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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 18 - Témoignages du 21 octobre 1998


OTTAWA, le mercredi 21 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des sciences sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour étudier les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude de la cohésion sociale au Canada. Avant de vous présenter nos témoins, je voudrais prendre quelques secondes pour situer nos travaux dans leur contexte.

En 1996, le Conseil privé a constitué un comité de recherche sur les politiques formé de fonctionnaires d'horizons divers; il s'agit d'un comité interministériel qui a été chargé d'analyser le contexte politique à moyen terme et de planifier les interventions de la prochaine décennie. Il a pour mandat de rédiger, à l'intention des ministres adjoints, un rapport sur les points de pression qui risquent d'apparaître dans la société canadienne d'ici l'an 2005 à cause des tendances économiques, démographiques et sociales, et de faire des recommandations concernant le programme des recherches interministérielles et les travaux susceptibles de combler les lacunes des connaissances actuelles.

En octobre 1996, le comité de recherche sur les politiques a présenté un rapport d'étape intitulé: «Croissance, développement humain et cohésion sociale» qui fait partie du domaine public, que vous pouvez consulter et dont je vous recommande la lecture. En fait, c'est même la lecture des premiers travaux de ce comité qui nous a incités, mes collègues et moi, à proposer au Sénat d'entreprendre cette étude sur la cohésion sociale.

Le comité de recherche sur les politiques s'intéresse à divers éléments, notamment à la cohésion sociale, et nos témoins d'aujourd'hui sont les coprésidents du sous-comité sur la cohésion sociale.

M. Michael Wernick, que vous voyez à la table des témoins et qui est, en temps normal, sous-ministre adjoint au ministère du Patrimoine, est ici aujourd'hui en sa qualité de coprésident du sous-comité sur la cohésion sociale. Il n'est pas là pour nous parler des activités du ministère du Patrimoine

Thea Herman est, en temps normal, sous-ministre adjointe de la Justice. Elle est l'autre coprésidente du sous-comité sur la cohésion sociale. Je constate qu'elle est accompagnée de Doug Williams, conseiller spécial à la Division de la recherche et de la statistique au ministère de la Justice.

Ces témoins ont apporté un document d'information qui vous a été distribué et qu'ils vont nous présenter brièvement, après quoi chacun pourra poser des questions. Nous vous écoutons.

M. Michael Wernick, coprésident du sous-comité sur la cohésion sociale du comité de la recherche sur les politiques, ministère du Patrimoine canadien: Merci, monsieur le président, honorables sénateurs, de nous avoir invités à vous rencontrer cet après-midi. Nous espérons pouvoir vous être utiles dans la très importante démarche entreprise par votre comité. Vous avez parfaitement bien exposé des antécédents du comité de la recherche sur les politiques, et je vais donc pouvoir passer très rapidement sur cette première partie de l'exposé.

Comme vous l'avez dit, la création de notre comité répondait à la volonté de redynamiser la capacité de recherche sur les politiques au sein de la fonction publique fédérale. Il s'agissait de constituer un programme prospectif permettant de regarder au-delà des questions urgentes et quotidiennes, vers des problèmes à moyen et à long terme. Il s'agissait également de veiller à ce que le travail s'organise et s'exécute de façon qu'on puisse conseiller en temps utile les décisionnaires politiques sur la façon d'aborder les problèmes. Nous devions enfin étendre notre capacité de recherche, assurer la meilleure utilisation de nos ressources, établir des partenariats, décompartimenter la fonction publique et inviter les fonctionnaires à collaborer dans une optique interministérielle et multidisciplinaire, la cohésion sociale étant l'un des thèmes qui se prêtait le mieux à cette démarche.

L'ensemble de notre réseau comprend une trentaine de ministères et organismes fédéraux, et nous nous sommes constitués en sous-réseaux, qui apparaissent à la troisième page du document. Les quatre sous-réseaux travaillent sous la responsabilité d'un comité directeur de huit ou neuf membres. Comme vous le remarquez, les thèmes principaux qui se sont dégagés du diagnostic de 1996 et 1997 étaient le développement humain, les défis et possibilités de la mondialisation, la croissance et la cohésion sociale.

Notre réseau fait appel à de nombreux ministères, mais comme Mme Herman et moi-même nous sommes portés volontaires pour le coprésider, l'essentiel du travail retombe malheureusement sur le personnel du ministère de la Justice et sur celui du Patrimoine canadien. Nous avons largement contribué au réseau, mais de nombreux ministères et organismes fédéraux à ces travaux.

Nous nous sommes conformés au plan de travail établi au printemps de 1997. Comme vous l'avez dit, ce plan de travail signalait des lacunes dans le champ des connaissances actuelles, posait un certain nombre de questions et les organisait de façon structurée. Les travaux se poursuivent depuis lors. Nous avons commencé à recueillir des résultats et nous continuerons d'en recueillir au cours des prochaines années.

Au début de nos travaux, nous nous sommes interrogés, comme votre comité ne manquera sans doute pas de le faire, sur la structure conceptuelle et les définitions de la cohésion sociale. Nous avons passé un certain temps à nous mettre d'accord sur une définition de travail, sur laquelle vous souhaiterez sans doute que l'on revienne à l'occasion des questions, sur une structure d'organisation et sur l'établissement de réseaux à l'intérieur et à l'extérieur de l'administration fédérale. Pour cela, il a fallu rejoindre le milieu universitaire, les réseaux d'intellectuels, les organisations internationales, les spécialistes de la question dans d'autres pays, ce qui nous a amenés, depuis un an, à établir de nombreux contacts et à faire beaucoup de réseautage.

Évidemment, nous avons aussi veillé à maintenir des passerelles en direction des autres réseaux. Comme nous travaillons sur les thèmes de la croissance et du développement humain, nous abordons souvent les problèmes d'un point de vue légèrement différent, mais il est utile, pour tout le monde, de laisser ouvertes toutes les lignes de communication.

Nous avons constaté très rapidement -- comme vous, sans doute -- que la cohésion sociale ne pose pas problème qu'au Canada; c'est désormais une préoccupation dans de nombreux pays. Notre document présente certaines citations, notamment de Tony Blair, de Grande-Bretagne, de rapports de l'OCDE et du Club de Rome, pour n'en nommer que quelques-uns. Nous pourrions poursuivre avec une longue liste de citations de personnages politiques des dernières années qui ont utilisé une terminologie légèrement différente. En tout cas, la cohésion sociale est désormais inscrite au programme des pouvoirs publics du monde entier.

Ainsi, bien que la cohésion sociale présente certainement des aspects spécifiquement canadiens, auxquels vous vous intéresserez au même titre que nous, elle pose un problème qui se manifeste en Europe, aux États-Unis et dans d'autres parties du monde.

La définition de «cohésion sociale» sur laquelle nous avons travaillé, et que Jane Jenson vous a présentée lors de sa comparution, apparaît à la page 6 du document. Je pourrais commencer en mentionnant ce dont nous n'avons pas parlé. Nous ne la définissons pas en faisant référence à l'unité nationale, au niveau de vie de la société ou à l'union sociale, au sens des programmes du réseau de sécurité sociale, ou même du capital social, autre expression que l'on rencontre parfois. La définition en vertu de laquelle nous organisons nos travaux apparaît à la page 6. La définition provisoire de la cohésion sociale pour notre réseau est la suivante:

[...] c'est un processus permanent qui consiste à établir des valeurs communes et des objectifs communs et à offrir des chances égales au Canada, en se fondant sur un idéal de confiance, d'espoir et de réciprocité parmi tous les Canadiens.

Comme vous le voyez à la page 7, nous avons soumis cette définition à un contrôle. Nous en avons beaucoup débattu, il en existe des versions modifiées -- je crois que Jane Jenson vous en a présenté certaines -- mais celle-ci a bien résisté à la critique dans la perspective de l'organisation de notre programme de recherche sur les politiques.

En discutant de cette définition et en recueillant les points de vue des groupes de réflexion et de la communauté internationale, nous avons évidemment beaucoup appris sur la cohésion sociale. De notre point de vue, nous la considérons comme un processus permanent et non comme une fin en soi. La cohésion sociale n'est pas un aboutissement. Elle ne correspond pas à une fourchette de 70 ou 80 points sur un barème de 100; c'est un processus. Une société cohésive est dynamique et sait réagir. Elle est souple et s'adapte au changement.

La cohésion n'a rien à voir avec l'homogénéité. Il ne s'agit pas d'imposer à tous le même moule. Une société trop homogène risque, en fait, d'exclure certaines personnes au lieu d'être cohésive.

La cohésion n'a rien à voir avec l'élimination des conflits. Au lieu qu'il y ait absence totale de conflits, ceux-ci sont résolus. Si une société dispose de moyens pour l'arbitrage, la médiation et la résolution des conflits sur la scène politique et sociale, cela assure une meilleure cohésion. Si ces processus n'existent pas, vous aurez d'autres types de pathologie sociale.

Nous essayons de donner une définition au niveau sociétal ou national plutôt que communautaire. Cela ne veut pas dire que la cohésion sociale ne présente pas des aspects communautaires. Elle se manifeste certainement au niveau de la collectivité, mais nous nous intéressons davantage à la cohésion qui se manifeste au niveau de la société. Par exemple, vous pouvez avoir une société pleine de collectivités encloses et où les gens vivent paisiblement à l'intérieur de leur enclave, chacune très cohésive et pacifique, mais sans avoir pour autant une société cohésive.

Nous avons parlé des valeurs et des identités, et nous en sommes venus à la conclusion que la cohésion sociale embrassait des identités multiples et des valeurs diverses. Encore une fois, la cohésion sociale n'est pas synonyme d'homogénéité ou d'uniformité.

Diverses forces s'exercent sur la cohésion sociale. Nous constatons clairement que les forces de mondialisation économique, technologique et culturelle ont un effet sur la cohésion sociale. La mobilité accrue de la population canadienne, tant au Canada que dans le monde entier, se répercute également sur elle. On peut en dire autant des changements démographiques qui surviennent au Canada et de la restructuration économique profonde et à long terme à laquelle nous assistons actuellement. La cohésion sociale subit également l'influence de la diversité croissante de la société canadienne, et certainement aussi celle de la technologie de l'information et de ses effets sur les communications entre les Canadiens de même qu'entre les Canadiens et le reste du monde.

Les changements positifs ou négatifs dans la cohésion sociale se reflètent sur certaines choses. Par exemple, ils se reflètent dans la vigueur de l'identité canadienne et dans la répartition des revenus. Si l'on se sert de quelques-uns des indicateurs mentionnés par Jane Jenson, cela se reflète dans le sentiment d'inclusion ou d'exclusion que ressentent les Canadiens, leur sentiment de pessimisme ou d'espoir, leur engagement civique, leur éducation civique, leur participation à la vie politique, sociale et culturelle du pays, de même que dans la diversité et ce que l'on définit souvent comme la société civile.

Je voudrais maintenant céder la parole à ma collègue qui abordera avec vous certaines des questions que nous avons soulevées de même que le plan de recherche que nous avons préparé dans le but de trouver des réponses.

Mme Thea Herman, sous-ministre adjointe, ministère de la Justice: À la page 9 de votre documentation, vous trouverez les grandes lignes de notre plan de recherche. Nous l'avons organisé à partir de trois principaux thèmes dans lesquels s'insèrent 11 questions sur lesquelles les connaissances actuelles sont incomplètes. Le premier thème s'intitule: «Les failles». Les questions que nous posons sont les suivantes: de multiples failles s'ouvrent-elles dans la société canadienne? Si c'est le cas, quelles sont les failles les plus importantes et quelles en sont les conséquences? Quels sont les facteurs qui aggravent ou réduisent ces failles?

Certaines des questions de recherche que soulève ce thème sont les suivantes: quelles sont les répercussions de la diversité contemporaine sur les aspects tels que le sexe, l'âge, les questions régionales, le clivage entre ruraux et citadins de même que le clivage entre les divers groupes ethniques? Une autre question que nous nous posons est la suivante: quels sont les effets de la polarisation économique sur la cohésion sociale de même que ceux de la répartition des revenus, du chômage à long terme et du décrochage scolaire?

Notre deuxième thème de recherche s'intitule: «Grandes lignes de l'identification communautaire». Voici les questions que nous soulevons: quelles sont les grandes lignes de l'identification communautaire et changent-elles? Quelle est la nature de l'appartenance à la communauté? Devient-elle plus complexe et les gens ont-ils maintenant des liens avec des communautés multiples? La force de l'attachement des gens à leur communauté (ou communautés) est-elle en train de changer?

Les questions de recherche qui se rattachent à ce deuxième thème sont notamment celles-ci: Quel rôle les institutions et les symboles nationaux jouent-ils pour promouvoir la cohésion sociale? Quelle est l'influence de l'émergence de la société de l'information? Quel est le niveau et l'influence de l'éducation civique et de la connaissance du Canada? Quelles sont les valeurs canadiennes qui subissent une évolution? Quel est le niveau de la participation civile et pourquoi est-ce important? Également, quelle est la construction culturelle canadienne et quel est son lien avec la cohésion sociale?

Le dernier thème de recherche s'intitule: «Conséquences des changements affectant la cohésion sociale». Les questions posées sont les suivantes: Pourquoi le gouvernement fédéral et les Canadiens devraient-ils se préoccuper de la cohésion sociale? Quelles sont les conséquences sociales, économiques, culturelles et publiques des changements dans la cohésion sociale au sein de la communauté canadienne?

Nos sujets de recherche sont les suivants: quel est le rapport entre la cohésion sociale et le développement économique, entre la cohésion sociale et l'identité canadienne? Quels sont les rôles du secteur privé et du secteur bénévole? Quelles sont les institutions et les politiques gouvernementales qui sont en transformation et quelle influence cela a-t-il sur la cohésion sociale?

J'en arrive à la page 10 à certaines de nos premières constatations. Je tiens à souligner que ce n'est qu'un début. Le réseau de la cohésion sociale est quelque chose de très nouveau. Nous avons seulement commencer à explorer certaines des questions clés que j'ai énoncées. Voici quelques constatations et conclusions préliminaires que nous pouvons tirer. Je vais les passer brièvement en revue.

Premièrement, la cohésion sociale et la croissance économique sont des objectifs politiques complémentaires et non contradictoires. Nous savons depuis longtemps que les conditions économiques se répercutent sur la société, mais on s'entend maintenant à dire que la façon dont la société est organisée peut contribuer à la croissance et la prospérité. En fait, les résultats préliminaires laissent entendre qu'une réduction de la cohésion sociale a d'importantes répercussions négatives, y compris sur l'économie, même si c'est difficile à mesurer. Je peux dire, dans le contexte de mes fonctions au ministère de la Justice, que si la criminalité est une mesure de la cohésion sociale, la façon dont nous pouvons y faire face a certainement un rapport avec la croissance et la prospérité économiques. Par conséquent, à bien des égards, la cohésion sociale peut avoir d'importantes répercussions sur le plan de la croissance et de la prospérité.

Notre deuxième constatation préliminaire est que les Canadiens sont toujours fiers d'être Canadiens, mais que les liens qui les unissent sont peut-être en train de se relâcher. Une étude comparative récente indique que les Canadiens se situent au troisième rang, parmi 23 pays, sur le plan de la fierté nationale. D'autre part, ils ont toujours été parmi les peuples les plus généreux au monde. Toutefois, même si le niveau des dons et le bénévolat restent stables, le nombre d'heures de travail bénévole données par le tiers de Canadiens qui participent activement à des activités bénévoles est en baisse. Si nous tenons compte des autres tendances, les obstacles créés par le manque de temps et de motivation peuvent s'opposer à un engagement civique plus important de la part des Canadiens. Nous savons tous à quel point le manque de temps compromet la capacité des Canadiens de faire du bénévolat.

Notre troisième constatation préliminaire est que la société civile voit son caractère se transformer. L'incertitude à l'égard de l'avenir, le danger de la polarisation économique et la baisse de confiance envers les gouvernements créent un climat d'anxiété générale chez les Canadiens. Les forces économiques ne peuvent expliquer qu'en partie cette anxiété et ce cynisme. Les causes profondes semblent être beaucoup plus complexes et inclure d'autres facteurs comme l'exclusion sociale, l'insécurité culturelle et environnementale et une méfiance croissante à l'égard d'un grand nombre des institutions de la société. Les sondages laissent entendre, par exemple, un clivage grandissant entre les jeunes et les moins jeunes. Le respect pour la plupart des formes d'autorité a certainement diminué, mais les Canadiens veulent quand même plus de civilité dans leur société.

Notre quatrième constatation préliminaire est qu'il est absolument indispensable de regagner la confiance des citoyens envers les institutions publiques et le processus politique si l'on veut renforcer le tissu social au Canada. D'après les recherches, les Canadiens se classent au premier rang pour ce qui est d'être fiers de leur société démocratique, mais leur éducation civique laisse beaucoup à désirer. Pour accroître la confiance dans les institutions publiques, il faut que les Canadiens soient mieux informés et puissent participer, de façon plus éclairée, aux premières étapes du processus politique.

Notre cinquième constatation préliminaire est que, dans une société cohésive, le conflit n'est pas absent; en fait, ce genre de société sait trouver des moyens de renforcer le sentiment de communauté grâce à la gestion et au règlement constructifs des conflits. Pour le moment, il est pratiquement impossible de prévoir quels seront les impacts structurels à moyen et à long terme ou les interactions entre les diverses lignes de faille de la société. Il est toutefois de plus en plus clair que leurs répercussions sur la santé, la sécurité et le bien-être futur des Canadiens dépendront largement de la mesure dans laquelle les structures officielles et officieuses, nationales, internationales, publiques, privées, non gouvernementales et bénévoles sauront gérer les conflits. Notre société doit accepter la diversité et les conflits et apprendre à les gérer.

Sixièmement, il y a un certain nombre de questions importantes auxquelles nous n'avons pas encore trouvé réponse, notamment quand on se demande si un sentiment d'identité nationale est indispensable à la cohésion sociale. Le sentiment d'être tous dans le même bateau est peut-être à l'origine de la cohésion sociale, mais nous sommes loin de comprendre ce qui peut susciter ou faire taire ce sentiment. L'inclusion est peut-être la clé d'un sentiment d'appartenance nationale. Les données examinées jusqu'ici laissent entendre que les sociétés solidaires sont celles qui savent concilier des identités multiples, mais nous sommes loin de comprendre le phénomène par lequel cela se produit. Apparemment, le gouvernement fédéral a peut-être, en tant qu'instrument des valeurs canadiennes, joué un rôle plus important que nous ne le pensions au départ pour renforcer le sentiment d'identité et d'appartenance nationale.

Septièmement, ce n'est pas le moment de se reposer sur ses lauriers. Comme vous le savez sans doute, les questions de cohésion sociale sont complexes et exigent une analyse poussée. Toutefois, les ressources financières et autres restent limitées. Nous n'avons pas suffisamment de données pour prédire si les changements démographiques et sociaux se renforceront mutuellement, mais cette possibilité est évidente.

Dans ce contexte, voici certaines des questions qu'il faudrait examiner selon nous: le fossé qui se creuse actuellement entre les générations et qui risque d'aggraver l'inégalité déjà présente entre les sexes sur le plan des revenus; les questions familiales ainsi qu'un vaste éventail de problèmes sociaux et de problèmes sur le plan de la santé. Il faut également comprendre et examiner la situation des peuples autochtones. Il faudra pour cela une action concertée sur plusieurs fronts: la santé, le bien-être social, l'éducation, le logement, l'économie locale, la justice et cela dans divers milieux urbains et ruraux. Enfin, il y a la situation des personnes marginalisées sur les plans économique et social, une situation qui semble s'aggraver et qui n'est masquée que partiellement par la croissance globale de l'économie. Nos statistiques sur les sans-abri sont incomplètes, mais nous commençons à comprendre les répercussions énormes de cette situation dans nos villes.

À la page 11, nous avons énuméré certains de nos objectifs de recherche. Nous voulons d'abord mettre à l'essai et élaborer un cadre conceptuel de recherche sur la cohésion sociale. Jane Jenson vous a sans doute déjà parlé des travaux que nous avons accomplis en collaboration avec les RCRPP sur l'établissement d'un schéma de cohésion sociale. Nous voulons examiner les liens entre l'âge, le sexe, l'origine ethnique, la situation géographique et les autres éléments afin de comprendre leurs rapports mutuels.

Nous voulons aussi revalider notre définition provisoire de la cohésion sociale. Comme l'a mentionné mon collègue, il s'agit d'une définition provisoire. La définition de la cohésion sociale fait l'objet de bien des discussions. Si nous avions décidé d'attendre d'avoir trouvé une définition définitive satisfaisante, nous serions toujours en train de discuter de cette définition. Nous n'aurions rien accompli de concret. Nous avons donc décidé de formuler une définition provisoire aux fins de nos recherches afin de pouvoir nous mettre à la tâche. Je crois toutefois que nous allons devoir la réviser et j'espère que le travail accompli par votre comité nous aidera également et complétera nos propres réflexions.

Nous devons approfondir notre compréhension des questions relatives à la cohésion sociale. Il existe encore de nombreuses lacunes dans les données dont nous disposons, en particulier pour établir des statistiques et des indicateurs plus précis et plus à jour de la cohésion sociale. Comme vous le savez tous, j'en suis sûr, les statistiques sociales sont beaucoup plus difficiles à réunir que les statistiques économiques. Il faut que nous comprenions mieux les mesures prises par d'autres pays et les institutions internationales pour régler les questions reliées à la cohésion sociale. Il y a énormément de travail qui se fait dans ce domaine, surtout en Europe. Nous croyons pouvoir bénéficier d'une bonne partie du travail accompli par les Européens et ces derniers pensent pouvoir travailler avec nous, pour notre avantage réciproque.

Il faut que nous comprenions les facteurs qui contribuent ou nuisent à une participation plus active des citoyens, les liens entre l'accès à l'information, en particulier l'information canadienne, et le bien-être social, économique et culturel. Nous voulons explorer la nature et la répartition des liens entre la politique culturelle, la citoyenneté et la cohésion sociale ainsi que le rôle des institutions au sein de la société civile, notamment celui des associations nationales, dans la représentation et la médiation des différends et des conflits.

Le troisième défi que nous voulons relever consiste à faire des recherches plus poussées sur le troisième thème que nous avons mis en lumière, c'est-à-dire les conséquences des changements affectant la cohésion sociale. Des trois thèmes, c'est celui pour lequel il nous reste le plus à faire. Nous devons étudier les facteurs déterminants de l'identité nationale et de l'attachement à celle-ci, publier et diffuser les résultats des recherches sur les liens entre le développement économique et la cohésion sociale, étudier les changements dans la nature de la communauté politique au Canada et ses rapports avec la cohésion sociale et examiner de quelle manière les changements dans la cohésion sociale influent sur la gestion des affaires publiques au Canada.

Enfin, nous voulons renforcer les partenariats. Il y a de nombreuses lacunes dans les données dont nous disposons et notre réseau travaille en collaboration avec Statistique Canada à cet égard. Je crois que Statistique Canada a un rôle crucial à jouer pour réunir ces statistiques et ces indicateurs sociaux. On est en train d'élaborer actuellement une série d'indicateurs préliminaires de la cohésion sociale et c'est un projet auquel nous allons collaborer avec Statistique Canada tout en explorant en outre de nouvelles sources de données.

Nous travaillons également de concert avec le milieu universitaire. Patrimoine Canada, par exemple, a fait préparer une série de documents sur les rapports entre la croissance économique et la cohésion sociale. L'Université Dalhousie examine les liens entre la cohésion sociale et l'économie tandis que le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada a prévu un programme de recherche ambitieux sur la cohésion sociale pour les cinq prochaines années. Comme nous l'avons mentionné, je crois, nous faisons partie d'un groupe de réflexion avec les RCRTP et Jane Jenson vous a parlé du travail qu'elle a accompli avec nous en vue de l'établissement d'un cadre conceptuel pour la cohésion sociale.

Enfin, les consultations régionales ne font que commencer. Il y a déjà eu des réunions entre le Secrétariat à la recherche sur les politiques et les conseils de recherche fédéraux. Nous savons qu'il reste beaucoup à faire et que nous avons encore de nombreuses données à recueillir à l'extérieur d'Ottawa et dans les régions.

Pour conclure, nous vous remercions de nous avoir invités à vous parler de nos activités au sein du Réseau de la cohésion sociale et nous trouvons très encourageant de vous voir étudier ce sujet. Comme vous le savez, dès qu'il est question de cohésion sociale, bien des gens se grattent la tête et pensent qu'il s'agit d'un concept très ésotérique. Ils comprennent beaucoup plus facilement qu'on veuille étudier les questions économiques. Nous apprécions beaucoup vos délibérations sur ce sujet. Nous attendons impatiemment les résultats de vos travaux qui permettront au public de mieux comprendre ce qu'est la cohésion sociale.

Le président: En fait, une des choses auxquelles nous nous intéressons est l'influence des événements économiques sur la cohésion sociale, notamment la mondialisation et la technologie. Les politiques économiques des 10 ou 15 dernières années ont réussi à stimuler la croissance économique. Les 10 ou 15 dernières années n'ont pas été mauvaises sur le plan de la croissance économique. Votre groupe s'est-il demandé pourquoi cette croissance économique ne s'était pas traduite par un plus grand bien-être social?

M. Wernick: Cette question renferme un ou deux points. La première chose que je dirais, c'est que nous ne savons pas réellement si en matière de cohésion sociale, la situation s'améliore ou empire parce que nous n'avons pas de cadre conceptuel ni de données claires à ce sujet. Je ne pense pas que nous puissions dire avec certitude si la situation s'améliore ou empire par rapport à il y a dix ans, ce qui complique un peu les choses.

Toutefois, nous pouvons dire sans hésiter que nous sommes convaincus que la corrélation entre le développement économique et la cohésion sociale existe. Ce n'est pas aussi simple que certains auraient voulu le prétendre il y a dix ans, à savoir que si l'on a une économie forte et de bonnes bases économiques, cela permet d'avancer des politiques sociales et de parvenir à une meilleure cohésion sociale. Les rapports économiques fonctionnent également dans l'autre sens. Si l'on veut attirer des investissements et une activité économique dans son pays ou dans une région de son pays, la sécurité des collectivités, de bonnes écoles et service de santé et la qualité de vie, entre autres, sont des facteurs très puissants d'attraction d'activité économique et de maintien de ces activités. L'économie mondiale s'orientant de plus en plus vers des emplois fondés sur la matière grise qui sont très mobiles, le tissu des collectivités est un des vrais atouts ou obstacles pour les entreprises et la politique sociale peut en fait se révéler être une très bonne stratégie économique.

Le président: Dans le projet de rapport provisoire d'octobre 1996, vous déclarez:

L'inégalité croissante entre les revenus au Canada, soulignée dans le chapitre précédent, va à l'encontre de la réduction des disparités, un des éléments de la définition de cohésion sociale. Ceci, multiplié par le fait qu'il devient plus difficile pour ceux qui se trouvent au bas de l'échelle salariale d'en gravir les échelons. L'effet négatif de la marginalisation, ou de l'exclusion, des individus sur l'espoir de cohésion sociale semble évident; l'exclusion engendrera le ressentiment et la désaffection, ce qui peut à son tour engendrer une certaine hostilité et une tendance au crime [...]

Toutes choses que mentionnait Mme Herman.

Un peu plus loin, dans la conclusion, on lit:

La possibilité d'une croissance économique à moyen terme dans les conditions actuelles ne suffit pas à réduire sensiblement le nombre de sans-emploi ni à nous ramener à une situation de croissance régulière des revenus pour la majorité des Canadiens. Ceci peut bien accentuer la tendance déjà fâcheuse vers une plus grande inégalité des chances pour les Canadiens et approfondir les fractures sociales qui deviennent de plus en plus évidentes.

Que dites-vous à ce sujet au monde politique? Au cours des deux dernières années, pensez-vous que l'on puisse dire que le cheminement économique à moyen terme ait changé? Je ne le crois pas.

Mme Herman: Je ne le crois pas, mais pour l'étude que nous considérons, le fait que nous puissions examiner les statistiques économiques en général et dire que nous sommes en période de croissance, ne suffit pas. Il y a beaucoup de questions à se poser. Qui en profite? Qui n'en profite pas? À propos de «Qui n'en profite pas», il y a des questions d'âge, de sexe, d'appartenance aux groupes autochtones, d'ethnicité, de région, de différences entre les régions urbaines et les régions rurales. Je dirais que ces statistiques cachent une multitude de choses.

Pour essayer de comprendre les incidences des chiffres sur des points particuliers et, surtout, sur la cohésion sociale, qui n'est pas une question de savoir si les gens ont ou non un emploi -- même si, bien sûr, c'est là un élément essentiel de cohésion sociale, il faut considérer beaucoup d'autres facteurs. Par exemple, les diverses ligues de taille dont nous parlions afin de mieux comprendre ces problèmes économiques et l'impact qu'ils ont sur la cohésion sociale.

M. Wernick: La seule chose que j'ajouterais c'est qu'alors que les réseaux s'efforçaient en 1996-1997 de définir les problèmes, un de ceux qui sont ressortis et qui a son propre réseau, c'est la croissance. La croissance des revenus réelle et la productivité n'ont pratiquement pas bougé pendant longtemps au Canada. Il s'agissait de comprendre les raisons de ce phénomène et de faire les recherches nécessaires pour suggérer une orientation qui permettrait au Canada de jouir d'une plus forte croissance et d'augmenter les richesses à partager. Ce que nous avons constaté, c'est l'incidence de ce genre de stagnation et les questions auxquelles mon collègue a fait allusion, à savoir l'inégalité dans la répartition de ces richesses et le sentiment qu'ont les gens d'appartenir à une même collectivité.

Le président: J'y reviendrai peut-être plus tard.

Le sénateur Butts: J'ai d'abord une question au sujet de votre définition. Nous pourrions ergoter toute la soirée sur les définitions. Cela me dérange un peu d'en parler comme d'un processus permanent en développement. Je ne pense pas que ce soit ni permanent ni en développement. En fait, je pense plutôt que c'est en régression. C'est ce que vous dites ailleurs dans votre document. À la page neuf, vous utilisez l'expression «failles», ce qui sous-entend, à mon avis, un effondrement. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire? J'hésite à dire qu'il s'agit d'un processus permanent en développement alors que j'estime plutôt que c'est en régression.

M. Wernick: Comme je l'ai dit, nous essayons de ne pas porter un jugement sur la situation, à savoir si elle s'améliore ou si elle s'aggrave.

Le sénateur Butts: Je ne vous demande pas de porter un jugement. Je dis que c'est la réalité.

M. Wernick: Ce que nous essayons de dire, c'est qu'il ne s'agit pas d'un état que l'on peut atteindre ou dont on peut sortir. Nous ne réaliserons pas la cohésion. Nous cheminerons dans une certaine direction.

Le sénateur Butts: Par le passé, nous avions une plus grande cohésion.

M. Wernick: Je suis d'accord avec vous. Nous pouvons avancer soit dans une direction où les liens entre les Canadiens vont se resserrer, soit avancer dans une direction où ces liens vont se relâcher.

Le sénateur Butts: À la page 12, sous la rubrique «objectifs de recherche actuels», le premier point sous le numéro trois fait allusion à «l'identité nationale et à l'attachement». Est-ce ce que vous entendez par cohésion sociale?

Mme Herman: C'est l'une des questions que nous posons. Nous ignorons dans quelle mesure la cohésion sociale implique un sentiment d'identité nationale. Est-ce qu'il s'agit d'un sentiment d'identité nationale? D'un sentiment d'identité régionale? D'un sentiment d'identité communautaire? C'est l'une des questions que nous voulons étudier.

Le sénateur Butts: Les données actuelles montrent que même si l'on observe une régression de la cohésion nationale, il existe une cohésion à l'échelle des petites collectivités. D'une certaine façon, le gouvernement fédéral contribue à ce phénomène. J'ai travaillé pour trois ou quatre ministères, et dans chacun de ces ministères on nous a dit de déléguer les pouvoirs aux collectivités afin qu'elles puissent prendre des décisions dans une foule de dossiers. Les décisions sont donc prises par les régions ou les municipalités. À cet égard, j'estime que la cohésion nationale s'affaiblit et qu'elle est remplacée par une cohésion dans les petits groupes et les petites collectivités. Qu'il s'agisse dans les deux cas de cohésion sociale n'a pas beaucoup d'importance, selon moi.

Mme Wernick: Nous nous sommes rendus en France plus tôt cette année, les Français ont un très fort sentiment d'identité nationale et une grande estime de soi. Le gouvernement y est uni et centralisé, et ils ne cessent de discuter de cohésion sociale. Dans une certaine mesure, Marseille et Paris sont en lutte contre les mêmes problèmes que les grandes villes canadiennes, par exemple l'intégration, l'immigration, la criminalité et l'aliénation. Cela nous a surpris de constater, en parlant avec les gens en France, qu'il n'existe pas un lien direct entre la fierté nationale et la cohésion sociale.

Le sénateur Butts: Certains disent que le problème découle en partie du fait que le gouvernement fédéral perd de son influence dans toutes ces collectivités et que davantage de pouvoirs sont transférés aux provinces. Il y a peu de cohésion sociale d'une province à l'autre. La façon de voter, les programmes sociaux, les intérêts et les priorités diffèrent.

J'ai passé quelques heures aujourd'hui à parler de la pauvreté infantile. Or, ce problème est complètement différent d'une province à l'autre. Il n'y a pas de politique nationale sur la pauvreté infantile au Canada. C'est le résultat de la décentralisation des pouvoirs en faveur des provinces.

Le président: Si le problème est différent d'une province à l'autre, alors il faut que l'approche soit différente, et il y a donc une limite à ce que le gouvernement fédéral peut faire. Nos témoins pourront vous en parler davantage que moi. Je sais toutefois que toutes les provinces ont souscrit au programme national de prestations pour enfants, et qu'elles peuvent maintenant l'adapter en fonction de leurs besoins.

Le sénateur Butts: Elles peuvent l'adapter, mais cela ne s'applique pas à la pauvreté infantile, et c'est là où réside le problème. Le gouvernement fédéral verse aux provinces des millions de dollars pour combattre la pauvreté infantile, mais il n'a aucune garantie que ces fonds vont servir à cette fin.

Le président: C'est une prestation fiscale qui donne une certaine latitude aux provinces, à condition qu'elles utilisent l'argent à cette fin.

Le sénateur Butts: À condition que les fonds soient utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été versés. Cela illustre bien le problème de la cohésion sociale.

M. Wernick: Je ne présume pas de vous apprendre quoi que ce soit sur les relations fédérales, car je connais vos antécédents dans ce domaine. Un des arguments en faveur du système fédéral, c'est que toutes les décisions ne sont pas prises à l'échelon national, et on peut essayer d'appliquer différentes formules politiques afin de composer avec différents problèmes. Ainsi, s'il y a un problème en Colombie-Britannique, on peut trouver une solution sur place. Bien sûr, cela soulève le genre de problèmes que vous avez mentionné plus tôt. Cependant, il est parfois plus facile de diriger une fédération qu'un État très unifié.

Le sénateur Butts: Le problème, c'est que les provinces ne sont pas toutes égales. Pendant des décennies, les provinces riches ont aidé les provinces pauvres par l'entremise du gouvernement central. C'est maintenant une chose du passé, ou c'est en train de disparaître. En fait, un premier ministre provincial pourrait dire qu'il ne veut plus participer à un tel système parce qu'il n'y croit pas. Cela crée une dynamique nouvelle. Dans le cas des provinces riches, cela ne pose pas de problème. Cependant, dans les provinces pauvres qui recevaient du gouvernement central des paiements de péréquation qui n'existent plus, il n'y a plus beaucoup de cohésion sociale, sinon dans la pauvreté. Voilà ce que je veux dire. Il n'y a pas de cohésion nationale dans ce dossier.

Mme Herman: Là encore, sans vouloir aborder la question des relations fédérales-provinciales, au chapitre de la cohésion sociale, la notion de réciprocité fait partie de notre définition en ce sens que les Canadiens, les provinces, les régions, peu importe, s'entraident et estiment que c'est leur devoir de le faire. Si on semble croire que le sens civique s'estompe dans notre société, à nouveau sans vouloir aborder la question des relations fédérales-provinciales, c'est en partie parce qu'en tant que Canadiens, nous n'avons plus le sentiment d'avoir des obligations réciproques, les uns envers les autres. Je ne sais pas si c'est effectivement le cas, mais on a l'impression que les gens sont plus égoïstes qu'auparavant, que ce soit à l'échelle des régions, des provinces ou des particuliers, et qu'ils n'ont plus le sentiment communautaire, ni le sens du partage ou de la solidarité que devrait avoir une société unie.

Le sénateur Butts: Il y a beaucoup de données empiriques qui tendent à le prouver.

Le président: À cet égard, j'aimerais ajouter une chose. Le rapport du comité de recherche sur les politiques à la page 51, fait état:

[...] du besoin d'assurer la complémentarité des politiques fédérales et provinciales. À l'heure actuelle, le Canada n'a ni les institutions, ni la culture nécessaire pour accroître la collaboration. Faute d'une meilleure collaboration fédérale-provinciale, il sera difficile de régler les problèmes soulignés dans ce rapport.

Le sénateur LeBreton: Ma question fait suite à ce que vient de dire le sénateur Butts au sujet de la délégation des pouvoirs et du fait que les institutions nationales semblent contribuer de moins en moins aux différentes régions. Est-ce ce qui nourrit le cynisme des Canadiens à l'égard de nos institutions nationales? Je ne sais pas si nous avons des données à ce sujet, mais il y a 15 ou 20 ans, les Canadiens avaient une certaine perception du Parlement. Ils avaient aussi une certaine perception de la police, de la GRC et des militaires. Cette perception semble changer quelque peu à cause de la délégation des pouvoirs. La fin de semaine dernière, j'étais en Nouvelle-Écosse, et j'ai été étonnée de voir à quel point les gens à qui j'ai parlé semblaient détachés d'Ottawa. En fait, Ottawa ne leur venait à l'esprit que lorsqu'ils pensaient au bureau de poste ou lorsqu'ils voyaient une nouvelle frégate amarrer au port.

Le président: Ottawa finance environ 40 p. 100 de leur budget provincial.

Le sénateur LeBreton: Toutefois, on a l'impression que ce n'est pas le cas.

Le président: Dans ce cas vous avez un problème, sénateur.

Le sénateur LeBreton: En effet. Pourquoi en est-il ainsi?

M. Wernick: Je pense qu'il faut faire une distinction entre l'attachement à son pays et l'attachement à son gouvernement fédéral. Il semblerait qu'il s'agisse de deux choses différentes. D'après les sondages, la fierté qu'on éprouve envers le Canada est aussi grande que jamais et peut-être même un peu plus forte qu'auparavant parce que nous la mettons constamment à l'épreuve. Les Canadiens sont incroyablement fiers de leur pays et c'est le cas dans tous les coins du pays, nonobstant tous les changements de rôle des gouvernements, fédéral et provinciaux que vous décrivez. Nos attitudes face au gouvernement -- et nous prenons grand soin de nous exprimer en termes généraux, porte sur la politique et le gouvernement à tous les paliers, fédéral, provincial et municipal. On retrouve d'ailleurs la même chose dans d'autres pays. Vous avez probablement entendu Michael Adams parler du fait que les gens ont une attitude de moins grande révérence à l'égard de leurs gouvernements. Ce n'est pas simplement, dans le cas des gouvernements fédéraux, bien qu'évidemment, ce sont les gouvernements les plus visibles et les plus faciles à critiquer. Les Canadiens tirent le sens de leur identité, notamment du programme de soins de santé. On n'est pas sensible au rôle du fédéral dans le maintien du système de soins de santé si on ne fait que consommer les services de ce système, mais 30 ans de ce régime en ont fait une partie inhérente de la raison pour laquelle les Canadiens se sentent Canadiens et se sentent différents de leurs voisins.

Le sénateur LeBreton: Voilà une entrée en matière parfaite à ma question suivante sur l'identité nationale et la mondialisation de notre économie. Avez-vous des données qui révèlent que le fait d'être différent des États-Unis renforce, à certains égards, notre identité nationale? Avez-vous constaté que parce que nous sommes 30 millions à vivre, à 90 p. 100, à une centaine de milles de la frontière américaine, le sentiment d'identité des Canadiens est brouillé parce que nous sommes si près des États-Unis sur le plan des communications et du commerce? Je vous accorde que le régime de soins de santé constitue probablement une différence déterminante, mais avez-vous constaté qu'à cause de la proximité des États-Unis, il y a confusion chez les Canadiens quant à leur identité?

M. Wernick: Je dirais brièvement que non. Au risque de m'embarquer dans des questions de politique culturelle, les Canadiens sont très aptes à composer avec de multiples identités et se révèlent des consommateurs avides d'information et de culture en provenance de nos voisins et des autres coins du monde. Votre vie se trouve enrichie parce que vous êtes exposé à des produits culturels européens, américains et asiatiques. Vous pouvez en jouir, vous en servir et en même temps, demeurer fermement attaché à votre communauté et à votre pays. Les données révèlent que les Canadiens passent très bien de la participation locale à la participation internationale et qu'il existe peut-être d'autres moyens d'identification qui n'ont rien à voir avec la géographie. On tire son sentiment d'identité de son sexe, de son groupe ethnique ou même du fait qu'on soit pendant ses heures de loisir jardinier, joueur de quilles, ou ornithologue. On peut facilement se déplacer entre ces identités.

Le sénateur LeBreton: Sur le plan économique, pouvez-vous affirmer la même chose au sujet de ceux qui appartiennent à la génération X et qui ont peut-être l'impression qu'ils doivent se débrouiller seuls? Est-ce que ce groupe a le même sens d'identité et le même attachement envers le Canada?

M. Wernick: Oui, les données indiquent que les personnes qui composent la «génération X» sont attachées au Canada. Comparées aux générations précédentes -- et là encore, je pense que Michael Adams a dit quelques mots à ce sujet -- les membres de ce groupe se demandent peut-être un peu si la communauté ou l'État va s'occuper d'eux. Notre génération a planifié sa vie en se fondant sur l'hypothèse qu'on pouvait jusqu'à un certain point compter sur la communauté, sur des filets de sécurité, sur des régimes de pension publics et le reste. Les preuves semblent révéler que les générations qui nous suivent se méfient peut-être un peu plus, sont plus sceptiques et sont plus portées à prendre leur destin en main pour s'assurer qu'ils pourront prendre soin d'eux-mêmes et de leur famille immédiate.

Le sénateur LeBreton: Peut-être est-ce un mythe que nos institutions nationales souffrent et que notre identité nationale n'est pas aussi forte qu'auparavant. Cela est-il attribuable à l'attitude de la génération X et au fait qu'elle se fait davantage entendre? Est-ce liée davantage à la situation économique?

Mme Herman: Je n'en suis pas sûre. Je pense qu'il faudrait examiner ces questions dans l'optique de la génération X et des générations qui suivent. Il s'agit d'une génération qui est en train de grandir dans une réalité très différente des générations qui l'ont précédée. Les jeunes d'aujourd'hui connaissent une bien plus grande insécurité que les jeunes de notre génération, à tort ou à raison. Ils savent qu'ils occuperont beaucoup plus d'emplois différents au cours de leur vie que nous ne pensions avoir à notre époque. Peut-être que dans notre jeunesse, nous aurions dû éprouver plus d'insécurité.

Le sénateur LeBreton: Nous avons toujours pensé que nous aurions une ou peut-être deux carrières. Ils doivent envisager d'avoir de multiples carrières.

Mme Herman: Oui, ils auront probablement plusieurs carrières. Beaucoup d'entre eux savent qu'ils devront peut-être quitter les collectivités où ils ont grandi, tandis que les générations précédentes pensaient peut-être se voir obliger de quitter ces collectivités ou d'occuper plus d'un emploi, mais au moins elles n'avaient pas ce genre d'angoisse dans leur jeunesse.

Le sénateur LeBreton: Elles n'avaient pas à s'attendre à ce genre de chose.

Mme Herman: C'est exact.

Lorsqu'on considère qui sont les gagnants et les perdants dans cette période de croissance économique, il faut tenir compte des répercussions sur la génération de la relève à la porte pendant que la génération des babyboomers occupe tous les bons emplois et profite de tous les avantages, et de ce qui se produira lorsqu'elle arrivera. Dans le cadre de notre travail, nous examinerons cette génération et la réalité de la population vieillissante au pays. Nous tiendrons également compte du fait que notre population vieillissante vivra plus longtemps.

Le sénateur LeBreton: Les gens vivent plus longtemps.

Mme Herman: Oui, et c'est une nouvelle réalité pour le Canada, tout comme pour de nombreux pays occidentaux. Une importante population âgée modifiera aussi considérablement la dynamique qui entoure les questions sociales. Ce sera donc une société très différente de celle à laquelle nous sommes habitués.

Le sénateur LeBreton: La responsabilité de la génération X envers la population vieillissante est un défi de taille en matière de cohésion sociale.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites dans votre mémoire que la cohésion sociale au Canada est le processus continu de l'élaboration d'un ensemble de valeurs partagées -- des défis partagés et des possibilités égales --, le tout fondé sur un sentiment de confiance, d'espoir et de réciprocité entre tous les Canadiens.

Nous sommes une société multiethnique avec des problèmes multiples. Nous sommes une mosaïque constituée de gens provenant de toutes les parties du monde. Lorsque vous faites référence aux pays européens, comme l'Italie par exemple, vous retrouvez des groupes d'immigrants ou de réfugiés à travers une population qui est d'origine italienne depuis de nombreuses générations. En France, c'est la même chose. Au Canada, notre héritage est celui que nous avons reçu de nos pays d'origine. Nos sources sont diverses.

Je suis frappée de voir que 9,5 p. 100 de la population canadienne est composée d'assistés sociaux. Certains d'entre eux ont la vie facile grâce aux chèques d'assistance sociale. Comment faire en sorte que ces gens puissent s'intégrer au monde du travail, qu'ils retrouvent le goût de participer comme citoyens au bien-être de la nation? Il faut leur offrir un travail adéquat, à la hauteur de leurs possibilités, ayant une rémunération supérieure aux chèques d'assistance sociale qu'ils reçoivent, autrement nous ne récupérerons jamais ces gens.

Nous savons que les institutions gouvernementales ont un rôle important à jouer pour une meilleure cohésion sociale. Premièrement, quelles genres d'associations devraient être formées entre les secteurs gouvernementaux, les secteurs des affaires et les secteurs bénévoles afin de créer une atmosphère de cohésion sociale qui combat l'exclusion sociale?

Deuxièmement, comment le gouvernement peut-il inculquer un sentiment d'identité nationale, de confiance dans ses institutions gouvernementales et de cohésion sociale pour tous les Canadiens, malgré les forces compétitives économiques sur la scène internationale? Quelles sont les causes de l'exclusion sociale ou du manque de cohésion sociale que vous avez identifiées dans vos recherches?

Troisièmement, quel serait le rôle du gouvernement dans la résolution de ce manque de cohésion dans notre société?

Quatrièmement, est-ce que les gouvernements des pays de l'Union européenne et de l'Amérique s'intéressent autant à la cohésion sociale que le gouvernement canadien, et quelle initiative concrète ont-ils avancée?

M. Wernick: Si vous le voulez bien, nous pourrions prendre vos questions sous réserve et vous soumettre des réponses par écrit plus tard. Nous avons beaucoup de documentation de source européenne, et la réponse rapide est oui. Au sein de la Commission européenne et parmi des gouvernements de plusieurs pays membres de l'Union européenne, il y a beaucoup de travail en cours sur les dimensions de cette cohésion sociale. Nous pourrons remettre au greffier une liste de ces études et de leurs sources.

Vous avez bien décrit le fait que l'une des forces du Canada est notre capacité d'absorber et d'intégrer des gens venant de partout. Les Européens, Français, Allemands ou autres, sont frappés quand ils apprennent combien de gens, à Vancouver ou à Toronto, nés dans des pays étrangers sont réellement Canadiens et participent pleinement à notre vie économique et culturelle.

En France, nous avons trouvé que le sujet de l'intégration des immigrants était presque tabou et qu'ils ne voulaient pas en discuter, mais ils étaient prêts à discuter de ces questions auxquelles les Canadiens font face depuis des années.

Le sénateur Ferretti Barth: Comment notre gouvernement peut-il assurer un sentiment d'identité canadienne, de confiance dans nos institutions gouvernementales et de cohésion sociale pour tous les Canadiens malgré les forces compétitives économiques sur la scène internationale? Avec le libre-échange, nous avons permis à des compagnies étrangères de s'installer ici au détriment de nos petites compagnies canadiennes. Je me demande si ces gens se sentent encore Canadiens ou s'ils ne se sentent pas plutôt comme partie de la famille américaine.

[Traduction]

M. Wernick: J'aimerais en profiter pour parler du ministère du Patrimoine canadien. L'une des façons dont le gouvernement a reconnu que la politique gouvernementale peut jouer un rôle dans la promotion de l'identité a été d'établir un ministère ayant précisément cet objectif. Nos politiques culturelles, nos politiques en matière d'identité, de multiculturalisme, de langues officielles et certains des programmes d'identité canadienne que vous connaissez peut-être -- toutes ces initiatives visent expressément à renforcer ce sentiment de communauté parmi les Canadiens. Nous pouvons certainement débattre dans le cadre d'une autre tribune de l'efficacité de certains de ces programmes et de ces politiques, mais on reconnaît l'existence d'une volonté et d'une politique gouvernementale en ce sens.

Comme je l'ai dit plutôt, notre intégration économique et technologique à l'Amérique du Nord et au reste du monde est un défi qui nous oblige constamment à repenser nos instruments, à penser à la façon dont nous réglementons la radiotélédiffusion, ou à la façon dont nous traitons avec l'industrie du magazine. Certains instruments devront être renouvelés, modifiés et adaptés, mais les objectifs de politique publique demeurent constants au fil des gouvernements quelle que soit leur allégeance, à savoir renforcer notre sentiment d'identité culturelle.

Vous avez demandé quels sont les instruments de la politique gouvernementale qui contribuent à la cohésion. Nous devrons esquiver la question légèrement. Jusqu'à ce que nous sachions si les choses s'améliorent ou empirent, et quels sont les facteurs qui entrent en ligne de compte, il est très difficile de préciser l'apport des politiques à cet égard. La série d'instruments en question devrait inclure le filet de sécurité sociale, le système de soins de santé, la péréquation et le partage avec les provinces, le système de justice pénal et la loi sur les droits de la personne. Il existe de nombreux instruments qui influent sur le sentiment d'inclusion des gens et sur leur sentiment d'appartenir ou non à la collectivité. Certains de ces instruments relèvent du gouvernement fédéral et certains des gouvernements provinciaux. Cependant, l'état de nos recherches est loin de nous permettre de vous indiquer les politiques à suivre à cet égard.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: À la page 10 de votre document intitulé «Le réseau de la cohésion sociale», il est mentionné qu'il est absolument indispensable de regagner la confiance des citoyens envers les institutions publiques et le processus politique si l'on veut renforcer le tissu social du Canada. Vous faites également allusion à cela ailleurs dans votre document. Pouvez-vous suggérer des moyens pour regagner cette confiance?

Il y a eu une détérioration progressive des citoyens à l'endroit des gouvernements qu'ils soient fédéral, provinciaux, et cetera. Comment fait-on pour regagner la confiance des citoyens? Avez-vous des suggestions à nous faire à cet égard?

[Traduction]

Mme Herman: J'ai quelques suggestions. Il faudrait que les Canadiens soient mieux informés au sujet de leurs institutions publiques, qu'ils les comprennent mieux et qu'ils y participent et qu'ils aient un peu plus l'impression que ces institutions publiques leur appartiennent. Ici encore, d'après mon expérience professionnelle, la confiance dans le système judiciaire est un problème. C'est une institution qui n'a pas vraiment la confiance des citoyens et cela nous préoccupe. Nous croyons que si les gens se familiarisent davantage avec ces institutions et peuvent y participer de plus près, leur confiance envers ces institutions augmenterait.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce que vous croyez que les politiciens ont la responsabilité d'accroître ce sentiment de confiance des citoyens envers eux et envers les institutions? Si les politiciens continuent d'avoir des attitudes parfois déplorables, je ne crois pas qu'ils rehausseront ce sentiment de confiance envers les institutions publiques et le processus politique.

M. Wernick: Oui, le leadership politique joue un rôle. Le danger est qu'un groupe significatif de Canadiens se sente exclu ou traité de façon injuste. La solution à ce problème serait probablement le sentiment que tout le monde soit membre de la communauté.

[Traduction]

M. Wernick: Si on examine la situation dans d'autres pays, on constate que ces sentiments varient. On s'aventure ici dans le domaine de la psychologie sociale et je ne suis pas un expert en la matière. Cependant, les pays ont effectivement des changements d'humeur. La Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, les États-Unis et le Canada ont tous traversé des périodes de colère, de dépression, d'optimisme ou d'euphorie collective, et parfois coup sur coup. Je ne suis pas sûr qu'il soit facile d'isoler les hauts et les bas de la vie politique des attitudes à plus long terme des citoyens envers leurs gouvernements, qui semblent plus courantes d'un pays à l'autre.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: On peut bien dire qu'on va faire participer la gens à la communauté, faire des séances d'information ou d'éducation, et cetera, mais il faut que les citoyens s'impliquent. Il faut que ce processus parte d'en haut aussi. Si cela ne se produit pas, ils n'auront pas la motivation pour participer et s'impliquer. On va devoir réfléchir plus longuement à ce rôle. Sans vouloir critiquer les gouvernements quels qu'ils soient, je pense qu'il sera extrêmement important que les politiciens deviennent plus conscients de ce rôle qu'ils ont à jouer. Autrement, c'est peine perdue.

M. Wernick: Il est clair que les sentiments d'optimisme, de confiance, de pessimisme et de désespoir envers l'avenir sont très importants. Les messages reçus des leaders politiques, des médias, des collègues en milieu de travail sont très importants.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il y a un sentiment de dépression de la part de la population envers la fonction publique. Ne faudrait-il pas agir au niveau de la fonction publique? Au cours des deux dernières années, j'ai entendu des plaintes de citoyens qui disaient qu'obtenir des services auprès de la fonction publique était comme d'essayer d'aller à la lune. Je pense qu'il devrait y avoir des correctifs importants de ce côté pour que les citoyens sentent que la fonction publique, c'est aussi pour eux et que ce n'est pas seulement pour les politiciens au service desquels ils sont attachés.

Vous ne voyez pas de problèmes du côté de la fonction publique puisque vous êtes de la fonction publique.

M. Wernick: Par contre, on peut dire que la fonction publique est une des institutions pancanadiennes des plus importantes pour créer un sentiment d'appartenance dans une communauté. C'est une des institutions les plus visibles pour les Canadiens et les Canadiennes dans tout le pays. Les services que les Canadiens recoivent de leur fonction publique fédérale ou provinciale sont très importants. On a discuté de ce sujet à plusieurs reprises dans le rapport que la greffière du Conseil privé a soumis au premier ministre récemment où elle parle de l'état de la fonction publique et des initiatives afin de la renouveler. On y mentionne que l'interaction entre les citoyens, la fonction publique et les services du gouvernement sont très importants.

[Traduction]

Le président: Au Canada nous avons un problème, celui de l'inégalité de plus en plus grande du revenu qui nuit à la cohésion sociale, et la situation ne semble pas près de s'améliorer. Comme M. Wernick l'a fait remarquer, les revenus réels n'ont pas augmenté depuis un bon bout de temps, même si le pays a connu une assez bonne croissance économique sur une période de 10 à 15 ans. Plus tôt, vous avez mentionné la recherche sur l'aspect croissance, c'est-à-dire comment favoriser une croissance plus forte. Il faut sûrement que la recherche aille au-delà de cette question, n'est-ce pas? Je ne vois pas vraiment comment une croissance plus forte réduira nécessairement les disparités de richesses et de revenus dans notre pays. Pourriez-vous m'aider à mieux comprendre la recherche qui est faite sur ce sujet même en ce qui concerne l'économie? Êtes-vous en train d'examiner le système d'imposition, par exemple? Êtes-vous en train d'examiner d'autres politiques financières?

M. Wernick: Je ne suis pas en mesure de vous parler du travail du réseau axé sur la croissance. Je me ferai certainement un plaisir de demander à mes collègues s'ils ont de la documentation qu'ils peuvent vous fournir, ou vous voudrez peut-être les inviter à comparaître devant votre comité pour vous décrire les facteurs déterminants de la croissance économique. Je ne veux pas vous laisser sur l'impression que la croissance économique serait l'unique moyen d'établir des politiques sociales saines ou d'assurer la cohésion sociale. Il existe un lien entre la création d'activités économique et de débouchés économiques, la capacité des gens à trouver un emploi sérieux et rémunérateur. Il existe aussi toute une série d'instruments publics tels que l'imposition et les transferts sociaux qui permettent d'égaliser le revenu. Il s'agit entre autres du régime d'impôt sur le revenu, de l'assurance-maladie et ainsi de suite.

Le président: J'aimerais savoir s'il existe certaines hypothèses qui restreignent la recherche en matière de politique à cet égard, pour dire les choses comme elles sont. Comme nous le savons tous, le ministère des Finances a sa propre vision du monde à propos de ce que l'on peut faire et de ce que l'on ne peut pas faire. Je ne la conteste pas aujourd'hui mais on nous dit, lorsque nous discutons du régime fiscal, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu des particuliers ou de l'impôt sur le revenu des sociétés, que notre position concurrentielle face aux États-Unis est un important facteur à prendre en considération et que par conséquent, nous pouvons envisager telle mesure mais non pas telle autre mesure, et ainsi de suite. Je suis sûr que cette recherche n'est pas illimitée, mais qu'elle en est la portée en ce qui concerne l'aspect économique?

La recherche en politique sociale s'intéresse-t-elle à la question de réduire les disparités de revenus et de richesses et les problèmes de cohésion sociale qui en découlent et qui vont, semble-t-il, s'aggraver avec le temps? Judith Maxwell n'est pas entrée dans les détails de cette question lors de sa comparution hier, mais elle déjà écrit que le filet de sécurité sociale qui a été créé après la guerre ne suffit plus à régler les problèmes des années 90 et à venir. C'est une déclaration importante qui remet en question bien des présomptions politiques et autres que bon nombre d'entre nous tenons pour acquis depuis longtemps. Oserons-nous tout passer en revue? Je sais que c'est une question qui intéresse non seulement la recherche, mais aussi la politique, mais si on s'en tient à la recherche, examinez-vous tous les aspects de la politique sociale afin d'en déterminer l'adéquation ou l'insuffisance, surtout compte tenu de la mondialisation, des progrès technologiques, et ainsi de suite?

Mme Herman: Nous ne sommes pas en mesure d'examiner toutes les politiques sociales des gouvernements. Nous tentons plutôt de nous pencher sur la situation du point de vue de la cohésion sociale, un concept assez nouveau en matière de recherche et d'analyse. Nous avons adopté une approche multidisciplinaire pour tenter d'examiner tous les aspects sociaux de la politique gouvernementale, et la cohésion sociale. Nous étudions collectivement certaines de ces questions.

Le président: Après la guerre, Leonard Marsh a publié un rapport intitulé: Report on Social Security for Canada, et je crois que Beveridge a rédigé un rapport semblable pour le Royaume-Uni. Est-il vraiment nécessaire de refaire cet examen de la structure de la sécurité sociale afin d'élaborer une nouvelle charte sociale pour les Canadiens?

Mme Herman: Je l'ignore.

Le président: Il est peut-être injuste de vous demander ce que nous devrions faire. Dites-nous plutôt quel genre de recherche se fait actuellement?

Mme Herman: Il ne fait aucun doute que la réalité contemporaine, celle des années 90 et du prochain millénaire, diffère grandement de celle de l'après-guerre. Les problèmes et les enjeux sont différents, tout comme doivent l'être les solutions sociales. Elles doivent tenir compte de l'incidence de plusieurs facteurs, tels que la mondialisation et la technologie de l'information. Ce sont des progrès relativement récents et leurs répercussions sont encore mal connues. Ces répercussions se manifestent de différentes façons. En ce qui a trait à la technologie de l'information, par exemple, l'accès inégal des riches et des pauvres a des conséquences auxquelles nous commençons à peine à penser. Manifestement, ce sont là le genre de questions qu'il faudra examiner.

Le président: Y a-t-il dans le domaine public un document faisant suite au rapport intérimaire en date du 4 octobre 1996?

M. Wernick: Oui, il y a quelques documents, monsieur le sénateur. Ils sont tous disponibles par l'entremise du site Web du comité. Nous pouvons vous donner une liste de ce qui est disponible. C'est toutefois le document de 96 qui a articulé les questions.

Le président: Un document y a-t-il fait suite?

M. Wernick: Oui. Un autre rapport a été publié en 1997 et c'est un rapport public. Le rapport de 1998 sera rendu public dans quelques mois. Ce sera un rapport d'étape dans lequel on répondra aux questions qui avaient été soulevées en 1996. Nous pouvons facilement vous fournir une liste de documents. Il est très facile de la télécharger à partir du site Web. Si vous avez d'autres questions, nous serons heureux de vous aider.

Le président: En ce qui a trait à la cohésion sociale, examinez-vous en profondeur le rôle des autres institutions? Nous nous entretiendrons avec des représentants du secteur privé. Comment pouvons-nous les convaincre de l'importance de la cohésion sociale, ou en sont-ils déjà convaincus?

Et qu'en est-il des syndicats qui, à certains égards, semblent voir leur rôle décliner au sein de la société? Et que penser des partis politiques? Et des églises? Dans le cadre de vos recherches, vous penchez-vous sur ces questions?

M. Wernick: Oui, je crois que nous y avons fait allusion. Les gens créent des liens de différentes façons. Cela peut être dans le cadre d'un syndicat ou d'une association. Nous examinons notamment la question suivante: à quoi ressemble maintenant ce genre d'associations, dont bon nombre étaient auparavant des organisations pancanadiennes? Certaines d'entre elles se scindent maintenant en groupes régionaux ou linguistiques. Nous ne nous limitons pas dans les questions que nous soulevons.

Pour en revenir à votre question de tout à l'heure sur l'inégalité, nous étudions les relations qui existent entre l'inégalité ou la pauvreté et bien d'autres choses telles que la criminalité, la santé et d'autres indicateurs. Nos recherches sont de grande envergure. Vous soulevez toutefois une question de nature politique sur l'importance que devrait revêtir la redistribution de la richesse. C'est une question politique.

Le président: Cela pourrait quand même faire l'objet de recherches.

M. Wernick: Oui.

Le président: Vos collègues ne se contentent donc pas de tenter de déterminer comment accroître les sources de richesse.

M. Wernick: Absolument pas. En fait, les discussions qui se sont tenues à la grande conférence sur la recherche en matière de politiques qui a eu lieu il y a quelques semaines ont été très ouvertes. On y a décrit des travaux des plus intéressants sur la relation qui existe entre l'inégalité des revenus et la santé. Cela a été très révélateur pour bien des gens.

Le président: Oui. Cela est lié à la productivité et à d'autres questions. Certains d'entre nous ont assisté à cette conférence.

Mme Herman: Pour ce qui est des institutions autres que le gouvernement, nos recherches ne portent pas seulement sur la nature de ces associations, mais visent aussi à déterminer quel est leur rôle. Le rôle du gouvernement étant en pleine évolution, on se demande quel est le rôle des autres institutions dans le contexte du rôle de l'État. Nous avons abordé la question de la médiation et de la résolution de conflits, et nous nous sommes demandé quel est le rôle du système d'enseignement.

Le secteur bénévole est en train d'examiner en profondeur son rôle actuel et ce qu'il devrait être à l'avenir. Le rôle du secteur bénévole dans ce domaine est crucial, et nous l'étudierons. D'autres en feront certainement autant, et je sais que le secteur bénévole lui-même s'interroge sur son rôle.

Le président: Dans les informations que nous pouvons obtenir à partir du site Web, y a-t-il un indexe des études qui ont été commandées?

M. Wernick: Oui. J'ignore s'il est complet, mais on a tenté d'inclure la plupart des études sur le site Web. Vous pouvez télécharger les rapports d'études ou, au moins, un résumé de la plupart de ces rapports.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous parlez de revenu, d'éducation, de criminalité et de santé. Est-ce que les ministères concernés sont prêts à faire des correctifs aux lois? Est-ce qu'un concensus sur la cohésion sociale va ressortir de vos recherches?

Parce que vous savez bien qu'avec le ministère de l'Immigration, nous avons un très grand problème. Nous accueillons dans notre pay des gens sans les avoir avertis de ce qu'ils trouveront ici. C'est vraiment de la cruauté morale. Ils arrivent pleins d'espoir, cherchent du travail et n'en trouvent pas. La conséquence est qu'ils doivent se réfugier dans l'assistance sociale, sur le dos des Canadiens de vieilles souches. Je demande que les ministères révisent aussi leurs programmes.

Si l'on commence à mettre un frein dans tous les programmes des différents ministères, peut-être qu'avec cette cause vous aurez un scénario plus facile à mettre en place. En ce qui concerne les nouveaux arrivants, le ministère de l'Immigration a quelque chose à faire à ce sujet.Ce n'est pas de leur faute s'ils doivent aller à l'assistance sociale dès qu'ils arrivent ici.C'est le système ici qui permet à ces gens de venir ici. Pourquoi les faire venir si nous n'avons rien à leur donner?

Voilà l'exclusion. Ces gens ne se sentiront jamais Canadiens. Il faut revoir beaucoup de ces situations que nous avons au Canada. Et je pense qu'avec la bonne volonté de tout le monde, on arrivera à faire quelque chose.

[Traduction]

Le président: Il ne me reste plus qu'à remercier M. Wernick et Mme Herman d'être venus aujourd'hui et de nous avoir guidés dans cette discussion très intéressante et instructive. Nous vous reverrons peut-être avant la fin de nos travaux.

La séance est levée.


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