l'essence fera augmenter les émissions d'oxyde nitreux de 8 p. 100. C'est l'opinion de l'EPA. À l'autre extrême, Ethyl parle d'une augmentation de 20 p. 100. Cependant, restons conservateurs et acceptons le 8 p. 100 de l'EPA. Donc, en retirant le MMT de l'essence, vous rejetez 32 000 tonnes d'oxyde nitreux de plus dans l'environnement.

Combien d'automobiles devraient éprouver des problèmes pour compenser cette pollution? Avant 1971, c'est-à-dire avant l'avènement des convertisseurs catalytiques et des autres dispositifs antipollution des automobiles, les automobiles rejetaient 4,1 grammes d'oxyde nitreux par mille. Avec les dispositifs antipollution des modèles 1996 et 1997, il y a eu une nette amélioration, jusqu'à 0,4 gramme par mille.

L'amélioration a été de 3,7 grammes par mille. Cependant, si les dispositifs antipollution se détraquent et les automobiles commencent à polluer autant qu'avant 1971, les émissions d'oxyde nitreux augmenteront de 3,7 grammes par mille par automobile.

Au Canada, une automobile parcourt en moyenne 12 000 milles par année. Que se passe-t-il alors si le système se dérègle en raison du MMT? Dans le pire des cas, une automobile rejettera 44 kilogrammes d'oxyde nitreux par année.

Par conséquent, est-ce que le principe de précaution s'applique? D'après ce que nous savons, peut-on parler de menace grave pour l'environnement? Si on enlève le MMT, combien d'automobiles devraient commencer à produire autant de pollution qu'avant 1971 avant d'équilibrer l'équation? La réponse, c'est 720 000 automobiles, ce qui correspond au nombre total d'automobiles neuves vendues au Canada chaque année. Donc, pour que l'équation s'équilibre, il faudrait que toutes les automobiles aient des problèmes.

Le sénateur Taylor: Faire la moyenne des émissions, c'est un peu jouer avec les chiffres. Le plus grave problème existe dans les régions où il y a de fortes concentrations d'automobiles.

M. O'Brien: Cela donne le même nombre de véhicules.

Le sénateur Taylor: Vous jouez avec les chiffres.

M. O'Brien: Je ne le pense pas. La proportion d'automobiles ayant des problèmes correspondrait à la distribution des automobiles entre les zones urbaines et les zones rurales parce que 90 p. 100 des automobiles sont dans les villes.

Je reconnais que les statistiques sont, jusqu'à un certain point statiques, mais je crois que 8 p. 100 est un chiffre très conservateur. Nous avons fait des tests sur 300 véhicules avec Ortech, une société d'État ontarienne. Cent quatre-vingt-six de ces véhicules étaient munis du système de diagnostic de bord de deuxième génération. Nous avons fait un test de trois mois, parce que cela nous semblait légitime, mais des gens nous ont critiqués. Les tests ont été réalisés par un organisme indépendant. Un seul véhicule a eu des ennuis susceptibles d'être assimilés aux scénarios évoqués par la Société des fabricants de véhicules à moteur, ce qui est moins de 1 p. 100.

Il faudrait que tous les véhicules aient des problèmes pour arriver au même effet polluant que l'élimination du MMT. De notre point de vue, le problème touche moins de 1 p. 100 des véhicules. C'est là qu'il y a désaccord fondamental. Cela ne constitue pas une menace grave pour l'environnement. Il n'y a donc pas lieu d'invoquer le principe de précaution. Nous croyons qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve pour justifier des tests. Ils sont en train de réaliser une étude de 12 millions de dollars aux États-Unis. Pourquoi refuser de faire des tests ici? Nous en respecterons les conclusions.

C'est notre raisonnement. Si on nous avait démontré que 80 p. 100 des automobiles avaient des problèmes, nous ne serions pas ici. Mais nous n'avons constaté de problèmes que sur 1 p. 100 des véhicules. Nous avons dû produire nous-mêmes les seules données que nous avons vues sur la question. Nous avons offert à la Société des fabricants de véhicules à moteur de refaire ce test un certain nombre de fois, mais les fabricants ne veulent pas relever le défi parce qu'ils veulent construire une automobile universelle fonctionnant avec une essence universelle. Si j'étais fabricant d'automobiles, c'est exactement ce que je voudrais faire.

Mais pourquoi devrions-nous renoncer à un avantage concurrentiel au Canada, faire quelque chose qui n'est pas financièrement avantageux et accroître la pollution? Pourquoi le Canada devrait-il prendre une telle décision sans d'abord prendre le moyen de s'assurer que c'est la bonne?

Le sénateur Spivak: J'ai certaines réserves au sujet de vos statistiques. Il me semble que le coeur de la question c'est que le gouvernement du Canada a fixé des normes d'émissions et que, en 1998, les automobiles devront se conformer à ces normes. Les émissions polluantes ne contiennent pas uniquement de l'oxyde nitreux, mais aussi du bioxyde de carbone, du monoxyde de carbone et des hydrocarbures. Selon le témoignage des fabricants d'automobiles, les nouvelles automobiles fonctionnant à l'essence sans MMT réduiront toutes ces émissions. Vous ne pouvez pas parler uniquement d'oxyde nitreux, car il y a d'autres substances polluantes.

Les fabricants d'automobiles ont fait toutes sortes de tests et sont arrivés à différents résultats. Fondamentalement, le principe de précaution n'exige pas que le gouvernement prouve qu'il existe une menace grave -- ce qui est plutôt malheureux et injuste pour les entreprises, mais c'est ainsi --, mais que les entreprises prouvent que leurs activités d'auront pas d'effets néfastes sur l'environnement. Par exemple, on ignore tout des effets d'une exposition constante à de faibles taux de manganèse, et c'est pourquoi le projet de loi n'a pas été présenté comme une mesure de protection de l'environnement.

Nous avons de nouvelles normes applicables aux émissions. Il vous faudrait donc prouver que l'utilisation du MMT permettrait d'atteindre ces normes. Selon les fabricants d'automobiles, c'est impossible pour plusieurs raisons et pas uniquement à cause du mauvais fonctionnement des témoins lumineux et de l'impossibilité de dépister les défaillances, mais parce que le MMT ne permet pas d'atteindre les normes.

M. O'Brien: Sénateur, c'est pour cela qu'ils font une étude de 12 millions de dollars aux États-Unis: ils veulent prouver que le MMT aura les effets qu'ils souhaitent sur les dispositifs antipollution. Tout est là.

Le sénateur Spivak: Ils affirment que l'essence au MMT ne permettra pas de réduire les émissions de gaz à effet de serre que j'ai mentionnées aux niveaux fixés. Nous ne parlons pas uniquement de l'oxyde nitreux. Nous parlons de dioxyde et de monoxyde de carbone. Affirmez-vous que, même avec le MMT et les nouveaux modèles 1998, vous pourrez réduire les émissions de tous ces gaz? Ce n'est certainement pas ce que vous affirmez.

M. O'Brien: Ce que nous disons, c'est que les fabricants d'automobiles n'ont produit aucun élément de preuve établissant que le MMT nuira à l'atteinte des normes. Ils ne l'ont pas prouvé. Lorsque nous demandons à nos actionnaires, à nos clients et à nos employés de payer des frais supplémentaires, il faut leur offrir un avantage en retour. Nous devrons être en mesure d'étayer notre position.

Nous croyons qu'en éliminant le MMT de l'essence, il nous sera beaucoup plus difficile de produire la même quantité d'essence dans nos raffineries. Nous utiliserons davantage de pétrole brut et nous augmenterons les émissions de bioxyde de carbone, ce qui est en contradiction directe avec les mesures préconisées pour éviter les changements climatiques. Beaucoup de choses dans ce dossier sont contradictoires. Nous demandons d'avoir la possibilité de faire les tests nécessaires.

M. Donald: On prétend que, si, au Canada, les nouvelles automobiles utilisent de l'essence contenant du MMT, cela endommagera les systèmes antipollution, les convertisseurs catalytiques et les détecteurs. C'est la faille de l'argumentation.

Le sénateur Spivak: Ces systèmes ne réduiront pas les émissions.

M. Donald: Si ces systèmes se détraquent, ils ne réduiront pas les émissions. Cependant, il faut d'abord que ces systèmes se détraquent. Notre position, c'est qu'il faut s'appuyer sur des éléments de preuve concluants. Nous sommes prêts à faire notre bout de chemin. Nous ne disons même pas ce que les tests doivent démontrer, nous ne fixons pas le taux de défaillance à 1 p. 100, 2 p. 100 ou quoi que ce soit. Nous laissons cela entre les mains d'autres personnes responsables. Lorsque des tests justes auront été faits par des gens compétents -- sans être dirigés par nous ou par les fabricants de véhicules à moteur -- nous en accepterons les conclusions.

Le sénateur Spivak: Je comprends votre position là-dessus.

M. Donald: Nous faisons partie de l'équipe, mais nous voulons avoir des certitudes.

Le sénateur Spivak: L'Association des producteurs de pétrole nous a dit que les raffineries pouvaient s'adapter en un rien de temps et produire de l'essence sans MMT. Ses porte-parole nous ont dit qu'un certain nombre de pétrolières produisent déjà de l'essence sans MMT parce que le réservoir de toutes les automobiles qui sortent des usines doit être rempli d'essence sans MMT. Cependant, vous ne pouvez pas vous adapter.

Le président: Après avoir fait cette déclaration, l'association nous a envoyé une lettre disant que les raffineries ne pourraient pas s'adapter instantanément, qu'il leur faudrait du temps. L'association alléguait un lapsus.

Le sénateur Spivak: Quoi qu'il en soit, certaines entreprises, j'ignore combien, produisent déjà de l'essence sans MMT.

Vous dites que vous êtes de plus petites entreprises, et je le comprends. Ma prochaine question a trait aux questions posées par le sénateur Taylor au sujet du marché. Vous dites que, si nous adoptons la position de compromis, il n'y aura plus de menaces de contestations du projet de loi C-29 fondées sur les lois commerciales et la Constitution. Cependant, il s'agit d'Ethyl. Ethyl Corporation a admis qu'elle voulait établir une tête de pont au Canada pour pouvoir accroître ses ventes de MMT.

M. Donald: Si plus personne n'achète le produit, il disparaît parce qu'il n'y a plus de marché.

Le sénateur Spivak: Ils n'invoqueront pas la Constitution?

Le président: Ethyl a dit cela aussi. Elle respecterait la décision d'une instance indépendante, peu importe qui elle est. Si j'ai bien compris, tout le monde est sur la même longueur d'ondes pour ce qui est d'accepter la proposition.

M. Donald: Nous pensons que c'est un compromis équitable.

Le sénateur Taylor: Les fabricants d'automobiles ont déclaré, et il y a un peu de vérité dans cela, que c'est à eux que l'on a imposé presque toute la responsabilité de la réduction des émissions polluantes depuis une dizaine d'années. Ils ont fait les améliorations que vous avez mentionnées. Ils ont déclaré que les grandes pétrolières n'avaient rien fait si ce n'est reformuler l'essence aux États-Unis. Ils ont tenté de discuter avec vous pour parvenir à une solution, mais les grandes pétrolières ont toujours fait ce qu'elles ont voulu et votre essence n'est pas différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a dix ans. Vous ferez toujours toute l'obstruction dont vous êtes capables.

Le président: Vous donnez un signal d'alarme.

Le sénateur Taylor: Leur essence a-t-elle été améliorée en quoi que ce soit ces dix dernières années? Pas du tout, à ce que je sache.

M. Ferland: Nous en avons éliminé le plomb.

Le sénateur Taylor: C'est parce qu'une loi vous a obligés à le faire. Vous ne l'auriez jamais fait volontairement.

M. Donald: Nous étions en faveur de la mesure.

M. Ferland: Nous avons aussi réduit la tension de vapeur de l'essence, qui a tout naturellement tendance à s'évaporer. En outre, nous avons, d'une certaine manière, reformulé l'essence en appliquant des spécifications toujours plus strictes à différentes composantes.

Comme M. O'Brien l'a souligné, nous avons formé un partenariat avec le gouvernement et, avec la collaboration de toutes les parties touchées, nous sommes en train d'élaborer une nouvelle formule pour l'essence canadienne. Nous sommes heureux de travailler de concert avec les différents organismes du gouvernement, y compris Environnement Canada. Nous sommes heureux de rechercher des solutions profitables pour le Canada.

Nous avons parlé du MTBE. Aux États-Unis, les composés oxygénés sont obligatoires. Nous n'avons pas besoin de ces composés pour lutter contre les problèmes que nous avons au Canada. Nous avons besoin de solutions différentes. Nous avons travaillé en collaboration avec le gouvernement pour proposer une reformulation de l'essence.

Nous limiterions les taux de benzène. Nous portons notre attention sur différentes spécifications. Il est faux de dire que nous ne faisons rien. Au contraire, nous faisons beaucoup.

Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que tout le processus semble nous échapper tout à coup. En d'autres mots, nous avions l'habitude de travailler en collaboration avec le gouvernement, mais voilà que, pour des raisons mystérieuses, les décisions ne sont plus fondées sur des données factuelles ou scientifiques. Nous nous demandons où cela va aboutir. Est-ce ainsi que les choses fonctionneront dorénavant?

Le sénateur Taylor: Si tous les gens intraitables qui dirigent les grandes entreprises du secteur de l'automobile et du pétrole, comme vous, décidiez de vous asseoir à la même table pour régler vos problèmes, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Ce sont les patrons des entreprises qui ne parviennent pas à s'entendre sur les solutions.

M. O'Brien: Pour replacer les choses dans leur contexte, je vous rappelle que la question de la reformulation de l'essence est apparue aux États-Unis et, comme bien d'autres choses, elle a surgi plus tard au Canada. Le problème était beaucoup plus grave aux États-Unis qu'il l'est ici. Nous sommes maintenant au point où les raffineurs américains étaient il y a cinq ans. En fait, nous avons présenté une proposition au gouvernement et nous avons dit que nous améliorerions la qualité de notre essence. La norme sur laquelle nous nous sommes entendus avec le gouvernement est véritablement la meilleure norme nationale au monde. Le CCME appuierait probablement cette affirmation.

Le sénateur Spivak: Parlez-vous de la norme californienne?

M. O'Brien: Non. La Californie est un cas à part à l'échelle de la planète.

Le sénateur Spivak: À Toronto et à Vancouver, la situation se rapproche de celle qui prévaut en Californie.

M. O'Brien: Sénateur, même les fabricants d'automobiles aimeraient voir disparaître la norme californienne.

Le sénateur Spivak: Je sais, mais les Californiens doivent respirer. Ils ont un problème.

M. O'Brien: Comme norme nationale, la nôtre sera la meilleure. Comparativement, nos problèmes sont moins graves. Nous avançons aux premières lignes. L'industrie pétrolière américaine a investi entre huit et neuf milliards de dollars dans la reformulation de son essence.

Je suis prêt à reconnaître les grands efforts que les fabricants d'automobiles ont déployés. Ils ont beaucoup de mesures à leur actif. Mais il y aura toujours un débat sur la question de savoir qui fixe les normes, qui en retire les avantages et quels sont ces avantages. Nous en sommes là aujourd'hui. Nous disons que vous devriez faire ce que vous avez à faire afin que les décisions du gouvernement soient fondées sur des faits, pas sur des insinuations ou sur de la spéculation.

Le sénateur Kenny: Puisqu'il est question de la contribution de vos entreprises, avez-vous mis en oeuvre les phases I et II de la récupération de vapeur?

M. O'Brien: Nous avons terminé la phase I, mais nous n'avons pas encore commencé la phase II.

M. Donald: C'est la même chose pour nous.

M. Ferland: Pas pour nous.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Ferland pouvez-vous nous expliquer un peu le type de relation que vous avez avec le Conseil canadien des ministres de l'Environnement et, entre autres, leur groupe du travail pour la reformulation de l'essence afin d'informer le comité du niveau de dialogue. Plusieurs témoins ont référé à un «due process» qui devrait être respecté. Faites-vous partie de ce processus?

M. Ferland: Je peux peut-être prendre un exemple. Il y a deux endroits au Canada qui ont besoin d'être traités plus particulièrement en raison de la pollution en provenance des automobiles. Dans l'Ouest canadien, il y a le Lower Fraser Valley et dans l'Est, le corridor Windsor-Montréal.

Le travail avec le CCME et les fonctionnaires attitrés à ces dossiers a consisté, dans un premier temps, à analyser les données canadiennes et à les comparer, entre autres, aux données américaines et découvrir que les villes canadiennes sont de loin moins polluées et moins en danger que les villes américaines. En travaillant avec les gens de ces agences, nous avons trouvé le moyen de reformuler nos essences, de nouvelles recettes qui nous permettraient de s'attaquer au problème canadien plutôt que d'appliquer carrément les formules américaines pour des problèmes qui n'existent pas chez nous. Ce dialogue est basé sur des données scientifiques fournies par Environnement Canada et sur un travail de plusieurs mois. Il y a des progrès de faits.

Par exemple, il y a le carburant diesel à basse teneur en soufre. L'industrie a pris l'initiative d'écrire un «memorandum of understanding» à l'effet que volontairement, elle diminuerait considérablement le soufre dans le carburant diesel, initiative prise suite à un dialogue et à une demande d'Environnement Canada.

Le sénateur Nolin: Est-ce raisonnable de conclure que vos chercheurs et les techniciens qui relèvent des différents ministères de l'Environnement provinciaux et fédéral ont une relation de travail continuelle?

M. Ferland: Effectivement, dans le groupe de l'Institut des produits pétroliers, chacune des entreprises délèguent ses meilleurs techniciens, ses personnes qui connaissent très bien la matière technique, pour travailler avec les agences gouvernementales, plusieurs départements gouvernementaux pour trouver des bonnes solutions qui rencontrent les objectifs du plan gouvernemental de réduire la pollution. Il y a aussi les objectifs économiques de ne pas se couper l'herbe sous le pied. On finit toujours par réconcilier ces différents intérêts. On l'a fait depuis de nombreuse années. On ne peut pas faire autrement que continuer dans le même sens.

Comment se fait-il que le MMT soit tombé si loin de ce processus qui normalement aurait dû faire en sorte que l'on ne serait pas ici ce soir. On a dit: faisons un test. Qu'est-ce que ce comité aurait à perdre à dire oui à ce test. Je ne peux pas imaginer une bonne raison à l'effet que ce comité ne dise oui parce que vous allez connaître la vérité comme tout le monde, dans l'espace de trois mois.

Le sénateur Nolin: On la cherche d'ailleurs.

M. Ferland: Vous allez la découvrir par l'expérience. Vous pouvez adopter ce projet de loi conditionnellement au résultat du test. Il n'y aura pas de problème au niveau des provinces d'après moi. Tantôt, j'ai répondu un petit peu pour la province de Québec. Dans les allégations des autres provinces, ils demandent des tests, des faits, des informations. Elles sont prêtes à vivre avec ces conclusions. Personne au Canada ne veut promouvoir une essence problématique pour les Canadiens, au niveau de l'environnement, personne ne veut promouvoir cela.

Voici un consensus, une solution un peu sur le modèle traditionnel avec lequel on a travaillé avec toutes les agences gouvernementales. Pourquoi laisser de côté quelque chose qui a bien fonctionné depuis plusieurs années?

Il n'y a aucun risque pour vous. Si vous aviez à prendre un risque, je pourrais comprendre que vous favorisiez une solution plutôt qu'une autre, mais il n'y a aucun risque.

[Traduction]

Le président: Puis-je vous poser des questions sur les tests dont il est question dans votre conclusion? À quel point le délai dont il est question dans votre proposition est-il réaliste?

Vous dites, monsieur Donald, que les tests peuvent être faits en deux à trois mois. Pourtant, vous prévoyez tester 1 000 véhicules et votre protocole exigerait apparemment beaucoup plus de temps que cela.

Les fabricants d'automobiles nous disent que leurs dispositifs sont prêts et qu'ils aimeraient que la question soit réglée immédiatement. J'ai certaines réserves devant cet argument puisque cela ne se fera pas tout de suite la première année. Les dispositifs ne se dérégleront pas avant que les automobiles aient parcouru 100 000 kilomètres. Je ne suis pas convaincu de comprendre leurs craintes, mais je serais porté à croire que ces tests peuvent nécessiter beaucoup plus de temps que ce que vous prévoyez.

Croyez-vous qu'un délai de trois à quatre mois soit réaliste?

M. Donald: Nous en avons discuté. Nous croyons que c'est raisonnable. Il faudra peut-être un mois pour les préparatifs, mais on nous dit que l'on peut compter sur la Société royale du Canada pour faire du bon travail. Celle-ci serait responsable du programme et en fixerait le protocole pour que les tests soient vraiment impartiaux. Au bout du compte, nous pourrions tous accepter les conclusions.

Le président: Si vous prenez une auto dotée des dispositifs de diagnostic les plus modernes, vous devez la faire rouler pendant 100 000 kilomètres avant d'être fixés. Comment pouvez-vous faire cela si rapidement? Ai-je bien compris la nature des tests?

M. O'Brien: Les tests peuvent se faire 24 heures par jour.

Le sénateur Kenny: Vous devez tester au démarrage et à l'arrêt et aussi dans différentes conditions météorologiques. De nombreux facteurs doivent être pris en considération.

M. Ferland: Ils prévoient utiliser des automobiles de location qui fonctionnent presque 24 heures par jour. C'est un autre élément du programme d'essais.

Le président: Vous croyez que le délai est raisonnable?

M. Donald: Oui.

M. O'Brien: Oui.

M. Donald: Il faudrait peut-être quatre mois et trois semaines, sénateur, nous ne savons pas au juste. Nous nous efforçons de prévoir du mieux que nous pouvons et nous croyons que c'est un délai suffisant et raisonnable.

Le sénateur Anderson: Monsieur Ingram, dans votre exposé, vous demandez comment nous pouvions exiger que vous investissiez davantage en adoptant des lois qui n'ont aucun fondement factuel.

Les 21 fabricants d'automobiles nous ont dit que le MMT nuisait au bon fonctionnement des dispositifs de diagnostic de bord et de différentes composantes des dispositifs antipollution. Comment expliquez-vous cet écart dans les positions des deux camps?

M. Ingram: À cela nous répondons que nous n'avons pas encore vu d'éléments de preuve concluants. Notre solution a toujours été -- et nous le préconisons depuis environ 1994 -- de faire des tests et, s'ils vous donnent raison, nous nous plierons à votre volonté, mais s'ils nous donnent raison, nous vous demandons d'accepter notre position. Notre proposition n'a jamais reçu d'attention. Rien n'a été fait dans le sens souhaité. Ethyl nous a montré des chiffres et, depuis 1994, nous réclamons des tests. Si cela avait été fait en 1994, nous ne parlerions pas aujourd'hui d'un délai de trois ou quatre mois. La question n'aurait jamais été portée devant le comité puisque les parties se seraient entendues sur une solution.

Le président: Lorsque les représentants de la Ville de Montréal ont comparu plus tôt aujourd'hui, ils ont dit craindre que leur raffinerie ferme même si les grands raffineurs, lorsqu'ils ont témoigné, ont dit que cela n'était pas envisagé pour l'instant. Si le projet de loi est adopté, croyez-vous que vos raffineries vont devoir fermer?

M. Ferland: Non. Les raffineries ne fermeront pas en raison de l'interdiction du MMT. Pour nous, la question en est une de plusieurs millions de dollars par année, ce qui représente un pourcentage appréciable de nos profits. Je ne suis pas prêt à donner de chiffres précis devant mes concurrents, mais il s'agit de sommes importantes pour nous. Toutefois, nous ne fermerons pas notre raffinerie en raison de l'interdiction du MMT.

M. Ingram: Notre situation est un peu différente. Nous prévoyons faire d'importantes dépenses en immobilisations au cours des dix prochaines années. Nous voulons être certains que nos installations sont concurrentielles. Le coût supplémentaire que représente l'ajout d'octane est beaucoup plus élevé pour nous par unité de production que pour Esso, Shell ou Petro-Canada. Si nous devons fermer, cela y sera certainement pour quelque chose. Pour le moment, nous ne prévoyons pas fermer s'il nous faut renoncer au MMT. Toutefois, nous craignons beaucoup que l'élimination du MMT fasse augmenter les émissions d'oxyde nitreux, car cela entraînerait l'adoption d'une loi sur la réduction de ces émissions, ce qui rendrait notre raffinerie non concurrentielle sur un marché canadien sensible. Cela nous préoccupe beaucoup. Nous devons évaluer chaque nouvelle exigence à la lumière des gains possibles pour l'environnement.

Pour ce qui est du MMT, s'il s'agissait d'un produit à bannir, nous l'éliminerions de notre essence et évaluerions ensuite notre compétitivité. Cependant, dans l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas prendre de décision si le processus est modifié en cours de route, et c'est ce qui se produit. Si le remplacement du MMT coûtait cher, son élimination pourrait entraîner la fermeture de la raffinerie.

M. Donald: Monsieur le président, nous vous avons dit que, pour remplacer l'octane perdu par l'élimination du MMT, nous devrions acheter de l'octane de remplacement de tiers, ce qui coûte cher. Vous avez mentionné une source d'approvisionnement, soit l'usine d'Edmonton. Nous vous avons dit que cela coûte environ deux fois plus cher que l'essence elle-même. L'élimination du MMT pourrait donc bien être notre coup de grâce.

Nous sommes présentement en train d'effectuer des études de génie afin de déterminer le coût et le moyen de réduire le taux de benzène dans notre essence. Nous savons qu'un règlement sur la question s'en vient. Au terme de ces études, nous saurons avec assez de précision quelle est l'espérance de vie à long terme de notre raffinerie. Nous n'avons pas terminé ces études, mais elles représentent une charge de plus. Nous ne savons pas si, au bout du compte, notre raffinerie pourra survivre, car elle est la plus petite du Canada, mais nous nous battons pour rester en vie. Nous acceptons avec enthousiasme tout ce qui peut nous aider.

M. O'Brien: Dans notre cas, la situation est la même que pour l'entreprise de M. Ferland: il s'agit de quelques millions de dollars par année. Ce n'est pas une question de vie ou de mort. Nous prévoyons, comme je l'ai déjà dit, la prochaine vague de reformulations visant à réduire la pollution. Les exigences clés porteront sur la réduction du taux de soufre et des matières en suspension, ce qui pourrait coûter très cher et forcer des raffineries à reconstituer leur capital à hauteur de leur valeur comptable pour rester en affaires. Ces exigences pourraient nous placer dans une situation extrêmement délicate. D'ailleurs, avec le gouvernement et la Société des fabricants de véhicules à moteur, nous faisons partie d'un organisme indépendant s'occupant de santé et de rendement qui réalisera une étude visant à déterminer quel est le niveau de soufre acceptable dans l'essence.

Dans le dossier du MMT, ce qui est important à nos yeux, c'est le processus. Il nous faut comprendre le processus suivi pour arriver à des conclusions, car, avant d'investir pour régler la question du MMT, nous aimerions savoir quel processus sera suivi à l'avenir pour prendre les décisions. Si nous ne comprenons pas le processus, peut-être ne faisons-nous que gaspiller notre argent, peut-être devrions-nous cesser nos activités sur-le-champ si le processus nous condamne irrémédiablement.

Le sénateur Bosa: Depuis combien de temps dure la controverse?

M. Donald: Depuis trois ans.

Le sénateur Bosa: Et, pendant tout ce temps, aucune des parties n'a réussi à établir si les problèmes provenaient du MMT ou des dispositifs installés sur les autos?

M. Donald: D'après ce que je sais, les fabricants d'automobiles n'ont pas partagé leur information avec nous.

M. O'Brien: En 1994, nous avons discuté avec la Société des fabricants de véhicules à moteur et nous avons convenu d'un protocole d'essais qui permettrait de trancher. Nous avons discuté surtout avec Ford, qui représentait tout le secteur. Lorsque Ford a soumis la proposition à la société, celle-ci l'a rejetée en disant qu'elle ne participerait pas à ce genre d'essais. Environ un an plus tard, nous avons présenté nos données en demandant à un organisme indépendant de les analyser, mais il n'a pas pu parvenir à une conclusion. Il a été déclaré que, d'une part, il semblait que le MMT ne posait aucun problème, mais que, d'autre part, il semblait causer des problèmes. Pendant tout le processus, nous avons réclamé des tests. La Société des fabricants de véhicules à moteur a toujours dit qu'elle ne voulait pas y participer. Elle ne veut pas qu'il y ait d'essais. C'est pourquoi nous avons demandé à Ortech de faire des tests, qui ont produit les données sur lesquelles nous nous appuyons. Ces tests nous ont convaincus plus que jamais que, ou bien nous ne connaissons rien, ou bien nous avons besoin de tests pour justifier nos investissements.

Dès le départ, nous avons dû multiplier les démarches, mais cela ne nous a menés nulle part. Nous avons demandé au gouvernement de nous forcer à négocier, comme cela s'est fait aux États-Unis, où il y a un programme conjoint des fabricants d'automobiles et des sociétés pétrolières. En Europe, il existe un processus rigoureux de négociation sur les solutions aux problèmes environnementaux. Au Canada, le ministre de l'Environnement a dit: «Essayez de négocier et, si vous ne le pouvez pas, je vais interdire le MMT dans l'essence». Nous étions donc désavantagés dès le départ dans les négociations. On ne nous a jamais donné de tribune pour vider la question. C'est cette tribune que nous réclamons aujourd'hui. Nous demandons au gouvernement de nous obliger à collaborer afin de recueillir des données solides. Nous pouvons agir rapidement. Que le gouvernement affirme que sa politique sera fondée sur des faits et nous en serons heureux. Le processus aura été équitable.

Le sénateur Nolin: Ma question fait suite à celle du président qui se rapportait au témoignage des représentants de Montréal. Ils ont parlé des raffineries de Petro-Canada et de Shell. Les témoins peuvent-ils nous dire ce qui arrivera à ces raffineries?

Le sénateur Kenny: Monsieur le président, Petro-Canada et Shell ont témoigné et ont dit que leurs raffineries ne fermeraient pas. Les témoins que nous avons devant nous ne peuvent pas parler au nom de Petro-Canada et de Shell, mais nous avons entendu les représentants de ces deux sociétés pétrolières et ils ont été catégoriques sur ce point.

Le sénateur Nolin: Pardon, mais vous devez comprendre le problème de Montréal, qui a vu quatre raffineries fermer leurs portes ces 15 dernières années.

Le sénateur Kenny: Je ne le nie pas.

Le sénateur Nolin: Nous sommes donc assez chatouilleux lorsqu'il est question du raffinage à Montréal.

Le sénateur Bosa: Ma question ne porte pas sur le MMT, mais sur la concurrence.

Lorsque je fais le plein à une station-service où l'essence coûte 54 cents le litre, mais que, deux heures plus tard, il a augmenté à 57 cents et qu'il est à 57 cents dans une autre station-service aussi, je me demande comment les pétrolières peuvent communiquer entre elles si rapidement.

M. O'Brien: La communication se fait parce que nos consommateurs sont sensibles aux prix pratiqués. Si votre prix dépasse de deux dixièmes de cents les prix de vos concurrents, vous perdrez environ 20 p. 100 de votre volume de vente en 48 heures.

Le sénateur Bosa: Je parle de Toronto.

M. O'Brien: Nous avons des employés qui font des relevés des prix quatre fois par jour.

Le président: Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée.


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