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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 9 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 9 h 34 pour poursuivre son étude de Protection civile au Canada.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, ce matin nous reprenons notre étude de la protection civile au Canada. Nos premiers témoins viennent de Ressources naturelles Canada.

Je vais inviter M. Ron Brown à nous présenter son exposé.

M. Ron Brown, directeur intérimaire, Division des applications, Centre canadien de télédétection, Ressources naturelles Canada: Monsieur le président, je vais commencer par vous parler d'un certain nombre de choses que nous faisons à Ressources naturelles Canada en matière d'atténuation et de gestion des catastrophes. Je tiens à remercier le comité de nous donner l'occasion de lui présenter cet exposé et de développer certaines des informations que vous avez déjà reçues. Je sais que vous avez déjà entendu il y a quelques semaines les représentants de RADARSAT International et de l'Agence spatiale canadienne. Dans notre exposé, nous devrions développer quelque peu ce qu'ils vous ont déjà dit.

Je vais vous parler brièvement de ce que nous faisons à Ressources naturelles Canada face aux inondations, aux incendies, aux tremblements de terre, aux glissements de terrain, ainsi que de notre programme de cartographie et de notre système mondial de localisation. Je conclurai en vous présentant le contexte des nouveaux progrès qui devraient, pensons-nous, nous aider à gérer mieux les catastrophes à l'avenir.

Dans l'exposé de RADARSAT International, il était beaucoup question d'utiliser des données multiples pour établir la cartographie des zones inondables. Nous envisageons maintenant d'aller au-delà de la cartographie et d'y ajouter un élément de prévision des inondations. Vous voyez sur cette diapositive une image du bassin de la rivière Mississippi, tout près d'Ottawa, obtenue par RADARSAT. Nous fusionnons ces données et les informations de diverses sources pour obtenir un modèle de prévision. Il s'agit d'informations sur la couverture du sol, les modèles de terrain, les schémas de drainage, les précipitations, l'humidité au sol, la couverture neigeuse, et aussi les radars au sol. Terry Pultz, qui appartient à notre organisation, est étroitement associé à la mise au point de ces modèles.

Une autre entreprise importante au Canada consiste à connecter les bases de données. Le gouvernement canadien a lancé une vaste initiative en ce sens. De même, par le biais de notre centre, l'atlas national du Canada va bientôt être en ligne, et c'est une initiative très dynamique. Donc, nous avons un mécanisme de diffusion des données de télédétection que nous recueillons et que nous traitons.

Il y a aussi d'importants développements en matière de contrôle des incendies. Notre programme intitulé Fire M3 nous permet d'avoir une couverture quotidienne par satellite de la totalité du Canada et de détecter les points chauds où il peut y avoir des incendies. On le fait au moyen des mêmes capteurs que ceux qu'on utilise pour les prévisions météorologiques que vous voyez à la télévision. Au lieu d'examiner les nuages, nous observons les points menaçants. Le Service canadien des forêts a élaboré des modèles qui nous permettent de prédire l'évolution des incendies.

Depuis quelques années, nous menons notre programme Fire M3 de mai à septembre, en collaboration avec les provinces et le Service canadien des forêts. Nous mettons nos images sur l'Internet. Cette diapositive vous montre un exemple du genre de données que nous fournissons. Nous avons ici une image d'une région où il y a des incendies. Vous voyez les nuages de fumée et les points chauds ou les zones ravagées par un incendie.

Quand nous avons commencé à travailler dans ce domaine, les provinces nous ont dit que ces informations leur étaient très utiles pour planifier l'évacuation des collectivités en cas d'incendie dans une région. Il est important non seulement de pouvoir prédire la progression d'un incendie, mais aussi d'observer l'évolution des nuages de fumée et de prévoir leurs retombées sur les collectivités.

Une autre partie de ce travail sur les incendies consiste à détecter les zones partiellement brûlées. Une bonne partie du bois qui est encore là conserve une valeur commerciale élevée. Nous avons travaillé avec les entreprises d'exploitation forestière et avec les provinces pour identifier les zones dans lesquelles la végétation ou les arbres peuvent encore être récupérés. Ces informations ont une grande importance économique.

Dans notre travail, il ne suffit pas d'utiliser des données brutes, il est important aussi de transmettre ces données à divers organismes sous une forme exploitable. Les données de RADARSAT ont été très utiles pour identifier la zone inondée et suivre l'évolution de l'inondation au Manitoba il y a plusieurs années. Nous sommes allés beaucoup plus loin que cela en intégrant les données fournies par le satellite sous forme de cartes topographiques. Vous voyez sur cette diapositive un exemple d'images sur une carte topographique. On y trouve des informations sur les routes et les localités qui peuvent être utilisées par les équipes de gestion des catastrophes.

En ce qui concerne les missions de sauvetage, nous avons collaboré avec le Centre de coordination des opérations de sauvetage. Ce centre utilise des données numériques fournies par Ressources naturelles Canada, notamment par le personnel des services aéronautiques et techniques. En intégrant les cartes et les programmes d'ensemble, nous réalisons d'importantes économies. Si une alarme de repérage d'urgence se déclenche -- et elles peuvent être déclenchées par exemple par l'écrasement d'un avion, mais aussi par un simple atterrissage brutal -- nous pouvons savoir en deux ou trois minutes ce qui a provoqué l'alarme. On réalise donc des économies considérables en détectant les fausses alarmes, ce qui évite de faire décoller un avion et de mobiliser toute une équipe pour aller voir ce qui se passe.

Les systèmes de positionnement global sont en train de devenir un élément important de la cartographie d'ensemble. Sur cette diapositive, vous avez un dessin humoristique qui vous montre ce qui peut se passer si vous ne savez pas exactement où vous êtes. Certes, cela n'arrive pas dans la réalité, mais les systèmes de positionnement global sont quand même un instrument important pour localiser des collectivités et des individus avant, pendant et après une catastrophe.

Des changements importants sont en train de se produire dans ce domaine. Les États-Unis ont annoncé tout récemment que la précision de résolution d'un releveur de coordonnées de 300 $ était passée d'environ 100 mètres à 10 mètres maintenant. Nous disposons maintenant d'une résolution bien meilleure. Avec RNCan, nous avons aussi élaboré un dispositif appelé Service de correction en temps réel pour le GPS -- ou GPS-C -- qui nous permet d'avoir une résolution encore plus fine. Nous pouvons ainsi connaître avec une précision d'environ un mètre l'emplacement des équipes de lutte contre les incendies et des autres dispositifs déployés en cas de catastrophe.

Notre Programme national de gestion des risques de tremblements de terre est en place. Ce programme en temps réel est alimenté par une centaine de stations. Il nous donnera des informations sur l'ampleur des tremblements de terre, leur localisation, leur intensité et leurs retombées.

Notre Réseau sismographique national utilise le Web. Nous estimons qu'il y a beaucoup de choses à faire avant un tremblement de terre. RNCan a participé activement à l'élaboration du code du bâtiment, ce qui a permis de réaliser des économies importantes. Lors d'un tremblement de terre, on pourrait envoyer des informations qui déclenchent la fermeture automatique des soupapes des installations critiques pour éviter des dégâts supplémentaires. Immédiatement après un tremblement de terre, on établit une cartographie rapide de l'intensité du séisme pour pouvoir mieux cibler les ressources sur les zones les plus sinistrées.

Un autre aspect de notre travail concerne les glissements de terrain, qui se produisent soit isolément, soit parallèlement à des tremblements de terre. C'est un secteur d'activité important à RNCan.

RNCan a un rôle important à jouer dans la gestion des catastrophes. De nouvelles technologies vont influer sur la façon dont nous gérons les interventions en cas de catastrophe. J'ai parlé brièvement de GeoConnections. Il s'agit de la mise en ligne de bases de données gouvernementales. Landsat 7 est un satellite américain. Ils ont une toute nouvelle politique en matière de données, un nouveau droit d'auteur, et par conséquent, Ressources naturelles Canada va présenter en ligne une couverture complète du Canada sous forme d'images satellites avec une résolution d'environ 30 mètres, ce qui nous permettra d'avoir une importante base de données pour gérer les informations liées aux catastrophes.

Autre point important, si vous devez utiliser des données pour intervenir en cas de catastrophe, vous les recevez généralement par le biais d'un système d'information géographique. Microsoft vient de sortir un nouveau produit appelé MapPoint, qui devrait avoir des répercussions très importantes sur les systèmes d'information géographique. Nous sommes passés de logiciels qui coûtaient des milliers de dollars à un programme qui coûte seulement quelques centaines de dollars et qui sera exploitable par un très large éventail de collectivités.

Les capteurs à résolution spatiale élevée donnent maintenant des résolutions d'environ un mètre et vont faire progresser considérablement l'information en cas de catastrophe.

Je reviens maintenant à l'accès à l'information par l'entremise de récepteurs tenus à la main. Dans la section affaires des journaux nationaux, on parle de Cybernet et de l'accès à l'information au moyen d'écrans tenus à la main. C'est très bien pour suivre l'évolution des marchés boursiers, mais cette technologie a aussi d'énormes retombées pour nos équipes qui luttent contre des catastrophes sur le terrain et qui peuvent maintenant être branchées directement sur des bases de données regroupées dans une unité centrale.

Enfin, il y a RADARSAT et ENVISAT. ENVISAT est un satellite qui a été lancé par l'Agence spatiale européenne. RADARSAT 2 sera bientôt lancé pour s'ajouter à notre RADARSAT 1 actuel. En utilisant ces deux satellites au lieu d'un seul, nous aurons plus de temps pour obtenir l'image d'une zone particulière. La précision du GPS et du GPS-C augmentera considérablement, et cela sera aussi utile pour l'ensemble de notre programme.

Le sénateur Stratton: Merci pour votre exposé. La technologie de pointe est un domaine fascinant dans lequel les choses évoluent très vite. Une résolution d'un mètre, c'est incroyable.

Quand vous utilisez ces diverses technologies, par exemple RADARSAT ou les autres, est-ce qu'il y a une coordination d'ensemble des efforts pour faire en sorte que les bonnes informations soient transmises aux bons destinataires, ou est-ce que les organismes fédéraux agissent indépendamment les uns des autres?

M. Brown: Nous faisons un gros effort d'intégration des activités au sein d'un organisme comme le nôtre. Le Centre canadien de télédétection est une agence de développement. Toutefois, nous élaborons des plans de développement avec Protection civile Canada. Nous travaillons aussi avec les provinces pour essayer de mettre en place un mécanisme. Nous avons à notre centre un programme consacré à la gestion des catastrophes et à l'intégration des types de données. Nous avons un prototype de dispositif de regroupement de nos données avec celles de RADARSAT International et de l'Agence spatiale canadienne.

Il y a aussi un effort international dans ce domaine. Les divers organismes de l'Europe ont signé un protocole d'entente. Le Canada va probablement le signer aussi. Cela permettra de diffuser très rapidement les informations à travers le monde entier lors d'une catastrophe.

Le sénateur Stratton: Il semble que nous commencions à obtenir d'excellentes informations qui seront extrêmement utiles, grâce en grande partie à vos efforts et à ceux d'autres personnes. Cela permettra au Canada de mieux se préparer aux catastrophes futures.

Vers quoi pensez-vous que nous nous orientons? Avec une évolution tellement rapidement de la technologie, que prévoyez-vous pour l'avenir? Si vous progressez aussi vite dans votre domaine, avez-vous une idée de ce que nous réserve l'avenir? Les efforts internationaux sont remarquables. Par exemple, RADARSAT a fourni des informations sur les inondations au Mozambique. Pour que le Canada soit mieux préparé à l'avenir, quelles seront à votre avis les prochaines étapes?

M. Brown: Je vois deux choses. Il y a tout d'abord l'intégration des données. Je vous ai déjà dit que les données n'étaient pas le seul élément. Il faut en tirer des informations. Le deuxième point, c'est la transposition de ces informations en un processus de décision lié à la gestion des catastrophes. Je crois que c'est dans ce domaine que les choses vont le plus évoluer au cours des prochaines années. Autrement dit, comment passons-nous de l'information technologique à la connaissance, comment transformons-nous l'information en processus de décision? Je crois que c'est ce qui va se faire dans le domaine de l'intervention en cas de catastrophe. Nous avons aussi cherché à voir comment nous pouvions intégrer les informations dans les structures de décisions à divers niveaux. Lors des inondations au Manitoba en 1997, nous avons progressé dans cette direction. Nous avons ainsi pu identifier les domaines dans lesquels nous avions des faiblesses.

Je vous ai dit aussi que nous travaillons sur l'aspect prédiction. Nous voulons en effet intégrer les données brutes géomatiques ou les intrants d'origines multiples dans des modèles de prévision. Ces modèles sont alimentés non seulement par des données de télédétection, mais aussi par toutes sortes d'informations, par exemple la probabilité de glissements de terrain et les mesures sur place liées aux inondations. C'est vraiment vers cette prévision que nous évoluons.

Le sénateur Stratton: Êtes-vous confiant? D'après ce que vous dites, c'est quelque chose de très positif. Est-ce qu'il manque quelque chose pour accroître encore cette capacité de prévision à l'avenir?

M. Brown: À RNCan, nous faisons une évaluation d'ensemble de ce qu'il faut faire pour préciser tout cela. Paul Egginton peut nous donner plus de précisions dans ce domaine.

M. Paul Egginton, directeur, Division de la science des terrains, Commission géologique du Canada, Ressources naturelles Canada: Nous voudrions bien être en mesure de prévoir les événements, mais cela implique trois choses. Premièrement, identifier le risque et le lieu où se produira l'incident. Deuxièmement, comprendre le processus auquel nous sommes confrontés. Et troisièmement, déterminer ce que nous pouvons faire collectivement pour atténuer les conséquences de l'incident ou l'éviter.

Dans certains domaines, nous pourrions être un peu plus avancés que nous ne le sommes. Je pense notamment aux glissements de terrain. Cela semble relativement mineur, mais il y en a pourtant des centaines chaque année. Aux États-Unis, par exemple, les glissements de terrain sont considérés comme le risque terrestre le plus coûteux. Ils y entraînent des pertes de l'ordre de 2 milliards de dollars par an. Il y a aussi des phénomènes beaucoup plus prononcés qui portent sur des régions beaucoup plus vastes, par exemple les séismes qui sont un risque très réel. Il faut améliorer notre réseau de surveillance dans ce domaine en particulier.

Je propose que John Adams vous en parle, car c'est un domaine dans lequel il faudrait investir plus.

M. John Adams, chef, Programme national canadien d'aléas séismiques (Est), Commission géologique du Canada, Ressources naturelles Canada: Monsieur le président, nous autres sismologues, nous ne pensons pas pouvoir prédire ce qui va se passer. Toutefois, nous pensons qu'il est possible d'atténuer les conséquences des séismes en construisant des immeubles plus sécuritaires. Et pour cela, il faut recueillir de bonnes informations.

Ce que nous envisageons pour la prochaine décennie, c'est de mettre en place beaucoup plus d'enregistreurs de l'activité séismique et d'approfondir l'analyse de ce qui se passe. Nous avons besoin de comprendre scientifiquement comment et où se produisent les tremblements de terre et quelles sont leurs caractéristiques pour pouvoir construire des immeubles suffisamment solides.

Le réseau en temps réel nous permet de réagir très rapidement. En l'espace de deux minutes, nous pouvons recevoir des informations de partout au Canada et les transmettre à d'autres organismes, par exemple Protection civile Canada. Les Américains établissent des cartes des tremblements de terre qui permettent dans les cinq minutes de connaître la magnitude sur l'échelle Richter d'un tremblement de terre qui vient de se produire. Cela permet de cibler les interventions et d'atténuer les conséquences de la catastrophe, même si elle s'est déjà produite.

Le sénateur Moore: M. Brown a fait une remarque intéressante au sujet du GPS et de la déclaration du président des États-Unis qui a dit le 2 mai que la dégradation du signal allait être supprimée. Je sais que c'est important pour notre président, le sénateur Murray, car il a un GPS sur sa voiturette de golf et cela pourrait bien avoir des répercussions sur ses parties de golf. Est-ce que les États-Unis peuvent rétablir facilement ce brouillage? Quand ils l'ont supprimé, se sont-ils engagés à prévenir les utilisateurs au cas où ils le rétabliraient, si c'était nécessaire pour une raison ou une autre?

M. Walter Gale, coordonnateur, Services intégrés à la clientèle, Ressources naturelles Canada: Oui, les États-Unis contrôlent entièrement le GPS. Ils pourraient très bien rétablir la disponibilité sélective, c'est-à-dire dégrader le signal et réduire par conséquent la précision de la localisation. Il y a à peine plus d'une semaine, cette précision était de l'ordre de plus ou moins 50 à 100 mètres. Nous arrivons maintenant à une précision de l'ordre de 10 à 20 mètres.

Le GPS progresse aussi rapidement que les ordinateurs, au rythme des progrès dans l'informatique et les diverses technologies. L'armée américaine a mis au point de nombreuses autres méthodes plus efficaces pour cibler certaines régions afin de pouvoir parfaitement contrôler le GPS pour ces secteurs en cas d'hostilités. Les États-Unis montrent ainsi au monde entier que le service GPS est garanti partout dans le monde en temps de paix et la qualité du signal a été rétablie.

Le sénateur Moore: D'autres pays ont-ils mis au point ce genre de système de positionnement ou les États-Unis sont-ils seuls à l'avoir fait? Comment un pays s'assure-t-il le contrôle d'un dispositif si important?

M. Gale: La production du GPS a coûté environ 10 milliards de dollars aux États-Unis. Il existe un système concurrent, si l'on peut dire. Les Russes ont le système GLONASS qui est opérationnel. Le problème est qu'ils n'ont pas réussi à conserver suffisamment de satellites en place pour qu'il puisse fonctionner aussi complètement que le Système de positionnement mondial. Ils se fondent sur une technologie un peu différente mais il s'agit toujours de positionnement basé sur des relevés satellites.

On a vu récemment dans les journaux que l'Europe se préoccupait du contrôle du système GPS aux États-Unis en raison de tous les avantages commerciaux qui devraient en découler et aussi pour des considérations militaires. L'Europe devrait mettre en place prochainement un système appelé Galileo, qui concurrencera le GPS mais pourra parfaitement fonctionner de concert avec lui. Ce sera un système complémentaire. Un autre système que le monde pourra utiliser, si tout se passe comme prévu.

Ce n'est que la semaine dernière que les États-Unis ont annoncé qu'ils n'allaient plus dégrader le signal. Nous en saurons sans doute plus au sujet des répercussions de cette décision au cours du mois à venir parce que ces systèmes sont extrêmement coûteux.

Le sénateur Moore: Est-ce que ce système peut être victime d'un piratage informatique?

M. Gale: Personnellement, je crois que, comme ce système relève de l'armée américaine, il serait très difficile à un pirate extérieur d'influencer le GPS. Cependant, si l'on peut réussir à percer les codes du Pentagone, on peut peut-être en faire autant pour le GPS. En tout cas, ce n'est certainement pas le premier sujet d'inquiétude.

Le président: Plusieurs ministères et organismes fédéraux seraient appelés à intervenir en cas de catastrophe naturelle. Est-ce bien la Défense nationale qui est chargée de la coordination?

M. Brown: Oui, c'est exact.

Le président: Comment cela fonctionne-t-il au quotidien? Y a-t-il un comité de coordination interministériel? Je voudrais que vous me montriez que la main gauche sait toujours ce que fait la main droite dans ces circonstances.

M. Egginton: En cas de catastrophe ou de problème, plusieurs représentants ministériels sont avertis très rapidement et l'on forme des équipes suivant les besoins. Il existe des plans d'urgence pour toutes les régions du pays.

Les divers organismes sont étroitement liés. Chacun intervient de façon différente. Par exemple, M. Brown parlait tout à l'heure des images satellites. Si l'on prend l'exemple des inondations du Saguenay, les personnes se trouvant sur le terrain étaient en contact avec d'autres personnes à Ottawa qui faisaient le nécessaire pour obtenir les images satellites voulues. Il y avait des contacts deux ou trois fois par jour entre ceux qui se trouvaient sur le terrain et ceux qui étaient au bureau pour assurer la transmission des données. Les différents joueurs se connaissent bien.

Le président: Ils se connaissent bien. Tous les organismes ou ministères ayant à intervenir connaissent leur rôle et savent ce que doivent faire les autres. La coordination est-elle efficace et bien comprise pour ce qui est de la fonction de planification?

M. Adams: Nous sommes en contact avec des groupes comme Protection civile au Canada, mais il y a aussi des exercices comme ce qui se fait à Vancouver pour réagir à un tremblement de terre. Ceux-ci sont très importants pour faire apparaître les lacunes du système et aussi pour confirmer que tout le monde travaille de façon coordonnée. Pour tous ces exercices auxquels participent Transports Canada, tous les autres ministères, la Croix-Rouge, et cetera, notre rôle est de veiller à ce qu'ils soient bien conçus et ensuite de suivre et de contrôler les activités. Chaque fois que l'on entreprend l'un de ces exercices, on apprend quelque chose de nouveau.

Le président: Parlez-nous des exercices de Vancouver simulant un tremblement de terre potentiel.

M. Adams: Je n'ai pas participé personnellement à cet exercice et je ne peux donc pas vous en parler d'expérience. Ce sont surtout les membres du Centre géoscientifique du Pacifique et les responsables de Protection civile au Canada sur la côte Ouest qui y ont participé. Je sais aussi, quoique là encore, je ne me fonde pas sur mon expérience personnelle, que le Québec a effectué un exercice de préparation aux tremblements de terre.

Le président: Était-ce organisé par le gouvernement du Québec?

M. Adams: Oui, c'est le gouvernement du Québec qui a fait un exercice.

Le président: Les ministères fédéraux y ont-ils participé?

M. Adams: Je sais qu'un de nos sismologues y a participé parce que c'était une simulation de tremblement de terre.

Le président: Voulez-vous dire que le gouvernement fédéral ne participerait pas autant au Québec qu'en Colombie-Britannique? C'est ce que j'ai cru comprendre.

M. Adams: Je ne dirais pas cela. C'est le gouvernement fédéral qui fournit pratiquement toutes les connaissances spécialisées en matière de tremblement de terre au Canada et les provinces de Colombie-Britannique et du Québec sont tout à fait satisfaites de cette situation. En ce qui a trait à la préparation en vue d'éventuels tremblements de terre, notre rôle est surtout de veiller à ce que les renseignements soient disponibles. Ceux-ci sont recueillis ici pour l'ensemble du pays et communiqués à Protection civile au Canada, qui prend ensuite le relais.

Le président: Le gouvernement fédéral était-il aussi présent dans l'exercice québécois que dans l'exercice de Vancouver?

M. Adams: Je ne peux vraiment pas vous dire.

Le président: À qui pourrais-je poser cette question au gouvernement pour obtenir une réponse?

M. Adams: Je vous conseillerais de commencer par contacter PCC puisque c'est là que se trouvent les responsables de ces activités. Si vous m'appelez plus tard, je peux essayer de trouver des noms.

Le sénateur Cools: C'est une question extrêmement importante et le comité devrait l'examiner plus attentivement parce qu'elle soulève un grand nombre d'autres problèmes. Je suis tout à prête à m'en charger et à tenter d'obtenir les réponses à cette question.

Le président: Vous sentez-vous en mesure de parler de la coordination au niveau politique -- uniquement en ce qui concerne le gouvernement fédéral -- c'est-à-dire entre les autorités politiques, vos maîtres politiques dans les divers ministères? Comment cela fonctionne-t-il? Il n'y a pas de comité spécial du Cabinet sur la protection civile, si?

M. Adams: Je dirais qu'il y a une bonne communication à la base entre les scientifiques responsables de cela à PCC et les autres ministères du gouvernement, mais je vais demander à Ron Brown d'essayer de répondre à cette question.

Le président: Dans le cas d'une catastrophe qui ferait intervenir les divers organismes et ministères que j'ai cités, serait-ce le ministre de la Défense nationale qui dirigerait les opérations?

M. Brown: Cela échappe à ma connaissance. Je ne peux pas répondre à cela.

Le sénateur Moore: Il me semble qu'on a dit tout à l'heure que c'était Ressources naturelles Canada qui était responsable de la coordination. N'ai-je pas entendu cela tout à l'heure?

Le président: Non, je crois que Protection civile au Canada relève de la Défense.

Le sénateur Mahovlich: Vous parliez des exercices. Serait-ce comme en 1938 lorsqu'Orson Welles était à la radio et que tout le monde a paniqué? Est-ce de cela que vous parlez, avec tout le monde dans les rues? Je crois que nous avons besoin de ce genre de chose.

M. Adams: Je le répète, je n'ai pas participé à ces exercices.

Le sénateur Mahovlich: Savez-vous quelque chose à ce sujet?

M. Adams: Je peux vous dire à peu près comment cela fonctionne. Les responsables de Protection civile au Canada, ou ceux qui coordonnent l'exercice, préparent le scénario. À Vancouver, il s'agissait d'un tremblement de terre d'une force de 6.5 au sud de la ville. Nous avons ensuite donné notre avis sur ce qui se produirait: par exemple, si tel pont allait être détruit ou pas. C'est le scénario qui a été suivi. Pendant trois jours, nous nous réunissons avec les membres de la Croix-Rouge, de Transports Canada, de la Ville de Vancouver par exemple, nous restons ensemble dans une pièce et ensuite, en temps réel, nous disons: «Le pont est détruit. Le tremblement de terre a eu lieu.» Ils assurent ensuite la coordination, voient s'il est vraiment possible de parler aux personnes qui peuvent prendre les mesures nécessaires et réagir. C'est un exercice qui se déroule surtout dans plusieurs pièces comme celle-ci. C'est fait en temps réel. Le public est très sensibilisé.

Le sénateur Mahovlich: Je me demandais si le public participait.

M. Adams: Le public ne participe pas. Je n'ai jamais vu de panique comme celle qu'a provoquée l'exercice de la Guerre des mondes. Je crois que le public dans l'ensemble est très heureux que l'on fasse ces exercices de planification. J'ai entendu dire que cela permettait d'apprendre beaucoup de choses, par exemple si les fréquences radio sont les bonnes.

Le sénateur Finnerty: Je pense aux incendies de forêt et aux points menaçants que vous découvrez. Qui est averti lorsque l'incendie se déclare? Prend-on des mesures préventives? Les avions citernes partent-ils avant que l'incendie ne se déclare?

M. Brown: S'il y a un point menaçant, c'est que l'incendie a déjà débuté. Comme nous avons une couverture nationale et étant donné la résolution de nos capteurs, nous étudions une zone d'environ un kilomètre. De plus, nous sommes en relation avec les provinces parce que ce sont elles qui coordonnent leurs ressources au sein de leur territoire. C'est ainsi que nous leur transmettons les données.

Le sénateur Moore: Si c'est Protection civile Canada du MDN, qui est l'organe de coordination, est-ce le premier bureau que vous appelez dans tous les cas?

M. Adams: Je peux vous dire ce qui en est lors des catastrophes sismiques. Nous avons des systèmes en temps réel qui nous alertent, nous sismologues, très rapidement. Nous avons aussi un système d'alerte avec un numéro qui permet de nous joindre à la maison. Nous ne sommes pas de garde 24 heures par jour. Nous devons examiner la situation, voir ce qu'a fait le système, définir ce qui s'est produit et ensuite appeler Protection civile Canada. C'est notre premier appel.

Le sénateur Moore: C'est votre premier appel. Lorsque vous avez des renseignements indiquant l'imminence d'une catastrophe, vous commencez par appeler Protection civile Canada qui retransmet ensuite les informations; est-ce exact?

M. Adams: Nous confirmons qu'il y a eu un tremblement de terre. Les membres de PCC le savent généralement parce qu'ils reçoivent beaucoup de renseignements de la part de personnes qui les appellent, comme nous. Nous leur confirmons dans un délai allant de 20 minutes à une heure, ou peut-être 90 minutes, quelle est l'ampleur et la localisation du phénomène. Parallèlement, nous informons beaucoup d'autres personnes, notamment la Presse canadienne, qui transmet au public.

Le sénateur Moore: Qui avertirait la province? Serait-ce vous ou PCC?

M. Adams: Nous avons des contacts avec les responsables des mesures d'urgence.

Le sénateur Moore: Je me demande quel est le protocole dans ce cas.

M. Adams: Pour nous à Ottawa, d'après le protocole, c'est d'abord PCC, qui ensuite avertit les organismes d'intervention provinciaux. Sur la côte Ouest, il y a des liens beaucoup plus étroits avec l'organisation provinciale de protection civile de Colombie-Britannique, et celle-ci est généralement avertie immédiatement.

Le sénateur Moore: Par PCC?

M. Adams: Non, par le bureau de Ressources naturelles Canada de la côte Ouest.

Le sénateur Moore: PCC n'est pas avertie immédiatement s'il y a quelque chose sur la côte Ouest?

M. Adams: Si, ils seraient avertis en même temps mais nous supprimons ce maillon, si vous voulez. Ceci vient du fait qu'il existe des relations très étroites entre les personnes travaillant là. L'important est de faire parvenir les informations au niveau où elles vont être utilisées le plus vite possible.

Le sénateur Moore: Exactement.

Le président: Je ne voudrais pas perdre l'occasion de poser cette question alors que nous avons tout un groupe d'experts devant nous. Avez-vous vu il y a quelques jours le reportage de CNN selon lequel les Américains auraient découvert sur le plancher océanique une fissure susceptible de provoquer des raz-de-marée?

M. Adams: Oui. Il y avait un article dans une revue scientifique au sujet de la cartographie des fissures à la lisière du bord continental. On craint qu'il n'y ait un glissement. Il y a eu une catastrophe de ce genre au Canada en 1929, le tremblement de terre des Grands Bancs au sud de Terre-Neuve. Il a déclenché un important glissement qui a été à l'origine d'un tsunami et d'un raz-de-marée sismique qui a balayé Terre-Neuve et causé la mort d'environ 30 personnes.

Je vais vous dire ce que nous savons. Nous serions au courant du tremblement de terre assez rapidement. Nous ne pourrions sans doute pas vous donner son importance exacte parce qu'à partir d'une certaine amplitude, c'est difficile à dire. Si c'était un tremblement de terre situé le long du bord continental où il y a une possibilité de glissement de terrain sous-marin, nous aurions un peu de temps pour annoncer le risque de raz-de-marée.

Un scénario de ce genre sur la côte Est n'est pas très probable, mais la technologie des alertes aux tsunamis pour l'océan Pacifique est actuellement très avancée. On effectue actuellement des recherches en Alaska, en collaboration avec Ressources naturelles Canada, afin de mettre au point les systèmes d'alerte au tsunami sur la côte pacifique. Les probabilités de tsunamis sont beaucoup plus élevées sur la côte Ouest que sur la côte Est.

M. Egginton: Notre travail, à la Commission géologique du Canada, consiste en partie à replacer ces événements dans leur contexte. Quelle est leur fréquence? Nos recherches consistent en partie à étudier les tsunamis qui se sont produits dans le passé sur la côte Est et sur la côte Ouest pour avoir une idée de leur fréquence. Faut-il s'attendre à en avoir tous les 5 000 ou 10 000 ans, ou tous les 300 ans? C'est plus vraisemblablement tous les 300 ans, selon la cause. Le travail dont parle John fait certainement partie du nôtre aussi: la mise en perspective à long terme de ces événements.

Le président: Sur ce, nous vous remercions pour cette matinée très intéressante.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre les représentants de Santé Canada.

Dr Michael E. Shannon, directeur général, Laboratoire de lutte contre la maladie, Direction générale de la protection de la santé, Santé Canada: Monsieur le président, comme vous le voyez, plusieurs directions et directions générales sont représentées ici ce matin. Nous espérons que nous pourrons vous apporter des lumières supplémentaires sur ce domaine complexe.

La structure de ma présentation figure sur la diapositive que vous voyez actuellement. Elle inclut une discussion de nos mandats. Nous avons tout un éventail de mandats. Certains aspects du système d'analyse exposé incluent non seulement des réponses mais des questions de surveillance. Nous aborderons la question des menaces particulières. Je crois que vous avez des préoccupations précises dans ce domaine. Bien que mes remarques soient surtout axées sur les urgences liées à des maladies, notamment celles qui résultent du bioterrorisme, et sur notre capacité de réaction à ces urgences, je dois commencer par un commentaire général sur la capacité de réaction de Santé Canada à des situations d'urgence et une explication de la façon dont nous pouvons réagir aux menaces actuelles ou à celles qui se profilent à l'horizon, en illustrant ces situations par quelques exemples.

Je commencerai par le mandat assigné au ministère. En vertu de ce mandat, nous devons jouer un rôle de chef de file dans certains domaines et un rôle de soutien dans d'autres domaines. Nous sommes le chef de file dans les domaines où nous avons reçu des pouvoirs de réglementation, par exemple pour les produits thérapeutiques, les dispositifs médicaux ou émetteurs de radiation, et la sécurité des produits de consommation. Nous sommes aussi le chef de file fédéral en matière de surveillance de la santé publique à l'échelle internationale et nationale et en matière de réponse en cas de catastrophe nucléaire. Dans tous les autres domaines, nous avons un rôle de soutien et de coordination selon les circonstances. Dans le précédent exposé, il a beaucoup été question de savoir si le gouvernement fédéral participait à des activités menées par les provinces. Au fur et à mesure de mon exposé, vous comprendrez peut-être mieux pourquoi nous avons ou nous n'avons pas participé à ces exercices.

Souvent, notre participation résulte d'une demande d'aide. En particulier, nous apportons des conseils et un soutien aux provinces et territoires dont le mandant inclut la prestation de services sociaux et de services de santé dans leur zone de compétence. Autrement dit, les provinces et territoires fournissent les soins de santé, et nous leur apportons un appui.

Comme vous pouvez le constater, la mosaïque de partenaires pour la prestation de services de santé et de services sociaux est très complexe. Souvent, le mandat de Santé Canada s'exerce dans le contexte de vastes crises dans la société civile plutôt que de simples crises du domaine de la santé. Dans bien des cas, d'autres ministères fédéraux interviennent aussi. Dans ce genre de situation, c'est souvent Protection civile Canada qui assure la coordination.

La diapositive représente l'opération d'aide aux réfugiés kosovars en 1999; c'est Citoyenneté et Immigration qui avait la responsabilité principale, cependant que Santé Canada et le ministère de la Défense nationale avaient un rôle de soutien. Ce sont normalement les provinces et les municipalités qui ont la responsabilité d'assurer les services de première ligne. Dans ce cas particulier, le Canada a fait venir plus de 5 000 réfugiés kosovars, et je crois que cette opération a été un véritable succès. Elle a été très révélatrice car elle nous a permis de voir tout ce qui est nécessaire pour gérer une opération complexe qui nécessite une parfaite compréhension des rôles et responsabilités de chacun des partenaires. Diverses organisations non gouvernementales telles que la Croix-Rouge, les Ambulances Saint-Jean et l'Armée du salut, viennent aussi renforcer la prestation de services, comme cela était le cas avec ces réfugiés kosovars.

Avant d'en arriver aux nouvelles menaces qui se précisent et qui vous intéressent plus particulièrement, j'aimerais vous parler un peu des dispositifs de réponse en général et des capacités de réponse de Santé Canada en particulier. Tout dispositif de réponse implique cinq capacités: une capacité de surveillance qui permet d'obtenir des données sur le risque en matière de santé auquel la population est exposée; une capacité d'analyse des données obtenues au moyen des sous-systèmes de surveillance; une capacité d'élaboration de mesures d'urgence à partir de l'analyse; un sous-système de réponse pour atténuer les effets d'une crise qui se produit dans le domaine de la santé; et finalement, un dispositif d'examen intra-opérationnel et postopérationnel permettant d'évaluer l'efficacité de l'opération et d'en tirer les leçons dans tous les domaines d'intervention. Il ne s'agit pas d'un exercice effectué a posteriori. C'est plutôt une procédure d'évaluation constante et en temps réel qu'on peut considérer, s'il y a dans cette salle des ingénieurs, comme un servomécanisme, qui effectue constamment des corrections, et qui nous permet d'évaluer en permanence l'efficacité de l'intervention.

Je vais vous présenter en quelques minutes chacun de ces sous-systèmes et vous faire le point de notre situation et de nos perspectives à Santé Canada. Il y a tout d'abord le sous-système de surveillance. L'efficacité d'un système de réponse dépend au départ des informations auxquelles ont accès le système et ceux qui le gèrent. L'accroissement énorme du nombre de voyageurs aériens et maritimes entraîne une mondialisation des risques de santé, et il devient donc nécessaire de détecter ces risques à l'étranger, avant leur arrivée au Canada.

Le Canada a élaboré -- et ceci mérite d'être souligné -- un outil de pointe reposant sur la technologie du balayage sur le Web qui nous permet de parcourir constamment les dépêches des services d'information et l'Internet pour être au courant de tous les problèmes de santé qui peuvent se présenter à l'échelle de la planète. Les informations recueillies au moyen du GPHIN, le Réseau d'information sur la santé mondiale, sont partagées avec l'Organisation mondiale de la santé -- en fait, les deux sont basés à Genève -- et avec d'autres partenaires du domaine de la santé au Canada suivant les besoins. Il convient de souligner que l'OMS a récemment qualifié le GPHIN «d'outil quotidiennement indispensable pour suivre l'évolution des événements à l'échelle mondiale». L'an dernier, le GPHIN a permis au Laboratoire de lutte contre la maladie d'être prévenu de nombreuses flambées de maladies dans le monde, notamment des flambées d'anthrax, avant même que les organisations de renseignement du monde entier en aient eu vent. Cet outil est en soi un excellent dispositif d'alerte aux ouragans, si je puis utiliser cette expression, qui nous permet de mieux nous préparer si jamais une telle situation devait se produire au Canada.

La question de la surveillance nationale est beaucoup plus complexe, surtout en raison du grand nombre de partenaires dont les membres représentent chacun un fragment de l'ensemble du dispositif de surveillance. La surveillance nationale doit débuter complètement à la base, au niveau des prestataires de services, et remonter jusqu'au sommet en passant par les laboratoires régionaux et provinciaux et les administrations publiques de la santé dans les provinces et les territoires. Étant donné qu'il y a un grand nombre de partenaires, que les méthodes de cueillette de données ne sont pas toutes les mêmes, que la terminologie n'est pas uniformisée et qu'il n'existe pas encore de protocole normalisé de transfert des données, tout ce dispositif est extrêmement complexe.

Santé Canada a pris l'initiative d'élaborer un réseau de surveillance de la santé au Canada en entreprenant un vaste projet destiné à mettre en place les instruments et protocoles qui nous permettront de nous doter d'une authentique capacité de surveillance nationale. Nous prévoyons que nos partenaires provinciaux représenteront plus de 50 p. 100 de la population canadienne d'ici la fin de l'année.

Le sous-système suivant dont je voudrais vous parler est l'analyse. C'est la Direction générale de la protection de la santé, à Santé Canada, qui a actuellement la principale responsabilité de l'analyse des données fournies par les dispositifs de surveillance. Il ne suffit pas de recueillir des données. Il faut les convertir en un produit d'information dont les décideurs vous pouvoir se servir. Outre nos propres capacités d'analyse, nous faisons massivement appel aux capacités analytiques de nos partenaires internes et externes dans des domaines spécialisés. Nous avons récemment élaboré un plan d'urgence pour faire face à l'éventualité d'une flambée d'encéphalite West Nile, un pathogène transmis par les moustiques qui peut avoir des effets graves chez les humains. Les éléments de surveillance et d'analyse du projet dépendaient fortement du partenariat de spécialistes de disciplines très diverses telles que l'épidémiologie, l'entomologie, la médecine vétérinaire, la science de la faune et l'expertise en analyse de laboratoire à divers niveaux du gouvernement et du secteur privé. Santé Canada ne dispose pas de toute l'expertise nécessaire pour intervenir ou même simplement commencer à faire face toute seule à une urgence nationale de cet ordre. Nous comptons sur un partenariat, et nous devenons en quelque sorte une organisation virtuelle analogue à ce que l'on peut trouver aux États-Unis.

L'évaluation du risque est un des prolongements importants de la fonction d'analyse. Cela fait partie de l'ordinaire du LLCM et du ministère tout entier. Nous essayons d'évaluer non seulement les risques de crise dans le domaine de la santé, mais aussi la gravité potentielle d'une telle crise. Ces deux éléments de risque sont essentiels pour la mise en place de dispositifs d'intervention en cas de crise dans le domaine de la santé, sachant que, la plupart du temps, c'est Santé Canada qui se charge de l'élaboration du risque et de l'élaboration des mesures d'intervention, mais que ce sont souvent les provinces qui interviennent effectivement.

En ce qui concerne la planification des mesures d'urgence, nos capacités ont fait l'objet de critiques aussi bien externes de la part du vérificateur général qu'internes à la suite d'analyses a posteriori de crises réelles ou d'exercices. Le thème qui revient régulièrement dans ces critiques, c'est le caractère incomplet de nos plans et préparatifs d'urgence. Ces lacunes ont deux sources: d'une part, la pauvreté des effectifs spécifiquement affectés à la planification des mesures d'urgence à Santé Canada, et d'autre part les délais nécessaires pour l'élaboration et la mise au point de normes, protocoles et procédures détaillés garantissant une planification efficace de mesures d'urgence.

En ce qui concerne le manque de personnel spécifiquement affecté à ce domaine, les réorganisations auxquelles nous allons procéder, et dont vous avez peut-être déjà informés, vont nous permettre de regrouper le personnel existant au sein d'une seule direction, ce qui nous permettra d'avoir à la fois plus de cohésion et une masse critique pour nos efforts de planification de mesures d'urgence. En ce qui concerne le deuxième problème, celui du temps nécessaire pour élaborer des normes, des protocoles et des procédures, on peut en partie y répondre en débloquant des ressources supplémentaires. Mais on aura beau ajouter toutes les ressources que l'on voudra, il faudra quand même toujours malgré tout un certain temps pour accomplir ce genre de travail. Nous y reviendrons plus tard.

En ce qui concerne la réponse elle-même, les éléments clés de la réaction de Santé Canada en cas d'urgence sont la gestion de crise, l'évaluation du risque et les conseils, la coordination, les mesures de réglementation, et l'appui matériel que nous apportons à notre gouvernement et aux partenaires non gouvernementaux du domaine de la santé qui assurent les services. De temps à autre, nous prenons la tête des interventions en cas de crise. En l'occurrence, nous avons une responsabilité de chef de file pour la gestion de crise au sens le plus large. En général, c'est le cas lorsque la responsabilité de la gestion d'une crise relève manifestement du gouvernement fédéral par opposition aux provinces ou aux territoires, par exemple dans le cas d'une quarantaine.

Santé Canada joue un rôle de centre d'information et de documentation sur la santé. Grâce aux informations que nous obtenons de l'Organisation mondiale de la santé et d'autres organisations, ainsi que de diverses sources de soins de santé au niveau fédéral, nous sommes parfaitement placés pour faire la synthèse des données et pour transmettre des avertissements, des conseils et des évaluations de risque aux provinces et territoires. En outre, nous sommes les seuls à pouvoir fournir des conseils dans des situations qui ont d'importantes répercussions sur les services sociaux d'urgence. Par exemple, nous donnons couramment des conseils sur l'enregistrement des personnes évacuées et les questions à leur poser, et sur la fourniture de vêtements, de logement et d'alimentation en cas d'urgence. En outre, comme nous avons d'excellentes relations avec les autres ministères qui interviennent en cas de crise sociale ou de crise dans le domaine de la santé, nous sommes parfaitement placés pour coordonner ou faciliter le travail des équipes qui assurent concrètement la prestation des services.

Grâce à ses règlements, Santé Canada peut faciliter l'importation et la distribution de produits thérapeutiques lors d'interventions sanitaires d'urgence. Bien souvent, les produits nécessaires lors de ce genre d'intervention ne sont pas disponibles dans le pays et il faut les faire venir au moyen de programmes de médicaments d'urgence. Nous aidons aussi à éliminer des produits suspects ou contaminés. Nous avons aussi des réserves limitées de ressources d'urgence qui relèvent du contrôle de Santé Canada, et nous avons accès à des ressources supplémentaires contrôlées par d'autres partenaires. Par exemple, Santé Canada dispose d'environ 40 000 lits répartis en unités hospitalières de 200 lits, et ces unités sont elles-mêmes disséminées un peu partout au Canada dans des dépôts, dont certains sont gérés ou entretenus par les provinces.

Malheureusement, Santé Canada n'a pas de personnel scientifique ou médical de réserve ou en disponibilité, ce qui veut dire qu'en cas d'urgence, il faut dégager des employés de leurs fonctions normales pour les affecter à la crise. En outre, comme nos effectifs sont limités, nos ressources s'épuisent rapidement si la crise de prolonge. Durant la crise au Kosovo, qui s'est prolongée pendant trois ou quatre mois, nous étions pratiquement à la limite de notre capacité d'intervention sans aide extérieure. En fait, nous avions un roulement des mêmes personnes qui se relayaient, mais qui devaient aussi continuer à faire leur travail normal en même temps.

Toutefois, dans l'ensemble, la situation est loin d'être désespérée. Le fait est que nous avons réussi à faire face efficacement à toutes les crises qui se sont présentées jusqu'à présent. Nous avons souvent dû improviser, en faisant massivement appel aux qualités intellectuelles et professionnelles de nos collaborateurs. Ils ne sont pas forcément formés à intervenir en cas de catastrophe, comme ce serait le cas aux États-Unis, mais quand ils sont confrontés à ce genre de situation, ils savent faire face au problème avec un degré de compétence remarquable. Chaque crise est unique. Je crois qu'un expert en planification de mesures d'urgence est un expert de compétence générale qui a besoin des compétences que nous exerçons constamment pour résoudre un problème.

Le dernier élément du modèle de réaction est la capacité d'examen pendant et après les opérations. L'objectif de cet élément du modèle consiste à recueillir, regrouper et analyser toutes les leçons de la crise afin de nous permettre de mieux réagir dans l'immédiat aussi bien que face aux crises futures. J'estime que notre capacité dans ce domaine, en particulier en matière de diagnostic, est satisfaisante, encore une fois surtout grâce à la qualité et à la curiosité intellectuelle de nos collaborateurs. J'estime que nous avons une excellente capacité d'adaptation à des situations d'urgence.

Voilà, monsieur le président, de quelle façon Santé Canada peut réagir à une situation d'urgence dans le domaine de la santé. Pour ce qui est de la surveillance, notre capacité mondiale de surveillance est sans doute actuellement la meilleure au monde et elle devrait le rester dans un avenir prévisible. S'il existe des lacunes dans notre capacité de surveillance à l'échelle nationale, elles sont dues essentiellement à un manque d'uniformité dans les données, la représentation et les normes de rapports, et nous avons pris des mesures pour régler ces problèmes. Dans l'ensemble, notre véritable capacité de surveillance est sans doute meilleure qu'on ne le dit ici, essentiellement grâce à la très grande compétence des intéressés et à l'excellente coopération qui existe entre Santé Canada et nos partenaires provinciaux et territoriaux.

En ce qui concerne l'analyse, les scientifiques de Santé Canada et des organisations avec lesquelles nous sommes associés ont tous les moyens et la capacité nécessaires pour interpréter et raffiner les données produites par nos systèmes de surveillance. Ils font apparaître régulièrement les tendances et les menaces émergentes en temps utile et avec toutes les précisions nécessaires pour que nous puissions anticiper et intervenir sur les problèmes de santé bien avant qu'ils se manifestent à grande échelle.

En matière de planification, nos difficultés dans le domaine de la planification d'urgence sont réelles, mais gérables. Nous sommes conscients de ces difficultés et nous prenons des mesures rigoureuses pour y remédier. Le réalignement imminent va certainement améliorer les choses. De plus, nous avons prévu une série d'exercices pour améliorer notre capacité de planification et de réaction. Pour parvenir à une véritable amélioration, il faudra cependant de nouvelles ressources afin de disposer d'une capacité de planification d'urgence plus complète, ce qui devrait, je crois, se faire sous peu.

Je dois ajouter à cet égard que je parle de planification d'urgence avant que l'incident ou la situation d'urgence ne survienne. Nous avons montré que notre capacité de planification sur le moment, au cours d'un incident ou d'une situation d'urgence, était tout à fait adéquate, là encore grâce au calibre de nos collaborateurs. Ça semble un peu péjoratif de parler de planification sur le moment ou d'improvisation mais en réalité tous les pays du monde sont obligés de planifier à l'improviste en cas d'urgence santé parce que, même si l'on a d'innombrables plans généraux, chaque cas exige des solutions particulières. Je donnerai tout à l'heure quelques précisions sur les plans d'urgence que nous avons lorsque je traiterai des menaces spécifiques et je peux aussi donner d'autres détails en réponse aux questions.

Je passe maintenant à la réaction et à ce chapitre, notre première qualité, pour les Canadiens moyens, c'est notre aptitude à réagir efficacement en cas de crise dans notre domaine et à assurer la gestion et la coordination, à fournir des conseils et du matériel pour faire face aux urgences, et je suis très confiant dans ce domaine. Par contre, étant donné le peu de personnel dont nous disposons, je m'inquiète beaucoup de ce qui se passerait si nous devions gérer plusieurs incidents simultanément. Ce genre de situation serait un problème majeur pour n'importe quel pays industrialisé.

Enfin, je voudrais dire quelques mots sur l'examen, qui ne devrait pas poser problème, même s'il sera peut-être un peu difficile d'intégrer les conclusions de notre examen et de nos plans. Notre capacité d'adaptation de nos interventions à l'évolution d'un exercice particulier vaut celle des États-Unis et du Royaume-Uni, par exemple. Ils ne sont ni meilleurs ni moins bons.

J'ai longuement parlé de notre capacité d'ensemble mais nous devrions nous attarder un peu sur les menaces particulières. Le premier domaine d'intérêt est la pandémie de grippe mais je vais aussi parler des maladies à transmission vectorielle, des maladies infectieuses émergentes et du bioterrorisme.

Les médias ont abondamment parlé de la pandémie de grippe. Nous avons mis sur pied un plan d'urgence pour réagir en cas de flambée de grippe au Canada. Le virus de la grippe est éminemment adaptable et se modifie constamment, avec des changements majeurs survenant trois ou quatre fois par siècle. De nouvelles souches pourraient avoir des répercussions dévastatrices sur la santé. Notre plan d'urgence vise d'abord à réduire la mortalité et les perturbations sociales dues à la grippe; deuxièmement, à disposer d'un modèle qui permette aux responsables des services de santé d'effectuer la planification et la préparation nécessaires pour lutter contre une pandémie de grippe; et, troisièmement, à élaborer un programme d'utilisation du vaccin antigrippal et des médicaments antiviraux appropriés. Cela a été vraiment très difficile. Le plan définit précisément les responsabilités de nos partenaires de santé dans l'ensemble du pays, à toutes les phases d'une pandémie mondiale. N'oublions pas que Santé Canada ne serait pas isolé dans ces circonstances. On attribue aussi des rôles et des responsabilités précis aux ministres provinciaux, territoriaux et fédéraux.

Deuxième domaine dont j'aimerais traiter, celui des maladies à transmission vectorielle, dont notamment l'encéphalite West Nile. Je suis sûr que beaucoup d'entre vous avez lu les articles au sujet d'une flambée de cette maladie l'été dernier à New York. Le virus West Nile a été isolé pour la première fois en Ouganda en 1937. Il suit un cycle moustique-oiseau. Des humains se trouvant au milieu du cycle vont être infectés. Jusqu'ici, environ 17 pays africains et eurasiens ont été victimes d'épidémies: dernièrement la Roumanie et la Russie -- la Russie très récemment, en 1999. Dans le cas de l'incident de New York en août 1999, environ 700 personnes ont été infectées. Soixante-deux d'entre elles sont tombées gravement malades et sept sont mortes, dont un Canadien.

L'introduction d'un virus bien connu dans un nouveau milieu écologique a suscité beaucoup d'inquiétudes et de questions chez les scientifiques quant aux risques de propagation dans ce pays. Récemment, les scientifiques ont confirmé que le virus avait survécu à l'hiver à New York, contrairement à ce que nous espérions. Il a passé l'hiver dans des moustiques et peut-être des oiseaux migrateurs. Il pourrait donc être introduit au Canada par des oiseaux migrateurs infectés.

Jusqu'à présent, le virus n'a pas été observé au Canada mais nous avons mis au point un plan d'urgence que je trouve extrêmement efficace et qui est en cours de mise en oeuvre pour le cas où il y aurait une flambée de la maladie au Canada. Il comprend plusieurs volets: la surveillance, qui se fait à plusieurs niveaux, l'éducation, à la fois publique et professionnelle, et la prévention et l'élimination des moustiques.

L'OMS et les autorités sanitaires du Royaume-Uni et de l'Union européenne ont reconnu que les maladies infectieuses émergentes devenaient un problème grave. Ces maladies sont divisées en trois grandes catégories. La première comprend les pathogènes totalement nouveaux. Si l'on regarde en arrière, le VIH était l'un de ces nouveaux pathogènes. Environ 30 d'entre eux ont été découverts au cours des 20 dernières années. Certains étaient déjà connus mais semblaient confinés à des hôtes animaux. On avait rarement vu -- voire même jamais dans certains cas -- ces organismes dits nouveaux passer d'une espèce hôte à une autre, et dans le cas qui nous préoccupe, c'est de l'hôte humain qu'il s'agit. Plusieurs virus provoquant des fièvres hémorragiques sont des exemples d'organismes passés d'un hôte animal à un hôte humain, le plus remarquable étant certainement le virus Ebola.

La deuxième catégorie des maladies émergentes concerne des pathogènes qui se trouvaient auparavant dans des niches écologiques bien définies et qui viennent d'apparaître dans de nouvelles niches à la suite de modifications dans l'écosystème. Le virus Hanta appartient à cette catégorie, de même que le virus West Nile que j'ai déjà cité.

Enfin, il y a des pathogènes réémergents tels que les souches résistantes aux antibiotiques de pathogènes connus comme la tuberculose. Notons qu'environ un tiers de la population du monde est atteinte de tuberculose. Des formes de tuberculose multirésistante se répandent maintenant dans le monde et nous devons redoubler de vigilance dans ce domaine.

Le sénateur Cools: Avez-vous dit qu'un tiers du monde avait la tuberculose?

Dr Shannon: Un tiers de la population du monde est infecté. Il y a une différence entre être infecté et présenter tous les symptômes cliniques. Seul un certain pourcentage de ce nombre aura finalement une véritable tuberculose. Un pourcentage plus faible sera exposé à la tuberculose multirésistante et si l'augmentation continue, ce sera un problème majeur pour notre pays.

Le bioterrorisme est le dernier domaine que j'aimerais aborder. On le définit comme l'utilisation malveillante de micro- organismes dans le but de provoquer des maladies chez l'être humain. La GRC n'attribue qu'une probabilité faible à l'utilisation du microterrorisme au Canada. Néanmoins, en cas de bioterrorisme, les conséquences pourraient être très graves. C'est le ministère du Solliciteur général qui dirige les activités de prévention du bioterrorisme au Canada puisque le bioterrorisme est un acte criminel.

Santé Canada joue un rôle actif dans la défense de la population canadienne en assurant l'évaluation des risques, les diagnostics de laboratoire, domaine vital, la réglementation des produits thérapeutiques, et les réactions des services sociaux et des services de santé d'urgence. Santé Canada joue aussi un rôle majeur pour ce qui est de l'élaboration des normes de réponse dans le domaine de la santé publique et de la sensibilisation à la menace des professionnels de la santé, qui, bien souvent, ne sont même pas informés ou ne pourraient pas poser le diagnostic, ainsi que de l'ensemble de la population.

Santé Canada a organisé récemment un colloque sur le bioterrorisme et la santé publique afin de parler de son rôle en matière de sensibilisation et d'éducation. Il y a eu énormément de participants et une très forte représentation des grandes municipalités. Toutes les provinces et tous les territoires étaient représentés, de même que de nombreux organismes et ministères fédéraux, et tous souhaitent qu'il y ait au moins une normalisation dans les modes de réponse et que des mesures soient prises pour éduquer les personnes concernées afin que chacun sache ce qu'il doit faire dans une situation d'urgence.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que, tout d'abord, nous nous trouvons dans un environnement très complexe, avec de nombreux partenaires très divers dont les mandats et les rôles se chevauchent parfois et changent selon la situation du moment. Cela peut parfois présenter des avantages mais c'est souvent synonyme de difficultés. Deuxièmement, de nouvelles maladies, la résurgence d'anciennes maladies et les mutations constantes de certains pathogènes contribuent à accroître le risque d'une situation d'urgence grave dans notre pays. Il y a toutefois une bonne nouvelle en ce sens que jusqu'ici, nous avons réussi à gérer efficacement toutes les crises qui sont survenues.

Notre capacité de réponse globale, c'est-à-dire en fait la qualité de notre capacité de surveillance, d'analyse, de planification d'urgence, de réponse et d'examen, a été bonne jusqu'ici. Le réalignement des ressources existantes et l'ajout de nouvelles ressources permettront de l'améliorer. Notre capacité à répondre aux menaces émergentes se développe et s'améliorera avec le temps. Il y a toujours le risque de menaces multiples simultanées, mais ce serait un problème majeur pour n'importe quel pays industrialisé.

Je voudrais conclure en disant que malgré les insuffisances qui sont apparues, j'ai confiance et je suis sûr que la santé et la sécurité des Canadiens sont assurées. Pour ce qui est de la réponse à de grandes menaces biologiques mondiales comme la pandémie de grippe, notre capacité est au moins équivalente à celle de tout autre pays industrialisé. De plus, d'ici un an, le Canada sera l'un des rares pays au monde disposant d'une quantité de vaccin suffisante pour faire face à une telle menace. En coopération avec ses partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, Santé Canada continue à développer ces systèmes de surveillance qui fonctionneront comme le système de détection des ouragans et nous donneront le temps de mettre en place des mesures de réponse complètes et efficaces en cas de menace pour la santé publique. Je tiens à le dire au public, à cet égard nous sommes et nous resterons les premiers au monde.

Le sénateur Stratton: Vous savez peut-être que dans le cadre de notre étude sur les catastrophes, on nous a posé de nombreuses questions au sujet d'une pandémie -- une pandémie de grippe qui frapperait le monde. Nous ne nous sommes pas aventurés sur ce terrain parce que cela élargirait en fait le champ de notre étude et nous nous penchons surtout sur ce que nous appelons les catastrophes naturelles ou, généralement, les catastrophes climatiques. Cependant, comme on nous a posé la question régulièrement, et les provinces nous ont même demandé de tenir des audiences sur ce sujet, nous pensons qu'il est bon que je vous pose ces questions.

Vous avez déclaré sans équivoque que nous étions parmi les meilleurs au monde en ce qui concerne la préparation à une éventuelle flambée de grippe pandémique. Si je ne me trompe pas, en 1918, cette pandémie a mis quatre mois à faire le tour de la terre et l'on estime maintenant qu'il ne faudrait que quatre jours pour cela. Nous sommes tout aussi prêts que les autres pays. Le problème pour moi c'est qu'une fois que cette pandémie commence et se propage avec une telle rapidité, il est difficile de donner à la population les informations, les médicaments et les ressources voulus. Avez-vous une confiance totale? Où en est le travail de planification pour une telle éventualité en ce qui concerne les médicaments et les ressources d'urgence?

Dr Shannon: Je vais commencer et je demanderai ensuite au Dr Spika, qui dirige le service responsable de la grippe pandémique, de vous donner une réponse. Ce problème sera un problème majeur pour n'importe quel pays. Il n'y a aucun doute là-dessus. Les voyages à travers le monde étant ce qu'ils sont, vous avez tout à fait raison. Il pourrait survenir un problème grave qui, quelques jours à peine auparavant, était tout à fait insoupçonnable. Tout d'un coup, le problème se pose à l'intérieur de nos frontières. Que faisons-nous?

Certaines mesures ont été prises. Il existe un système de surveillance international qui dans l'ensemble, fera apparaître le problème bien avant qu'il n'arrive aux frontières canadiennes, mais ensuite nous devrons prendre des décisions graves à propos des voyages. Vous vous rappelez peut-être la flambée de grippe aviaire survenue à Hong Kong il y a quelques années. C'était un problème très préoccupant en ce sens que la maladie semblait avoir sauté une étape intermédiaire. Elle était très virulente et le taux de mortalité paraissait élevé. D'après notre plan, nous devions commencer à discuter des interventions à mettre en place, et à l'époque, nous étions sur le point de passer à l'action. Finalement, cela n'a pas été nécessaire.

Cela étant dit, je vais demander au Dr Spika de vous faire le point de la situation actuelle en matière de planification, ce qui comprend les préparatifs effectués pour assurer l'approvisionnement en vaccins au Canada.

Dr John S. Spika, directeur, Bureau des maladies infectieuses, Laboratoire de lutte contre la maladie, Direction générale de la protection de la santé, Santé Canada: Lorsqu'on planifie en vue d'une éventuelle pandémie, on s'aperçoit des nombreuses difficultés qu'il faut surmonter si l'on veut prévoir les mesures à prendre dans les cas d'urgence ou de catastrophe. En l'état actuel des choses, nous sommes sans doute aussi bien préparés qu'on peut l'être, mais cela ne veut pas dire que nous sommes aussi prêts que nous le devrions. Si vous me donnez quelques minutes pour montrer ces transparents, je voudrais vous montrer où nous en sommes, quelles sont les difficultés à régler, et de quelle façon nous procédons.

Une pandémie est due à un changement majeur du virus de la grippe. Il s'en produit trois ou quatre par siècle. C'est tout au moins ce qui s'est passé au cours des 500 dernières années. Comme nous l'avons déjà dit, l'une des caractéristiques de ce virus est qu'il se propage très rapidement. En 1957, le virus est arrivé au Canada en cinq mois.

Le sénateur Mahovlich: La grippe asiatique.

Dr Spika: En 1957, c'était le virus de Hong Kong; la grippe asiatique, c'était en 1968.

Le sénateur Mahovlich: Je l'ai attrapée.

Dr Spika: Presque tout le monde a fini par l'attraper. En 1957, il y a eu, d'après les estimations, 9 000 décès au Canada. Trente-deux ans se sont écoulés depuis la dernière pandémie et la plupart des experts estiment qu'il y a de grandes chances qu'une autre survienne dans les cinq à 10 prochaines années.

La première stratégie d'intervention est la vaccination pour essayer d'atténuer l'impact de la maladie. C'est un vaccin formulé précisément contre la nouvelle souche. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut conserver longtemps. Au Canada, notre capacité de production de vaccins est à peu près le tiers de ce que nous voudrions avoir dans le cas d'une pandémie, et la situation du Canada n'a rien d'unique. En effet, il y a au monde 18 pays qui peuvent produire le vaccin et nous pensons que deux ou trois d'entre eux seulement pourraient être considérés comme autosuffisants. Ce qui veut dire qu'en période de pandémie, il y aurait une énorme pénurie mondiale de vaccin.

Autre problème concernant la production de vaccin, il faut actuellement pour le fabriquer des oeufs de poules et ces oeufs ne sont disponibles que de façon cyclique selon les exigences de production des fabricants. Une fois que les poules ne sont plus en production, il faut six mois pour que les poules soient de nouveaux prêtes pour l'année suivante et pour avoir suffisamment d'oeufs d'assez bonne qualité. Ainsi, si l'on veut une planification adéquate, il faut un approvisionnement constant en oeufs de poules.

De plus, les nombreux groupes et paliers d'intervention -- services d'urgence, bénévoles, gouvernements locaux, provinciaux et territoriaux -- doivent agir de façon tout à fait coordonnée en période de pandémie et les liens nécessaires à cela doivent être établis à l'avance. En cas de pandémie, toutes les localités seront touchées, ce qui est très différent de ce qui se passe dans les autres cas de catastrophe. Ce n'est pas comme si l'on pouvait envoyer les ressources d'une localité à une autre pour régler le problème. On peut s'attendre à ce que toutes les provinces canadiennes soient touchées.

Les sous-ministres de la Santé nous ont demandé de préparer un protocole d'entente qui serait signé au palier ministériel et définirait les rôles et les responsabilités avant, pendant et après la pandémie. En septembre, les ministres de la Santé ont accepté ce que nous appelons «l'approche de coordination nationale», qui est en fait une version perfectionnée des activités fédérales, provinciales et territoriales actuelles en matière de surveillance, de formation et de planification, mais qui prévoit en outre deux nouvelles fonctions fédérales: premièrement, ce serait au gouvernement fédéral de créer l'infrastructure nécessaire pour satisfaire aux besoins en vaccin en période de pandémie et deuxièmement, ce serait à lui d'assurer la répartition des vaccins, qui seraient en quantité très limitée -- une répartition équitable entre toutes les provinces et les territoires. Des fonds ont été engagés au niveau de Santé Canada pour permettre l'exécution de ces fonctions.

Il y a une autre question sur laquelle il faudra encore travailler: celle des antiviraux. Sont-ils disponibles? Faut-il les stocker? Cela peut représenter des coûts importants. En outre, comme on l'a dit à propos des vaccins, nous voulons lancer un appel d'offres pour un contrat d'approvisionnement en vaccin sur plusieurs années. Espérons que cela va se faire bientôt. L'objectif est d'augmenter la capacité canadienne de fabrication du vaccin. D'autres mesures ont été prises concernant les activités de planification à entreprendre aux niveaux local, provincial, territorial et fédéral pour assurer l'élaboration de la planification d'urgence. Il faut entre autres discuter plus avant des coûts financiers d'une catastrophe potentielle comme celle-là.

Nous avons envisagé une formule de seuil. La grippe annuelle normale a un certain coût cumulatif. Certaines années sont pires que d'autres. Nous pensons qu'en période de pandémie, ces coûts augmenteraient considérablement. Par conséquent, nous essayons de définir un seuil; autrement dit, les coûts sont chaque année à la charge des provinces et des territoires mais une fois le seuil atteint, la responsabilité deviendrait partagée entre fédéral, provincial et territorial. Ce principe est en quelque sorte intégré au Programme d'accords d'aide financière en cas de catastrophe. Cependant ce programme est surtout un mécanisme de réaction tandis que nous voulons créer quelque chose de plus proactif, définir à l'avance les coûts qui seraient couverts et peut-être utiliser la même structure que dans les Accords d'aide financière en cas de catastrophe pour partager ces coûts.

Nous nous sommes également demandé s'il fallait envisager de créer un fonds de prévoyance de façon à ce que les provinces, les territoires et Santé Canada aient une certaine somme mise de côté. Ce qui est intéressant, c'est qu'une fois que le fonds de prévoyance aurait atteint son maximum, on pourrait en utiliser les revenus pour financer la formation permanente qui sera nécessaire pour réagir en cas de situation d'urgence, non seulement dans les cas de pandémie mais aussi pour d'autres éventualités. Pour savoir à quel niveau placer le seuil, nous travaillons en collaboration avec le Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba, qui dispose d'une vaste base de données sur les répercussions annuelle de la grippe, afin de voir si nous pouvons définir la capacité au niveau provincial. Il y aurait aussi une autre option: considérer que le seuil correspond à 10 p. 100 de plus que ce que les provinces dépensent normalement pour la grippe.

Ce genre d'idées sera soumis aux sous-ministres de la Santé en juin pour qu'ils donnent leur avis sur l'orientation à suivre. Comme je l'ai déjà dit, il faut encore travailler sur la question du seuil, pour savoir exactement comment le définir. Nous expliquons tout cela pour montrer combien la planification en vue d'une éventuelle pandémie peut être complexe.

Dr Shannon: Le Dr Spika a dit, comme moi, que très peu de pays seraient autosuffisants ou seraient en mesure de produire les quantités nécessaires de vaccins pour leur propre usage. Le Canada a une position très catégorique en ce qui concerne l'autosuffisance. D'ailleurs, dans le contrat dont parlait le Dr Spika tout à l'heure, nous exigeons que le vaccin puisse être produit au Canada. S'il est fabriqué à l'étranger, nous pensons que ce serait un risque pour la population canadienne dans la mesure où des autorités étrangères pourraient imposer un embargo sur le produit pour protéger leurs intérêts nationaux.

Le sénateur Anne C. Cools (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente: Merci beaucoup. Vous nous avez présenté un témoignage très complet et extrêmement intéressant et vous avez soulevé des questions importantes. Le comité aura largement matière à réflexion après vous avoir entendu.

Je voudrais des précisions sur l'une de vos observations. Vous disiez au cours de votre exposé que le gouvernement fédéral devrait assurer la répartition du vaccin qui est en quantité limitée. Il y a quelques instants, le Dr Shannon a soulevé une question importante à ce sujet, disant que notre pays devrait avoir la capacité de produire le vaccin dont il aurait besoin dans ces circonstances très difficiles. Je me demande si vous pourriez nous donner des précisions sur ce point, et nous dire quel rôle exactement le fédéral serait appelé à jouer, et ce que vous pensez de cette question de capacité à fabriquer le vaccin. Cela semble aller de soi, mais il serait bon d'avoir des précisions au compte rendu.

Dr Shannon: La décision concernant la répartition du vaccin, une fois que nous l'aurons, sera prise en collaboration avec les provinces et territoires. C'est toujours ainsi que nous procédons et il y aura certains groupes cibles dans la population auxquels on donnera une très grande priorité au début. Au fur et à mesure que les quantités disponibles augmenteront, on décidera qui seront les suivants sur la liste, si j'ose dire, sachant que s'il faut deux doses pour la vaccination, nous n'aurons pas 60 millions de doses de vaccin en même temps. Il sortira des chaînes de fabrication, si j'ose dire, sans doute par lots de 7 ou 8 millions de doses, et il faudra définir une stratégie d'utilisation. Il est clair que les travailleurs du domaine de la santé, les personnes âgées, les policiers, et cetera, seront les premiers sur la liste. Cela se fait en partenariat. En fait, tout se fait en partenariat.

Le plus important n'est pas tant de savoir à qui le vaccin sera administré mais plutôt si nous l'aurons au moment voulu. Ce que je redoute le plus, c'est que nous ayons le vaccin, mais trop tard.

La vice-présidente: C'est vraiment essentiel et pourtant c'est le genre de choses auxquelles beaucoup de gens ne pensent pas tant que la crise n'est là. Je vous en prie, insistez là-dessus autant que vous le pouvez.

Dr Spika: Nous partons du principe qu'il y aura une pénurie de vaccin à l'échelle mondiale. À ce moment-là, nous ne pourrons pas l'importer d'ailleurs puisque presque tous les pays, même s'ils peuvent fabriquer le vaccin, en manqueront également. Actuellement, par exemple, la moitié de nos vaccins anti-grippe viennent de l'étranger. Les représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous ont dit que nous ne pouvions pas être sûrs d'avoir ces vaccins au Canada parce que les autres pays, soucieux de leurs propres intérêts, voudront garder leur propre approvisionnement en vaccin afin de protéger leurs résidents. Dans ces conditions, la seule option qu'il nous reste est de nous doter d'une capacité de production ici au Canada.

Même si nous avons cette capacité de production du vaccin ici, étant donné la cinétique de la production vaccinale, on manquera de vaccin au départ. C'est pourquoi nous avons eu des discussions au sujet des groupes prioritaires, c'est-à-dire afin de savoir qui sera vacciné en premier. Dans cet esprit, nous avons défini certains objectifs pour notre programme anti-grippe. Le premier objectif est de maintenir les services sociaux -- c'est-à-dire de maintenir le fonctionnement de la société -- et ensuite de prévenir les décès, puis de prévenir la morbidité associée à la maladie. Cela nous a aidés à définir les priorités pour savoir qui allait être vacciné en premier lieu. Le premier groupe serait les travailleurs des services essentiels et des soins de santé -- c'est-à-dire ceux qui vont assurer le bon fonctionnement du plan. Comme nous ne savons pas exactement de quel type sera la pandémie, cela pourrait changer.

Dans le cadre de notre exercice de planification, nous avons mis sur pied un comité de la grippe pandémique qui comprendra des représentants de tous les paliers de gouvernement ainsi que des experts indépendants. En cas de pandémie, ce groupe présenterait des recommandations au ministre de la Santé sur la répartition initiale du vaccin. Ce serait ensuite au ministre de la Santé de décider la façon dont les quantités limitées de vaccin seraient réparties entre les différentes régions. C'est ainsi que nous voyons les choses se dérouler. Là encore, nous devons admettre que quelle que soit notre capacité de production vaccinale au Canada, il y aura une pénurie au départ.

Le sénateur Stratton: Ils ont très bien fait les choses à Hong Kong. Il y a eu dans Time un article intéressant expliquant comment les efforts déployés avaient évité la flambée.

S'il y avait une flambée et qu'elle devenait ensuite une pandémie, quelles mesures le Canada déclencherait-il?

Dr Spika: Tout d'abord, la détection d'une flambée dépend de la surveillance. Dans le cas de notre processus de planification, nous voulons investir dans l'amélioration de l'activité de surveillance internationale par le biais de l'OMS, en particulier dans cette région-là du monde. Nous estimons d'après l'expérience passée que c'est de là que ces souches sont les plus susceptibles de venir.

Une fois qu'on a détecté une nouvelle souche -- et potentiellement une pandémie -- la première question est de savoir si elle peut se transmettre de personne à personne. Si oui, est-ce que cela peut se faire efficacement? C'est le genre de chose que nous examinerions.

Dans le cas de Hong Kong, on n'est pas encore sûr de savoir si la souche a été transmise à une personne par une autre personne. La plupart du temps, la maladie a été transmise aux humains par des oiseaux. La souche elle-même n'avait pas la capacité de se transmettre efficacement d'une personne à une autre, comme c'est le cas de notre grippe normale. Par conséquent, dans ce cas, nous étions naturellement sur le qui-vive, mais on n'a pas déclaré de pandémie. Si les autorités ont décidé d'exterminer les oiseaux comme elles l'ont fait, c'est parce qu'elles craignaient le déclenchement d'une épidémie de grippe humaine à Hong Kong, et que si les individus étaient infectés simultanément par une souche humaine et une souche aviaire, on risquait d'avoir ce que l'on appelle un réassortiment génétique, qui pouvait potentiellement devenir une souche pandémique. C'est en partie pour cela que les autorités ont décidé d'exterminer les oiseaux.

La vice-présidente: Vous venez de souligner un point important que mes collègues n'avaient pas très bien compris, je crois. Vous pourriez peut-être développer toute cette notion de réassortiment génétique, c'est-à-dire la mutation et la combinaison de tout l'agent pathogène avec différentes souches.

Dr Spika: Ce terme technique désigne les capacités de certains virus, en l'occurrence le virus de la grippe. Si un hôte est infecté par deux virus en même temps, ces deux virus peuvent échanger leur matériel génétique et vous obtenez un hybride. Cette technique est utilisée actuellement pour fabriquer le vaccin anti-grippe. Cela n'a rien à voir avec la science-fiction. Comme on sait que certaines souches du virus de la grippe se développent mieux dans les oeufs de poules, on se sert de cette technique: on prend une souche de grippe existante qui à notre avis va être très commune et on la réassortit avec quelque chose qui se développe très bien dans les oeufs de poules pour créer la souche de vaccin qui est utilisée. C'est comme cela que les choses se passent, et nous le savons très bien. Ce sont les mutations de ce virus qui sont inquiétantes.

C'est à partir d'un certain nombre de critères que nous-mêmes et l'Organisation mondiale de la santé pouvons déclarer qu'on est en présence d'une pandémie et qu'il est temps d'intervenir. Ces critères sont les suivants: il s'agit d'une nouvelle souche, qui infecte les humains, et on a constaté qu'elle se transmet efficacement de personne à personne.

Le sénateur Stratton: Si une pandémie se présentait ici, que se passerait-il? Quelle serait la réaction de Santé Canada, du gouvernement canadien ou même des autres gouvernements?

Dr Spika: Dès que l'on constaterait l'existence d'une pandémie, le comité de la grippe pandémique se réunirait pour adresser à tous les paliers de gouvernement des recommandations sur les mesures de contrôle. On déclencherait immédiatement la production du vaccin. Le dispositif d'intervention d'urgence qui, nous l'espérons, sera en place d'ici un an aux niveaux local, provincial et fédéral serait aussi déclenché. Certaines personnes seraient chargées de préparer le public à une campagne de vaccination. Toute la question des autorisations réglementaires d'un vaccin est intéressante. Nous essaierions de court-circuiter le processus d'autorisation et faire en sorte que le vaccin puisse être administré à la population le plus rapidement possible.

Voilà donc un petit aperçu de ce qui se passerait. Il faudrait évaluer l'épidémiologie de la pandémie et déterminer quels groupes seraient les plus menacés, et éventuellement classer la population par groupes de priorité différente pour la vacciner en fonction de l'évolution de la situation ailleurs. Éventuellement nous pourrions même envoyer des gens dans les pays les premiers touchés par la maladie pour contribuer à l'enquête internationale et recueillir des informations qui nous permettraient de mieux réagir lorsque le Canada serait touché.

Le sénateur Stratton: Tout cela est assez remarquable. S'il y avait une pandémie et que la situation s'aggrave, en dehors du déclenchement de la production de vaccin et de la vaccination des personnes appropriées, y a-t-il un plan pour éviter cette situation? Par exemple, est-ce qu'on interdirait tous les voyages? Quand on lit ce qui s'est passé en 1918, on se rend compte que c'est l'isolation complète qui a vraiment été efficace. En Alaska, par exemple -- et bien que ceci soit du ouï-dire, c'est néanmoins important -- une ville a été complètement dévastée, alors que dans une autre, où l'on avait placé des sentinelles qui interdisaient à tout le monde d'entrer ou de sortir de la ville, personne n'a été malade. Y a-t-il un plan de protection, indépendamment de la vaccination?

Dr Spika: On sait que ce virus peut se transmettre très rapidement. C'est pour cela qu'il provoque des pandémie. L'imposition d'une quarantaine ou la fermeture des frontières aurait des conséquences économiques incroyables pour le Canada, dans le contexte de l'économie mondiale. Si vous construisiez un biodôme pour couvrir la totalité du pays et isoler tout le monde, vous réussiriez peut-être à éviter que la population soit infectée jusqu'au moment où vous auriez des quantités suffisantes de vaccin et où vous pourriez vacciner tout le monde et laisser la population sortir du biodôme.

Il faut envisager d'autres stratégies. Nous savons qu'en temps normal, la grippe se répand très efficacement dans une collectivité par le biais des établissements d'enseignement, et que normalement ce sont les enfants qui sont les premiers infectés. En cas de pandémie, il faudrait peut-être fermer les écoles et bloquer cette voie de circulation.

Il faut aussi examiner la question des agents antiviraux. Jusqu'à présent, nous les avons considérés comme une stratégie secondaire pour diverses raisons. Premièrement, il faut traiter les individus pendant longtemps pour éviter la maladie. Deuxièmement, ces agents coûtent très cher. La constitution d'un stock de médicaments suffisant pour les groupes de Canadiens choisis coûterait de l'ordre de 2 à 3 milliards de dollars. Enfin, la durée de conservation du médicament ne dépasse pas trois ans, et il faudrait donc réinvestir constamment.

On envisage tout cela, mais un certain nombre des initiatives dont vous parlez feraient aussi partie de ce que nous appelons les activités de planification locales, car c'est là que devront être déclenchées un certain nombre d'interventions une fois que le virus sera isolé.

Dr Shannon: Durant la période de Noël, quand nous avons commencé à nous inquiéter du virus de la grippe H5N1, nous avons effectivement lancé un avertissement à toutes les personnes qui allaient à Hong Kong, pour ce que cela valait. À l'époque, il a même été question d'interdire les vols vers certaines régions du monde si l'on constatait que l'on avait affaire à une pandémie grave -- et il y avait des repères précis pour cela. Mais une fois que la maladie commence à progresser de manière foudroyante, le Canada ne peut plus s'isoler. Le Dr St. John, qui dirige notre service de quarantaine, signale que durant la période allant des quelques jours précédant Noël, où nous avons commencé à observer la phénomène et à nous en inquiéter, à septembre, 129 000 personnes ont voyagé en avion entre le Canada et Hong Kong.

Du moment qu'on sait que le virus est isolé pendant un certain temps, on peut réagir assez efficacement. Mais il va se répandre. Cela nous ramène à l'idée d'envoyer des équipes sur place -- je ne parle pas seulement du Canada, mais du Canada en collaboration avec le CDC et l'OMS -- non seulement pour faire le point de la situation, mais aussi pour recueillir des échantillons qui pourront servir à établir un diagnostic et, ce qui est tout aussi important, fourniront la souche virale nécessaire à la production du vaccin.

L'OMS envisage de confier à certains pays la responsabilité de certains pathogènes déterminés. Le Canada s'oriente vers certaines fièvres hémorragiques étant donné que nous avons notre installation de niveau 4 à Winnipeg. Les maladies infectieuses n'ont pas de frontières, et nous devons donc agir plus judicieusement et plus efficacement.

La vice-présidente: Le sénateur Stratton a parlé de 1918, et pour que le compte rendu soit clair, peut-être faudrait-il préciser qu'il parlait de la pandémie de grippe espagnole.

Le sénateur Stratton: Qui a tué 20 ou 30 millions de personnes.

Dr Shannon: Peut-être même plus. Cela, c'est ce que nous savons.

Le sénateur Stratton: Combien de personnes mourraient si une pandémie se produisait maintenant?

Dr Spika: Si le taux de mortalité était le même qu'à cette époque-là, cela voudrait dire que 180 000 Canadiens mourraient en six mois. Dans l'état actuel des choses, nous estimons que ce sont de 11 000 à 58 000 personnes qui mourraient.

La vice-présidente: Je crois qu'un groupe de Canadiens étudie les restes momifiés de victimes de cette grippe espagnole, et je crois qu'il y a parmi eux le Dr Charles Smith, un pathologiste judiciaire. Vous êtes au courant de cela?

Dr Spika: C'est exact. L'expédition était codirigée par Kirsty Duncan, qui est géographe de l'Université de Toronto. Ils voulaient exhumer des corps de mineurs à Spitzbergen. Ils l'ont fait à l'automne 1998. Ils ont partiellement réussi à retrouver la trace du virus, à en recueillir des éléments, mais c'est une équipe de l'Institut de pathologie des Forces armées américaines en collaboration avec un membre associé qui a eu le plus de succès en exhumant un corps en Alaska. En l'état actuel des choses, ils espèrent pouvoir établir la séquence du matériel génétique de l'essentiel de ce virus.

Le sénateur Moore: J'ai une question simple à poser au Dr Shannon, à propos des pages 5 et 10 de l'exposé. Pourriez-vous nous expliquer les codes de couleur? Que signifient-ils? À la page 5, la page sur la surveillance, vous avez plusieurs codes de couleur suivant les provinces. Que signifient-ils?

Dr Shannon: Le codage couleur sert à déterminer nos capacités en ce qui concerne les cinq fonctions des interventions d'urgence.

Le sénateur Moore: À quoi correspond le vert qu'on a pour la Nouvelle-Écosse dans la page sur la surveillance?

Dr Shannon: Vous êtes en train de regarder une carte du Canada?

Le sénateur Moore: Oui.

Dr Shannon: Nous n'en avons pas parlé, mais il s'agit en fait d'une carte à codage couleur représentant l'incidence d'un certain type de maladie ou de pathogène transmis par les aliments au Canada. Je n'ai pas la conversion exacte.

Ces épidémies concernent l'année 1998, je crois, et il s'agit simplement de donner une idée de la gravité de la maladie. On veut simplement montrer que, plus nos dispositifs de surveillance deviennent sophistiqués et interviennent en temps réel, plus nous sommes en mesure de comprendre efficacement ce qui se passe, en l'occurrence dans le domaine de l'alimentation ici. La durée qui s'écoule entre le moment où la maladie commence à flamber et le moment où nous déclenchons l'intervention va peut-être pouvoir être ramené de plusieurs semaines à quelques jours seulement.

Le sénateur Moore: Il y a du vert, du doré, du jaune et du rouge. Qu'est-ce que cela représente?

Dr Shannon: Je n'ai pas les équivalences en chiffres de ces couleurs. Il faudrait que je me les procure. Cette carte sert à montrer notre capacité à comprendre ce qui se passe dans l'ensemble du pays. On imprime une carte toutes les semaines. Cela ne veut pas dire que la Nouvelle-Écosse est en meilleure ou en plus mauvaise posture qu'une autre province. La situation évolue chaque semaine en fonction de l'épidémie.

Le sénateur Moore: À la page du tableau d'ensemble, il y a des ronds jaunâtres et d'autres qui sont verts. Qu'est-ce que cela veut dire?

Dr Shannon: Il y a en fait trois couleurs, le rouge, le jaune et le vert, ce dernier signifiant, du moins pour autant que nous puissions en juger, qu'il n'y a pas de déficience apparente. Le jaune signifie qu'il y a certaines lacunes que l'on contrôle actuellement par des moyens d'intervention canadiens, c'est-à-dire que c'est «gérable». Autrement dit, quelle soit la situation qui se présente, nous allons résoudre le problème. Le rouge, et il n'y en pas ici, signifie que nous avons une lacune grave.

Le sénateur Mahovlich: Je me souviens d'avoir eu la grippe en 1957. Comment cette grippe était-elle arrivée au Canada à l'époque? Vous souvenez-vous si c'était par les oiseaux?

Dr Spika: Nous ne savons pas pourquoi ce virus s'est répandu aussi efficacement. Nous savons que les premières flambées ont eu lieu en Chine en février 1957, et qu'en juillet le virus était apparu au Canada. Nous avons eu une première période d'intensité maximale de la maladie en octobre de cette même année. Cette progression du virus est assez typique lors d'une pandémie, que le virus soit transmis par les oiseaux ou par des voyageurs.

Il se peut très bien que des gens porteurs du virus et qui ne présentaient que des symptômes légers aient pris l'avion, en l'occurrence de Hong Kong à destination de Londres puis du Canada, et qu'ils aient infecté d'autres personnes durant leur voyage, ou qu'ils soient venus directement de Hong Kong au Canada par une autre route. Le fait est que le virus se transmet de manière tellement efficace d'un être humain à un autre qu'il est très difficile d'entraver sa progression.

Le sénateur Mahovlich: Sommes-nous mieux préparés aujourd'hui que jamais à une pandémie?

Dr Spika: Oui.

Dr Shannon: Il est utile de préciser à propos des pandémies que, bien que nous ayons parlé de la nécessité de nous doter d'une capacité de production autonome du vaccin, il y aura toujours une période durant laquelle nous n'aurons pas encore ce vaccin, dans l'état actuel de la technologie.

Il faut souligner que certaines entreprises canadiennes ont élaboré des technologies. En fait, on est en train de mettre au point certaines technologies qui pourraient fort bien modifier considérablement nos capacités en nous permettant de produire rapidement un vaccin sans passer par la nécessité de fertiliser des oeufs. Cela nous permettra de régler non seulement notre problème, mais aussi, en matière de biotechnologie, le problème du reste du monde.

La vice-présidente: Messieurs, je tiens à vous remercier pour ces témoignages extrêmement utiles.

La séance est levée.


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