Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 5 avril 2000

Le comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi S-13, Loi visant à favoriser la prévention des conduites répréhensibles dans la fonction publique en établissant un cadre pour l'éducation en ce qui a trait aux pratiques conformes à l'éthique en milieu de travail, le traitement des allégations de conduites répréhensibles et la protection des dénonciateurs, se réunit aujourd'hui à 17 h 51 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-13, Loi sur la dénonciation dans la fonction publique. C'est un projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par le sénateur Kinsella. Il a été présenté en deuxième lecture le 22 février, puis nous a été renvoyé.

Nous vous écoutons, sénateur Kinsella.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, le projet de loi S-13, Loi sur la dénonciation dans la fonction publique, tire parti de la volonté de voir la fonction publique canadienne fonctionner selon des principes et des valeurs éthiques. Nous avons la chance d'avoir au Canada une des meilleures fonctions publiques au monde, sinon la meilleure. Les Canadiens peuvent être très fiers des hommes et des femmes qui forment la fonction publique du Canada, et du dévouement et de la dignité avec lesquelles ces fonctionnaires se mettent au service des Canadiens.

Ce projet de loi se situe dans un domaine où l'éthique et les valeurs sont considérées comme le fondement même de cette fonction publique de première classe. On peut pratiquement résumer par trois P l'objet de ce projet de loi.

Le premier P, c'est la promotion. Il importe de mettre en place un processus d'éducation continue. Il faut éduquer les personnes qui travaillent dans la fonction publique en leur enseignant les fondements éthiques et les valeurs que nous avons acceptées.

Le second P, c'est la procédure. Il faut un mécanisme ou une procédure qui protège l'intérêt public. Ce mécanisme doit permettre à une fonction publique moderne et de grande qualité de faire face aux conduites répréhensibles ou aux activités illégales de façon éthique et dans le respect des valeurs, sans qu'un fonctionnaire risque d'y sacrifier sa carrière, comme c'est malheureusement le cas actuellement.

Le troisième P, c'est la protection. Ce projet de loi vise aussi à protéger les fonctionnaires contre toutes représailles qui pourraient être exercées à leur encontre parce qu'ils ont agi de façon éthique, dans le respect de nos valeurs.

Honorables sénateurs, ce projet de loi aborde la dénonciation dans la fonction publique par une approche multiple. Il propose une nouvelle structure en matière de dénonciation. Tout d'abord, il comporte une fonction éducative fondée sur l'éthique et le respect des valeurs dans la fonction publique en ordonnant à la Commission de la fonction publique de s'occuper de la dénonciation. Deuxièmement, il prévoit que l'un des trois commissaires de la Commission de la fonction publique soit désigné comme commissaire de l'intérêt public, reçoive les plaintes concernant les actes répréhensibles et prenne les mesures qui s'imposent. Troisièmement, le projet de loi prévoit que les mesures de représailles imposées aux dénonciateurs soient interdites par la loi, et il comporte un mécanisme de recours en cas de représailles.

En ce qui concerne la structure du projet de loi, l'article 2 énonce l'objet de la loi, et décrit la fonction d'éducation. Par ailleurs, l'article évoque le commissaire désigné de la Commission de la fonction publique auquel les plaintes doivent être adressées. Enfin, il énonce aussi l'objectif de protection des fonctionnaires contre toutes formes de représailles. Le commissaire, désigné par le gouverneur en conseil en tant que commissaire de l'intérêt public, est investi des pouvoirs d'enquête prévus dans la Loi sur les enquêtes. Le commissaire de l'intérêt public reçoit les plaintes concernant les actes répréhensibles et peut rendre publique l'information qu'il reçoit s'il estime qu'il y va de l'intérêt public. Le commissaire est habilité à divulguer au procureur général du Canada ou d'une province l'information concernant la perpétration d'une infraction à une loi en vigueur au Canada.

La fonction d'éducation du commissaire est évoquée à l'article 8, qui stipule:

Le commissaire doit encourager dans le lieu de travail de la fonction publique des pratiques conformes à l'éthique et un environnement favorable à la dénonciation de conduites répréhensibles, par la diffusion d'information relative à la présente loi, à son objet et à son processus d'application, ainsi que par tout autre moyen qui lui semble approprié.

Cette mesure devrait aider les fonctionnaires de tous les niveaux à mettre l'accent sur des pratiques éthiques susceptibles de favoriser un milieu de travail plus harmonieux, plus efficace et mieux ciblé.

Les articles 9 à 17 exposent les mécanismes par lesquels on peut déposer et instruire la dénonciation d'un acte répréhensible. Tout d'abord, la dénonciation est présentée au commissaire. Le projet de loi indique clairement qu'une dénonciation faite de bonne foi et pour des motifs raisonnables ne constitue pas une violation du serment professionnel ou du serment de secret souscrit par le fonctionnaire. Aux termes de l'article 13, le commissaire peut accepter la dénonciation dans certaines circonstances et faire enquête, si la dénonciation répond à certains critères; il rédige alors un rapport écrit de ses conclusions et recommandations. Ce rapport est transmis au ministre responsable du fonctionnaire qui fait l'objet de la dénonciation, ce qui préserve le principe de la responsabilité au niveau du ministère ou de l'organisme. Le ministre doit prendre des mesures et en informer le commissaire; il peut aussi indiquer qu'aucune mesure n'a été prise. Dans certaines circonstances, notamment en cas d'urgence, le commissaire peut obliger le président du Conseil du Trésor à déposer au Parlement un rapport d'urgence rédigé par le commissaire si ce dernier le juge dans l'intérêt public. Le rapport annuel de la Commission de la fonction publique au Parlement devra donner des détails sur les activités visées par le projet de loi.

Honorables sénateurs, les articles 18 à 22 du projet de loi concernent la protection des fonctionnaires dénonciateurs contre les mesures de représailles qui résulteraient d'une dénonciation. Ces fonctionnaires peuvent bénéficier des voies de recours prévues dans le projet de loi ainsi que de toutes les voies de recours actuelles auprès des tribunaux civils et aux termes des procédures de grief. Le projet de loi ne saurait limiter ou invalider ces mécanismes préexistants.

En résumé, le projet de loi prévoit une structure dont la fonction publique avait besoin. Actuellement, il ne concerne que la fonction publique, à l'exclusion du secteur privé. Peut-être faudra-t-il un jour y englober ce dernier. C'est un point de départ, et une formule viable dans le contexte canadien. Les témoins qui comparaîtront devant votre comité pourront certainement y proposer des améliorations. En tant que parrain de ce projet de loi, je suis prêt à accueillir de telles propositions.

Le président: Je vous félicite d'avoir piloté ainsi votre projet de loi jusqu'à la deuxième lecture au Sénat et à l'étude en comité.

Le sénateur Finestone: Je suis heureuse d'accueillir ce projet de loi sur la dénonciation, sénateur. Nous en avions besoin pour différentes raisons. Lorsque nous avons étudié le projet de loi C-6, j'ai été très surprise de constater que l'article 27 de ce projet de loi était qualifié de disposition sur la dénonciation. C'est comme si les rédacteurs avaient lu votre projet de loi et l'avaient repris presque mot à mot dans le projet de loi C-6 qui a été adopté hier, je crois.

Est-ce que la Chambre des communes l'a adopté, monsieur le président?

Le président: Un message a été envoyé au Sénat aujourd'hui même. Je suppose qu'il recevra bientôt la sanction royale.

Le sénateur Finestone: Étant donné votre projet de loi, sénateur Kinsella, et les mesures sur la dénonciation énoncées dans le projet de loi C-6, qu'adviendra-t-il de votre projet de loi si les rédacteurs ont été assez bons pour en copier une partie dans le projet de loi C-6? Avez-vous consulté cet article 27?

Le sénateur Kinsella: Non.

Le sénateur Finestone: J'en ai un exemplaire ici. L'article 27 est très semblable aux dispositions de votre projet de loi. Voici cet article:

27.(1) Toute personne qui [...] a contrevenu à l'une des dispositions [...] ou a l'intention d'y contrevenir, peut notifier au commissaire des détails sur la question [...]

Le paragraphe 27.(2) est ainsi libellé:

Le commissaire est tenu de garder confidentielle l'identité du dénonciateur auquel il donne l'assurance de l'anonymat.

Ce sont là les aspects de la question concernant la confidentialité. Le projet de loi C-6 énonce ensuite quatre ou cinq interdictions.

27.1(1) Il est interdit à l'employeur de congédier un employé, de le suspendre, de le rétrograder, de le punir, de le harceler ou de lui faire subir tout autre inconvénient, ou de le priver d'un avantage lié à son emploi parce que:

a) l'employé, agissant de bonne foi et se fondant sur des motifs raisonnables, a informé le commissaire que l'employeur ou toute autre personne a contrevenu à l'une des dispositions [...];

Voulez-vous que tout cela figure au compte rendu?

J'ai été très agréablement surprise de voir que le Canada avait donné suite à des engagements pris à la Chambre des communes. Cette question remonte à 1988. Je me souviens de lois semblables et très nécessaires qui ont été présentées en 1991 et en 1994.

On retrouve ici l'expression «se fondant sur des motifs raisonnables». J'ai abordé cette question lorsque j'ai parlé de votre projet de loi et que j'ai approuvé votre initiative au Sénat. Comment définissez-vous la notion de «motifs raisonnables»?

Les honorables sénateurs se souviennent du terrible accident de la navette spatiale de la NASA. Une Canadienne a été tuée. Le problème était dû à des vis et des boulons, mais je ne me souviens plus des détails. Malgré tout, les ingénieurs avaient indiqué le problème, mais d'autres agents de la NASA les ont contredits et ce sont donc eux les responsables. Ils avaient dissimulé le problème. Avec cette loi, le problème serait révélé au grand jour, mais d'un autre côté, ces ingénieurs avaient des motifs raisonnables. La Loi sur la dénonciation ne les aurait pas forcément protégés.

Malheureusement, il y a aujourd'hui des tensions extrêmes entre fonctionnaires. On peut se demander s'il n'y a pas des considérations négatives derrière cette notion de motifs raisonnables qui pourraient contrecarrer les efforts déployés pour imposer les sanctions nécessaires.

Le sénateur Kinsella: Sénateur Finestone, votre déclaration lors du débat de deuxième lecture a été remarquable et très utile. Elle concrétisait l'appui que vous accordez à cette tentative de mise au point d'une mesure et d'un modèle appropriés en matière de dénonciation dans notre fonction publique moderne du XXIe siècle. Il y avait jusqu'à maintenant une grave lacune, que nous devons combler par le mécanisme approprié. J'ai beaucoup apprécié votre appui. Votre expérience m'est très utile, puisque vous avez vu à la Chambre des projets de loi qui allaient dans le même sens. Cependant, nous n'avons toujours pas la disposition législative globale que propose ce projet de loi.

Un certain nombre d'autres lois comportent des dispositions sur la dénonciation. C'est le cas, notamment, de notre Loi sur l'environnement. Il y en a sans doute d'autres. Cependant, nous n'avons pas de mécanisme général. Dans bien d'autres domaines, comme celui des droits de la personne, l'adoption d'une loi sur les droits de la personne comportant une disposition générale en matière de droits de la personne et de droits à l'égalité n'a pas pour autant entraîné la suppression des dispositions interdisant la discrimination dans le Code du travail et dans d'autres mesures législatives. Il s'agit de faire en sorte que toutes les lois progressent dans la même direction.

Sur la question des motifs raisonnables, il faut, pour que le mécanisme soit efficace, que tous les intervenants et les participants se mettent d'accord sur ce qu'une personne raisonnable considérerait comme une mesure non vexatoire et non frivole. Nous ne voulons pas entraver le fonctionnement d'un organisme ou d'un ministère. C'est une question très sérieuse. Nous avons affaire à une catégorie particulière de personnes, puisqu'elles ont prêté un serment d'office et qu'elles participent à l'exécution des programmes publics destinés à nos citoyens. Elles font un travail spécial, puisqu'elles travaillent pour la population du Canada. C'est en fonction de motifs raisonnables, et non de motifs frivoles, que l'on peut appréhender les problèmes. Les gens n'ont pas toujours toute l'information, mais nous ne vivons pas dans un monde parfait où tout le monde aurait toute l'information. Il est indispensable de permettre à certaines personnes d'estimer de bonne foi, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'un problème semble se poser, et qu'il faut par conséquent le dénoncer. Elles doivent pouvoir adresser leur dénonciation à quelqu'un.

Le sénateur Finestone: Est-ce que vous craignez que quelqu'un puisse être injustement sanctionné et puni d'une façon subtile, mais qui risquerait en définitive de l'amener à démissionner ou à perdre ses moyens d'existence à cause d'une différence de valeurs ou de considérations éthiques sur la notion de motif raisonnable?

Le sénateur Kinsella: C'est précisément pour cela qu'une procédure est indispensable. Il faut une procédure qui comporte un certain nombre d'étapes. Comme je l'ai dit, un commissaire indépendant de l'intérêt public pourrait estimer, après avoir étudié une dénonciation, qu'elle est sans fondement. J'ai choisi l'expression «commissaire de l'intérêt public» après y avoir mûrement réfléchi. Je voulais mettre l'accent sur le fait que le commissaire intervient dans l'intérêt public. Il est de l'intérêt public de mettre un terme aux conduites répréhensibles. Il est également de l'intérêt public que toutes les personnes soient traitées équitablement. Par exemple, si un directeur fait l'objet d'une dénonciation ou d'une allégation frivole ou sans fondement, il est tout aussi important de le protéger. Le directeur est lui aussi un fonctionnaire. À mon avis, ce genre de procédure ne peut fonctionner que sur la base de ces principes.

Le sénateur Finestone: En ce qui concerne l'élément éducatif que vous énoncez dans le projet de loi et qui est manifestement très important, je suppose que le commissaire de l'intérêt public est inclus dans les valeurs et l'éthique. J'ai une dernière préoccupation à ce sujet.

Nous savons qu'il y a un arriéré dans les plaintes soumises à la Commission des droits de la personne, essentiellement pour des raisons de financement. Est-il souhaitable de créer la fonction de commissaire de l'intérêt public sans veiller à libérer les ressources financières nécessaires?

Le sénateur Kinsella: J'ai collaboré avec les fonctionnaires qui ont rédigé la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'étais expert-conseil auprès du ministère du Secrétariat d'État. À l'époque, l'ancien juge Gérard La Forest était sous-ministre adjoint au ministère de la Justice. Je veillais à ce que ce projet de loi soit formulé de façon qu'on ne se retrouve pas avec une structure bureaucratique caractérisée par un légalisme excessif, qui serait voué à s'autodétruire. Dans un tel cas, on ne pourrait traiter les dénonciations avec toutes les garanties.

À l'époque, je souhaitais que la Commission des droits de la personne soit davantage une commission axée sur les relations humaines et mettant l'accent sur l'éducation. Je n'ai pas obtenu gain de cause sur ce point, et malheureusement, ce que je craignais s'est produit. Je suis heureux que M. le juge La Forest soit l'un des trois membres de la commission chargée de réviser la Loi sur les droits de la personne. Il était déjà là au début.

Vous avez raison, il est important de ne pas mettre en place un mécanisme qui va devenir bureaucratique, légaliste et voué à la paralysie. On peut limiter ce risque par la sensibilisation des Canadiens, en mettant l'accent sur l'éducation, en faisant de la formation sur ce que nous faisons et en faisant bien comprendre les valeurs qui sous-tendent notre action au service du public.

Est-ce que tout cela va coûter de l'argent? Je ne sais pas si les trois membres de la Commission de la fonction publique sont très occupés, mais je sais qu'ils disposent d'un budget important. Je pense qu'ils pourraient s'acquitter de cette responsabilité dans le cadre de leur mode de fonctionnement actuel, mais peut-être faudra-t-il un jour leur accorder des fonds supplémentaires. Je ne sais pas. Ce comité devra peut-être étudier la question avec les membres de la commission.

Le sénateur Bolduc: Dans cette loi, le mot «fonctionnaire» s'entend au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Savez-vous si la catégorie de gestion y est incluse?

Le sénateur Kinsella: Oui.

Le sénateur Bolduc: Jusqu'au sommet, ou du moins jusqu'aux cadres moyens?

Le sénateur Kinsella: Je le crois.

Le sénateur Bolduc: Il y a une hiérarchie à la direction, et la plupart du temps, ceux qui sont mêlés aux incidents comme ceux dont nous parlons ici sont des cadres intermédiaires ou leurs supérieurs. Il est très important d'en inclure d'autres. Si on ne mentionne que les employés syndiqués, les mesures seront efficaces pour ce groupe-là mais pas pour les autres catégories d'employés.

J'ai cru comprendre qu'il y a en Ontario une loi qui n'est pas appliquée. On y utilise le terme «conseil». Ce n'est pas le commissaire de la fonction publique, mais un genre de conseiller législatif ou un avocat qui se saisit des dossiers.

En Angleterre, on a décidé de confier la responsabilité à un groupe de personnes désignées par un décret en conseil comme on l'a fait pour établir le mandat de l'agence.

Vous avez décidé de confier la responsabilité à la Commission de la fonction publique. Est-ce parce qu'au Nouveau-Brunswick, c'est le commissaire de la fonction publique qui est investi de ce mandat? Ce que j'essaie de dire, c'est que si c'est un organisme, le plaignant n'est pas obligé de s'adresser toujours à la même personne.

Je ne suis pas convaincu que la Commission de la fonction publique soit le meilleur choix, ni que le commissaire de la fonction publique soit la meilleure personne à qui confier cette responsabilité. D'ailleurs, il aurait à examiner des plaintes très diverses. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Le sénateur Kinsella: Chaque fois que le sénateur Bolduc parle de la fonction publique, nous l'écoutons tous très attentivement. Personne dans cette ville n'a plus d'expérience en la matière que le sénateur Bolduc. J'ai étudié le modèle adopté par l'Assemblée législative de l'Ontario, ainsi que celui de l'Australie. J'en suis venu à la conclusion que si mon but principal c'est de promouvoir une fonction publique très respectueuse de valeurs fondamentales, le choix de la Commission de la fonction publique s'impose puisque son principal mandat c'est de faire respecter le principe de l'embauche au mérite. Cela se fait selon des critères éthiques. La commission veille à faire respecter le principe du mérite qui guide les pratiques d'embauche, notamment, à la fonction publique.

À mon sens, c'est une façon de favoriser une fonction publique respectueuse des principes de l'éthique et du mérite. Il faut que ces principes soient respectés en permanence, au-delà de l'étape de l'embauche. Certains des autres modèles que j'ai étudiés semblaient mettre davantage l'accent sur les relations antagonistes tandis que moi je mettais plutôt l'accent sur la recherche de solutions.

Je voulais aussi voir si nous ne pouvions pas trouver le moyen de régler les problèmes à l'interne. Si l'organisme ou le ministère considère qu'il lui incombe de fonctionner de façon éthique et dans le respect de valeurs fondamentales, sous réserve du contrôle de la commission, il acceptera plus volontiers de participer à la recherche de solutions. Le dénonciateur est un élément du processus car, s'il dénonce des cas d'inconduites, neuf fois sur dix, il révèle du même coup l'existence d'un problème. Qui est mieux placé pour régler le problème que les employés de l'organisme lui-même, et cela évite l'enclenchement d'une dynamique antagoniste.

Le sénateur Bolduc: Je comprends cela.

Je soupçonne que c'est la raison pour laquelle, en Angleterre, il est généralement question de l'employé et d'un cadre hiérarchique. Quand on s'adresse à la Commission de la fonction publique, on se trouve à exclure les cadres hiérarchiques. Par ailleurs, bien que nous ne souhaitions pas un mécanisme de type judiciaire, la procédure doit être très rigoureuse. Faute de cela, le dénonciateur risque de voir ses propres droits bafoués. C'est très important.

Voilà pourquoi il me semble, si l'on prend l'exemple de l'Ontario, que ce n'est pas une mauvaise idée de désigner un avocat ou une personne qui a une bonne formation en droit. C'est très grave. Nous parlons ici de conduites répréhensibles.

Le sénateur Kinsella: Si l'enquête fait naître des soupçons d'actes illégaux, nous prévoyons que le commissaire puisse s'adresser au procureur général de la province -- si cela relève de sa compétence -- ou au procureur général du Canada, s'il est l'instance compétente.

Le sénateur Bolduc: On définit la fonction publique comme étant les secteurs de l'administration publique fédérale auxquels s'applique la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique -- de sorte que votre projet de loi ne s'applique pas à la GRC. Est-ce en raison de la nature de leur travail ou de leurs procédures?

Le sénateur Kinsella: C'était beaucoup plus machiavélique que cela. Je me suis dit que si nous limitions la définition aux secteurs de l'administration publique auxquels s'applique la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et que si ce comité, après avoir consulté des témoins, réussissait à amender le projet de loi et à l'améliorer selon son bon jugement -- autrement dit, si nous réussissions à faire un bon projet de loi, les autres secteurs pourraient être inclus par la suite. Je ne voulais pas avoir les yeux plus grands que la panse et c'est ce qui a influencé mon choix.

Le sénateur Stratton: Au niveau fédéral, ce projet de loi protégerait les employés de la fonction publique mais non pas les employés de la colline parlementaire. Pourquoi?

Le sénateur Kinsella: J'accepterais volontiers que le comité propose des amendements afin d'inclure les employés du Parlement. Si nous réussissons à imaginer un système, une procédure, un mécanisme pour la fonction publique qui serait accepté par tous, ce serait alors simple d'ajouter les employés du Parlement, la GRC et les employés des autres secteurs. Je n'ai pas voulu exclure qui que ce soit, y compris les employés du secteur privé.

Le sénateur Stratton: J'aimerais lire un extrait de la page 6 du projet de loi à la rubrique «Déclarations fausses ou trompeuses»:

12.(2) Si la dénonciation d'un fonctionnaire comporte des déclarations que ce dernier savait fausses ou trompeuses au moment où il les a faites, le commissaire peut conclure que la dénonciation n'a pas été faite de bonne foi.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui se produit en pareil cas? Un employé motivé par un désir de vengeance ou par la jalousie pourrait faire une affirmation tout à fait inexacte. À quelle sanction s'exposerait alors le plaignant?

Le sénateur Kinsella: Le commissaire peut rejeter la plainte.

Le sénateur Stratton: Il me semble que l'employé serait conscient de la gravité de son geste et n'agirait pas de façon malicieuse ou frivole.

Le sénateur Kinsella: Exactement.

Le sénateur Stratton: L'employé qui agirait de la sorte ne s'expose à aucune sanction. Cela me préoccupe. Ouvrons-nous la porte à des accusations frivoles?

Le sénateur Kinsella: Au contraire. Ce mécanisme ferait ressortir ce fait. Il faut une procédure ou un mécanisme qui permette d'éviter que ne soient ébruitées les plaintes vexatoires ou mensongères, ce qui porterait préjudice à une personne, à un organisme ou à un ministère.

En fait, si le commissaire qui examine la plainte en toute confidentialité détermine que l'allégation est fondée sur un mensonge, il peut décider que la plainte est non fondée et les choses en restent là. Une telle procédure interne évite que d'autres personnes, y compris des tiers, ne subissent un préjudice.

Le sénateur Stratton: Ne craignez-vous pas que le gouvernement, au moyen de ce projet de loi, ne cherche à encourager les cadres supérieurs dans la fonction publique à prendre davantage de risques? De nos jours, les cadres doivent prendre plus de risques. Ne craignez-vous pas que cela favorise la bureaucratisation, à savoir que les cadres craindraient de prendre ces risques de peur que quelqu'un n'en conclue que le gestionnaire commet un acte répréhensible?

Le sénateur Kinsella: Depuis 15 ou 20 ans, la fonction publique évolue et pour le mieux. On attend de la fonction publique qu'elle soit respectueuse des principes éthiques et de certaines valeurs.

Le greffier du Conseil privé a constitué un groupe de travail sous la présidence de l'ancien sous-ministre, M. John Tait, et j'espère que ce comité entendra les représentants du groupe de travail. Il y a un groupe au Conseil du Trésor qui se penche sur les questions d'éthique. Je pense que les cadres supérieurs de la fonction publique sont plus portés ou plus encouragés à être ouverts et à réagir aux défis de la vie moderne, ce qui s'explique par le fait qu'ils doivent être en mesure d'assumer plus de risques. Ils doivent pouvoir assumer ces risques en sachant que si quelque chose ne fonctionne pas, si telle nouvelle idée pourrait entraîner un comportement contraire à l'éthique, les membres de l'organisation rejetteraient alors cette nouvelle idée. En d'autres termes, on sera plus franc et prêt à dire que c'est peut-être une bonne idée, mais ce n'est pas approprié.

Si ces changements et ces mécanismes culturels n'entrent pas en ligne de compte dans l'élaboration des procédures du ministère, cela pourrait déboucher sur une plainte au commissaire qui reviendrait ensuite au ministère. Le ministère dirait alors: «Les employés ont vu que c'était contraire à l'éthique. Nous ne pouvons pas adopter cette procédure.»

Qui doit apporter des changements? À mon avis, le ministère doit le faire. L'organisme doit le faire. Le commissaire de la fonction publique ou le commissaire de l'intérêt public ne dirigeront pas les ministères. Idéalement, les ministères régleront leurs problèmes avec l'aide de leur propre personnel. En même temps, il faut protéger contre toutes mesures de rétorsion chaque fonctionnaire. Voilà pourquoi il est essentiel de maintenir le caractère confidentiel de l'information.

Le président: C'est notre pratique ici d'inviter le parrain d'un projet de loi -- le ministre dans le cas d'un projet de loi émanant du gouvernement -- à être le premier et le dernier témoin. Nous allons par conséquent vous donner l'occasion de revenir après que nous aurons entendu tous les autres témoins. Vous voudrez peut-être nous présenter un dernier plaidoyer.

Nous accueillons maintenant M. Rubin Friedman, qui est ici à titre personnel. Il ne représente aucun organisme en particulier. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Friedman. Vous avez la parole.

M. Rubin Friedman, témoignage à titre personnel: Je suis très heureux d'avoir cette occasion de vous adresser la parole sur ce projet de loi sur la dénonciation. Il s'agit d'une question très importante pour l'avenir de la fonction publique et pour l'avenir de toute notre culture politique.

Je m'intéresse à ce projet de loi pour plusieurs raisons. J'ai été fonctionnaire pendant plus de 20 ans, période au cours de laquelle j'ai occupé de nombreux postes où j'ai travaillé étroitement avec des cadres supérieurs. Pendant près de cinq ans, j'ai été moi-même un cadre supérieur de premier niveau. Aujourd'hui, certains de mes meilleurs amis sont toujours des cadres supérieurs à la fonction publique.

Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé sur des questions relatives aux droits de la personne, au harcèlement et aux difficultés de traiter ces questions selon la hiérarchie habituelle. J'ai travaillé d'abord dans le domaine du multiculturalisme où nous tentions de promouvoir les changements organisationnels afin d'ouvrir la porte à la diversité. J'ai ensuite travaillé pour B'nai Brith du Canada et sa ligue des droits de la personne où j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreuses personnes qui se plaignaient d'être victimes de harcèlement et de discrimination et où j'ai également traité de problèmes systémiques de racisme.

Lorsque nous avons participé à l'enquête sur la Somalie, il est devenu apparent que les réalités systémiques et culturelles des Forces armées et du ministère de la Défense nationale rendaient encore plus difficile une lutte efficace au racisme.

Depuis deux ans et demi, je suis le président de l'Alliance de la capitale nationale sur les relations interraciales, organisation qui a défendu avec succès six dossiers de racisme systémique à Santé Canada. Nous continuons à travailler avec le ministère sur cette question tout en portant plainte lorsque se présentent des plaintes individuelles de racisme présumé. Mon expérience m'a permis de bien connaître la nature des situations qui se posent lorsque quelqu'un allègue qu'il y a eu faute et le genre d'interaction que cela entraîne.

En outre, j'ai moi-même fait des recherches sur les mesures législatives protégeant les dénonciateurs en raison du parallèle qu'on peut faire entre le harcèlement des dénonciateurs et le racisme systémique. Objectivement, dès qu'un employé dit faire l'objet de racisme, il devient un dénonciateur qui doit être protégé parce qu'il peut faire l'objet de représailles. La personne qui accuse son gestionnaire ou son collègue de comportement raciste le fait en public et fait immédiatement l'objet de pressions, de harcèlement ou de représailles de la part de ceux qui préféreraient qu'elle se taise.

Voilà pourquoi la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit qu'il est possible d'accuser d'outrage ceux qui usent de représailles à l'égard d'employés qui, de bonne foi, formulent ce genre de plainte. Il serait intéressant de savoir si les personnes qui ont déposé une plainte contre leurs employeurs et dont la plainte est toujours en suspens ou a beaucoup retenu l'attention sont promus. J'ai demandé aux représentants des syndicats de la fonction publique de comparer le taux d'avancement des personnes qui déposent des griefs dans la fonction publique au taux d'avancement des personnes qui n'en déposent pas. Cette comparaison permettrait de savoir si un problème se pose à cet égard.

La loyauté et la discrétion sont depuis toujours des qualités recherchées chez les fonctionnaires. On a du mal à imaginer une loi quelle qu'elle soit qui amènerait les gestionnaires à voir automatiquement les dénonciateurs comme des héros même s'ils ont raison. La loyauté et la discrétion sont prisées pour de nombreuses raisons. Premièrement, il s'agit des qualités dont les cadres supérieurs doivent eux-mêmes faire preuve. En effet, ils travaillent pour des maîtres politiques de diverses allégeances et on s'attend à ce qu'ils les servent bien. Ils ont accès à des renseignements confidentiels et ils ont prêté serment de ne pas les divulguer.

Notre système parlementaire repose sur la prémisse voulant que la fonction publique fournisse des conseils indépendants et objectifs au gouvernement, mais qu'elle exécute la volonté politique du gouvernement et du Parlement. Ce sont les ministres de la Couronne qui doivent rendre des comptes au Parlement au sujet de la mise en oeuvre de programmes et de politiques et non pas les fonctionnaires. Voilà l'élément dont doit tenir compte notre système de protection des dénonciateurs.

Dans le système américain, qui est un système de poids et de contrepoids, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif dans les deux Chambres ainsi que le pouvoir judiciaire ont tous intérêt à ce que la même vérité soit connue. Notre système est un système contradictoire. Les gens votent selon leur allégeance politique. Dès qu'une personne fait une dénonciation au Canada, elle se range du côté de l'opposition. Le contexte est différent dans notre pays et nous devons en tenir compte dans une loi protégeant les dénonciateurs.

Voici ce qui est prévu à l'heure actuelle dans la jurisprudence. Les dénonciateurs sont protégés si on leur donne raison, s'ils ont suivi la filière officielle pour exprimer leurs préoccupations et lorsqu'ils n'ont pas dépassé dans leur opposition les limites raisonnables de telle façon que ceux qui dénonceraient une atteinte à la santé et à la sécurité des Canadiens ont une plus grande marge de manoeuvre que ceux qui dénoncent simplement des cas de mauvaise gestion. Les dénonciateurs sont également protégés s'ils n'entretiennent pas de relations privilégiées avec la personne qu'ils dénoncent, s'ils n'ont pas eu à enfreindre le serment de secret qu'ils ont prêté ou s'ils n'ont pas eu à divulguer des secrets officiels en faisant une dénonciation.

Par conséquent, un employé qui d'après les preuves dont il dispose a des motifs raisonnables de soupçonner qu'il y a eu violation à une loi n'est pas protégé si ses soupçons ne se révèlent pas fondés. Cela place les fonctionnaires dans une situation très délicate parce qu'ils occupent parfois des postes qui n'ont pas d'équivalent dans le secteur privé.

Il est également vrai qu'il y a de plus en plus de gens qui réclament que des changements soient apportés à notre système. Il est très rare qu'un greffier du Conseil privé comparaisse devant un comité parlementaire comme le greffier actuel l'a fait dernièrement. Ce précédent se répétera sans doute. De plus en plus de ministres qui sont chargés d'imposants portefeuilles n'ont pas les connaissances et l'information voulues pour répondre à des questions détaillées. Des fonctionnaires de divers niveaux sont appelés à répondre et à fournir des renseignements aux médias et au Parlement et chacune de leurs affirmations est susceptible de faire l'objet d'un débat partisan en raison du fait que notre système est un système contradictoire.

On admet presque maintenant que les ministres doivent rendre des comptes au Parlement sur la façon dont leur ministère est géré, mais qu'on ne peut pas leur imputer complètement les erreurs qui peuvent avoir été commises. Il devient de plus en plus difficile de savoir quelles sont les responsabilités de chacun. En raison de la délégation de pouvoir et de la décentralisation qui sont venues s'ajouter à d'importantes réductions dans le personnel, la fonction publique n'est plus vraiment en mesure de remplir son rôle et de justifier chacune de ses actions. Le choix qui est laissé aux fonctionnaires est d'offrir un service ou de justifier le service déjà offert, de faire le travail ou de s'assurer que chacun sait que le travail a été fait. Il leur est très difficile de faire les deux choses à la fois.

Par ailleurs, nous savons cependant que l'information devient instantanément accessible par de nombreux moyens, et en particulier par Internet. Grâce à la Loi sur l'accès à l'information, l'information dont disposent les fonctionnaires est aussi accessible au public. Peut-on éviter des demandes en vertu de la Loi sur l'accès à l'information? De toute évidence, il est difficile de demeurer anonyme si toutes les circonstances entourant votre cas sont rendues publiques.

L'examen de ce projet de loi et de d'autres lois m'amène à conclure que nous faisons souvent face à des situations très différentes. Dans le domaine de l'environnement, de la santé et des ressources naturelles, les spécialistes s'entendent sur les questions qui doivent faire l'objet d'une réglementation. Les avis sont souvent partagés sur l'intention visée par le gouvernement et par la loi. Si cette question peut sembler théorique, en pratique, ces divergences d'avis peuvent mener à des conclusions différentes quant à l'innocuité d'un médicament, par exemple, ou l'incidence d'une intervention environnementale. Dans les cas de fraude et de détournement de fonds, la question est de savoir à qui signaler ces cas. Si l'on doit les signaler à ses supérieurs, il est possible qu'on alerte ceux-là mêmes qui commettent les crimes ou qui les laissent se produire. À part la police, les fonctionnaires ne savent pas à qui ils doivent s'adresser.

À moins d'une loi protégeant spécifiquement les dénonciateurs, les personnes qui font ce genre d'allégations ne peuvent pas espérer être protégées par la common law en attendant que leurs allégations soient prouvées. Nous savons tous qu'on peut mettre des années avant de régler ce genre de cas.

Il existe cependant des procédures de griefs et des règles régissant les plaintes en cas de harcèlement et de discrimination. On peut aussi mettre des années à régler ces cas-là. Il n'en demeure pas moins qu'il faut protéger contre des représailles ceux qui formulent ce genre de plaintes. Pour ce qui est du partage de l'information et de la divulgation involontaire de certains renseignements confidentiels, le gouvernement insiste à l'heure actuelle sur le fait qu'il établit des partenariats avec un ensemble d'organisations du secteur privé, avec les autres paliers de gouvernement et les groupes de bénévoles. Lorsqu'on travaille étroitement avec ces divers intervenants, il devient de plus en plus difficile de savoir quels sont les renseignements qu'on peut leur transmettre et ceux qu'on ne peut pas leur divulguer.

J'estime donc qu'il importe d'établir des lignes directrices et des principes régissant la divulgation, par les fonctionnaires, de renseignements ainsi que des lignes directrices sur la dénonciation des cas de fraude ou de détournement de fonds ou sur les enquêtes portant sur les allégations de conduite répréhensible. Ces lignes directrices doivent être largement diffusées. En outre, il faut permettre aux fonctionnaires de transmettre leurs allégations à d'autres personnes qu'à leurs supérieurs, en particulier si les supérieurs se rendent coupables de fraude ou laissent une fraude se produire. Il faut également que les plaintes de harcèlement et de discrimination puissent être transmises à d'autres personnes qu'aux supérieurs puisque c'est souvent eux qui sont l'objet de ces plaintes.

Enfin, toute personne qui a des motifs raisonnables de formuler une plainte ou des allégations doit être protégée pendant qu'on vérifie ses dires. Il faut aussi prévoir un recours si des représailles sont prises à l'endroit de personnes qui ont des motifs raisonnables de formuler des allégations. Il faut aussi mieux renseigner les fonctionnaires et les gestionnaires sur les principes auxquels ils sont tenus de se conformer.

À mon sens, ce projet de loi est à la fois d'application trop étendue et trop restreinte. Son objectif est de créer un mécanisme permettant que toute plainte de conduite répréhensible ou d'abus dans l'ensemble de la fonction publique soit adressée au commissaire de l'intérêt public. Compte tenu du grand nombre de griefs qui sont présentés dans divers ministères, il est fort possible que cette personne soit inondée de plaintes. La portée des plaintes qui peuvent être adressées au commissaire de l'intérêt public aux termes de cette loi est très vaste.

J'attire votre attention sur le fait que la loi en vigueur aux États-Unis ainsi que la loi en vigueur en Grande-Bretagne n'ont rien à voir avec un mécanisme en vue de faire enquête sur des allégations. Ces lois portent sur des mécanismes permettant de faire enquête en cas de représailles prises contre des dénonciateurs. Leur objectif est bien précis. Même aux États-Unis, où on a créé l'Office of the Special Council pour protéger les dénonciateurs, l'objectif premier de la loi est de soustraire à des représailles des personnes qui ont déjà fait une dénonciation. Ce bureau dirige vers d'autres instances les personnes qui formulent des allégations de conduite répréhensible, mais sa fonction première n'est pas de faire enquête sur ces cas.

Nous aurions intérêt à diviser le sujet en plusieurs domaines. Il y a d'abord les mécanismes permettant de formuler des allégations. Nous devons connaître tous les mécanismes qui existent à l'heure actuelle ainsi que les liens entre eux. J'ai déjà mentionné la Commission des droits de la personne. Nous avons aussi parlé de la police et des griefs. De nombreux mécanismes existent déjà. Ils ne répondent cependant pas aux attentes de nombreuses personnes parce qu'ils sont très longs.

Il nous faut aussi des mécanismes de protection et la loi doit prévoir des sanctions s'appliquant à ceux qui usent de représailles à l'endroit de dénonciateurs pendant qu'on fait enquête sur leurs allégations ainsi que des sanctions dont seraient passibles ceux qui font des allégations de mauvaise foi ou pour des raisons frivoles. J'aimerais revenir à cette question lorsque nous discuterons de la notion de bonne foi et de motif raisonnable.

Viennent ensuite les mécanismes de recours. En plus d'un mécanisme pour faire enquête sur les allégations initiales, il faut prévoir un mécanisme permettant de faire enquête sur les allégations de représailles. Supposons qu'une personne fasse des allégations de conduite répréhensible et que pendant qu'on vérifie ces allégations, elle soutient faire l'objet de représailles. Il faut qu'il y ait un mécanisme permettant de faire enquête sur ces allégations de représailles, car ces deux types d'allégations ne peuvent pas toujours être vérifiées dans le cadre d'une même enquête.

Enfin, il est nécessaire de prévoir un mécanisme d'éducation publique. Nous avons insisté sur l'importance de ce mécanisme. Je souscris pleinement au propos du sénateur Kinsella à cet égard. Il a insisté sur la nécessité d'informer le public de ce qui constitue des conduites acceptables. Je suis enclin à adopter une position assez conservatrice sur cette question. À mon sens, chacun a des responsabilités ainsi que des droits parce que si vous remplissez vos responsabilités, vous reconnaîtrez les droits des autres.

Tout compte fait, je crois que le projet de loi S-13 constitue un excellent point de départ pour protéger les dénonciateurs. Il convient cependant d'étudier ces questions plus à fond. Comme je l'ai montré, le projet de loi est à certains égards d'application trop large. Il conviendrait peut-être que le commissaire de l'intérêt public fasse principalement enquête sur les allégations de représailles par opposition aux allégations de conduite répréhensible dans la fonction publique.

Les différents mécanismes qui sont en place dans les ministères dans ce domaine devraient être bien connus. Voilà aussi un domaine où des réformes importantes s'imposent. Des problèmes se posent quant à la façon dont les ministères traitent les plaintes qu'ils reçoivent. La seule façon de transmettre les plaintes est de passer par la filière officielle. Or, les gestionnaires ont tendance, lorsqu'ils reçoivent une plainte, à adopter une position défensive. C'est parfois utile et parfois pas.

Le commissaire de l'intérêt public devra être une entité indépendante qui relève aussi directement que possible du Parlement dans le cadre de notre système. Il existe certaines restrictions constitutionnelles à cet égard, mais il est important, si on établit une commission d'intérêt public, que le budget prévoie un poste budgétaire séparé qui s'y rapporte. Autrement, comme nous le savons d'après l'expérience des commissions d'enquête ou des commissions des droits de la personne, les gouvernements peuvent contrôler la situation en réduisant les fonds. Sans financement, rien ne se fait.

J'aimerais aborder les questions du caractère raisonnable et de la bonne foi. C'est un problème pour notre système. Aux États-Unis, la loi est tellement générale qu'une allégation faite à propos d'à peu près n'importe qui dans n'importe quelle circonstance est considérée légitime si elle est faite pour des motifs raisonnables. Dans la législation de la Grande-Bretagne, les mécanismes permettant de déposer des plaintes sont très limités et précis. Dans notre système, nous serions probablement partisans d'une loi qui s'inspire étroitement de la loi britannique plutôt que de la loi américaine, mais il faudrait que cela soit précisé dans la loi.

Quelle que soit l'approche retenue, elle devra être étoffée dans la loi pour s'assurer que ses intentions sont claires. Nous devons définir les mécanismes à suivre, ce que l'on entend par raisonnable et par de bonne foi. Cela doit être inscrit dans la loi même. Autrement, elle pourrait faire l'objet d'une interprétation tellement générale qu'elle pourrait donner lieu à l'un des deux extrêmes suivants, à savoir que tous les fonctionnaires s'adressent au commissaire de l'intérêt public ou que personne ne s'adresse au commissaire de l'intérêt public. Cela dépendrait de la façon dont seraient définis les termes raisonnables et de bonne foi, car votre loi prévoit des sanctions pour ceux qui font de fausses déclarations dans le cadre de ce processus.

Quelqu'un peut faire une fausse déclaration parce qu'on lui a fourni de l'information fausse ou erronée, et il s'agit alors de déterminer quelle était l'intention au départ de cet individu lorsqu'il a fait cette déclaration. Cette fausse déclaration a-t-elle été faite délibérément ou parce que l'individu a été trompé? C'est donc un aspect qu'il faut étoffer.

Je ne vois pas comment nous éviterons d'avoir une loi sur la dénonciation. D'une part, une telle loi est indispensable et essentielle au fonctionnement de la fonction publique, et d'autre part, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont déjà adopté des lois de ce genre.

Le président: Pourquoi à votre avis, dans la section portant sur les définitions, le sénateur a-t-il inclus parmi les abus ou les omissions des abus ou des omissions qui constituent une infraction à toute loi en vigueur au Canada? Pourquoi un abus ou une omission de ce genre devrait-il être assujetti au processus de dénonciation? Tout de même, si une personne raisonnable a des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu infraction à toute loi en vigueur au Canada, ne doit-elle pas s'adresser à la police?

M. Friedman: Je suppose que c'est la marche à suivre. Cependant, dans certains cas, on ignore s'il s'agit d'une infraction ou non. Des actes peuvent être interprétés par certains comme de la mauvaise administration plutôt que de la fraude. Il y a donc un stade initial de l'enquête où on n'est pas vraiment sûr de ce dont il s'agit. Bien des gens diraient que si vous avez de graves soupçons, vous devriez vous adresser à la police. Je ne crois pas que l'on ait communiqué de façon courante à la fonction publique en quoi consistent de tels actes, ni les procédures à suivre.

Deuxièmement, au cours de l'enquête portant sur l'allégation, l'auteur de l'allégation ne bénéficie d'absolument aucune protection en vertu des lois actuelles. Cette personne finira par être protégée si l'allégation s'avère fondée. Si l'allégation s'avère non fondée, à ce stade la protection accordée au Canada n'est pas aussi importante. Dans des pays comme les États-Unis, cela ne pose aucun problème tant que les motifs au départ étaient raisonnables, même si l'allégation s'avère non fondée. Ce n'est pas nécessairement le cas au Canada.

Le président: Il faut effectivement donner à réfléchir aux gens avant qu'ils allèguent que quelqu'un agit de façon criminelle ou illégale. Allons-nous faire du commissaire de l'intérêt public une sorte d'enquêteur chargé de vérifier les pressentiments que je pourrais avoir en fonction de preuves circonstancielles? Par ailleurs, si le commissaire de l'intérêt public arrive à la conclusion -- et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il devrait posséder une formation juridique quelconque -- qu'il s'agit d'un cas prima facie, qu'une loi est enfreinte, ne devrait-il pas transmettre immédiatement l'affaire aux autorités chargées de l'application de la loi?

M. Friedman: Il existe une foule de mécanismes établis pour faire enquête sur des allégations initiales de conduite répréhensible ou d'abus. Il en existe certains à la fonction publique, par l'intermédiaire de la police, des commissions des droits de la personne, des procédures de grief. Je ne suis pas sûr qu'il soit utile que le commissaire de l'intérêt public reproduise ou remplace ces mécanismes. Le commissaire de l'intérêt public devrait plutôt mettre l'accent sur un aspect en particulier, à savoir les allégations selon lesquelles une personne qui avait présentée auparavant des allégations de bonne foi fait l'objet de représailles. Le commissaire de l'intérêt public devrait mettre l'accent sur les allégations de représailles, et non simplement sur toutes les allégations de conduite répréhensible.

Le président: Pourquoi à votre avis le sénateur Kinsella propose-t-il de protéger les plaignants contre toute poursuite pour diffamation verbale ou écrite? Pour prouver qu'il y a eu diffamation verbale ou écrite, il faut arriver à établir l'existence d'une intention de nuire, n'est-ce pas?

M. Friedman: Je ne suis pas suffisamment bien au courant de tous les aspects de cette question. Parfois, il suffit d'établir que la déclaration est fausse, et il s'agit alors de déterminer si la personne est disposée à retirer la déclaration.

Le sénateur Finestone: Il s'agit d'un important texte de loi. J'ai constaté avec plaisir qu'il y aurait enfin un moyen permettant de protéger les deux parties.

Vous parlez de représailles contre les dénonciateurs, et c'est un problème dont il faut s'occuper, mais je ne considère pas qu'il s'agisse du seul problème. J'ai l'impression que vous estimez que le projet de loi n'est pas suffisamment général. Je considère toutefois qu'il s'agit d'un texte de loi déterminant qui pourrait servir de modèle en fonction duquel vous pourriez évaluer si vous vous acquittez de vos fonctions de façon efficace et dans l'intérêt supérieur de notre pays.

Vous mentionnez effectivement certains éléments d'information importants. On pourrait considérer que les représailles contre les dénonciateurs font partie du processus qui a été décrit. Je me trompe peut-être, mais c'est mon impression.

M. Friedman: Je crois que les dispositions de la loi assurent une protection aux dénonciateurs. Mais je ne considère pas qu'elles sont trop étroites, mais qu'elles sont trop générales. Elles permettent à tout fonctionnaire ayant une plainte de l'adresser au commissaire de l'intérêt public.

Le sénateur Finestone: S'il s'agit d'une plainte de racisme, de sexisme, de violence envers les gays, l'instance appropriée dans ce cas-ci serait la Commission des droits de la personne, n'est-ce pas?

M. Friedman: Oui.

Le sénateur Finestone: Dans un certain sens, vous voulez un redressement ciblé pour un type d'abus quelconque, ou un type quelconque de mauvaise gestion?

M. Friedman: Oui.

Le sénateur Finestone: Je ne suis pas sûre qu'il faille passer par tous ces mécanismes d'allégation initiale, de protection, de sanctions, de redressement et par le processus d'enquête. Si ce n'est pas le cas, s'il s'agit d'une vision fondamentale, il faudrait alors procéder par voie de réglementation. Vous auriez donc le projet de loi déterminant puis des règlements qui aborderaient les aspects que vous jugez important de définir plus clairement. Ils pourraient peut-être s'inspirer du cadre pour l'éducation que je considère être la base de ce projet de loi sur la dénonciation.

M. Friedman: C'est une idée intéressante.

Si je comprends bien le projet de loi, quiconque veut déposer une plainte s'adresserait au commissaire de l'intérêt public, qui recevrait la plainte et la renverrait au ministère. La différence c'est que par le biais de ce processus, l'identité de l'auteur de l'allégation serait protégée.

C'est un point important et qui est souvent absent des procédures de plaintes en vigueur; à savoir, un moyen de sortir de la filière hiérarchique pour présenter l'affaire à un palier supérieur, sans que la personne qui agit ainsi soit nécessairement punie. Comme vous le savez, il est souvent mal vu à la fonction publique de contourner la filière hiérarchique. C'est le principal avantage de ce type de mécanisme. Je ne suis pas sûr que l'on doive y avoir recours chaque fois qu'un employé a une plainte. Je préférerais un moyen d'orienter plus clairement les gens.

Le sénateur Finestone: Voulez-donc une forme de tri?

M. Friedman: Oui.

Le sénateur Finestone: Tel que le projet de loi est libellé, l'article 14 traite de la question de l'enquête et du rapport. Il se lit comme suit:

14.(1) Le commissaire fait enquête sur la dénonciation qu'il a acceptée conformément à l'article 13 et, sous réserve du paragraphe (2), établit un rapport écrit faisant état des conclusions de son enquête ainsi que de ses recommandations.

(2) Il n'est toutefois pas tenu d'établir un tel rapport s'il est convaincu, selon le cas:

a) que le fonctionnaire devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel qui lui sont normalement ouverts;

Par conséquent, lorsque j'ai parlé de racisme, de sexisme, de ce genre de choses, il existe d'autres mécanismes auxquels on peut faire appel. S'il s'agit d'un acte criminel, il y a d'autres recours. L'alinéa 14.(2)a) répondrait en partie à la question que vous avez posée, et l'alinéa 14.(2)b) se lit comme suit:

b) que la question pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une loi en vigueur au Canada autre que la présente loi;

c) que la période qui s'est écoulée à compter du moment où l'abus ou l'omission faisant l'objet de la dénonciation a eu lieu jusqu'à la date où la dénonciation a été présentée aurait pour effet de rendre un tel rapport inutile.

Dans un certain sens, on se trouve à énoncer ici tout le processus de ce mécanisme de communications ou de déclarations. Le règlement permettrait peut-être de le définir plus clairement. Au moment de l'élaboration des outils de sensibilisation, qui devraient être présentés et mis en oeuvre de la manière appropriée, on pourrait donner suite à tous ces points importants.

M. Friedman: J'aimerais que ce soit plus étoffé. Il ne fait aucun doute que certaines de ces questions peuvent être abordées par le biais de la réglementation prise en vertu de la loi même.

Le sénateur Finestone: Considérez-vous qu'il s'agit d'un bon projet de loi qui pourrait être présenté comme un modèle pour les gouvernements fédéral ou provinciaux? Pourrions-nous partir du principe que la Grande-Bretagne, l'Australie et les États-Unis ne sont pas nécessairement si en avance que ça sur nous?

M. Friedman: Ce n'est pas une question d'être en avance. C'est qu'ils ont pris des orientations qui conviennent à leurs systèmes. Il n'est pas sûr que ces modèles s'appliquent directement à notre situation. J'appuie fermement la notion présentée par le sénateur Kinsella selon laquelle il faut trouver des moyens de régler les différends avant qu'ils deviennent officiels. Je ne suis pas sûr que le commissaire de l'intérêt public soit en mesure de le faire. Comme l'a indiqué le sénateur Kinsella, cela doit se faire au sein du ministère. Les ministères sont-ils en mesure de le faire à l'heure actuelle? Je n'en suis pas sûr.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Ma question principale, suite à celle du sénateur Kinsella, concerne le volume. Au Nouveau-Brunswick, la fonction publique est beaucoup moins importante, il est possible que le commissaire de la fonction publique puisse s'en occuper. En Angleterre, c'est la hiérarchie de la gestion parce que le service est plus important. On parle de 500 000 personnes, peut-être plus. Une seule personne ne peut pas assurer cette gestion.

Au Canada, les forces armées et les policiers ne sont pas inclus mais il reste 150 000 ou 200 000 personnes couvertes par cela. Pourrait-on trouver une formule qui serait celle du commissaire? L'idée de la fonction publique n'est pas bête: elle a une bonne connaissance de l'administration, les fonctionnaires se sentent à l'aise avec la commission. La commission n'est pas un organisme opposée aux fonctionnaires. Elle s'assure de leur recrutement et de leur promotion. C'est là où j'avais des doutes. Ne pourrait-on pas trouver une affaire intermédiaire à l'intérieur d'un ministère?

Le sénateur Kinsella a trouvé une bonne formule en disant que le commissaire aurait toutes les données. Il pourra regarder ce dont il a besoin tout de suite et régler à l'oeil de 50 à 80 p. 100 des problèmes qui ne sont pas sérieux. Dans cette perspective, il faudrait peut-être utiliser cette procédure ou cette stratégie. Dans quelques années, on pourrait inscrire une clause de révision.

Par exemple, en Angleterre, cela existe seulement depuis deux ou trois ans, de sorte que l'on ne connaît pas vraiment l'expérience britannique.

Aux États-Unis, le système est différent. Il n'y a pas de patron dans le système. Chacun des ministères est une autorité en son milieu. C'est tellement immense, ce n'est pas comparable.

Étant donné la possibilité à l'article 14 de diluer les choses, cela n'exclut pas les autres procédures dont vous parliez tantôt, cela me paraîtrait assez sage de faire une tentative. Je maintiendrais des doutes. Si on désignait le commissaire de la fonction publique ou quelqu'un qui pourrait être désigné par lui avec une autorité morale, il aurait la même autorité morale qu'un commissaire de la fonction publique. On avait cela au provincial. Quand il était question de griefs, on s'est rendu compte que les trois commissaires ne pouvaient pas s'occuper de tous les griefs.

M. Friedman: Ce qui n'est pas clair dans le projet de loi, c'est l'effort que le commissaire va mettre à examiner les cas. Est-ce lui qui va poser les questions? Qui fera l'enquête? Si c'est le rôle du commissaire de juger les données récoltées, c'est une chose, mais qui va récolter ces données? Où les prendra-t-il? Je n'ai pas trouvé de réponse claire dans le projet de loi.

Le sénateur Bolduc: Des commissaires ad hoc ayant la même formation étaient nommés, c'est la solution que nous avions trouvée. Cela prend une formation. J'insiste sur la nécessité d'une formation intensive et spéciale. Les commissaires de la fonction publique ne sont pas nommés nécessairement pour cela. Ce sont des hauts fonctionnaires avec une formation générale.

Dans ce cas, on a affaire à quelque chose de précis. Il faudrait que le commissaire lui-même ait une formation juridique serrée. S'il ne peut pas le faire lui-même, d'autres membres ad hoc ayant ce type de compétences devraient être nommés. La loi contient des mécanismes de conciliation dans le domaine des relations commerciales internationales; quand on a des panels, il faut que ce soit des gens qui aient une formation, des juges ou des avocats. Dans ce cas, c'est sérieux parce qu'on a affaire à des gens qui dénoncent des abus dans la ligne d'autorité. En France, ils ont une autre méthode. L'inspecteur ne relève pas des directeurs généraux, mais directement du ministre. Nous n'avons pas cette situation au Canada.

Pour le reste, les conditions de dénonciation, de protection, les mécanismes et les droits dénonciateurs ont été très bien couverts.

M. Friedman: Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous adresser la parole. Je vous souhaite bonne chance avec ce projet de loi que je considère très important pour l'avenir de la fonction publique.

Le président: Nous vous remercions dans votre témoignage, monsieur Friedman.

[Traduction]

Le président: Notre prochain témoin est M. Darryl Bean. J'espère que le gouvernement nous enverra une personne d'une stature comparable du côté bureaucratique pour nous présenter son point de vue sur ce projet de loi. Vous avez la parole, monsieur Bean.

M. Darryl Bean, président national, Alliance de la fonction publique du Canada: Je tiens à profiter de l'occasion pour remercier le sénateur Kinsella d'avoir présenté ce projet de loi. Je suis accompagné aujourd'hui de Steven Jelly, qui est l'adjoint exécutif du comité exécutif de l'Alliance de la fonction publique.

L'Alliance de la fonction publique du Canada est heureuse d'avoir l'occasion de présenter ses observations sur le projet de loi S-13, Loi sur la dénonciation dans la fonction publique. Depuis plus de trente ans, nous préconisons activement l'adoption d'une loi sur la dénonciation au niveau fédéral, provincial et international. En tant que syndicat qui représente la grande majorité des employés du gouvernement fédéral, nous avons été appelés à défendre des dénonciateurs lors d'audiences d'arbitrage et devant les tribunaux.

Comme quelqu'un l'a indiqué au greffier du comité la semaine dernière, nous ne serons pas en mesure de vous fournir un mémoire complet avant quelques jours. La difficulté que nous avons eue à préparer un mémoire à votre intention tient au fait que nous devons examiner un nombre relativement élevé de cas d'arbitrage et de poursuites judiciaires pour pouvoir vous donner un échantillon représentatif des cas de dénonciation et des résultats qui en découlent.

Nous prenons le phénomène de la dénonciation très au sérieux, car il a déjà eu des conséquences fâcheuses pour de nombreux fonctionnaires fédéraux. De plus, on pourrait avancer que le vide législatif à ce chapitre constitue la lacune la plus grave des instruments qui définissent la démocratie canadienne. Le fait que, même en l'absence d'une protection législative, les dénonciateurs continuent d'exister au sein de la fonction publique fédérale canadienne témoigne, à mon sens, de l'intégrité des fonctionnaires.

Au cours des trente dernières années, nous avons rallié nos membres, la majorité des Canadiens et tous les partis politiques autour de la nécessité d'adopter une loi pour protéger les dénonciateurs. S'il est vrai que les législatures canadiennes ont adopté des lois pour protéger les dénonciateurs dans certaines circonstances précises, il reste qu'elles n'ont pas su étendre ce principe à la fonction publique fédérale dans son ensemble. Pourtant, il ressort de notre expérience que la common law n'assure qu'une protection très limitée dans ces cas.

Enfin, le Canada accuse un certain retard par rapport à d'autres grands États démocratiques en matière de législation visant la protection des dénonciateurs. Étant donné toutes les informations qui nous proviennent des autres pays à ce sujet, les législateurs canadiens ne devraient pas avoir de difficulté à promulguer une loi sans craindre que la protection ainsi garantie aux dénonciateurs mène au dépôt de plaintes de mauvaise foi. Au contraire, nous escomptons que nos membres et les autres employés de la fonction publique fédérale utiliseront la protection proposée par le projet de loi S-13 de façon judicieuse et dans l'intérêt de tous.

Pour vous aider dans vos délibérations, nous aimerions vous faire part, de façon officielle, de quelques-unes de nos expériences relativement à la protection de dénonciateurs et vous parler de certaines dispositions du projet de loi S-13. En posant leur geste de bonne foi, les dénonciateurs se font les défenseurs de la démocratie. Par conséquent, nous croyons que la société a l'obligation de protéger leur emploi et leur sécurité économique. Malheureusement, chaque fois que les tribunaux ont dû intervenir dans des cas de dénonciation, les résultats ont été pour le moins peu encourageants.

S'il est vrai que le licenciement de Neil Fraser, l'employé de Revenu Canada, le 23 février 1982 n'était pas un cas de dénonciation à proprement parler, il n'en demeure pas moins que cela a permis d'établir certaines lignes directrices pour la définition des cas de dénonciation en l'absence d'une protection législative précise. Le licenciement de Fraser est survenu à la suite d'une longue procédure d'appel et d'arbitrage alambiquée, qui s'est terminé par le jugement rendu par la Cour suprême le 10 décembre 1985.

Certes la Cour suprême a confirmé le renvoi de Fraser, mais elle a néanmoins apporté des précisions on ne peut plus importantes concernant ce qu'un fonctionnaire fédéral peut dire et faire. Cela ressort très bien dans cet extrait du jugement de la Cour suprême:

Cela serait approprié si, par exemple, le gouvernement était impliqué dans des actes illégaux, ou si sa politique compromettait la vie, la santé ou la sécurité du fonctionnaire ou celle des autres, ou si les critiques formulées par le fonctionnaire n'ont pas eu de répercussions sur sa capacité de s'acquitter efficacement de ses tâches, ni sur la perception qu'a le public de cette capacité. Après avoir énoncé ces conditions (et il peut y en avoir d'autres) je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas s'attaquer, comme l'a fait la partie appelante dans le présent cas, de façon aussi soutenue et visible aux principales politiques publiques.

À la suite du cas Fraser, les fonctionnaires fédéraux ont interprété, à raison, leurs droits de dénoncer des conduites répréhensibles de différentes façons. Près de quatre années s'étaient écoulées entre le licenciement de Fraser et la confirmation de ce licenciement par la Cour suprême. En raison de ces longs délais, le dénonciateur se retrouve aux prises avec de graves difficultés financières. De plus, il doit composer avec une tension nerveuse qui amène manifestement les gens à y regarder à deux fois avant de se lancer dans une telle entreprise, notamment quand on sait que les résultats sont imprévisibles et qu'ils peuvent prendre des années avant de se concrétiser. D'autres ont relevé ce défi avec des résultats variés. Quand nous vous soumettrons notre mémoire officiel, nous citerons des exemples et des cas plus précis et plus détaillés. Pour le moment, nous mettrons l'accent sur quelques cas significatifs.

Le dossier le plus important dont nous nous sommes occupés concernait un travailleur du ministère de l'Immigration à Toronto. Ce travailleur a été congédié le 6 février 1987 pour avoir communiqué des renseignements laissant entendre que la politique ministérielle pourrait menacer la sécurité des Canadiens en permettant à des criminels connus d'entrer au Canada. Trois aspects de cette cause sont intéressants, particulièrement dans le contexte entourant tout débat sur un projet de loi sur la dénonciation. Tout d'abord, le membre de l'alliance a communiqué ces renseignements à un député, soulevant la question suivante: un député est-il ou non une tierce partie? L'employé a été congédié lorsque le député, non pas l'employeur, a rendu ces renseignements publics.

Deuxièmement, l'incident correspond clairement aux paramètres établis par la Cour suprême concernant une dénonciation acceptable, c'est-à-dire que la politique gouvernementale «mettait en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes.»

Troisièmement, malgré cela, un arbitre a jugé bon de changer le congédiement en une suspension de neuf mois. Et ce, en partie, parce que le fonctionnaire en question avait fait part de ses préoccupations à une tierce partie, soit un député, sans laisser au ministère suffisamment de temps pour donner une réponse satisfaisante.

Dans un autre cas, en mai 1997, un membre de l'alliance a reçu une suspension de deux jours pour des déclarations publiques faites au cours d'une journée d'action du syndicat. Bien que la mesure disciplinaire qui lui a été imposée n'était pas particulièrement lourde, ce fut une cause mémorable car la personne en question était un syndicaliste qui s'est retrouvée en fait bâillonné pendant deux ans et demi, soit le temps qu'il a fallu pour régler son grief. Le ministère avait donc tous les atouts. Il pouvait imposer une mesure disciplinaire, ce qu'il a fait, sachant qu'il bâillonnerait ainsi le travailleur en question et peut-être même beaucoup d'autres même si, en fin de compte, il a retiré sa mesure disciplinaire juste avant les audiences d'arbitrage.

Le dilemme pour les dénonciateurs qui ne sont protégés que par la common law consiste à savoir ce qu'ils peuvent dire et à qui ils peuvent le dire. Dans l'affaire mettant en cause le travailleur du ministère de l'Immigration dont je vous ai parlé, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que la mesure disciplinaire était justifiée car l'employé faisant l'objet de mesures disciplinaires n'avait pas donné au ministère suffisamment de temps pour réagir au problème. Qu'est-ce qui constitue un délai satisfaisant? Comment sont-ils protégés contre toutes sanctions entre temps?

Ce qui constitue à notre avis une préoccupation plus pressante, c'est que les ministères ont l'habitude, bien que cela soit difficile à prouver, de pénaliser les travailleurs fédéraux qui remettent en question les politiques et pratiques. Par conséquent, même si une personne peut dénoncer un problème qui, à son avis, nuit à l'intérêt public, cette personne risque de se voir imposer une mesure disciplinaire ou toute autre mesure négative.

Par exemple, l'alliance s'occupe actuellement d'un cas au sein de DRHC relativement à la controverse entourant les subventions et les contributions. Dans ce cas, il s'agit d'un membre de l'alliance qui nous dit craindre que sa sécurité d'emploi, sa réputation et ses possibilités de carrière soient compromises à la suite de plaintes qu'il a faites auprès de divers niveaux de gestion au sein du ministère à partir de 1996.

Les événements à l'origine de la controverse au DRHC se sont déroulés à peu près au même moment où le gouvernement procédait à une rationalisation prolongée, de sorte qu'il aurait été difficile de déterminer si les employés qui ont été déclarés excédentaires l'ont vraiment été pour des raisons légitimes ou si c'était une punition indirecte pour avoir dénoncé un problème interne. En fait, un sondage effectué récemment auprès des employés de DRHC révèle que seulement trois employés sur dix estiment qu'ils peuvent soulever des questions de cette nature au sein de leur ministère sans crainte de représailles.

Le projet de loi S-13 est-il efficace? Nous avons quelques observations bien précises à faire à ce sujet. La première question que doit régler toute législation en vue de protéger les dénonciateurs est la suivante: À qui faut-il adresser les plaintes? D'après le projet de loi S-13, les pouvoirs existants accordés au commissaire par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique font de la Commission de la fonction publique l'organisme à qui les plaintes devraient être adressées.

L'alliance estime que les organismes existants, notamment la Commission de la fonction publique et le Bureau du vérificateur général, étant donné leurs cultures organisationnelles et leurs rapports avec la fonction publique conviendraient moins qu'une organisation indépendante nouvellement créée ou un ombudsman pour s'occuper expressément et explicitement de la dénonciation. Cela étant dit, si une organisation existante doit recevoir le mandat d'entendre les plaintes en matière de dénonciation, nous sommes d'avis que le commissaire à l'information ou le commissaire à la protection de la vie privée seraient mieux placés que la Commission de la fonction publique ou le vérificateur général.

Nous sommes d'avis que le projet de loi sur la dénonciation doit tenir compte de la confidentialité. La façon dont le projet de loi S-13 aborde cette question complexe pourrait être améliorée. En vertu de l'alinéa 9(1)b), une personne qui allègue que quelqu'un a commis ou s'apprête à commettre un abus ou une omission peut demander que la confidentialité de son identité soit assurée relativement à la dénonciation. Dans un tel cas, le commissaire est obligé aux termes de l'article 10 de garder confidentielle l'identité du fonctionnaire.

Notre problème relativement à la confidentialité tient en réalité au fait qu'aux termes de l'alinéa 14(2)a), le commissaire n'est pas tenu de préparer un rapport s'il ou elle n'est pas convaincu que le fonctionnaire a épuisé tous les recours internes ou les procédures d'appel qui lui sont normalement ouverts. Donc, le projet de loi S-13 maintient la pratique actuelle selon laquelle les dénonciateurs doivent d'abord porter à l'attention de la direction du ministère l'abus ou l'omission prétendu. En d'autres termes, la confidentialité individuelle dans de nombreux cas n'aura pas été respectée avant que le commissaire ait été avisé.

Une troisième question concerne les sanctions imposées en vertu du projet de loi sur la dénonciation. Tout d'abord, même si l'article 19 stipule clairement qu'un employeur ne peut imposer une mesure disciplinaire à un employé qui agit de bonne foi, certaines activités de représailles de la part de l'employeur sont peut-être exclues. Par conséquent, même si la liste des mesures énumérées au paragraphe 19(2) est appropriée, nous estimons qu'il faudrait stipuler au paragraphe 19(2) «toute mesure, y compris mesure disciplinaire» plutôt que de dire simplement «mesure disciplinaire» tel que le prévoit actuellement le projet de loi S-13.

Aux termes du projet de loi, seuls les fonctionnaires qui font une dénonciation de bonne foi sont protégés. Il s'ensuit donc que dans certains cas, les employés qui déposent une plainte peuvent faire l'objet d'une mesure interne ou d'une mesure disciplinaire comme le stipule le paragraphe 19(2). Par ailleurs, si l'on détermine par la suite qu'un employé qui a formulé une plainte l'a fait de mauvaise foi, cet employé sera assujetti aux mêmes poursuites criminelles et aux mêmes amendes que celles prévues pour les employeurs à l'article 21 du projet de loi S-13.

D'après notre expérience, dans la grande majorité des cas, les dénonciations sont faites de bonne foi. Cela étant dit, la menace même d'accusations criminelles dissuadera les dénonciateurs légitimes tout comme ceux qui envisagent de faire une dénonciation de mauvaise foi.

Le projet de loi à l'étude prévoit pour les employés un recours pratiquement inchangé par rapport aux droits existants. À notre avis, c'est problématique, car un dénonciateur protégé par cette mesure législative pourrait se retrouver avec les mêmes problèmes financiers et le même stress qu'il a à l'heure actuelle. Encore une fois, cela risque de dissuader les travailleurs individuels et de saper la protection légitime que le projet de loi S-13 tente d'assurer. Pour éviter une telle chose, nous estimons que le dénonciateur doit avoir un recours immédiat devant le commissaire qui a fait l'enquête et qui a signalé l'abus en question.

Enfin, et étant donné l'importance des dénonciateurs pour la démocratie et leur situation précaire, l'alliance est d'avis qu'il est urgent de prendre des mesures législatives sans délai. Cela dit, nous appuyons le projet de loi S-13 pourvu que deux amendements spécifiques y soient apportés. D'abord, le projet de loi doit être amendé afin de s'assurer qu'un employé qui fait une dénonciation ne puisse faire l'objet d'accusations criminelles et, deuxièmement, nous proposons que le projet de loi soit spécifiquement amendé en vue d'inclure un suivi parlementaire complet un an après son entrée en vigueur. Cela nous permettrait, ainsi qu'à d'autres, de déterminer si les mécanismes, les interdictions et les sanctions spécifiques sont efficaces.

Le président: Si ce projet de loi avait été mis en vigueur en 1987 lorsqu'il y a eu cette cause de l'employé de l'Immigration, cela ne l'aurait pas beaucoup aidé, n'est-ce pas? Aurait-il pu utiliser ce processus pour faire une dénonciation? Il prétendait que la politique mettait en danger la sécurité publique.

M. Bean: Qu'elle mettait en danger la sécurité des Canadiens.

Le président: Oui, mais il ne prétendait pas qu'il y avait eu abus ou omission de la part d'une personne en particulier, n'est-ce pas?

M. Bean: Il s'en est tenu uniquement à la politique. Cependant, je dirais que s'il avait pu formuler une plainte devant un commissaire qui s'occupait de protéger l'intérêt public, il n'aurait peut-être pas été obligé d'aborder la question avec un député. Je conviens qu'il s'agissait d'une question de politique, mais il aurait certainement pu soulever la question d'intérêt public. Il avait tout à fait raison, la politique permettait à des criminels d'entrer au Canada. Dans ce cas-ci, le projet de loi l'aurait aidé. Je ne suis pas certain cependant que cela règle complètement le problème.

Le sénateur Bolduc: La politique ou l'application de la politique?

M. Bean: La politique. La politique était très mauvaise. Elle permettait à des criminels d'entrer au Canada sans un bon système de contrôle.

Le président: Que diriez-vous si un membre de votre syndicat s'apprêtait à dénoncer un autre membre?

M. Bean: Si un membre de notre syndicat faisait quelque chose qui allait à l'encontre de la loi du Canada dans ce genre de situation, je ne vois pas de problème. Nous enquêtons régulièrement sur les plaintes internes, au sein de notre syndicat, et nous maintenons un certain nombre de plaintes lorsque des membres ont pris des mesures inappropriées contre d'autres membres. Je ne vois rien de mal à cela.

Le président: Un membre de votre syndicat ne s'attirerait pas le mécontentement du syndicat en dénonçant un autre membre?

M. Bean: Pas de la façon dont j'interprète ce projet de loi.

Le sénateur Bolduc: Dès que nous aurons la transcription, j'aurai peut-être des questions. Je crois comprendre que vous nous enverrez un mémoire officiel.

M. Bean: Oui.

Le président: Nous vous réinviterons. Votre mémoire sera extrêmement important.

M. Bean: Nous n'avons pas eu le temps de préparer un mémoire complet. Nous avons cependant préparé une déclaration qui aborde certains de ces exemples, mais j'aimerais vous en parler plus en détail. J'aimerais revenir témoigner devant le comité.

Le sénateur Bolduc: Au sujet du suivi parlementaire, j'ai laissé entendre précédemment que nous devrions faire un suivi dans cinq ans. Vous avez proposé un an. C'est un peu rapide, mais dans deux ou trois ans nous devrions examiner ce qui s'est passé. L'expérience nous révélera certaines nuances au sujet du projet de loi.

M. Bean: Si nous avons proposé un an, ce n'est pas seulement parce que certaines dispositions de ce projet de loi sont relativement nouvelles, mais parce que nous sommes un peu préoccupés par le contenu. Nous craignons que, si le commissaire de l'intérêt public décide qu'il faut passer par les voies internes existantes, le projet de loi n'aura pas été efficace. C'est ce que nous craignons. J'ai cité certains cas ici, notamment celui de l'agent d'immigration. Il a été congédié. Nous avons réussi à lui faire réintégrer son emploi avec une suspension de neuf mois, suspension qui à mon avis n'était pas justifiée, mais nous avons réussi grâce à l'arbitrage.

Le sénateur Bolduc: J'ai été un peu surpris lorsque vous avez dit qu'il serait préférable d'avoir quelqu'un d'autre que le commissaire de l'intérêt public. Vous avez donné l'exemple du commissaire à la protection de la vie privée. J'ai peut-être un parti pris puisque je suis un ancien commissaire à la fonction publique, mais je trouve cela un peu étrange.

M. Bean: Nous avons un parti pris en ce qui concerne la Commission de la fonction publique. Normalement, je recommanderais le vérificateur général, qui est honnête, mais je l'ai rencontré il y a environ 18 mois au sujet du projet de loi sur la dénonciation. Il m'a dit très clairement que cela ne l'intéressait pas d'assumer cette responsabilité, de sorte qu'il n'est pas très logique de lui confier un dossier dont il ne voudrait pas s'occuper. Je me suis rappelé que la mise sur pied d'une autre organisation posait un problème sur le plan financier, alors je voulais essayer de trouver un organisme existant avec lequel cela pourrait fonctionner.

Le sénateur Bolduc: Je ne voulais pas défendre la Commission de la fonction publique, mais le vérificateur général a davantage une approche par l'enquête pour ce qui est de la comptabilité et de la gestion des fonds, et cela va beaucoup plus loin que cela. Je ne pense pas qu'il aurait la formation voulue pour ce genre de choses. Le vérificateur général est aussi très bon, mais dans son propre domaine.

M. Bean: J'ai dû aborder la question très brièvement, mais je préférerais de loin que l'on mette sur pied un organisme séparé -- notamment un ombudsman.

L'alliance n'appuie d'aucune façon le fait que l'on permette à des particuliers de faire des déclarations ridicules à la presse, même lorsque ces déclarations sont fondées. Il y a une procédure à suivre et elle devrait être suivie. Je ne crois pas que les gens devraient pouvoir s'adresser à la presse, car il est important de protéger également l'intégrité des personnes qui font l'objet de ces accusations.

Le sénateur Bolduc: Vous comprenez que, si c'était la Commission de la fonction publique, nous savons qu'elle dispose de fonds pour faire le travail. Mais, si on opte pour une nouvelle organisation, vous savez ce qui se passe.

M. Bean: Ça pourrait poser un problème. Sauf tout le respect que je dois à M. Friedman, il n'y aura pas qu'une seule personne pour mener l'enquête. Si une personne est responsable, cela pourrait, d'après moi, se comparer à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Autrement dit, il y a un président, mais il ne traite pas de tous les cas. D'autres l'aident.

Le sénateur Kinsella: Voulez-vous bien nous dire tout ce que vous savez au sujet de l'affaire à DRHC?

M. Bean: Je serai prudent, car le dossier n'est pas clos. L'employé en question a signalé bon nombre des problèmes dont on traite aujourd'hui. En conséquence, il a été déclaré «surnuméraire», ce qui signifie que son poste pourrait être déclaré excédentaire n'importe quand. Il a été déclaré employé surnuméraire en avril 1997. Depuis, il doit vivre en sachant que son emploi pourrait disparaître du jour au lendemain. Les choses en sont restées là, mais cela ne lui a pas facilité les choses.

Le sénateur Kinsella: Cet employé avait signalé des problèmes concernant les subventions et les contributions. À qui les avait-il signalés?

M. Bean: À la haute direction de DRHC.

Le sénateur Kinsella: Cet employé a donc suivi la voie hiérarchique, a signalé les problèmes à ses supérieurs puis a été déclaré surnuméraire, ce qui a eu une incidence sur la sécurité de son emploi?

M. Bean: Oui. Cette menace pèse sur lui depuis 1997; son poste pourrait être déclaré excédentaire n'importe quand. Voilà la difficulté quand on procède à l'interne. Lorsque le premier ministre était chef de l'opposition, il avait bien précisé qu'un gouvernement libéral ferait adopter un projet de loi sur la dénonciation pendant son premier mandat.

Par la suite, j'en ai parlé à M. Eggleton, qui était alors président du Conseil du Trésor, qui m'a répondu qu'un projet de loi sur la dénonciation ne lui semblait pas nécessaire, en dépit de la déclaration du premier ministre. Il m'a dit que les employés n'avaient qu'à se conformer aux procédures internes des ministères. J'ai tenté de lui faire comprendre que cela n'avait donné aucun résultat dans le passé. Je suis donc très heureux qu'on ait présenté ce projet de loi. Je suis rarement venu témoigner devant un comité pour soutenir un projet de loi, mais c'est ce que je fais cette fois-ci, en proposant néanmoins quelques changements.

Le sénateur Bolduc: Nous comprenons facilement pourquoi ce genre de loi existe aux États-Unis, car, là, l'organe législatif sert de frein et de contrepoids à l'exécutif. Ici, bien sûr, la situation est telle qu'il nous faut un tel projet de loi. Vous dites qu'il ne sert à rien de suivre la voie hiérarchique, mais, si le commissaire fait son travail comme on le prévoit ici, cette tâche n'incombera pas à l'employé, mais plutôt au commissaire. Il n'a pas à dévoiler le nom de l'employé; par conséquent, j'estime que c'est une approche bien conçue.

M. Bean: Si j'avais le choix entre ce projet de loi sous sa forme actuelle et pas de projet de loi, j'opterais pour le projet de loi sans amendement. C'est bien mieux que la situation actuelle, mais il y a moyen de l'améliorer. Voilà pourquoi je suis ici. Quand nous aurons eu l'occasion de mieux l'étudier, je pourrai revenir et vous suggérer des améliorations. Je suis aussi disposé à rencontrer le sénateur Kinsella, et n'importe qui d'autre, pour tenter de bonifier cette mesure législative.

Le sénateur Finestone: J'allais justement vous le demander. N'hésitez pas. Si vous proposez des amendements que nous pourrions approuver, cela nous serait très utile.

La loi sera examinée dans trois ans, pas chaque année. On n'arrive même pas à la mettre en oeuvre en un an. Un examen annuel ne serait donc pas très utile.

M. Bean: Je serais prêt à accepter un examen tous les trois ans.

Le sénateur Finestone: Vos remarques m'ont plu, parce que j'estime que ce projet de loi sur la dénonciation sert à défendre la démocratie. C'est dans cette optique que je l'ai examiné et je suis heureuse que nous en soyons saisis.

Croyez-vous que, avec ce genre de projet de loi, notre souhait le plus cher, soit de voir les différends se résoudre plus rapidement et de donner l'impression de mieux rendre justice, pourrait se réaliser?

M. Bean: Avec de genre de projet de loi, oui. C'est le l'inconvénient de la procédure que nous devons suivre actuellement, que ce soit avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour le traitement des griefs, avec la Commission des droits de la personne ou avec les tribunaux. La procédure est très lente, et ce projet de loi contribuera en grande partie à régler ce problème.

Je tiens surtout à ce que la personne responsable dispose d'un personnel d'enquête suffisant pour que les enquêtes se fassent dans les meilleurs délais. Je ne crois pas que le Commissaire de l'intérêt public mènera toutes ces enquêtes. Ça lui serait impossible.

Je ne prétends pas non plus qu'on n'abusera pas de la loi, car c'est une possibilité. Toutefois, je suis convaincu que la majorité des employés de la fonction publique n'utiliseront pas de cette loi comme mesure de rétorsion contre un gestionnaire. Ceux qui le feront constateront que c'est une mauvaise idée, mais la plupart d'entre eux ne le feront pas. Ils n'invoqueront la loi que s'ils ont la ferme conviction que quelque chose ne va pas.

Le sénateur Bolduc: Ce n'est pas frivole.

Le sénateur Finestone: Vous ne serez pas étonné de m'entendre dire que nous avons promis une loi sur la dénonciation dans le livre rouge. Comme vous le savez, j'ai toujours été entièrement d'accord. Le gouvernement a maintenant déposé un projet de loi sur la dénonciation.

Qu'avez-vous pensé de l'article 27 du projet de loi C-6 sur le commerce électronique et la protection des renseignements personnels?

M. Bean: Je ne connais pas ce projet de loi. Lorsque j'en ai entendu parler, j'ai demandé à mon personnel de chercher à savoir ce qu'il renfermait car je n'avais aucune information à ce sujet. Je ne peux donc pas vraiment vous répondre pour le moment; tout ce que je peux vous dire, c'est que je ne connaissais pas le contenu du projet de loi et que nous n'avons présenté aucun mémoire là-dessus.

Le sénateur Finestone: Il serait bon que vous en preniez connaissance, parce que l'industrie et le commerce se dirigent sur cette voie. Le commerce électronique connaît actuellement une évolution extrêmement rapide. Bon nombre de questions doivent être examinées, dont celle-ci. Le projet de loi sur l'environnement, déposé l'an dernier, comportait une disposition sur la dénonciation; nous avons donc tenu notre promesse. Je veux qu'on le sache.

M. Bean: Ce n'est probablement pas le moment de débattre de cette question, mais je peux vous montrer le document.

Le président: On procède de façon graduelle.

M. Bean: Je suis heureux que vous ayez enfin entrepris de tenir votre promesse.

Le président: C'est une collaboration de part et d'autre. Nous attendrons votre mémoire avec impatience. Nous allons aussi probablement vous réinviter pour en discuter. Entre-temps, nous aurons peut-être entendu les représentants du gouvernement et vous aurez ainsi la possibilité d'exposer vos vues sur d'autres témoignages.

Le sénateur Finestone: Certains des cas que vous avez mentionnés m'intéressent. Vous avez dit que la culture d'entreprise à la Commission de la fonction publique vous déplaît, qu'il faudrait un organisme plus indépendant, mais que vous pourriez vous contenter de la Commission de la fonction publique. Puis, vous avez dit qu'il faut améliorer la confidentialité et vous avez fait allusion en particulier à l'alinéa 9(1)b). Si vous estimez que cette disposition doit être améliorée, ça nous intéresse. La confidentialité et la protection de la vie privée sont des questions qui nous préoccupent beaucoup.

M. Bean: Nous y reviendrons assurément. À la première lecture, nous avons eu l'impression que cette disposition pourrait être resserrée.

Le président: Merci, monsieur Bean. Chers collègues, nous nous réunirons mardi à 9 h 30 pour poursuivre l'étude de la politique gouvernementale concernant les catastrophes naturelles. Dans une semaine, en soirée, nous tiendrons une autre séance sur le projet de loi S-13.

La séance est levée.


Haut de page