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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 24 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 11 heures, pour examiner le Budget des dépenses principal 1995-1996 (Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux).

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, avant de commencer, j'aimerais vous présenter M. Sergei Kutukov, chef de cabinet adjoint de l'Assemblée fédérale du Conseil de Russie, qui est en visite au Canada pour étudier notre système de gouvernement. Il fait partie du comité des budgets et des finances, qui étudie presque tous les secteurs, y compris celui des banques.

Monsieur Kutukov, nous espérons que votre séjour ici sera fructueux à la fois pour vous et pour nous.

M. Kutukov: Merci.

Le président: Le comité se réunit ce matin pour examiner le Budget des dépenses principal 1995-1996, et notamment le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Barry McLennan, président de la Coalition pour la recherche biomédicale et en santé, et vice-doyen du Collège de Médecine de l'Université de la Saskatchewan. Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, ce collège est situé à Saskatoon, en Saskatchewan, ma ville natale. M. McLennan est accompagné ce matin de M. Clément Gauthier.

Monsieur McLennan, c'est un plaisir pour nous de vous accueillir, ainsi que votre adjoint. Vous avez la parole.

M. Barry McLennan, président de la Coalition pour la recherche biomédicale et en santé et vice-doyen, Recherche, Collège de Médecine, Université de la Saskatchewan: Merci, monsieur le président, d'avoir invité la Coalition pour la recherche biomédicale et en santé à comparaître devant le comité. Je crois que vous avez reçu notre mémoire, qui date du 24 octobre. J'espère que tout le monde en a une copie.

J'aimerais d'abord vous rappeler le message alarmant que le Conference Board du Canada a transmis, il y a un mois de cela, à tous les Canadiens, à savoir que la position concurrentielle du Canada s'est détériorée au cours de la dernière décennie. Tandis que les Canadiens discutent des changements qui sont apportés aux transferts fédéraux dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et des programmes sociaux, il apparaît crucial de préserver et d'améliorer notre qualité de vie d'une part, et de maintenir notre compétitivité internationale d'autre part.

L'ancienne ministre de la Santé, Diane Marleau, a reconnu que notre système de santé doit être protégé dans des conditions économiques difficiles et que c'est là le rôle de la recherche.

Notre nouveau ministre de la Santé, M. David Dingwall, a déclaré en juin de cette année que: «Le Canada doit définir les dossiers urgents en vue de combler des lacunes dans le financement de la recherche. En effet, ce manque de financement risque de nuire à la recherche en matière de santé, domaine dans lequel le Canada occupe une place concurrentielle sur la scène internationale.»

J'aimerais vous montrer le graphique auquel le ministre Dingwall faisait allusion lorsqu'il a fait cette déclaration. Le graphique montre que le niveau de financement de la recherche est dangereusement bas au Canada. Vous avez peut-être du mal à voir le graphique; il figure à l'annexe du document. Le fait est que nous piquons du nez, tandis que nos concurrents, eux, augmentent leurs investissements. C'est le problème principal. Le ministre Dingwall faisait allusion au fait que nous investissons beaucoup moins dans la recherche que nos concurrents.

Le gouvernement mérite des félicitations pour avoir créé un fonds pour la recherche en services de santé. L'objectif, et je trouve qu'il est tout à fait louable, est d'augmenter le montant du fonds de dotation à 300 millions de dollars au moins. Celui-ci générerait entre 20 et 30 millions de dollars par année, une somme appréciable qui pourrait être investie dans la recherche évaluative.

À la page 4 de notre mémoire, nous proposons comme première recommandation que les dépenses de santé soient maintenues au niveau actuel pendant au moins trois ans, dans le but de permettre une utilisation optimale de la recherche évaluative et d'adapter le système de santé aux nouvelles réalités fiscales.

Vous m'excuserez, monsieur le président, si j'ajoute un commentaire personnel, mais comme nous sommes tous deux originaires de la Saskatchewan, je tiens à dire que c'est dans cette province que l'assurance-maladie a vu le jour. Nous en sommes très fiers. Nous devons absolument préserver notre système de soins de santé. Je ne suis pas le seul à le penser. Tous les Canadiens partagent cet avis. Le ministère des Finances a rendu public, en août, les résultats d'un récent sondage qui montrent que les Canadiens veulent que le gouvernement se concentre sur deux choses: les soins de santé et l'éducation. Ce sont les deux domaines auxquels les Canadiens attachent le plus d'importance.

J'aimerais attirer votre attention sur une étude qui a été réalisée par le ministère des Finances du Royaume-Uni. Cette étude montre de façon très claire les avantages que procure la recherche dans le domaine de la santé. Ces avantages sont énumérés à la page 5 du mémoire. Je vais vous en parler brièvement. Nous en avons cerné six: premièrement, la recherche fondamentale crée de nouvelles connaissances utiles; deuxièmement, elle favorise la mise au point de méthodologies et d'instruments nouveaux; troisièmement, elle permet aux personnes engagées dans la recherche fondamentale -- les étudiants diplômés, les boursiers de recherches post-doctorales, les scientifiques, les facultés de médecine et les médecins --, d'acquérir de nouvelles compétences; quatrièmement, elle permet d'avoir accès à des réseaux d'experts et d'information -- c'est-à-dire le World Wide Web; cinquièmement, elle nous permet de résoudre des problèmes technologiques complexes; sixièmement, les résultats de la recherche fondamentale sont souvent d'une grande utilité à l'industrie et favorisent la création d'entreprises dites spin-off.

Ce rapport n'a pas été préparé par des chercheurs, mais par le ministère des Finances du Royaume-Uni, qui envisage la question sous un angle différent. Cette étude est importante parce qu'elle démontre de façon très claire les avantages que procure la recherche fondamentale dans le domaine de la santé.

Plus près de nous, nous avons été à même de constater les retombées concrètes que procurent les travaux de recherche financés par le Conseil de recherches médicales du Canada. J'insiste sur le fait que le Conseil a pour mandat de financer la recherche fondamentale. C'est son rôle. C'est le seul organisme qui finance ce type de recherche. C'est son principal objectif.

Les investissements effectués par l'intermédiaire du CRM ont abouti à la création de BiochemPharma au Québec, de TerraGen en Colombie-Britannique, et de Vascular Therapeutics à Hamilton, en Ontario. Ce ne sont là que trois exemples parmi d'autres. Il s'agit d'entreprises dites spin-off. BiochemPharma, par exemple, ne comptait au début que quelques employés qui travaillaient dans un laboratoire universitaire. Elle est passée à 1 000 employés en dix ans. Elle constitue aujourd'hui la quatrième entreprise en importance du secteur de la biotechnologie dans le monde.

J'ai indiqué, dans un article paru dans The Globe and Mail le 15 juillet, que le financement de la recherche au Canada était en chute libre. Le graphique que je vous ai montré l'illustre fort bien.

Il y a 16 facultés de médecine au Canada. Nous avons appris, lors d'une réunion qu'a tenue le Conseil des doyens des facultés de médecine au début de ce mois-ci, que les coupures dans les transferts fédéraux destinés à la santé et à l'éducation post-secondaire se sont traduites, cette année, par une diminution de 18 à 30 p. 100 du soutien à l'infrastructure de recherche biomédicale, clinique et en santé dans les établissements de recherche universitaires.

Il faut absolument créer et maintenir au Canada un milieu favorable à la recherche et au développement. Je vous renvois au paragraphe qui figure au bas de la page 5 du mémoire:

Le fait d'avoir accès à un régime de réglementation concurrentiel à l'échelle mondiale et à un bassin de scientifiques spécialisés qui obtiennent leur diplôme d'universités canadiennes contribue pour beaucoup à attirer au Canada des investissements qui proviennent de toutes les régions du monde. En 1995-1996, le budget de 241 millions de dollars du CRM a permis d'assurer la formation de quelque 11 000 étudiants diplômés et boursiers de recherches post-doctorales.

Je cite un passage d'une lettre qu'Astra Canada a envoyée à la CRBS le 19 septembre 1995:

Le nouveau «groupe de planification stratégique à long terme» mis sur pied par nos fabricants, en Suède, a conclu que l'accès à des scientifiques spécialisés (Ph.D.) dans les secteurs cernés est essentiel au succès futur d'Astra, à sa croissance et à l'orientation qu'elle compte se donner au cours des dix années à venir.

Autrement dit, ils considèrent le Canada comme un pays où investir. S'ils voient que la recherche ne peut être réalisée de façon adéquate par une équipe de personnes bien formées, ils n'investiront pas au Canada, mais ailleurs. Il est donc très important de créer et de maintenir un milieu propice à la recherche et au développement.

Ce qui m'amène à notre deuxième recommandation qui figure à la page 7. En résumé, nous recommandons que le comité exhorte le gouvernement fédéral à prendre des mesures, dans son budget de février 1997, en vue d'accorder aux conseils subventionnaires des niveaux de financement concurrentiels.

Dans la recommandation 3, nous soutenons qu'il est urgent que le Conseil consultatif du premier ministre sur les sciences et la technologie évalue l'incidence des mesures de réduction du déficit sur la recherche au Canada.

Si nous voulons préserver le système de soins de santé du Canada, nous devons faire preuve d'imagination dans le domaine du financement de la recherche. C'est un des éléments-clés de notre proposition, qui est fondée sur le concept du produit potentiel. Il faut non seulement geler les niveaux de financement pendant trois ans pour que nous puissions réévaluer nos activités et tirer parti des investissements déjà réalisés, mais créer aussi 32 000 emplois à court terme, à peu de frais.

Il en coûte au CRM environ 5 500 $ par personne, par année, pour créer un emploi. Il en coûte vingt fois plus aux investisseurs de capital de risque pour faire la même chose. L'écart est donc très grand.

Il faudrait à long terme, en comptant sur le leadership du gouvernement fédéral, inciter les autres bénéficiaires de la recherche fondamentale, c'est-à-dire les fabricants d'instruments médicaux, les industries, les fabricants de produits génériques et les compagnies d'assurance, à investir dans la recherche médicale. Nous savons que le gouvernement n'investira pas d'avantage dans ce secteur. En tant que Canadiens, nous appuyons l'objectif général du programme de réduction du déficit. Nous l'appuyons tous. Par conséquent, nous devons trouver de nouvelles sources de financement.

L'honorable Paul Martin a déclaré au comité des finances de la Chambre des communes, le 9 octobre, qu'il y a des choses que l'entreprise privée et les marchés ne peuvent pas faire et ne feront pas. Le secteur privé ne peut offrir des soins de santé universels. Ce n'est pas son rôle. Les entreprises ne font pas suffisamment de recherche fondamentale. Elles poursuivent leurs propres objectifs. Elles ne peuvent effectuer toute la recherche fondamentale que nous devrions faire en tant que pays.

Nous avons un problème très grave. Les centres d'excellence doivent faire de la recherche dans le domaine de la santé. Des mesures draconiennes et concrètes s'imposent. Autrement, la recherche fondamentale dans les centres d'excellence risque de disparaître, et rapidement.

La quatrième recommandation à la page 12 du rapport met en lumière ce que je viens de dire.

Le comité des finances nationales du Sénat doit entreprendre une étude exhaustive de l'impact des décisions macro-économiques des divers paliers de gouvernement sur le système de recherche canadien; il doit proposer des mesures correctives dans le but d'assurer le financement public adéquat aussi bien de l'infrastructure que des activités de recherche au Canada.

En conclusion, nous savons que les études que réalise votre comité sont très exhaustives et détaillées. La Coalition vous encourage à examiner de près nos recommandations.

Le sénateur Stratton: Merci pour votre exposé. Je l'ai trouvé fort intéressant.

À l'heure actuelle, le gouvernement, grâce à son programme de réduction du déficit, aura presque réussi à équilibrer son budget au début de l'an 2 000, sauf si nous sommes confrontés à une récession très grave. Une fois le budget équilibré, les surplus augmenteront, parce que l'économie continuera de croître. Ce sera un moment idéal pour investir dans la recherche. Autrement dit, au cours des deux ou trois prochaines années, on recommencera à investir dans la recherche parce que les surplus enregistrés seront plus élevés, si l'économie continue à tourner comme elle le fait actuellement. Nous aurons ainsi l'occasion, au cours du nouveau millénaire, de connaître une croissance spectaculaire et de promouvoir la recherche.

Cela dit, vous allez peut-être devoir patienter à court terme pendant trois à cinq ans, et à long terme pendant dix ans, avant que le financement revienne au niveau auquel vous aspirez.

Ma question est la suivante: pouvez-vous composer avec la situation à court terme? Seriez-vous prêts à attendre qu'on réduise le déficit à zéro et qu'on franchisse ce seuil magique afin d'assurer votre potentiel de croissance dans les années à venir?

M. McLennan: Je ne pense pas que nous puissions attendre.

Le sénateur Stratton: C'est ce que je voulais savoir.

M. McLennan: Comme l'indique le graphique, il est question ici de dollars de 1998. Si la tendance se maintient, nous ne serons plus concurrentiels dans quatre ou cinq ans, suivant le scénario que vous proposez. Par conséquent, je ne crois pas que nous puissions attendre. Cela pose trop de problèmes.

À l'heure actuelle, les facultés, les hôpitaux, les établissements de recherche, ainsi de suite, qui sont communément appelés centres d'excellence, traversent une crise parce que leur financement a été réduit au cours des dernières années. Le financement de la recherche a tellement diminué que l'infrastructure est en train de s'effondrer. Je ne sais pas si nous serons en mesure d'attendre si longtemps. C'est pourquoi il est essentiel que nous trouvions de nouvelles sources de revenus dans le secteur privé, par exemple, pour redresser la situation.

Le sénateur Stratton: Si nous réussissons à obtenir de l'aide additionnelle du secteur privé, et je crois que c'est possible, des partenariats seront créés avec le gouvernement. Est-ce que c'est cela que font les autres pays? Est-ce que c'est cela que font la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Australie?

M. McLennan: Au début de septembre, j'ai assisté à une conférence de deux jours sur le financement de la santé à l'échelle internationale à Ottawa. La conférence se déroulait au Château Laurier. Douze ou quinze autres pays y assistaient. Ces pays font déjà, dans une certaine mesure, ce que vous laissez entendre, sauf qu'ils investissent plus d'argent que nous dans la recherche. Je ne veux pas vous ennuyer avec ce graphique, mais c'est pour cette raison que ces chiffres augmentent, parce que les autres pays investissent dans la recherche. Même le Japon, qui est en pleine récession, investit des millions de dollars dans la recherche parce qu'il est conscient de son importance et des retombées qu'elle procure.

Ces retombées se manifestent de trois façons différentes: vous tirez parti des avantages que procure la recherche; vous créez des emplois; et ces travailleurs paient des taxes et apportent une contribution utile à la société.

Inversement, si nous ne finançons pas la recherche, nous perdons ces avantages. Je suis sûr que vous comprenez fort bien la situation.

D'autres pays font déjà ce que vous proposez, en plus de consacrer plus de fonds à la recherche. Nous sommes convaincus de pouvoir trouver des fonds, des partenaires avec qui collaborer. C'est pour cette raison que j'ai parlé des autres centres.

Le sénateur Stratton: Merci.

Le président: J'ai quelques questions à poser.

Si l'on prend l'exemple de l'Université de la Saskatchewan, dans quelle mesure son budget a-t-il été réduit au cours des dernières années et quel impact ces réductions ont-elles eu?

M. McLennan: Dans notre collège, que je connais très bien puisque j'en suis le doyen, c'est le collège tout entier, et non simplement le secteur de la recherche, qui a dû composer avec des réductions de 12 p. 100 au cours des quatre dernières années. Bien entendu, le pourcentage est plus élevé, parce que ce 12 p. 100 est calculé sur des dollars qui perdent de la valeur au fil des ans. Nous pensions avoir connu le pire, mais c'est plus tard que nous sont arrivées les mauvaises nouvelles. Le gouvernement a gelé les contributions versées aux universités, et ce gel se répercute sur les collèges. Pour situer les choses dans leur contexte, monsieur le président, nous avons actuellement un manque à gagner de 19 millions de dollars dans notre propre collège, et il y en a 16 au Canada.

Le mandat du collège, bien entendu, est de donner une formation et de fournir des services cliniques; et ces deux fonctions, d'après notre énoncé de mission, peuvent être remplies avec efficacité si nous pouvons les appuyer sur la recherche et l'expérience clinique. Si nous n'avons pas les moyens de faire de la recherche, nous compromettons immédiatement les deux fonctions que nous sommes appelés à remplir, soit l'enseignement et les services cliniques.

Le président: Comment cela se traduit-il à l'échelle du pays? De toute évidence, il y aura peut-être une fuite des cerveaux.

M. McLennan: Effectivement.

Le président: Sénateur Stratton, avez-vous quelque chose à ajouter?

Le sénateur Stratton: À titre d'exemple, je connais bien le Fresh Water Institute de l'Université du Manitoba qui effectue de la recherche fondamentale sur les effets qu'ont les pluies acides sur les lacs à l'est de Winnipeg. On a pratiquement coupé tous les fonds à cet institut. Beaucoup des principaux docteurs dirigeant cette recherche ont quitté non seulement l'institut, mais aussi le pays.

Autre exemple, l'Énergie atomique du Canada, située à Petawawa, vient tout juste de signifier leur licenciement à 90 docteurs qui effectuaient de la recherche fondamentale sur l'entreposage sûr des déchets nucléaires. C'est aussi une perte. Nous sommes en train de perdre une grande partie de nos cerveaux, et cette menace pèse sur tout le domaine dont parle M. McLennan. Voir ce genre de compétences en recherche fondamentale quitter le pays est plutôt inquiétant.

Je suis conscient que je fais ici une déclaration plutôt que de poser une question, mais je tiens à manifester mon appui à M. McLennan. Après avoir moi-même vu des amis aller travailler à l'étranger, je sais que ce sont là des pertes irrémédiables. C'est ma grande crainte.

Voici l'occasion rêvée de soutenir cette recherche jusqu'à ce que nous ayons épongé notre déficit et franchi le seuil miraculeux. Toutefois, nous perdons actuellement des compétences en très grand nombre.

M. McLennan: Vous avez parfaitement raison. A notre collège, le corps professoral s'en va. Mais il y a pire encore: il faut beaucoup de temps entre le moment où débute la formation d'un étudiant en recherche et celui où il peut réellement se chercher un emploi et faire ce pourquoi il a été formé.

Nos étudiants diplômés ont le moral vraiment bas: ils voient les professeurs quitter les collèges de médecine, ils voient le faible moral des chercheurs et ils se demandent: «À quoi bon vouloir se lancer en recherche?»

Nous savons, en tant que nation, qu'il faut continuer d'amorcer le processus. Voyez le diagramme de l'annexe V, intitulé «Les investissements dans la recherche créent un cercle vertueux de débouchés moteurs de la croissance et le développement». Au haut du cercle se trouve la «Recherche fondamentale». Il faut amorcer le processus; il faut investir dans la recherche fondamentale, comme le dit le sénateur Stratton, si l'on veut créer de jeunes entreprises, puis des entreprises en essor et obtenir un rendement économique, et ainsi de suite. Il faut constamment réamorcer. Actuellement, nous sommes en train de désamorcer la pompe, d'où le dilemme.

J'aimerais demander à mon collègue de répondre à une question au sujet du financement.

Le président: D'un point de vue national, il me semble que la perte de matière grise causerait des difficultés de taille au pays, si elle se poursuit.

M. Clément Gauthier, directeur exécutif, Coalition pour la recherche biomédicale et en santé: Oui, sénateur Tkachuk. Vous avez demandé comment se traduira le sous-financement à l'échelle du pays. Je vous invite à jeter un coup d'oeil à l'annexe III de notre document. Voyez l'écart éventuel de rendement. Il se fonde sur les deux derniers concours tenus par le CRM, soit le Conseil de recherches médicales du Canada. Vous avez là le total des subventions et bourses qui avaient été recommandées, après qu'une évaluation des pairs selon un système international a jugé les projets comme très valables, c'est-à-dire qu'ils avaient une cote supérieure à trois, et qui ont été refusés. Ces projets de recherche sont très valables et compétitifs, d'après les normes mêmes du CRM qui sont comparables à toutes les autres normes internationales.

Ce total signifie qu'au cours de la dernière année, nous avons gaspillé l'équivalent de 82,1 millions de dollars en excellent potentiel de recherche qui, de la sorte, ne s'est pas transformé en savoir réel. Il faut faire le lien avec ce que disait M. McLennan au sujet de l'annexe V. Vous avez ici une perte de potentiel en termes de recherche fondamentale qui servirait d'amorce au cycle vertueux des possibilités de croissance et de développement. Les répercussions de cette perte vont au-delà de l'emploi immédiat d'étudiants et de la formation de chercheurs; elles peuvent s'étirer sur dix à douze ans, entraînant une baisse du nombre de BiochemPharma, de Vascular Therapeutics, réduisant le nombre d'entreprises qui exploitent la technologie et en font le transfert. En effet, elles ne peuvent le faire en l'absence du bassin de connaissances nécessaire pour attirer les investisseurs.

Le problème est à ce point grave que nous proposons comme solution au gouvernement de créer 32 000 emplois par année pendant trois ans, au coût de 500 millions de dollars. La solution préconisée se fonde sur le nombre d'étudiants et de services financés par le CRM chaque année.

Le président: J'aimerais que vous nous précisiez officiellement si, durant les années 80, les fonds de recherche, de recherche pure, versés aux 16 universités ont augmenté? Le montant, en dollars, a-t-il augmenté?

M. Gauthier: Oui, il y a eu une lente croissance au fil des ans, de 2 ou 3 p. 100 en moyenne. Vous pouvez la voir sur le graphique, ici, en tant que croissance cumulative. Par contre, nous étions tout de même le pays de l'OCDE finançant le moins la recherche.

Il manque un élément essentiel ici. Prenons à titre d'exemple le niveau de base -- pas la tendance, mais le niveau de base -- par tête: les États-unis investissent cinq fois plus que le Canada dans la recherche en matière de santé. En plus d'investir proportionnellement moins au niveau de base, nous abaissons lentement le niveau, de 2 ou 3 p. 100 chaque année, ce qui représente moins que le taux de l'inflation et beaucoup moins que l'indice d'inflation en recherche scientifique (de 7 p. 100). Non seulement nous ne comblions pas l'écart causé par l'inflation, mais nous l'aggravions, même si, parmi les membres du G-7, nous avions le taux d'inflation le plus faible. Cependant, il augmentait effectivement.

Lorsque l'honorable Monique Bégin était ministre de la Santé, au début des années 80, le Conseil de recherches médicales du Canada a vu son budget augmenter de 30 millions de dollars. Cette hausse s'explique essentiellement par le rôle très actif qu'a joué la ministre en vue de faire accroître le budget d'une seule année. Ce ne fut pas le cas du budget des deux autres conseils subventionnaires.

Il existe un moyen de comparer l'incidence de cette hausse. À l'époque, le CRM disposait d'un budget d'environ 150 millions de dollars; il a donc fait un bond énorme. Résultat: trois ans plus tard, le Canada s'imposait comme un leader mondial. Une façon d'évaluer l'impact de notre recherche scientifique par rapport à celle des autres pays consiste à examiner tout d'abord le nombre de citations dans des rapports de recherche internationale, soit l'indice de citation, puis l'indice des retombées, soit le nombre de fois que des chercheurs de l'étranger citent des articles de chercheurs canadiens. D'après des données produites en 1991, la recherche clinique et biomédicale canadienne a figuré, de 1983 à 1986, en tête de liste dans tous les domaines de la science en termes du nombre de publications, et nous étions le numéro un mondial, devançant même les États-Unis, en termes d'incidence de nos publications par tête. Nous sommes maintenant au deuxième rang, derrière les États-Unis. Je suppose qu'à moins d'y voir, notre rang continuera de glisser.

Cette année-là où le financement a été accru nous montre qu'une petite injection, soit de 30 millions de dollars par rapport à un budget de 150 millions de dollars, nous a essentiellement portés au sommet et a permis au Canada d'accueillir des investissements dans l'industrie pharmaceutique. Cette injection de fonds a aussi contribué à améliorer l'infrastructure dont nous avons besoin pour inciter l'industrie pharmaceutique à investir chez nous.

Le sénateur Bolduc: Étant donné ce que vous avez dit au sujet de l'impact sur les affaires, comment faut-il interpréter l'annexe IV qui prédit une augmentation du capital de risque en 1995 et en 1996 au Canada...

M. Gauthier: Oui.

Le sénateur Bolduc: ... en dépit d'une réduction du budget affecté à la recherche fondamentale?

M. McLennan: Faites-vous allusion au graphique de l'annexe IV?

Le sénateur Bolduc: Oui.

M. McLennan: Ce graphique n'illustre pas le financement de la recherche fondamentale, mais plutôt l'investissement en capital de risque dans les sciences de la vie. C'est l'élément Transfert de la technologie.

Par exemple, supposons qu'il y a 100 projets de recherche fondamentale. Seul un très petit nombre d'entre eux -- ce qui n'a rien à voir avec la qualité de la recherche -- aboutiront à un produit «commercialisable», à des retombées commerciales. Je serais d'accord avec cette notion, et le graphique l'illustre, pour la période allant de 1993 à 1996. Voyez la différence. Il faut se consacrer davantage à capitaliser la productivité de notre recherche. Ce graphique décrit essentiellement l'activité du Fonds de découvertes médicales canadiennes et d'autres financements à risque. Il affiche beaucoup d'activité actuellement, mais elle est très récente, car elle ne date que de 1995-1996. Nous commençons à capitaliser sur cet investissement, et il faut le faire en tant que pays. C'est bon, mais c'est en bout de ligne, entre le moment où commence la recherche fondamentale et où l'on obtient un produit commercialisable, etc.

Le sénateur Bolduc: En d'autres mots, nous récoltons ce qui a été semé durant les années 80.

M. McLennan: Exactement.

Le sénateur Bolduc: J'aimerais revenir au tableau concernant le budget de recherche affecté à la santé. On peut constater, comme vous l'avez dit, une baisse légère du budget canadien, alors que les autres pays de l'Occident, les plus importants étant les États-Unis et l'Europe -- le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France -- augmentent leur budget de 20 à 50 p. 100 approximativement entre 1990 et 1996, soit sur cinq ans. Cela signifie qu'en moyenne, ils ont augmenté leur budget de 5 à 10 p. 100 par année. Comment peuvent-ils le faire alors que leurs finances publiques ne sont pas en meilleur état que les nôtres? Je soupçonne que nous parlons ici d'investissements publics. Il ne s'agit pas d'investissements privés.

M. McLennan: Il s'agit effectivement de deniers publics. Je vous reporte encore une fois à cette conférence qui a eu lieu en septembre, ici à Ottawa, sur le financement international. Le modèle du Japon est probablement le plus intéressant, en ce sens qu'il s'est contenté, en tant que gouvernement, de dire -- le premier ministre Chrétien se réjouirait probablement d'avoir ce genre de pouvoir --: «Voici ce que nous allons faire». Et ils le font. Ils ont décidé d'investir massivement dans la recherche.

Examinons maintenant les données relatives aux États-Unis. Effectivement, le graphique montre que les États-Unis s'en sortent fort bien. À cette même conférence, on nous a précisé le budget du NIH, c'est-à-dire du National Institute of Health, qui est le pendant américain du Conseil de recherches médicales du Canada; il a pour mandat principal de financer la recherche en matière de santé. Son budget passera de 12 à 25 millions de dollars. Il n'obtient que 6,9 p. 100 de plus cette année, mais leur budget sera ensuite le double.

Le sénateur Bolduc: C'est le gouvernement qui paie.

M. McLennan: Oui. Au Royaume-Uni, ils ont décidé, il y a un an, de consacrer 1 p. 100 de leur budget de soins de santé à la recherche. C'est une question de priorités, d'après moi. Il faut vivre selon ses moyens, mais il faut aussi juger de nos priorités, en tant que pays.

Le sénateur Bolduc: La diminution relative au Canada par rapport aux autres pays occidentaux n'est pas une réaction à la baisse des transferts fédéraux aux provinces.

M. McLennan: Non. On ne commence qu'à sentir les effets de cette baisse. Le graphique montre que, lorsqu'on effectue des compressions partout, tous sont touchés. Il faut faire remarquer qu'à son crédit, M. Henry Friesen, président du Conseil de recherches médicales, s'est vraiment efforcé d'utiliser le budget de base qui lui était affecté pour attirer des fonds d'autres sources.

Malheureusement, les compressions générales effectuées à Santé Canada et dans d'autres ministères touchent aussi, bien sûr, le CRM, ce qui a étouffé ses tentatives en vue d'utiliser son budget comme levier financier et a considérablement limité sa marge de manoeuvre. On peut en voir les conséquences dans le graphique qu'a mentionné mon collègue, M. Gauthier: on a approuvé le financement de tant de projets de recherche de grande qualité après en avoir évalué la valeur scientifique, mais ils n'ont pas reçu les fonds parce que le budget de base était insuffisant.

Le sénateur Bolduc: Cet argent n'est pas du tout inclus dans les transferts sociaux.

M. McLennan: Effectivement.

Le sénateur Bolduc: L'argent consacré à la recherche.

M. McLennan: Nous parlons ici de recherche en matière de santé, effectivement.

Le sénateur Bolduc: Des fonds inclus dans les transferts sociaux sont versés aux universités de tout le Canada. Naturellement, on a aussi réduit ces fonds.

M. McLennan: Les fonds versés en espèces, oui.

Le sénateur Bolduc: Oui. Cette baisse des fonds versés en espèces affecte-t-elle, selon vous, des projets de recherche ou ne vise-t-elle que le fonctionnement de la faculté de médecine et d'autres facultés des universités?

M. Gauthier: Si vous me permettez de répondre, M. McLennan, dans son exposé, a mentionné une réunion du conseil des doyens des diverses facultés de médecine. En octobre, le conseil a confirmé que, par suite de la réduction des paiements de transfert en matière d'enseignement supérieur et de santé, les universités, les hôpitaux universitaires et les instituts de recherche affiliés disposaient de moins de ressources à affecter à l'infrastructure de recherche, cette baisse variant entre 18 et 30 p. 100 au cours d'une année. C'est l'impact de la première année d'application des compressions au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Le sénateur Bolduc: Savez-vous si les provinces diminuent autant leur transfert aux facultés de médecine qu'elles diminuent, par exemple, leur transfert aux facultés de droit ou de génie, ou encore d'administration?

M. McLennan: Je vous répondrai en termes de ma province, parce que c'est celle que je connais le mieux. Le gouvernement provincial de la Saskatchewan a simplement annoncé à l'Université de la Saskatchewan que son budget global était réduit et que ses subventions étaient diminuées de tant. Dans sa grande sagesse, le président de l'université a répondu: «Fort bien. Doyens des collèges, votre budget, cette année, baissera de tant. Utilisez-le comme bon vous semble».

Le sénateur Bolduc: Ainsi, il n'y a pas de réaffectation au sein des universités mêmes?

M. McLennan: Non. Vous entrez ici dans le domaine épineux de l'autonomie des universités, et cetera. Cependant, les établissements se demandent comment faire. La question que nous nous posons, au sein même de notre université -- et je suis sûr que la même chose se produit dans tous les autres établissements du Canada --, est: «Que faut-il conserver? Quels collèges? Quels programmes faut-il éliminer? Lesquels garder?» Bien sûr, ce n'est pas une décision qui se prend rapidement, pas plus que l'on ne peut récupérer rapidement des fonds, car, si un de vos enfants fréquente l'université, il doit y demeurer pendant quatre ou cinq ans avant d'obtenir son diplôme; par conséquent, si je décrète demain que nous fermerons le collège de médecine de Saskatoon, il faudra attendre cinq ans avant de réaliser des économies, de toute façon. Le véritable dilemme, pour les universités, est de trouver un moyen de maintenir un certain niveau d'activité jusqu'à l'obtention des surplus qu'elles attendent.

Le sénateur Bolduc: Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l'entreprise privée participe-t-elle à la recherche fondamentale?

M. McLennan: J'ignore quel pourcentage elle contribue.

Le sénateur Bolduc: Habituellement, elle n'y participerait pas beaucoup, parce qu'elle n'aurait pas d'intérêt immédiat à le faire. En termes de dépenses fiscales, supposons, par exemple, que General Electric décide d'investir 300 millions de dollars des 2 milliards de dollars de profits qu'elle a réalisés cette année dans de la recherche fondamentale à l'Université de Chicago. Cet investissement sera-t-il considéré comme une dépense fiscale?

M. McLennan: Je n'ai pas de données fermes concernant ces autres pays, mais, à mon avis, la situation est exactement la même là-bas qu'ici. L'industrie ou l'entreprise privée doit atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés et, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, il n'est pas question pour elle d'effectuer de la recherche fondamentale sans rapport avec ses objectifs. De plus, étant donné la conjoncture actuelle, il n'est pas question pour elle de faire des dons. Elle imposera des conditions à son investissement. Elle compte sur le milieu universitaire, sur le centre d'excellence en matière de santé, pour faire la recherche fondamentale.

Le sénateur Bolduc: Et que font les fondations?

M. McLennan: Vous voulez parler des fondations privées?

Le sénateur Bolduc: Oui.

M. McLennan: Je n'ai pas les données concernant le Canada. Cependant, à notre école de médecine -- et c'est une petite école --, le tiers environ des 15 millions de dollars de subventions et de contrats de recherche que nous obtenons chaque année viennent du CRM et un autre tiers, de fondations privées et nationales. Par conséquent, elles financent une part de plus en plus grande de l'activité.

Le sénateur Bolduc: Est-ce l'une des raisons pour lesquelles l'investissement, aux États-Unis et en Angleterre, augmente?

M. McLennan: Cela se pourrait. Le graphique illustre uniquement les fonds publics affectés à la recherche. Nous ne parlons pas ici d'investissements privés.

[Français]

Le sénateur Rizzuto: Monsieur le président, beaucoup de citoyens sont préoccupés par la manière dont certains centres de recherche opèrent, en particulier ceux qui ont reçu l'aide des gouvernements soit fédéral ou provincial. Dans un certain sens, ils ont fait quand même beaucoup d'argent et certains citoyens se demandent s'ils ne font pas de la spéculation.

Il y a des compagnies qui, à un moment donné, avaient des actions à 10 dollars, elles ont grimpé à 50 dollars et vice versa. Cela donne une image que l'aide que l'on accorde pour apporter des améliorations à nos recherches ne sert pas toujours. Dans certains cas, on peut penser que cet argent ne sert pas aux recherches mais pour permettre à certaines compagnies financières d'accroître leur profit.

Cela fait beaucoup de tort. Je viens de la région de Montréal et certaines personnes sont inquiètes. Quand on parle d'aider les centres universitaires, les gens deviennent un peu critiques. Est-ce que l'argent de nos taxes sert vraiment à la recherche ou bien est-ce qu'elle sert à certains individus pour faire de la spéculation? En cela, il y a une préoccupation de certains citoyens. Est-ce que vous êtes conscient de ce problème? Si oui, que peut-on faire pour éviter ces cas?

[Traduction]

M. McLennan: Au Québec, si je ne m'abuse -- et je lui envie sa position à cet égard --, le gouvernement provincial a décidé, il y a plusieurs décennies, d'investir plus dans la recherche en matière de santé. Il a créé le Fonds de la recherche en santé du Québec qui a été extrêmement utile pour financer la recherche fondamentale effectuée dans cette province. Il a permis à ces gens d'interagir avec les chercheurs du secteur privé et de produire des projets de recherche, et ainsi de suite.

Maintenant, pour ce qui est de votre question, soit de savoir si des deniers publics vont directement au secteur privé, j'ignore si vous avez un exemple précis en tête mais, comme je l'ai signalé dans mon exposé, il est nécessaire, au Canada, d'investir dans la recherche et le développement. Sans R-D, nous ne créerons pas d'entreprises, et tout le reste. J'ai mentionné, à titre d'exemple, BiochemPharma et TerraGen.

Partout dans le monde, les entreprises cherchent des endroits avantageux où brasser des affaires. Nous ne pouvons pas nous enfouir la tête dans le sable et dire que nous ne voulons pas nous salir les mains avec l'argent du secteur privé. Nous avons besoin de cet argent pour faire travailler nos chercheurs. J'ignore si j'ai répondu à votre question, mais, en un certain sens, le Québec a créé une infrastructure d'appui à la recherche qui fait l'envie du reste du pays.

Le président: Monsieur Gauthier.

[Français]

M. Gauthier: Monsieur le président, je voudrais vous rassurer au niveau du mécanisme. Il y a deux choses ici. Lorsque l'on parle des fonds publics donnés par le biais des agences fédérales, nommément le Conseil de recherches médicales du Canada, le CRSNG et le Conseil de recherche en sciences humaines, ces agences distribuent les fonds aux chercheurs à partir du système de revue par les pairs.

Avant que quelqu'un ait des fonds publics, ces trois agences couvrent la très grande majorité de la recherche académique faite dans les universités, les hôpitaux d'enseignement et les instituts de recherche associés. Tous les fonds publics doivent nécessairement passer d'abord par une revue par les pairs. Dans ces cas, à ces niveaux, nous employons des critères des plus spécifiques et des plus rigoureux. Ce n'est pas de l'argent pour appuyer l'industrie directement, il sert à la recherche dite fondamentale.

Par définition, elle n'a aucune application en vue au moment où on la fait. C'est notre problème. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas avoir des industries qui investissent là-dedans. Ils ne voient pas leur intérêt. C'est la recherche fondamentale, à portée sociale, à très grande ouverture et distribuée au public.

Nous avons des mécanismes qui assurent l'imputabilité; ces argents des payeurs de taxes vont effectivement être affectés aux universités et non pas aux compagnies. C'est le point numéro 1.

Le point numéro deux est le suivant: lorsque l'on assure une infrastructure en santé, des chercheurs qui ont des connaissances à jour concurrencent d'autres pays. Les gouvernements provinciaux font leur travail aussi, ils assurent les coûts indirects par une infrastructure en santé. L'on a alors ce qu'il faut pour amener les investissements globaux internationaux dans notre pays et nos provinces.

C'est là que l'industrie vient avec son argent mais elle paie selon des contrats indépendants. Ce ne sont pas des fonds publics. Ce sont des fonds privés. Les fonds publics sont complètement gérés par le biais des agences subventionnaires fédérales selon des critères très rigoureux et une imputabilité qui a été évaluée lors de la revue des programmes du gouvernement fédéral comme étant la meilleure, à un tel point que le Conseil consultatif national des sciences et de la technologie a recommandé que les autres ministères allouent de nouveaux fonds à la recherche à cause de la qualité de leur système et de leur imputabilité. Cela est clair. Les fonds se dirigent seulement à la recherche qui bénéficie au public, non pas à des compagnies privées.

Le sénateur Rizzuto: Si je comprends bien, ces compagnies recoivent de l'aide financière, pas nécessairement de fonds alloués à la recherche, mais de d'autres ministères pour la création d'emploi, et cetera. Plusieurs compagnies recoivent des fonds. Si les fonds servent uniquement à la recherche, il faudrait trouver un moyen de le faire savoir à la population.

[Traduction]

Le président: Nous parlons ici de subventions. Il est question d'argent affecté à la recherche universitaire, non pas à des entreprises privées.

M. Gauthier: La recherche coûte très cher. Pour demeurer compétitif par rapport aux autres pays, il faut acheter du matériel très coûteux et mettre en place une infrastructure dispendieuse. Souvent, l'entreprise pharmaceutique parraine un institut, payant de la sorte une partie de l'infrastructure. Cependant, le coût direct de la recherche réellement effectuée à l'institut, parfois coparrainée par l'industrie, est assumé par les conseils subventionnaires fédéraux grâce au processus d'examen par des pairs.

Tant ici qu'aux États-Unis, ces instituts reçoivent peut-être des fonds pour payer leur infrastructure -- la brique et le mortier -- provenant en partie de l'industrie, souvent en partenariat avec le gouvernement provincial. Cette façon de faire est en train de s'imposer comme la norme en raison du coût de toutes ces choses, mais la recherche comme telle fait l'objet d'un examen par des pairs, et les fonds versés par le gouvernement fédéral sont approuvés par un conseil subventionnaire; ainsi, dans cette mesure, l'institut doit vraiment rendre de très bons comptes.

Je me rends compte que la question que vous avez soulevée est peut-être liée à tout cela -- des dons faits par l'industrie à certains centres; il arrive que l'on fasse de tels dons, mais cela ne nuit pas au travail de l'organisme. La raison sociale est peut-être celle de l'entreprise, mais l'entreprise ne touche pas directement les fonds de recherche; ce sont les chercheurs qui les reçoivent.

Le sénateur De Bané: Messieurs McLennan et Gauthier, j'aimerais vous poser une question au sujet du point de votre mémoire intitulé: «La recherche comme moyen de préserver le système de santé et la compétitivité du Canada». Sous ce titre, aux pages 3 et 4, vous citez deux ministres de la Santé du régime actuel. Mme Marleau a déclaré que: «Notre système de santé... doit être défendu et protégé dans des conditions économiques difficiles qui posent un défi. C'est là le rôle de la recherche.» M. Dingwall, actuel ministre, a déclaré, pour sa part: «Le Canada doit définir les dossiers urgents en vue de combler des lacunes dans le financement de la recherche».

L'autre jour, un chercheur en médecine m'a dit que cette baisse des fonds affectés à la recherche médicale avait ceci de tragique que la baisse de qualité des services médicaux au Canada qui y est attribuable est invisible parce que, d'année en année, le public ne s'en rend pas compte. Il a dit que, dans 15 ans, elle sera très visible, mais qu'il sera alors trop tard parce qu'il faudrait 15 autres années pour la faire correspondre à nouveau aux normes mondiales.

Voici ma première question: est-il vrai qu'en raison d'un manque de financement de la recherche, la qualité des services médicaux se détériorera graduellement et qu'en fait, elle sera très visible dans 10, 15 ou 20 ans?

Deuxième question: si c'est vrai, pourquoi est-il si important que la recherche soit effectuée au Canada? Ne pouvons-nous pas en profiter tout autant si elle est effectuée aux États-Unis?

Je comprends l'aspect économique de la chose, que si nous n'effectuons pas de recherche au Canada, nous n'aurons pas d'entreprises comme BiochemPharma, que ce seront les États-Unis et la Suisse qui en profiteront. Je pose plutôt la question du point de vue des Canadiens, de la qualité des services de santé qu'ils reçoivent. Est-il important pour moi, en tant que consommateur canadien, que la recherche se fasse au Canada, en Italie, en Allemagne ou aux États-Unis? Voilà ce que j'aimerais savoir.

M. McLennan: Je vous réponds qu'oui, et je ne le dirai jamais assez. Ce chercheur à qui vous avez parlé a tout à fait raison. Voilà le dilemme. Nous ne pouvons pas attendre que des fonds soient peut-être débloqués à une date ultérieure. C'est maintenant qu'il faut alimenter le système. J'ai parlé plus tôt d'«amorcer la pompe», et c'est exactement ce dont il s'agit.

Vous demandez pourquoi nous ne pouvons pas laisser d'autres pays effectuer la recherche? Qu'est-ce qui vous fait croire que ces pays nous donneront l'information gratuitement? Ne croyez-vous pas que le coût de cette information serait encore plus élevé?

De plus, comme je l'ai dit plus tôt, la qualité de la pratique clinique et de l'enseignement dans les universités, tels qu'ils se font dans nos centres d'excellence, est fonction de la recherche. Si vous lisez l'énoncé de mission des 16 écoles de médecine du Canada, je suis sûr que vous y trouverez le même principe, soit que la qualité de l'enseignement, de la pratique clinique et des soins de santé est fonction de la recherche. On ne peut la remplacer par autre chose, pas plus qu'elle ne s'achète.

Je vous en donne un exemple. Pendant la guerre du Golfe, il n'y avait pas de centre de recherche sur les produits du sang au Canada. Je n'en étais pas conscient. Tous nos dons de sang étaient expédiés à l'étranger pour analyse et pour production des dérivés sanguins dont ont parfois besoin nos malades, dans les hôpitaux. Bien sûr, il existait au Canada un organisme bénévole auquel on pouvait donner du sang, et ainsi de suite, mais je ne me rendais pas compte que nous n'étions pas autosuffisants. Nous ne donnons pas suffisamment de sang pour répondre aux besoins de nos hôpitaux d'enseignement et, fait plus important, le Canada confiait à plusieurs centres des États-Unis le fractionnement de son sang.

Durant la guerre du Golfe, le président des États-Unis a signé un décret dont la plupart des Canadiens, comme moi, ignoraient l'existence ordonnant que, si la guerre du Golfe s'intensifiait et que des milliers de militaires américains étaient blessés, tous les produits sanguins soient conservés aux États-Unis et mis à la disposition des militaires. Les pays qui, comme le Canada, faisaient faire le fractionnement de leur sang et la recherche aux États-Unis, n'auraient plus rien reçu.

Voilà un exemple simple qui illustre bien que nous ne pouvons pas nous permettre d'être entièrement à la merci des autres; nous avons besoin de nos propres moyens scientifiques et de nos propres données.

De plus, il importe de soutenir l'activité dans tous nos centres médicaux. Nous ne pouvons pas tout concentrer à Montréal et à Toronto parce que, pour attirer de bons professeurs à Halifax, à Calgary, à Saskatoon, il faut leur offrir la possibilité de tenir leurs compétences à jour, de pouvoir se mesurer à leurs pairs du monde entier. Il faut offrir un environnement au sein duquel ils peuvent faire ce pourquoi ils ont été formés. Les meilleurs professeurs, les meilleurs cliniciens, sont ceux qui font de la recherche.

Voilà pourquoi nous ne pouvons pas laisser à d'autres le soin de le faire pour nous. Tout d'abord, je ne crois pas qu'ils nous donneraient l'information, puis, elle coûterait probablement plus cher que de la produire nous-mêmes. Enfin, nous renoncerions à tous les autres avantages.

Le président: Monsieur Gauthier.

[Français]

M. Gauthier: Honorable sénateur De Bané, si je peux compléter votre question qui est très intéressante, de savoir pourquoi faire la recherche au Canada, pourquoi ne pas l'importer des États-Unis? Au niveau de l'économie, à l'Université de Montréal nous avons un excellent économiste spécialisé en économétrie, M. Pierre Mohnen.

M. Pierre Mohnen a fait la dernière étude qui a été publiée par par le Conseil des sciences du Canada, une étude sur la relation entre la productivité et l'investissement en recherche et développement. C'était une revue de la littérature internationale.

Les conclusions majeures de cette revue étaient que l'investissement en recherche rapporte une retour direct d'environ 10 p. 100 à 40 p. 100 supérieur à l'investissement en capital. De plus ce retour social, c'est à dire les retombées sur les industries ou les corps auxiliaires au groupe qui fait l'investissement, ajoute un autre 50 à 100 p. 100 de retour sur l'investissement. Il a également démontré dans son étude que le retour sur l'investissement en recherche fondamentale était de beaucoup supérieur à l'investissement en recherche appliquée. Et, finalement, le retour sur l'investissement à la recherche faite au Canada est de 10 fois supérieur au retour si l'on achète cette technologie ou cette information ou si on la prend d'un autre pays. En terme de retour au Canada, c'est 10 fois supérieur. C'est un argument économique qui s'ajoute à l'argument de qualité de la formation des professionnels de la santé que M. McLennan vient de faire. L'étude existe et c'est une étude qui est très renommée. C'est une revue internationale de la litérature.

Le sénateur De Bané: M. McLennan nous a donné l'exemple très clair de la guerre du Golfe. Le président américain nous a dit que si jamais l'on a besoin de sang, il n'y a pas de sang qui peut être exporté. Je comprends cet exemple. Mais excusez mon ignorance, je n'arrive pas à comprendre ce problème de la dissimination des connaissances. S'il y a un domaine ou il n'y a pas de frontière, c'est le domaine scientifique. À toutes les semaines les scientifiques canadiens, par centaines, participent à des congrès internationaux. S'il y a un domaine ou il n'y a aucune barrière c'est bien le domaine scientifique. Tel scientifique dans tel laboratoire en Saskatchewan est en communication quotidienne avec ses collègues dans le monde entier, qui étudient le même domaine.

Alors, que la recherche soit faite ici ou ailleurs, est-ce que réellement cela fait une différence pour les Canadiens et pour la qualité des soins médicaux? Je suis d'accord avec M. Mohnen, votre économètre de Montréal, pour chaque dollar investit cela rapporte 15, 30 ou 40 dollars. Nous avons avec nous la sénateur Lavoie-Roux ancienne ministre de la Santé qui connaît bien ce suejt. Que la recherche soit faite au Canada ou aux États-Unis, est-ce que cela est important pour le patient? Est-ce important que la recherche soit faites ici? Vous pensez que cela est essentiel?

Je me rappelle lorsque j'étais ministre des Pêches et des Océans, c'est un ministère qui a une grosse composante scientifique, à toutes les semaines il y avait 15 ou 20 fonctionnaires du ministère qui participaient à des congrès internationaux, et cetera. Il n'y a pas de frontière dans ce domaine.

[Traduction]

M. McLennan: Puis-je répondre à cette question? Je crois qu'effectivement, il faut faire la distinction entre l'accumulation de savoir, sa préservation et sa diffusion, d'une part, et les titres de propriété intellectuelle, d'autre part. Vous dites qu'on peut diffuser les connaissances sur Internet. C'est vrai que vous pouvez communiquer sur Internet, comme le font les chercheurs, et je les en félicite. Moi-même, j'encourage mes chercheurs à le faire. Il faut collaborer. Il faut faire une utilisation plus judicieuse de ses ressources intellectuelles et économiques en collaborant.

L'ère du chercheur qui, seul dans son laboratoire, fait une découverte importante est essentiellement révolue, parce que la situation évolue trop vite. Il faut que les chercheurs collaborent entre eux.

Je prétends qu'il faut faire une distinction entre l'accumulation du savoir et la propriété de ce savoir. C'est là l'ennui. Il y a une différence entre les deux. Si vous créez du savoir, vous en êtes le propriétaire.

Poussons le raisonnement un peu plus loin et supposons que la propriété intellectuelle ou le savoir devient un produit commercialisable. Si vous êtes propriétaire du produit, vous en demeurez le propriétaire, et c'est vous qui décidez de son sort -- on pourrait reprendre l'exemple des produits sanguins. Il faut faire une distinction entre l'accumulation générale de connaissances et la création de savoir, la commercialisation et le rendement économique.

À mon avis, nous avons une contribution à faire, et il faut que nos chercheurs la fassent à l'échelle mondiale. Il faut qu'ils assistent à des conférences, et ainsi de suite. Je ne prétends pas que les chercheurs canadiens puissent tout faire, ni qu'ils le devraient. Il faut miser sur nos points forts. Sur la scène mondiale, le Canada n'occupe pas une grande place. Selon les données sur la recherche pharmaceutique, nous représentons quelque 3 p. 100 du total mondial. Nous ne jouons pas vraiment un grand rôle, et on pourrait se demander, en un certain sens: «Pourquoi investir au Canada?» Nous ne représentons que 3 p. 100 de l'activité. Cependant, pour en revenir à ce que vous disiez, nous sommes reconnus sur la scène mondiale comme ayant un bassin de chercheurs très bien formés et hautement qualifiés.

Notre système d'éducation, notre système d'examen de la recherche scientifique par des pairs dont a parlé M. Gauthier, sont tenus en haute estime. Habituellement, il n'y a pas de condition politique. La recherche est excellente. Il est difficile de répondre à votre question, mais je me contenterai de vous répondre qu'il faut pouvoir regarder les autres en face. Il faut pouvoir montrer que nous sommes capables de produire de la richesse au pays et que cette richesse vient de la recherche que nous effectuons.

Encore une fois, je vous renvoie à l'annexe V de notre document qui montre comment la recherche fondamentale, en haut, entraîne, quatre ou cinq ans plus tard, si ce n'est huit ans, la création d'entreprises, etc. C'est très mal servir les intérêts du Canada de ne pas investir en recherche fondamentale et de ne pas exploiter cet investissement.

Le président: Vous êtes les experts en la matière. Cependant, d'après le peu de lecture que j'ai fait à ce sujet, la recherche pure est un peu problématique parce que ce qui importe aux consommateurs est ce que j'appelle la «baisse de qualité des intellectuels».

Les intellectuels sont animés d'une grande curiosité. Si vous perdez des subventions de recherche, vous perdez des intellectuels. Quand l'exode des cerveaux se produit, ils sont remplacés par des personnes moins intelligentes auxquelles on confie la formation des étudiants. La situation n'est pas unique au Canada. Dans tous les pays du monde où il ne s'effectue pas de recherche, mais qui pourraient tout de même emprunter des idées et de l'information, nul ne songe même à le faire, en toute franchise. Si cela était si facile, les autres pays développés se contenteraient d'emprunter toute cette recherche. Or, nul ne veut travailler dans ces pays de toute façon, parce que les cerveaux veulent travailler là où l'on investit dans la recherche et où ils pourront donner libre cours à leur curiosité.

Il ne faut pas perdre ces cerveaux, parce qu'ils sont les mieux placés pour former nos futurs médecins, chercheurs et découvreurs. Voilà ce qui me préoccupe.

Si nos plus grands cerveaux quittent l'université de la Saskatchewan, cela nuit à l'étudiant qui s'inscrit à l'école de médecine et qui ne recevrait pas alors la qualité d'enseignement à laquelle il est en droit de s'attendre. Toute la qualité de nos services de santé en souffre: la qualité des gestionnaires, et tout le reste. Cela me préoccupe en raison de ce que j'ai lu au sujet de la recherche menée dans d'autres industries. Cela m'a toujours inquiété.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il est naturel pour un groupe comme le vôtre de venir ici demander plus d'argent et de plaider en faveur de la recherche médicale. C'est une bonne attitude. Par contre, je voulais vous demander si vous êtes conscient des compressions budgétaires auxquelles tous les autres sont astreints. Prenons par exemple la Saskatchewan, parce que vous n'avez peut-être pas en main les données relatives aux autres provinces. Si vous comparez le manque de croissance de vos fonds, voire la perte de subventions de recherche, dans votre système de soins de santé à celui d'une autre province, vous constaterez que l'autre a été encore plus durement touché. Ai-je tort de croire que les autres ont subi de plus grandes pertes que vous dans le domaine de la recherche? Ils n'ont certes pas obtenu d'augmentations depuis environ deux, trois, voire quatre ans.

M. McLennan: En Saskatchewan, la récession n'est plus l'exception, mais la règle. Je vous répondrai sur un plan national. J'aime taquiner mes collègues de l'Ontario qui ont dû récemment se plier à des réductions des fonds de recherche, entre autres; je leur dis qu'ils ne savent pas ce que sont de véritables compressions. Cet exemple est trop provincial. Revenons-en à la scène nationale.

L'annexe III donne une très bonne vue d'ensemble. Si vous le permettez, j'aimerais vous expliquer brièvement comment fonctionne le système d'examen par les pairs. Il s'agit d'un examen indépendant. Il permet de savoir ce que les meilleurs chercheurs du monde pensent de votre travail et si votre projet mérite d'être financé. C'est un processus sans lien de dépendance. C'est le meilleur moyen de juger une recherche.

Comme le disait plus tôt M. Gauthier, pour l'instant, du moins au cours des 12 derniers mois, d'après une échelle de cotation allant de 0 à 4, le maximum que vous pouvez obtenir est 4,9. C'est une note de 100 p. 100. Lorsque j'effectuais de la recherche de laboratoire, il y a quelques années, quiconque obtenait une cote de 2,5 ou plus s'en réjouissait, car il était assuré d'obtenir des fonds. Le seuil est maintenant de 4,0. En d'autres mots, si vous obtenez 4,1 ou 4,2, vous obtiendrez les fonds. Par contre, si vous obtenez moins de 4,0, vous n'obtenez rien. Quand j'ai dit que l'échelle variait de 0 à 4, j'aurais dû dire plutôt 4,9. Ce serait le maximum.

Les données du tableau de l'annexe III montrent combien de potentiel n'est pas réalisé, et vous demandez d'où sont censés venir les fonds. Nous avons investi dans ces jeunes chercheurs, dans ces facultés, dans ces postes. Nous les avons formés. Nous leur avons donné les moyens d'effectuer de la recherche et de produire un rendement économique pour le Canada, comme nous l'expliquons dans notre mémoire. Nous ne les finançons pas.

Les 82 millions de dollars que vous voyez là sont le potentiel qui n'est pas financé, le manque à découvrir. C'est le groupe de chercheurs dont le projet avait reçu une cote d'au moins 3,0. Je vous cite le cas d'un de nos chercheurs qui a reçu la cote de 3,79, cette année, en Saskatchewan. Il n'a pas obtenu de fonds. En d'autres mots, pour un oui ou un non, c'est fini, vous n'obtenez rien.

Cela a des effets catastrophiques, en raison du budget de base du CRM dans lequel on a si durement sabré. Donc, il existe un potentiel non financé. Si nous pouvions le financer et rétablir le budget de base, nous pourrions amorcer la pompe et créer le rendement économique souhaité par tous. Voilà d'où pourraient provenir une partie des fonds.

En deuxième lieu, il existe au Canada une base de données extrêmement riche. Nous effectuons de la recherche médicale et de la recherche en santé depuis quelques années, mais nous n'avons jamais vraiment cherché à en faire le bilan. À titre d'exemple, si vous administrez à un malade un médicament pendant 20 ans pour soigner un trouble particulier, quels en sont les autres effets? Une telle étude pourrait-elle nous apprendre quelque chose? En d'autres mots, il faut faire de l'étude d'évaluation. Cela ne coûtera pas beaucoup plus, mais il faut le faire afin de mieux comprendre ce que nous faisons.

En tant que pays et, certes, en Saskatchewan, nous croyons qu'il y a là une niche dont nous pourrions profiter; par ailleurs, nous ne sommes pas différents des autres provinces: il faut faire le bilan de nos études d'évaluation, des résultats de la recherche sur la santé, de la recherche en matière d'hygiène publique, et ainsi de suite. Nous pourrions ainsi profiter énormément de l'investissement que nous avons déjà fait. Il s'agit-là, encore une fois, d'une partie du potentiel de rendement dont il est question dans notre mémoire.

Par conséquent, je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il faut vivre selon ses moyens. Par contre, je maintiens qu'il y a moyen de faire un meilleur usage des dollars dont nous disposons.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez répondu en partie à mon autre question. M. Gauthier a fait allusion au Fonds de la recherche en santé du Québec. J'aimerais que vous me disiez quelle est la contribution des diverses provinces à l'égard de la recherche médicale?

M. McLennan: Je peux répondre très brièvement. Le FRSQ est l'archétype en la matière. Dans le reste des provinces, on aurait voulu que les gouvernements provinciaux subventionnent la rechercche en santé de la même façon.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les provinces clament tout le temps qu'elles n'en ont jamais assez, je peux vous le dire.

M. McLennan: Bien sûr, mais elles se comportent comme un bébé dans une confiserie.

L'Alberta dépense environ 9 $ par habitant au titre de la recherche médicale. En Saskatchewan, nous dépensons 1,2 $. La Colombie-Britannique y consacre entre 4 et 5 $ par personne. Je ne connais pas les chiffres pour l'Ontario. Dans les provinces de l'Atlantique, les chiffres sont également assez bas.

Je me rends parfaitement compte que les provinces ont compétence en matière de santé et d'éducation, comme nous le savons tous. Les affaires sont beaucoup plus à l'ordre dans certaines provinces que dans d'autres à cet égard; certaines d'entre elles ont décidé d'investir dans la recherche médicale et récoltent maintenant le fruit de leurs efforts.

Je vous donne un exemple local, mais je ne veux pas vous surcharger d'information en ce qui a trait à la Saskatchewan. Il y a quelques années quelqu'un avait persuadé le gouvernement provincial d'investir dans le domaine de la technologie agricole. Comme vous le savez peut-être, l'Université de la Saskatchewan dispose maintenant d'un centre de recherche en biotechnologie agricole de niveau mondial. C'est fantastique. Je m'émerveille devant le fonctionnement de cette machine qui attire ses propres investissements. Pourquoi cela est-il arrivé? Parce que le gouvernement provincial a accepté d'investir dans l'entreprise et de la mettre sur pied.

Je n'ai pas réussi jusqu'à maintenant à convaincre le ministre provincial de la santé d'investir de la même manière dans la recherche médicale pour que j'aie à mon extrémité du campus un centre similaire. Jusqu'à maintenant mes efforts n'ont pas porté fruit. Le modèle existe. Il fonctionne.

Le président: Il vous faut un médecin comme premier ministre.

M. McLennan: Je suppose que vous avez raison.

Le sénateur Lavoie-Roux: Votre première recommandation m'a un peu surprise. Vous dites que les dépenses du gouvernement fédéral pour les programmes sociaux sont plus de quatre fois supérieures à ses dépenses pour la santé. Vous dites: «La CRBS recommande fortement que le gouvernement accorde une plus grande priorité aux dépenses pour la santé, que ces dernières soient protégées et maintenues au niveau actuel pour au moins trois ans...»

J'ai l'impression et je me trompe peut-être, que les programmes sociaux dans ce pays ont été plus durement touchés par la réduction du déficit. Je ne crois pas que l'on puisse séparer de la santé l'objectif ou le résultat des programmes sociaux. Les deux sont si étroitement liés.

Supposons qu'on les maintienne et que l'on augmente les allocations familiales de même que les programmes sociaux de tous genres. Nous savons toutefois qu'il n'en a pas été ainsi au cours des dernières années. Votre recommandation m'a donc un peu surprise.

M. McLennan: Je répondrai en revenant à la question qu'a posée le sénateur De Bané il y a quelque temps en parlant de son ami chercheur qui disait: «Si je ne poursuis pas ces travaux, est-ce que cela aura de l'importance?»

Toute application, tout acte médical, tout médicament n'existeraient pas aujourd'hui sans la recherche fondamentale qui a été effectuée il y a un certain nombre d'années. C'est ce que le grand public arrive difficilement à comprendre. C'est un peu la même chose avec mon fils de 19 ans qui fume un peu. Il ne fume pas à l'intérieur de la maison, mais il fume tout de même. J'ai beau lui dire qu'il ne devrait pas fumer étant sonné ce qui l'attend dans 20 ans, il ne comprend pas.

Le sénateur Lavoie-Roux: Mon grand-père vit toujours et il fume.

M. McLennan: Il y a toujours une exception. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut continuer à investir dans la recherche fondamentale pour mettre au point les produits et les thérapies dont nous avons besoin. L'ami du sénateur De Bané a tout à fait raison lorsqu'il dit que si nous ne le faisons pas, l'effet est peut-être invisible pour l'instant, mais se fera sentir un jour.

Pour revenir à votre préoccupation, nous ne disons pas qu'il n'est pas important de consacrer de l'argent aux programmes sociaux, mais que la prestation des soins de santé fait partie intégrante de cette cohésion sociale que nous considérons si importante dans notre pays. Je crois que c'est ma réponse à votre question.

Le sénateur Lavoie-Roux: Sauf que si vous exagérez les compressions à l'égard des programmes qui s'adressent aux handicapés sociaux, je dirai aux fins de la discussion, que les problèmes de santé augmenteront également.

M. McLennan: Tout à fait. Leurs conditions socio-économiques sont une composante de leur santé.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis favorable à la recherche médicale. Personne ici ne s'y oppose, mais vous devez établir vos priorités et faire à ce moment-ci un choix parmi les programmes. C'est une situation très délicate.

M. McLennan: Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, nous devons trouver le juste milieu.

M. Gauthier: Je vais faire rapidement une dernière observation sur l'investissement dans le domaine de la santé. Il faudrait vous rappeler que les transferts du gouvernement fédéral aux provinces dans le domaine de la santé viennent aussi à l'appui de l'infrastructure de la recherche médicale dans les hôpitaux d'enseignement et les instituts de recherche. C'est un investissement en ce sens que, si nous faisons de la recherche évaluative, cela pourrait faire baisser les coûts. Il s'agit d'une «rétroaction positive», comme nous disons dans notre domaine de spécialité, qui permettra en fait de diminuer les coûts à long terme. En ce sens, il s'agit donc d'un investissement plutôt que d'une dépense.

J'aimerais aussi donner un exemple au sénateur De Bané afin de lui expliquer pourquoi les médecins devraient tenir à ce que les scientifiques qui les entourent possèdent des connaissances de pointe et fassent activement de la recherche. Je crois que nous oublions un point ici. Nous parlons toujours du point de vue national et nous essayons toujours de trouver des solutions à ce niveau, mais nous ne devrions pas oublier que le Canada est composé de régions et de provinces qui ont des besoins particuliers en matière de santé. Prenez-moi, par exemple, je viens du Lac Saint-Jean.

Le sénateur Lavoie-Roux: Un autre.

M. Gauthier: Dans cette région du pays, l'hypertriglycéridémie -- on entend par là l'augmentation pathologique du taux des triglycérides du sang -- est très courante en raison surtout de la consanguinité. Il y a dans ce domaine, dans la province, beaucoup de travaux de recherche qui n'auraient pas été effectués aux États-Unis parce que cette maladie n'est pas leur principale priorité. Ils s'intéresseraient plutôt à la maladie cardio-vasculaire, au sida ou à quelque autre maladie.

Nous devons également répondre aux besoins de notre population, ceux des peuples autochtones par exemple, ou les gens du Lac Saint-Jean qui semblent atteints d'une maladie précise; il faut donc une équipe de médecins traitants et de chercheurs spécialistes qui sont en mesure d'intervenir pour fournir un traitement adéquat.

Le président: Avez-vous une question, sénateur Stratton?

Le sénateur Stratton: Oui. Si nous explorons les possibilités et les probabilités, des ballons d'essai ont été lancés au cours des deux ou trois dernières années, je crois, au sujet de l'union économique des provinces de l'Atlantique, par exemple, de même que du Manitoba et de la Saskatchewan, tout simplement parce que nous n'avons pas la population qu'il faut pour soutenir toute l'infrastructure dont nous disposons à l'heure actuelle. L'idée n'est pas saugrenue, surtout si l'on considère qu'à peu près un million de personnes vivent dans chacune des deux provinces.

Pour ce qui est de ma propre province, je crois que le Manitoba a trois universités. Compte tenu de l'importance du maintien de la recherche dans votre province, pour ce qui est de la qualité des soins de santé, ne serait-il pas opportun que les universités du Canada songent à la rationalisation. Par exemple, le Manitoba et la Saskatchewan pourraient se réunir et dire: «D'accord, nous devrons faire des compressions dans certains programmes et déterminer ce que nous devrions faire et ne pas faire en fonction de certains avantages mutuels». Autrement dit, le Manitoba et la Saskatchewan y gagneraient si elles pouvaient rationaliser leurs activités -- un mot merveilleux -- et faire des compressions -- une autre merveilleuse expression que nous aimons tous utiliser à l'heure actuelle -- pour que le système fonctionne vraiment mieux à moindre coût. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. McLennan: Je crois que vous avez tout à fait raison. En fait, nous utilisons l'expression «alliance régionale d'universitaires dans le domaine de la santé» pour accomplir ce que vous venez tout juste de dire, ou à tout le moins établir un cadre pour y parvenir. Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Comme je l'ai dit plus tôt, la recherche n'a pas de frontières. Je ne cesse de le répéter à ma faculté. Au sein de l'institution, les frontières n'existent pas. Les structures départementales nuisent à la recherche. Vous avez tout à fait raison et les alliances régionales d'universitaires dans le domaine de la santé constituent une tentative en ce sens.

Comme vous le savez, toutes les provinces se lancent plus ou moins dans la réforme des programmes de santé. Il n'en est pas moins vrai en Saskatchewan. Une partie de la réforme des soins de santé porte sur la recherche des résultats et consiste à rassembler autour du médecin un groupe de quatre ou cinq professionnels qui s'intéressent aux problèmes. C'est exactement ce que vous dites, sauf que vous parlez de collaboration interprovinciale.

Le sénateur Stratton: Cela se passe à l'heure actuelle?

M. McLennan: Oui. Il s'agit de la deuxième étape de la réforme.

Le président: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier ces messieurs d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Je crois que l'on peut parler d'une réunion profitable lorsque tout le monde apprend quelque chose, ce qui fut le cas aujourd'hui. La réunion a été très instructive. Nous vous remercions d'être venus témoigner.

Je remercie tous les sénateurs d'avoir posé des questions.

Le comité suspend ses travaux.


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