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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 1er décembre 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi visant à faciliter et promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois, se réunit aujourd'hui à 15 h 37 pour examiner la teneur du projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes réunis cet après-midi pour entendre d'autres témoignages à propos du projet de loi C-6. Nous avons deux séries de témoins cet après-midi. Notre premier groupe se compose de Mme Valerie Stevens, directrice du projet de la technologie du Centre for Law and Social Change de l'Université Carleton et de Me Ian Lawson, qui est avocat en Colombie-Britannique. Mme Steeves et Me Lawson sont tous deux considérés dans leur milieu comme des spécialistes en matière de protection de la vie privée. Après leur présentation, notre dernier témoin sera M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée.

Je vous remercie de vous être présentés devant nous. Commencez, je vous prie.

Mme Valerie Steeves, directrice du projet de la technologie, Centre for Law and Social Change, Université Carleton: En 1997, j'ai eu le privilège de participer à la consultation publique sur la protection de la vie privée entreprise par le comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées. J'ai en outre participé au Forum sur la protection de la vie privée, un site Web créé par des groupes de défense de l'intérêt public et des consommateurs, afin de recueillir les opinions des Canadiens sur le document de discussion qui a précédé ce qui était alors le projet de loi C-54.

Il ressort très clairement des consultations publiques que les Canadiens considèrent la protection de la vie privée comme un droit de la personne et une valeur sociale fondamentale. Ils s'attendent à ce que leur gouvernement joue un rôle de chef de file dans la protection de leur vie privée en cette ère de l'information.

À mon avis, le projet de loi C-6 est une pièce importante du puzzle. Il établit les règles de base de la protection de la vie privée, à savoir que des renseignements ne peuvent être recueillis qu'avec le consentement de la personne concernée et que l'usage réservé à ces renseignements doit être raisonnable et approprié. Il donne également au commissaire à la protection de la vie privée un rôle d'ombudsman vigoureux et un mandat pour informer le public.

Ce sont des victoires importantes. Mais le projet de loi C-6 n'est pas parfait. Ses imperfections reflètent le fait qu'il s'agit d'un document qui a dû faire l'objet d'un consensus. Il a l'appui des dirigeants du secteur privé, des groupes de protection des consommateurs et des défenseurs des libertés civiles et de la protection de la vie privée. Ce qui en soi est un accomplissement remarquable. Ce n'est peut-être pas le projet de loi que nous aurions rédigé chacun de notre côté, mais il est néanmoins acceptable pour tous.

Il est essentiel également de se rappeler que le projet de loi C-6 est un texte de loi qui s'applique d'abord au commerce électronique et non pas à la protection de la vie privée en soi.

Je crois comprendre que mes collègues de l'Association médicale canadienne vous ont signalé que les renseignements sur la santé en général devraient être mieux protégés. Je suis entièrement d'accord avec eux.

Mais j'aimerais rappeler également que le lobby de l'industrie pharmaceutique a indiqué clairement que les renseignements sur la santé constituent un bien de très grande valeur, qui fait l'objet d'un commerce. Le projet de loi C-6 s'applique à certains renseignements sur la santé puisque l'industrie pharmaceutique est une industrie.

Je pense que ce serait une grave erreur de retarder l'adoption du projet de loi C-6 pour permettre à l'une des parties intéressées d'avoir une deuxième chance.

Le débat sur les renseignements relatifs à la santé est loin d'être terminé. Je pense personnellement que ce sera le combat le plus important que les défenseurs du respect de la vie privée auront à livrer au cours des cinq prochaines années. Le projet de loi C-6 n'est peut-être pas le bon moyen de résoudre ces problèmes, et il y a deux raisons à cela.

Premièrement, comme le comité permanent l'a fait remarquer dans son rapport final, la protection de la vie privée requiert deux types de lois. D'une part, il faudrait une loi générale qui énoncerait les grands principes de la protection de la vie privée. Et d'autre part, il faudrait des lois plus spécifiques qui s'appliqueraient aux questions et aux préoccupations de secteurs particuliers.

Le projet de loi C-6 n'énonce pas de façon définitive les droits à la protection de la vie privée. Il constitue l'une des petites pièces du puzzle et s'applique à l'exploitation commerciale des renseignements personnels.

Deuxièmement, il est largement ressorti des consultations publiques que, pour les Canadiens, le consentement représente la règle absolue lorsqu'il s'agit de protection de la vie privée en général. Ils exigent que les renseignements sur leur santé fassent l'objet de normes de protection plus sévères.

Le projet de loi C-6 nous aidera de deux manières dans ce combat. Il établit les règles de base et n'empêche pas les provinces d'exercer leurs pouvoirs. Il n'empêche pas non plus les organisations comme l'Association médicale canadienne de formuler des normes qui s'appliqueraient au domaine des soins de santé.

Ainsi qu'on a pu le constater au Québec, le fait d'assurer le leadership dans ce domaine -- comme le fait le projet de loi C-6 -- encourage les autres instances à suivre l'exemple.

C'est pour toutes ces raisons que je suis venue témoigner mon appui au projet de loi. Ce sont là mes propos liminaires. Je suis à votre disposition pour en discuter davantage avec vous.

Me Ian Lawson: Je suis avocat en exercice privé. Depuis huit ans, j'ai beaucoup travaillé dans le domaine de la protection de la vie privée. C'est un domaine qui m'intéresse particulièrement et auquel j'ai consacré la majeure partie de mes activités.

En 1992, j'ai eu l'occasion de me pencher sur ce qui pourrait être fait pour protéger les particuliers contre l'incursion du secteur privé, du milieu des affaires, dans leur vie privée. J'en suis vite arrivé à la conclusion qu'il existait très peu de textes de loi -- en fait pratiquement aucun -- qui pourraient leur être utiles.

J'ai fait des recherches et rédigé un ouvrage assez important sur la manière dont on pourrait utiliser la common law pour protéger la vie privée en l'absence d'autres moyens. C'était il y a sept ans.

En 1995, j'ai eu la chance de participer à la préparation d'une des premières études sur l'élaboration d'un régime de réglementation visant à régir la protection des renseignements personnels sur l'autoroute de l'information. J'ai effectué ce travail pour le comité consultatif sur l'autoroute de l'information.

Cette expérience m'a appris qu'il est extrêmement difficile de concevoir un système de réglementation qui garantisse une protection adéquate dans le domaine du commerce électronique. Nous avons besoin d'une approche originale et unique en son genre, car les problèmes auxquels nous avons affaire sont uniques et qu'ils n'ont encore jamais été abordés sous l'angle de la législation.

J'estime que le projet de loi C-6 constitue effectivement une solution originale et unique à ce problème nouveau et délicat. Je suis en faveur de son adoption sous sa forme actuelle.

J'aimerais profiter du temps qui me reste pour soulever trois points. Premièrement, il ne fait aucun doute que la conformité constitutionnelle de cette loi va être contestée. La question constitutionnelle est bien vivante.

J'étais d'avis en 1995 -- et je le suis encore aujourd'hui -- que le gouvernement fédéral a la compétence voulue pour adopter cette loi. Le projet de loi que nous avons devant nous s'applique à la protection des renseignements personnels dans un domaine qui, de par sa nature même, dépasse la compétence des provinces.

Le commerce qui est facilité par la partie 2 de ce projet de loi est foncièrement interprovincial et international de nature, et c'est pourquoi ce projet de loi devrait être conservé sous sa forme actuelle. Il a été question à un moment donné de séparer la partie 1 de la partie 2. À mon avis, ce ne serait vraiment pas une bonne idée.

Les deux parties ne peuvent être séparées parce que le fondement constitutionnel de la Partie 1, la protection des renseignements personnels, se trouve dans le nouveau régime pour faciliter le commerce électronique et la création de documents exécutoires et reconnus en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. La partie 2 représente une première étape dans la création d'une infrastructure de l'information qui convient au Canada.

La protection de la vie privée dans ce nouveau monde du commerce est un élément absolument essentiel de notre infrastructure nationale de l'information. Dans ce sens, je suis entièrement d'accord avec ce que Mme Steeves a dit. Le projet de loi C-6 n'est pas une loi qui a pour objet la protection de la vie privée. C'est une loi qui régit le commerce sur le nouveau marché électronique.

Lorsque les Américains ont bâti leur infrastructure nationale de l'information il y a de nombreuses années, ils ont convenu qu'une certaine forme de protection de la vie privée devrait être incorporée à la conception de ce nouveau monde du commerce.

Le fait que la partie de la loi qui s'applique à la protection des renseignements personnels provienne d'Industrie Canada n'est pas surprenant, puisqu'il s'agit d'une question qui préoccupe l'industrie. Cette partie ne vise pas nécessairement la protection de la vie privée, mais je suppose qu'Industrie Canada s'est rendu compte que notre commerce électronique serait gravement affaibli sans la présence de mesures de protection de la vie privée à l'égard des renseignements personnels.

Les États-unis ont élaboré, il y a un siècle, un système de protection de la vie privée très perfectionné, avec leur droit sur la responsabilité civile délictuelle. Ils ont reconnu que la protection de la vie privée était un droit constitutionnel. Le Québec, avec son Code civil, accorde une protection semblable à la dignité humaine depuis presque aussi longtemps. Bien entendu, le Québec a été la première province à s'occuper de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.

Dans le reste du Canada, il n'y a pratiquement aucune loi pour contrôler l'utilisation des renseignements personnels à des fins commerciales.

Je suis certain que vous avez tous entendu des témoins qui sont venus vous parler de la directive émise par la Communauté européenne en 1995. C'est une raison de plus de prévoir des mesures de protection des renseignements personnels dans notre infrastructure de l'information. Comme nous le savons tous, cette directive interdit aux pays membres de faire du commerce et de transférer des renseignements personnels à d'autres pays si la législation de ces pays ne prévoit pas une protection suffisante des renseignements personnels.

Il y a cinq ans que cette directive a été publiée. S'il n'adopte pas le projet de loi C-6, le Canada sera tout à fait incapable de prouver qu'il garantit une protection suffisante des renseignements personnels.

Avec le projet de loi C-6, le Canada pourra jouer un rôle de chef de file sur la scène internationale en matière d'élaboration de textes de lois efficaces pour la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, puisqu'il incorpore le Code de l'Association canadienne de normalisation. Le processus de l'ACNOR, comme vous le savez peut-être, a commencé au Québec par l'établissement d'une série de règles en collaboration avec le milieu des affaires. Le Code de l'ACNOR a été élaboré et accepté par le secteur privé.

L'avantage que présente l'incorporation du Code de l'ACNOR dans cette loi, c'est que l'on ne devrait pas avoir besoin de recourir à un arsenal législatif énorme pour contrôler les utilisateurs des renseignements, c'est à dire pour les obliger à se conformer à la loi, comme c'est le cas dans la plupart des pays européens. Je dis cela parce que l'éducation est vraiment le seul moyen efficace pour s'attaquer au gigantesque volume de renseignements personnels utilisés dans le secteur privé. Encourager le respect de bonnes pratiques commerciales est la clé pour garantir le respect de la vie privée dans le monde du commerce électronique. Voilà pourquoi je donne mon appui à ce projet de loi aujourd'hui.

Le président: Avant de passer aux questions, je me demande si je pourrais demander quelque chose à Mme Stevens. J'aimerais également avoir votre avis, maître Lawson, même si vous n'avez pas parlé directement de la question des soins de santé.

Madame Steeves, vous avez dit que la protection des renseignements personnels dans le domaine de la santé représentera un enjeu majeur au cours des prochaines années parce que les Canadiens veulent un resserrement des normes dans le domaine des soins de santé. Deuxièmement vous avez tous deux dit que ce projet de loi vise le commerce électronique et non la protection de la vie privée. Or, dans une large mesure, les questions liées au domaine des soins de santé ont à voir avec la protection de la vie privée et non avec le commerce électronique.

Et troisièmement, madame Steeves, vous avez dit que vous ne souhaitez pas que l'adoption de ce projet de loi soit retardée pour donner une deuxième chance aux gens du secteur de la santé. Supposez que la loi au complet entre en vigueur, sauf en ce qui concerne le secteur de la santé. Il comprendrait la partie sur le commerce électronique, mais sans la notion de donner une deuxième chance au secteur de la santé.

Vous avez dit que le cas de la santé est très différent des autres. Nous pourrions accorder un délai très court pour résoudre ces différences. Le seul moyen consisterait à faire en sorte que la loi entre en vigueur et s'applique à la santé à l'expiration de ce délai très court. Il faut exercer une certaine pression si l'on veut que les gens se mettent d'accord.

Des propositions de ce genre nous ont été faites par un certain nombre de témoins, et également par un certain nombre de collègues à cette table. Qu'en pensez-vous?

Mme Steeves: Je devrais peut-être préciser quelque chose. Je ne voulais pas vous donner l'impression que la santé n'est pas nécessairement une question de commerce électronique. De fait, je crois que le lobby de l'industrie pharmaceutique a clairement laissé entendre que les renseignements médicaux constituent un bien. Ils ont d'autres utilités dans nos vies, mais il est vrai qu'ils sont traités comme des biens.

Pour bien des raisons, je ne suis pas trop d'accord avec ce que vous proposez. Il me semble que si l'industrie qui traite ce type de renseignements tire des profits de leur échange ou de leur vente, ils deviennent des biens et devraient être traités comme les autres biens. Mais en même temps, ce projet de loi ne s'applique pas à toutes les utilisations des renseignements médicaux. Il ne vise que les activités commerciales qui ont lieu lorsque les gens échangent ou vendent ces renseignements comme s'il s'agissait d'un bien.

Il y aurait plusieurs avantages à laisser les renseignements sur la santé dans ce projet de loi. D'abord il établit des conditions de base. Le consentement est le minimum acceptable. Les Canadiens disent très clairement qu'il devraient donner leur consentement plus souvent avant de divulguer des renseignements médicaux. Mon travail de défense du droit à la vie privée sera nettement plus facile, lorsque je ferai des démarches auprès du secteur de la santé pour obtenir un renforcement des normes de protection, si ces règles de base sont en place. D'un point de vue stratégique, l'existence du projet de loi C-6 permet de placer la barre un peu plus haut dans une certaine mesure.

L'idée de retarder l'adoption de ce projet de loi me dérange également parce qu'il semble régner une certaine confusion sur les enjeux. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ce qui me fascine, c'est que je n'arrive pas à savoir ce que ces entités commerciales font avec mes renseignements médicaux. L'intérêt du projet de loi C-6, c'est qu'il assure un certain niveau de transparence, parce qu'il faut présenter une demande. Pour l'instant, il me semble que beaucoup de sociétés pharmaceutiques et les pharmaciens eux-mêmes, disent au fond qu'ils agissent ainsi pour notre bien, pour le bien public et pour un système de soins de santé qui est important pour notre société, et qu'il ne faut donc pas leur demander ce qu'ils font de ces renseignements. Il n'y a qu'à leur faire confiance.

Le projet de loi C-6 nous apporte des éléments de solution dans la mesure où il nous donne tout d'un coup la possibilité de savoir ce qui se passe; cette réciprocité, cette ouverture, cette transparence n'existaient pas avant. Il était très difficile, lorsqu'on se trouvait de l'autre côté de la table, d'opposer des arguments alors qu'on ne voulait même pas nous dire à quoi ces renseignements servent.

Je suis également contre le report parce qu'on a vu comment, en Ontario, le report de l'adoption d'un projet de loi entraînait le risque de le perdre complètement. J'ai cru comprendre, en parlant avec les gens qui ont participé à l'élaboration d'une loi provinciale sur la protection de la vie privée en 1978, que les hôpitaux avaient avancé des arguments semblables. Ils avaient soutenu que les renseignements sur la santé sont différents et devraient être traités différemment, et qu'il faudrait étudier la question de plus près et prendre soin de s'assurer que les normes de protection sont suffisantes.

J'ai appelé le commissaire à la vie privée de l'Ontario aujourd'hui. On m'a dit que les hôpitaux ne sont toujours pas couverts en Ontario, et c'était en 1978. Je crains, comme bon nombre de défenseurs du droit à la vie privée ont dû vous le dire, qu'en reportant l'adoption du projet de loi on risque de ne jamais avoir de protection.

Mais contrairement à mes collègues de l'Association médicale canadienne -- et encore une fois je tiens à préciser que nous sommes du même côté, nous avons très peu de sujets de désaccord dans ce domaine -- je pense que si le projet de loi C-6 est adopté, rien n'empêchera les provinces de légiférer dans leurs propres juridictions. Rien n'empêchera l'AMC de réunir ses membres et de leur dire: «Prenons cette question au sérieux», et de faire le nécessaire pour rehausser les normes de protection des renseignements personnels dans le domaine de la santé. Une fois que le projet de loi C-6 aura été adopté, leur tâche sera plus facile.

Encore une fois, nous aurons ces règles de base. Je serais très inquiète si on éliminait les renseignements sur la santé d'une manière ou d'une autre; que ce soit parce qu'on espère avoir des normes moins élevées, ou parce qu'on espère les relever.

Pour finir de répondre à votre question, j'aimerais vous renvoyer au rapport du comité permanent. J'estime que ce projet de loi constitue le plan législatif le plus complet et le plus approprié pour la protection de la vie privée, pas pour le commerce électronique ou pour le secteur de la santé, mais pour la protection de la vie privée dans son ensemble. Il est essentiel d'énoncer les principes fondamentaux dans une loi générale, mais cela manque pour le moment.

Le projet de loi C-6 est une pièce importante du puzzle. Il vise les activités commerciales et répond à un besoin réel. L'adopter ne signifie pas que nous ne pourrons plus nous occuper des renseignements du secteur de la santé. Ce que je crains, c'est que si nous incorporons entièrement les renseignements sur la santé au projet de loi C-6, ou si nous donnons cette deuxième chance, nous perdrons la possibilité que nous avons actuellement de reconnaître que si les renseignements sur la santé sont échangés ou vendus, ils deviennent des objets de commerce et doivent être traités comme tels. Lorsque nous examinerons les renseignements médicaux dans le contexte du secteur de la santé dans son ensemble, il faudra prendre en compte des intérêts plus larges. Les arguments de politique publique auront alors davantage d'importance dans le débat.

Me Lawson: Je ne nie pas qu'il faille peut-être se préparer à une bataille. Le milieu de la santé s'intéresse de près à la question. J'ai lu les délibérations qui ont eu lieu jusqu'à présent. Cet après-midi j'ai lu le mémoire d'IMS Canada qui vous a été remis. Je suis intrigué, et je me demande si l'on ne se bat pas pour les mauvaises raisons. Je ne fais de reproche à personne, mais je regarde le troisième paragraphe du sommaire d'IMS Canada, qui dit:

IMS n'obtient ni ne collecte jamais de renseignements qui identifient les patients de ses sources de données.

Dans ce projet de loi, on entend par renseignement personnel, tout renseignement concernant un individu identifiable.

Le président: Je peux vous aider. Je crois qu'on peut dire que l'argument d'IMS n'a pas résisté à nos questions.

Me Lawson: Je suis heureux de l'apprendre.

Le président: Le problème était tout à fait différent dans le cas des médecins.

Le sénateur Murray: Le fait est qu'ils ne recueillent pas des renseignements sur les patients mais sur les médecins. Les médecins sont des individus identifiables.

Le président: L'AMC a vigoureusement soutenu que puisque ce projet de loi est moins strict que son propre code, on donnerait le mauvais message. Ce qui intrigue notre comité, c'est que la plupart d'entre nous avons l'habitude de voir se présenter devant nous divers segments de l'industrie pour nous dire qu'ils n'aiment pas notre projet de loi.

Or dans ce cas, il se passe deux choses inhabituelles. D'abord, il n'y a qu'un segment de l'industrie qui se plaint. Tous les autres disent que nous avons un bon équilibre, un équilibre délicat, une solution raisonnable, et ainsi de suite. Un seul segment de l'industrie est inquiet, et encore il est divisé. La moitié nous dit que notre projet de loi ne va pas assez loin et ne devrait donc pas être adopté sous sa forme actuelle, et l'autre moitié nous dit qu'il va trop loin et ne devrait pas être adopté. C'est une situation tout à fait inusitée pour bon nombre d'entre nous qui étudions des projets de loi qui s'adressent au milieu des affaires depuis longtemps.

Le sénateur Murray: J'aimerais que vous me donniez quelques précisions sur ce que vous venez de dire sur le secteur de la santé. Je pense que l'on peut dire que les professionnels, c'est-à-dire les médecins, les dentistes et les autres sont d'un côté et qu'ils veulent un renforcement du projet de loi. Les médecins veulent en effet que leur code soit annexé au projet de loi, qu'il soit modifié comme il se doit et qu'il ait force de loi pour l'ensemble du secteur des soins de santé. Les dentistes sont du même avis. Les autres, par contre, sont plus du côté du commerce, sauf les hôpitaux. Ils reconnaissent avec les médecins et les hôpitaux qu'il est impossible de dissocier les fins commerciales des fins non commerciales, mais ils estiment que les dispositions sur le consentement leur coûteront trop cher.

J'ai deux brèves questions à poser et ensuite j'aimerais discuter avec Me Lawson du projet de loi, ou plutôt des deux projets de loi qu'il contient.

Êtes-vous d'accord avec la disposition de ce projet de loi qui permet de collecter des renseignements personnels à l'insu de l'intéressé et sans son consentement lorsque la collecte est faite uniquement à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires? Êtes-vous d'accord avec ce libellé?

Mme Steeves: Le libellé est peut-être compliqué, mais si je comprends bien, il reprend ce que dit la directive de l'Union européenne qui porte sur la question. De toute évidence cette disposition vise à respecter l'article 2 de la Charte qui garantit la liberté d'expression, la liberté de la presse, et ainsi de suite.

Le sénateur Murray: Seriez-vous d'accord pour que le droit au respect de la vie privé soit inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés?

Mme Steeves: Absolument. Si vous pouviez faire cela, vous me feriez un superbe cadeau de Noël.

Le sénateur Murray: Pour Noël, c'est trop tard.

Le président: J'aimerais que le témoin réponde à votre première question, au lieu de l'esquiver. Vous avez dit que ces droits sont inscrits dans la Charte, et je vous entends bien. Mais cela ne me dit pas si vous êtes d'accord ou non. La question que le sénateur Murray vous a posée est la suivante: Cet article vous satisfait-il? Êtes vous prêt à lui donner votre appui?

Mme Steeves: Oui, tout à fait. Il est nécessaire, à cause de la Charte, d'utiliser le langage qui est utilisé dans le contexte européen. Il existe d'autres mesures de protection, le droit de la responsabilité délictuelle par exemple, qui nous permettent de trouver un équilibre approprié entre la liberté d'expression et le droit à la vie privée.

Le sénateur Murray: Si la Charte canadienne des droits et libertés avait une disposition qui mettrait la protection de la vie privée sur le même pied que les droits qui s'appliquent à la liberté de la presse, la liberté d'expression et ainsi de suite, nous n'aurions pas besoin d'exclure les journalistes dans ce projet de loi. Êtes-vous d'accord? Les journalistes sont exclus car sinon, on risquerait de donner lieu à des situations où quelqu'un pourrait porter plainte en affirmant que son droit à la vie privée a été violé. Et le ou la journaliste pourrait alors plaider avec succès qu'il ou elle est protégé par le droit à la liberté d'expression garanti par la Charte.

Mme Steeves: Même si le droit à la protection de la vie privée était inscrit dans la Charte, il faudrait quand même une disposition qui précise la chose, car nous opposons les droits de la Charte les uns aux autres.

Le sénateur Murray: Exactement. Le droit à la vie privée serait là au même titre que le droit à la liberté d'expression. Dans un cas particulier, quelqu'un devra décider où se situe l'équilibre, n'est-ce pas?

Mme Steeves: Oui. Les tribunaux devraient trancher. De fait, c'est ce qu'ils continueront à faire avec cette loi.

Me Lawson: Ce serait formidable si on pouvait inscrire le droit à la vie privée dans la Charte des droits et libertés, mais cela ne couvrirait que les activités du gouvernement. Cela ne s'appliquerait pas à tout ce qui est visé par ce projet de loi.

Le sénateur Murray: Que voulez-vous dire? Si ce projet de loi était adopté sans exemption pour les journalistes, et que quelqu'un prétendait que son droit à la vie privée a été enfreint par un journaliste mais que le tribunal tranchait en faveur du plaignant en vertu de cette loi, le journaliste pourrait faire appel en invoquant la Charte?

Me Lawson: Mon opinion vaut ce qu'elle vaut, mais je pense que le recours à la Charte ne s'appliquerait pas à un intervenant du secteur privé comme un journaliste.

Le sénateur Murray: Les journalistes affirmeraient que cette loi n'est pas constitutionnelle -- à moins d'en avoir été exemptés bien sûr. Ils demanderaient au tribunal d'incorporer une exemption pour les journalistes dans cette loi, n'est-ce pas?

Me Lawson: Ils pourraient le demander. Pour ma part, cela ne m'inquiète pas beaucoup, et le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement me paraît acceptable.

Le sénateur Murray: Bien. J'aimerais vous demander à tous les deux de me justifier la disposition qui permet que des renseignements personnels recueillis à des fins commerciales soient divulgués 20 ans après mon décès -- je veux parler de renseignements qui me concernent.

Me Lawson: Je vais peut-être regretter d'avoir dit cela, mais le droit à la protection de la vie privée est généralement attribué à des personnes vivantes. Je parle du raisonnement utilisé pour déterminer des intérêts en jeu. De fait, je me demande si on pourrait invoquer le droit à la protection de la vie privée devant les tribunaux pour défendre les intérêts d'une personne qui serait décédée.

Le sénateur Murray: J'apprécie votre opinion. J'espère que tout le monde vous a entendu. Peut-être devrions-nous faire quelque chose à ce propos. Qu'en pensez-vous, madame Steeves?

Mme Steeves: En fin de compte, ce que nous essayons de protéger, c'est l'autonomie. À cet égard, je ne suis pas du même avis que Me Lawson. Il y a toutes sortes de ramifications pour les survivants de la personne concernée également. Mais bien sûr le caractère sensible des renseignements personnels diminue avec le temps. Il y a une autre question dont il faudrait s'occuper, à savoir l'accès à des renseignements qui relèvent du domaine public. C'est à dire d'un point de vue historique.

Le sénateur Murray: C'est une tout autre affaire. Je crois que ce genre de chose est couvert par d'autres lois, d'ailleurs je voudrais bien mettre la main dessus un jour. Nous parlons de votre carte de crédit, madame Steeves, et de renseignements sur votre hypothèque ou d'autres renseignements personnels qui peuvent avoir été recueillis sur vous, ou moi, ou n'importe qui d'entre nous.

Mme Steeves: Ce qu'il y a de différent dans ce cas aussi, et je suis d'accord avec vous, c'est qu'il existe désormais une foule d'informations sur nous. Il y a 10 ou 20 ans, il y avait bien moins de renseignements qui pouvaient nous survivre.

Il s'agit de déterminer une limite de temps appropriée. Je n'ai rien contre l'idée de fixer une limite de temps, et peut-être vingt ans n'est pas une limite appropriée. Ce genre de question se pose dans le cas du recensement par exemple. Puisque la loi doit être réexaminée dans cinq ans, je vous suggère de revoir cette limite de temps à ce moment-là. Mais je n'ai rien contre l'idée de fixer une limite de temps.

Le sénateur Murray: Pensez-vous que les entreprises commerciales qui recueillent des renseignements personnels sur vous ou sur moi devraient être obligées de détruire ces renseignements au bout d'un certain temps? Pourquoi devraient-elles pouvoir les divulguer un jour? Les raisons qui pourraient le justifier, qui ont trait aux enquêtes sur des crimes et ainsi de suite, sont prévues dans ce projet de loi, mais quel intérêt pourrait-il y avoir de jamais divulguer les renseignements personnels que votre banque ou société de carte de crédit a recueillis sur vous?

Le président: Compte tenu de ce que vous avez dit sur le domaine de la santé, pourquoi un journaliste qui voudrait rédiger votre biographie dans 20 ans devrait-il avoir accès à des renseignements qu'un laboratoire médical privé aurait obtenu sur vous au moyen d'un test? Honnêtement, le meilleur argument a trait aux archives, parce qu'il y a une continuité d'un point de vue historique. Quant aux préoccupations que vous soulevez, cela est couvert dans un autre article du projet de loi.

Le sénateur Murray: C'est un peu trop généreux, mais nous allons nous arrêter là. J'ai d'importantes réserves à ce sujet. Nous allons aborder le sujet avec le commissaire à la protection de la vie privée.

Maître Lawson, vous vous êtes aventuré dans un domaine obscur de la pratique et de la tradition parlementaires, et il reste à déterminer si nous avons affaire à un seul ou à deux projets de loi. Laissons de côté ce que les ministres et d'autres personnes nous ont dit à ce sujet. Vous avez dit qu'en ce qui a trait aux activités commerciales du gouvernement, il y a un lien constitutionnel entre les deux parties du projet de loi. Je ne vais pas vous demander de rentrer dans les détails. Je ne suis pas sûr de bien vous avoir compris, mais laissons cela de côté. Nous aurons le temps d'examiner la question en noir et blanc à une date ultérieure.

Je ne sais pas si votre argument aiderait le gouvernement ou lui nuirait si le caractère constitutionnel de la loi devait être contesté un jour. Quoi qu'il en soit, vous avez avancé une justification constitutionnelle pour quelque chose qui, en termes parlementaires, n'est pas très régulier. Je suis certaine que ceux qui font de leur mieux pour tenter de défendre cette irrégularité n'y avaient pas pensé. Ils vous en sauront gré et se serviront de l'argument. Nous verrons où cela va nous mener.

Dites-moi, à votre avis, quel est le principe de ce projet de loi?

Me Lawson: Le principe de ce projet de loi est d'établir les règles du jeu pour tous ceux qui font du commerce électronique. Il y a des règles qui sont cruciales et absolument essentielles dans ce domaine. Elles sont énoncées dans la Partie 2. La partie 1 est également essentielle. Si nous ne conservions pas la partie 1, nous commettrions une grave erreur, car les règles du jeu ne peuvent fonctionner que si on leur a incorporé la protection de la vie privée.

Le sénateur Murray: La partie 1 s'applique à la collecte des renseignements personnels sous quelque forme que ce soit, que ce soit par des moyens électroniques ou autrement.

Me Lawson: C'est pour cela que je tiens tant à ce que la partie 1 soit rattachée à la partie 2. Nous avons une loi fédérale qui protège les renseignements personnels justement à cause du traitement qui leur est réservé sur l'autoroute de l'information. Ceci est à la base de la compétence du gouvernement fédéral. Les experts en droit constitutionnel vous le diront, il y a très peu d'aspects de la vie privée qui peuvent faire l'objet d'une législation fédérale en dehors de ceux qui sont liés au monde du commerce. Nous avons des renseignements personnels qui partent de chez nous pour aller à Seattle et à Tokyo et retour, en l'espace d'une transaction. C'est ce que le projet de loi vise.

Le sénateur Murray: Les parties 2 à 5, la portion qui s'applique au commerce électronique, visent à permettre aux citoyens de faire des affaires avec le gouvernement fédéral et ses organismes au moyen de solutions électroniques et à faciliter l'utilisation et la reconnaissance des documents électroniques par le système judiciaire de manière générale. Ceci relève forcément de la compétence du gouvernement fédéral. Quelqu'un pourrait-il contester le projet de loi en invoquant les parties 2 à 5?

Me Lawson: Les modifications apportées à la Loi sur la preuve du Canada sont les plus importantes. Elles servent à créer les règles du jeu qui sont établies. Ces modifications vous permettront d'avoir un contrat ou une signature exécutoires auxquels vous pourrez vous fier. Et cela ne se limite pas au secteur fédéral. Ce sont des règles du jeu essentielles. Il est vrai qu'en partie elles s'appliquent directement aux contrats du fédéral, mais ce sont les règles qui sont contenues dans la Partie 2.

Le sénateur Murray: Pensez-vous que si nous avions deux projets de loi, l'un ou l'autre pourrait être plus facilement contesté au titre de la répartition des pouvoirs?

Me Lawson: Si la partie 1 était adoptée seule, elle serait très vulnérable à mon avis. Sa seule raison d'être est de créer un lien avec la création de règles du jeu pour le commerce électronique. Sans ce lien, elle est plutôt faible.

Le sénateur Murray: Personne ne m'avait encore présenté cet argument comme justification. Le gouvernement vous sera reconnaissant de lui avoir fourni cet argument. Je vais demander à M. Tassé de me dire ce qu'il en pense. S'il le confirme, je changerai peut-être d'avis sur la division du projet de loi.

Le sénateur Robertson: Qu'est-ce qui constitue la plus grande menace pour le respect de la vie privée au Canada aujourd'hui à votre avis?

Mme Steeves: Il y en a tellement, c'est une question à laquelle il est difficile de répondre.

Le sénateur Robertson: Les Canadiens se préoccupent beaucoup de la protection de leur vie privée, mais personne n'a l'air de savoir ce qui constitue la plus grande menace pour leur vie privée, et c'est regrettable. Je ne sais pas ce qui menace le plus ma vie privée.

Me Lawson: Si je me souviens bien, M. Phillips avait une excellente réponse à cette question. Je vais la lui attribuer. C'est l'ignorance, surtout l'ignorance dans ce vaste domaine que représente le commerce. C'est par ce biais que j'ai été amené à m'occuper de protection de la vie privée au début. Il n'existe aucune règle pour la grande majorité des activités commerciales qui ont lieu. Il n'y a ni lois, ni règlements pour les régir. Nous pourrions élaborer une immense structure pour diriger et contrôler le secteur privé, mais l'ignorance est vraiment la plus grande menace. Si nous éduquons les gens et les sensibilisons à l'importance du respect de la vie privée, je crois qu'un grand nombre des problèmes auxquels nous faisons fasse disparaîtront. C'est ce qui fait l'intérêt du processus de l'ACNOR. C'est là dessus que je voulais insister.

Le sénateur Robertson: Les Canadiens ne savent tout simplement pas, de manière générale.

Me Lawson: Les Canadiens sont les objets de cette utilisation, mais je veux également parler de l'ignorance, des pratiques et des attitudes déplorables de certaines entreprises qui collectent et utilisent ces renseignements.

Le sénateur Robertson: Nous avons donc un important travail d'éducation à faire.

Me Lawson: Oui.

Le sénateur Robertson: Hier, aucun des témoins qui se sont présentés devant notre comité n'était en faveur du projet de loi. Le sous-ministre m'a donné l'impression qu'il s'attendait à ce que ce projet de loi fasse l'objet de nombreuses modifications au cours des années à venir. Est-il si difficile et nouveau d'élaborer des lois pour régir la protection de la vie privée qu'il faille avancer petit à petit?

Me Lawson: Le processus de l'ACNOR est un modèle utile que le monde entier peut suivre. Il s'agit d'établir des règles à suivre pour les acteurs de l'industrie, qu'ils auront eux-mêmes élaborées en fonction de leurs besoins particuliers. Le secteur de la santé représente un groupe logique et très différent des autres acteurs dans ce domaine, et il est évident que certains aimeraient avoir des règles qui lui seraient spécifiques. Le Code de l'ACNOR représente le minimum et souligne l'importance de pouvoir se réunir avec tous les acteurs de l'industrie pour s'entendre sur certaines modifications.

D'autres pays du monde ont retenu l'idée du code dans leurs lois. Certains permettent même aux divers secteurs de l'industrie d'élaborer leur propre régime et de le faire adopter dans le cadre de la loi qui s'applique à ce secteur particulier. Ce n'est pas ce que nous avons dans notre projet de loi, mais ce serait peut-être une façon de procéder à l'avenir.

Le code de l'Association médicale canadienne semble bien meilleur et répond aux besoins spécifiques de ce secteur. Il n'y a aucune raison pour que ce secteur ne puisse pas continuer à appliquer ses règles sans être gêné le moins du monde par l'annexe 1 de ce projet de loi, qui représente le point de départ de codes similaires.

Le sénateur Robertson: Pensez-vous que nous pourrions rédiger un meilleur projet de loi?

Me Lawson: Bien sûr, mais je ne serais pas en train de recommander l'adoption de ce projet de loi si je pensais qu'il est fondamentalement mauvais. Il est unique et imaginatif. C'est une idée dont je pense depuis longtemps qu'elle pourrait fonctionner et je suis heureux de la voir concrétisée dans une loi.

Mme Steeves: Au lieu de dire «petit à petit», je dirais «secteur par secteur». Nous devons notamment nous pencher sur des problèmes particuliers. Vous nous avez demandé de dire ce qui représente la plus grande menace pour notre vie privée. Je crois que c'est le fait que des renseignements que certaines personnes possèdent sur moi puissent être utilisés contre moins sans même que je le sache. Si on apprend, au moyen de renseignements génétiques à mon sujet, que j'ai une faiblesse cardiaque, on me refusera peut-être un emploi que j'aurai demandé, sans même que je sache pourquoi.

C'est ce genre de discrimination potentielle qui m'inquiète le plus, mais elle peut venir de toutes sortes de renseignements différents. L'information génétique est un domaine dont il nous faudra sérieusement nous occuper au cours des prochaines années, car les possibilités de discrimination sont phénoménales.

Les renseignements sur la santé en général, les activités commerciales, les techniques de vente en ligne, toutes ces choses ont attiré notre attention à cause des pratiques nouvelles dans ces domaines. Il serait logique de s'en occuper en procédant secteur par secteur. Ce serait encore plus logique si l'on avait une loi globale qui stipule que les Canadiens ont droit au respect de leur vie privée et qui définit ce que ce droit implique.

Les choses seraient plus faciles si ce genre de loi était en place, et il faudra travailler dans ce sens. Le projet de loi C-6 représente un pas dans cette direction.

Le sénateur Carstairs: Mon intérêt pour ce projet de loi est très restreint, dans le sens où ce sont les questions liées à la santé qui me préoccupent le plus. Lorsque quelqu'un est malade, on lui fait remplir toutes sortes de formulaires de consentement. Je pense que 99,9 p. 100 des patients ne lisent pas un mot de ces formulaires. Tout ce qu'ils veulent, c'est qu'on soulage leur douleur. Ils veulent l'opération, la chimiothérapie, ou quoi que ce soit dont ils ont besoin.

Les médecins ont exprimé une préoccupation qui m'a fait réfléchir. Ils disent que ce projet de loi ne fixe pas la barre très haut, comme vous l'avez dit tous les deux, mais que c'est un début. Je crois que c'est le président de l'association des dentistes qui a dit qu'il craignait que des membres peu scrupuleux de sa profession ne soient tentés de dire que puisque le projet de loi C-6 ne place pas la barre aussi haut que leur propre code d'éthique, ils n'ont plus besoin de respecter leur propre code et qu'il seront protégés par la loi du pays.

Cela m'inquiète, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Steeves: Ma première réaction, c'est qu'ils ne font pas grand cas de leur code d'éthique pour le moment. L'appui au code de l'AMC n'est pas uniforme. J'ai assisté à des réunions de chercheurs où il a été remis en cause. J'ai parlé à des médecins qui, après avoir enlevé les noms des patients, vendent leurs dossiers à des sociétés pharmaceutiques. Je ne crois donc pas à cet argument.

Le projet de loi C-6 dit que si vous ignorez votre propre code, voilà le strict minimum à respecter, ce qui renforce la position de ceux qui prétendent que nous devrions tout revoir et établir des normes plus strictes pour les renseignements médicaux.

Me Lawson: Le projet de loi C-6 ne vise pas à faire concurrence au code spécifique au secteur que l'AMC a élaboré, et qui est un superbe document. Le projet de loi C-6 couvre l'utilisation à des fins commerciales de renseignements personnels sur des personnes identifiables. Si ce que dit Mme Steeves se fait effectivement, et il faut espérer que ce sont des cas rares, l'adoption de ce projet de loi fera bien comprendre que ce genre d'activité doit cesser, ou du moins être contrôlée. C'est un message assez fort.

Quant au combat dont nous parlions tout à l'heure, le secteur de la santé s'inquiète, mais à mon avis ce n'est pas le bon endroit pour soulever leurs inquiétudes. La raison d'être de ce projet de loi est de couvrir certaines activités spécifiques. Leurs observations sont valables, mais ce projet de loi ne vise pas à élaborer le code parfait pour la protection des renseignements personnels dans le secteur de la santé.

Le sénateur Carstairs: Êtes-vous en train de dire que cette loi vaut mieux que pas de loi du tout, et que nous allons essayer ensuite de l'améliorer?

Me Lawson: Oui.

Mme Steeves: Je crois que c'est l'avis général des défenseurs du droit à la vie privée. J'ai discuté longuement avec des membres de l'AMC et de l'ADC, et c'est là tout le dilemme, même avec la limite de 20 ans dont parle le sénateur Murray. J'admets que le projet de loi n'est pas parfait, mais c'est mieux que rien.

Le sénateur Carstairs: J'aimerais approfondir un peu la question constitutionnelle. J'ai beaucoup de respect pour M. Tassé, mais il n'est quand même pas le seul à avoir une opinion sur ce sujet au pays. Pourriez-vous préciser un peu le lien constitutionnel entre la Partie 1 et la Partie 2?

Me Lawson: C'est ce qui me préoccupe le plus. De fait, lorsque je me suis présenté devant le comité de la Chambre des communes, je leur ai dit qu'il faudrait préciser davantage le lien entre les deux. Cela ne m'inquiète plus autant, mais je crains que la division entre les deux parties ne soit trop visible. Elles ne sont pas très bien raccordées. Toujours est-il que si le caractère constitutionnel de cette loi est contesté, et il le sera certainement, nous dépendrons lourdement de la façon dont la chose sera présentée devant les tribunaux. Nous n'avons aucun moyen de l'empêcher, puisque la disposition sur la protection des renseignements personnels fait partie intégrante de la disposition sur le commerce électronique. Voilà pourquoi elle est là, et je crois que c'est ainsi qu'il faut présenter les choses.

Le sénateur Carstairs: Avez-vous suggéré au comité comment mieux raccorder les deux parties?

Me Lawson: J'ai proposé de préciser dans le préambule que le problème de la protection de la vie privée se pose à cause de l'utilisation de renseignements personnels à des fins commerciales dans le monde électronique, de manière à établir ce lien directement. Il est possible d'établir ce lien car c'est exactement ce qui se passe, mais il n'est pas nécessaire de l'écrire. D'une certaine manière, cela sous-estimerait la capacité des tribunaux à comprendre la teneur de la loi. Ce serait utile, et c'est ainsi que j'avais présenté la chose.

C'est de cela qu'il s'agit. L'aspect protection de la vie privée se trouve dans le projet de loi parce qu'il doit être là, parce qu'il a pour but de bâtir une infrastructure. C'est extrêmement important pour le Canada, et il y a bien longtemps qu'il aurait fallu le faire.

Le président: Madame Steeves, pour répondre à vos questions, vous avez dit plusieurs fois que ce projet de loi vaut mieux que rien du tout. Mais il est important de se rappeler qu'il y a d'autres possibilités également. Je crois que personne ici ne dira le contraire.

Ma question est la suivante: vaut-il mieux avoir ce projet de loi qu'un projet de loi modifié? Et si on le modifie, en quoi faudrait-il le modifier? Je ne vous demande pas forcément de me répondre, mais je trouve que vous avez pris les deux extrêmes dans votre réponse au sénateur Carstairs, et je ne connais personne qui soit partisan de ne rien faire. La vraie question est donc de savoir si on peut améliorer ce projet de loi? Vous voudrez peut-être y penser pendant que nous posons d'autres questions.

Le sénateur Finestone: Diriez-vous que le respect de la vie privée est un droit de la personne?

Mme Steeves: Tout à fait.

Le sénateur Finestone: Je ne vous demande pas s'il est inaliénable, mais vous dites que c'est un droit de la personne. Pensez-vous que l'article 15 de la Constitution canadienne dit que le droit au respect de la vie privée est un droit qui s'applique également à tout le monde? Pensez-vous que les renseignements personnels de tous les Canadiens devraient être protégés en tant que droit au respect de leur vie privée?

Mme Steeves: En vertu de l'article 15, sur l'égalité des droits?

Le sénateur Finestone: Nous étions en train de parler de la Constitution, et c'est une idée qui m'est venue à l'esprit tout d'un coup, nous devrions tous être traités de façon égale. Je présume donc que tous les citoyens du Canada devraient être traités de façon égale.

Mme Steeves: La Charte devrait s'appliquer à tous de manière égale. Si le droit à la vie privée était considéré comme un droit garanti par la Charte, il s'appliquerait également à tous. Cela fait partie de l'article 8 qui prévoit une protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives.

Le sénateur Finestone: Compte tenu du fait que la protection des renseignements personnels fait partie du droit au respect de la vie privée, voyons ce que dit le projet de loi: l'article 7(3) se lit comme suit:

Pour l'application de l'article 4.3 de l'annexe 1, et malgré la note afférente, l'organisation ne peut recueillir de renseignement personnel à l'insu de l'intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants

(iii) qu'elle (la communication) est demandée pour l'application du droit canadien ou provincial.

Les représentants des organisations du secteur des services de santé qui se sont présentés devant notre comité ont été nombreux à craindre que cela ne crée nettement deux niveaux de respect de la vie privée.

Le citoyen qui reçoit des soins dans le secteur public, que ce soit dans un hôpital ou à domicile, ou de n'importe quel type de soins, serait exempté ou exclu de la collecte de tout renseignement personnel. Si vous êtes dans le secteur public, vous n'êtes pas protégé. Vous seriez donc mieux protégé dans le secteur public en vertu de cet article qu'auparavant. Êtes-vous au courant de cet aspect là du projet de loi?

Mme Steeves: J'essaie de le trouver.

Le sénateur Finestone: Je peux vous dire que Mme Sholzberg-Gray était ici. Elle fait partie des nombreuses personnes qui nous ont dit avoir de sérieuses inquiétudes, parce qu'elles desservent à la fois le secteur public et privé. Dans le secteur public vous n'auriez aucune protection, alors que dans le secteur privé, vous feriez l'objet de toutes sortes de préoccupations dont les autres représentants du secteur de la santé ont parlé. Devrions-nous faire quelque chose à ce propos-là?

Mme Steeves: Oui, il faudrait un énoncé de principe général ou un code sectoriel qui s'applique aux renseignements sur la santé et assure une certaine uniformité entre juridictions.

Le sénateur Finestone: Cela ne justifierait-il pas un amendement au projet de loi à votre avis?

Mme Steeves: Je ne crois pas que vous obtiendriez les résultats voulus au moyen du projet de loi C-6.

Le sénateur Finestone: Pensez-vous que nous pourrions modifier la définition d'activité commerciale pour mieux y inclure la santé ou les secteurs professionnels concernés, ainsi que les ONG?

Mme Steeves: À mon avis, il y a un problème d'ordre constitutionnel ou de compétence. Le gouvernement fédéral n'a pas d'autorité directe sur la majeure partie du secteur de la santé. De toute évidence, on tombera dans un domaine de compétence provinciale.

Le sénateur Finestone: Vous avez abordé un grand nombre de questions, maître Lawson. En ce qui concerne la question constitutionnelle, vous avez dit que le projet de loi s'applique au commerce et que celui-ci relève amplement de la compétence du fédéral.

Si les médecins, les dentistes, les psychiatres et les psychologues assurent des soins de santé dans le cadre d'une activité commerciale, certaines de leurs fonctions sont de nature commerciale et d'autres non. Il est très difficile de démêler ou de faire la distinction entre les deux.

Il a été dit très clairement que leurs responsabilités sont du ressort de cette loi et que la définition d'activité commerciale devrait le préciser plus clairement. Cela ne permettrait-il pas de faire mieux comprendre à la population la pleine portée du projet de loi?

Me Lawson: Bien sûr, il serait toujours utile de prévoir dans la loi des directives spécifiques qui pourraient aider des gens comme les médecins. Mais je suis d'accord cependant avec ce que Mme Steeves a dit. Je ne souhaite pas que nous allions jusqu'à suggérer de le faire parce que le gouvernement fédéral peut réglementer les activités commerciales des médecins. Je vous rappelle, encore une fois, qu'il s'agit de commerce électronique.

Le sénateur Murray: Il s'agit de plus que cela, maître Lawson.

Me Lawson: Oui, parce que pour viser l'activité électronique, il faudra viser également l'activité non électronique. La loi a pour objet d'établir les règles du jeu. Si les médecins veulent utiliser des renseignements identifiables sur leurs patients à des fins commerciales, ils devront suivre ces règles. C'est la seule façon de s'y prendre.

J'ai de la sympathie pour les médecins. Ils déplorent le manque de clarté, et on pourrait en discuter. C'est ce que je dirais à propos de l'importante question constitutionnelle.

Le sénateur Murray: Vous savez ce qu'ils veulent faire. Ils veulent annexer leur code au projet de loi et lui donner force de loi dans l'ensemble du secteur des soins de santé. Cela soulève probablement des problèmes d'ordre constitutionnel.

Me Lawson: Comme je l'ai dit, ce n'est pas l'endroit pour tenter de le faire. Je pense que ce doit être la réponse polie à donner aux médecins. Mais pour conclure, il y a de nombreuse questions. Ce projet de loi n'est guère différent de bien d'autres qui suscitent des incertitudes chez les parties intéressées, qui se demandent comment elles vont être touchées. Comme vous le savez très bien, il n'est pas toujours possible de traiter tous ces problèmes par voie législative. Il faut parfois attendre qu'un conflit soit résolu autrement avant de savoir où l'on en est.

Le sénateur Finestone: Il y a un autre problème qui me préoccupe. Lorsque le sous-ministre a comparu hier, j'ai cru comprendre que Santé Canada était intervenu un peu tard. Je ne sais pas si ces témoins avaient examiné suffisamment le projet de loi pour apporter des améliorations à temps. Il a cependant insisté pour que nous utilisions le modèle de l'OCDE. Vous-même avez parler de la perspective de l'Union européenne et des Pays-Bas. Ils n'étaient pas satisfaits de l'importance accordée à la protection de la vie privée, et je sais que ma collègue, le sénateur Carstairs, vous a dit que la barre était à un certain niveau et que rien ne nous empêchait d'utiliser le serment d'Hippocrate.

On impose un grand nombre d'obligations et de codes aux professionnels, qui les acceptent. En Hollande et en Allemagne, on a décidé d'aller plus loin que le modèle européen et de l'OCDE. En 1997, les Pays-Bas ont adopté une loi sur le contrôle médical qui traite de la plupart des sujets qui nous occupent ici.

Vous estimez que nous devrions adopter ce projet de loi et peut-être nous inspirer de ce modèle. Comment pouvons-nous nous assurer que c'est la bonne solution? Devrions-nous proposer un amendement? Vous dites que non. Devrions-nous proposer un report? Vous dites que non. Vous êtes suffisamment sûr de vous pour nous dire d'aller de l'avant et d'apporter des améliorations au fur et à mesure, peut-être dans le cadre de l'examen quinquennal.

Mme Steeves: Ces questions devraient commencer à être abordées dans le cadre du système d'infostructure sur la santé. Nous devons collaborer avec Santé Canada. Le rapport du ministère précise bien que la vie privée est une valeur importante, une valeur qu'il cherchera à renforcer au moyen de consultations avec les provinces, lorsqu'il mettra en place le système d'infostructure sur la santé. Il y aura un processus de consultations. Les failles que je constate dans le rapport peuvent être abordées directement dans le cadre de ce processus.

Il est également évident que les différentes parties en cause dans le secteur de la santé doivent avoir la possibilité de se consulter, de débattre et d'en arriver à une forme de consensus. C'est pourquoi je ne suis pas prête à adopter le projet de loi C-6 tel quel. Il vise l'activité commerciale alors que la question est celle de l'information médicale, mais cela n'empêche pas le processus de se dérouler. Il est en cours. La bataille est déjà bien engagée.

Le sénateur Finestone: On a beaucoup parlé des «fichiers cachés» sur l'Internet et de la façon pas toujours subtile d'obtenir des renseignements sur nous tous. Certains témoins ont essayé de nous assurer qu'ils ont créé un climat de confiance et que, pour cette raison, certains utilisateurs consultent leur site et pas un autre. Ils nous disent de ne pas nous inquiéter, mais ils connaissent les habitudes de consultation et d'achat de chaque utilisateur de l'Internet.

Le sénateur Robertson s'inquiète de ce que les Canadiens savent et ne savent pas.

Au moment de faire une demande d'emploi, on peut vous demander un examen médical afin d'obtenir les prestations de pension. Le dossier médical est remis à l'assureur de la pension. Dans bien des cas, il n'y a pas de mur coupe-feu entre l'assureur ou la compagnie de fiducie et la banque. C'est à ce niveau que se produisent de nombreuses fuites. Personne ne sait qui verra cette information une fois qu'elle est confiée à l'assureur. Si votre agent d'assurance est votre beau-frère, il pourrait voir des renseignements que vous ne souhaitez pas nécessairement qu'il connaisse, en particulier des renseignements d'ordre génétique.

Ce projet de loi peut-il mettre fin au partage de ces renseignements?

Mme Steeves: Oui, si les renseignements sont transmis d'une organisation à l'autre, le projet de loi prévoit que le consentement doit en être donné. Cela me pose un problème, car, pour être franche avec vous, j'estime que la disposition sur le consentement est la grande faiblesse de tout ce mécanisme.

Le sénateur Finestone: C'est exactement ce que je voulais vous demander. Le mot «consentement» est très flou. Rien n'indique qu'il s'agit d'un consentement éclairé, d'un consentement en toute connaissance de cause ou d'un consentement fondé sur une véritable compréhension des renseignements donnés par le médecin ou le pharmacien ou qui leurs sont fournis.

Un candidat à un travail cherche simplement à gagner un salaire hebdomadaire pour un bon travail, mais il ne peut l'obtenir qu'à la suite d'un examen médical dont les résultats sont transmis à l'assureur de la pension. D'une façon ou d'une autre, les renseignements sur l'ADN finissent également par figurer dans le dossier. Certains problèmes génétiques, qui peuvent apparaître au cours de l'examen, peuvent influencer le processus d'embauche. Aucun patron ne va augmenter ses primes d'assurance pour pouvoir engager un employé à risque. Cela présente de nombreuses implications.

Pour qu'il y ait consentement éclairé, il faut savoir ce que cela représente. Il est vital de comprendre ce qu'est l'utilisation secondaire et très important de comprendre ce qu'est l'utilisation tertiaire. Êtes-vous d'accord?

Mme Steeves: Oui.

Le sénateur Finestone: Quels changements devrait-on apporter au projet de loi pour exiger de façon plus rigoureuse un consentement éclairé?

Madame Steeves: Ce projet de loi n'est pas parfait. Il est motivé par une recherche de consensus. Différentes parties ont fait des concessions afin que le projet de loi puisse être déposé. Les réalités politiques sont telles que la question du consentement éclairé n'est pas entrée en ligne de compte.

Le sénateur Finestone: Voilà donc ce qui s'est passé.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Lawson, on vous a demandé ce qui menaçait le plus la vie privée, et vous avez répondu l'ignorance. En vertu de l'article 24 du projet de loi, le commissaire à la protection de la vie privée a pour mandat d'offrir au grand public des programmes d'information destinés à lui faire mieux comprendre les dispositions sur la vie privée du projet de loi.

Vous pensez donc que le public doit être informé, de même que les organisations. Avez-vous des idées ou des opinions sur la façon dont le commissaire pourrait s'y prendre?

Me Lawson: Premièrement, il devrait agir avec autant de force que possible dans les limites budgétaires de son bureau et dans les limites des nouvelles responsabilités de ce bureau.

En réponse à la question du sénateur Finestone, je pensais exactement à la même chose. Si seulement nous pouvions former une population qui connaisse non seulement ses propres droits au moment de fournir des renseignements personnels, mais également son droit de savoir ce que fait l'employeur de ces renseignements. L'employé a le droit de savoir où se trouve son échantillon d'ADN.

La transparence est un élément essentiel. C'est pourquoi elle fait partie des directives de l'OCDE depuis 20 ans. Ces directives ont fait leur preuve. Elles permettent efficacement de répondre à la plupart des craintes des gens. Mais si la population et le monde des affaires ne sont pas informés, nous continuerons d'avoir des problèmes liés à la vie privée.

C'est une idée très simple. Si les gens savent ce qui se passe, ils seront moins souvent en colère à propos d'événements qui se sont déjà produits. Mais s'ils ne savent pas comment les choses se passent, alors, oui, nous continuerons d'avoir ce genre de problèmes dans notre société.

Mme Steeves: Je travaille beaucoup dans le domaine de l'information sur la vie privée. Par exemple, je travaille avec le Réseau éducation - Médias, un des grands sites Internet consacré à l'information sur la vie privée. J'ai préparé un programme global sur ces questions qui va de la maternelle à la 12e année. Le lien entre la citoyenneté -- la participation active au processus démocratique -- et l'aptitude à la pensée critique est extrêmement fort. L'information sur la vie privée doit donc être placée dans ce contexte plus large.

Le droit à la vie privée, tout comme n'importe quel autre droit de la personne, n'est valable que si les citoyens l'exercent et l'apprécient. C'est là le véritable défi de l'information sur la vie privée aujourd'hui. C'est pourquoi je pense que le mandat en matière d'information est un très grand pas en avant. Le commissaire à la protection de la vie privée peut jouer un rôle de chef de file dans ce domaine, ce qui devrait avoir de nombreuses ramifications positives.

Me Lawson: Dans la version anglaise du projet de loi, je suis très heureux de voir le mot «shall» à l'article 24. Le commissaire n'a pas le choix à ce sujet. Il devra faire certaines choses. Je ne dis pas qu'il ne les a pas déjà faites, mais je suis heureux de voir cette formulation, car cela indique clairement quelle est la priorité.

Le président: Je ne suis pas sûr que les témoins aient compris la question que j'ai posée au début. Je vais la poser à nouveau, car j'ai été troublé par votre réponse. Madame Steeves, je crois, a dit que le projet de loi C-6 n'accomplit pas ce qu'il est censé accomplir.

Dans vos remarques préliminaires, madame Steeves, vous avez parlé de la nécessité d'adopter une loi distincte pour les professions de la santé.

Les deux témoins ont reconnu que le projet de loi comporte un certain nombre de problèmes en ce qui concerne le secteur de la santé. C'est d'ailleurs ce que tout le monde nous dit.

Pourtant, lorsqu'on vous a demandé de nous dire si nous devrions adopter le projet de loi ou le modifier, vous avez dit clairement: «Adoptez-le.» Vos autres réponses me laissent à penser que cette première réponse peut être influencée par un certain nombre de choses. Par exemple, vous avez utilisé le cas de l'Ontario de 1978. En réponse au sénateur Carstairs, vous avez dit en fait: «Il vaut mieux ce projet de loi que pas de projet de loi du tout». J'aimerais présenter une proposition précise et vous demander votre réaction, puisque cette proposition a été suggérée hier et que j'ai besoin d'une réponse précise.

Selon cette proposition, le projet de loi ne s'appliquerait pas au secteur de la santé pendant deux ans, après quoi il entrerait automatiquement en vigueur, dans le secteur de la santé, à moins qu'il ne soit remplacé par un meilleur texte de loi. Par conséquent, l'exemple de Ontario de 1978 n'est pas valide, puisqu'il entrera automatiquement en vigueur à moins d'être remplacé par un meilleur texte de loi. Le report de deux ans est en réalité un report d'un an puisque le projet de loi n'entrera en vigueur qu'un an après son adoption. Certaines des craintes que vous avez exprimées -- pas dans votre réponse initiale à ma question, mais par la suite, à d'autres personnes -- peuvent avoir influencé votre réponse initiale.

Quelle est votre réaction à cette proposition précise, qui constitue en fait un amendement?

Mme Steeves: Je n'en vois pas vraiment l'intérêt. Le projet de loi, s'il s'applique après une limite de temps quelconque...

Le président: À moins qu'il ne soit remplacé par un meilleur texte de loi.

Mme Steeves: Ce projet de loi ne s'appliquera qu'à l'activité commerciale. Sur le plan de la compétence, c'est tout ce qui est visé. Sur le plan constitutionnel, tout ce qui est visé, c'est l'activité commerciale en cause lorsqu'il est question de commercialiser les renseignements sur la santé. Je ne vois pas en quoi le fait d'attendre une autre année nous placera dans une meilleure position. Je ne vois pas le lien. Je n'essaie pas d'être obtuse. Je suis simplement franche.

Me Lawson: Je réitère ma suggestion selon laquelle il existe un malentendu en ce qui concerne le secteur de la santé. On semble beaucoup craindre en effet que ce projet de loi soit sa seule chance, mais ce n'est pas le cas. Je crois que c'est un malentendu.

Entre tous les types de renseignements personnels dont il est question ici, je dirais que ceux qui concernent la santé sont certainement les plus sensibles. Les renseignements communiqués à des fins commerciales qui sont associés à une personne identifiable sont les plus sensibles que l'on puisse imaginer. J'aurais beaucoup de difficulté à ignorer cet aspect. C'est pourquoi je dis qu'il ne faut pas exclure le secteur de la santé.

Le président: Je vous remercie tous les deux d'être venus.

Notre dernier témoin aujourd'hui est M. Bruce Phillips, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Soyez le bienvenu. Veuillez commencer.

M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Le Commissaire est un serviteur du Parlement. Je suis un ombudsman. Je relève de vous et vous êtes mes maîtres. Je me trouve donc dans une situation confortable.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les témoignages de madame Steeves et de monsieur Lawson et j'ai essayé de me tenir au courant de ce qu'avaient dit les témoins précédents. Je voudrais dire pour commencer que, depuis le début de mon mandat, il y a près de 10 ans, mon bureau demande constamment l'adoption de droits légaux à la vie privée pour les Canadiens dans le secteur commercial.

Compte tenu des très nombreux opposants à ce projet de loi, je le considère comme un petit miracle. J'implore le comité de laisser se produire ce miracle.

Le projet de loi a été décrit comme un projet de loi sur le commerce électronique, comme un projet de loi partiel et comme un morceau du puzzle. Je pense que toutes ces descriptions rendent un mauvais service à ce texte de loi. Oui, il vise le commerce électronique. Oui, il s'applique seulement à une partie du monde des renseignements personnels dans lequel nous vivons. Oui, c'est une partie du puzzle. Mais si vous regardez la carte du Canada comme un puzzle, je dirais que les plus gros morceaux seraient inclus dans le projet de loi. Il vise le secteur de notre société où se déroule le plus gros des échanges de renseignements personnels, à savoir le secteur commercial. Par conséquent, c'est un texte important. Je n'aime pas qu'il soit réduit en le décrivant comme quelque chose qui n'intéresse que le commerce électronique, même si cela en est peut-être un des effets.

Je ne vais pas parler de ses imperfections. Il y a suffisamment de gens qui peuvent le faire. Je tiens plutôt à en souligner les avantages.

Premièrement, il établit immédiatement des droits légaux à la vie privée sur la gestion d'une énorme quantité de renseignements personnels dans notre pays, c'est-à-dire ce qui relève du Parlement du Canada.

Deuxièmement, il visera immédiatement une bonne partie de l'échange des renseignements personnels à l'intérieur des provinces et entre elles et au-delà des frontières internationales.

Troisièmement, il se pourrait, ou non, qu'il finisse par s'appliquer aux activités qui se déroulent complètement à l'intérieur des provinces. Toutefois, il crée un point de repère très important et motive les provinces à accepter leurs responsabilités et à faire ce qui est absolument nécessaire dans ce pays depuis longtemps, c'est-à-dire faire en sorte que nos concitoyens aient des droits et un certain contrôle à l'égard de leurs renseignements personnels.

En bref, voila ce que je pense de ce projet de loi. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Phillips, le sommaire du projet de loi C-6 ajoute encore à vos responsabilités déjà bien lourdes en prévoyant que vous, à titre de commissaire à la protection de la vie privée, receviez les plaintes relatives au non-respect des principes, de procéder à leur examen et de tenter de parvenir à leur règlement. Il prévoit également que certains différends non résolus peuvent être portés devant la Cour fédérale. De plus vous êtes chargée de la sensibilisation du public.

Bon nombre des gens qui ont comparu devant nous ont dit: «Eh bien, si tout le reste échoue, il nous restera le commissaire à la protection de la vie privée.» Compte tenu de la complexité de ce projet de loi, ainsi que des préoccupations réelles du public au sujet de leur propre vie privée, comme vous l'avez si souvent dit, quelle charge de travail cela va-t-il créer, selon vous? Aurez-vous besoin de personnel et de ressources supplémentaires pour faire face à toutes ces responsabilités?

M. Phillips: Il nous faudra évidemment du personnel supplémentaire. Il s'agit, dans une certaine mesure, d'un organisme dont le travail est motivé par les plaintes. Environ la moitié de nos ressources sont consacrées à l'examen des plaintes. Si le secteur privé suscite un nombre important de plaintes, il nous faudra naturellement d'autres ressources.

Il est impossible de savoir combien d'enquêteurs supplémentaires seront nécessaires avant de connaître la quantité des plaintes.

Des analystes, recrutés surtout parmi d'anciens employés du Conseil du Trésor, effectuent une analyse approfondie de la question des ressources. Ils ont procédé à un examen des services votés pour nos activités, et j'ai le plaisir de vous dire qu'ils ont découvert un organisme très mince. Ils ont préparé une évaluation de ce dont nous aurons besoin pour faire ce travail. Cette évaluation est maintenant entre les mains du ministre de l'Industrie.

On prévoit une augmentation considérable de nos ressources -- pas seulement pour l'examen des plaintes, mais également pour les activités de recherche, d'élaboration des politiques et de sensibilisation, qui, comme l'a dit, je pense, madame Steeves, est probablement à long terme un des aspects les plus importants de ce projet de loi. Je suis d'accord.

La fonction de sensibilisation comporte de nombreux niveaux. Elle est essentiellement ouverte et dépend totalement du financement qui sera accordé à cette fin. Au départ, le travail se situerait à deux niveaux. Premièrement, nous travaillerions avec le secteur privé pour comprendre ses problèmes, pour en savoir plus sur ses processus de gestion de l'information et donner des conseils convaincants sur ce qui devrait être amélioré. Pour cela, il nous faudra beaucoup de temps et de ressources. Nous allons certainement créer plusieurs équipes pour effectuer ce travail d'information. Je sais que le secteur privé sera demandeur.

À l'autre niveau, nous nous consacrerons à la question plus générale de l'éducation du public en général, ce qui doit être envisagé sur le long terme. Cela dépendra complètement du financement que nous obtiendrons.

Le sénateur Finestone: Monsieur Phillips, votre description est très bien, et le mandat est excellent. Vous êtes-vous entretenu avec le ministre pour vous assurer qu'une partie au moins de ces fonds vous seront accordés? Vous avez dit ailleurs que vous évaluez l'augmentation de votre allocation budgétaire à entre 40 et 50 p. 100. Vous a-t-on donné une assurance quelconque? Sinon, quelle est votre opinion de ce projet de loi?

Monsieur Phillips: Je suis responsable devant le Parlement du Canada. Lorsque les discussions sur le financement seront terminées, si j'estime que les fonds sont insuffisants pour que mon bureau s'acquitte convenablement de sa tâche en vertu du projet de loi, j'en rendrai compte directement ici.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Phillips, la plupart des gens estiment que nous appartenons à une génération perdue pour ce qui est du commerce et de la transmission électroniques des données et nos renseignements personnels. L'autre soir, en revenant chez moi après avoir siégé au comité, j'écoutais la CBC. On interviewait un MHA de Terre-Neuve, Fabian Manning. Il parlait du fait que l'on avait reproduit sa carte bancaire. Pendant qu'il était à Terre-Neuve à faire son travail, sa carte bancaire était reproduite à Niagara Falls, en Ontario. L'homme qui est allé à la banque avait tous les renseignements, y compris son numéro d'assurance sociale. Il a demandé une nouvelle carte en disant qu'il était M. Manning et qu'il avait perdu sa carte. Cette personne avait énormément de renseignements sur lui. Le préposé a posé une série de questions pour vérifier s'il avait affaire à la bonne personne. L'homme en question a pu fournir tous ces renseignements et même le numéro d'identification personnelle. Il a pu sortir presque 1 000 dollars des comptes bancaires personnels de M. Manning.

Voilà le genre de situation qui fait peur au gens. Recevez-vous des plaintes d'une personne comme M. Manning ou des choses de ce genre sont-elles portées à votre attention? Avez-vous besoin d'aller à la banque et poser des questions? Toute personne qui entend ce genre d'histoire aimerait bien que quelqu'un soit en mesure d'y mettre fin.

M. Phillips: Non, je n'ai pas besoin d'attendre que quelqu'un dépose une plainte. Si j'estime que le cas est suffisamment grave, nous pouvons déposer une plainte nous-mêmes et entreprendre une enquête.

En ce qui concerne le problème dont vous venez de parler, je ne suis pas sûr que la Loi sur la protection des renseignements personnels elle-même, ou tout autre loi sur ce sujet, soit suffisante. Il y a d'autres éléments en cause. Il s'agit en fait d'une fraude et d'un vol.

Les escrocs trouvent des moyens très ingénieux d'utiliser le système à leur avantage. La Loi sur la protection des renseignements personnels n'est pas une loi d'exécution. Toute bonne loi sur cette question contribuerait à réduire la fraude et l'activité criminelle en rendant l'accès aux renseignements personnels plus difficile. Mais cela ne résoudrait pas le problème.

Le sénateur Oliver: Monsieur Phillips, vous vous rappellerez peut-être que lorsque vous avez comparu devant le Sénat, j'ai posé une série de questions sur la confidentialité des dossiers médicaux. Cela me préoccupe depuis un certain temps, et je sais que cela vous préoccupe également. Vous avez consacré beaucoup de temps à ce sujet.

J'ai lu le rapport annuel du commissaire à la protection de la vie privée. Dans ce rapport, vous parlez de l'importance de protéger la vie privée du patient et de l'importance d'assurer la sécurité des données sur les patients. Malgré ce que vous avez dit au début de votre intervention aujourd'hui sur les avantages du projet de loi C-6, dans quelle mesure pensez-vous que le projet de loi C-6 assure la protection des renseignements médicaux? Je parle plus précisément de la collecte, de l'utilisation et de la communication des renseignements dans un contexte commercial. Vous savez à quel point il est difficile de tracer la limite entre commercial et non commercial en ce qui concerne les dossiers médicaux et de soins de santé.

Il y a également un paragraphe très important à la page 9 de votre rapport. On y pose une question très difficile à laquelle on ne donne pas de réponse. Vous dites que les différences importantes qui existent entre le projet de loi C-6 et la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être conciliées. Par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels actuelle ne permet le recours devant la Cour fédérale que dans les cas de refus d'accès aux dossiers. Il n'y est pas question des plaintes au sujet de la collecte, de l'utilisation ou de la communication des renseignements personnels. Ces aspects sont au coeur de tout code sur la vie privée.

Vous dites ensuite que le projet de loi C-6 permet de porter en appel toutes ces plaintes, mais vous notez que cela est difficilement défendable selon le libellé actuel. Si cela n'est pas défendable, que devrait faire le comité pour résoudre cette difficulté?

M. Phillips: Ce qui n'est pas défendable, c'est une Loi sur la protection des renseignements personnels qui, en supposant l'adoption de ce projet de loi, établira dans le projet de loi C-6 un niveau d'appel plus large pour les Canadiens que cela n'est permis en vertu de la Loi actuelle.

En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels actuelle, il n'est possible de saisir la cour que dans les cas de refus d'accès. Si vous êtes lésé par une communication, une utilisation ou une collecte abusive, vous ne pouvez pas en saisir la cour. C'est ce que prévoit la loi.

Le projet de loi C-6 apporte une amélioration considérable. Si vous n'êtes pas satisfait des processus de recours prévus dans le projet de loi, vous pouvez saisir la cour fédérale de toutes ces questions -- accès, utilisation, collecte et communication.

La Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale devra être modifiée en temps voulu pour rectifier cette lacune.

Le sénateur Oliver: Peut-on le faire en même temps? Cela pose-t-il un problème?

M. Phillips: Nous sommes en train de faire notre propre examen initial interne de la loi. Nous avons d'ailleurs presque terminé. Je pense que nous avons quelque 100 suggestions au moins à présenter au ministère de la Justice, qui les attend pour très bientôt. Nous verrons ce que cela donnera.

Je devrais ajouter que les comités précédents ont déjà abordé ces questions sans que nous n'obtenions satisfaction. Je suis plus optimiste maintenant. Je pense que les modifications appropriées seront apportées à la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale régissant les activités du gouvernement du Canada, simplement du fait que le gouvernement a son propre projet de loi, qui établit une norme plus rigoureuse que celle du secteur privé. Il lui serait difficile de fixer la barre plus bas que celle du secteur privé.

Le sénateur Oliver: La première partie de ma question est pour moi la plus importante. Il s'agit de savoir si le projet de loi C-6 offre ou non une protection en matière de renseignements médicaux. Vous dites que c'est un texte de loi important sur la protection des renseignements personnels, mais j'aimerais que vous nous parliez plus précisément des renseignements médicaux et de leur protection, en particulier de la formulation de l'article 7.

M. Phillips: J'espère que vous me laisserez un peu de latitude car je pourrais m'éloigner quelque peu du sujet.

Cela fait plusieurs jours que j'entends ce débat sur les renseignements médicaux. Je me pose certaines questions. Il existe de nombreux types de renseignements personnels que ce projet de loi se propose de viser. Les renseignements médicaux en font partie de même que les renseignements d'ordre financier et bien d'autres. L'essentiel est finalement de reconnaître que ce qui est sensible et ce qui ne l'est pas ou l'est moins dépend du jugement de la personne à qui ces renseignements se rapportent. C'est là le principe même de la protection de la vie privée. Il est indifférenciable et indissociable de la notion d'individualité, d'autonomie et de dignité personnelle. Certains renseignements que vous pouvez juger hautement sensibles, s'ils m'étaient appliqués, ne le seraient pas du tout pour moi. L'ingrédient essentiel d'une bonne loi sur la protection des renseignements personnels est la reconnaissance de l'élément personnel et du choix personnel.

Par conséquent, nous commençons par poser une hypothèse. Nous réunissons tous les renseignements sur la santé et nous accordons plus ou moins de mérite ou d'importance à leur protection ou nous estimons qu'ils doivent être traités différemment des autres. Bien des gens peuvent penser que leurs renseignements financiers -- en supposant qu'ils sont en très bonne santé et n'ont jamais eu besoin de soins médicaux -- sont beaucoup plus sensibles.

Nous n'excluons pas les renseignements financiers de ce projet de loi. Dans ce cas, pourquoi est-il question de donner une place particulière aux renseignements touchant la santé comme s'ils appartenaient à un monde différent? Il s'agit de renseignements personnels qui ont trait à des personnes identifiables. Ce qui est en cause ici, c'est l'établissement du droit de la personne par rapport à ces renseignements.

Il est normal que des gens qui font les choses de la même façon depuis longtemps dans le domaine des renseignements sur la santé, des renseignements financiers, des rapports de crédit ou de tout autre activité soient quelque peu inquiet d'avoir à changer leur mode de fonctionnement. Oui, ce projet de loi apportera plus de transparence, d'ouverture et de visibilité publique à la collecte des renseignements personnels dans toute notre société, y compris dans une partie du secteur de la santé, si vous voulez utiliser ce terme. C'est l'objet du projet de loi. Lorsque les gens vous disent que cela va leur compliquer la vie, j'ai tendance à répondre que c'est peut-être une bonne chose.

D'ailleurs, lorsque le code de l'Association canadienne de normalisation a été élaboré -- le secteur de la santé y a participé, bien que certains témoins aient dit le contraire, à ce que je crois -- le milieu des affaires l'a salué comme la solution idéale. Nous pouvions tous rentrer chez nous puisqu'il y avait consensus parmi les entreprises, qui ont toutes approuvé, et que nous pouvions nous attendre à ce qu'elles le respectent à la lettre et cesser de nous inquiéter au sujet de notre vie privée.

La sincérité ou la crédibilité de tout cela a été mis à l'épreuve le jour où le gouvernement a proposé le projet de loi C-6 pour aller un peu plus loin, ne serait-ce que pour satisfaire les utilisateurs de données européens qui veulent que notre norme soit plus rigoureuse afin de permettre la libre circulation transatlantique des données. Tout d'un coup, ceux qui s'étaient montrés si enthousiastes au sujet du code de l'ACNOR ont commencé à lui trouver de sérieux défauts. La réponse est simple: il est beaucoup plus facile de critiquer que d'agir. L'action dont nous parlons ici est absolument nécessaire à notre pays.

Madame le sénateur Finestone, je vais essayer de répondre à votre question. Vous avez parlé d'un système à deux niveaux. Oui, il est fort possible que l'adoption de ce projet de loi donne lieu à un norme plus élevée en matière de respect de la vie privée que cela n'existe actuellement dans une partie du secteur de la santé. Si vous l'éliminez, il ne vous restera rien. Il n'y aura rien dans le secteur privé et rien dans le secteur public. Je vous demande ce qui est préférable, viser une partie et pas l'autre ou rien viser du tout. C'est la conclusion de cet argument. Oui, c'est un système à deux niveaux, un qui serait très bien et l'autre qui aurait besoin de quelques modifications. C'est ma réponse pour la question sur les deux niveaux.

Bon nombre des renseignements sur la santé qui suscitent des inquiétudes ne seraient pas du tout touchés par ce projet de loi. J'ai été très impressionné par la déclaration de M. Dodge hier. David Dodge est responsable de l'une des plus grosses collectes de renseignements sur la santé du pays. Il s'occupe de l'échange constant de quantités massives de «renseignements sur la santé» avec des gouvernements provinciaux et d'autres entités. Son témoignage devant le comité mérite d'être souligné. Il a demandé à son propre personnel de travailler à cette question et de lui trouver des exemples où cela se révélera un obstacle à la gestion efficace du système de collecte des renseignements sur la santé. On lui a répondu qu'il n'y en avait pas.

Le sénateur Oliver: L'étude n'est pas encore terminée.

M. Phillips: C'est juste.

Le sénateur Finestone: Il a dit en fait qu'il vérifiait des cas particuliers.

Le président: Le sénateur Oliver a la parole.

Le sénateur Oliver: Je suis satisfait.

Le sénateur Murray: Monsieur Phillips, je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit de positif au sujet de ce projet de loi. Vous nous avez dit que vous voulez que nous laissions se produire le miracle. Je ne connais personne ici qui voudrait le contraire. Les arguments suivants nous ont été présentés par certains témoins -- pas vous, mais d'autres -- et dans des communications par lettre et par courrier électronique: Ce projet de loi est le résultat de négociations hasardeuses. C'est un équilibre délicat. Des compromis ont été faits. La Chambre des communes a adopté les amendements. Le Sénat ne devrait pas s'en mêler.

Je dirais à tous ceux qui pensent ainsi que nous ne voyons pas nos responsabilités sous cet angle. Compte tenu de tout ce que vous et d'autres avez dit de positif, ce que nous croyons en général être vrai à propos du projet de loi, c'est la dernière occasion qui nous est donnée de voir quels sont les problèmes possible du projet de loi, d'en parler et de les corriger. C'est là notre responsabilité. Je n'ai pas besoin de vous le dire. Nous agirons de façon aussi consciencieuse et rapide que possible.

J'ai trois ou quatre questions qui n'ont rien à voir avec la santé. Je vais vous les poser, mais vous avez parlé de la santé avec le sénateur Oliver et le sénateur Finestone. Je respecte et comprend l'opinion que vous avez exprimée à ce sujet, mais j'espère que vous n'êtes pas injuste avec les représentants du secteur de la santé qui ont comparu en parlant de l'aspect peu pratique ou même de l'impossibilité de démêler la nature commerciale et non commerciale de leurs activités.

L'Association médicale canadienne a dit que le projet de loi C-6 permet la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements à l'insu des intéressés et sans leur consentement pour des motifs de rapidité, d'aspect pratique, de bien public, de recherche, d'enquête sur des infractions, d'importance historique et à des fins artistiques, et que le laxisme et l'étendue de ces exclusions tels qu'ils s'appliquent aux renseignements sur la santé sont inacceptables.

Vous pensez peut-être que c'est exagéré, mais l'argument est valable. Il répond à une grave préoccupation de la part d'une importante profession de notre pays. Je pense que nous devons le prendre au sérieux.

M. Phillips: Je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit.

Le sénateur Murray: Ce n'est pas la première fois.

M. Phillips: Laissez-moi ajouter que, dans mon enthousiasme, je ne voudrais pas avoir l'air de manquer de respect envers les témoignages donnés par d'autres personnes. Je ne prétends pas non plus, sénateur Murray, donner des conseils au Sénat sur la nature de ses fonctions.

J'aimerais dire quelques mots à propos du code de l'AMC, dont mon bureau a déjà dit beaucoup de bien à plusieurs reprises. Je pense répéter ce que d'autres témoins ont dit, en particulier M. Steeves, lorsque j'affirme que le projet de loi n'empêche en rien l'AMC d'imposer ses propres normes plus strictes. Après tout, la profession médicale se préoccupait déjà du respect de l'éthique bien avant que des lois soient votées dans notre pays, parce qu'il n'y avait pas de pays. La profession médicale est habituée à l'idée d'un respect rigoureux de normes éthiques. Si l'AMC souhaite imposer des limites à la communication de renseignements sur les patients qui sont plus rigoureuses que celles contenues dans le projet de loi, je dis bravo. Elle a bien raison.

Le sénateur Murray: Sa principale préoccupation a trait aux utilisations secondaires et tertiaires.

M. Phillips: Je le comprends. Je suis sûr que tous les témoins -- et probablement un certain nombre d'entre vous -- ont du mal à comprendre où se situe le problème. Vous avez besoin d'exemples concrets d'échanges, de communications ou de transmissions de renseignements qui seraient entravés par le projet de loi. Je connais ce problème depuis longtemps.

Au cours des discussions qui ont eu lieu avec le conseil consultatif sur l'infostructure de la santé établi par le ministre, M. Rock, nous avons assisté à un certain nombre de réunions avec les personnes chargées de cette exercice. Nous leur avons demandé de nous montrer des exemples de liaisons de données et d'échanges de données et les renseignements personnels qu'ils se proposent de placer sur l'inforoute, l'endroit où ils entrent dans le système et où ils se dirigent. Après quoi, nous pourrons faire des observations raisonnables sur le lien avec le respect de la vie privée. On ne nous a pas encore répondu. J'ai la même difficulté lorsque j'écoute les témoins ou lis leur témoignage. Ils disent qu'ils auront beaucoup de difficulté, mais tant que l'on n'a pas vu le processus de gestion des renseignements lui-même, il est très difficile de se prononcer sur la valeur de ce genre de témoignage.

L'un des grands avantages de ce genre de texte, c'est qu'il permet de faire la lumière sur tout le processus. C'est probablement là, je pense, son plus grand intérêt, car tout le monde sait qu'il existe une norme qu'il faudra respecter, en temps voulu, si l'on a la possibilité raisonnable de le faire. Il faudra alors que les entreprises examinent de plus près leur propre système, non seulement du point de vue des résultats, de l'aspect pratique et de l'efficacité, mais également pour tenir compte de l'obligation qu'elles ont envers leurs clients et les consommateurs. Beaucoup d'entre elles ne l'auront jamais fait auparavant. Il y aura donc une certaine irritation, certains désagréments et certains coûts. La question que je vous pose est la suivante: pensez-vous que les objectifs du projet de loi valent les désagréments et les coûts que les sociétés et les entreprises risquent de subir?

Vous devez déterminer s'il est suffisant que les secteurs de la santé ou des finances ou autre disent qu'ils représentent un cas spécial parce qu'ils traitent des renseignements sensibles -- portant ainsi un jugement, d'ailleurs, sur ce que tous les gens dont les renseignements sont en cause en pensent -- et qu'ils ont besoin d'un traitement particulier. Ce n'est pas un argument qui me paraît très valable.

Madame le sénateur, je vous accorde que le domaine des renseignements sur la santé est fort complexe. Mais presque tous les autres domaines le sont aussi. Ce ne sera pas chose facile ni pour le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée ni pour personne d'autre. Il est déjà assez difficile, en soi, de comprendre la culture des entreprises et leur fonctionnement. Nous, l'organisme de surveillance, aurons beaucoup à apprendre. Il en est de même pour le secteur de la santé et tous les autres.

Le sénateur Murray: Vous avez raison, M. Phillips.

Monsieur le président, j'ai plusieurs questions très courtes et directes.

Monsieur Phillips, on nous a dit hier que les pouvoirs qui sont proposés pour votre bureau dans l'article 12 enfreignent les droits prévus dans la Charte contre les perquisitions et les saisies abusives de même que l'équité procédurale et la justice naturelle. J'espère que le commissaire à la protection de la vie privée, entre tous, aurait pris toutes les précautions voulues pour veiller à ce que les pouvoirs qui sont conférés à son bureau respectent ces droits et ne puissent jamais les enfreindre. Je suppose que vous avez obtenu une opinion juridique.

M. Phillips: Oui. Nos conseillers juridiques estiment que les pouvoirs qui nous sont conférés par le projet de loi n'enfreignent pas la Charte. En ce qui concerne l'exercice des pouvoirs accordés, je dois me fier aux antécédents de mon bureau et je pense qu'ils sont tout à fait probants. Nous faisons très attention. Nous n'avons eu recours aux tribunaux qu'à de très rares occasions pendant toute cette période.

Dans le bureau d'un ombudsman, contrairement à un organisme de réglementation ou un tribunal, le principal est d'aller au fond du problème et d'essayer de trouver une solution raisonnable. Tous mes employés en sont très conscients. Dans le monde des affaires, où l'on a le problème supplémentaire de devoir tenir compte des actionnaires, des résultats et d'autres importantes considérations économiques, nous essayons de ne pas compromettre les affaires ou de les interrompre ou de produire une paralysie quelconque du système informationnel.

Je vais revenir au sujet favori des deux derniers jours, les renseignements sur la santé. Dans ce cas, je convoquerais une petite équipe de spécialistes dans mon bureau et je leur dirais que nous devons rencontrer les intervenants importants du milieu des renseignements sur la santé pour savoir quel est leur problème, comment ils collectent les renseignements, ce qu'ils en font et quelle est la nature de leurs rapports avec leurs clients. Je leur dirais d'examiner tout cela et de voir comment cela se présente. S'il y a des problèmes, essayons de trouver des solutions.

On a parlé ici de consentement, un mot très élastique. Il l'est sans aucun doute, et c'est une bonne chose, surtout si l'on considère les différentes façons de collecter les renseignements. Oui, dans certains cas, il faut donner un consentement pour les utilisations secondaires et tertiaires; sinon le système ne fonctionnerait pas. Je pense à certains cas médicaux et de santé. Lorsqu'une personne entre à l'hôpital, il faut, pour que le traitement soit approprié, obtenir d'elle des renseignements, dont certains seront transmis à d'autres que le médecin ou l'infirmière immédiatement concernés. Aucun patient raisonnable ne va refuser son consentement, bien que certains le fassent -- pour des raisons de conviction religieuse, par exemple. Dans ce cas, le commissaire à la protection de la vie privée ne va pas se précipiter, monsieur le sénateur, et dire: «J'ai ici un projet de loi. Vous avez intérêt à le respecter, sinon vous allez avoir des problèmes.»

Le sénateur Murray: J'allais demander au commissaire ce qu'il pense de l'exclusion des renseignements journalistiques et de la règle des 20 ans en matière de communication, mais d'autres peuvent peut-être poser ces questions.

Le sénateur Wilson: Je suis rassurée de lire dans votre mémoire que vous considérez le droit à la vie privée comme un droit de la personne fondamental et que vous croyez que la vie privée est liée à l'autonomie et à la dignité.

Je remarque également dans votre mémoire que l'on va confier à votre bureau le mandat officiel d'entreprendre des programmes d'information du public. Cela est parfois interprété comme un mandat officiel visant à faire accepter le projet de loi par le public. Je me demande, si vous faites une distinction entre l'information du public et l'acceptation du projet de loi par le public, quelle serait votre stratégie en matière d'information du public. Vous avez déjà dit que cela dépendra de votre financement, mais vous devez bien avoir une stratégie, indépendamment des fonds.

Le projet de loi tel qu'il sera adopté comportera-t-il l'équilibre délicat dont il a été question ici? Comportera-t-il d'autres amendements jugés nécessaires? Travaillerez-vous avec des partenaires du secteur public? En bref, quelle est votre stratégie en matière d'information du public par rapport à l'acceptation par le public?

M. Phillips: Je regrette de ne pas pouvoir vous donner un plan détaillé. En ce qui concerne la première question -- allons-nous informer le public au sujet du projet de loi -- je dirais que cela fait partie de la sensibilisation du public. S'il existe des droits sur la vie privée qu'il ne connaît pas, il est important qu'il soit mis au courant.

Je pense à l'information du public au sens le plus large. Par exemple, je crois qu'il faudrait remédier à l'absence d'éducation sur les droits de la personne dans les écoles élémentaires. Si la nouvelle génération, compte tenu de l'énorme impact de la technologie sur la société à bien des égards, connaissait mieux les rouages d'une société fondée sur la technologie -- tout ce qui concerne les droits de la personne et la dimension éthique -- nous aurions déjà résolu une bonne partie du problème. Nous n'y sommes pas encore.

Je pense que les discussions avec les responsables de l'éducation, qui auront le dernier mot sur les questions de ce genre, font partie de la fonction du commissaire à la protection de la vie privée. Dans la mesure où le bureau est financé pour offrir des programme d'information de masse, comme la publicité et autre, nous consulterons certainement, nous le faisons déjà d'ailleurs, des spécialistes en techniques d'éducation de masse afin de connaître les meilleurs moyens d'utiliser notre argent pour transmettre le message voulu.

Nous n'avons pas encore pris de décisions à ce sujet. Nous n'avons encore aucune idée du financement qui nous sera accordé. Mais toute la question de la diffusion et de la communication des renseignements ferait certainement l'objet d'une approche à plusieurs niveaux.

Le sénateur Finestone: Bienvenue, monsieur Phillips. Nous avons beaucoup de respect pour vous et nous vous souhaitons bon courage pour cette énorme tâche.

J'aimerais aborder deux sujets. Lors de votre comparution devant l'autre comité, vous avez insisté sur la nécessité d'apporter un amendement à l'article 2; il s'agit de la définition d'activité commerciale. Vous avez dit:

«En l'absence d'une définition plus précise d'activité commerciale,

La question de l'activité commerciale touche à aux renseignements sur la santé.»

«[...] quelle partie de tout l'éventail des renseignements relatifs à la santé est couvert par ce projet de loi [...] il subsiste quelques doutes dans nos esprits.»

L'information du public fait maintenant partie de votre mandat. Par conséquent, même ceux qui offrent le service doivent être informés de ce qu'il faut faire si vous pensez, comme vous le dites ici:

«... la définition d'«activité commerciale» devrait être élargie de façon à y englober les associations professionnelles et les organisations sans but lucratif dès lors que leur travail donne lieu à une contrepartie. Par exemple, lorsqu'une organisation caritative achète une liste de donateurs potentiels, s'agit-il d'une activité commerciale, oui ou non? Lorsqu'un avocat rédige un testament contre honoraires, est-ce là une transaction commerciale? Nous-mêmes n'en sommes pas entièrement certains»

Je suppose donc que depuis votre comparution en mars de cette année, vous avez acquis une certitude sur ce que signifie une activité commerciale. Mais je me demande, dans la mesure où vous n'étiez pas sûr alors, si vous aimeriez que l'on redresse tout cela. Il serait très utile que la question soit soulevée et que vous remettiez en cause certaines des aspects relatifs aux renseignements sur la santé. Avez-vous changé d'avis à cet égard?

M. Phillips: Touché, madame le sénateur.

Le sénateur Finestone: J'ai pensé que vous voudriez que cela soit inscrit pour mémoire, monsieur le président.

Je me demande si vous êtes reconnaissant aux rédacteurs du projet de loi. Vous pouvez changer les définitions, mais que voulez-vous de nous?

M. Phillips: Ils y ont travaillé, comme vous pouvez le voir, car il s'agissait d'un amendement mineur à l'article sur l'activité commerciale.

Le sénateur Finestone: Je n'ai pas remarqué. Je ne pense pas.

M. Phillips: Oui, il y en a un. Je ne pense pas qu'il ait apporté beaucoup.

Le sénateur Finestone: Je suis bien contente de poser ces questions.

M. Phillips: À la réflexion, madame le sénateur, nous sommes confrontés au problème suivant: Pour essayer de définir ce qu'est une activité commerciale de façon suffisamment précise, il faudrait probablement plus de pages que mon livret d'information ne peut en contenir. Pour ce faire, il faudrait se mouiller les pieds, ce que fait souvent l'ombudsman. Vous devez examiner la transaction en cause, en connaître tous les détails et obtenir un avis juridique compétent, puis avoir une discussion.

Je me rends compte à quel point ma réponse est peu satisfaisante, mais c'est la meilleure que je puisse offrir.

Le sénateur Finestone: Compte tenu de cette réponse peu satisfaisante et de ma curiosité, pensez-vous que si l'on vous consultait un peu et si vous collaboriez avec le comité chargé de la question dans le cadre du groupe FPT, et le ministère de la Santé, vous pourriez en arriver à une solution?

On pourrait l'intégrer aux règlements que nous pourrions vouloir examiner, monsieur le président, et qui donneraient aux secteurs une indication sur les personnes qui doivent être visées. Pensez-vous que ce soit une bonne idée?

M. Phillips: Je prends note de votre conseil et j'y donnerai suite.

Je vais être franc avec vous. Ce n'est pas un sujet auquel nous nous attaquons à l'exclusion de tous les autres problèmes. Disons que nous avons autre chose à faire et que nous n'avons pas encore eu le temps de nous en occuper.

Le sénateur Finestone: Je sais que le sous-ministre, M. Dodge, a noté qu'il s'agissait d'une question très difficile. Nous devons reconnaître le courage du ministre d'aller de l'avant. Cela ne veut pas dire que le ministre de la Santé n'avait pas à contribuer. Je suppose qu'avec les changements de sous-ministres et tout le reste, certaines choses ont été oubliées. J'espère que vous serez consulté par ce groupe de travail FPT qui travaille à la question des renseignements sur la santé. Voulez-vous en prendre note?

Qu'en dites-vous, monsieur Foran?

M. Brian Foran, directeur, Gestion et évaluation des questions, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Je ne sais pas si nous pouvons le faire maintenant, mais allons certainement y penser.

Le sénateur Finestone: En réalité, ce qui me préoccupe, ce n'est pas tant la définition, dont nous avons déjà parlé, mais la question du consentement. J'ai entendu ce que vous venez de dire à ce sujet. Malgré votre opinion généreuse et franche -- et je conviens qu'il est important d'accepter ce projet de loi -- je ne crois pas que nous devions accepter certaines des erreurs qu'il contient. Je crois qu'en ce qui concerne le consentement, il faut incorporer une forme ou une autre de consentement éclairé; pas simplement un consentement par effet de retombée, ni un consentement indirect, mais un consentement fondamental, de manière à pouvoir prendre une décision éclairée.

Il va sans dire que si vous êtes malade, que vous allez chez votre médecin et qu'il vous remet une ordonnance, vous achetez les médicaments. Il n'y a pas de problème. Mais lorsque j'entends ce que l'on fait avec ces renseignements, il est absolument essentiel d'avoir des renseignements anonymes et non identifiables pour amener les changements nécessaires au système des soins de santé. Cela ne fait aucun doute. Il faut connaître les tenants et les aboutissants pour savoir où les problèmes se situent.

Je crois fermement que le consentement éclairé est nécessaire. Ne pensez-vous pas que l'on devrait ajouter le mot «éclairé»?

M. Phillips: Quant à moi, un consentement qui n'est pas «éclairé» n'est pas un consentement.

Le sénateur Finestone: Vous parlez de la définition du dictionnaire.

M. Phillips: Je ne veux pas avoir une dispute sémantique avec vous, car je perdrais. Je suis d'accord avec vous que pour qu'un consentement soit valable, il doit être éclairé.

Le sénateur Finestone: Nous pourrions accepter le texte sans amendement, en prenant pour hypothèse que le consentement est éclairé?

M. Phillips: Je vais m'abstenir de donner ce genre de conseil au comité.

Le sénateur Callbeck: M. Phillips, estimez-vous que ce projet de loi manque de cohérence? Il est dit à l'article 5(2) du projet de loi C-6 que l'emploi du conditionnel dans l'annexe 1 indique une recommandation et non une obligation. L'article 11(1) se lit comme suit: «Tout intéressé peut déposer auprès du commissaire une plainte contre une organisation qui omet de mettre en oeuvre une recommandation énoncée dans l'annexe 1.» En vertu de l'article 18(1), le commissaire à la protection de la vie privée peut procéder à la vérification des pratiques de l'organisation en matière de gestion des renseignements personnels s'il a des motifs raisonnables de croire que celle-ci n'a pas mis en oeuvre une recommandation. L'article 5(2) énonce que «Il s'agit de recommandations et non d'obligations.» Pourtant, en vertu des autres articles, les organisations sont responsables de mettre en oeuvre les recommandations.

M. Phillips: Il est important de se rappeler que le code de l'ACNOR a été rédigé à une époque où les rédacteurs eux-mêmes n'envisageaient pas qu'il soit incorporé à une loi de ce genre.

Le président: Ils n'envisageaient pas qu'il puisse être vraiment appliqué.

M. Phillips: C'est vous qui le dites, mais je ne suis pas en désaccord. Il serait juste de dire qu'ils tenaient compte de choses absolument nécessaires, et il y avait là des choses que, sur le plan des «pratiques exemplaires», il fallait faire. Le code de l'ACNOR est un document verbeux de ce point de vue. C'est ce genre de texte. C'est pourquoi il ressort dans un texte de loi car le style en est inhabituel.

En ce qui concerne les prescriptions conditionnelles et impératives, le projet de loi précise d'une part ce qui, aux fins de la loi, doit être fait et d'autre part, ce qu'il serait bon de faire, mais pour lequel vous ne serez pas traîné devant les tribunaux si vous ne le faites pas.

Les rédacteurs devaient établir cette distinction, compte tenu de la façon dont le code a été rédigé. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Callbeck: Vous ne voyez donc pas là une incohérence? C'est-à-dire que le projet de loi est clair en ce qui a tait aux obligations. Lorsqu'il s'agit de recommandations, les organisations ne seront pas tenues responsables?

M. Phillips: Nous ferons ce que le projet de loi nous dit de faire. Lorsqu'il dit «doit», c'est doit; lorsqu'il dit «peut», c'est peut; lorsqu'une certaine latitude est autorisée, elle le sera.

Si tout devait être obligatoire et si tout devait être soit recommandé soit discrétionnaire, ce serait une chose. Mais le projet de loi n'est pas conçu de cette façon.

Le sénateur Finestone: Vous n'êtes pas la police.

M. Phillips: Non. Pour moi, ce n'est pas un problème. Vous pensez peut-être qu'il existe a une meilleure solution, mais je ne vois pas de difficulté à l'accepter tel quel.

Le sénateur Carstairs: Monsieur Phillips, vous avez dit qu'il ne faut pas penser en terme de hiérarchie. Vous avez dit que pour certains, leurs renseignements financiers sont tout aussi importants -- ou même plus importants -- que leurs renseignements sur la santé. Mais je pense que si vous faisiez un sondage auprès des Canadiens pour leur demander de classer les sujets qui les préoccupent le plus dans le domaine de la vie privée, la santé viendrait avant les renseignements commerciaux, peut-être parce qu'ils ne comprennent pas très bien les répercussions que les renseignements commerciaux peuvent avoir sur leur vie quotidienne, mais ils comprennent très bien les répercussions que peut avoir la divulgation des renseignements touchant leur état de santé. Êtes-vous d'accord ou non?

M. Phillips: Je ne suis pas en désaccord, non.

Le sénateur Carstairs: Vous avez dit que vous vouliez réunir les principaux intervenants. Vous avez précisé que vous vouliez identifier les intervenants du secteur de la santé. Une des questions soulevée par le docteur et sénateur Keon -- une seule et même personne -- est qu'il craint, à titre de médecin, que si les gens estiment que leurs renseignements ne sont pas suffisamment protégés, ils n'auront plus confiance dans leur médecin et ne lui fourniront plus les renseignements dont il a besoin pour donner les soins de qualité dont ses patients ont besoin. C'est également ce qui me préoccupe depuis le début, à savoir que si le projet de loi et son adoption affaiblissent d'une façon quelconque la relation entre le patient et son médecin, il faut alors renforcer le projet de loi pour que cela ne se produise pas. Mais, de toute évidence, vous ne partagez pas ce point de vue.

M. Phillips: Si je croyais qu'il affaiblissait le système, je partagerais votre préoccupation. Mais je ne suis pas de cet avis. Je ne vois pas en quoi l'adoption d'une norme relative aux droits légaux à la vie privée dans le droit canadien, là où il n'existe rien pour le moment, puisse empirer la situation. Je ne peux pas imaginer que ce soit pire que maintenant. Quelqu'un a cité un avocat hypothétique qui a dit: «Puisque c'est la norme et qu'elle est inférieure à notre propre norme d'éthique, je n'ai pas à m'en occuper». J'espère n'avoir jamais à confier mes affaires à un avocat de ce genre.

Le président: Vous êtes donc très clair. Hier, le représentant de l'Association dentaire canadienne a dit exactement la même chose. Il estimait que si le projet de loi C-6 proposait une norme inférieure à celle de l'Association dentaire canadienne -- ce qu'il pense être vrai -- certains de ses collègues adopteraient la norme inférieure et négligeraient la norme professionnelle.

Je ne veux pas argumenter. Ce n'est pas une question que nous avons soulevée. Ce sont les professions elles-mêmes qui y ont pensé.

M. Phillips: Je sais déjà ce que je vais dire à ce sujet. Lorsque le porte-parole d'une association professionnelle dit que ses propres collègues choisiraient délibérément, en toute connaissance de cause, de traiter leurs patients avec moins de respect que ne l'exige leur propre code d'éthique, je ne sais vraiment pas quoi dire. Je suppose que je prendrai un dentiste à Ogdensburg. Voilà ma réponse. C'est comme si l'on disait que s'il suffit de 50 p. 100 pour réussir à l'examen, il n'est pas nécessaire de faire mieux. Mais quelqu'un pourrait vouloir obtenir 100 p. 100 pour obtenir une bourse et un meilleur emploi, devenir une meilleure personne et un meilleur dentiste. Ce genre de déclaration me laisse stupéfait. C'est tout ce que je peux dire.

Le sénateur Carstairs: Cela dit, je suis stupéfaite aussi. Mais quelqu'un l'a dit. Je voulais avoir votre réaction.

Selon moi, le problème est que le rapport médecin-patient -- encore plus que le rapport patient-dentiste -- est largement fondé sur une confiance sacrée. Cette confiance sacrée ne doit pas être affaiblie. Je suis heureuse de constater que vous ne croyez pas que le projet de loi l'affaiblisse. Voilà tout ce que j'avais à dire.

Le sénateur Murray: Je sais que monsieur Phillips a préconisé, il y a déjà neuf ou dix ans, d'intégrer un droit à la vie privée dans la Charte des droits. Ma question est la suivante: si ce droit existait, aurait-il été nécessaire d'exclure les renseignements personnels collectés à des fins journalistiques, artistiques et littéraires dans ce projet de loi?

M. Phillips: Il aurait pu être encore utile d'exclure les journalistes. Je ne sais pas.

Le sénateur Murray: Mais vous estimez qu'un droit à la vie privée devrait être intégré à la Charte, tout comme les autres droits, y compris le droit à la liberté d'expression? Est-ce exact?

M. Phillips: C'est exact.

Le sénateur Murray: Passons maintenant à ce que j'appelle la règle des 20 ans. Je vous invite à justifier pour nous la disposition du projet de loi selon laquelle les renseignements personnels collectés à des fins commerciales peuvent être communiqués légalement 20 ans après le décès de la personne qu'ils concernent. Justifiez cela pour nous.

M. Phillips: Je n'essaierai pas. Cette disposition est la même que celle qui existe déjà dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle a été rédigée par des gens qui croient évidemment que les droits expirent à la tombe.

Le sénateur Murray: Un avocat nous l'a dit aujourd'hui.

M. Phillips: Dans ce cas, si c'est un principe accepté en droit, je pense que c'est un principe malheureux. J'ai un avis différent. Mon expérience à titre de commissaire à la protection de la vie privée m'a montré que beaucoup de gens sont très préoccupés par les renseignements personnels qui restent après leur décès et par ce qui en est fait. Il n'y a qu'à voir toutes les mesures que prennent bien des gens pour assurer la sécurité et l'inviolabilité de leurs documents personnels après leur décès. À mon avis, le fait de supposer que les gens perdent le droit à la vie privée simplement parce qu'ils sont morts n'est pas acceptable.

Cet argument, comme nous le savons tous les deux, est soulevé dans un autre contexte. La Loi sur la protection des renseignements personnels énonce que 20 ans après votre décès, les renseignements personnels ne sont plus confidentiels.

Le sénateur Murray: Il n'y a aucune raison d'appliquer ce principe au secteur commercial comme le fait le projet de loi, n'est-ce-pas?

M. Phillips: Je n'établis pas de distinction entre les différents types de renseignements. C'est ce que le propriétaire en pense qui compte, monsieur le sénateur. Vous avez raison. La question est de savoir pourquoi.

Le président: Monsieur Phillips, merci. Comme d'habitude, votre témoignage nous a été très utile.

Chers collègues, nous nous réunirons demain à 11 heures.

La séance est levée.


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