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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 15 - Témoignages pour le 12 mars 1997


OTTAWA, le mercredi 12 mars 1997

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 12 h 20, pour examiner le projet de loi C-23, Loi constituant la Commission canadienne de sûreté nucléaire et modifiant d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, nous recevons aujourd'hui des représentants du Regroupement pour la surveillance du nucléaire, à savoir M. Edwards et Mme Ostling.

Vous allez donc avoir la parole, et ensuite nos collègues vous poseront des questions.

Mme Kristen Ostling, coordinatrice, Campagne contre l'expansion nucléaire: Nous sommes heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-23.

Je vais vous donner quelques indications sur la Campagne contre l'expansion nucléaire. Le Regroupement pour la surveillance du nucléaire est membre du comité directeur de la Campagne contre l'expansion nucléaire. Celle-ci est un organisme sans but lucratif de défenseurs des énergies propres et de l'environnement de tout le Canada. La CEN a été fondée en 1989.

La Campagne contre l'expansion nucléaire milite pour l'abandon de l'exploitation de l'énergie nucléaire en faveur d'énergies plus sûres et plus propres. Notre programme est appuyé par 300 organisations de tout le Canada. Notre travail consiste surtout en campagnes d'information de la population.

Les critiques que nous avons formulées, lors de notre comparution devant le comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes, restent les mêmes. Nous déplorons en effet que le projet de loi s'intéresse surtout au développement et à la production de l'énergie nucléaire plutôt que d'envisager des solutions réalistes qui permettraient l'abandon progressif de cette forme d'énergie.

M. Gordon Edwards, président du Regroupement pour la surveillance du nucléaire: J'ai un doctorat en mathématiques, et l'Université de Toronto m'a décerné la médaille d'or en mathématiques et physique. Lorsque j'ai terminé mes études, je me suis aperçu que je connaissais très peu de choses sur l'énergie nucléaire. Jusqu'alors j'imaginais que cette forme d'énergie était propre, sûre, bon marché et disponible en abondance. Je me suis aperçu, au fil des ans, qu'aucune de ces suppositions n'était juste.

En 1975, j'ai participé à la création du Regroupement canadien pour la surveillance du nucléaire. Depuis lors, j'ai pu constater avec inquiétude que les autorités fédérales excluaient toute solution de rechange, et que l'on ne tenait aucun débat réaliste sur les avantages et les inconvénients de l'énergie nucléaire. De ce fait, on a pris, et on continue à prendre, toute une série de décisions coûteuses et dangereuses, sans avoir tenu de véritable débat au niveau fédéral sur l'opportunité de se lancer dans un programme nucléaire, ni même sur le fait que le Canada puisse, ou non, désirer investir dans cette filière.

Lors du débat du projet de loi à la Chambre des communes, celle-ci a eu beaucoup de mal à assurer le quorum. Cela montre à quel point la question nucléaire, qui n'a pas fait l'objet d'un véritable débat, a été maintenue à l'écart du processus politique normal.

Que je sache, le Canada est le seul grand pays doté d'un programme nucléaire important qui ne dispose pas d'instances de discussion spécialisées. Ainsi, en Ontario, la Commission royale chargée de discuter de la planification de la production d'électricité a repris certaines des critiques visant l'énergie nucléaire, en recommandant notamment qu'un moratoire puisse être envisagé tant que la question des déchets radioactifs n'était pas réglée de façon satisfaisante.

Une commission royale d'enquête britannique, sous la présidence d'un physicien de l'atome, s'est également penchée sur cette question de l'énergie nucléaire. Une des conclusions importantes de cette commission était de ne pas s'en remettre à l'énergie nucléaire, sauf impossibilité de trouver des solutions de remplacement raisonnables.

À l'époque du président Carter, les États-Unis ont fait faire plusieurs études de la question nucléaire par les instances fédérales. Il en ressortait essentiellement que la contribution des États-Unis à la paix et au désarmement dans le monde devait essentiellement consister à ne pas promouvoir la production d'énergie nucléaire en raison des risques de prolifération. C'est dans cet esprit que nous avons étudié le projet de loi. L'une des faiblesses graves du projet de loi est que la Commission de contrôle de l'énergie atomique continue à relever du même ministre. À savoir le ministre des Ressources naturelles. Celui-ci n'est tout simplement pas équipé comme il convient lorsque l'environnement, la santé et la sécurité sont menacés par les centrales atomiques.

Si l'on devait changer seulement une chose à ce projet de loi, ce qui sur le plan politique et sur le plan des prises de décisions serait une amélioration, il conviendrait de le renvoyer à la Chambre des communes en faisant remarquer qu'il est temps de séparer l'aspect promotionnel et l'aspect réglementaire en matière d'énergie nucléaire. Non seulement nous serions représentés par deux voix au Cabinet, au lieu d'une, mais tout un ensemble de nouvelles compétences pourraient être mises à contribution.

Je ne sais pas si le comité sait que, au moment où je vous parle, le Canada n'a toujours pas adopté de normes environnementales en matière de radioactivité. Les normes qui ont été fixées dans ce domaine concernent la personne humaine, à l'exclusion des plantes et animaux. Un des aspects du projet de loi est qu'il porte précisément sur la part plus importante qu'il convient de donner à l'environnement.

Comprenez bien également que les nouvelles mesures viennent remplacer une loi qui a 50 ans, adoptée en 1946, bien avant que les centrales nucléaires existent. C'était tout de suite après la Seconde Guerre mondiale. Et elle avait été adoptée parce que le Canada avait participé au projet de construction de bombes atomiques de la Seconde Guerre mondiale. À l'époque, il ne s'agissait pas tant de protéger l'environnement, la santé ou la sécurité, bien que ce soit évoqué, mais plutôt les matériaux nucléaires stratégiques qui pourraient être utilisés à des fins militaires.

Les nouvelles mesures sont radicalement différentes de l'ancienne loi. Bien sûr la Commission de contrôle de l'énergie atomique a beaucoup évolué depuis 1946, et c'est ce qui explique en partie ce projet de loi. Mais à moins que vous ne vous dotiez des moyens permettant d'étudier la question nucléaire, vous ne serez jamais conseillés comme il convient. C'est-à-dire que vous devez donner aux scientifiques la possibilité de participer au débat nucléaire, sous tous ces aspects, plutôt que de vous en remettre à l'industrie nucléaire. En effet, lorsqu'aujourd'hui quelqu'un du secteur de l'industrie nucléaire remet sa démission -- et il y en a eu, j'en connais --, il n'a nulle part où aller, en ce qui concerne le Canada. C'est-à-dire qu'il n'y a aucun autre employeur disposé à le recruter comme scientifique du domaine nucléaire, sauf évidemment la Commission de contrôle de l'énergie atomique qui par ailleurs relève du même ministre qu'Énergie atomique du Canada limitée. Le système est donc régi par une situation de conflit d'intérêts.

On peut dire par ailleurs que le ministère des Ressources naturelles manque de spécialistes. L'ancien ministre de l'énergie m'avait d'ailleurs dit qu'il n'avait pas beaucoup de temps à consacrer au nucléaire, car il était très pris par le secteur pétrolier et gazier. C'est probablement vrai. Le ministre des Ressources naturelles a beaucoup à faire en matière d'extraction minière et de développement des différentes sources d'énergie. C'est effectivement là-dessus qu'il doit surtout se concentrer.

Le ministre de l'Environnement, quant à lui, est responsable de l'environnement, et c'est encore quelque chose de complètement différent. Pour ce qui est de la qualité de l'air et de l'eau, le ministère de l'Environnement dispose d'une capacité de recherche considérable. Dans beaucoup de cas, il faut donc s'intéresser également aux questions de contamination radioactive de la biosphère par les centrales nucléaires.

Cinquante ans après l'avènement de l'ère nucléaire, n'est-il pas temps d'ouvrir un peu les fenêtres et de pouvoir discuter de façon équilibrée de toutes ces questions? On pourrait alors en débattre en confrontant toutes les connaissances scientifiques dont on dispose, et non pas simplement les avis des physiciens et des ingénieurs. Il est important de faire remarquer, par exemple, que la Commission de contrôle de l'énergie atomique dispose de peu de biologistes et de spécialistes des questions médicales. Ainsi elle ne dispose d'aucune division chargée de l'épidémiologie.

Lorsque le vérificateur général du Canada a examiné le cas de la Commission de contrôle de l'énergie atomique, il m'a demandé de participer à cette vérification en qualité de consultant. Nous avons notamment discuté à l'époque de ce que la commission ne disposait d'aucun organe spécialiste des questions environnementales. Il faudrait y remédier. Ce serait un progrès notable, même si rien d'autre n'est modifié dans le projet de loi, alors qu'il y aurait sans doute certaines choses à améliorer. Que cette commission relève d'un ministre distinct serait un véritable soulagement. Au fil des ans, cela permettrait d'assainir la situation. Je pense que le Cabinet serait mieux conseillé, et les dirigeants politiques pourraient s'intéresser de plus près aux questions nucléaires, du simple fait qu'ils auraient connaissance de plus d'une version des faits.

Nous avons apporté beaucoup de documents que vous trouverez peut-être intéressants. Je vais vous en citer quelques-uns. L'un de ces documents est une étude que j'ai rédigée pour The Canadian Business Review, sous le titre «Cost Disadvantages of Expending the Nuclear Power Industry» (Aspects économiques négatifs du nucléaire). Le rédacteur en chef de la revue m'avait invité à rédiger cet article en réponse à un autre intitulé «Cost Advantages of Expending the Nuclear Power Industry» (Aspects économiques positifs du nucléaire), article qu'il avait estimé un peu superficiel. Il avait donc pris l'initiative inhabituelle de m'inviter à en rédiger une réfutation.

À l'époque, le gouvernement Trudeau venait de terminer son examen interne du secteur nucléaire, examen qui n'était pas très différent de ce que le gouvernement actuel vient de faire au cours de l'année passée... je veux dire que le public n'avait pas été invité à y participer. Autrement dit, le gouvernement a entendu des hauts fonctionnaires des ministères, des représentants des divers secteurs de l'industrie nucléaire, sans aucune participation de représentants de la population. De ce fait, il n'y a eu aucun débat public, ni véritable information de la sphère politique, qui ne s'y est d'ailleurs que très peu intéressé. Voilà comment j'en étais arrivé à rédiger cet article.

L'autre étude que j'aimerais vous signaler a été publiée par la Campagne contre l'expansion nucléaire, il y a deux ans. Le titre: «Nuclear Sunset: the Economics of the Canadian Nuclear Industry» (Crépuscule nucléaire: étude économique de l'industrie nucléaire canadienne). C'est surtout la critique d'un rapport demandé par Énergie atomique du Canada, et rédigé par Ernst & Young. Ce rapport consiste surtout à vanter les avantages économiques de l'énergie nucléaire.

La raison pour laquelle j'en parle est que le ministre des Ressources naturelles s'est contenté de croire sur parole l'étude d'Énergie atomique du Canada limitée, en la citant dans les réunions publiques, et en s'y tenant comme l'expression de la vérité. Jamais le ministère des Ressources naturelles n'a entrepris de faire faire une critique de l'étude, pour vérifier ce qui pouvait en être vrai ou faux.

Je suis prêt à mettre ma réputation en jeu et à vous dire que l'étude de Ernst & Young était gravement partiale. Il y a plusieurs façons de le montrer. À propos des subventions au secteur nucléaire, le chiffre que cite l'étude est d'un peu plus de cinq milliards de dollars; or, la méthode de calcul utilisée est inacceptable puisque l'on se contente de faire la somme des subventions à partir de 1950, comme si l'on pouvait utiliser les chiffres bruts pour parvenir au total de cinq milliards de dollars. La méthode normale utilisée est de convertir en dollars courants, ce qui permettrait d'obtenir environ 13 milliards de dollars. Ceci est un petit exemple parmi d'autres: il est malsain de laisser l'industrie nucléaire s'autoréglementer, et s'isoler dans son cocon, loin de tout débat et toute surveillance politiques.

Si nous abordons la deuxième phase de l'ère nucléaire sans disposer des outils législatifs qui nous permettraient de mieux faire face à ces problèmes, nous sommes fort mal partis, et nous n'avons plus qu'à nous en remettre à Dieu.

Il se pourrait qu'un jour on soit obligé d'abandonner le nucléaire, veut, veut pas. Or, ni l'industrie ni le gouvernement n'ont envisagé cette possibilité. Si les marchés ne suivent pas, si les problèmes continuent à se multiplier, on pourrait se trouver acculé à devoir lentement abandonner cette forme d'énergie, et aucun plan n'est prévu. C'est l'effet direct de ce cocon dans lequel se sont installés les spécialistes.

Normalement, le Sénat se contente de procéder à un second examen objectif des projets de loi qui lui sont transmis par la Chambre des communes. Dans ce cas particulier, cependant, je prétends que les élus sont mal informés des questions nucléaires, puisque les instances qui permettraient de véritablement en traiter n'existent pas. Si le Sénat devait s'aviser de jouer un certain rôle, ce serait de dire: «Écoutez: au point où en sont les choses, il conviendrait de séparer l'aspect réglementaire de l'aspect promotionnel.»

Le président: Comment feriez-vous la répartition des responsabilités ministérielles? Est-ce qu'Énergie atomique du Canada relèverait de l'Environnement, ou serait-ce l'autre?

M. Edwards: La Commission de contrôle de l'énergie atomique relèverait de l'Environnement, si je peux me permettre une recommandation.

Le président: C'est-à-dire la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

M. Edwards: Exactement.

Le président: Mais je croyais qu'on y faisait de la recherche, du développement et du marketing.

M. Edwards: Non. C'est Énergie atomique du Canada limitée qui fait actuellement le marketing, la recherche et le développement.

Le sénateur Spivak: Il y a un nouveau vérificateur de l'environnement au sein du ministère du Vérificateur général. Lorsque j'ai pris la parole sur le projet de loi, en deuxième lecture, je n'ai pas évoqué cette contradiction apparente découlant de ce que ces deux organismes relèvent du même ministre, alors qu'il serait préférable que celui-ci relève du ministre de l'Environnement. Cependant, puisque le vérificateur général relève du Parlement et non pas du gouvernement, il serait peut-être préférable, dans la mesure du possible, de porter cette question à l'attention du vérificateur pour l'environnement, sous forme de recommandation. C'est peut-être ce que nous pourrions faire ici.

Cette question de la politique nucléaire est vitale. Et je suis d'accord avec vous pour déplorer l'absence de véritable débat, récemment, au moins en ce qui concerne le Parlement.

M. Edwards: Ce débat n'a jamais eu lieu.

Le sénateur Spivak: Il est bien évident qu'il faut instaurer un débat. Qu'est-ce que vous pensez de cette idée à propos du vérificateur pour l'environnement?

M. Edwards: C'est certainement une façon de voir la chose, et il a un rôle à jouer. Le Bureau du vérificateur général, par exemple, est une des rares instances à faire remarquer qu'il y a des insuffisances. Le vérificateur général a cité des centaines de millions sinon des milliards de dollars de passifs non déclarés d'Énergie atomique du Canada limitée. Il s'agit pourtant d'un service public. Or, il semble bien que cela ne parvienne pas jusqu'au gouvernement, en tous les cas on n'en voit aucune trace dans les politiques de ce dernier. Les critiques qui ont été formulées à plusieurs reprises par le vérificateur général, pendant au moins cinq ans, sur la façon d'Énergie atomique du Canada limitée de tenir ses livres, ne se sont jamais traduites par des consignes adressées à EACL pour qu'elle respecte les recommandations du vérificateur général.

On a vu apparaître aux États-Unis, au fil des ans, de nombreux pôles de connaissances et compétences en matière nucléaire. Cela crée une situation plus saine. Ainsi, non seulement l'industrie nucléaire relève du ministère de l'Énergie, mais il y a également une commission de réglementation nucléaire, qui est l'organe de réglementation délivrant les licences, et cetera. Il y a également une division nucléaire non négligeable au sein de l'Agence de protection de l'environnement américaine, qui recommande les normes environnementales de protection contre la radioactivité. Il y a aussi toute une division au sein du Bureau de la comptabilité générale des États-Unis, chargée uniquement des questions nucléaires et dont les rapports sont excellents, tout en traitant de tout un éventail de questions.

Le sénateur Spivak: Comment s'appelle l'organisme?

M. Edwards: Le U.S. General Accounting Office. C'est le pendant du vérificateur général du Canada, avec un champ d'action plus étendu.

Le sénateur Spivak: Nous les avons rencontrés à Washington pour discuter de questions agricoles. C'est très intéressant.

M. Edwards: Il y a aussi de nombreux organismes gouvernementaux, tels que la California Energy Resources and Conservation Development Commission, qui ont des compétences considérables dans le domaine nucléaire. Au fil des ans, les États-Unis ont développé divers créneaux de savoir-faire dans ce domaine. C'est une situation plus saine. Quand les questions d'autorité se posent, cela permet aux politiciens et à d'autres intervenants d'obtenir des conseils divers, de peser le pour et le contre et d'écouter toutes les parties intéressées avant de prendre une décision. Je crains que les arrangements institutionnels aient rendu les choses très difficiles ici au Canada.

Même si le vérificateur général continue de s'intéresser aux questions nucléaires -- et je pense qu'il le devrait --, il est aussi important de distinguer la fonction réglementaire. Le vérificateur général ne réglementera certainement pas l'énergie nucléaire. Si l'on sépare la fonction réglementaire de la fonction promotionnelle, on met en place un mécanisme qui, avec le temps, permettra d'adopter une position plus équilibrée.

Le sénateur Taylor: En recevant d'autres témoins, j'ai évoqué la possibilité d'avoir des ministres différents, et ils ont signalé, à juste titre, que cette décision incombe au Cabinet ou au premier ministre. Il s'agit de deux instances différentes, et rien de définitif n'indique que les deux doivent relever du même ministre, mais elles seront visées par ce projet de loi.

M. Edwards: C'est prévu dans la loi.

Le sénateur Taylor: Même si je comprends bien votre position, rien ne me dit qu'un seul ministre doit s'occuper de ces questions.

M. Edwards: La loi le stipule.

Le président: Pas tout à fait. Je pense que le sénateur Taylor a tout à fait raison. On définit le «ministre» comme étant «le ministre des Ressources naturelles ou le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada que le gouverneur en conseil désigne...» C'est possible.

M. Edwards: En effet.

Le sénateur Taylor: Bien des gens sont d'accord avec vous. Je vous encourage à faire campagne dès maintenant afin d'obtenir ce que vous désirez d'ici le prochain discours du Trône.

Nous avons entendu dire que le ministre des Ressources naturelles n'est pas préoccupé par la sûreté.

M. Edwards: Non.

Le sénateur Taylor: Elle était sans doute trop occupée par le pétrole et le gaz naturel. Le ministre des Ressources naturelles n'a pas seulement remis en question la sûreté des structures d'exploitation des mines, du pétrole et du gaz; elle s'est aussi intéressée au cobalt radioactif ou aux mines de plomb, aux mines sèches, et à la présence de gaz et d'hydrocarbures dans les mines de charbon. Le travail du ministre porte essentiellement sur la sûreté, probablement plus que sur toute autre chose. Le ministre ne s'occupe pas de la prospection de plomb, de charbon ou d'autres choses. C'est l'industrie qui s'en occupe. Quatre-vingts pour cent du travail du ministre porte sur le facteur sûreté; il y a donc beaucoup de chevauchement.

Si l'on voulait éliminer progressivement l'énergie nucléaire -- qui représente près de 20 p. 100 de l'énergie électrique au Canada --, avec quoi la remplacerait-on, à part le gaz de l'île de Sable? Quelle source d'énergie de substitution produirait 20 p. 100 de l'électricité au Canada, et près de 80 p. 100 en France?

M. Edwards: C'est tout un problème. Je vous suggère d'examiner le rapport de la Société royale du Canada concernant les émissions de gaz à effet de serre. Si vous voulez des conseils scientifiques fiables pour la réduction de ces gaz, je vous recommande ce rapport, qui ne fait aucun état de l'énergie nucléaire.

Le sénateur Taylor: Comme substitut des gaz à effet de serre?

M. Edwards: Non, l'énergie nucléaire n'y figure absolument pas.

Le sénateur Taylor: Qu'en est-il de l'énergie solaire?

M. Edwards: Des pays comme le Canada et la France se sont laissé convaincre politiquement que l'énergie nucléaire est la réponse à une question que nous avons oubliée.

Vous dites que nous avons dépensé tout cet argent pour construire ces réacteurs nucléaires. Je suis sûr qu'avec le recul Ontario Hydro dirait: «Si nous l'avions su, nous n'aurions pas dépensé tout cet argent.» En fait, il y a deux ans et demi environ, le Globe and Mail a publié dans sa section «Report on Business» un article sur l'usine de Darlington; dans cet article, on disait qu'en 1978, Ontario Hydro avait calculé, avec un taux de certitude de 95 p. 100, la demande d'électricité à la fin du siècle, c'est-à-dire dans quelques années seulement. La demande prévue avec 95 p. 100 de certitude correspondait à la production de l'équivalent des 14 centrales nucléaires comme celle de Darlington. Si nous avions suivi son conseil à l'époque, nous aurions bâti 14 autres centrales comme celle de Darlington.

En 1986, Hydro-Québec envisageait de construire 40 réacteurs nucléaires le long du fleuve Saint-Laurent, estimant que la population gèlerait dans l'obscurité si l'on ne les construisait pas.

À mon avis, si l'on examine les options énergétiques avec l'esprit ouvert, on constatera que le nucléaire est une solution, une solution coûteuse, mais certainement pas la seule solution. Si cet argent n'avait pas été consacré au nucléaire, on l'aurait investi dans autre chose.

Le sénateur Taylor: Étant donné que je suis Albertain, je suis toujours favorable à l'option pétrolière et gazière. Il me semble que le choix entre le pétrole, le gaz et le nucléaire n'en est pas vraiment un.

M. Edwards: Je crois que vous n'avez pas compris. Il n'y a pas eu 14 installations équivalentes à celle de Darlington pour prendre la relève du nucléaire, mais plutôt différentes solutions de rechange. L'une de ces solutions -- que le gouvernement canadien prétend ne pas avoir le pouvoir de réglementer et qu'il refuse donc catégoriquement d'appuyer -- c'est l'efficacité énergétique. Grâce à l'efficacité énergétique, on peut déplacer une quantité énorme d'électricité.

Je vais vous donner un exemple. Quand Ontario Hydro donnait des audiences sur son plan de développement de 25 ans, ses critiques l'ont forcée à voir dans quelle mesure elle pourrait produire la même quantité d'électricité à Darlington grâce à la cogénération. L'entreprise a lancé des appels d'offres de cogénération et elle s'est rendu compte qu'elle pouvait ainsi obtenir deux fois plus d'électricité à un coût moindre grâce à la cogénération. Voilà le genre de recherche dont je parle.

Le sénateur Taylor: Qu'en est-il des recherches en cours? Portent-elles sur la fusion avancée?

M. Edwards: Je ne suis pas ici pour en parler. Je suis ici pour débattre de la question de savoir si c'est une bonne politique que de permettre à l'industrie nucléaire de conserver son monopole pour ce qui est de conseiller le gouvernement et de continuer à étouffer toutes les autres voix pour vous empêcher même d'écouter d'autres arguments. Le gouvernement du Canada s'est pris à son propre piège.

Le sénateur Taylor: Il me semble cependant difficile de faire taire quelqu'un comme vous.

M. Edwards: C'est facile quand Ottawa est comme il est.

Mme Ostling: Un des documents que nous avons déposés est intitulé «Renewable Energy Options for Canada». Dans ce document, nous montrons comment on pourrait éliminer progressivement l'énergie nucléaire au Canada. L'une des principales sources d'énergie est l'efficacité énergétique. Il y a aussi d'autres suggestions; par exemple, la production mixte d'énergie éolienne et d'énergie solaire. L'efficacité énergétique est primordiale. Nous serions ravis d'entendre vos commentaires sur ce document aussi.

Le président: En ce qui concerne la réponse que vous avez donnée au sénateur Taylor, pensez-vous en fin de compte que c'est le marché qui dicte la réduction des dépenses dans le secteur nucléaire?

Quand nous étions en Californie pour examiner le secteur électrique, que l'on commence à déréglementer afin de réduire les coûts, nous avons appris que dans le cadre de la déréglementation, il était question d'assumer les coûts des investissements qui avaient été faits dans des centrales nucléaires qui ne sont plus utilisées. Vous atteindrez peut-être certains de vos objectifs en tenant compte des conditions du marché. Envisagez-vous cette possibilité?

M. Edwards: Si le Canada permettait l'établissement des conditions du marché, ce serait merveilleux. Cependant, le Canada continue de pomper de l'argent dans ce secteur. Si vous regardez le tableau 1 de cette étude sur l'élimination du secteur nucléaire, vous constaterez que les subventions s'élèvent à 13 milliards de dollars. L'industrie nucléaire a toujours obtenu du gouvernement fédéral plus de subventions pour la recherche et le développement que toutes les autres sources d'énergie combinées.

Le président: Parlez-vous de l'argent investi dans la vente de nos réacteurs CANDU et dans le développement de ce savoir-faire qui est devenu une importante exportation canadienne?

M. Edwards: Une fois de plus, est-ce vraiment une exportation si importante? Chaque fois que vous dites quelque chose de ce genre, il faut se poser la question suivante: comment savons-nous qu'il s'agit d'une option d'exportation si importante? Avons-nous vraiment gagné de l'argent? A-t-on jamais comptabilisé les ventes passées, et en a-t-on établi la responsabilité financière? Le Parlement a-t-il jamais reçu un rapport comportant une ventilation détaillée des sommes que nous avons gagnées ou perdues dans la vente à l'Argentine, au Pakistan, à Taïwan ou, la première fois, à la Corée? Ces chiffres ne sont tout simplement pas disponibles. Le public n'y a pas accès.

Le président: Hier, les représentants de l'industrie nucléaire nous ont donné des chiffres, dont certains étaient considérables. Nous n'avons aucune raison de douter de cette information. Il y avait des chiffres importants en ce qui concerne la création d'emplois, les exportations et l'effet multiplicateur.

M. Edwards: Si vous demandiez l'avis de l'industrie du tabac sur le tabagisme, vous obtiendrez aussi des opinions assez fortes. Si vous voulez charger l'industrie du tabac de dire la vérité sur le tabagisme, ses avantages économiques et ses potentiels effets nocifs, très bien. Toutefois, vous devriez écouter également d'autres intervenants en dehors de l'industrie.

J'ai été embauché par la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique pour contre-interroger des experts en sûreté nucléaire pendant 15 semaines. J'ai constaté que souvent, leurs affirmations ne tenaient tout simplement pas debout. Il en est de même de leurs opinions sur l'aspect économique du problème. Je vous recommande d'examiner l'étude intitulée «Nuclear Sunset». Je vous parie que ces chiffres y figurent. Nous avons constaté que ces chiffres sont gravement erronés. Il faudrait au moins les examiner. Je ne sais pas si les militaires ont menti dans l'affaire de la Somalie, mais il faudrait certainement enquêter là-dessus et avoir l'esprit ouvert pour déterminer s'ils disent la vérité ou non.

Quand l'a-t-on fait pour l'industrie nucléaire? Quand lui a-t-on déjà posé des questions ou quand lui a-t-on déjà demandé de rendre des comptes?

Le président: Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais cela me semble intéressant. Je ne sais pas si cela va aider le comité à comprendre la loi qui est devant nous. Voulez-vous dire que l'on n'a jamais rendu compte de l'argent investi par le gouvernement fédéral pour appuyer le programme de réacteurs CANDU, que les comptes publics du gouvernement du Canada et tous les pouvoirs d'enquête et de correction n'ont jamais été utilisés?

M. Edwards: La seule fois dont je me souvienne -- et je peux me tromper, car je ne suis peut-être pas au courant de certaines procédures; s'il en existe, elles doivent être très cachées -- c'est l'examen public des finances d'Énergie atomique du Canada limité en 1978, lorsque le comité des finances de la Chambre des communes s'est penché sur des montants énormes qu'EACL a transférés dans des comptes de banque suisses anonymes.

Le comité des comptes publics a constaté que des représentants d'EACL, y compris le président, ne voulaient pas répondre aux questions qui leur étaient posées. Ils ont fait de l'obstruction, et le comité de la Chambre des communes a conclu qu'il avait des raisons de croire que des sommes importantes de l'argent des contribuables ont été utilisées à des fins illégales ou de corruption.

Par la suite, le président d'EACL a été licencié. À ma connaissance, c'est la dernière fois qu'il y a eu un examen public ou parlementaire des finances d'EACL.

Le président: Le pouvoir d'examen existe, mais on ne l'utilise tout simplement pas.

M. Edwards: On ne le fait tout simplement pas.

Par exemple, récemment, le représentant d'EACL en Corée a été arrêté, et il est toujours en prison dans ce pays pour corruption, pour avoir remis un sac en papier plein d'argent à un responsable sud-coréen au nom d'EACL. Celle-ci a prétendu ne pas savoir que l'argent était utilisé à cette fin. À quoi pensait-elle que l'argent était destiné? Quel genre de comptabilité EACL a-t-elle?

M. Kenneth Dye, ancien vérificateur général du Canada, a déclaré à la CBC qu'à son avis, on donnerait un excellent exemple en faisant emprisonner des cadres pour des affaires semblables. Selon lui, un cadre d'une société d'État responsable de l'argent du contribuable devrait être tenu de tout justifier. Il n'y a eu aucune enquête et l'on n'a rien fait pour demander à EACL de rendre des comptes dans cette affaire et sur la façon dont elle contrôle ses agents à l'étranger.

Depuis de nombreuses années, je m'intéresse à cette question en tant que Canadien. Depuis le début, mon message est resté le même: en politique, instaurons la transparence et l'obligation de rendre compte. Jouons cartes sur table.

En 1975, quand nous avons créé le Regroupement pour la surveillance du nucléaire, nous avons d'abord décidé de venir à Ottawa pour rencontrer les représentants de tous les partis et leur dire: «Pouvons-nous obtenir une enquête publique sur les avantages et les inconvénients de l'énergie nucléaire afin que tout le monde comprenne plus clairement les aspects positifs et négatifs de la question et prenne des décisions plus raisonnables?» Cela ne se fait pas. En fait, dans la pratique quotidienne, on empêche que cela se fasse.

Le président: Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas en train de recommander ce qui doit être dans la loi; vous vous demandez si les agissements actuels du gouvernement sont justifiés.

M. Edwards: Je désespère à l'idée que le Canada continue de cette manière pendant 60 ans encore. S'il ne prend pas des mesures pour rectifier cette situation, je présume qu'il va en subir les nombreuses conséquences.

Le département de l'Énergie des États-Unis a examiné attentivement la pollution radioactive dans l'armée américaine. Il a estimé qu'il faudra dépenser 200 milliards de dollars pour remédier à la pollution radioactive dans les complexes militaires.

Au Canada, le problème n'est pas aussi grave, mais personne ne connaît l'ampleur du problème, parce que personne ne l'a examiné. Il n'existe aucune liste officielle des sites radioactifs au Canada et des montants qu'il en coûterait pour les dépolluer. Je pense que c'est irresponsable.

Si la Commission de contrôle de l'énergie atomique relevait d'un ministre différent, ce genre de chose serait possible, car la séparation des deux volets renforcerait l'obligation de rendre compte.

Sénateurs, c'est une chose d'assurer simplement la sûreté des opérations de l'industrie, comme vous le disiez. Je suis d'accord avec vous. La sécurité dans l'exploitation des mines est certainement une préoccupation, mais l'on ne peut en dire autant de l'incidence environnementale, surtout à long terme.

Le sénateur Taylor: Saviez-vous que la nouvelle loi prévoit la tenue d'audiences publiques, comme vous le préconisiez précisément? De plus, la mesure n'est pas négative en ce qui concerne le financement. Nous avons posé des questions à ce sujet, et l'on nous a répondu que cela pourrait dépendre du statut d'intervenant. On est en train d'ouvrir tout le domaine pour que des personnes talentueuses et compétentes comme vous puissent comparaître.

M. Edwards: Sénateur, mon objectif dans la vie n'est pas simplement de comparaître. Peu m'importe si je comparais ou si je disparais dans cette affaire. J'aimerais que le Canada soit en mesure de prendre de meilleures décisions dans des domaines semblables. La portée de ce projet de loi est très limitée. C'est un pas dans la bonne direction, mais c'est très insuffisant.

Le sénateur Taylor: Quand un politicien dit qu'il veut que les gens prennent de meilleures décisions, il entend souvent par là que les gens devraient être d'accord avec lui. Cependant, dans le cas d'un scientifique, je ne sais pas ce qu'il entend par là.

Le sénateur Spivak: En ce qui concerne le financement, vous avez oublié la Chine. Elle vient de recevoir un prêt de 1,5 milliard de dollars.

Je voudrais vous poser une question au sujet de l'efficacité énergétique. Comme le président l'a souligné, les Américains sont parvenus à la conclusion qu'ils pouvaient économiser davantage en conservant qu'en construisant de nouvelles centrales électriques, de quelque type que ce soit. Ce programme a été couronné de succès aux États-Unis. Il a également eu des conséquences pour les ventes d'hydroélectricité au Canada.

Le Canada n'a pas de programme de ce genre. Avez-vous bien dit que nous n'avions pas de programme d'efficacité énergétique et de modernisation thermique parce que nous disposons de ressources énergétiques abondantes?

M. Edwards: Bien entendu, il y a des initiatives dans ce sens. L'efficacité énergétique paraît logique aux yeux de bien des gens. Le problème, c'est qu'il ne s'agit pas d'un effort coordonné. Par exemple, au Canada, Ontario Hydro a réalisé un projet pilote à Espanola.

Il est possible d'accomplir énormément en coordonnant les ressources si l'on aborde et organise l'efficacité énergétique au niveau communautaire. Les propriétaires de maisons ou les gens d'affaires ont l'impression de ne pas toujours avoir l'information nécessaire en ce qui concerne le contrôle de la qualité et les meilleures mesures à prendre. Quand cela peut être planifié au niveau de la collectivité, les possibilités sont très grandes.

Au Canada, la participation du gouvernement fédéral dans le domaine de l'énergie -- par exemple sous la forme d'un soutien financier à la recherche ou à la mise en oeuvre de l'efficacité énergétique -- est nulle. Il ne fait rien sur ce plan.

Le sénateur Spivak: Je dois faire un peu de publicité pour le Plan vert du gouvernement progressiste-conservateur précédent. Le premier ministre actuel avait certaines idées de ce genre, mais elles se sont évanouies.

Le président a demandé aux fonctionnaires qui déciderait, en dernier ressort, de l'endroit où les déchets nucléaires seraient entreposés. Estimez-vous que le processus est suffisant pour permettre d'examiner les preuves scientifiques? Est-il acceptable de les placer dans le Bouclier canadien?

Les sociétés d'État ne sont pas assujetties à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Elles devaient l'être, mais la réglementation n'a pas été mise en place. Il y a également la question des exportations d'énergie nucléaire, ce qui nous ramène à la politique nucléaire du Canada. Compte tenu de l'exportation de réacteurs CANDU, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale devait mettre en place une politique à cet égard, mais cela n'a pas été fait.

Pourriez-vous nous faire part de vos opinions ou de renseignements sur ces questions?

M. Edwards: Je ne sais pas si elles sont directement reliées à la loi.

Le sénateur Spivak: Oui, elles le sont, car la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est censée être en vigueur, mais elle ne l'est pas dans certains domaines.

M. Edwards: C'est exact.

Jeudi, je serai à Trois-Rivières où je ferai un exposé sur l'évacuation en formation géologique devant une commission d'évaluation. Il est tout à fait inhabituel que l'on procède à une évaluation environnementale du concept. Quel sera l'impact environnemental de cette évaluation? C'est pourtant ce qu'on essaye de faire.

Selon moi, le problème fondamental est dû à ce que la plupart des gens qui ne sont pas des scientifiques considèrent la science comme une chose monolithique. En fait, il y a toutes sortes de sciences différentes. Il y a les sciences physiques, les sciences biologiques, les sciences environnementales, et cetera. Aujourd'hui comme hier, l'industrie nucléaire est dominée par les physiciens. À la Commission de contrôle de l'énergie atomique, ce sont des physiciens et des ingénieurs qui prennent toutes les décisions. Ce sont eux qui procéderont aux audiences. Je ne suis pas vraiment certain qu'ils pourront surmonter les problèmes auxquels ils seront confrontés.

Vous avez ce genre de chercheurs au ministère de l'Environnement, mais vous avez également des chercheurs également orientés vers la biologie. Ils se spécialisent dans la biologie et l'étude des systèmes vivants. C'est une orientation entièrement différente. Je crois que c'est le genre d'orientation nécessaire pour s'attaquer au problème.

Le sénateur Spivak: Vous parlez des problèmes de gestion et de stockage des déchets.

M. Edwards: En effet. Si cette dimension biologique n'intervient pas dans l'étude des projets de stockage souterrain, par exemple, vous ne pouvez pas évaluer le problème de façon réaliste. C'est ainsi que je vois les choses. Malheureusement, la situation est la même que celle dont j'ai parlé plus tôt.

En 1977, un livre vert intitulé «La gestion des déchets nucléaires du Canada», mieux connu comme le rapport Hare, a été rédigé en trois mois par trois hommes, MM. Hare, Aikin et Atkinson. Ce rapport a fait l'objet d'audiences fédérales et provinciales. Les audiences fédérales ont été menées par le Comité des ressources naturelles et des travaux publics de la Chambre des communes. Le comité a reçu plus de 300 mémoires dont la plupart critiquaient le projet d'EACL d'enfouir les déchets nucléaires dans le Bouclier canadien. Pendant ce temps, la Commission royale sur la planification de l'énergie électrique, qui s'intéressait également à l'évacuation des déchets radioactifs, tenait des audiences à Toronto.

En juin 1978, le gouvernement canadien a, sans attendre le résultat de ces deux séries d'audiences, signé un accord avec l'Ontario pour la mise en oeuvre du rapport Hare. Autrement dit, sans attendre l'issue des audiences, le gouvernement a commencé à appliquer cette proposition. Voilà comment le Canada a abordé la question.

Vous avez mentionné le Plan vert. Le Plan vert a été proposé en même temps que l'on autorisait les audiences sur les déchets à haute radioactivité. Lucien Bouchard était ministre de l'Environnement à l'époque et Jake Epp était ministre de l'Énergie. Quand Jake Epp a proposé l'étude du concept de l'évacuation géologique, il n'a inclus dans le mandat aucun débat quant au rôle de l'énergie nucléaire, aucune discussion concernant l'arrêt de la production de déchets nucléaires. Il a été question de l'enfouissement des déchets et de rien d'autre.

Lucien Bouchard a émis des objections. En tant que ministre de l'Environnement, il trouvait difficile de parler d'un concept d'évacuation des déchets sans qu'on discute en même temps de la source des ces déchets et de la possibilité de la réduire. Jake Epp a promis alors que le gouvernement canadien tiendrait des audiences parallèles sur le rôle de l'énergie nucléaire pour mieux équilibrer les choses, mais il ne voulait pas qu'elles soient reliées aux audiences sur l'évacuation des déchets à haute radioactivité.

Ces audiences parallèles n'ont jamais eu lieu. En fait, le président de la commission s'en est excusé publiquement, car il m'a dit, à moi et à beaucoup d'autres, qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'on tiendrait compte de nos préoccupations, que le gouvernement canadien avait promis la tenue d'audiences parallèles sur le rôle de l'énergie nucléaire.

Malheureusement, c'est ainsi que les gouvernements du Canada ont abordé les uns après les autres la question de l'énergie nucléaire. Nous ne pouvons pas en attribuer la responsabilité à un gouvernement plutôt qu'à un autre. Ils ont tous agi de la même façon. C'est parce que la seule source de conseils des ministres sur les questions nucléaires sont des gens de l'industrie nucléaire. Comme il n'existe pas au niveau fédéral de mécanisme permettant de débattre ouvertement de ces questions de façon honnête et équitable, le gouvernement canadien s'est laissé manipuler par l'industrie et il ne faudrait pas que cela continue.

Le sénateur Anderson: Je crois que ces centrales nucléaires ont une durée de vie limitée et que les tubes de force doivent être entreposés quelque part. Certains de ces tubes ont-ils été entreposés au Canada?

M. Edwards: En fait, c'est le combustible épuisé qu'il faut entreposer. C'est un peu difficile à comprendre. On pourrait croire que le combustible est très radioactif lorsqu'il entre dans le réacteur, mais ce n'est pas le cas. Il est seulement moyennement radioactif. C'est lorsqu'il sort du réacteur qu'il est extrêmement radioactif. En effet, les atomes d'uranium sont rompus à l'intérieur du réacteur et ce qui reste dans le combustible, ce sont ces morceaux d'atomes d'uranium.

Lors de l'accident de Tchernobyl, les émissions qui ont causé toute la contamination étaient formées de petites particules d'atomes d'uranium. Voilà ce qui se trouve dans le combustible épuisé. C'est une substance très toxique. En fait, la commission royale a fait remarquer que si un humain non protégé se trouvait à un mètre d'une grappe de combustible épuisé, il recevrait une dose mortelle de radiation en l'espace d'une vingtaine de secondes. Ce sont des objets très dangereux et c'est ce qui sera enfoui.

La réponse à votre question est qu'on n'a pas encore enfoui de matériel radioactif de ce genre. On l'a seulement entreposé sur place. Au départ, on l'entreposait dans des cuves d'eau. L'eau est nécessaire pour dissiper la chaleur. Sans eau, ces combustibles surchaufferaient, s'endommageraient et libéreraient de la radioactivité. On peut les enlever des cuves au bout de sept à dix ans et les placer en entreposage sec.

Néanmoins, comme ces matières restent dangereuses pendant des millions d'années, où pouvons-nous nous en débarrasser? C'est ce dont il est question actuellement. On ne veut pas envisager d'arrêter la production de déchets parce qu'on compte continuer à en produire le plus longtemps possible. C'est avant tout un problème de gestion, selon eux. Le problème ne se situe pas tant au niveau de l'évacuation des déchets, autrement dit, de leur enfouissement pour s'en débarrasser à tout jamais; il s'agit de les évacuer pour pouvoir en produire plus de façon à maintenir cette industrie indéfiniment.

Telle est la façon de voir que le gouvernement canadien et l'industrie ont manifesté devant la commission. Ils voient là non pas un moyen d'éliminer graduellement l'énergie nucléaire ou de se débarrasser des déchets nucléaires, mais plutôt un moyen de nous permettre de poursuivre leur production.

Mme Ostling: Je voudrais répondre aux questions de le sénateur Spivak de même qu'aux questions concernant les subventions.

Un des documents que nous déposons ici aujourd'hui s'intitule «Exporting Disaster: The Cost of Selling CANDU Reactors». Il a été rédigé par David Martin, du Nuclear Awareness Project. Nous avons diffusé ce document à assez grande échelle et nous espérons que vous l'examinerez.

Cette étude conclut que les exportations nucléaires coûtent très cher, surtout les exportateurs CANDU. Plus particulièrement, nous savons que pour l'exportation du CANDU vers la Chine, un prêt d'un milliard et demi de dollars a été consenti. Il est tout à fait lamentable qu'à la dernière minute, le gouvernement canadien ait modifié la réglementation de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale à l'égard des évaluations environnementales susceptibles d'avoir des répercussions sur ces exportations vers la Chine. Les Canadiens devraient avoir le droit de dire ce qu'ils pensent de l'exportation de réacteurs CANDU. Le développement de l'énergie nucléaire au Canada nous paraît de moins en moins justifié. L'industrie nucléaire a besoin du marché d'exportation pour se maintenir en vie au Canada.

C'est très grave, car nous exportons le même genre de problèmes que ceux que nous connaissons chez nous. Il s'agit de problèmes à long terme que posent les déchets nucléaires et des problèmes quotidiens que posent les réacteurs CANDU dans les provinces qui ont adopté le nucléaire. Je vous invite à examiner ce document.

Pour ce qui est des subventions, nous avons publié cette année un document intitulé «Nuclear Budget Watch 1997». Je dépose également des exemplaires du résumé de ce rapport, qui est également disponible en français.

Ce document a été préparé par les économistes David Argue et Dave Martin. Ils constatent que les subventions au nucléaire totalisent maintenant plus de 15 milliards de dollars si l'on tient compte de l'inflation. Cela représente une subvention considérable à un secteur qui est censé nous apporter des avantages fantastiques. J'aimerais voir les documents que l'Association nucléaire canadienne vous a présentés hier afin de comparer ces chiffres avec les nôtres. Je vous inviterais à en faire autant.

Dans le document «Nuclear Budget Watch 1997», nous avons inclus, dans le tableau des subventions, près de 1,5 milliard de dollars à la Chine pour l'achat de deux réacteurs CANDU. Nous allons essayer d'en savoir plus sur les subventions cachées à l'industrie nucléaire. C'est d'une importance cruciale et le gouvernement devrait s'en préoccuper davantage également.

Je voudrais notamment souligner que les exportations nucléaires ne sont pas incluses dans ce projet de loi. Cela devrait s'inscrire dans l'élimination graduelle de l'énergie nucléaire. Ce n'est pas seulement au Canada qu'on ne construit plus de nouveaux réacteurs nucléaires; c'est une réalité mondiale. Nous constatons, de plus en plus, qu'il est tout à fait possible de remplacer l'énergie nucléaire par des sources d'énergie renouvelable -- je ne parle pas des combustibles fossiles --, par l'efficacité énergétique et par d'autres sources d'énergie écologiquement viables.

Le président: Je viens de feuilleter le mémoire présenté hier par l'Association nucléaire canadienne. Les chiffres ne sont pas là, mais l'association nous les a présentés sur un écran. Néanmoins, ils ne figurent pas dans ce rapport, mais vous pouvez certainement examiner les documents que nous avons. Nous pourrions obtenir ces chiffres pour vous.

Mme Ostling: Ces chiffres figureront-ils dans la transcription de vos audiences?

Le président: Oui.

Merci, madame Ostling et monsieur Edwards, d'être venus ici aujourd'hui et de nous avoir communiqué des renseignements importants. Je me ferai un plaisir de recevoir vos documents pour que mes collègues puissent les examiner.

Sénateur Taylor, allons-nous maintenant passer à l'étude article par article du projet de loi C-23?

Le sénateur Taylor: Il n'y a pas eu beaucoup de plaintes au sujet de cette mesure, sauf en ce qui concerne la responsabilité des ministres. Voulez-vous que nous procédions article par article ou que nous approuvions le projet de loi tel quel?

Le président: Le comité pourrait dire au gouvernement: «Nous voudrions examiner la recommandation formulée par M. Edwards et Mme Ostling quant à la possibilité de partager les responsabilités entre les ministres».

Le sénateur Spivak: Le sénateur Carney m'a demandé de proposer un amendement sur lequel je suis d'accord. Je voudrais le proposer maintenant.

Le sénateur Taylor: Monsieur le président, je propose que le projet de loi C-23, Loi constituant la Commission canadienne de sûreté nucléaire et modifiant d'autres lois en conséquence, soit adopté sans amendement et qu'il en soit fait rapport au Sénat aujourd'hui même.

Le président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le président: La motion est adoptée.

Le sénateur Spivak: Je propose qu'on modifie l'article 2 en supprimant les mots «ressources naturelles» et en les remplaçant par le mot «environnement».

Le sénateur Taylor: Sénateur, je crois qu'une recommandation traduirait beaucoup mieux les intentions de cette motion. Autrement dit, cette motion tente de lier les mains aux futurs ministres et à obliger les premiers ministres à préciser ce qu'ils feront.

Le sénateur Spivak: Exactement.

Le sénateur Taylor: Je ne suis pas pour cet amendement. Comme le président l'a suggéré, je voudrais qu'une recommandation soit jointe au rapport pour dire que deux ministres différents seront responsables des deux champs de responsabilité différents.

Le président: Que tous ceux qui sont pour l'amendement veuillent bien dire oui.

Des voix: Oui.

Le président: Que tous ceux qui s'y opposent veuillent bien dire non.

Des voix: Non.

Le président: Je déclare la motion rejetée.

Le sénateur Taylor: Monsieur le président, je voudrais proposer que nous ajoutions au rapport une recommandation disant que les responsabilités des deux ministères doivent être confiées à deux ministres différents.

Le sénateur Spivak: Il faudrait clarifier cela.

Le président: Vous voudriez que notre comité recommande au gouvernement d'avoir deux ministres responsables d'EACL.

Le sénateur Taylor: C'est exact. Je ne veux pas préciser les ministres mais dire simplement deux ministres.

Le sénateur Spivak: Je ne suis pas d'accord. Il faudrait préciser que la CCEA devrait relever du ministre de l'Environnement. Il est clair que nous ne voulons pas qu'elle relève du ministre du Commerce international ni du ministre des Affaires étrangères dans la mesure où ils participent à des activités de promotion. Nous voulons un autre point de vue, par exemple, celui du ministère de l'Environnement où on trouve des scientifiques autres que des physiciens. C'est la chose qui m'a frappée le plus, c'est-à-dire la variété de connaissances spécialisées. J'espère que le ministère de l'Environnement pourra offrir ces connaissances.

Le président: Vous voudriez une recommandation selon laquelle la CCEA relève d'Environnement Canada et la CCSN relève du ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources?

Le sénateur Taylor: Cela risque de nous figer dans le temps. Qui sait comment le premier ministre va agencer le prochain conseil des ministres. J'ai déjà vu une situation où les questions environnementales relevaient du ministère de l'Énergie. Peut-être que nous devrions avoir un ministre des Ressources techniques, comme à une époque. Autrement dit, il y a bien des façons de structurer un conseil de ministres. Nous avons déjà eu des ministres de l'Énergie, des ministres des Mines et des Ressources, des ministres des Ressources naturelles et des ministres de l'Environnement.

Ne précisons pas, de cette façon cela pourrait être le ministre de la Santé, de l'Environnement ou de l'Énergie, pour ne nommer que trois.

Le président: D'abord, vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion proposée par le sénateur Taylor en vue d'adopter le projet de loi dans sa forme actuelle?

Des voix: D'accord.

Des voix: Non.

Le président: Je déclare la motion adoptée.

Puis-je proposer un partage des responsabilités, comme c'est le cas dans le projet de loi maintenant, ou bien d'autres ministres désignés par le gouverneur en conseil, ce qui correspond à votre recommandation, sénateur Taylor?

Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas ce que vous dites, monsieur le président.

Le président: L'article que vous avez lu, sénateur, parlait d'un ministre précis, ou bien d'autres ministres désignés. Nous recommandons un partage des responsabilités, dès maintenant, puis un passage disant «ou d'autres ministres désignés par le gouverneur en conseil». Le titre change et les noms des ministères aussi, comme l'a mentionné le sénateur Taylor.

Le sénateur Spivak: Est-ce que vous recommandez que l'un relève du ministre des Ressources naturelles et l'autre relève du ministre de l'Environnement?

Le président: Oui. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Spivak: Je regrette que le sénateur Carney ne soit pas présente car je sais qu'elle voudrait s'associer à cette motion.

La séance est levée.


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