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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 2 mars 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner l'état du système de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à la première séance d'une étude de longue haleine du système de soins de santé au Canada. Je crois qu'il est juste de dire que nous nous lançons dans une entreprise qui sera longue et complexe, une entreprise dans laquelle tous les membres du comité s'engagent avec un degré élevé d'optimisme et d'ambition.

Nous nous pencherons sur le passé et sur l'avenir du système de soins de santé canadien. Dans un premier temps, nous essayerons de comprendre ce qui l'a mis dans son état actuel. Dans un deuxième temps, nous chercherons à savoir quels effets les changements auront sur le système au cours des prochaines années. Enfin, nous réfléchirons sur la structure qu'on devrait donner au système de soins de santé canadien. Nous essayerons de tirer des leçons non seulement des témoignages de Canadiens comme ceux que nous entendrons ce matin, mais aussi de l'expérience d'autres pays qui se sont penchés sur les différentes façons de structurer leur système de soins de santé, notamment certains pays européens où les soins de santé publics sont une très importante composante.

Si le comité a décidé de se lancer dans cette entreprise, c'est parce que, dans une large mesure, et comme en témoignent les récentes manchettes des journaux, c'est la question la plus importante pour le Canadien moyen. Cependant, nous n'aborderons pas la question à court terme de savoir combien il faut injecter dans le système de santé, et qui doit le faire. Nous croyons que cela n'est pas le but d'une étude à long terme comme celles dont sont généralement saisis les comités du Sénat. Nous commencerons par examiner le système dans son ensemble et, à terme, c'est-à-dire à la fin de cet exercice pluriannuel, nous formulerons des recommandations claires quant à l'orientation que l'on devrait donner au système de soins de santé au Canada et au rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer à cet égard.

D'ici là, le comité servira, nous l'espérons, de forum où l'on pourra débattre de façon rationnelle des différentes politiques publiques possibles en matière de soins de santé, et j'insiste sur le mot rationnelle. Ce qui m'a frappé au cours des trois derniers mois, depuis que le comité a annoncé ses intentions, c'est le degré d'émotivité et de certitude dogmatique qui semble marquer les positions énoncées par les différents groupes. J'espère donc que ce comité saura devenir, à tout le moins -- comme d'autres comités sénatoriaux l'ont été sur d'autres questions -- un excellent forum pour entamer des discussions rationnelles et débattre d'orientations légitimes.

Aujourd'hui, nous entendrons un groupe d'experts qui nous donnera un aperçu de quelques-unes des principales questions qui seront soulevées au cours des prochains mois. Mais avant de commencer, j'aimerais céder brièvement la parole au sénateur LeBreton, qui est la vice-présidente de notre comité. Je crois qu'il est important que les gens, tant ceux qui sont dans la salle que ceux qui nous regardent sur CPAC, comprennent que, contrairement à ce que bien des gens pensent des comités parlementaires, l'étude dont nous sommes saisis n'est pas une étude partisane. En fait, même si le sénateur LeBreton est membre du Parti progressiste-conservateur, elle et moi avons travaillé en étroite collaboration sur d'autres questions de même qu'elle a travaillé de très près avec tous les autres membres du comité. Je l'invite à dire quelques mots, après quoi je présenterai les témoins d'aujourd'hui.

Le sénateur LeBreton: Je suis sénateur depuis 1993, et c'est la première fois que j'assume la vice-présidence d'un comité. Je ne saurais trop insister sur ce que le président a dit. Le sujet dont nous sommes saisis est d'une importance capitale. Nul autre dossier n'occupe plus les esprits des Canadiens que le système de soins de santé. C'est une source de fierté pour nous tous. C'est également une caractéristique identitaire dont tous les Canadiens s'enorgueillissent, même s'ils savent que le système fait face à de très graves problèmes à l'heure actuelle et qu'il en sera de même à l'avenir.

Je vais répéter quelque chose que j'ai déjà dit publiquement. Un dossier de ce genre mérite d'être débattu de façon claire, impartiale et rationnelle, et je pense que le Sénat est le forum idéal pour le faire. Nous pouvons examiner la question sans parti pris et entendre tous ceux qui veulent intervenir. J'arrive ici sans préjugés, si ce n'est que je suis très fière de notre système de soins de santé et que je veux l'améliorer. J'ai toujours soutenu que le Sénat devrait se lancer davantage dans ce genre d'études, plutôt que de laisser le gouvernement consacrer des sommes prodigieuses à des commissions royales, comme il l'a fait par le passé. C'est ainsi que le Sénat devrait travailler. C'est un grand honneur et un immense plaisir pour moi que de siéger à ce comité et d'occuper ce poste.

Le président: Je vais maintenant présenter les experts qui témoigneront ce matin. Honorables sénateurs, chaque témoin disposera de dix à douze minutes pour faire une déclaration préliminaire. Nous entendrons les quatre témoins, puis nous entamerons une discussion générale, et nous pourrons alors leur poser des questions individuellement ou collectivement.

Notre premier témoin ce matin est Mme Raisa Deber, professeure de politique en matière de santé de l'Université de Toronto. Elle est détentrice d'un doctorat du MIT. En plus d'être l'auteur d'écrits sur la politique canadienne en matière de soins de santé, elle agit depuis longtemps à titre de conseillère et de témoin expert en la matière.

Nous entendrons également le docteur Robert McMurtry, ancien doyen de la Faculté de médecine de l'Université Western Ontario. En octobre dernier, le docteur McMurtry a été invité par Santé Canada à la Chaire G.D.W. Cameron. Il n'est pas ici à titre de représentant officiel du ministère de la Santé, mais il est ici pour nous faire profiter de son expérience du système de soins de santé, notamment à titre d'ancien doyen de la Faculté de médecine de l'Université Western Ontario.

Nous avons en outre deux porte-parole du Groupe d'intervention action santé (HEAL). Il s'agit de la docteure Mary Ellen Jeans, directrice administrative de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Elle a déjà été directrice de l'École des sciences infirmières de l'Université McGill, où elle a également occupé le poste de vice-doyenne aux sciences infirmières de la Faculté de médecine. Nous recevons également Mme Sharon Sholzberg-Grey, qui est venue nous parler en décembre de la protection des renseignements personnels sur la santé. Mme Sholzberg-Grey est la présidente de l'Association canadienne des soins de santé, qui regroupe essentiellement tous les hôpitaux et les organismes de santé des provinces et des territoires du Canada.

Nous entendrons donc des points de vue très variés.

Madame Deber, vous avez la parole.

Mme Raisa B. Deber, professeure, Département d'administration de la santé, Université de Toronto: Je vous remercie de m'avoir invitée. J'ai toujours l'impression que je devrais signaler que je suis née à l'Hôpital général de Toronto.

Tout d'abord, étant une universitaire, je dois établir quelques définitions. Manifestement, les universitaires ne peuvent s'en empêcher. Je vous expliquerai brièvement pourquoi il est impératif, du point de vue économique, que les fonds publics servent à financer certains soins médicaux nécessaires. Nous entendons souvent parler de l'éthique et de l'équité, mais il y a également une dimension économique très importante qu'il convient de souligner.

J'aborderai au passage la question des dépenses. Essentiellement, je vous dirai que nous dépensons moins que nous ne le croyons, bien moins que la portion des fonds publics que consacrent la plupart des autres pays aux soins de santé. Je vous dirai également que la quote-part du gouvernement fédéral dans les dépenses au titre des soins de santé est bien supérieure à ce que les provinces veulent bien nous faire croire.

Je voudrais vous signaler que certains de mes travaux s'inscrivent dans le cadre d'une étude intitulée: Dialogue on Health Reform (Dialogue sur la réforme de la santé), qui n'a pas encore été publiée, et dans le cadre de ma collaboration avec le Groupe d'intervention Action Santé (HEAL) sur les orientations à donner au système de santé.

Il y a beaucoup de confusion autour de la question de la privatisation des soins de santé. Cela tient en partie au fait que nous ne faisons pas la distinction entre le financement du système de soins de santé et la prestation des soins de santé. Le troisième élément qui entre en ligne de compte, et que j'appelle l'allocation des ressources, a trait à la façon dont on peut transférer l'argent des mains des payeurs à celles des prestataires, et au type de mécanismes d'incitation que l'on peut intégrer. Je soutiens que l'élément qui fait le plus défaut dans notre système de santé est l'allocation des ressources. Nous parlons constamment de financement, mais c'est l'allocation des ressources qui pose problème.

En ce qui concerne le mot «public», il s'applique à de multiples niveaux qui se répartissent en différents ordres de gouvernement: le gouvernement fédéral, les provinces, les régions et les municipalités. Le mot «privé», quant à lui, signifie beaucoup de choses. En effet, le qualificatif privé s'applique aux organismes à but lucratif dont la vocation est de procurer un gain aux actionnaires. Il s'applique également aux propriétaires de petites entreprises, c'est-à-dire les entrepreneurs. Tous les médecins qui perçoivent des honoraires peuvent donc être perçus comme des prestataires privés de soins de santé. De plus, il y a les organismes caritatifs, à but non lucratif. La confusion tient en partie au fait qu'au Canada, nous utilisons le terme «hôpital public» pour parler d'organismes privés. Les choses deviennent compliquées, parce que dès qu'on se prononce contre les «hôpitaux publics», on se heurte à la rigidité des fonctionnaires. Or, il ne s'agit pas de fonctionnaires, puisque ce sont des employés qui travaillent pour des hôpitaux à but non lucratif. Il n'y a pas tellement de raisons inhérentes pour qu'ils ne réalisent pas le même rendement que les organismes à but lucratif et pour qu'ils ne rapportent pas des gains aux actionnaires.

Personne ne m'a jamais convaincue que les organismes à but lucratif devraient être opérationnels à moindres coûts. En fait, presque tout porte à croire le contraire.

Enfin, le qualificatif privé s'applique aux individus et à leur famille qui fournissent une grande partie des soins à l'extérieur du système de soins de santé officiel. Il en est de même pour une partie grandissante des paiements.

On peut regrouper ces éléments en modèles. Le modèle canadien désigne ce que nous appelons le financement public pour la prestation de soins privés, ou le modèle de l'assurance publique. Il est différent du modèle de système de santé national qui existe au Royaume-Uni, où le financement et la prestation des soins sont publics. Ce n'est pas le modèle de l'assurance privée de ce pays non plus, où tant le financement que la prestation sont privés.

Les gens disent que la médecine au Canada est socialisée, mais ce n'est pas vrai. Le fait est que nous avons un système de santé publique qui finance certaines catégories de services de soins de santé. Il convient de signaler que nous ne finançons publiquement qu'une infime partie de ces services. Les services sont presque toujours fournis par des prestataires privés, mais habituellement des prestataires à but non lucratif.

Par conséquent, ce que propose le premier ministre Klein n'est pas vraiment de la privatisation. C'est ce que d'aucuns appellent la lucratisation. Ainsi, il propose de substituer des prestataires privés à but lucratif aux prestataires non privés à but non lucratif pour fournir des services financés publiquement, en donnant une justification très ambiguë, car la plupart des faits nous portent à croire que ce sera vraisemblablement plus coûteux que de recourir à des prestataires à but non lucratif et que des prestataires risquent de profiter de la situation pour rendre des services non assurés comme services «indispensables» pour améliorer leur chiffre d'affaires.

Cependant, je ne pense pas que cela menace le régime d'assurance-maladie. Toutes ces considérations, quoique difficilement justifiables, peuvent être gérées dans le cadre d'un système de santé financé publiquement. En revanche, il y a d'autres menaces qui m'inquiètent davantage.

Dans le contexte des soins médicaux nécessaires, un payeur unique est une solution plus efficace au plan économique. Je vous donne quatre exemples hypothétiques. Ce matin, quand je suis arrivée à l'aéroport, j'ai voulu prendre un taxi. Si je n'avais pas eu d'argent sur moi, aucun chauffeur de taxi n'aurait été obligé de me conduire à ma destination. De même, la plupart des gens seraient heureux d'accepter un voyage tous frais payés au cours des 12 prochains mois s'ils gagnaient à une loterie d'Air Canada.

Revenons maintenant aux exemples du système de soins de santé. Si je me présentais à une salle d'urgence dans un hôpital souffrant d'une appendicite et que je n'avais pas d'argent sur moi, très peu de gens me diraient qu'on peut me soigner. La théorie économique veut que l'on établisse le prix en fonction de l'offre et de la demande. Si la demande est trop élevée, on peut hausser les prix jusqu'à ce que les gens ne les trouvent plus abordables. Mais si les gens continuent à trouver les prix abordables, la loi du marché ne marchera plus. Par conséquent, si on joue avec les forces du marché pour les services dont on ne peut refuser l'accès à ceux qui ne peuvent pas se les permettre, on obtiendra le prix plancher payé par les fonds publics, et non le prix plafond.

Si les coûts des soins de santé aux États-Unis sont hors de contrôle c'est précisément due en partie à cette tentative de combiner les secteurs public et privé. Je crois que le Québec se dirige tout droit vers ce problème avec son assurance-médicaments. La plupart du temps, quand on essaie de combiner les secteurs public et privé tout en croyant qu'on peut continuer à utiliser les forces du marché, alors que ce sera à nous de payer au bout du compte, et en sachant qu'on ne peut refuser l'accès à des services à ceux qui ne peuvent se les permettre, on se retrouve à assumer des coûts bien supérieurs à ce qu'ils seraient si on devait financer un seul fournisseur.

Cependant, s'il est vrai qu'on accepterait tous le voyage gratuit, il n'en demeure pas moins que si on nous offrait une opération à coeur ouvert gratuite à l'hôpital de notre choix, pourvu qu'on accepte de se faire opérer dans les 12 prochains mois, je crois bien qu'on n'accepterait pas. Là encore, c'est un produit assez particulier sur le marché. On empêchera les gens d'acheter ce dont ils n'ont pas besoin, mais on ne leur refusera pas l'accès à quelque chose dont ils ont besoin. Pour les choses de cette nature, si on essaie de prétendre que les forces du marché seront plus efficaces, on se retrouvera dans une situation où les gens ne pourront plus se permettre les services, l'accès sera pire et les coûts plus élevés. Ce seront les employeurs qui assumeront l'essentiel de ces coûts sous forme de charges sociales. De plus, la compétitivité économique du pays en souffre. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'utiliser un financement mixte pour les cas couverts par la définition des soins médicaux nécessaires.

Autre problème: si on a un système de santé financé par les fonds publics, il n'y a pas de marché pour les soins financés par le privé, à moins que les soins financés par les fonds publics soient inadéquats ou perçus comme tels. Donc, par définition, à moins que le système public ne soit mal en point, il n'y a pas de marché pour un système privé. Il est aussi faux de supposer qu'en créant un système privé, cela allégera en quelque sorte le fardeau du système public. En effet, si on allège le fardeau du système public, il n'y a plus de marché pour le système privé. Là encore, les exemples qui nous viennent de l'étranger sont assez convaincants.

J'aborderai très brièvement le troisième volet de mon exposé, puisque le docteur McMurtry en parlera de façon plus approfondie. Il est probablement faux de supposer que les dépenses au titre des soins de santé au Canada sont débridées. C'est un effet de dénominateur plutôt que de numérateur, car les gens regardent généralement les dépenses en proportion au PIB. Chaque ratio comporte un numérateur et un dénominateur. Je cite dans mon mémoire des chiffres qui montrent que, l'année où le Canada se classait troisième parmi les 22 pays de l'OCDE pour ce qui est du pourcentage des dépenses par rapport au PIB, soit 1994, nous arrivions en fait à la quatorzième place si on calculait les dollars dépensés par habitant.

Ce qui est également trompeur quand on examine des données exprimées en dollars, c'est qu'on ignore à quoi ont servi les dépenses. Si on analyse également les parités de pouvoir d'achat et les services fournis, on s'aperçoit que nous avons été relativement efficients et que nous avons acheté beaucoup de soins pour ces montants. Quand on examine les parités de pouvoir d'achat, on constate là encore que l'équivalent de ces dépenses aurait pu servir à acheter davantage de services de médecins et davantage de services hospitaliers.

Il est donc important de ne pas seulement penser aux coûts, mais de penser à ce que nous payons et à ce que nous recevons en contrepartie. Si on paie pour trois radiographies parce qu'on a raté les deux premières, personne ne profite vraiment de cela.

Étant donné que le PIB s'est amélioré, les dépenses canadiennes au titre de la santé paraissent plus raisonnables. J'ai aussi un diagramme illustrant la fameuse notion selon laquelle les dépenses au titre des soins de santé sont hors de contrôle au Canada et qu'elles épuiseront toutes les ressources provinciales. En fait, je l'ai divisé en deux pour montrer combien les provinces dépensent à ce chapitre, combien provient des autres sources publiques -- municipalités, indemnisations des accidents du travail, paiements directs du fédéral, et ainsi de suite -- et combien provient de sources privées. Toutes ces données proviennent de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), l'institut responsable de la collecte des données sur la santé, que la plupart des provinces et le gouvernement fédéral utilisent comme source la plus fiable. De plus, j'ai essayé de vérifier ces chiffres auprès du ministère des Finances de l'Ontario et on m'a confirmé qu'on utilisait bel et bien les données provenant de cet institut. Ce sont donc des chiffres qui sont généralement réputés exacts.

Quand on analyse ces données, si l'on tient compte de l'inflation et si on les exprime en dollars de 1992, et si l'on tient compte de la croissance démographique en les exprimant par habitant -- l'année de référence la plus récente est 1997 puisque les chiffres pour les deux autres années ne sont que provisoires --, on constate qu'entre 1989 et 1997, les dépenses provinciales par habitant au titre des soins de santé ont constamment été à la baisse. Au lieu d'allouer des ressources supplémentaires, les provinces ont maintenu leurs dépenses au titre des soins de santé au même niveau sans tenir compte de l'inflation ni de la croissance démographique, sans compter le vieillissement de la population et les nouvelles technologies. Si on me demande pourquoi nous traversons une crise, je répondrai que l'une des raisons tient au fait que les dépenses n'ont pas suivi le rythme de croissance démographique.

Si on regarde les chiffres des 22 pays industrialisés de l'OCDE, la quote-part du Canada commence bien en deçà de la moyenne des 22 pays. En 1975, nous occupions le quatorzième rang. En 1993, nous étions tombés à la dix-huitième place et en 1997, à la dix-neuvième place au chapitre des dépenses publiques au titre de la santé. Les seuls pays qui ont consacré une part inférieure à la nôtre aux soins de santé dans leurs dépenses totales sont l'Australie, le Portugal et les États-Unis. Là encore, l'argument selon lequel le Canada serait trop financé par les fonds publics ne semble pas concorder avec les données internationales. Comparativement aux autres pays, une proportion beaucoup moins grande de nos dépenses provient de sources publiques. Cela dit, et c'est là un des problèmes, les dépenses relatives aux médecins et aux hôpitaux proviennent massivement des deniers publics, contrairement aux autres secteurs.

Si les provinces réforment les soins de santé ou si elles font la transition vers les soins communautaires, on se retrouvera subitement avec des soins désassurés. Si je suis hospitalisé, mes soins infirmiers et mes médicaments sont pris en charge. Mais si je quitte l'hôpital le lendemain, tout d'un coup on est plus obligé de payer pour mes soins, mes médicaments et ma convalescence. Quand la Loi canadienne sur la santé a été adoptée, on ne pouvait concevoir que les gens pourraient avoir à se relever de ce genre de situation chez eux. La prémisse sous-tendant cette loi était que les gens qui étaient dans un pareil état seraient hospitalisés. L'une des choses qu'il faut bien comprendre, c'est que la réforme des soins de santé peut mener à une désassurance, ce qui a été le cas dans de nombreuses provinces.

Dernière observation: je pense qu'un débat qui ne tient compte que des faits comporte certains obstacles. J'ai été ravie d'entendre le sénateur Kirby évoquer le débat sur la protection des renseignements personnels, car il est très difficile et très coûteux à l'heure actuelle d'obtenir des données sur les soins de santé au Canada. De plus, la question de la protection des renseignements personnels constitue un obstacle de taille quant à l'utilisation des données administratives, sauf au sein d'instituts de recherche précis qui n'ont accès qu'aux données relatives à leur province. Si vous essayez de faire des comparaisons pancanadiennes, vous verrez à quel point cela est extrêmement cher et difficile. Il n'y a presque aucune étude comparative au pays, contrairement aux États-Unis, où l'accès à ce genre de données est très facile et bon marché. C'est pourquoi les analyses que l'on fait au Canada se fondent sur des ensembles de données américaines. Cela montre que les débats mettent l'accent sur les beaux discours et sur l'idéologie, plutôt que sur les faits, ce qui est malheureux à mon sens.

Voilà qui termine mon exposé formel. S'il y a une chose qu'il faut retenir de ce que j'ai dit, en parlant de beaux discours et de désinformation, c'est que les gouvernements provinciaux ont passé un temps prodigieux à se plaindre de ce que le gouvernement fédéral ne leur alloue pas suffisamment de ressources au titre des soins de santé. Ils manipulent les données à leur guise. La contribution fédérale est, au minimum, trois fois supérieure à ce que les provinces prétendent, et elle est probablement encore plus élevée que cela.

Les provinces font trois choses. D'abord, elles n'incluent dans le numérateur que les contributions pécuniaires, sans les points d'impôt. Pourtant, dans leurs beaux discours, elles parlent de la ligne de base de 50 p. 100. Ces 50 p. 100, comme vous le savez tous, ont été remplacés en 1977 par la Loi sur le financement des programmes établis, qui prévoyait que les provinces recevraient 50 p. 100 en contributions pécuniaires et 50 p. 100 en points d'impôt. Si on doit utiliser les 50 p. 100 comme point de référence, je crois qu'il faudra inclure les points d'impôt également.

Ensuite, le dénominateur reflète toutes les dépenses au titre de la santé, alors qu'il ne représente que les dépenses relatives aux médecins et aux hôpitaux. Comme vous pouvez le voir d'après les données de l'ICIS, environ les deux tiers des dépenses actuelles engagées par les gouvernements provinciaux au titre de la santé sont consacrées aux médecins et aux hôpitaux. Autrement dit, le dénominateur ne représente que les dépenses relatives aux médecins et aux hôpitaux.

Enfin, il s'agit d'un transfert global, c'est-à-dire un transfert qui comprend l'éducation postsecondaire et l'assistance sociale, dont les budgets ont été massivement comprimés par les gouvernements provinciaux. Par conséquent, si l'on veut calculer le total net des ressources mises à la disposition des provinces pour payer les services, je pense qu'il faut d'abord déterminer quelles sont ces ressources et à quoi les provinces sont tenues de les affecter, plutôt que de jouer à des devinettes concernant les transferts globaux.

Le président: Je vous remercie pour cet exposé préliminaire et non controversé. Quelle merveilleuse façon de commencer le débat.

J'invite maintenant le témoin suivant, le Dr McMurtry, à faire son exposé.

Le docteur Robert McMurtry, invité à la Chaire G.D.W. Cameron, Santé Canada: Honorables sénateurs, je vous suis reconnaissant de l'occasion que vous me donnez de comparaître devant vous et de vous féliciter de ce débat qui me semble être d'une importance capitale. C'est donc un privilège pour moi que d'y participer.

J'ai écouté avec plaisir l'exposé de ma collègue et je peux simplement vous dire que je suis d'accord avec tout ce qu'elle a dit. Pour ma part, je ne m'aventurerai pas trop dans la dimension économique. Je l'aborderai au passage. La notion qu'elle a accentuée, à savoir que les coûts des soins de santé sont extrêmement élevés était un mythe, mérite d'être répétée.

Le président: Était ou est un mythe?

Dr McMurtry: C'était un mythe, et ça l'est toujours. Durant les années 90, nous consacrions 10 p. 100 de notre PIB aux soins de santé. D'après les données statistiques annuelles les plus récentes, ce chiffre n'est plus que de 8,9 p. 100. Selon les projections pour 1998 et 1999, il devrait remonter pour atteindre environ 9,1 p. 100, soit bien en deçà de ce qu'il était auparavant. Je m'expliquerai davantage maintenant ou un peu plus tard.

Le président: Très bien, poursuivez.

Dr McMurtry: Dans la lettre du 16 février, on me demandait de répondre à la question suivante: sur quel aspect du système de soins de santé canadien les experts s'entendent-ils? La réponse est que nous nous sommes toujours accordés pour dire que nous avons des problèmes. Il est juste de dire que les politiques, les professionnels et les Canadiens en général s'entendent tous là-dessus. Je vous donnerai plus de statistiques à ce sujet dans un instant.

Là où ils sont profondément en désaccord, c'est sur la nature des changements qui s'imposent. Vous avez entendu ce point de vue exprimé de façon très éloquente il y a quelques instants. Pourquoi un tel désaccord? C'est une question de perspective, sur laquelle j'insisterai beaucoup. Je vous parlerai également des suppositions et des idéologies qui nous motivent. C'est à la lumière de ces suppositions et de ces idéologies que nous disons qu'il y a un problème et que nous pensons, d'une certaine façon, qu'il faut suivre une démarche en particulier, alors que rien ne prouve qu'elle sera efficace.

Vous me posiez une autre question dans la lettre: les experts posent-ils les bonnes questions? Je vous répondrai que oui et non. Au coeur du problème se trouve la question de la pérennité. Je pense que c'est une question légitime à se poser, parce que le système de santé public est menacé quoiqu'on en dise.

Tout le monde convient que les cinq principes de Hall sont éternels: accessibilité, intégralité, universalité, transférabilité et gestion publique. Ils sont aussi importants aujourd'hui qu'ils l'étaient par le passé et ils méritent qu'on y souscrive. À ces principes, nous ajouterions des principes comme la reddition des comptes et ceux liés à l'efficience et à l'efficacité. Cependant, les principes fondamentaux sous-tendant la Loi sur les services médicaux de 1966, énoncés en 1966, sont toujours valables. En revanche, ce qui nous manque, c'est une vision unificatrice de l'avenir. Il me semble que c'est quelque chose d'impératif si nous voulons réaliser des progrès.

Je vais maintenant vous citer quelques chiffres à l'appui de mes déclarations. Selon un sondage réalisé en octobre 1999, seulement 22 p. 100 des Canadiens estiment que le gouvernement fédéral fait du bon travail. En décembre 1999, environ 72 p. 100 des Canadiens ont dit estimer que le système de soins de santé s'est détérioré, ce qui représente une augmentation de 15 p. 100 par rapport à 1998. Je peux vous fournir toutes les sources de cette information si vous le souhaitez.

Malgré cette détérioration et ces préoccupations, en juillet 1999, 84 p. 100 des Canadiens ont dit appuyer un régime de santé universel, soit une augmentation de 5 p. 100 par rapport à 1996. En ce qui concerne la privatisation, 72 p. 100 ont dit en août 1999 qu'un régime universel de soins de santé financé par l'État reflète nos valeurs fondamentales et que le passage à un système à deux paliers appauvrirait la société.

En mars 1999, 86 p. 100 des Canadiens ont dit que le régime de soins de santé s'achemine de plus en plus vers un système à deux vitesses. Environ 78 p. 100 prétendaient en août 1999 que seuls les Canadiens riches profiteraient d'un système à deux paliers. Enfin, une majorité considérable, c'est-à-dire 75 p. 100, a déclaré que le gouvernement fédéral devrait consacrer plus d'argent aux soins de santé.

Je veux maintenant passer à la description des tendances en matière de dépenses consacrées aux soins de santé. Il vaut la peine de noter que de 1975 à 1990, période pendant laquelle on dépensait soi-disant sans compter que l'augmentation moyenne générale à la fonction publique a été de 2,5 p. 100, sans rectification en fonction de la population mais avec rectification en fonction de dollars constants. Cette hypothèse de dépenses effrénées ne tient pas. En ce qui concerne les dépenses publiques, la plus importante augmentation s'est produite au niveau des produits pharmaceutiques, qui proviennent bien entendu du secteur privé.

Au cours des années 90, le changement annuel moyen dans le secteur public a été de moins 0,6 p. 100, c'est-à-dire de 1990 à 1997 inclusivement. Cela viendrait renforcer la notion selon laquelle l'hypothèse des dépenses effrénées n'est pas fondée, pour les raisons énoncées par le témoin précédent. En fait, nous avons suivi le chemin inverse. Au cours de la crise, la part du budget consacrée aux hôpitaux en particulier est passée de 55 p. 100 à 33 p. 100. C'est une baisse spectaculaire. Il n'est pas étonnant que les hôpitaux éprouvent des difficultés.

Je vais maintenant parler brièvement de l'aspect qualitatif du système et moins de l'aspect économique et quantitatif. J'ai obtenu mon diplôme de l'école de médecine peu de temps après l'ère des dinosaures en 1965. J'étais un étudiant en médecine avant l'avènement de l'assurance-maladie. Je me souviens avoir travaillé dans des pavillons privés et dans des salles communes d'hôpitaux. Je peux me souvenir à quel point les choses se sont améliorées grâce au système public. J'ai travaillé aussi deux ans comme missionnaire en Afrique et j'ai travaillé pour l'Agence canadienne de développement international, et je dois dire que cette expérience a modifié de façon permanente la façon dont j'envisage les soins de santé. J'ai été chirurgien orthopédiste chargé d'administrer un service de traumatologie à Sunnybrook, dont j'ai été le directeur fondateur. J'ai aussi travaillé comme administrateur, comme chef des services de chirurgie et président du département de chirurgie à Calgary. Comme je l'ai mentionné, j'ai aussi exercé les fonctions de doyen. Plus récemment, j'ai eu l'occasion de travailler avec Santé Canada dans le domaine des politiques.

Avec le recul, ce qui me frappe vraiment, c'est l'absence d'intégration dans le domaine de la santé. Cela n'a rien d'étonnant. Je dirais que ce phénomène, et je l'indique d'ailleurs dans mes diapositives, est attribuable à l'existence de trois solitudes distinctes. Notre réussite à l'avenir sera fonction de notre capacité à intégrer ces trois solitudes.

La première solitude, c'est le modèle biomédical ou médical, qui met l'accent sur la lutte contre les maladies et qui, pour l'avenir, nous promet un diagnostic et un traitement génétiques. Cela comprend les programmes de maintien en vie comme les services d'oncologie, les cardiologies, les soins critiques, les services d'urgence, les services de traumatologie et de transplantation. Ces programmes devraient et doivent toujours être protégés. À l'heure actuelle, ils ne le sont pas suffisamment. Les questions que l'on se pose à l'heure actuelle dans le monde sont les suivantes: comment pouvons-nous améliorer la santé des gens? Comment pouvons-nous traiter les maladies? Ce sont des questions importantes, mais ce ne sont sûrement pas les seules.

La deuxième solitude, c'est celle de l'univers de la santé publique, qui protège notre air, notre eau et nos aliments et qui inclut les programmes d'immunisation et au moins la surveillance des maladies. Les questions que se posent ceux qui travaillent en santé publique sont les suivantes: comment protégeons-nous la santé de notre population? Comment empêchons-nous les maladies?

Chacune de ces solitudes possède une énorme valeur mais elles souffrent toutes deux d'une absence de coordination.

Puis il y a un troisième domaine: la médecine sociale. C'est le domaine qui examine les éléments qui influent sur la santé de la population, tels que la cohésion sociale et la justice distributive, et l'influence qu'elles ont sur la santé et le bien-être, et qui souligne avec raison leur importance. Dans ce domaine, on met l'accent sur les inégalités en matière de santé. On tâche de répondre à la question suivante: pourquoi certaines personnes sont-elles en santé et d'autres pas?

Tous ces points de vue ont énormément de valeur. Notre réussite dépendra de notre capacité à les intégrer.

Je passerai maintenant à certaines caractérisations à un niveau individuel puis au niveau de l'ensemble du système, qui permettent de décrire la situation telle qu'elle existe et la situation telle qu'on la voit si nous voulons améliorer l'intégration.

Le régime de soins de santé, en particulier le régime d'assurance-maladie, qui met l'accent sur les hôpitaux et les médecins, a tendance à être centré sur les maladies. On considère qu'une personne a une maladie ou un dérèglement qui diffère de façon mesurable de ce qui est normal. On procède en fonction du tandem diagnostic-traitement, qui a été formalisé à un point remarquable dans l'État de l'Oregon. Par exemple, si vous avez l'appendicite, vous devez subir une appendicectomie. Cela se caractérise par des soins épisodiques qui ne sont pas mis en contexte. À certains égards, c'est la description du modèle médical traditionnel. Ce n'est pas un modèle qui, isolément, est viable. Ces efforts seront toujours importants, mais s'ils sont faits isolément, ils ne permettront pas d'établir un système viable.

Pour ce qui est de la situation dans l'ensemble du système, je vous ai présenté une diapositive qui indique simplement que l'accent a été mis sur les hôpitaux de soins actifs. Comme on l'a indiqué, l'aide financière qu'ils reçoivent a été considérablement réduite. L'aspect prévention/promotion est distinct. Il représentera peut-être 2 p. 100 ou 2,5 p. 100 du budget, selon l'Association canadienne de santé publique. Nous sommes divisés en secteurs qui ont tendance à mettre l'accent sur les hôpitaux, les soins primaires et ambulatoires étant considérés comme des soins préhospitaliers, les soins post-hospitaliers étant plutôt assurés par d'autres organisations et institutions qui offrent des services de réadaptation, de convalescence et de soins à long terme. Il ne s'agit pas d'un système intégré.

Si nous adoptions un point de vue individuel et tâchions de rassembler les visions de ces domaines distincts, je vous citerais en particulier l'approche appelée soins «axés sur la personne» ou «axés sur le patient». Cette approche s'est avérée efficace, moins coûteuse et plus satisfaisante, et se traduit par moins de tests, moins de renvois vers d'autres spécialistes et des coûts plus faibles. Je cite en particulier les travaux du Centre for Studies and Family Medicine de l'Université Western Ontario, sous la direction de la docteure Moira Stewart.

Chaque fois que l'on voit une personne qui reçoit des soins -- je mets l'accent ici sur les soins primaires en particulier -- il est essentiel de tenir compte du milieu d'où provient cette personne: c'est-à-dire les influences sociales, économiques, physiques et environnementales qui influent sur la vie de cette personne. De plus, dans les rapports avec cette personne, il est important de faire la distinction entre la maladie et les troubles. La maladie c'est le dérèglement mesurable. Les troubles représentent le vécu de la personne ou la signification de ce dérèglement dans le contexte de sa vie. Cet engagement est fondamental.

Les caractéristiques qui assurent le succès -- et toutes se sont avérées des variables indépendants susceptibles d'influer sur le résultat -- sont les suivantes: témoigner d'un intérêt réel pour la personne, établir la communication et trouver des bases communes. Lorsque l'on témoigne d'un intérêt réel pour la personne, sans même qu'un professionnel de la santé intervienne, cela peut se traduire par de meilleurs soins, ce qui a d'ailleurs été démontré dans une étude faite auprès des gens de la rue de l'hôpital Wellesley. On a constaté que la communication contribue de façon remarquable à l'efficacité des soins. Le troisième élément, qui est moins bien connu, c'est l'incroyable importance de trouver des bases communes.

Laissez-moi vous brosser un tableau d'une rencontre, vous indiquer le mode de pensée que nous devrions adopter à l'avenir, qui nous permettra de commencer à intégrer les vues et les perspectives des domaines disparates que j'ai indiqués. Il est nécessaire de considérer les gens de façon longitudinale et non épisodique, de prendre en compte tous les aspects de leur environnement, c'est-à-dire physique, économique, social. Il faut que leurs perspectives culturelles fassent partie intégrante de cet examen. Il faut qu'il y ait un souci de l'autre, il faut qu'il y ait de la communication, et le fournisseur de soins doit comprendre leur environnement, leur vision du monde et leurs valeurs. Par-dessus tout, il faut trouver des bases communes.

Pour ce faire, il faut avoir accès à la meilleure information possible. Nous avons beaucoup entendu parler d'Internet et des possibilités qu'il offre. Cela comprend, toutefois, des tests de diagnostic adaptés à chaque personne ainsi que des bases d'information génériques plutôt que spécifiques. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'on a constaté qu'il est tout aussi important sinon plus important que les gens trouvent des bases communes avec leur fournisseur de soins que de recevoir un diagnostic exact.

Je ne suis pas en train de me prononcer en faveur de mauvais diagnostics. Je veux simplement souligner l'importance extraordinaire que revêtent une communication et une entente fructueuses. Je tiens à souligner à nouveau que ce processus est moins coûteux et réduit l'utilisation des tests de diagnostic, le recours à des contre-expertises, augmente le taux de satisfaction et incite le patient à mieux suivre le traitement prescrit. Cette vision de la médecine sociale est un modèle qui tient compte de l'incroyable importance des facteurs qui influent sur la santé. Elle permet aussi de créer un modèle où peuvent être centrées les méthodes de prévention.

Si nous examinions ce modèle en fonction de l'ensemble du système, il faudrait considérer ces trois aspects -- prévention/promotion, soins préhospitaliers et post-hospitaliers -- non pas en tant qu'éléments distincts mais plutôt en tant qu'éléments unifiés. Où voulons-nous être dans dix ans? Nous voulons continuer à avoir un système de soins de santé qui conserve ses liens avec l'hôpital toujours essentiel, mais avec l'hôpital qui joue le rôle qui lui revient au moment voulu. L'hôpital continuera d'être nécessaire en raison des soins actifs et des programmes de maintien de la vie qu'il assure.

Chacun d'entre nous ici espère ne jamais être admis à l'hôpital -- ce que j'ai moi-même réussi à éviter jusqu'à présent. Ce serait une vie agréable. Je viens de ce secteur et j'y ai consacré ma vie. Si j'avais réussi, ne serait-ce pas merveilleux? Je n'accepterais sûrement pas votre prix de pontage gratuit. Aucun d'entre nous ne l'accepterait. C'est un aspect très important.

Le régime de soins de santé devrait réunir les soins primaires, la prévention/promotion et les soins à domicile. Il devrait se doter d'équipes multidisciplinaires. Il devrait envisager d'autres sources de financement et examiner des questions telles que la santé au travail. J'ai parlé de l'année 2020. J'aimerais que vous réfléchissiez au fait extraordinaire suivant: à l'heure actuelle, le Canada enregistre chaque année 66 millions de jours d'absence de la main-d'oeuvre, et environ 60 p. 100 de ces absences sont liées au stress. C'est tout à fait incroyable.

Le milieu de travail évolue. Seulement 54 p. 100 de la population active exerce un emploi standard. Que faisons-nous à cet égard? En tant que médecin d'exercice privé, je sais que ma capacité d'aider les patients si on ne modifie pas le milieu de travail est très restreinte. Dans la trousse jointe à mon mémoire, vous verrez des graphiques qui portent sur l'absentéisme en milieu de travail. Je cite les travaux du Institute of Work and Health et des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, dirigé par Judith Maxwell, qui ont uni leurs efforts pour faire cette analyse.

De toute évidence, nous devons songer à ce type de questions lorsque nous parlons du régime de soins de santé de l'avenir. Si les rêves devaient se réaliser en 2020, notre vision s'élargirait. Nous devrions réfléchir à ces questions en partant du principe qu'elles s'inscrivent dans le mode de financement du système ou du moins qu'elles y sont liées. C'est une question qui mérite d'être discutée tout comme le fait d'encourager l'établissement de réseaux, l'intégration des garderies, et même la condition physique, la culture, les arts et le théâtre.

Depuis que je suis à Santé Canada, j'ai pris conscience des circonstances dévastatrices et des défis que connaissent nos Premières nations. Le problème auquel elles font face et qui a ruiné leur santé est l'assimilation. C'est le problème de la perte de leur identité culturelle, de leur langue, de leur spiritualité dans le contexte de la société élargie.

La dernière chose dont je parlerai est l'alphabétisation. Quatre-vingts pour cent des personnes de 65 ans et plus arrivent aux deux derniers rangs dans les sondages internationaux sur l'alphabétisation des adultes. Plus de la moitié d'entre elles ont du mal à comprendre leurs ordonnances. Cela a des incidences très profondes sur la santé. Que faisons-nous à ce sujet? Comment pouvons-nous envisager un système, pour plus tard ou même pour aujourd'hui, sans nous occuper d'une façon ou d'une autre de ce problème?

En résumé, je dois dire que j'applaudis à cette initiative et que notre succès sera mesuré. Si nous voulons créer toutes les conditions favorables à leur bien-être, nous devons réunir les mondes de la biomédecine, de la santé publique et de la médecine sociale.

La docteure Mary Ellen Jeans, coprésidente, Groupe d'intervention action santé (HEAL): Honorables sénateurs, nous sommes heureuses d'être ici au nom du Groupe d'intervention action santé ou HEAL. Nous pensons en fait à changer de sigle parce que HELP serait plus approprié, mais nous n'avons pas encore les mots qui correspondent.

Nous vous donnerons ce matin un bref aperçu du Groupe d'intervention action santé, car notre travail a toujours été un exemple important de collaboration et de consensus en matière de santé. Nous partagerons ensuite avec vous certaines de nos préoccupations à ce sujet et vous dirons comment à notre avis cette étude pourrait contribuer à améliorer notre système de santé public au Canada.

Mme Sharon Sholzberg-Gray, coprésidente, Groupe d'intervention action santé (HEAL): Honorables sénateurs, HEAL est une coalition de plus de 30 organismes nationaux de santé et de consommateurs. Lorsque nous avons choisi notre nom et décidé de nous appeler Groupe d'intervention, nous nous sommes un peu inquiétés des derniers mots «Groupe d'intervention» parce qu'on sait comment sont considérés les groupes de pression dans ce pays et ailleurs. Néanmoins, nous avons pensé qu'il était tout à fait honorable d'intervenir pour essayer de protéger le système de santé canadien.

Notre groupe a été créé après le budget fédéral de 1991 qui avait mené à des coupes sévères dans les paiements de transfert pour la santé et l'éducation postsecondaire qui étaient alors financés par le Financement des programmes établis ou FPE. Nous nous inquiétions de ces coupes qui, à notre avis, allaient empêcher le gouvernement fédéral de faire respecter les principes de la Loi canadienne sur la santé. Nous avons donc décidé de nous regrouper, malgré les difficultés que cela peut présenter quand on sait que nous sommes des organismes très différents ayant des perspectives très différentes et n'ayant pas toujours été sur la même longueur d'onde.

Nous étions sept membres fondateurs, l'Association canadienne des soins de santé, l'Association canadiennes des infirmières et infirmiers du Canada, l'Association médicale canadienne, l'Association canadienne de santé publique, l'Association canadienne de psychologie, l'Association canadienne de soins communautaires et l'Association des consommateurs du Canada mais nous sommes maintenant plus de 30 membres et la liste augmente toujours. En fait, deux des membres fondateurs ont changé leurs noms depuis. L'Association des hôpitaux du Canada est devenue l'Association canadienne des soins de santé qui reflète mieux les changements qui interviennent dans notre régime de santé public et dans la composition de ses membres, et l'Association canadienne de soins communautaires s'appelait autrefois l'Association canadienne de soins à long terme. Il est intéressant de constater que nos membres ont dû changer de noms au fur et à mesure que changeait le système de santé.

HEAL compte donc maintenant plus de 30 membres et continue à se développer. Notre objectif était de nous mettre d'accord sur une série de principes directeurs pour la santé et les soins de santé et d'accroître la sensibilisation et le soutien pour une vision commune en la matière.

HEAL se voulait une coalition temporaire. Nous pensions que les problèmes du système de soins de santé seraient réglés dans l'intervalle d'un ou deux ou trois ans et qu'il ne serait plus nécessaire d'avoir une coalition. Nous n'avions jamais pensé que nous serions encore ensemble neuf ans plus tard.

À partir de cette série de principes directeurs qui demeurent, nous avons entrepris tout un éventail de stratégies, qu'il s'agisse d'élaboration de politiques, de défense du système ou d'information. Nous avons toujours voulu collaborer et non pas confronter même s'il y a certainement des gens au gouvernement qui pensent quelquefois que nous critiquons trop alors que nous disons toujours les choses de façon positive.

Notre travail a été orienté par des experts, dont Mme Deber, qui est avec nous aujourd'hui et qui a préparé d'excellents documents pour HEAL.

HEAL a publié des documents d'orientation et de réflexion sur des sujets tels que la santé et la Constitution, la globalité des services de santé, les mécanismes de financement, le mélange public-privé et le rôle fédéral en matière de santé. Nous continuons à jouer un rôle actif dans le processus consultatif pré-budgétaire annuel et nous avons des rencontres régulières avec le ministre Rock et le ministre Martin ainsi qu'avec certains fonctionnaires fédéraux.

En tant que fédérations, nos organisations membres font également pression aux paliers provincial et territorial. Cette collaboration a à la fois accru notre crédibilité et notre force.

Mme Jeans: L'avantage de travailler en coalition est ce partage extraordinaire de connaissances et de compréhension du système de santé. Nous croyons que les opinions que nous partageons avec vous aujourd'hui représentent une perspective bien informée, qui est non seulement fondée sur nos propres expériences mais également sur celles de beaucoup d'autres groupes.

Vous nous avez demandé ce sur quoi les experts en matière de santé s'entendent. Nous aimerions vous dire plusieurs choses à ce sujet. Tout d'abord, les prestataires de soins de santé et le grand public sont en général d'accord pour dire qu'un système de soins de santé public reste non seulement au coeur de nos valeurs canadiennes mais est également la façon la plus efficace et la plus rentable d'assurer les soins de santé pour tous les Canadiens. Il a été amplement prouvé, comme l'a dit Mme Deber et comme l'ont montré les nombreux rapports qui ont été publiés ces dernières années, que c'est un fait. Comme l'a noté le ministre Martin dans son discours du budget au début de la semaine, les soins de santé restent la première priorité des Canadiens. Alors que notre population vieillit, on s'inquiète davantage de l'accessibilité à des services de qualité. Nous sommes convaincus qu'un recours accru à la privatisation qui mène à deux catégories de soins de santé n'est pas la réponse aux problèmes d'aujourd'hui.

Deuxièmement, nous convenons tous que les soins de santé sont une responsabilité partagée entre les ordres fédéral, provincial, territorial et local de gouvernement. Nous convenons tous que le système actuel est la proie d'énormes pressions. Les compressions budgétaires continuelles à tous les niveaux font que le système de soins de santé est devenu ce que vous lisez dans les journaux. Les services ont été diminués, les listes d'attente pour les chirurgies sont très longues, les salles d'urgence sont surpeuplées et il y a localement un ensemble de services disparates tels que les soins à domicile, les soins communautaires, les soins à long terme, les services de réadaptation et les services de santé mentale.

Il y a un manque de personnel dans tous les groupes de professionnels de la santé, notamment parmi les infirmiers et infirmières, les médecins, les technologues et autres. Cette pénurie s'explique par une population active vieillissante, des compressions, l'exode des cerveaux et le fait que moins de jeunes entrent dans ces professions en partie du fait des conditions de travail très difficiles.

Mme Sholzberg-Gray: Tout le monde s'entend sur l'état du système de soins de santé et sur ce qu'il faut faire pour corriger les problèmes. Il est important de noter que le système de soins de santé novateur et intégré dont nous parlons englobe un éventail de services plus larges que seulement les hôpitaux et médecins et l'assurance-maladie tels que définis dans la Loi canadienne sur la santé.

J'aimerais parler du financement, même si je sais que le financement, surtout les questions de financement actuelles, n'entre pas vraiment dans le mandat de votre comité. Je sais aussi que le financement n'est qu'un aspect parmi d'autres, mais les budgets et les mécanismes de transfert sont des priorités clés pour le groupe HEAL. Nos recommandations précises se trouvent dans notre exposé prébudgétaire que nous avons remis au comité. Nous avons toujours pensé qu'il faut un plan durable à long terme pour le financement des soins de santé qui reflète l'évolution des besoins des Canadiens. Nous jugeons que la démarche ponctuelle prévue dans le budget fédéral qui vient d'être annoncé ne fera pas grand-chose d'autre que de couvrir les déficits actuels des hôpitaux et des autorités sanitaires régionales.

Nous aimerions donc faire une observation ou deux sur ce budget en disant que, tout d'abord, 2,5 milliards de dollars sur quatre ans ne suffiront pas à couvrir même les besoins actuels du système. Il nous faut un financement prévisible à long terme. Comme le disait Mme Deber tout à l'heure, en dollars constants, réels, les dépenses publiques par habitant en matière de santé par le gouvernement fédéral et par la plupart des provinces ont sensiblement déclinées ces dernières années; cela n'a pas augmenté comme on semble vouloir le faire croire.

Alors que le gouvernement fédéral a accru le plancher des transferts pécuniaires au titre de la santé et des programmes sociaux -- rappelez-vous que ce n'est pas simplement pour la santé mais également pour les services sociaux et l'éducation post-secondaire -- le niveau de financement est insuffisant.

HEAL félicite le gouvernement fédéral pour la partie points d'impôt du transfert. Nous n'aimons pas que certains disent que ce n'est pas de l'argent réel parce que c'en est. Certes, nous avons dit que cet argent ne peut être utilisé pour garantir les conditions de la Loi canadienne sur la santé, ce qui est vrai, mais c'est tout de même de l'argent réel.

Ce que nous disons, c'est que le transfert total -- espèces et points d'impôt combinés -- reste inférieur par habitant à ce que recevaient les provinces il y a sept ans lorsque le gouvernement a pris le pouvoir et c'est là le problème. Y a-t-il suffisamment d'argent fédéral à l'heure actuelle, les deux éléments considérés, pour répondre aux besoins de la population canadienne?

Comment le système de soins de santé pourra-t-il répondre aux besoins d'une population croissante et vieillissante et absorber les règlements des négociations collectives -- nous avons dit que tous ceux qui assurent des soins doivent être respectés dans leurs conditions de travail et leur rémunération, en particulier les infirmiers et infirmières, et je suis consciente du fait que Mme Jeans est à la tête de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Comment peut-on maintenir les dépenses d'immobilisation et faire fonctionner le matériel? Comment peut-on profiter des progrès dans les technologies de soins de santé? Comment peut-on changer le système sans avoir suffisamment de fonds pour le faire?

Un système de soins de santé viable doit être financé à long terme par un mécanisme approprié de transferts fédéraux. Les membres de HEAL sont en train d'étudier et d'examiner de nouvelles options de mécanismes de financement et, très franchement, nous ne pensons pas nécessairement que le transfert canadien au titre de la santé et des programmes sociaux, le TCSPS, soit le meilleur mécanisme pour financer à l'avenir notre système de santé. C'est à notre avis quelque chose qu'il faudrait réexaminer.

Un système de soins de santé bien financé contribue non seulement au maintien et à l'amélioration de la santé des Canadiens mais également à la productivité canadienne. Beaucoup d'employeurs canadiens défendent ardemment notre système public comme avantage concurrentiel. Peut-être pourriez-vous inviter à Charles Baillie, le PDG de la Banque Toronto-Dominion, parce qu'il a été très éloquent quant à l'importance de notre système de soins de santé public face à la concurrence.

Les organisations de soins de santé ne peuvent planifier pour l'avenir, élaborer des programmes novateurs susceptibles de suivre l'évolution des besoins et créer des postes à plein temps pour des prestataires de soins de santé tant que le financement reste insuffisant et incertain. Tout cela fait que les Canadiens commencent à perdre confiance dans leur cher système de soins de santé public.

On s'entend par ailleurs dans tout le pays sur le fait qu'une véritable réforme des soins de santé est nécessaire. Pratiquement toutes les provinces et tous les territoires ont effectué un examen important des soins de santé dans les années 80. Tous parlent d'un système qui serait fondé sur les principes des soins de santé primaires et sur davantage de soins communautaires, pour lesquels le client serait primordial. Ces études font également ressortir le besoin de prises de décisions fondées sur des preuves et d'autres recherches pour apporter ces preuves permettant de défendre des décisions sur le traitement et les soins. On a aussi constaté qu'il était nécessaire de mieux gérer les informations en matière de santé.

Toutes les études ont également démontré qu'il faut avoir un plan intégré des ressources humaines en matière de santé afin de s'assurer que nous avons les bons prestataires au bon endroit au bon moment. Un meilleur accès et une meilleure couverture d'assurance des services tels que les soins à domicile, les soins communautaires, les soins à long terme, la réadaptation et les services de santé mentale sont également nécessaires, sachant d'autre part que beaucoup de Canadiens ne sont toujours pas convenablement assurés pour des produits pharmaceutiques nécessaires.

Avant de pouvoir mettre en oeuvre les recommandations découlant de ces nombreuses études, nous sommes entrés dans une période de récession et de compression des dépenses. Un grand nombre des réformes que nous avions constatées pendant les années 90 étaient davantage animées par le souci de réduire les dépenses que par une véritable réforme. Nous entrons maintenant dans une ère de prospérité et nous savons ce qui doit être fait. Nous connaissons les besoins d'après les rapports, non seulement les rapports provinciaux que j'ai mentionnés, mais également le rapport du Forum national sur la santé et d'autres rapports importants qui, tous, nous ont confirmé les grandes valeurs nationales et l'opinion que les Canadiens avaient des services de santé qui seraient dorénavant nécessaires.

Le système de santé a fait en partie les frais du combat qui a été gagné contre la récession et la dette publique. Le temps est maintenant venu de réitérer les engagements et d'offrir un véritable leadership dans le domaine de la santé. Nous attendons avec impatience la conférence de printemps des ministres de la Santé ou des premiers ministres -- nous ne savons pas encore au juste qui se réunira -- et du gouvernement fédéral. Il va falloir discuter de l'avenir de notre système de santé dans le contexte de l'Entente-cadre sur l'union sociale. Il ne faudrait pas oublier que cette entente-cadre n'est que de trois ans et que déjà une année complète s'est écoulée. Il faut également admettre que les provinces sont déjà nombreuses à tenter d'offrir elles-mêmes des services de soins à domicile, de soins communautaires et de soins de longue durée dans le cadre de leur propre système financé à même le trésor public et que notre percée dans le secteur des soins primaires s'effectue dans le contexte d'un budget de santé déjà grandement amputé.

Alors même que vous entamez cette étude fort ambitieuse, de nombreux témoins vous diront sans conteste qu'il est temps maintenant d'arrêter d'étudier les choses. Déjà, il existe d'innombrables rapports et recommandations concernant la santé: il faut maintenant passer aux actes. Nous en convenons, il importe maintenant de prendre des mesures décisives pour que les Canadiens puissent à nouveau avoir pleinement confiance dans leur système de santé. Par ailleurs, nous estimons également que pendant trop longtemps, ce domaine de la santé a été une véritable arène politique. Il est grand temps que tous les ordres de gouvernement travaillent de concert pour aboutir à un système de santé intégré, étanche et à fonds publics destiné à tous les Canadiens. Nous avons la conviction que votre comité pourrait faciliter cette collaboration.

Nous vous recommandons d'envisager de raccourcir votre période d'étude afin d'accomplir votre travail plus rapidement. Pour ce faire, vous pourriez commencer par confirmer les problématiques principales dont nous vous en avons mentionné certaines ce matin: le financement, l'envergure de notre système de santé à fonds publics, les ressources humaines dans le domaine de la santé, la recherche en santé, ainsi que tous les éléments importants qu'ont fait valoir le Dr McMurtry et Mme Deber. Vous pourriez y parvenir en vous basant sur ce qui a déjà été publié, et notamment les rapports du Forum national sur la santé, ainsi que sur les discussions comme celles que nous avons avec vous aujourd'hui. À partir de là, vous pourriez brosser un tableau d'ensemble de ces problématiques fondamentales. Nous vous recommanderions de demander à vos témoins de discuter de points de détail par rapport aux enjeux préalablement identifiés et, plus important encore, de leur demander quelles seraient à cet égard les solutions à court et à long terme qu'ils préconiseraient.

Enfin, le comité pourrait publier une série de rapports échelonnés qui exposeraient des initiatives à prendre dans chacun des domaines à l'étude et décriraient les rôles qui devraient être assumés par tous les ordres de gouvernement, les fournisseurs, les organismes, les chercheurs et le public. Ces rapports devraient être aussi précis que possible et exposer un plan d'action assorti des niveaux de dépenses et des échéanciers correspondants. Votre étude offrirait ainsi une information, une orientation, ainsi qu'une tribune éclairée sur un sujet qui sera toujours chargé d'émotivité et qui fera toujours polémique. Nous vous encourageons à solliciter les avis les plus divers et à vous concentrer sur l'élaboration d'une stratégie clairement formulée pour l'avenir.

Le Groupe d'intervention action santé se réjouit de participer à cette étude alors même qu'elle n'en est qu'à ses tout débuts et que vous commencez à discuter des diverses options. Nous nous félicitons de pouvoir répondre à vos questions.

Le président: Je remercie tous les témoins pour cet échantillonnage extrêmement intéressant de sujets d'intérêt. Je voudrais commencer par poser une simple question de façon collective à tous les témoins. Ce qui me frappe, c'est que d'une part, vous semblez être tous d'accord alors que d'autre part, vous semblez être aux antipodes les uns des autres. J'aimerais savoir où vous vous positionnez sur cette échelle. Les représentants du groupement HEAL insistent énormément sur la question du financement, pas simplement à court terme mais également à long terme. Le professeur Deber fait valoir qu'il y a un problème de financement qui est fonction de la croissance démographique et du taux d'inflation qui n'auraient pas été pris en compte. Vous soutenez également qu'il s'agit autant d'un problème d'allocation des ressources d'un problème de financement. Le docteur McMurtry dit pour sa part qu'en réalité, nous devons réexaminer le système dans son ensemble sans nous limiter simplement à étudier la question du financement et celle de la croissance par habitant, entre autres, pour remettre plutôt sur la table la question de la santé du Canadien en général, mais dans un contexte de société beaucoup plus vaste.

Ces trois positions reflètent des orientations fort différentes. Je simplifie les choses en partie pour appeler des réactions, et en partie également pour clarifier les positions. Selon le groupement HEAL effectivement, nous devons apporter des changements mais, dans l'ensemble, le problème primordial est un problème d'argent. Le professeur Deber dit effectivement, nous avons un problème d'argent, mais nous avons également d'autres problèmes. Le docteur McMurtry opine mais, en revanche, il change la mise au point du télescope pour prendre une image beaucoup plus générale. Me trompais-je beaucoup en résumant ainsi vos positions? Si c'est le cas, je vous saurais gré de me dire pourquoi.

Mme Deber: Je pense qu'essentiellement, nous sommes plus ou moins d'accord avec ce que vous dites, les détails mis à part. De toute évidence, les déterminants de la santé ont une importance extraordinaire. On peut certes s'interroger au sujet de l'impérialisme médical et se demander dans quelle mesure vous voulez prendre certains déterminants très importants de la santé et les intégrer au système. Par exemple, le logement est manifestement un élément déterminant de la santé tout à fait fondamental. Je ne me sentirais pas à l'aise par contre si on essayait de dire que la politique du logement fait partie de la politique de la santé. Je pense que nous nous entendons sur ce qui est important, mais je ne suis pas en revanche tout à fait certaine de savoir jusqu'où je suis prête à aller en affirmant ce qui doit être financé par les fonds publics dans le cadre d'un système universel en vertu des principes enchâssés dans la Loi canadienne sur la santé. Il y a beaucoup de choses qui ont une importance extraordinaire mais que je n'intégrerais pas dans le cadre de ces principes.

La province que je connais le mieux est l'Ontario. Pour commencer, personne ne sait au juste combien l'Ontario dépense parce que cette province utilise désormais la comptabilité d'exercice. Si vous annoncez que vous allez dépenser ceci ou cela, vous pouvez en faire une écriture sans devoir nécessairement décaisser l'argent. Il y a aussi énormément de reclassification: certaines choses qui relevaient auparavant d'une certaine enveloppe sont maintenant dans une autre. Il est extrêmement difficile de savoir ce qui a été dépensé au juste. L'Ontario, par exemple, dépense 400 millions de dollars pour licencier des infirmières, puis dépense 400 millions de dollars de plus pour les engager à nouveau. Je ne suis pas entièrement convaincue que ce soit la meilleure façon possible d'utiliser les deniers publics. L'Ontario «économise» un peu d'argent en supprimant des programmes de formation en radiologie, mais pour découvrir ensuite qu'il faut des gens pour faire fonctionner les machines, et que ces gens doivent maintenant être envoyés aux États-Unis pour obtenir la formation nécessaire.

Le problème principal tient à ce que l'argent doit être prévisible. Il faut pouvoir l'utiliser à long terme. L'Ontario prétend investir dans les salles d'urgence, mais il le fait pour trois mois ou quatre mois. On ne peut pas engager une infirmière pour trois ou quatre mois. On semble partir du principe que tous les intervenants en santé sont prêts à attendre chez eux qu'on les appelle au téléphone et qu'ils sont ravis d'aller travailler au moment où on le leur demande. Il est impossible de travailler sans avoir du personnel qui soit permanent.

Il y a également un problème d'allocation des ressources parce que les formules de financement ont un effet pervers. On a plafonné le revenu de certaines fonctions et la facturation, mais on n'a pas fait l'adéquation avec le besoin. Ainsi, nous arrivons à ces situations courantes mais tragiques qui font dire aux gens: «Si je multiplie le nombre de visites, je gagnerai davantage que celui qui exerce la médecine de façon responsable». Nous offrons des incitatifs qui ont un effet pervers tout en espérant que les gens auront suffisamment le sens des responsabilités pour les ignorer. Dans une large mesure, il s'agit d'un problème de d'allocation parce qu'on gaspille énormément d'argent à coller des emplâtres temporaires pour gommer les pics et remplir les creux. Si les gens savaient sur combien d'argent ils pouvaient compter, ils géreraient beaucoup mieux.

Mme Jeans: Je ne pense pas que nos positions respectives soient tellement différentes. HEAL a pour position que les financements ont été réduits aussi bien sur le plan provincial que sur le plan fédéral. Nous sommes convaincus que cela a entraîné des conséquences néfastes graves. Par contre, nous ne préconisons pas de conserver le système tel qu'il était. Nous avons l'intime conviction que la réforme de la santé n'est pas encore intervenue. Tout ce qui est survenu, ce sont les réductions des dépenses.

Je conviens qu'il y a sans doute beaucoup de gaspillage. Nous croyons que ce qui devrait être inclus dans l'assurance-maladie devrait être une vaste gamme de services allant de la promotion de la santé et de la prévention des maladies aux soins actifs, à la réadaptation, aux soins à domicile et aux soins communautaires. Nous croyons qu'une réforme fondamentale des soins de santé primaires s'impose. Cependant, le docteur McMurtry et moi avons peut-être des définitions différentes des termes «soins primaires» et «soins de santé primaires».

Le président: Vous semblez tous deux d'accord sur le fait qu'il faudrait élargir la question de façon importante, pour qu'elle n'inclue plus que les médecins et les hôpitaux.

Mme Jeans: Tout à fait. Le dernier point est lié à ce qu'a dit Mme Deber. Dans le discours sur le budget, cette semaine, on a annoncé l'investissement de 23,5 milliards de dollars dans le TCSPS. Pourriez-vous essayer de gérer un secteur d'activité valant quelque 80 milliards de dollars dans un contexte où l'incertitude relative au financement se reproduirait année après année? On ne peut gérer un système de façon responsable sans la capacité de planifier à long terme. Or, c'est exactement le problème que nous avons à l'heure actuelle.

Mme Sholzberg-Gray: On retrouve dans cette page tous les principes qui ont présidé à la fondation de HEAL en 1991. Par exemple, on y parle du besoin d'un éventail plus large de soins au sein du système public. On y reconnaît l'importance des déterminants de la santé, mais en tant que groupe de pression pour les soins de santé nous n'allons pas nous lancer dans une polémique sur le financement, bien que nous ayons discuté des mérites des baisses d'impôt par rapport à l'accroissement des dépenses dans les soins de santé. Nous avons mentionné le fait que s'il faut payer davantage pour les soins de santé, certaines baisses d'impôt pourraient avoir moins d'importance aux yeux des Canadiens. Nous avons bien entendu étudié la question, et nous reconnaissons que la réduction des disparités dans les revenus constitue une question importante dans le domaine de la santé, parce que les niveaux de revenus forment des déterminants de taille dans ce domaine.

Nous avons discuté des mêmes questions à la présente table. HEAL insiste également sur le fait que nous avons besoin d'un financement sûr et soutenu à long terme afin de pouvoir dresser des plans, puis d'appliquer ces plans. Dans un certain nombre de provinces -- et peut-être ne devrions-nous pas utiliser l'Ontario comme exemple -- de telles approches sont beaucoup plus utilisées. De fait, dans certaines provinces, on dit: «Nous avons fait ce genre de progrès, mais nous n'avons pas le financement nécessaire pour continuer d'en appliquer les résultats». Il existe toutes sortes de différences au pays. Il s'agit peut-être d'une des choses sur lesquelles le comité devrait se pencher. L'ensemble des régimes d'assurances et de ce qu'ils couvrent dans les provinces est très disparate. Il faudrait peut-être dire que, dans une certaine mesure, le gouvernement fédéral doit s'assurer que tous les Canadiens ont accès à des services comparables, peu importe l'endroit où ils vivent. Pour ce faire, il faudrait aller au-delà des questions relatives aux hôpitaux et aux médecins. Nous sommes sur la même longueur d'onde en ce qui a trait au financement et à l'utilisation qu'on devrait faire de ce financement.

Dr McMurtry: Moi aussi, je crois que nous sommes passablement sur la même longueur d'onde. Toutefois, je crois qu'on devrait cesser de formuler le financement en fonction des ressources, pour tenir compte, plutôt, des besoins ou de la population.

Tout d'abord, des questions comme qui fait quoi deviennent alors sans importance. Il ne s'agit pas de savoir si c'est un médecin, une infirmière, un travailleur social ou un autre professionnel des soins de la santé qui va donner tel ou tel service. Il est beaucoup plus important que ce service soit accordé à la population. Il s'agit là d'un des principes.

Deuxièmement, il nous faut nous éloigner des interventions «après coup». Nous devons tous tomber d'accord là-dessus, ou nous n'interviendrons pas là où c'est nécessaire. De là l'importance qu'il y avait à parler des déterminants de la santé.

Le président: Par «après coup», voulez-vous dire après que quelqu'un soit tombé malade?

Dr McMurtry: En gros, le système de soins de santé est fondé sur le rétablissement. Il y a pourtant des questions de protection, de prévention et de promotion. Mettre en vigueur ces trois principes nous permettrait d'être prévoyants, et c'est ce que nous devons être.

Troisièmement, mes collègues ont dit: «Il faut aller au-delà du système de soins de santé des médecins et des hôpitaux». C'est bien vrai, mais il y a une chose qu'il ne faut pas oublier: on aura toujours besoin de programmes de maintien des fonctions vitales pour les cas de cancer, de soins cardiaques, de soins critiques, des cas d'urgence, des cas de traumatismes et des cas de transplantation. Mais idéalement, on pourrait faire baisser les besoins dans ces domaines en faisant preuve de prévoyance.

Le sénateur LeBreton: Je vous remercie beaucoup. Il y a dans ce que vous avez dit une foule de renseignements à assimiler.

En écoutant votre exposé, je songeais à la perception que pouvaient en avoir les citoyens qui nous écoutent. Il semble y avoir énormément de confusion, au sein de la population, relativement à la question du secteur public par rapport au secteur privé. J'écoutais Mme Deber parler de la prestation de services dans le secteur public. Comment expliqueriez-vous la chose aux citoyens dans des termes que tout le monde pourrait comprendre? Je ne pense pas que la population est capable de s'y retrouver. Je crois que la chose est devenue un ballon politique. C'est ce à quoi nous assistons à l'heure actuelle. Lorsque nous parlons de soins de santé privés, je suis sûre que certaines personnes pensent qu'il s'agit de créer une entreprises, de fonder un hôpital ou d'embaucher son propre médecin. Comment informer les citoyens sur ce qui fait partie réellement du secteur privé et du secteur public, afin de pouvoir faire passer le débat à un autre niveau?

Dr McMurtry: Je ne crois pas que la solution commence par une explication de l'économie et du financement. Je crois qu'au centre des préoccupations du public se trouvent les questions cruciales de l'universalité -- c'est-à-dire, l'absence d'exclusion -- et de l'accessibilité. Voilà ce qui l'intéresse. Si nous pouvons répondre à ces préoccupations, je pense que tout ira bien dans le meilleur des mondes. L'universalité et l'accessibilité sont des questions cruciales. Cependant, ce qu'il faut couvrir doit faire l'objet de discussions.

Il faut établir une priorité. L'accessibilité et l'universalité sont les questions les plus importantes. La couverture vient ensuite. Il n'est certainement pas utile d'avoir des couvertures différentes selon les provinces. De telles différences peuvent avoir un effet dévastateur pour les gens qui ont des problèmes de santé.

Le sénateur LeBreton: Oui, et il y a aussi la différence entre les régions rurales et les régions urbaines au sein d'une province.

Dr McMurtry: Voilà ce sur quoi il nous faut agir, au lieu d'essayer d'expliquer les arcanes du financement.

Mme Sholzberg-Gray: J'aimerais ajouter une chose, sans entrer dans les détails des aspects économiques. Je crois que le public sait qu'il doit payer pour certains services de soins de santé. Il n'y a pas une famille dont un membre âgé a besoin de soins à domicile ou de soins de longue durée en établissement qui ne sait pas qu'elle doit payer beaucoup d'argent, et bien plus dans certaines provinces que dans d'autres. Par exemple, dans les provinces Maritimes, les quote-part pour les établissements de soins de longue durée atteignent plusieurs milliers de dollars par mois par rapport aux actifs et aux avoirs. Dans notre système, nous ne songeons pas à l'examen des ressources et de l'avoir avant d'offrir des soins de santé, mais la chose se fait dans certains secteurs.

Dans certains cas, les Canadiens doivent payer 100 p. 100 de leurs soins. Ils s'en rendent compte lorsqu'ils doivent payer 100 p. 100 de leurs soins de physiothérapie, même s'ils ont besoin de ces soins à la suite d'une intervention chirurgicale, simplement parce qu'il n'y a plus de physiothérapie offerte dans les hôpitaux, ou du moins parce qu'il n'y en a plus assez. Ils savent qu'ils paient pour ce traitement. Ils savent alors qu'ils ont affaire au secteur privé. Mais ils se demandent parfois, s'il y a l'assurance-santé au Canada, pourquoi paient-ils? Ils se posent ce genre de questions parce qu'ils ignorent les limites de notre régime d'assurance-santé. Ils ignorent que ce régime ne va pas plus loin que les hôpitaux, qu'il ne franchit pas la porte du cabinet du médecin. Cependant les tests exigés par un médecin peuvent être couverts. Les Canadiens ne savent pas vraiment ce qui est couvert et ce qui ne l'est pas.

Je ne crois pas avoir rencontré bien des Canadiens qui souscrivent à des assurances privées. Ils souscrivent à une assurance complémentaire offerte par leurs employeurs et ils savent que cette assurance couvre toutes sortes de choses comme les lunettes ou les appareils de correction auditive, mais je pense que le public se pose bien des questions au sujet de ce qui est couvert ou non. Mon bureau reçoit bien des appels de gens qui demandent: «Pourquoi est-ce que personne ne peut me dire ce à quoi je vais avoir droit quand je serai plus vieux?» C'est parce que personne n'a de liste de ce à quoi nous avons droit. Peut-être pourrions-nous dire clairement ce que notre multiplicité de systèmes, nos systèmes hétéroclites offrent, de même que ce qu'ils devraient offrir pour répondre aux besoins des Canadiens, l'ensemble de services qui devraient être couverts.

Le président: Et, de ce fait, ce qui ne devrait pas être couvert.

Mme Sholzberg-Gray: Exactement.

Mme Deber: En tant que politologue, lorsqu'il existe une certaine confusion, je cherche à savoir à qui elle profite. La première loi de la limitation des coûts veut que la façon la plus facile de restreindre les coûts c'est de les refiler à quelqu'un d'autre. C'est une loi à laquelle on s'accroche. Tout le monde refile ses coûts à quelqu'un d'autre en disant faire des économies. Pourtant, si les coûts totaux sont plus élevés, il n'y a pas eu d'économie. On a simplement chargé quelqu'un d'autre du fardeau que représentent ces coûts.

On a grand besoin d'un cadre de reddition de comptes au sein du régime de soins de santé, parce que l'entente que nous avons passée avec les Canadiens, c'est qu'ils auront un accès rapide à des soins de haute qualité quand ils en auront besoin. Si nous ne respectons pas cette entente, alors, bien entendu, les Canadiens vont se mettre à chercher des solutions de rechange. S'ils se mettent à chercher des solutions de rechange, les coûts totaux vont grimper, les employeurs devront supporter des fardeaux accrus, l'équité va s'en ressentir, et il va se produire bien d'autres choses que nous ne trouvons pas particulièrement désirables.

J'aimerais dire quelque chose à propos de la façon dont nous considérons l'attribution des ressources. Là où n'existe pas le paiement à l'acte pour certains services, ces services deviennent plus faciles à gérer. Si vous êtes dans un hôpital, vous n'avez pas besoin de demander: «Avez-vous assuré une infirmière pour qu'elle prenne les signes vitaux? Est-ce que la prise des signes vitaux est un service assuré?» Si vous avez assez d'infirmières, elles peuvent décider quand prendre les signes vitaux et agir en fonction de leur décision. Il y a du bon à avoir des budgets globaux pour certaines choses. Vous avez le personnel nécessaire, et les membres de ce personnel décident ce qui doit être fait afin d'accorder les soins nécessaires aux patients. Dans certains cas il faut un paiement à l'acte, mais la chose n'est pas nécessaire pour bien des services.

Il y a une mise en garde que j'aimerais faire. Les régions que nous avons établies dans la majeure partie du Canada sont beaucoup trop petites pour être viables de ce point de vue. Au minimum, même pour les soins de santé primaires, il faut un bassin de 100 000 personnes pour en arriver à une certaine stabilité du point de vue actuariel. Dans le cas des services spécialisés, il en faut bien davantage. Il faut tenir compte du fait qu'il n'y a pas de solution miracle, et qu'il nous faut songer à des services mixtes, afin d'offrir une gamme de services spécialisés pour des besoins spéciaux auxquels on ne pourra pas répondre au sein d'une région parce que la population y est trop petite. Cette gamme de services spécialisés s'ajouterait aux services qu'on peut gérer facilement au sein d'une région. Ici, je songe non seulement à la haute technologie, mais également à des programmes de formation en traitement du diabète pour les personnes d'origine chinoise, dont le régime alimentaire est différent. Il pourrait ainsi y avoir un rôle national à jouer dans l'établissement de services de télémédecine et d'autres mesures semblables, comme les centres nationaux d'excellence, desquels on peut recevoir des soins. On pourrait inclure là-dedans les produits pharmaceutiques dans le cadre d'un protocole et la médecine fondée sur les résultats cliniques et scientifiques, de même que d'autres domaines qu'on cherche à transformer, afin qu'on ait des systèmes de soins de santé primaires dans le cadre de services locaux.

Il est important de ne pas tomber dans le piège des solutions miracles, et de ne pas se laisser gagner par l'idée que la façon dont nous finançons et offrons des services est la seule façon de le faire.

Le sénateur Carstairs: Madame Deber, à la page 41 de votre mémoire, vous donnez les dépenses par habitant, en 1997, pour chaque province et pour l'ensemble du pays. J'ai été frappée par ces données, parce qu'il semble que certaines des provinces moins nanties, comme Terre-Neuve, par exemple, dépensent davantage par habitant pour les soins de santé que l'Ontario ou l'Alberta. Est-ce que vous-même ou l'un de vos collègues pourrait nous dire pourquoi certaines provinces dépensent moins par habitant que d'autres? Je sais ce qui se passe au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest pour y avoir séjourné quelque temps. La question de l'éloignement et du fait qu'il faut transporter les gens par avion entre en ligne de compte, là-bas, mais qu'est-ce qui explique les autres disparités?

Mme Deber: C'est une bonne question. Il faut l'étudier avec attention. L'un des éléments de réponse les plus évidents, c'est qu'il y a des économies d'échelle. Si je parle de dépenses par personne, et que j'ai des coûts fixes pour l'établissement d'une salle d'urgence, en répartissant ces coûts sur moins de personnes, mon coût par personne serait plus élevé. Toutefois, un autre élément de réponse se trouve du côté des priorités établies par les gouvernements provinciaux. Ce qui est frappant, également, c'est que les provinces qui sont assez riches dépensent moins par habitant, et je n'arrive pas à déterminer si ces provinces ont assez d'argent pour financer les services dont elles ont besoin, ou si elles n'en ont pas assez. Le fondement des transferts fédéraux depuis 1977 a toujours été: «Nous vous remettons les fonds, vous décidez comment les dépenser». Si ce n'est pas le cas, si les provinces disent: «Non, nous n'allons dépenser cet argent que si vous établissez des liens», alors on serait peut-être justifié de réexaminer le transfert canadien et ce type d'approche.

Il est également très intéressant de constater qu'au Québec, il y a eu moins de financement de la part du secteur privé, et qu'une des raisons pour lesquelles la crise actuelle semble plus grave au Québec pourrait être que le financement du secteur privé n'est pas venu remplacer une partie du financement du secteur public. Je pense qu'on a trop compté sur les transferts fédéraux et pas assez sur ce que les provinces déterminent comme besoins, et ce qu'elles font à ce propos.

Le sénateur Carstairs: Pour poursuivre dans cette veine, en me livrant à certaines comparaisons avec le financement de l'éducation d'il y a quelques années, j'ai découvert, à ma grande surprise, qu'au début des années 80, dans la province de Colombie-Britannique, on ne dépensait littéralement rien sur l'éducation postsecondaire. La province recevait ses fonds du fédéral et les dépensait dans le domaine de l'éducation postsecondaire, mais elle n'avait littéralement aucun montant dans son budget pour l'éducation postsecondaire.

Ici, on parle de choix. On parle d'un gouvernement provincial qui dit: «Nous n'allons pas consacrer d'argent à l'éducation postsecondaire». Selon ce tableau, la Colombie-Britannique investit davantage d'argent par habitant dans les soins de santé que n'importe quelle autre province. Comment obtient-on ce genre de renseignements? Comment peut-on savoir quels programmes sont couverts dans chaque province et quels programmes ne le sont pas, afin qu'on puisse en arriver à une vraie idée de ce qui se dépense en soins de santé au pays? Bien franchement, je ne sais pas ce qui se dépense en soins de santé, et je soupçonne que personne d'autre ne le sait.

Mme Deber: Je crois que vous avez mis le doigt sur l'essentiel. Il s'agit là d'une chose extrêmement importante. J'ai essayé de découvrir ce qui était arrivé à l'argent du Régime d'assistance publique du Canada, mais personne ne conserve de données sur ce qu'étaient les frais partageables de ce régime. Dans la même veine, j'ai essayé de savoir ce que l'Ontario faisait dans le domaine de l'éducation postsecondaire. Personne ne conserve de données antérieures à 1977. Les dépenses pour les collèges et universités sont distinctes de celles des collèges communautaires. Là encore, si l'on prend seulement les collèges et les universités, les provinces dépensent moins en subventions de fonctionnement que les sommes qu'elles reçoivent du gouvernement fédéral en transferts imputés. J'ignore aussi quelle est la différence dans le cas des collèges communautaires.

Vous avez raison. Nous avons besoin d'un cadre redditionnel. Nous avons besoin de savoir ce qui est couvert et où va l'argent. En tant que chercheuse, je serais ravie d'avoir accès à ce genre de données.

Le sénateur Carstairs: J'en arrive à mes dernières questions, que je lance à tout venant parce que je ne crois pas que qui que ce soit pourra y apporter réponse. Notre population vieillit. Si nos analyses sont exactes, à l'heure actuelle, la majeure partie du financement de soins de santé est consacrée aux soins accordés lors des deux dernières années de vie des Canadiens. Quelle devrait être la responsabilité des personnes âgées, du point de vue des ressources financières qu'elles ont à leur disposition, et qu'elles vont léguer à la génération suivante? Quelle devrait être leur responsabilité en ce qui a trait à certains de ces coûts?

Dr McMurtry: Je ne connais pas la réponse, mais je peux faire quelques observations. À Santé Canada, nous essayons de déterminer la proportion de l'augmentation annuelle des dépenses de santé qui est attribuable au vieillissement, et c'est actuellement environ 4 p. 100, soit beaucoup moins qu'on ne pourrait s'y attendre. Par exemple, on peut attribuer chaque année 1 p. 100 de l'augmentation à la technologie. Évidemment, ces considérations ne sont pas entièrement distinctes. On devrait atteindre 0,6 p. 100 par an d'ici 10 ans.

On a beaucoup parlé du vieillissement de la population et du fardeau qu'il va entraîner. Chose certaine, après 65 ans, les dépenses individuelles de santé augmentent. Je n'ai pas de réponse définitive, mais ces chiffres peuvent néanmoins vous intéresser.

Finalement, en ce qui concerne la fin de la vie, actuellement à l'étude au Sénat, il faudrait un dialogue public beaucoup plus intense. À mon avis, il faudrait réfléchir davantage aux soins qu'aux dépenses liées au savoir. Plus on en parlera, mieux cela vaudra.

On parle beaucoup de toutes les dépenses effectuées pendant les six derniers mois et les deux dernières années de la vie. Le problème, c'est qu'on ne sait pas quand cette période commence.

Mme Jeans: Lorsque le Canada a lancé son régime d'assurance-santé, ou du moins ses différents régimes tels que nous les connaissons actuellement, l'espérance de vie n'était pas aussi élevée. On ne s'attendait pas à vivre jusqu'à 80, 90 ou même 100 ans. En outre, les gens étaient convaincus de l'équité du système. Ils considéraient que chacun avait droit à des soins de santé selon ses besoins.

Quant à savoir si les personnes qui prennent de l'âge devraient assumer les responsabilités financières de leurs soins, il est certain qu'on ne transmet pas beaucoup d'argent d'une génération à l'autre et que les jeunes doivent payer très cher pour les membres plus âgés de leur famille. Je ne sais pas pourquoi vous avez posé cette question, mais je crois qu'actuellement, il faut en inverser les termes pour la plupart des Canadiens.

Mme Deber: C'est une bonne question, mais je crois qu'il en va comme de l'équité verticale par opposition à l'équité horizontale dans les questions fiscales. Quand deux personnes sont malades et que l'une est plus riche que l'autre, il semble injuste que la personne la plus riche ne paie pas une partie des dépenses. En revanche, si deux personnes ont autant d'argent l'une que l'autre, que l'une est malade et que l'autre ne l'est pas, est-il juste que la personne malade paie parce qu'elle est malade? Tout dépend de la façon dont on aborde le problème. J'ai bien du mal à considérer qu'une personne doit payer pour le privilège d'avoir le cancer.

En définitive, étant donné que les soins nécessaires coûtent moins cher dans un système public, si nous ne pouvons nous doter d'un système public, nous ne pourrons avoir de régime universel privé. Si nous optons pour un régime mixte où certains devront payer les soins de santé de leur poche, on accepte de priver de soins ceux qui ne pourront en payer le prix. Il est tout à fait possible qu'on décide que certains soins ne pourront être assurés universellement et que ceux qui veulent les obtenir devront en assumer le coût. Cependant, ces considérations n'ont pas leur place dans le débat sur l'équité.

Mme Sholzberg-Gray: Dans certains pays, même peut-être au Royaume-Uni, on n'obtient plus de dialyse au-delà d'un certain âge. Je ne pense pas que de telles règles soient acceptables au Canada. Je ne peux pas considérer que les Canadiens plus âgés doivent payer pour leurs soins parce qu'ils approchent du terme de leur vie ou parce qu'ils ont davantage de ressources. Il se peut aussi qu'ils aient payé beaucoup plus d'impôts au cours de leur vie et que ces impôts couvrent leurs soins de santé.

En matière de soins de santé, il importe toujours de tenir compte du résultat et d'assurer les soins appropriés en temps utile. Le choix des soins appropriés dépend non pas de l'âge, mais de l'état du patient. Évidemment, on ne connaît jamais les résultats à l'avance, mais la pertinence des soins est toujours fondamentale; si on applique les soins appropriés dans les circonstances, au lieu de pratiquer des soins qui ne conviennent pas toujours, la question des coûts n'entrera pas en ligne de compte.

Le sénateur Keon: Je voudrais vous demander de considérer le point suivant: je crois que nous sommes dans l'impasse. Comme les soins de santé sont urgents, nous avons élaboré un système pour les malades, et nous essayons de les en faire sortir. Nous continuons à réagir à ce système. À mon avis, ce qu'il nous faut, c'est un système fondé sur un contrôle dynamique de la santé de la population. J'ai bien aimé ce qu'a dit le docteur McMurtry à propos des trois solitudes, qu'il faudrait intégrer.

Il nous faut un système qui surveille la santé de la population et qui y réagisse de façon positive en fonction de ses ressources. Pour cela, il faut se servir des connaissances fournies par la recherche en santé. En appliquant ces connaissances aux trois solitudes, qui, idéalement, devraient être intégrées, nous pouvons considérer les résultats par rapport à l'état de santé de la population et nous pourrons intervenir, grâce à des travaux ciblés de recherche, à de la recherche pure, de la recherche épidémiologique, et cetera, pour apporter les ajustements nécessaires. Si nous y parvenons, le comité aura fait oeuvre utile. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.

Mme Deber: J'ai travaillé dans un service de santé communautaire où la santé déterminative était une profession de foi, et votre proposition serait acceptable dans un monde idéal. Malheureusement, il y a trop de problèmes que l'on ne sait pas encore prévenir. Nous avons une idée de la façon de prévenir les maladies cardiaques, mais il y a encore bien des problèmes cardiaques que nous ne savons pas prévenir. Il en va de même du cancer et de nombreuses autres pathologies.

Par ailleurs, des remèdes dont l'efficacité n'est pas prouvée ne sont pas nécessairement inefficaces. Il existe tout un secteur de la médecine que nous ne connaissons pas encore suffisamment. Je reconnais l'importance de la recherche, des meilleures pratiques et de la nécessité de fournir de l'information pour les améliorer. C'est essentiel. Cependant, on aurait tort de croire que nous en savons déjà assez pour prévenir tous les problèmes. Il y aura toujours des gens qui tomberont malades, qui seront victimes d'un accident et qu'il faudra soigner. Par conséquent, le bien-être et la santé de la population sont certainement des éléments importants, mais je ne pense pas qu'ils puissent remplacer tout le reste.

Lorsque le régime national de santé a été créé en Angleterre, on croyait que la maladie était trop répandue et qu'en assurant des services médicaux appropriés, on pourrait l'éliminer et la prévenir, diminuer les coûts de santé, et que tout serait parfait. Évidemment, cela ne s'est jamais produit ainsi.

Je travaille dans ce secteur depuis trop longtemps sans doute, mais j'entends constamment dire: «Si on pouvait consacrer plus d'argent à la prévention, on aurait moins à se soucier de soins curatifs.» Nos connaissances ne sont pas encore suffisantes en matière de prévention. Pourtant, je crois que les possibilités sont considérables dans certains domaines, notamment en santé mentale. Une fois qu'on aura bien compris les principes essentiels de la schizophrénie et de la dépression, on pourra réaliser des économies considérables et améliorer la qualité de vie.

Des possibilités existent, mais je ne pense pas que nous soyons prêts à les réaliser. Je considère néanmoins que la santé publique est sous-évaluée et négligée. Il n'y a pas suffisamment d'investissement dans les activités fondamentales de santé publique.

Lorsque j'étais dans les provinces de l'Atlantique, on m'a parlé de localités où la distribution d'eau présente des risques pour la santé pendant une partie de l'année. Il semble étrange, compte tenu de la situation actuelle, qu'on n'ait pas fait les investissements nécessaires pour que les grandes villes de la région atlantique aient une eau saine.

Effectivement, on ne s'est pas suffisamment préoccupé de santé publique. Cependant, je ne pense pas que nos connaissance soient suffisantes pour qu'on puisse passer à un système axé entièrement sur la santé de la population, même si j'y vois un objectif intéressant.

Le sénateur Keon: J'aimerais modifier l'orientation de votre réponse, car vous parlez de santé de la population dans le contexte de la prévention primaire et secondaire. Moi, je parle d'un contexte complet, des trois solitudes mentionnées par le docteur McMurtry. Je parle des résultats des opérations de la hanche et des traitements semblables. Je reconnais que nous n'avons pas toutes les connaissances scientifiques pour régler tous les problèmes dans une optique de prévention, mais j'aimerais que les autres témoins répondent à ma question dans un contexte plus complet.

Dr McMurtry: Nous reconnaissons tous, je pense, que nous ne pourrons jamais nous en remettre exclusivement à la prévention. Je m'empresse d'ajouter, cependant, qu'il existe des possibilités extraordinaires de prévention dans trois domaines, à savoir la santé en milieu de travail, l'éducation et l'alphabétisation, et enfin, le développement dans la petite enfance. La prévention aurait manifestement des conséquences positives dans ces secteurs.

Pour intégrer pleinement les trois solitudes, il faudrait faire des efforts à au moins quatre niveaux. Le premier est celui de la prise en charge du patient par lui-même, de ce qu'on peut faire pour lui permettre de maîtriser sa santé et de l'améliorer. J'ai découvert à ce sujet une documentation intéressante ainsi qu'un mouvement lié à Santé Canada, dont il faudrait parler davantage. Je pense qu'on peut parler d'alphabétisation en santé. Il reste encore un écart considérable entre ce que l'on fait et ce que l'on pourrait faire.

Le deuxième niveau comprend un investissement dans les localités de 5 000 à 10 000 habitants, qui sont suffisamment petites pour que tout le monde se connaisse de nom et suffisamment grandes pour accueillir une école publique, un parc et une rue principale de 300 mètres de long. Sur cette base, on peut établir des groupes de soutien et d'entraide. C'est une question d'aide mutuelle et d'éducation. Ce type d'investissement dans les localités de ce genre devrait favoriser la santé et le bien-être. On a déjà de l'information et des travaux de recherche sur ce sujet.

Pour le troisième niveau, rien ne s'oppose à ce que l'on multiplie les efforts pour recueillir des données et de l'information permettant de mieux mesurer la santé de la population. De tels efforts existent déjà. Ils sont exceptionnels mais il conviendrait de les multiplier. Ils profitent à tous et présentent un grand intérêt pour les chercheurs, le public et les responsables de la planification.

Le quatrième niveau est le plus délicat pour l'ensemble de la population car il oppose les notions de saine politique et de politique de santé. Par exemple, il comprend les effets de la mondialisation, le milieu de travail, l'environnement, la santé et d'autres questions connexes. Les efforts dans ce domaine risquent d'être très difficiles, mais notre pays ne peut les éviter.

Vous avez laissé entendre que vous allez bientôt débattre d'intégration, notamment lors de la troisième lecture du projet de loi C-13, qui doit créer les instituts de recherche en santé du Canada. Je ne peux vous donner de réponse précise, mais c'est certainement l'orientation qu'il faut prendre pour progresser. Il faut réunir les trois solitudes.

On pourrait progresser considérablement en réinvestissant à ces quatre niveaux.

Mme Sholzberg-Gray: Nous partageons les vues qui viennent d'être exprimées. Le groupe d'intervention Action Santé revendique toujours une augmentation des crédits consacrés à la santé, non pas dans le contexte du statu quo, mais des changements qui doivent intervenir de façon à mieux répondre aux besoins des Canadiens, comme nous l'avons dit tout à l'heure.

Le sénateur Pépin: Le docteur McMurtry a dit qu'il manquait une perspective d'avenir globale. Je suis d'accord avec lui. À votre avis, quelles sont les principales erreurs qu'on ait faites au cours des années 90, avant de bâtir l'avenir?

Dr McMurtry: Cette question est très importante. En ce qui concerne les erreurs des années 90, la liste est interminable. Je vais faire appel à ma mémoire pour retrouver certains éléments. Je vais répondre en me plaçant du point de vue du système de santé, puis du point de vue de la santé de la population, car presque tout a été mal fait. Je dirais même que presque toutes les mauvaises orientations qui pouvaient être prises l'ont été.

La réforme de la santé, comme on l'a dit très clairement, était fondée sur des motivations financières. Elle a été conçue en fonction de préoccupations financières, et non humaines. La plus grosse erreur, c'est que ce qu'on supprimait n'était pas remplacé. Je n'ai pas vu d'analyse complète à ce sujet, mais on estime qu'il n'y a eu qu'un dollar de réinvestissement pour 6 $ de compressions budgétaires. Du point de vue du système de santé, ce fut une grave erreur.

J'ai constaté que sur une période de cinq ans, on a supprimé 43 millions d'heures de travail infirmier dans des établissements de soins de toutes sortes, ce qui représente un sixième de l'ensemble des heures de travail infirmier. Comment peut-on espérer remplacer ces heures de travail?

J'ai remarqué que dans l'organisation des changements apportés au système de santé, on s'est efforcé méthodiquement d'exclure ceux que l'on considère habituellement comme les experts. Je ne veux pas dire que c'était aux experts de décider ce qui devait se passer, mais il était insensé de ne pas leur permettre de s'exprimer. Il est certain que les professionnels de la santé se sont sentis totalement écartés. Je considère que c'est là une autre erreur.

Parmi les erreurs encore plus navrantes figure l'augmentation du nombre des enfants vivant en deçà du seuil de pauvreté. Les difficultés que nous avons connues en matière de chômage, et qui s'atténuent heureusement, puisque le taux actuel de chômage s'établit à 6,9 p. 100, ont provoqué de douloureux bouleversements. Le milieu de travail est caractérisé par des niveaux élevés de stress et de difficulté, à cause de la perte de contrôle, du manque de respect pour le travail et de la diminution du temps consacré à la vie de famille; c'est là une orientation inopportune.

Je crois aussi que la diminution du soutien à la santé publique est un facteur très préoccupant. Ma liste est certainement incomplète, sénateur, mais je suis aussi très préoccupé de ce qui se passe dans le domaine de l'éducation, en particulier avec la fermeture des écoles publiques, la suppression de certains programmes, les problèmes de ratio enseignant-élèves et l'augmentation des frais de scolarité dans l'enseignement postsecondaire, qui a pour effet d'opérer une sélection selon les moyens financiers, et non selon les aptitudes.

Je dois dire que tous ces changements d'orientation sont très préoccupants.

Si l'on veut réfléchir aux perspectives d'avenir concernant la santé et le bien-être des Canadiens, il faut effectivement repenser le régime des soins de santé, mais il faut aussi y intégrer notre réflexion concernant les effets de l'intervention des pouvoirs publics sur la santé et sur les risques ainsi encourus.

En moyenne, comme vous le savez, les Canadiens ont perdu 6 p. 100 de leurs revenus réels, d'après Angus Reid, ce qui n'est pas sans conséquence.

Vous m'excuserez de vous donner une réponse un peu décousue, mais je remarque ici un certain nombre de facteurs. Par exemple, je n'ai pas parlé de la santé des écosystèmes, sur laquelle nous n'avons pas pris les bonnes décisions. C'est une question fondamentale.

Le sénateur Pépin: Je comprends pourquoi vous dites que nous n'avons pas de perspective d'avenir globale. C'est pourquoi j'ai voulu poser cette question.

Nous avons parlé du rôle du secteur privé par opposition à celui du secteur public. Quel devrait être le rôle du secteur privé à l'avenir?

Mme Deber: Le secteur privé a certainement un rôle important à jouer dans la prestation des soins de santé, et je pense qu'il va continuer à jouer ce rôle. Il devra également couvrir certains éléments que nous ne voulons pas imputer au secteur public.

Il faut également s'interroger sur le rôle que nous voulons confier au secteur à but lucratif, ce qui pose la question de la bonne utilisation de l'argent des contribuables et de ce qu'il faut sacrifier au rendement de l'actionnariat.

Il existe en philosophie de l'administration publique un dicton selon lequel on ne résout pas un problème compliqué d'administration; on remplace simplement un ensemble de problèmes par des problèmes nouveaux. Si l'on réussit, les nouveaux problèmes seront préférables aux anciens. Je ne vois pas de solution à la question posée, mais j'imagine une succession infinie de problèmes.

Dr McMurtry: La différence essentielle entre la médecine à but lucratif telle qu'elle existe aux États-Unis ou ailleurs, et le système public, c'est l'adaptation au risque. D'un côté, l'universalité et l'absence d'exclusion donnent un régime de soins de santé auquel les Canadiens font confiance. De l'autre côté, avec l'adaptation au risque, on dit: «Vous êtes trop vieux, trop malade, trop fragile, vous ne pouvez pas payer, vous êtes donc exclu», et dans ce cas, c'est l'échec. Voilà la différence fondamentale. Le secteur privé aura toujours un rôle à jouer pour stimuler la concurrence, que ce soit en matière de produits ou de techniques thérapeutiques, ce qui est tout à fait acceptable. Cependant, lorsqu'il s'agit de décider s'il faut traiter ou non, s'il faut inclure ou exclure un patient, on se heurte à un principe tout à fait fondamental.

Je voudrais faire une autre observation. On n'accorde sans doute pas assez d'importance à la dimension sociologique du régime canadien des soins de santé; on sait que c'est un facteur d'unification et que c'est l'un des programmes les plus efficaces dans le contexte de la justice distributive que nous ayons connu au cours de notre histoire -- ou du moins que j'ai connu de mon vivant.

Le sénateur Pépin: Une question pour Mme Jeans. Je repense aux années 50 et 60. Autrefois, j'étais infirmière. J'aimerais savoir comment vous concevez le rôle des infirmières et des soins infirmiers à l'avenir. C'est une question très importante.

J'ai une opinion personnelle. Je crois que les provinces ont réformé leur secteur de la santé sur le dos des infirmières. Je suis peinée de voir que bien souvent, elles n'obtiennent pas le respect qu'elles méritent, que leur travail est considéré comme un travail de routine et qu'elles n'interviennent pas dans le processus décisionnel. Que pouvez-vous dire à ce sujet?

Mme Jeans: Il n'est pas douteux que les réformes des huit dernières années ont eu d'énormes conséquences pour le secteur infirmier. J'ai moi aussi obtenu mon diplôme d'infirmière au début des années 60, et j'ai constaté depuis lors un changement considérable. Ces dernières années, le changement a été tout à fait décourageant.

Nous savons qu'actuellement, une infirmière sur deux n'occupe pas un emploi à plein temps. Les infirmières travaillent parfois pour deux, trois ou quatre employeurs différents. Leur âge moyen est de 45 ans, si bien que l'essentiel du corps infirmier va partir à la retraite d'ici 10 ans. Il n'y aura plus de corps infirmier, à moins qu'on agisse immédiatement.

Je suis aussi convaincue -- c'est sans doute l'essence même du métier d'infirmière -- que les infirmières ont toujours été à l'avant-garde des soins de santé sur le terrain. Que ce soit en santé publique ou dans le domaine des soins palliatifs, elles ont apporté des innovations très appréciées des Canadiens. Je crois que l'avenir des soins de santé réserve un rôle très important aux infirmiers et infirmières. Dans l'ensemble du système, les soins infirmiers sont sous-utilisés.

En matière de réforme des soins de santé primaires -- le docteur McMurtry en a parlé --, l'accès aux soins devrait être confié à une équipe multidisciplinaire. Actuellement, on est comme dans un grand magasin, où toutes les caisses sont fermées sauf deux, et où un médecin doit s'occuper de toutes les personnes qui attendent en ligne. On pourrait ouvrir toutes les caisses, en faisant appel à d'autres professionnels de la santé, qui travailleraient en équipe, de façon qu'en définitive, les patients puissent consulter le spécialiste dont ils ont besoin. Cela n'a encore jamais été fait. On pourrait travailler beaucoup plus efficacement. Je crois que les infirmières ont un rôle très important à jouer à cet égard.

Par ailleurs, on s'intéresse de plus en plus à la notion de spécialisation. Nous avons au Canada un grand nombre d'infirmiers et d'infirmières, au moins 12 000, qui ont un certificat de spécialisation. Je suis certaine que le docteur Keon connaît bien ces infirmiers et infirmières spécialisés en cardiologie. Ils jouent un rôle essentiel d'intégration et de communication pour les patients et leurs familles. Je pense que les infirmiers et infirmières ont un rôle encore plus important à jouer à cet égard.

Je n'ai pas perdu tout espoir, et je continue à travailler très fort pour enrayer le mouvement de détérioration et pour que nous recommencions à progresser.

Mme Sholzberg-Gray: Le docteur McMurtry a parlé de l'erreur qu'on a faite en supprimant un grand nombre d'heures de travail infirmier au moment où des lits d'hôpitaux ont été supprimés. On a dû supposer que ces soins n'étaient plus nécessaires. Il aurait fallu se rendre compte que les services hôteliers n'étaient plus nécessaires, mais que les services de soins l'étaient toujours.

Le sénateur Pépin: Les infirmières n'ont pas participé au processus décisionnel. On leur a dit ce qu'il fallait faire. Les hôpitaux auraient pu économiser beaucoup d'argent en accueillant des infirmières à tous les niveaux de prise de décision.

Mme Sholzberg-Gray: Je m'occupe d'hôpitaux et d'établissements de soins, et je considère que ces décisions ont été imposées aux infirmières par des gouvernements qui ne pensaient qu'à réduire leurs coûts.

Le sénateur Pépin: Oui, vous avez raison.

Le sénateur Callbeck: Ma question concerne la méthode appliquée par le gouvernement fédéral pour verser des crédits de santé aux provinces. Comme vous le savez, au cours des années 60, nous avions des programmes à frais partagés en vertu desquels une province recevait environ 50c. lorsqu'elle dépensait 1 $.

En 1977, je crois, nous sommes passés au financement des programmes établis, c'est-à-dire à une méthode de financement global fondée sur une formule qui n'avait rien à voir avec le budget de santé des provinces. Elles recevaient de l'argent, qui devait couvrir non seulement la santé mais aussi l'éducation, à raison de deux tiers pour la santé et un tiers pour l'éducation. En 1996, on a combiné le financement des programmes établis et le Régime d'assistance publique du Canada, qui était un programme à frais partagés.

Actuellement, tous les fonds sont réunis au sein du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, qui accorde un certain montant aux provinces. Celles-ci ne s'engagent pas à consacrer les montants en question à la santé ou à l'éducation.

Pensez-vous qu'il faudrait revenir aux programmes à frais partagés, ou préférez-vous le financement global?

Mme Deber: Je réalise actuellement pour le Groupe d'intervention action santé une étude sur les différentes formules de financement, qui présentent toutes des avantages et des inconvénients. Si l'on veut que des normes nationales soient respectées et que l'argent soit consacré à certains programmes, il est certain que le financement global n'est pas efficace. Il n'est efficace que dans la mesure où les priorités des provinces sont identiques à celles des autorités qui accordent les fonds. La finalité du financement global est de permettre aux provinces d'employer l'argent en fonction de leurs propres priorités. Si elles ne veulent pas consacrer de crédits à l'enseignement postsecondaire ou si elles veulent réduire le budget de l'aide sociale, elles peuvent employer l'argent à d'autres fins. Si une province estime que l'amélioration des services à la petite enfance va diminuer les besoins dans d'autres programmes, elle va pouvoir utiliser l'argent de cette façon-là.

Il est affolant de constater à quel point cela est devenu un ballon idéologique. Les gens partent du principe qu'il existe des dollars affectés à la santé; et comme vous l'avez dit et répété, nous savons qu'il n'y a pas de dollars affectés à la santé depuis 1977. L'argent est utilisé pour réduire les impôts et pour faire des discours creux plutôt que pour la santé, et l'éducation postsecondaire et le développement de la petite enfance, plutôt aussi que pour l'assistance sociale, le logement, ou tout autre déterminant de la santé, ce qui était le fondement de l'idée du transfert.

Nous avons la preuve flagrante qu'un transfert non ciblé ne réussira pas à garantir que certaines normes seront respectées. Si nous souhaitons que les provinces aient la liberté budgétaire de faire ce qu'elles veulent, les transferts non ciblés sont tout à fait indiqués. Suivant les objectifs que nous choisissons, nous devons prendre les décisions de principe qui y correspondent.

Mme Sholzberg-Gray: Le Groupe d'intervention action santé a tenu une rencontre prébudgétaire avec Paul Martin avant le budget de 1995. Le ministre nous a alors dit qu'il songeait à mettre en place un transfert global encore plus considérable et nous avons alors dit nous en inquiéter. À l'époque, nous réclamions tout au moins un transfert étiqueté au titre de la santé, un fonds global pour la santé pour ainsi dire. En fait, nous nous méfiions depuis des années de cet énorme transfert global. On l'appelait alors la mère de tous les transferts, pour reprendre une expression à la mode.

Nous avons dit à M. Martin que ce n'était pas une bonne idée: les provinces réduiraient d'importants programmes que le gouvernement fédéral souhaitait sans doute appuyer. On a vu disparaître les programmes en vertu du Régime d'assistance publique du Canada, non seulement pour l'aide sociale mais également pour les services sociaux. Un tiers du Régime d'assistance publique du Canada devait servir à offrir précisément les services que le gouvernement fédéral considère actuellement comme essentiels au système de soins de santé de l'avenir, en l'occurrence, les services communautaires de soutien dont le coût était partagé à parts égales en vertu du RAPC. Et voilà que nous devons les réinventer pour ainsi dire.

Le recours à un important financement global a été une erreur. Je ne suis pas sûre que le partage des coûts moitié-moitié soit la réponse non plus. Je ne pense pas que nous puissions revenir à cela. Je n'ai pas lu le document de Mme Deber -- et j'ai l'intention de le faire -- mais selon moi, nous devrions envisager davantage de transferts ciblés à l'avenir. Je ne pense pas que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, tel qu'il existe actuellement, soit vraiment ce qu'il nous faut -- ni aux citoyens canadiens, ni même nécessairement aux provinces, ni au gouvernement fédéral. Ce n'est pas vraiment le moyen qui permet de garantir aux Canadiens l'accès à des services comparables quel que soit l'endroit où ils habitent, ce qui assurément est la raison d'être du pouvoir fédéral de dépenser.

Le sénateur Callbeck: Quand votre groupe d'intervention aura terminé son étude, pourriez-vous en envoyer un exemplaire au comité?

Mme Deber: Volontiers.

Le président: Je dois signaler que le sénateur Callbeck est l'ex-ministre de la Santé de l'Île-du-Prince-Édouard et ex-premier ministre de la même province. Elle connaît donc bien toutes ces questions. En écoutant la discussion, je me suis rappelé ce qu'avait dit Yogi Berra: «On dirait que c'est de nouveau du déjà-vu.» En 1977, quand le financement des programmes établis a démarré, j'étais parmi les rares personnes ici à Ottawa dans les cercles décisionnaires à m'opposer vigoureusement à ce type de financement. Je faisais valoir qu'on allait répéter la situation qu'avait connue la Nouvelle-Écosse car, là-bas, au début des années 70, quand la province a accordé un financement global aux municipalités, le gouvernement provincial a dû constater que les municipalités ne dépensaient pas l'argent comme elles se devaient de le faire. Pour moi, il était manifeste que le financement global allait aboutir au même résultat. Vingt-cinq ans plus tard, nous voilà au même point où nous étions alors.

Va-t-il être question dans votre étude du rôle du gouvernement fédéral dans le financement? Il y a deux questions distinctes: quels sont les modèles de financement? Quel rôle le gouvernement fédéral peut-il jouer pour influencer la distribution de cet argent? Avec la formule de 50-50, le rôle du gouvernement fédéral était très important. Je me souviendrai de votre allusion à la mère de tous les transferts pendant longtemps. Dans un tel scénario, l'influence du gouvernement fédéral sur la façon dont l'argent est dépensé est essentiellement nulle. Allez-vous étudier les choses sous cet angle?

Mme Deber: J'ai choisi des critères d'évaluation auprès de certaines sources, comme par exemple le Forum national sur la santé, la Loi canadienne sur la santé, l'Entente-cadre sur l'union sociale ou encore chez certains experts en fédéralisme fiscal. Celui-là est certainement un critère d'évaluation.

Le sénateur Fairbairn: Merci des renseignements fort utiles que vous nous avez fournis aujourd'hui, et merci de nous avoir communiqué votre expérience. Je suis à la fois consternée et réjouie. Depuis 16 ans, je m'occupe d'un bout à l'autre du pays de faire avancer la cause de l'alphabétisation et je rencontre parfois beaucoup de gens qui refusent de se rendre à l'évidence du problème ou qui refusent carrément de s'en occuper. Je suis ravie de constater aujourd'hui que tout particulièrement le docteur McMurtry accorde de l'importance à ce problème, à savoir dans quelle mesure des connaissances et une compréhension fondamentales sont essentielles pour que les citoyens canadiens puissent recevoir des soins de santé, les comprendre et assumer la responsabilité de leur propre protection.

J'espère que vos paroles seront diffusées. Il existe un fil conducteur entre l'enfant de deux ans, l'enfant capable d'apprentissage, et ce groupe de personnes âgées qui au Canada ont besoin de soins de santé mais éprouvent des difficultés graves à les appréhender ou à les comprendre. Je vous remercie beaucoup de vos propos.

Je voudrais revenir sur une question que nombre d'entre vous ont abordée aujourd'hui, à savoir celle de l'intégration et des communications. Au fur et à mesure que notre système évolue et, puisque nous semblons nous acheminer vers une bonification des façons de prodiguer des soins de santé à l'échelle communautaire, grâce aux soins à domicile, et cetera, je voudrais que vous me disiez dans quelle mesure les lacunes sur le plan de l'interaction et de la communication dans notre système contribuent au problème de communication que vous avez soulevé.

Nous savons ce qui devrait exister -- quand il y a intervention chirurgicale, par exemple, et que le patient obtient son congé de l'hôpital, il faudrait qu'il puisse compter sur une aide quelconque. Toutefois, surtout pour une personne âgée, il est extrêmement difficile de trouver les traits d'union permettant au patient de rentrer chez lui et d'avoir accès à cette aide. Cela se fait sentir au niveau des médecins, des hôpitaux, des infirmières, dans la collectivité.

Notre comité se penche sur la question de l'avenir des soins de santé et cet aspect en est un important élément. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez parce que pour l'heure, du moins dans la province d'Alberta, les contacts ne se font pas. Cela n'a pas lieu d'être. Cela s'explique tout simplement par un manque de communication dans le système.

Mme Jeans: Vous avez tout à fait raison. Je suis moi-même professionnelle de la santé et j'ai tout récemment pu constater que les divers éléments du système opéraient en vase clos. Quand mon père, qui était âgé, a dû être hospitalisé, l'hôpital a recommandé qu'il soit soigné à la maison. Organiser tout cela a constitué une tâche énorme pour mes parents, et pour moi aussi quand j'ai voulu les aider.

Il y a diverses solutions à cela, notamment la communication. Le régime de soins de santé est débordé en ce moment. Aujourd'hui, la communication est un luxe. Les professionnels de la santé essaient tout simplement de parer au plus pressé. Parce que les Canadiens n'ont connu qu'un régime axé sur les hôpitaux et les médecins, c'est-à-dire l'assurance-santé, ils ont du mal à imaginer qu'il y a d'autres moyens de prodiguer des soins et de l'appui.

Il faut donc faire oeuvre éducative. Nous n'avons pas bien réussi à faire comprendre aux Canadiens que les choses ont changé, même si tout n'est pas encore parfait bien entendu. Nous parlons de la mosaïque des services offerts au Canada, mais nous n'avons pas de théorie du régime de soins de santé que les gens puissent appréhender. Même à l'échelon local, dans la collectivité, nous n'avons pas réussi à expliquer aux gens les diverses ressources qui sont à leur disposition.

Une des plus grosses difficultés actuellement, pour tout dire, provient du petit jeu que jouent les provinces et le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral pour sa part dit: «Nous ne voulons pas vous donner inconditionnellement de l'argent car nous pensons que vous l'utiliserez tout simplement pour réduire les impôts.» Les provinces quant à elles disent: «Le peu d'argent que vous nous donnez ne vous autorise pas à nous dire quoi en faire de toute façon.» C'est le bras de fer. Nous parlions de communication précisément et nous devons, le pays tout entier, exiger que les divers paliers de gouvernement se mettent d'accord sur un plan. Si nous pouvions obtenir cet accord, les professionnels de la santé et le public s'attelleraient ensemble à la tâche de bâtir un système intégré qui ne comporte pas de fissure. Actuellement, la tâche la plus difficile est d'amener les gouvernements à faire leur travail.

Mme Deber: J'ai effectué un travail de recherche -- et je dois des remerciements à Santé Canada qui l'a financé dans le cadre du Programme national de recherche et de développement en matière de santé -- et je me suis penchée sur une éventuelle réforme des soins de longue durée et des soins à domicile en Ontario. Pendant plus de 10 ans, les gouvernements de diverses allégeances politiques se sont succédé, chacun d'entre eux offrant une proposition de politique différente concernant la réforme des soins à domicile. Il ressort de tout cela qu'on s'entendait très peu sur certains éléments fondamentaux. Sur le plan théorique, tout le monde était toujours d'accord. On trouve, dans tous les documents, le même discours: «Nous répondons aux besoins des consommateurs et nous intégrons.» C'est à croire que c'est toujours le même document. À l'étape des décisions et de la conception de programmes, on constate des différences substantielles sur divers points, comme par exemple l'étendue des services qui seraient couverts, les compétences et les traitements des prestataires de services.

On a constaté ce que l'Association médicale canadienne appelle une privatisation passive, c'est-à-dire que si une personne est renvoyée chez elle, on n'a pas besoin de couvrir ses soins à domicile. En Ontario, on couvre un maximum de deux heures de soins à domicile par jour. Essayons-donc de mourir à la maison avec deux heures de soins par jour. On s'étonne ensuite de voir que les gens se retrouvent aux urgences des hôpitaux où les soins sont couverts.

Il n'y a pas que les communications car il y a aussi la question que vous avez tous soulevée, celle des limites du système, la détermination des services qui devraient être couverts.

Je voudrais ajouter une autre réserve: nous parlons beaucoup de la collectivité mais nous semblons parler ici d'une collectivité qui correspond à un groupe géographique de 1 000 à 2 000 personnes. La technologie des communications est actuellement telle que cette définition d'une collectivité est périmée. Depuis dix ans, nous commettons une erreur en prenant des décisions concernant l'organisation des services fondées sur des considérations géographiques alors que les collectivités ne sont plus desservies de cette façon. Les bassins de population ne sont plus déterminés géographiquement, les gens ne se déplacent plus de la même façon. Nous traçons de petites lignes sur la carte en présumant que c'est là que les gens iront, alors qu'il n'en est rien. Je souhaiterais donc pour l'avenir que l'on reconnaisse que nous pouvons nous servir des technologies de la communication et bâtir des collectivités nationales pour mettre à profit certaines choses qu'on ne peut pas trouver à tous les pâtés de maisons.

Effectivement, pour les soins primaires et certaines choses essentielles, il faudra une présence dans la collectivité même si l'on doit ajouter que très souvent la collectivité est plus multiculturelle que géographique. Nous pouvons donc bâtir des collectivités à l'échelle de la nation et il faut cesser de se laisser contraindre par la géographie.

Vous avec parlé des États-Unis, de la Suède, de l'Angleterre, de la Saskatchewan pour en comparer les régimes de soins de santé et, chose singulière -- nous n'avons même pas un régime national de soins de santé. Quand il s'agit de régionaliser et de rapprocher les soins au niveau local, on doit comprendre que la plupart de nos provinces sont déjà constituées d'assez petites collectivités. En fait, les groupements sont plus petits que la plupart des régimes américains de soins de santé. Aux États-Unis, les régimes de soins de santé qu'on est en train de constituer sont de taille beaucoup plus grosse que la plupart de nos régimes provinciaux. Ainsi, il se peut que nos groupements soient trop petits dans certains cas, et dans d'autres, il serait peut-être temps d'adopter une optique nationale.

Mme Sholzberg-Gray: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Vous avez dit que le consommateur ne s'y retrouve plus, parce que personne ne le guide et qu'il en est réduit à faire du lobbying ou des réclamations, ou encore à l'ignorance de ce à quoi il a droit. En plus de priver les gens de soins qu'ils pourraient obtenir au sein de la collectivité si l'on redéployait les budgets, les responsables du système hésitent à renseigner la population sur la possibilité de procéder autrement car cela va réduire leur clientèle, le nombre d'usagers.

Au fond, dans un tel système, beaucoup de besoins ne sont pas comblés. Nous sommes loin du système intégré de l'avenir, car les gens auront besoin d'un guide pour en tirer parti. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Le sénateur Cook: Chacun d'entre vous ce matin a évoqué la nécessité d'un financement fiable à long terme. Comment établir les montants qui sont suffisants dans le domaine de la santé?

Dr McMurtry: Nous n'avons pas encore la réponse à cette question, tant s'en faut. À mon avis, il faut que les gouvernements eux-mêmes fassent une planification. À l'avenir, nous nous en porterons bien mieux si nous cessons d'écouter ceux qui parlent de dépenses de santé débridées sans tenir compte de toute une gamme de facteurs qui crèvent les yeux. Je songe notamment à l'inflation, à la croissance démographique, aux coûts de la nouvelle technologie, aux besoins grandissants de la population -- bref des facteurs dont l'on doit tenir compte dès le départ.

Pour répondre à votre question, les gouvernements doivent procéder à une planification exprimée sous forme de pourcentage du PIB, ce qui constituerait une ligne directrice. Cependant, il est absolument nécessaire que les décideurs renoncent à la pratique actuelle qui guide la répartition des ressources car il nous faut concevoir une formule axée sur les besoins d'après l'évaluation de la santé de la population. C'est réalisable et cela a déjà été fait.

Je ne sais pas si j'ai tort de penser que Mme Deber est déconcertée par ma réponse mais c'est un argument que j'ai déjà fait valoir. C'est absolument essentiel. L'évaluation des besoins en matière de services de santé suivant la taille de la population, mesure que le Canada calcule extrêmement bien et qu'il ne cesse de raffiner, constitue une base d'information stable. C'est à partir de là essentiellement que l'on devrait déterminer la façon dont le financement sera fait. Si les circonstances du cycle économique changent, on comprendra facilement que des rajustements s'imposeront peut-être. Toutefois, restons les yeux fixés sur les besoins; que la pratique actuelle de répartition du financement se fonde désormais sur les besoins calculés de la population.

En réponse au sénateur Fairbairn, je dirais ceci: j'ai pu examiner le système de soins provincial pour les malades atteints de cancer en Ontario. Tout de suite, j'ai constaté que personne ne pouvait se passer d'un navigateur professionnel pour utiliser ce système. Un groupe d'infirmières, qui par la suite a créé une entreprise d'aide aux patients, s'est rendu compte que les patients ne pouvaient pas s'en tirer seuls car ils avaient besoin d'une aide permanente pour comprendre ce que représentaient les soins primaires, l'oncologie chirurgicale, la radiation, l'oncologie médicale et les divers autres éléments. Cela en dit long et ne s'applique pas uniquement aux soins prodigués pour cette maladie.

Pour l'avenir, nous devons compter sur un dossier électronique qui suive le patient, un dossier qui soit axé sur la personne et non pas un établissement. C'est une exigence minimale. Deuxièmement, les patients doivent avoir un dossier longitudinal perpétuel, dans la mesure du possible, pour ce qui est des soins communautaires ou ce qui correspond aux soins intégraux, et il est absolument capital qu'il soit longitudinal et non pas épisodique. Les recherches démontrent que la médecine ponctuelle, la médecine à la McDonald, les soins épisodiques, font plus de tort que de bien.

Ce sont là les trois éléments capitaux: la constitution de dossiers auprès d'organisations de prestation de soins dans la communauté, ce que nous appellerons les soins primaires, ces dossiers devant être longitudinaux et informatisés, pour suivre le patient tout au long de sa vie.

Mme Deber: Le sénateur Cook a mis le doigt sur la question centrale. Il n'y a évidemment pas de réponse. La question est la suivante: que voulez-vous acheter, et combien voulez-vous payer? Suivant le prestataire des services et la somme que l'on souhaite payer, l'achat du même type de soins peut représenter des sommes qui différeront considérablement. Il faut donc être prudent à cet égard.

J'hésite quelque peu à trop me fier aux indicateurs parce qu'ils ne sont pas encore rodés. En guise d'avertissement, j'utilise parfois l'exemple de l'étude Rand sur l'assurance-santé. Il s'agissait d'une étude classique américaine sur l'économie médicale qui assignait au hasard des personnes à un certain nombre de différents régimes de santé, dont certains comportaient une participation aux coûts et d'autres pas. Les auteurs de cette étude ont conclu que si les gens devaient payer pour leurs soins, ils auraient recours moins souvent aux services de santé et que cela n'aurait pas d'importantes conséquences pour la santé et qu'il fallait donc, de toute évidence, imposer des frais modérateurs pour les soins de santé.

Trois ans plus tard, ils ont publié un supplément qui énonçait: pour les quelques cas mineurs que nous avons examinés où l'absence de soins entraînait des effets mesurables, comme la pression artérielle, nous avons constaté de pires résultats pour la santé, notamment un plus grand nombre de décès, et d'autres choses du genre. Cependant, ce n'est pas un problème puisque nous pouvons cibler ce genre de cas. Si vous parcourez toutes les choses qu'ils n'ont pas pris la peine de mentionner, comme le diabète et ainsi de suite, vous commencez à vous rendre compte que si vous ne faites pas attention quand vous utilisez vos indicateurs de santé, la plupart des facteurs qui influent sur la qualité de vie ne figurent pas nécessairement dans ces mesures. Par conséquent, on a un bon argument pour ne rien faire sauf que vous risquez de mourir si vous ne consultez pas le médecin aujourd'hui.

Je me méfie donc quelque peu de certaines de ces méthodes qui s'appuient sur des indicateurs parce qu'elles ne sont tout simplement pas assez sensibles pour relever ce genre de facteur. Si vous examinez certains des excellents travaux effectués pour le Forum national sur la santé, il n'y avait pas de corrélation non plus entre les déterminants de la santé, basés sur la population, et dont tout le monde sait qu'ils influent sur la santé, et les résultats pour la santé.

Les mesures que nous utilisons pour déterminer les résultats pour la santé ne sont tout simplement pas suffisamment solides pour qu'on puisse s'y fier autant que les planificateurs le voudraient. En ce qui concerne votre question, cela dépendra de la décision que vous prendrez concernant ceux qui doivent payer, comment et pour quels services.

Mme Sholzberg-Gray: Je devrais préciser que le Groupe d'intervention action santé réclame une échelle mobile, et qu'au moins cette échelle mobile soit basée sur l'inflation et la croissance démographique. Nous ne parlons pas de tous les autres facteurs. Nous avons constaté au moyen des chiffres cités aujourd'hui qu'en dollars réels et per capita, les dépenses en matière de santé ont diminué. Il est impossible de répondre aux besoins des Canadiens en matière de santé avec un budget réduit de santé. Il faut au moins que les dépenses de santé suivent le rythme de la croissance démographique et de l'inflation.

Le sénateur Cook: Ce que je me demande, ce n'est pas en fonction de quoi nous pourrions ou nous devrions déterminer le montant qui est nécessaire mais qui assurera la micro-gestion de ces sommes. Il y a tellement d'intervenants dans le système.

Le président: Je tiens à remercier tous les témoins d'avoir comparu devant nous ce matin. Je me rends compte que notre séance a duré plus longtemps que prévu; cependant c'est un début qui a été très intéressant et stimulant.

Chers collègues, avant de lever la séance, nous avons besoin d'une motion officielle pour adopter le budget du comité.

Le sénateur LeBreton: Je fais une proposition en ce sens.

Le sénateur Fairbairn: J'appuie la motion.

Le président: La motion est-elle adoptée, chers collègues?

Des voix: Adoptée.

Le président: Je vous remercie, chers collègues.

La séance est levée.


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