Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 6 - Les deuxième et troisième rapports du comité
Le LUNDI 6 décembre 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de déposer son
DEUXIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été déféré la teneur du Projet de loi C-6, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois, conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 24 novembre que la teneur du projet de loi soit rapporté en deux volets: le premier sur la Partie 1 et le deuxième sur les Parties 2 à 5, a étudié ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport, sur la Partie 1, comme il suit:
Contexte
Au cours de ses audiences sur le projet de loi C-6, Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, le Comité a entendu des commentaires positifs sur la partie 1 du projet de loi, qui vise à protéger les particuliers relativement à la collecte, à l'utilisation et à la communication par des organismes des renseignements personnels à leur sujet dans le cadre d'activités commerciales. Nombreux sont ceux qui ont affirmé que cette mesure législative était attendue depuis longtemps et ont demandé à ce qu'elle soit adoptée sans délai. D'autres par contre ont exprimé de graves réserves concernant l'application du projet de loi aux renseignements personnels sur la santé. Ainsi, les témoins du secteur de la santé s'opposent unanimement au projet de loi C-6 dans sa forme actuelle. Ils reprochent particulièrement au projet de loi de manquer de clarté et de ne pas être suffisamment bien adapté pour pouvoir s'appliquer aux renseignements sur la santé.
Le Comité reconnaît que le projet de loi est une mesure législative innovatrice qui bouscule l'ordre des choses au niveau fédéral. L'intégration en annexe du Code type de la CSA sur la protection des renseignements personnels (Code type de la CSA) donne au projet de loi une structure unique. Le Comité s'est fait dire que l'élaboration du Code type de la CSA a nécessité cinq ans d'intenses négociations entre un ensemble largement représentatif d'intervenants, notamment des associations industrielles, des membres du gouvernement, des commissaires à la protection de la vie privée et des associations de protection du consommateur. Bien que l'élaboration du Code ait donné lieu à de vastes consultations, il semblerait, à la lumière des témoignages recueillis, que les groupes représentant le secteur de la santé n'ont pas vraiment eu leur mot à dire.
Un certain nombre de témoins opposés à l'application du projet de loi aux renseignements sur la santé soutiennent que la meilleure façon de protéger ces renseignements consisterait à adopter une loi précisément à cette fin. Ils font valoir que certaines provinces ont adopté des lois à cet effet, qui sont plus explicites que le projet de loi C-6.
L'Association canadienne des soins de santé, qui représente différents établissements et organismes de soins de santé, a demandé que l'on soustraie les renseignements personnels sur la santé à l'application du projet de loi et que l'on élabore une loi expressément destinée à protéger la confidentialité de ces renseignements. Ce groupe est d'avis qu'il faut parvenir à concilier la protection des renseignements sur la santé et l'amélioration de la santé des individus et de la société. Pour être efficace, un système de soins de santé doit pouvoir mesurer la qualité des soins dispensés et leurs résultats. Or, toujours selon ces mêmes témoins, les contraintes imposées par le projet de loi C-6 peuvent faire obstacle à cette démarche. À leur avis, le fait de suspendre l'application du projet de loi C-6 laisserait aux intervenants du système de soins de santé le temps nécessaire pour participer à l'élaboration d'une mesure législative adaptée.
L'Association dentaire canadienne (ADC) a des préoccupations différentes. Elle estime que le projet de loi C-6 ne réussira pas à protéger les Canadiens contre l'utilisation abusive de renseignements sur la santé par des utilisateurs secondaires ou tertiaires. Elle soutient que la norme applicable au consentement donné à l'égard de la collecte, de l'utilisation ou de la communication de renseignements personnels sur la santé doit être l'obtention du consentement éclairé du patient; le simple fait d'exiger que le patient soit informé de la collecte, de l'utilisation ou de la communication est insuffisant compte tenu de la nature délicate de ces renseignements. L'ADC affirme que les lacunes du Code de la CSA à cet égard s'expliquent par le fait qu'une bonne partie de son libellé a été établi sans que les fournisseurs de soins de santé primaires soient consultés. Elle recommande que le projet de loi C-6 soit adopté avec les amendements proposés, qui visent précisément à protéger les dossiers médicaux. L'ADC souligne par ailleurs que rien ne garantit que les provinces légiféreront à leur tour pour protéger adéquatement les renseignements sur la santé, si elles n'y sont pas encouragées par l'entrée en vigueur d'un rigoureux projet de loi C-6 modifié.
L'Association médicale canadienne (AMC) et le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) ont également déclaré que le projet de loi C-6 ne convenait pas pour les dossiers de santé. À leur avis, le projet de loi ne tient pas compte du fait que les renseignements en matière de santé doivent bénéficier d'une plus grande protection que les autres types de renseignements parce qu'ils sont de nature sensible et très privée et qu'ils risquent d'être utilisés à mauvais escient par des parties secondaires ou tertiaires. Ils ont insisté en particulier sur la nécessité de prévoir des dispositions plus appropriées pour le consentement et les utilisations secondaires. L'AMC a proposé d'importantes modifications, dont l'adjonction en annexe du Code de protection des renseignements personnels sur la santé de l'AMC. Le CMFC préconise l'élaboration d'une mesure législative nationale de sécurité et de protection des renseignements personnels sur la santé.
La question de savoir s'il faudrait ou non retarder l'adoption du projet de loi jusqu'à ce que des amendements aient été présentés pour régler les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels sur la santé a été longuement débattue. Certains témoins, dont l'AMC et l'ADC, estimaient qu'il fallait retarder l'adoption du projet de loi jusqu'à ce qu'il ait été modifié. Le ministre fédéral de la Santé s'est dit généralement en faveur du projet de loi, précisant toutefois que des consultations avec les provinces et avec le secteur de la santé pourraient amener certains amendements avant même que le projet de loi soit promulgué. Il a souligné que le gouvernement fédéral travaillait déjà avec les ministres de la santé des provinces et des territoires à l'harmonisation de la protection des renseignements personnels sur la santé et à l'établissement de définitions et de principes communs.
Le Commissaire fédéral à la protection de la vie privée et les deux spécialistes de la protection de la vie privée qui ont comparu devant le Comité n'ont pas appuyé la proposition de certains témoins du secteur de la santé de retarder l'adoption du projet de loi C-6 et de prévoir, dans le projet de loi, des protections spéciales pour les renseignements sur la santé. Selon ces témoins, le projet de loi établit les protections de base auxquelles les Canadiens s'attendent en général et n'empêche aucunement les provinces d'adopter, comme elles sont habilitées à le faire, des normes de protection de la vie privée plus strictes pour le secteur de la santé. Une spécialiste de la protection de la vie privée, Mme Valerie Steeves, a déclaré qu'il fallait, aux fins de la protection des renseignements personnels, adopter une loi-cadre énonçant des principes généraux et des mesures législatives précises portant sur des préoccupations et des questions sectorielles.
Observations et recommandations
Les observations et les recommandations du Comité reposent sur la prémisse selon laquelle il faut protéger le plus possible la confidentialité des renseignements personnels touchant la santé. Des témoins ont souligné que l'information en matière de santé est de nature privée et délicate et qu'elle risque d'être utilisée à mauvais escient. Le Comité partage cet avis.
Le Comité craint que les exigences prévues par le projet de loi C-6 en ce qui concerne la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels ne soient pas suffisantes pour protéger adéquatement les renseignements en matière de santé. Il est regrettable que le Code de l'Association canadienne de normalisation qui figure à l'annexe 1 et qui fait partie du projet de loi n'ait pas été élaboré avec la pleine participation du secteur de la santé. Le Comité estime qu'il faudrait prévoir des dispositions plus précises concernant, par exemple, le consentement éclairé et l'utilisation secondaire des renseignements personnels sur la santé. Le Comité reconnaît néanmoins que le projet de loi C-6, comme point de départ et norme minimale, constitue une base adéquate pour établir des normes juridiques minimales pour la protection des renseignements personnels des Canadiens au niveau commercial. D'autres mesures législatives applicables aux renseignements sur la santé sont manifestement souhaitables.
Le Comité a constaté une grande incertitude au sujet de la portée de la partie 1 pour ce qui est de son application à la collecte, à l'utilisation et à la communication de renseignements personnels «dans le cadre d'activités commerciales», surtout dans le secteur de la santé. Le Comité note que l'activité commerciale est définie d'après l'activité même d'une organisation et non d'après la nature de l'organisation et que c'est donc l'activité d'une organisation qui déterminera si les renseignements personnels sont protégés par le projet de loi. Ainsi, un médecin ayant recueilli des renseignements personnels auprès d'un patient dans le but de diagnostiquer la maladie du patient ne serait pas assujetti au projet de loi. Cependant, s'il voulait divulguer ces renseignements à une tierce partie contre certains avantages économiques, il devrait obtenir le consentement du patient.
Dans ces cas, il ne devrait pas être difficile d'établir si les renseignements personnels sont vraiment utilisés «dans le cadre d'activités commerciales». Cependant, le Comité croit que les choses ne seront pas claires dans de nombreux cas. Les mots «dans le cadre» sont vagues, et l'importance du rapport nécessaire entre la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels par une organisation, d'une part, et ses activités commerciales, d'autre part, pour que la partie 1 s'applique n'est pas connue. L'incertitude quant à la portée de la partie 1 risque de poser, pour le fonctionnement et l'application du projet de loi, des difficultés pratiques qu'il faudra éventuellement régler cas par cas ou pour lesquelles il faudra peut-être recourir à une interprétation judiciaire.
Le Comité déplore qu'on ne sache pas très bien dans quelle mesure les hôpitaux, les médecins, les établissements de soins de longue durée, les services de santé publique, les agences de soins à domicile, les organismes d'appui comme les pharmacies d'hôpital, et les laboratoires médicaux seraient visés par la partie I du projet de loi. Certains pensent que le projet de loi C-6 ne permettrait pas l'utilisation de renseignements personnels à des fins de planification, de fourniture et d'administration des soins de santé sans le consentement éclairé de l'intéressé. S'il entrave la circulation d'information entre les différents niveaux de soins au Canada, le projet de loi C-6 empêchera le secteur de la santé de bien cerner les besoins de la population dans ce domaine, de planifier les services voulus et d'intercepter l'usage abusif des ressources.
En écoutant les témoins du secteur de la santé, le Comité a été frappé par le manque généralisé d'appuis au projet de loi dans sa forme actuelle. Manifestement, la communauté des professionnels de la santé ne fait pas partie du vaste consensus en faveur du projet de loi, pas plus que celle-ci ne s'entend sur une solution acceptable. Il existe donc une grande incertitude, qu'il faut clarifier, au sujet de l'application du projet de loi aux renseignements personnels sur la santé.
La nature du consentement exigé pour la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels sur la santé est un problème particulièrement épineux pour le Comité. On peut aussi s'interroger sur le bien-fondé d'adopter le Code de la CSA comme norme de référence pour le secteur de la santé, alors qu'il aurait été élaboré sans la participation de ce secteur.
Le Comité est d'avis qu'il faut prendre des mesures pour dissiper ces incertitudes. Le ministre de l'Industrie a indiqué qu'il ne comptait pas que la partie I entrera en vigueur avant un an suivant la sanction royale. Le Comité est d'avis que la façon la moins dommageable de remédier aux ambiguïtés entourant l'application de la partie I du projet de loi serait de soustraire les renseignements personnels sur la santé à l'application de la partie I pour une période d'un an suivant l'entrée en vigueur du projet de loi. Cela donnera un total de deux ans pour aplanir une bonne partie des difficultés par des consultations entre le gouvernement et les intéressés. Le Comité pense qu'une échéance ferme incitera les intéressés et les gouvernements à formuler une solution appropriée à la protection des renseignements personnels sur la santé.
Par conséquent, le Comité recommande ce qui suit:
Recommandation
Que le projet de loi C-6, à l'article 2, à la page 3, soit modifié par adjonction, après la ligne 15, de ce qui suit :
«renseignement personnel sur la santé» En ce qui concerne un individu vivant ou décédé:
tout renseignement ayant trait à sa santé physique ou mentale;
tout renseignement relatif aux services de santé fournis à celui-ci;
tout renseignement relatif aux dons de parties du corps ou de substances corporelles faits par lui, ou tout renseignement provenant des résultats de tests ou d'examens effectués sur une partie du corps ou une substance corporelle de celui-ci;
tout renseignement recueilli dans le cadre de la prestation de services de santé à celui-ci;
tout renseignement recueilli fortuitement lors de la prestation de services de santé à celui-ci. ».
2. Que le projet de loi C-6, à l'article 30, soit modifié, à la page 23,
a) par adjonction, après la ligne 4, de ce qui suit:
«(1.1) La présente partie ne s'applique pas à une organisation à l'égard des renseignements personnels sur la santé qu'elle recueille, utilise ou communique.»;
b) par adjonction, après la ligne 7, de ce qui suit :
«(2.1) Le paragraphe (1.1) cesse d'avoir effet un an après l'entrée en vigueur du présent article.».
A été jointe en annexe au présent rapport la liste de témoins ayant comparu devant le Comité sur la teneur du Projet de loi C-6.
Respectueusement soumis,
Le LUNDI 6 décembre 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de déposer son
TROISIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été déféré la teneur du Projet de loi C-6, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois, conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 24 novembre que la teneur du projet de loi soit rapporté en deux volets: le premier sur la Partie 1 et le deuxième sur les Parties 2 à 5, a étudié ladite teneur du projet de loi en fait maintenant rapport, sur la Partie 2-5, comme il suit:
Les témoins qui ont comparu devant le comité se sont arrêtés surtout sur la partie I du projet de loi C-6, si bien que peu de commentaires ont été formulés sur les parties 2 à 5. Ils souhaitent toutefois que tous les intéressés soient consultés lorsque seront élaborés les règlements d'application de la partie 2 concernant les signatures électroniques sécurisées.
Le comité n'a pas reçu suffisamment de témoignages sur les parties 2 à 5 du projet de loi pour faire des observations à propos des dispositions qu'elles renferment. Il fait remarquer néanmoins que ces parties du projet de loi semblent bien accueillies en général.
A été jointe en annexe au présent rapport la liste de témoins ayant comparu devant le Comité sur la teneur du Projet de loi C-6
Respectueusement soumis,
Le président,
MICHAEL KIRBY
Annexe 1 - Liste de témoins
L'honorable John Manley. c.p., député, ministre de l'Industrie
Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée
David A. Dodge, sous-ministre, Santé Canada
Hauts fonctionnaires d'Industrie Canada
Hauts fonctionnaires de Santé Canada
Hauts fonctionnaires de Justice Canada
Organisations:
AOL Canada
Association canadienne de la technologie de l'information (ACTI)
Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc.
Association canadienne des soins de santé
Association canadienne du marketing
Association dentaire canadienne
Association des banquiers canadiens
Association des pharmaciens du Canada
Association médicale canadienne
British Columbia Civil Liberties Association
British Columbia Freedom of Information Association
Bureau d'assurance du Canada et Association des assureurs canadiens
Centre pour la promotion de l'intérêt public
Coalition canadienne de la santé
Coalition canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc.
Collège des médecins de famille du Canada
Equifax Canada
IMS Health
Microsoft
Ministère de la Santé de l'Ontario
Ontario Association of Medical Laboratories
À titre individuel:
Valerie Steeves
Ian Lawson
Roger Tassé