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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 3 - Témoignages


Ottawa, le mardi 4 juin 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner les répercussions de l'intégration économique de l'Union européenne sur la conduite des affaires publiques nationales des États membres et les répercussions de l'émergence de l'Union européenne sur les relations économiques, politiques et militaires entre le Canada et l'Europe.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'honorable Art Eggleton, ministre du Commerce international, qui nous aidera à mener à terme nos travaux sur ce sujet.

Monsieur Eggleton, allez-y de vos remarques liminaires, je vous en prie; nous vous poserons ensuite quelques questions.

L'honorable Art Eggleton, ministre du Commerce international: Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui en compagnie de hauts fonctionnaires de mon Ministère. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Jean-Pierre Juneau, sous-ministre adjoint, Secteur de l'Europe, de M. Gordon Venner, directeur adjoint, Division de l'Union européenne, et de M. Paul Haddow, directeur des droits de douanes et de l'accès aux marchés.

[Français]

Je n'ai pas besoin de rappeler, honorables sénateurs, l'importance de l'Union européenne. C'est un marché vital pour la survie du Canada.

[Traduction]

L'Union européenne est le deuxième débouché après les États-Unis. En 1995, les exportations de biens canadiens sur son territoire ont atteint 16 milliards de dollars, une progression de 33 p. 100 et près des trois quarts de ces importations étaient des demi-produits ou des produits finals. Les importations en provenance de l'UE ont pour leur part totalisé 22,5 milliards de dollars, soit une augmentation de 23 p. 100 par rapport à 1994. Même si la balance est en leur faveur, nos exportations sont à la hausse.

Les exportations canadiennes sur le marché de l'UE comportent un pourcentage élevé de biens à forte valeur ajoutée et un volume en augmentation constante de services commerciaux. S'il y a eu depuis 1985 une diminution des exportations de certaines catégories de produits alimentaires, de produits bruts non comestibles et de demi-produits, il y a eu en contrepartie une augmentation régulière des exportations manufacturées ou finales à haute valeur ajoutée.

L'UE est aussi la deuxième source d'investissements directs étrangers au Canada et la deuxième destination des investissements canadiens à l'étranger. Les investissements directs de l'UE au Canada ont atteint 36,2 milliards en 1995 et représentent 22 p. 100 du stock des investissements directs étrangers au Canada. Je devrais mentionner ici que les investissements de l'UE sont dans des secteurs qui traditionnellement ont revêtu de l'importance pour le développement économique du Canada, par exemple les services financiers et la production industrielle. Par contre, les investissements canadiens dans l'UE ont atteint 28 milliards de dollars en 1995, soit 20 p. 100 de l'ensemble des investissements directs du Canada à l'étranger.

Le Canada constitue un milieu profitable pour plus de 4 000 filiales de sociétés européennes. De nombreuses autres firmes ont des mandats régionaux ou mondiaux en R-D ou en production. Ces filiales constituent d'importants véhicules pour le transfert au Canada, et tout particulièrement à la petite et moyenne entreprise, de compétences en gestion et de technologies de pointe.

Vu l'énorme volume du commerce et des investissements Canada-UE, le nombre de points de friction est minime. Toutefois, les difficultés qui surgissent sont généralement difficiles à résoudre.

Nous avons néanmoins pu faire des progrès substantiels en décembre dernier quand nous avons négocié avec l'Union une entente sur une large gamme de problèmes commerciaux. Nous avons mené à terme les négociations en vertu du GATT (article XXIV:6) sur la compensation à verser au Canada à la suite de l'adhésion de trois nouveaux pays à l'UE. Cette entente règle aussi la question des droits du Canada en ce qui concerne ses exportations d'orge à la suite d'expansions antérieures de l'UE ainsi que les questions des droits compensateurs sur le boeuf et des contingents sur le fromage.

De plus, l'entente met en place une solution provisoire en ce qui a trait aux obligations de l'UE relativement au commerce céréalier en vertu de l'accord sur l'agriculture issu de l'Uruguay Round.

Nous examinons aussi les conséquences d'une expansion future de l'UE à l'Est. D'ici à 2025, une Union européenne regroupant de 25 à 27 États membres pourrait compter près d'un demi-milliard d'habitants -- ce qui la placerait au troisième rang derrière la Chine et l'Inde, en termes de population. Le potentiel économique d'un marché aussi vaste et riche est énorme et le Canada doit être prêt à exploiter cette expansion en encourageant les entreprises canadiennes à prospecter l'Europe centrale et l'Europe de l'Est.

Les développements qui auront lieu au sein de l'UE, par exemple l'élargissement et l'union monétaire, sont à la base de certaines des questions fondamentales que le Canada doit se poser au sujet du continent européen à l'aube d'un nouveau siècle. Il faut donc procéder à un examen rigoureux de l'évolution de l'UE, ce qui nécessitera des recherches et des analyses approfondies. Dans cette perspective, mon ministère effectue actuellement des études qui devraient être terminées en mars 1997.

Le Canada se préoccupe tout particulièrement d'une directive de l'UE qui interdirait l'importation des fourrures de treize espèces animales. Cette interdiction doit entrer en vigueur le 1er janvier 1997. Nous cherchons de concert avec d'autres pays une solution en ce qui a trait au piégeage non cruel et nous espérons y parvenir avant cette date.

Parmi les autres irritants commerciaux que nous gérons actuellement, on retrouve l'embargo de l'UE sur les importations de bois d'oeuvre non traité et les efforts de l'Italie pour restreindre les importations de semence bovine. L'UE continue également de s'opposer aux droits compensateurs canadiens sur ses exportations de boeuf ainsi que de s'objecter au fait que nous n'observons pas les appellations d'origine du vin et aux pratiques des régies provinciales des alcools. Il ne s'agit pas dans l'ensemble de préoccupations importantes mais cela reste malgré tout des irritants.

Le Canada et l'UE s'inquiètent de l'application extraterritoriale des lois américaines. Certaines des mesures que renferme la Loi Helms-Burton créent un dangereux précédent qui pourrait sérieusement endommager le système de l'investissement international et l'environnement commercial mondial. La Commission et le Parlement européens ont eux aussi critiqué la loi américaine et leur Parlement a voté une résolution qui condamne la Loi Helms-Burton et toutes les mesures unilatérales adoptées par les États-Unis contre le libre commerce mondial.

Il est important de maintenir la pression internationale sur l'administration américaine afin qu'elle exerce ses pouvoirs discrétionnaires et qu'elle atténue l'effet de la Loi Helms-Burton sur les pays tiers. Le Canada envisage de modifier sa Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères afin de contrer les effets de la Loi Helms-Burton. Si d'autres pays prennent des mesures similaires, cela augmentera la pression sur les États-Unis.

Le Canada et l'Union européenne comptent sur l'Organisation mondiale du commerce pour assurer le cadre de nos relations commerciales fondées sur des règles. Mais depuis 1976, nous avons aussi recouru à l'Accord-cadre de coopération économique pour gérer nos relations économiques et commerciales bilatérales. L'Accord prévoit des consultations annuelles au niveau ministériel ainsi que des consultations intensives au niveau des fonctionnaires responsables des divers secteurs économiques. La dernière réunion à ce niveau a eu lieu le 18 mars et j'y ai participé avec sir Leon Britten de l'Union européenne.

Le Canada reste l'une des rares nations dans le monde qui doivent encore exporter à un tarif supérieur au tarif douanier commun. Les autres pays dans cette situation sont les États-Unis, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Même après avoir réduit les tarifs conformément aux accords de l'Uruguay Round, l'Union continue d'imposer des droits importants sur des produits comme l'aluminium, le cuivre et d'autres métaux non ferreux, les produits chimiques, le matériel de télécommunications, le poisson et les produits du poisson, les produits agricoles et les produits du bois. Les droits sur ces produits vont de 3 à 10 p. 100 et atteignent même 25 p. 100 sur certains produits du poisson.

Le Canada serait plus concurrentiel sur le marché européen s'il bénéficiait des mêmes règles qui s'appliquent aux pays ayant déjà une entrée préférentielle. J'ai soulevé cette question à la réunion quadrilatérale qui a récemment eu lieu à Kobe au Japon et nous espérons améliorer quelque peu la situation dans certains de ces secteurs d'ici peu.

L'accélération du rythme des changements au sein de l'UE ces dernières années, à savoir la consolidation du marché unique, l'élargissement récent et la conclusion d'une série d'accords de libre-échange avec des pays de l'Europe centrale et orientale, a aussi modifié la nature du marché européen. Ces changements présentent aussi des défis de taille pour le Canada: concurrence plus vive, obstacles non tarifaires et rivalité plus grande dans la course aux investissements étrangers.

Parallèlement, le marché unique et la transition des pays d'Europe centrale et orientale à une économie de marché favoriseront la croissance et stimuleront la demande d'importations, ce qui ne manquera pas de profiter aux entreprises canadiennes. Le gouvernement canadien suit de près le processus de l'union monétaire européenne. Comme il subsiste des interrogations quant à la mise en oeuvre de l'UME, par exemple le nombre de pays de l'UE qui y adhéreront, on ne sait pas encore clairement quelles seront les implications pour le Canada. Toutes les projections faites actuellement sont hautement spéculatives et c'est pourquoi nous avons entrepris une étude exhaustive de la question.

Vu l'importance de nos relations de commerce et d'investissement avec l'Europe, il nous faut maintenant axer notre relation non plus principalement sur les impératifs stratégiques mais de plus en plus sur nos intérêts économiques communs, reflétant en cela les efforts de libéralisation du commerce dans d'autres régions du monde (l'APEC, les Amériques et cetera). C'est précisément ce à quoi doit servir la nouvelle initiative transatlantique.

[Français]

Nous en sommes à un stade critique avec l'Union européenne sur une déclaration politique et sur un plan d'action.

[Traduction]

Nous avons réduit nos points de désaccord à l'essentiel. Nous en sommes à un stade critique dans nos négociations, la réunion ministérielle de l'Union européenne ayant lieu dans quelques jours, c'est-à-dire le 18 juin. Si une entente doit être conclue avant la fin de la période de l'élection à la présidence en Italie à la fin de juin, alors vous pouvez facilement comprendre l'importance cruciale que revêtent les négociations en cours. Nous devons conclure une bonne entente pour le Canada, sinon nous ne pourrons procéder selon l'échéancier souhaité.

Nous avons proposé que l'entente comporte une étude conjointe sur la libéralisation du commerce transatlantique ou du marché transatlantique comme y font référence les États-Unis dans leur plan d'action. Nous voulons aussi un libellé qui reconnaisse notre rôle clé dans les relations économiques transatlantiques à titre de partenaire de l'UE et des États-Unis. Nous avons aussi proposé l'inclusion d'initiatives culturelles importantes dans l'entente, surtout en matière de coopération audio et audiovisuelle de même que cinématographique.

Si nous parvenons à régler ces questions et d'autres points de désaccord, une entente sera conclue. Il y a aussi bien sûr la question du combat que se livrent le Royaume-Uni et l'Union européenne au sujet de la maladie de la vache folle et des mesures de boycottage que celle-ci a suscité et qui sera examinée par les ministres.

Nos efforts en vue d'élargir les horizons commerciaux du Canada ne s'arrêtent pas à l'Europe. Comme vous le savez, les perspectives de croissance des exportations et de l'investissement dans l'hémisphère américain sont exceptionnelles. Si la tendance se maintient, d'ici à l'an 2000, notre hémisphère comptera plus de 750 millions d'habitants et aura un PIB de plus de 9 billions de dollars.

Les exportations du Canada en Amérique latine ont presque doublé depuis quatre ans, passant de 2,6 à 5 milliards de dollars, soit plus que nos exportations combinées vers la France et l'Allemagne, pour vous donner une petite idée de ce qu'il en est. Durant la même période, nos investissements dans les Amériques ont grimpé de 6 à 13 milliards de dollars.

L'ampleur des activités bilatérales et le rythme dramatique des mesures unilatérales de libéralisation du commerce dans la région ont conduit à vouloir créer une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) qui réunirait les continents et les îles des Antilles. Les dirigeants réunis à Miami au sommet des Amériques en 1994 se sont engagés à compléter les négociations sur l'ALÉA d'ici à 2005 et à réaliser à cet égard des progrès substantiels d'ici à la fin du siècle. Le Canada veut des progrès rapides et concrets dans ce dossier. Nous croyons que les pays devraient être prêts à discuter du moment du lancement des négociations officielles dès l'an prochain.

D'autre part, le Canada négocie actuellement avec le Chili un accord intérimaire de libre-échange. Les négociations sont présentement en cours à Ottawa et favoriseront nos intérêts commerciaux et d'investissement sans compter qu'elles serviront d'arrangement transitoire dans l'attente de l'accession de ce pays à l'ALÉNA. Comme les États-Unis ne sont pas pour l'instant en mesure d'accélérer les négociations avec le Chili, nous procédons de façon bilatérale.

Parmi les grandes économies latino-américaines je devrais dire que l'économie chilienne est l'une des plus fortes et des plus stables et l'une de celle où le taux de croissance est le plus rapide. Notre commerce bilatéral a plus que doublé depuis dix ans, atteignant un sommet de 665 millions en 1995. Les exportations canadiennes, 386,1 millions de dollars étaient en hausse de 20 p. 100 par rapport à 1994. Encore plus impressionnants sont les investissements, tant ceux qui sont en place que ceux qui sont prévus, qui totalisent quelque 7 milliards de dollars. Ce pays est clairement une économie solide où les Canadiens peuvent de bonnes affaires.

Monsieur le président, je voudrais conclure par quelques mots sur la dimension «Pacifique» de nos relations économiques et commerciales. La croissance rapide des économies de la région Asie-Pacifique a de plus en plus retenu l'attention des observateurs. Faisant fond sur des taux élevés d'épargne intérieure et sur une saine gestion économique, les tigres de l'Asie -- Hong Kong, Taïwan et la Corée -- et les pays de l'ASEAN ont suivi l'exemple du Japon. Dans tous ces cas, la croissance des importations dépasse largement la croissance globale du PNB. Les classes moyennes, qui prennent rapidement de l'ampleur, sont le gage du maintien de la demande de consommation.

Le Canada a accès à cette région dynamique principalement gråce à sa participation au mécanisme de coopération économique Asie-Pacifique, l'APEC. À la réunion de 1994 des dirigeants de l'APEC à Bogor, en Indonésie, les participants se sont fixé comme défi d'instaurer le libre-échange dans la région d'ici à 2010, et d'ici à 2020 dans le cas des économies en développement.

En désignant 1997 comme l'année Asie-Pacifique du Canada, nous espérons travailler activement avec nos partenaires du secteur privé et avec les ONG à travers le pays. Notre objectif est d'instituer la tradition d'une participation et d'une activité plus grandes du Canada en Asie et de faire fond sur cette tradition pour assurer la croissance et la prospérité du Canada dans le prochain siècle. L'appui actif de votre comité revêtira à cet égard une importance énorme. Nous devons sensibiliser les Canadiens aux débouchés qu'offre ce marché, non seulement les Canadiens de la côte Ouest, qui sont déjà conscients de l'importance de celui-ci, mais les Canadiens de toutes les régions du pays.

[Français]

Le gouvernement canadien incite vigoureusement l'Union européenne, l'Amérique du sud et l'Asie à développer des liens politiques et économiques à plusieurs endroits.

[Traduction]

Monsieur le président, je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Andreychuk: Il me semble que, au fur et à mesure que la Communauté européenne prend de l'expansion, nous sommes de plus en plus contraints de trouver de nouveaux marchés pour remplacer ceux que nous perdons. Lorsque le ministre polonais des Affaires étrangères est venu au Canada récemment, je lui ai demandé si la Pologne envisageait d'accroître ses échanges de même que ses investissements avec le Canada, plutôt que de se tourner vers l'Europe et de se joindre l'Union, où elle sera obligée de se conformer aux politiques de celle-ci. Il a dit très franchement que la priorité première de la Pologne était d'intégrer l'Union, et que tout le reste était secondaire.

Nous savons par expérience que lorsqu'une expansion se produit, nous devons lutter pour obtenir notre juste part des marchés ou atténuer nos pertes. Est-ce que votre ministère a mis au point de nouvelles stratégies ou initiatives pour se préparer à l'avance? Je crains que nous ne perdions du terrain, que nous n'ayons pas accès assez rapidement à des marchés qui pourraient nous offrir des perspectives intéressantes, et aussi que nous ne perdions des marchés de produits et de services dont ont désespérément besoin les petites et moyennes entreprises au Canada.

Bien que les chiffres indiquent que le volume de nos échanges augmente, disposez-vous de statistiques qui montrent comment s'en tirent les régions individuelles au Canada?

Permettez-moi de vous donner un exemple. Nous exportons des pommes de terre en Europe, mais vers trois pays seulement. Lorsque d'autres pays ont intégré l'Union européenne, nous avons commencé à perdre notre juste part de ce marché, et la région de l'Atlantique en a beaucoup souffert.

Comment pouvons-nous tirer parti de cette expansion et, en même temps, protéger les investissements et les débouchés des petites et moyennes industries au Canada?

M. Eggleton: Comme je l'ai dit plus tôt, cette question fait actuellement l'objet d'études. Mes fonctionnaires qui s'occupent de ces études peuvent vous donner plus de renseignements à ce sujet.

M. Gordon Venner, directeur adjoint, Direction de l'Union européenne, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Nous avons réussi, dans le cadre de nos négociations sur les accords de compensation, non seulement à protéger nos exportations traditionnelles, mais également à améliorer l'accès à d'autres catégories de produits. En décembre, par exemple, nous avons signé une entente qui permettra à une petite entreprise de l'Ouest canadien d'exporter de l'avoine pour chevaux de course. Nous avons non seulement réussi à protéger nos marchés d'exportation existants au sein de l'Union européenne, mais également à obtenir un quota qui nous permettra sans doute d'accroître ces exportations. La démarche est difficile, mais chaque pas en avant constitue un gain.

Pour ce qui est des mesures concrètes que nous avons prises, le ministre a parlé du plan d'action et des efforts entrepris dans le but de libéraliser le commerce entre le Canada et l'Union européenne à long terme.

Le sénateur Andreychuk: Je suis contente de vous entendre dire que la loi Helms-Burton n'est pas une question qui intéresse Cuba, mais une violation du droit international qui vous préoccupe depuis longtemps. Je partage votre avis, et je suis contente de voir que vous intervenez dans ce dossier.

M. Eggleton: Nous continuons de travailler là-dessus. Nous avons obtenu beaucoup d'aide et de coopération de l'Union européenne. Nous comptons également prendre des mesures dans le cadre de l'ALÉNA.

Cette loi viole non seulement le droit international, mais également notre accord commercial avec les États-Unis et le Mexique en vertu de l'ALÉNA. Par conséquent, nous sommes prêts à appuyer les efforts du Mexique dans ce dossier. Nous envisageons également de modifier la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères afin de protéger les entreprises canadiennes qui font affaire, légalement, avec Cuba.

Le président: Vous avez dit dans votre déclaration que le ministère effectue actuellement plusieurs études sur les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne et de l'union monétaire. Ces études devraient être terminées en mars 1997. Pouvez-vous nous donner une liste de ces études? Je serais curieux de savoir si c'est le ministère qui mène ces études ou si une partie du travail est effectué à contrat.

Par exemple, allez-vous examiner les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur les organismes internationaux ou les droits de vote des pays membres du Fonds monétaire international? Allez-vous vous pencher sur la composition du G-7, ou est-ce que les Européens gagnent sur les deux fronts? Lorsqu'il est question d'examiner la situation d'un organisme international par exemple, chacune des grandes puissances est considérée comme une entité distincte. Toutefois, lorsqu'il est question de différends commerciaux comme ceux que vous venez de mentionner, ils disent que vous ne pouvez conclure des arrangements spéciaux avec, disons, la France, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, mais que vous devez traiter avec l'Union européenne en bloc. Allez-vous examiner l'impact qu'a l'élargissement de l'Union européenne sur les institutions internationales, politiques et économiques, et peut-être même sur les Nations Unies?

M. Eggleton: La réponse à votre dernière question est oui. Mais permettez-moi de vous donner la liste des quatre études: la première porte sur les conséquences de l'union monétaire sur la position concurrentielle globale du Canada; la deuxième porte les conséquences de l'adhésion à l'Union européenne des pays d'Europe centrale et orientale, de Malte et de Chypre, ce qui risque d'entraîner une baisse des échanges et des investissements au Canada; la troisième porte sur les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur les organisations internationales; et, la quatrième, sur l'élaboration d'une politique étrangère et de sécurité commune pour l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Juneau, sous-ministre adjoint, Secteur de l'Europe, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: La question de l'Union européenne est complexe. Par exemple, en ce qui concerne la politique commerciale, il est clair évident que la responsabilité de négocier au nom de ces pays européens a été transférée à la Commission européenne. C'est pour cette raison que nous rencontrons tous les ans sir Leon Britten, le responsable de ce dossier.

Les droits de vote et les organismes internationaux constituent également un sujet complexe. Par exemple, lorsque est venu le temps de choisir un nouveau secrétaire général pour l'USC, le Canada a décidé d'appuyer n'importe quel candidat venant d'un pays d'Europe centrale ou orientale. Les membres ne pouvaient s'entendre là-dessus. L'Union européenne a ensuite décidé de proposer un candidat italien. Nous avons proposé notre propre candidat dans le simple but de montrer que nous ne pouvions accepter ce genre de comportement au sein de ces organismes. Il est normal que les 15 pays membres de l'Union européenne votent en bloc pour le même candidat. Évidemment, notre candidat n'a pas été retenu; c'est donc le candidat italien qui a été choisi. De plus en plus de pays sont conscients du fait que cette question pose problème.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies constitue un autre dossier complexe. On ne sait pas comment se fera l'élargissement du Conseil de sécurité, et personne n'envisage sérieusement de remplacer la France et la Grande-Bretagne par un représentant de l'UE qui aurait un droit de veto. Il en va de même pour le G-7. En fait, il est possible que ce groupe ne soit un jour composé que des États-Unis, du Japon et de l'Union européenne. L'Union européenne existe déjà, mais il y a également l'Allemagne, l'Italie, la France et le Royaume-Uni. C'est un dossier que nous suivons de près.

Pour ce qui est de l'OCDE, nous réussissons parfois à faire élire nos candidats, mais la question demeure complexe et délicate. Par conséquent, nous voulons analyser le sujet plus à fond pour voir quelles conséquences l'élargissement de l'UE peut avoir sur le rôle du Canada au sein des organismes internationaux.

Le président: L'exemple du G-7 est assez dramatique. L'Union européenne occupe quatre des sept places au sein du G-7.

M. Eggleton: Oui. Toutefois, dans les dossiers commerciaux, ils n'ont droit qu'à une seule voix: une voix pour quatre pays.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue au ministre. J'ai eu l'occasion de voyager avec lui à l'époque où il était maire de Toronto. Il a piloté le dossier visant le jumelage de Toronto et de Chungking, ce qui constituait tout un exploit. J'avais le privilège d'agir en tant que vice-président de la délégation. Nous sommes ensuite allés en Allemagne lorsque Toronto a été jumelé à Francfort, pour mettre en valeur les intérêts financiers communs que partagent les deux villes. J'étais également le vice-président de cette délégation.

Le ministre possède de grands talents puisqu'il est capable de négocier dans de nombreuses langues et dans de nombreuses régions. Je suis heureux de voir qu'il s'occupe de ce dossier assez difficile, mais crucial pour ceux d'entre nous qui vivons dans la grande région métropolitaine.

Cela dit, j'ai l'impression que nous n'avons pas encore clairement fixé les priorités de la politique gouvernementale, peut-être parce que les choses évoluent si rapidement sur un si grand nombre de fronts. Bien que le dollar canadien soit faible, notre balance commerciale avec l'Europe, en ce qui concerne les services, les échanges et les investissements, est défavorable, alors que notre balance commerciale avec les États-Unis, elle, est favorable.

Je ne sais pas si, à ce chapitre, le gouvernement considère l'Europe comme une priorité. Autrement dit, toutes les conditions sont réunies pour que nous enregistrions un excédent; or, nous accusons un déficit dans des domaines où nous devrions être en avance par rapport à l'Asie et à d'autres pays. Je ne sais pas quelles sont nos priorités. Je ne sais pas pourquoi ou si nous sommes en retard par rapport au Mexique et aux États-Unis en ce qui concerne nos plans d'action respectifs.

Je crois comprendre que le Mexique prévoyait conclure une entente cette semaine avec l'Union européenne, mais celle-ci a été reportée en raison de la maladie de la vache folle. Les alliés du Canada en Europe sont prêts à intervenir, mais je crois comprendre que l'Angleterre retarde la mise en oeuvre de notre plan d'action avec l'Union européenne parce qu'elle veut gêner le processus décisionnel au sein de l'UE en raison de la maladie de la vache folle.

Quelle importance le gouvernement accorde-t-il à ce dossier -- je sais que nous ne pouvons aller de l'avant sur tous les fronts en même temps. Dans quels domaines les gains risquent-ils d'être les plus intéressants en ce qui concerne les échanges, les services, le commerce, les investissements?

M. Eggleton: Pour ce qui est de nos priorités, nous sommes considérés, en raison de notre position géographique, comme un pays du Pacifique, un pays de l'Atlantique et un pays des Amériques. Nous côtoyons une des plus grandes nations commerçantes du monde et les possibilités qui s'offrent à nous sont nombreuses. Nous ne voulons fermer aucune porte. Vous avez raison de dire que nous devons établir des priorités.

Nos priorités sont de trois ordres. D'abord, gérer nos rapports avec les États-Unis, notre principal partenaire commercial, vers qui nous exportons plus de 80 p. 100 de nos produits. De plus, les investissements entre nos deux pays sont énormes, totalisant des milliards de dollars par jour. Nos exportations vers l'Union européenne atteignent environ 16 milliards de dollars, soit l'équivalent de 16 jours d'échange entre le Canada et les États-Unis. C'est donc un partenaire important et nous devons bien gérer nos rapports avec ce pays. C'est là que nos entreprises préfèrent s'installer. C'est là qu'elles se sentent le plus à l'aise, et nous sommes là pour leur faciliter les choses. Voilà pour notre première priorité.

Deuxièmement, nous voulons accroître nos échanges à l'intérieur du cadre réglementaire de l'Organisation mondiale du commerce, une organisation encore jeune qui a vu le jour après 50 ans de discussions au sein du GATT. Elle a été créée il y a un peu plus d'un an et doit s'occuper de nombreux dossiers. Les pays qui ont participé aux négociations du cycle de l'Uruguay n'ont pas tous mis en oeuvre l'accord issu de ces négociations. Sur les 120 membres, moins de la moitié l'ont fait. Certains sont en voie de le faire, d'autres n'ont même pas commencé.

L'OMC doit régler des questions découlant du cycle de l'Uruguay qui sont restées en suspens. Le Canada joue un rôle clé à ce chapitre en aidant à établir un calendrier pour venir à bout de ces problèmes. J'ai proposé l'aide de notre pays à la réunion de la Quadrilatérale qui s'est tenue à Kobe, et nos partenaires ont accepté notre proposition.

La libéralisation du commerce à l'intérieur d'un cadre réglementaire mondial constitue donc la deuxième priorité.

La troisième priorité consiste à promouvoir les produits, les services et les investissements canadiens à l'étranger et à fournir aux entrepreneurs canadiens les meilleurs services possibles, à les aider à obtenir les renseignements dont ils ont besoin pour être en mesure de soutenir la concurrence.

Je constate que les Canadiens sont de plus en plus compétitifs, qu'ils sont capables de se tailler une place sur les marchés. Il faut qu'ils soient plus nombreux à le faire. Nos exportations comptent pour 37 p. 100 de notre PIB, ce qui représente une hausse de 26 p. 100 en quatre ans. Nous sommes aujourd'hui une nation commerçante, mais nous ne sommes pas une nation de commerçants parce qu'une centaine d'entreprises comptent pour la moitié de ces exportations, alors qu'il y en a 5 000 au total. Il reste encore beaucoup de progrès à faire à ce chapitre.

L'objectif qui consiste à doubler le nombre d'exportateurs d'ici l'an 2000 a été fixé par mon prédécesseur, Roy MacLaren, qui me l'a transmis, de sorte qu'il s'agit là d'une priorité importante.

Qu'en est-il du plan d'action? Qu'en est-il de l'Union européenne? Nous avons commencé à négocier avec l'Union européenne avant les États-Unis. Ces derniers ont établi leur plan d'action à l'issue de la réunion de Madrid en décembre dernier. Toutefois, nous n'étions pas prêts à le faire, parce que nous subissions encore les contre-coups de la guerre du poisson. Cette question n'est toujours pas réglée. Nous avions des arguments très solides et je crois que nous avons eu raison de prendre la position que nous avons adoptée dans ce dossier.

Le plan d'action découle également d'observations qui ont été faites par le premier ministre lorsqu'il s'est adressé au Sénat français en 1994. Il a laissé entendre que nous devrions envisager d'améliorer les échanges transatlantiques peut-être par l'entremise d'un accord entre l'ALÉNA et l'Union européenne. Je ne crois pas que les Européens soient particulièrement intéressés à aller jusque là à ce moment-ci. D'où le terme «plan d'action». C'est un pas dans cette voie, et c'est un pas que nous voulons franchir sur le plan des échanges. Nous voulons faire en sorte que les dispositions incluses dans le plan d'action avec les États-Unis figurent dans ce plan d'action-ci. Autrement, nous risquons d'être à la traîne.

Nous n'accusons pas de retard par rapport au Mexique. En fait, à un moment donné, nous avions l'impression qu'il ne comptait pas présenter un plan d'action, mais c'est maintenant chose faite. Or, nous sommes tous pour l'instant pris dans cet engrenage où le Royaume-Uni oppose son veto à toutes les décisions du Conseil des ministres et cela nous complique la tåche. Nous essayons d'aller de l'avant et de régler les questions en suspens.

Il s'agit d'une priorité, lorsque nous l'envisageons dans le contexte des autres points qui nous intéressent -- l'APEC et une entente de libre-échange des Amériques d'ici l'an 2005 --, dans le contexte du système commercial mondial, dans celui d'une plus grande libéralisation du commerce dans le monde entier, dans celui des efforts déployés au sein de l'OMC; nous y avons d'ailleurs été particulièrement sensibles.

Un comité de l'OMC, présidé par l'ambassadeur du Canada à l'OMC, examine tous ces plans et accords commerciaux régionaux pour s'assurer qu'ils vont dans ce sens. Nous savons parfaitement comment tout cela cadre avec la deuxième priorité dont j'ai fait mention.

Le sénateur MacEachen: Monsieur le président, tout comme le sénateur Grafstein, je souhaite la bienvenue au ministre et lui adresse des compliments, sans aucun doute bien mérités.

Comme vous le savez, ce comité examine les répercussions sur le Canada de ce qui se passe en Europe, au sein de l'Union européenne en particulier. La structure de votre allocution m'a intéressé, parce que, pendant un certain moment de l'histoire contemporaine, les Européens ont eu l'impression que le Canada s'intéressait de moins en moins à l'Europe. Ce sentiment était non seulement alimenté par notre intense préoccupation vis-à-vis des États-Unis, mais aussi par le fait pendant pratiquement dix ans, la politique commerciale continentale a dominé la politique du Canada. De toute évidence, les Européens réagissaient à ce qu'ils considéraient comme un manque progressif d'intérêt de la part du Canada et à l'intérêt obsessionnel que nous manifestions à l'égard des États-Unis.

Nous prenons des mesures pour affirmer de nouveau notre intérêt envers l'Europe et pour résister aux groupes spécialisés de notre pays qui prétendent que la région Asie-Pacifique et les Amériques sont la nouvelle frontière et que les activités en Europe ne présentent aucune valeur ajoutée.

Je me suis demandé pourquoi, alors que vous tentiez de souligner l'importance de l'Union européenne, vous avez conclu votre allocution en parlant des Amériques et de la région Asie-Pacifique. Je me suis demandé si, à la lecture de votre allocution, un Européen ne dirait pas: «De toute évidence, nous ne sommes pas suffisamment importants pour que l'on parle uniquement de nous; la question de l'Europe doit être étayée par celles de l'Asie-Pacifique et des Amériques».

Y a-t-il une raison stratégique à ce que nous ne parlons jamais de l'Europe uniquement, sous prétexte qu'elle n'est pas suffisamment importante en soi et que nous devons toujours faire mention d'autres régions du monde? J'espère qu'il n'y a pas de stratégie car, comme vous l'avez vous-même souligné, l'Europe est un marché immense qui est appelé à prendre encore plus d'ampleur et dont le dynamisme n'est plus à prouver. Peu importe les propos de certains au sujet des à-coups que connaît actuellement l'Union européenne en raison de ses problèmes commerciaux; son dynamisme intrinsèque ne manquera pas de la faire progresser pendant encore longtemps. Telles sont mes convictions et je vous suis reconnaissant de l'importance fondamentale que vous accordez à l'Union européenne.

Outre la structure de votre allocution, j'ai été également intéressé par vos propos sur cette relation transatlantique; vous avez dit qu'il faut maintenant l'axer non plus principalement sur la sécurité, mais de plus en plus sur l'économie. Allons-nous axer notre relation transatlantique non plus principalement sur les impératifs stratégiques -- et j'imagine que par «impératifs stratégiques», nous voulons parler de sécurité, à moins que je ne me trompe -- mais de plus en plus sur nos intérêts économiques communs? À mon avis, l'importance politique de l'Europe et ses problèmes sont clairement apparus en Bosnie et, quand bien même nous voudrions ne plus axer notre relation transatlantique sur des impératifs stratégiques, les événements nous ramènent vers l'arrière.

J'aimerais avoir vos observations sur ce paragraphe de la page 4. À mon avis, il faut bien sûr créer une relation transatlantique économique, sans pour autant que cela se fasse aux dépens de notre intérêt stratégique politique en Europe. Peut-être ai-je mal compris.

Enfin, j'ai été heureux de voir que vous vous êtes rendu en Allemagne le mois dernier et j'ai lu l'allocution que vous avez prononcée à Cologne. À mon avis, vous avez parfaitement bien souligné l'importance de l'Allemagne et vous avez dit qu'elle était le moteur économique de l'Europe. Ce pays est non seulement le moteur économique de l'Europe, mais aussi dans un certain sens, sa force politique. Qu'elle soit éveillée ou assoupie, l'Allemagne est le géant politique de l'Europe de l'Ouest, et nous ferions bien de prêter attention à cette réalité.

Vous avez souligné l'importance de l'Allemagne, et je me demande si, à votre avis, il est plus utile de concentrer vos efforts à Bruxelles, ou à Bonn, pour atteindre vos objectifs en Europe et au sein de l'Union européenne?

Quelle est la stratégie? Avons-nous une stratégie à propos de l'Union européenne? Concentrons-nous nos efforts sur Bruxelles, sur Bonn, ou sur les deux? Comment mettons-nous à profit notre association avec les pays membres pour promouvoir nos intérêts dans l'Union, globalement? Je suis sûr que tout cela est prévu; il reste toutefois que les membres de ce comité ont découvert, lors de leur voyage en Europe, que l'Allemagne est le pays qui s'intéresse le plus au Canada. Est-ce exact, monsieur le président?

Le président: C'est certainement l'impression que j'en ai retirée.

Le sénateur MacEachen: C'est aussi la mienne. L'Allemagne est également le pays le plus disposé à s'ouvrir au Canada. Je me demande comment ces points forts, comme l'Allemagne -- et je n'exclue aucun autre pays -- se rattachent à notre stratégie d'ensemble.

Le ministre peut donner son avis, s'il le souhaite. Je ne fais que donner mes points de vue.

M. Eggleton: Merci, sénateur. Je devrais souligner que même si ma comparution aujourd'hui vise essentiellement à parler de l'Union, le président m'a également demandé de parler de la ZLEA et de notre entreprise au Chili, et j'ai pensé qu'il était normal de faire mention de l'APEC, pour vous donner un aperçu plus vaste de nos activités. C'est la raison pour laquelle j'ai procédé de la sorte.

Pour ce qui est de l'importance de l'Europe et de l'attention qu'y prête le Canada, j'ai indiqué dans mes remarques d'ouverture que les échanges commerciaux augmentent très sainement. Nos exportations ont progressé de 33 p. 100 et nos importations de 23 p. 100 en 1995, par rapport à l'année précédente. Comme l'a fait remarquer le sénateur Grafstein, notre situation reste cependant toujours déficitaire, sans compter que nous perdons effectivement une part du marché dans la plupart de ces pays. Cette perte me préoccupe plus que toute autre chose, car, lorsque nous considérons l'ensemble de nos échanges commerciaux, notre compte des échanges de biens affiche un excédent très important, un excédent record de 28 milliards de dollars l'année dernière, attribuable en partie à la situation des États-Unis, mais toujours très important, et qui contribue à améliorer notre actuelle balance des comptes courants. Je me rends compte toutefois que nous perdons une part du marché et qu'il nous faut consacrer plus de temps et d'attention à l'Europe.

J'occupe ce poste ministériel depuis quatre mois. Si je n'ai pas beaucoup voyagé le premier mois, je me suis rattrapé ces trois derniers mois, me rendant dans 12 pays, soit pratiquement un pays par semaine. Sur ces 12 pays, 10 se trouvent en Europe; j'ai donc passé beaucoup de temps en Europe et pas seulement dans les pays de l'Union européenne. Je me suis rendu en République tchèque, pour connaître un pays de l'Europe centrale. Je suis allé en Grèce, au Portugal, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Turquie. La Turquie, bien sûr, est à cheval sur l'Europe et l'Asie. Je suis allé sur le continent européen à trois reprises et je pense que cela prouve que selon moi, l'Europe offre de bons débouchés au Canada.

La situation transatlantique est en évolution. Cela ne veut pas dire que les questions politiques et de sécurité ne sont plus importantes. Toutefois, depuis la fin de la Guerre froide, les questions économiques retiennent de plus en plus l'attention.

Le plan d'action, de nature politique et économique, compte trois piliers. Le premier, les questions politiques et de sécurité -- et, bien sûr, des questions de sécurité se posent effectivement, nous nous en occupons en ce moment en ex-Yougoslavie, et beaucoup d'autres questions continueront de se poser.

Le commerce est un autre de ces piliers et retient beaucoup plus mon attention, bien sûr.

Le troisième pilier du plan d'action, ce sont les questions de justice et d'affaires intérieures, ainsi que les appellent les Européens, qui traitent du terrorisme international, de la criminalité internationale ou de la migration des personnes.

Ce plan d'action vise toute une série de questions. Bien sûr, je m'intéresse davantage aux questions économiques et commerciales, puisqu'elles relèvent de mon portefeuille; par contre, Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères, consacre plus de temps aux autres aspects, notamment les aspects de sécurité politique, comme le ministre de la Justice.

J'ai dit qu'il nous fallait maintenant axer notre relation transatlantique non plus principalement sur les impératifs stratégiques, mais de plus en plus sur nos intérêts économiques communs. Il s'agit d'un mouvement d'inclusion et non d'exclusion, à mon avis, car ces autres questions exigent encore beaucoup de temps et d'attention de notre part.

Vous avez posé des questions au sujet des relations que nous entretenons avec Bruxelles par rapport à celles que nous entretenons avec Bonn ou des relations que nous entretenons avec l'Union par rapport à celles que nous entretenons avec les divers pays. Il s'agit en fait d'une double voie. Nous voulons mettre en oeuvre ce plan d'action avec l'Union, sans pour autant que cela se fasse au détriment de nos efforts bilatéraux. L'Allemagne m'a fortement intéressé, car j'y vois d'excellents débouchés, surtout en ce qui concerne l'investissement au Canada. C'est ce que j'ai fait ressortir au cours de mon récent voyage à Bonn, à Cologne et à Munich et je retournerai probablement en Allemagne l'automne prochain.

Le fait de se rendre autant à Bruxelles qu'à Bonn et de s'intéresser autant à l'Union qu'à des ententes bilatérales présente de nombreux avantages. Je retournerai également en Europe centrale et en Europe orientale, car ces régions offrent plus de possibilités. Il y a encore beaucoup à faire dans ces pays pour améliorer l'économie et instaurer les réformes nécessaires susceptibles d'inspirer confiance à nos gens d'affaires, mais je crois que nous pouvons pousser un peu plus loin dans ce sens; cela s'inscrit dans le cadre de mon entreprise.

Nous sommes actifs dans tous ces secteurs, mais cela ne se fait pas au détriment de l'Europe et ne laisse pas supposer que l'Europe n'est pas importante pour le Canada. Elle l'est. Nous nous sommes fixé des priorités et cherchons, dans cette structure, à consacrer plus de temps et d'attention à ces chiffres qui doivent encore dépasser leurs niveaux records.

Le sénateur Bolduc: Nous payons toujours des droits de douane à l'Union. D'après ce que je comprends, ils s'élèvent en moyenne à 3,6 p. 100. Pour l'aluminium, par exemple, ils s'élèvent à 6 p. 100. Pour le matériel de télécommunications, la société Newbridge Networks nous a dit que les droits avaient dernièrement augmenté de 4,5 à 7,5 p. 100.

Pensez-vous qu'il soit possible d'user de notre influence en matière de défense et d'aide apportée à certains des pays de l'Europe orientale pour essayer d'arriver à une entente, au lieu d'attendre les prochaines négociations multilatérales pour faire baisser ces tarifs douaniers?

M. Eggleton: En règle générale, nous n'établissons pas de lien de ce genre. Nous croyons qu'il faut prendre en compte la réalité de notre aide, au moment où certaines questions sont abordées, comme celle des tarifs douaniers, mais je ne crois pas que nous ayons effectivement établi un lien entre l'aide en matière de défense et la suppression des obstacles tarifaires. Parfois, il suffit de créer un climat favorable d'un côté pour en tirer un avantage indirect ailleurs; politiquement parlant toutefois, nous n'avons jamais établi de tels liens.

Le sénateur Bolduc: Je ne dis pas qu'il faut officiellement établir un lien de ce genre, mais je crois que ces pays devraient savoir que nous faisons notre part.

M. Eggleton: Je l'espère.

M. Paul Haddow, directeur des droits de douanes et de l'accès aux marchés, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Permettez-moi d'intervenir au sujet de ces questions particulières; le tarif de l'aluminium est un problème de longue date pour les exportateurs canadiens, surtout en raison des pressions exercées par l'industrie française. Des représentants d'Alcan proposent une stratégie sur deux ans permettant au gouvernement et à l'industrie d'unir leurs efforts pour instaurer des alliances stratégiques en Europe afin d'abaisser ces tarifs douaniers. Nous avons essayé dans toutes les négociations de faire baisser les tarifs douaniers de l'aluminium de l'UE, mais c'est une question très difficile pour l'industrie européenne, surtout en France.

En ce qui concerne le matériel de télécommunications, il est quesetion, comme l'a indiqué le ministre plus tôt, d'un accord international de télécommunications où les tarifs des produiits de la technologie de l'information ainsi que du matériel de télécommunications seraient éliminés. Nous nous en occupons dans le cadre du processus quadrilatéral et espérons voir cet accord adopté à la réunion ministérielle de l'OMC en décembre, à Singapour. C'est ainsi que nous réglons pareilles questions.

M. Eggleton: Le concept de marché transatlantique est également l'un des domaines que nous voulons inclure dans le plan de l'Union européenne, comme il l'est dans le plan des États-Unis, sans compter l'étude effectuée sur la diminution de ces obstacles tarifaires.

Le sénateur Bolduc: Qu'en est-il de la reconnaissance internationale des normes techniques dans le domaine des télécommunications, par exemple? Il n'y a pas beaucoup de gros intervenants. Normalement, ils devraient s'entendre sur les normes. Je ne vois pas pourquoi nos produits ne sont pas reconnus. Quelle en est la raison?

M. Eggleton: Je ne vois pas pourquoi, moi non plus. Cette question a été soulevée et débattue à la réunion quadrilatérale de Kobe et je pense que nous avons de bonnes chances à cet égard. Nous souhaitons bien sûr, par le truchement d'accords mutuels de reconnaissance, être en mesure de respecter les normes de chacun, une fois qu'elles sont établies comme il se doit. Nous espérons ne pas avoir à refaire le même travail et nous oeuvrons dans ce sens. Je pense que nous avons de bonnes chances de progresser dans le domaine du matériel de télécommunications.

Le sénateur Bolduc: Lorsque nous avons rencontré les Européens, certains d'entre nous ont eu l'impression que si l'union monétaire se réalise, l'unité monétaire va baisser, ce qui sera positif pour le commerce international européen et négatif pour le nôtre. Qu'en pensez-vous?

M. Eggleton: Il s'agit de nouveau d'un des secteurs étudiés. Je vais demander à mes fonctionnaires de donner plus de détails à ce sujet.

M. Venner: Nous avons dressé une courte liste de sept bonnes raisons pour lesquelles, à notre avis, l'union monétaire est importante pour le Canada. La première, c'est que les cambistes européens seront davantage portés à acheter des dollars canadiens pour des raisons de diversification, lorsqu'il n'y aura plus qu'une seule monnaie européenne.

La deuxième, c'est que, de toute évidence, il sera plus facile pour nos exportateurs de n'avoir à faire qu'à un seul taux de change.

La troisième, c'est qu'un marché énorme qui ne présente aucun risque de cours de change, devient extrêmement attrayant pour les investisseurs étrangers. Nous devons soutenir la concurrence avec les Européens en matière d'investissements provenant de l'Asie, voire même de l'Europe.

Se pose également la question de savoir si nous pouvons nous retrouver marginalisés dans le contexte d'une coordination de politique monétaire internationale. Lorsque le G-7 se réunit, par exemple, seulement trois monnaies sont représentées, le dollar canadien s'y ajoute; on ne sait pas vraiment comment le Canada pourrait s'intégrer.

Il apparaît également très clairement qu'une monnaie unique en Europe aura un effet très positif sur les marchés mondiaux, ce qui pourrait se traduire par une certaine croissance, ce qui, à son tour, serait à l'avantage des exportations canadiennes. L'inverse est également exact: tout effet négatif sur les marchés mondiaux ne serait pas bon pour nous.

Enfin, il faut dire que beaucoup de ceux qui, au sein de l'Union européenne, s'opposent à l'union monétaire s'opposent également à la libéralisation du commerce, si bien que le fait que l'union monétaire ne se fasse pas pourrait indiquer que les protectionnistes prennent plus d'importance, ce qui rendrait notre capacité d'exportation plus difficile.

Le sénateur Ottenheimer: Dans quelle mesure se préoccupe-t-on d'établir des relations à l'est de l'Europe dans le cadre des négociations relatives au plan d'action entre le Canada et l'Union européenne et dans le cadre de notre dialogue avec l'Europe en général, dialogue fondé sur le commerce dans une perspective canadienne, j'imagine; cela ne permettrait-il pas de multiplier et d'améliorer les possibilités du Canada en matière d'exportations, les possibilités d'investissements au Canada ainsi que les possibilités d'investissements en Europe? Dans quelle mesure se préoccupe-t-on d'établir des relations avec la Russie, avec d'anciennes républiques soviétiques -- je ne veux pas parler des Balkans, mais d'autres républiques soviétiques du Caucase, voire même d'Asie?

Je sais que le Canada n'occupe pas une très grande place sur la scène internationale, mais il s'est acquis une certaine réputation et il a toujours estimé avoir une vocation d'internationaliste. À quel point en tient-on compte, du moins dans le dialogue entre le Canada et l'Union européenne; s'entend-on sur ce qui peut être fait dans ce domaine?

M. Eggleton: Quelques exemples me viennent à l'esprit. En Allemagne, il y a quelques semaines, il a été question de l'Ukraine. Les Allemands s'intéressent beaucoup à ce pays. Le Canada a une collectivité ukrainienne plutôt importante que d'éventuels investissements là-bas intéressent. Souvent, nous pouvons conjuguer nos efforts dans de tiers pays, à l'aide de partenariats ou de co-entreprises.

Nous avons souvent envisagé ce moyen dans d'autres régions du monde. Je crois qu'il est possible de le faire dans ce cas-ci. Il faudra que l'Ukraine, comme beaucoup d'autres anciennes républiques soviétiques, passe par bien des réformes avant d'inspirer suffisamment confiance à nos grandes entreprises pour les convaincre d'y investir. Nous pouvons l'aider et, si nous parvenons à le faire comme le préconisent les Allemands, ce sera fort utile.

J'étais en Turquie, notamment à Istanbul, il n'y a pas longtemps. Northern Telecom y a une filiale. Son implantation en Turquie est un succès et, déjà, elle est en train d'essaimer dans certaines anciennes républiques soviétiques. Nous avons là-bas des gens qui sont plus près des marchés, qui comprennent mieux les marchés des anciennes républiques soviétiques. L'entreprise est en train d'y vendre de la technologie canadienne. Une société canadienne qui est la principale actionnaire de l'entreprise en Turquie s'en trouve avantagée.

Il existe donc de nombreux moyens de pénétrer ces marchés. Nous continuerons de les explorer et, si nous ne le faisons pas seuls, nous le ferons certes avec d'autres.

Il importe aussi de faciliter dans ces pays l'adoption des règles de l'Organisation mondiale du commerce. La Chine, bien sûr, et la Russie devront être intégrées au giron. Elles représentent d'immenses marchés qu'il faudrait intégrer au régime du commerce mondial. Toutefois, elles devront auparavant se soumettre aux mêmes règles que tous les autres. Dès lors, les autres leur feront davantage confiance, ce qui ouvrira beaucoup de nouvelles portes aux entreprises canadiennes. Nous nous efforçons d'aider ces pays à transformer leurs économies en conséquence.

Le sénateur Stollery: Je suis de ceux qui croient que l'Europe est un marché très prometteur pour le Canada, que notre balance commerciale est gravement déséquilibrée et que toute politique étrangère qui se respecte devra viser à rétablir cet équilibre.

Je comprends pourquoi nous déployons tant d'efforts louables en vue de multiplier les possibilités d'échanges commerciaux partout dans le monde: il nous faut rétablir l'équilibre. Il importe que nous collaborions avec l'Europe. On dit que les États-Unis sont notre plus important débouché, mais ils ne représentent qu'un seul pays. L'Union européenne représente le plus important bloc commercial mondial et l'une des économies les plus saines, si l'on se fonde sur le revenu annuel.

Vous avez mentionné, dans votre exposé, que nos exportations ont progressé, l'an dernier, de 33 p. 100. Par contre, vous avez aussi dit que nous sommes en train de perdre notre part du marché. Je remarque enfin que beaucoup de ces pertes se produisent dans le secteur des produits ouvrés et d'autres produits auxquels ceux d'entre nous qui habitent le sud de l'Ontario attachent probablement de l'importance.

Pouvez-vous m'expliquer ces deux phénomènes? Tout d'abord, au profit de qui sommes-nous en train de perdre notre part du marché? Qui, des exportateurs américains ou des exportateurs d'Asie, sont en train de prendre la relève?

M. Eggleton: Je soupçonne que, dans bien d'autres pays, vous constateriez aussi de saines augmentations des échanges commerciaux, accompagnées d'une plus grande libéralisation du commerce et d'une ouverture des marchés. L'activité commerciale s'intensifie de plus en plus. Dans bien des pays, elle est à la hausse, et c'est aussi notre cas dans bien des marchés. Il ne faut pas oublier, toutefois, que certains de ces échanges étaient faibles au départ. Il est facile de faire miroiter des augmentations de 40, de 50 ou de 60 p. 100 mais si, au départ, ils étaient faibles, leur progression n'est pas aussi importante que dans le cas de l'Europe, où ils étaient au départ meilleurs, bien qu'ils n'aient jamais été aussi importants que nos échanges avec les États-Unis.

Vous avez entièrement raison de dire que l'Union européenne est un important bloc commercial, mais que les États-Unis demeurent tout de même notre plus grand débouché.

Certains pays sont en train d'accroître leur part de marché plus rapidement que nous. Nous sommes en train de perdre du terrain.

M. Venner: La statistique relative aux échanges commerciaux des pays d'Europe centrale et orientale révèle qu'au cours des dix dernières années, une grande part de leurs échanges commerciaux avec la Russie et les anciens membres du COMECON soviétique a été réorientée vers l'Union européenne. Ils réalisent des gains importants au sein de l'Union européenne. Or, certains de leurs produits font concurrence aux nôtres.

Le sénateur Corbin: J'aimerais faire une brève observation au sujet de la déclaration faite par le ministre au sujet des fourrures canadiennes.

L'interdiction dont sont actuellement frappées les fourrures canadiennes en Europe vient-elle essentiellement d'une impression qui s'est créée là-bas ou l'Europe manifeste-t-elle ainsi, en fait, son opposition à nos méthodes de trappage? Les programmes d'origine européenne et les gens comme Brigitte Bardot reflètent les principes de grands amis des bêtes qui ont énormément d'influence sur leurs représentants.

Quel est le véritable obstacle que vous essayez de surmonter ici? Je sais que le Canada privilégie la conclusion de pactes internationaux comme solution à ces problèmes, mais croyez-vous pouvoir contrer l'actuelle détermination des Européens en ce qui concerne l'importation de fourrures canadiennes de production commerciale ou artisanale? Quelle est la réalité à laquelle il faut faire face?

M. Eggleton: Vous saisissez bien la situation, à mon avis. Le litige gravite autour des pièges à ressort et des méthodes de piégeage sans douleur. Bien des Européens et des membres du Parlement européen sont viscéralement opposés à l'importation de fourrures du Canada en raison des pièges à ressort que nous utilisons. Certaines ONG disséminent de l'information qui donne une image négative et déforme aussi la réalité.

Nous avons manifesté notre désir de signer une entente dans laquelle nous nous engagerions à utiliser des pratiques de piégeage sans douleur. À cet égard, nous collaborons également avec les Russes et les Américains parce qu'ils seront visés par un tel accord, et nous avons obtenu un report de la date d'entrée en vigueur. Les mesures d'interdiction ne sont pas encore en vigueur, bien que les Pays-Bas aient agi prématurément. L'Union les a critiqués, et je crois savoir qu'ils utilisent, eux aussi, des pièges à ressort.

Quoi qu'il en soit, l'Union a reporté sa décision au 1er janvier 1997. Entre temps, nous tentons d'en arriver à une entente et de régler la question des pièges indolores.

Il y en aura toujours qui n'accepteront jamais le commerce de la fourrure. Cependant, d'après ce que j'ai entendu jusqu'ici, la Commission européenne, le Conseil des ministres et, peut-être, la majorité des membres du Parlement européen accepteront des mesures raisonnables leur garantissant qu'en fait, nous utilisons des pièges sans douleur.

Notre collectivité autochtone nous aide beaucoup à cet égard. On est sensible, jusqu'à un certain point, au fait que le commerce de la fourrure fait partie de notre histoire et de nos traditions, et les Européens respectent notre collectivité autochtone. Certains d'entre eux ont en réalité des difficultés à concilier l'aide à la collectivité autochtone, ce qu'ils semblent vouloir faire, et leurs préoccupations au sujet des pièges à ressort.

Nous espérons pouvoir énoncer une position acceptable à la majorité, mais, pour l'instant, les pourparlers en sont encore à une étape très cruciale. Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Il nous faut agir rapidement, mais il sera toujours difficile de faire accepter à certains l'idée même du piégeage.

Le sénateur Bacon: Une des préoccupations centrales du comité concerne l'effet qu'aura l'élargissement de l'Union européenne sur le commerce du Canada au sein du marché européen. On nous a dit que le meilleur moyen de faire face à cet élargissement est de constamment relever les exigences minimales des accords internationaux conclus avec l'Union européenne. En quoi des accords internationaux peuvent-ils empêcher l'Union européenne de réduire l'accès des produits canadiens à ses marchés lors de futurs élargissements?

M. Venner: Pour vous répondre brièvement, si un pays signe une entente compatible avec l'article XXIV du GATT, il n'est pas tenu d'en accorder les avantages à des tiers, pas plus que nous ne sommes tenus de le faire dans le cadre de l'Accord de libre-échange signé avec les États-Unis. Si l'Union européenne conclut une entente avec des pays d'Europe centrale et orientale, en théorie, d'après les règles de l'OMC, elle n'est pas obligée de nous accorder les mêmes privilèges.

M. Haddow: Je croyais que vous vouliez savoir comment nous pouvions éviter d'avoir à constamment exiger une compensation, parce qu'il n'est pas facile d'en obtenir des Européens. L'année dernière, dans le contexte de l'expansion de l'union européenne pour inclure la Suède, la Finlance et l'Autriche, le Cabinet a été à cheveu près d'approuver des mesures visant l'imposition de tarifs accrus sur les importations de l'Union européenne. Ce n'est pas ainsi que nous aimons brasser des affaires.

Une façon consiste à simplement, par l'intermédiaire de l'OMC, obliger l'Union européenne à réduire ses tarifs. Le hic, c'est que, lorsque de nouveaux pays adhèrent à l'Union, ils doivent augmenter leurs tarifs de manière à les faire correspondre à ceux de l'Europe. Il faut alors indemniser le Canada et les autres pays exportateurs. Par exemple, avant que la Suède n'adhère à l'Union européenne, ses tarifs étaient bas. Maintenant, ils sont élevés. La solution consistera à obtenir des Européens qu'ils abaissent leurs tarifs.

Il serait difficile de les en convaincre dans le cadre de négociations bilatérales parce que le Canada ne fait tout simplement pas le poids. Il faudra donc passer par l'OMC où nous serons épaulés par le Japon et les États-Unis. C'est pourquoi, lors de récents pourparlers quadrilatéraux entre les ministres du Commerce, le ministre Eggleton essayait de convaincre les autres de continuer à abaisser les tarifs de la nation la plus favorisée. Ainsi, les possibilités de subir des préjudices en raison d'élargissements futurs de l'Union européenne seraient réduites, éliminant ainsi le besoin de représailles.

Le sénateur Bacon: Avez-vous mené des études sur les effets éventuels qu'auraient des élargissements de l'Union européenne sur les exportations canadiennes en Europe?

M. Haddow: Sauf pour l'élargissement le plus récent, nous ne l'avons pas fait.

M. Eggleton: Le sujet fait partie de quatre études que nous venons tout juste d'entreprendre.

Le sénateur MacEachen: Monsieur le ministre, vous avez dit que l'un des objectifs, avec lequel je suis d'accord, est d'inciter les grands pays comme la Chine et la Russie à se soumettre à la primauté du droit. Vous n'avez pas mentionné les États-Unis. N'incluez-vous pas les États-Unis dans cette catégorie?

Il n'existe pas, à Ottawa, de comité qui ait plus d'expérience en matière commerciale que le nôtre. Nous avons tout d'abord examiné l'Accord de libre-échange. Nous avons franchi toutes les étapes, et on nous a dit s'attendre que cet accord établisse la primauté du droit. Cela ne s'est pas produit, et vous l'avez vous-même affirmé à certains moments de grande irritation. Un des grands objectifs demeure d'obliger les États-Unis à se soumettre à la règle du droit, que ce soit dans le cadre de l'OMC ou de l'Accord de libre-échange. Comment les choses progressent-elles sur ce front?

Ma deuxième question est plus pacifique, moins belligérante. Nous sommes en train de produire un rapport sur l'Europe et le Canada. Certains d'entre vous ont peut-être des idées à nous suggérer. Y a-t-il des sujets sur lesquels devrait porter le rapport qui permettraient d'améliorer nos relations avec l'Europe de manière à éviter les écueils, à aborder les bons thèmes et avoir le bon discours correspondant à nos propres intérêts? Sans vouloir dénigrer l'excellent travail accompli par nos recherchistes et le comité, j'aimerais savoir si vous avez des propositions à nous faire quant à la façon d'aborder le sujet. Avez-vous des observations à nous faire quant à la façon d'aborder la question à l'avantage du Canada et, particulièrement, en vue de donner la bonne impression en Europe?

M. Eggleton: Je commencerai par répondre à votre première question. J'ignore si vous désirez vraiment que je vous réponde pour ce qui est de l'adhésion des États-Unis à l'OMC.

Les États-Unis -- il faut les en féliciter-- ont joué un rôle de premier plan au cours des cinquante dernières années à la table de négociations du GATT, et nous leur devons d'avoir libéralisé et rendu plus équitables les échanges commerciaux partout dans le monde. Il est malheureux, déconcertant et même troublant de les voir se retirer à ce moment-ci -- le refus de recourir à la procédure accélérée pour approuver l'adhésion du Chili à l'Accord de libre-échange, l'adoption unilatérale de la loi Helms-Burton et d'autres mesures législatives ayant des effets extra-territoriaux, soit des décisions unilatérales qui touchent des tiers pays comme le Canada. Ces faits sont très troublants. En agissant ainsi, les États-Unis contreviennent aux règles de l'OMC, au droit international et à l'ALÉNA, ce qui ne semble pas les décourager pour autant.

Ils ont signé ces accords. Ils en font partie. Nous nous attendons que les États-Unis, comme tous les autres, respecteront leurs engagements.

L'Union européenne invoque l'OMC pour obliger les États-Unis à revenir sur leur décision d'adopter la loi Helms-Burton, et nous agissons de même dans le cadre de l'ALÉNA. Nous nous appuyons réciproquement.

Je dois cependant avouer qu'aussi inquiétant et irritant que soit ce comportement, en règle générale, nos relations commerciales avec les États-Unis sont plutôt bonnes. Quatre-vingt-quinze pour cent de nos échanges se font sans problème, sans prise de bec, jour après jour. Ce sont les autres 5 p. 100 des échanges qui retiennent l'attention des médias et, bien sûr, qui sont inquiétants -- le litige actuel en particulier parce que les États-Unis ont agi unilatéralement, ce que ne permet pas le régime commercial multilatéral qu'ils ont tant contribué à mettre en place et dont ils font maintenant fi.

Il importe de persister dans nos efforts en vue de leur faire respecter leurs obligations. Une fois que les présidentielles auront eu lieu cette année, nous espérons qu'ils reprendront leur rôle de leader dans le régime commercial multilatéral.

J'hésite quant à la réponse à vous donner à l'autre question, sénateur, soit ce que nous pourrions faire pour accroître les possibilités commerciales en Europe. Dans mon exposé et en réponse à d'autres questions, j'espère avoir donné l'impression que nous accordons de l'importance à l'Europe. Nous ne pouvons pas disperser nos énergies partout à la fois, mais nous avons beaucoup de choses en marche. J'accorde autant de temps et d'attention que je le peux aux occasions qui me semblent belles.

Ainsi, l'Allemagne semblait en être une. Mon prédécesseur a demandé à un homme du nom de Bill Waite, ex-président de Siemens au Canada, de se rendre là-bas pour tåter le pouls. Cet homme avait déjà un bon réseau en place là-bas. Par conséquent, nous allons, je crois, décrocher bien des contrats, une grande partie de l'investissement venant du Canada. En fait, je m'y suis rendu pour l'aider à concrétiser certaines possibilités.

J'aimerais que nous ayons davantage recours à de tels moyens en Europe. Le Canada compte des personnes originaires de ces pays, des personnes qui connaissent le marché, la culture et la langue et qui font le genre de réseautage auquel s'adonnent les Bill Waite de ce monde. J'aimerais que nous nous servions des ressources que nous avons chez nous. Je suis sûr qu'il existe au Canada de nombreux hommes d'affaires à la retraite ou sur le point de la prendre qui ont dirigé des filiales européennes au Canada. Utilisons ce modèle à notre avantage. J'ai certes l'intention d'examiner cette idée dans le cadre d'un plan stratégique visant à profiter des possibilités commerciales qui s'offrent en Europe.

Le président: Quelle est la situation actuellement en ce qui concerne l'accès des flottilles de pêche européennes aux ports canadiens de l'Atlantique?

M. Eggleton: Elles y sont désormais réadmises. En fait, l'annonce a eu lieu vendredi dernier. Il faudra attendre un mois avant que le règlement ne soit changé, mais, dès vendredi, on a annoncé que les ports canadiens étaient dorénavant ouverts aux bateaux de pêche européens.

Le président: Monsieur le ministre, nous entendons le timbre sonner et nous savons que vous avez l'esprit ailleurs. Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître ici aujourd'hui. Nous demandons à vos fonctionnaires de demeurer sur place pour quelques instants encore.

Les fonctionnaires de M. Eggleton peuvent peut-être nous en dire davantage au sujet des ports de l'Atlantique. Vous avez dit que l'annonce a été faite, mais qu'il faudra attendre un mois à peu près, le temps de modifier le règlement.

M. Juneau: Le gouvernement a annoncé, vendredi dernier, sa décision d'admettre les navires de l'Union européenne dans nos ports. Il faut, semble-t-il, un mois pour modifier le règlement en conséquence. Essentiellement, nous pouvons nous attendre à l'arrivée des premiers navires européens dans nos ports canadiens d'ici le début de juin.

Le président: Que s'est-il produit pour que le gouvernement du Canada puisse rendre cette décision?

M. Juneau: La réouverture des ports aux navires européens fait partie de ce que nous appelons la normalisation de nos relations avec l'Union européenne dans le secteur des pêches. Un plan d'action fait actuellement l'objet de négociations, ainsi qu'une déclaration politique avec l'Union européenne, pour démontrer que nos voulons établir des relations de plus en plus amicales et fructueuses. Nous n'avons pas cru bon de maintenir une mesure adoptée en 1987, alors que nous ne pouvions pratiquement pas compter sur la collaboration de l'Union européenne dans ce secteur.

Comme vous le savez, nous avons conclu une entente avec l'UE il y a un an pour mettre fin à la guerre de la pêche. Nous croyons que cette mesure sera avantageuse non seulement pour les pays européens, mais également pour nous.

Le président: Cela sous-entend que les navires européens respectent les pratiques de pêche appropriées. Qui détermine si une pratique de pêche est appropriée?

M. Juneau: Cela relève essentiellement de l'accord que nous avons conclu avec la NAFO. Chaque bateau européen qui pêche le long de nos côtes doit avoir à son bord un inspecteur de l'Union européenne qui surveille les activités de ce bateau. C'est là l'une des principales réalisations des négociations avec l'Union européenne après la guerre de la pêche.

Le président: Ma question se fonde non pas sur une connaissance approfondie de ce qui se passe sur les bateaux européens, mais plutôt sur ce qui, selon certains, se produit sur les bateaux canadiens. Ces observateurs, pas ceux dont vous venez de parler, passeraient une très grande partie de leur temps sur leur couchette. La décision de rouvrir les ports signifie-t-elle que le gouvernement est d'avis que le programme des observateurs fonctionne adéquatement en ce qui concerne les navires européens?

M. Juneau: Il n'y a pas de doute que le nouvel accord intervenu avec l'Union européenne fonctionne adéquatement. Il n'est pas parfait. Certaines choses sur lesquelles nous n'exerçons aucun contrôle peuvent se produire sur ces bateaux. Toutefois, il est certainement intéressant de noter que, en théorie, un bateau européen qui arrive dans un port canadien peut y être inspecté. Il s'agit là d'une mesure supplémentaire qui incite ces navires à respecter les procédures établies.

Il sera intéressant de voir dans combien de temps ces bateaux commenceront à faire escale dans nos ports parce qu'ils ont adopté des pratiques différentes.

Le sénateur Bolduc: Certains d'entre eux ne viennent pas du tout.

M. Juneau: C'est exact. Certains sont ravitaillés par des navires-citernes qui viennent de nos côtes, et ils en profitent pour décharger leur cargaison.

Le sénateur Bolduc: Les deux parties ont-elles accepté de reconnaître leurs inspecteurs respectifs?

M. Juneau: Oui, nous reconnaissons que les inspecteurs européens sont compétents.

Le sénateur Bolduc: Les inspecteurs des navires espagnols sont-ils espagnols?

M. Juneau: Ils le sont quelquefois, parce qu'on ne peut pas établir de distinction. L'Union européenne ne peut décider qu'un inspecteur espagnol ne peut pas inspecter un bateau de pêche. Ces inspecteurs peuvent être espagnols, mais ils peuvent également être britanniques, irlandais ou allemands.

Le sénateur MacEachen: Je veux revenir à une question que j'ai posée au ministre au sujet du rapport que notre comité présentera.

M. Juneau négocie avec les Européens, les Européens surveillent le processus dans une certaine mesure et les ambassadeurs du Canada en Europe surveillent ce que nous faisons. Ils lisent ces rapports. D'après vous, quel type de rapport permettrait d'améliorer les relations entre le Canada et l'Europe?

Le sénateur Bolduc: En supposant que les politiques soient bipartites.

M. Juneau: Je vais vous donner mon opinion personnelle. Vous avez visité tous ces pays européens, vous devriez donc avoir une meilleure idée que moi de la façon d'aborder la question.

L'un des problèmes auxquels nous devons faire face au Canada, c'est de nous assurer que les Canadiens comprennent l'importance de l'Europe. Que nous le voulions ou non, l'Union européenne est appelée à jouer un rôle de plus en plus considérable. Évidemment, ce processus évolue depuis 40 ans, quelquefois rapidement et quelquefois plus lentement, mais il a toujours favorisé l'essor de l'Union européenne.

Je vous suggérerais tout d'abord, monsieur le sénateur, de rédiger un rapport qui chercherait à démontrer l'importance de l'Union européenne, car celle-ci n'est pas très bien connue au Canada. Le second point serait de mieux faire comprendre l'importance économique que revêt l'Union européenne pour le Canada et de souligner le fait qu'elle vient au second rang des partenaires économiques et commerciaux du Canada. Bien des gens croient que cette place est occupée par la région Asie- Pacifique, mais les chiffres démontrent que, au Canada, les investisseurs européens sont dix fois plus nombreux que les investisseurs asiatiques.

Il y a également ce que j'appelle les valeurs culturelles. C'est avec l'Union européenne que nous partageons le plus de valeurs -- et lorsque nous parlons maintenant de l'Union européenne, nous faisons référence à ce que nous appelions l'Europe de l'Ouest. Nous avons la même conception de la démocratie, nous nous intéressons également aux droits de la personne et nous partageons notamment les mêmes valeurs culturelles, tant en ce qui concerne les francophones que les anglophones.

Il importe de souligner que, même si nous entretenons de très bons liens culturels avec les États-Unis et les autres régions du monde, nos liens avec l'Europe sont primordiaux.

Mon dernier point, c'est que si nous ne nous associons pas davantage à l'Union européenne, celle-ci poursuivra son essor et nous serons marginalisés. Il nous faut essentiellement lutter contre la marginalisation du Canada dans nos relations avec l'Europe et changer la perception qu'ont les Européens de nous. Si le Canada veut demeurer un partenaire intéressant pour eux, nous devons leur rappeler notre importance. Nous devons faire davantage de visites comme celle que le comité a faite en Europe.

Je vous ai fait quatre suggestions pour votre rapport, et je suis persuadé que vous voudrez ajouter d'autres points, par exemple en ce qui concerne l'intérêt que vous portez à la Bosnie et la contribution canadienne à cet égard. Nous n'établissons aucun lien entre les activités militaires et les mesures prises en matière de sécurité et de défense, mais nous ne devrions pas hésiter à mentionner aux Européens que nous avons fourni 750 millions de dollars, une grosse somme d'argent, pour les activités de maintien de la paix en ex-Yougoslavie. Nous devons le leur rappeler pour nous assurer qu'ils comprennent à quel point il est important d'établir des liens valables avec le Canada.

Le président: Merci pour votre témoignage. Cela nous a été très utile.

La séance est levée.


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