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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 9 - Témoignages du 22 mars 2000


OTTAWA, le mercredi 22 mars 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour examiner l'état du système de santé au Canada.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Honorables sénateurs, je vois qu'il y a quorum. Je vais commencer par lire l'ordre de renvoi afin de rappeler la raison de notre présence ici. Nous avons adopté au Sénat, en décembre 1999, un ordre de renvoi portant que le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner pour en faire rapport l'état du système de santé au Canada. Plus particulièrement, que le comité soit autorisé à examiner: premièrement, les principes fondamentaux sur lesquels est fondé le système public de santé au Canada; deuxièmement, l'historique du système de santé au Canada; troisièmement, les systèmes de santé publics dans d'autres pays; quatrièmement, le système de santé au Canada -- pressions et contraintes; et enfin, le rôle du gouvernement fédéral dans le système de santé au Canada.

C'est la deuxième réunion que nous tenons avec des témoins. Notre premier groupe de cet après-midi nous parlera du concept de la santé de la population, c'est-à-dire des facteurs sociaux et économiques qui déterminent la santé des Canadiens. Nous recevons aujourd'hui Sholom Glouberman et le Dr Fraser Mustard, qui sont tous les deux des experts renommés dans ce domaine.

Je crois que M. Glouberman désire prendre la parole en premier.

M. Sholom Glouberman, directeur, Réseau de la santé, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques: Honorables sénateurs, je vais passer en revue assez rapidement les résultats de certaines de nos recherches. Je voudrais d'abord parler de la façon dont le gouvernement en est venu à investir dans la santé par l'entremise de sa politique de santé.

Premièrement, en Angleterre, au début du XIXe siècle, et au Canada, vers la fin du XIXe siècle, il y a eu de nombreuses épidémies, et on s'est alors demandé comment y mettre fin.

Le gouvernement a commencé à investir à grande échelle dans des politiques qui visaient à réduire les risques venant du milieu physique, à mettre en place un processus d'inspection et à créer des services infirmiers de santé publique. Bien entendu, ces mesures ont amélioré l'état de santé de la population.

Les chercheurs ne sont pas d'accord entre eux quant à savoir si c'était le résultat de ces politiques ou d'une amélioration générale de la prospérité. C'est une question très controversée. Il s'agissait ensuite de déterminer comment diagnostiquer et soigner les maladies. À la fin du XIXe siècle et, au Canada, à la fin de la Dépression, l'état de santé de nombreux hommes qui sont entrés dans l'armée avant la Seconde Guerre mondiale laissait beaucoup à désirer. On s'est alors demandé comment offrir des soins de santé aux gens. C'est ce qui a donné lieu à une deuxième série de politiques de santé qui, en Grande-Bretagne en 1948, et au Canada en 1968, ont mis en place un programme universel de soins de santé. Ces mesures ont été accompagnées d'une amélioration de l'état de santé de la population. Là encore, les chercheurs ne sont pas tous d'accord quant à savoir si c'est grâce au programme universel de soins de santé ou à l'amélioration de la prospérité.

Une fois ces deux aspects de la politique de santé mis en place, il s'agissait de voir comment améliorer encore la santé de la population. Voici une citation de Thomas McKeown, tirée du rapport Lalonde, qui a été publié en 1974. Selon McKeown, pour améliorer davantage la santé de la population, il faut aller plus loin que la simple prévention et les services médicaux.

Au Canada, deux méthodes sont issues des travaux de McKeown. La première est la promotion de la santé qui a fait suite immédiatement au rapport Lalonde. La deuxième a été la recherche sur les inégalités en matière de santé. C'est surtout cette voie qu'ont suivie l'Institut canadien de recherches avancées et les travaux de Fraser Mustard.

Il vaut la peine d'établir une distinction entre ces deux méthodes. Elles ne sont pas entièrement incompatibles, bien entendu, et chacune contribue à certains aspects de la santé de la population. Les deux utilisent le terme «santé de la population», mais la coexistence de ces deux méthodes cause une certaine confusion.

La promotion de la santé a augmenté le nombre de déterminants de la santé. Des quatre déterminants du rapport Lalonde, nous sommes passés à 28 déterminants que l'on retrouve dans la méta-analyse des travaux sur le sujet. Cette nouvelle composante de la politique de santé qu'est la mise en place de politiques de promotion de la santé au Canada a eu pour résultat d'améliorer l'état de santé de la population. Là encore, les chercheurs ne sont pas tous du même avis quant à savoir si c'est grâce à la promotion de la santé ou à une augmentation générale de la prospérité.

La question est maintenant de savoir pourquoi certaines personnes sont en bonne santé tandis que d'autres ne le sont pas. Cette question ressort d'un ouvrage parrainé par l'Institut canadien de recherches avancées qui se penche sur les inégalités en matière de santé et ce qu'il y a lieu de faire pour y remédier.

Nous pouvons remonter au XIXe siècle pour examiner les inégalités en matière de santé. Nous constaterons qu'il y a des gradients de l'état de santé qui sont largement corrélés au statut socioéconomique, au revenu, au genre de travail que font les gens. C'est la conclusion de l'ouvrage d'Edwin Chadwick, le «père de la santé publique», qui été écrit vers 1840.

Il y a de nombreux autres exemples. La source de ces données est un traité d'épidémiologie de 1957 qui examine les taux de mortalité infantile en Angleterre et au pays de Galles en 1930 et 1950. Nous avons, au Canada, de nombreux exemples de travaux qui examinent la corrélation entre certaines pratiques saines et le niveau d'instruction, par exemple.

La conclusion générale de ces analyses est que, plus le statut économique des gens est élevé, meilleur est leur état de santé et plus leur niveau de mortalité est bas. Cela suit un gradient. Plus le statut socioéconomique diminue, plus l'état de santé des gens se détériore.

Le deuxième phénomène qui commence à se produire est que, grâce à des ordinateurs plus puissants et davantage de bases de données à long terme et d'analyses statistiques, nous obtenons des renseignements beaucoup plus détaillés. L'analyse des résultats est beaucoup plus approfondie.

Michael Marmot a étudié 25 000 fonctionnaires du Royaume-Uni et a découvert que le principal facteur en corrélation avec les maladies cardiaques était le contrôle sur le travail. Susan Everson, d'Harvard, a étudié une cohorte de 2 500 hommes finlandais et a découvert que le désespoir était le principal facteur d'apparition de maladies cardiaques dans ce groupe.

Pourquoi certaines personnes sont-elles en bonne santé et d'autres non? Quelles sont les conséquences politiques de la réponse à cette question? Il semble que, dans une certaine mesure, nous ne sachions pas exactement comment élaborer ces politiques. Telle est la question que doivent résoudre de nombreux groupes politiques à l'heure actuelle.

Voici certaines questions à résoudre pour se sortir de cette impasse. Quels sont les déterminants et quels sont les rapports avec les causes? Quelles sont les réponses politiques aux inégalités en matière de santé et quel est le rôle du ministère de la Santé?

La corrélation entre l'état de santé et le statut socioéconomique n'est qu'une corrélation. Il est très difficile de démontrer le rapport de cause à effet entre les deux. Par exemple, quelqu'un qui fume et ne prend pas soin de sa santé peut quand même vivre longtemps et en bonne santé. D'autres personnes qui mènent une vie saine contractent certaines maladies. Ces corrélations ne sont rien de plus que des corrélations. La malchance peut frapper n'importe qui, et lorsqu'il y a des facteurs de risque ils ne s'appliquent souvent qu'à un nombre assez limité de gens. La question est de savoir s'il est possible ou non de donner une explication causale complète, et certains philosophes affirmeront que non.

Ces travaux suscitent des réactions idéologiques très fortes. La gauche estime qu'il faut mettre l'accent sur l'environnement social et réduire les écarts de richesse de façon à réduire la disparité sur le plan de la santé et à améliorer la santé dans son ensemble. Nous devons équilibrer la richesse et cibler les groupes les plus démunis. La droite insiste sur le choix individuel. Elle estime qu'il faut améliorer la richesse globale pour améliorer la santé dans son ensemble. Outre la création de richesses, il s'agit seulement de prévoir une protection sociale pour les plus démunis.

De nombreuses données soutiennent les deux positions. Par exemple, pour ce qui est de celle de la gauche, Richard Wilkinson a étudié la mortalité infantile en Grande-Bretagne et en Suède. Il a constaté que la mortalité infantile correspondait à la classe sociale en Grande-Bretagne, mais non en Suède, où la mortalité infantile générale est plus basse. Par conséquent, l'état de santé de la population est meilleur lorsqu'il y a moins de disparité dans le statut socioéconomique.

L'exemple de la droite est celui que j'ai mentionné tout à l'heure et qui est tiré de l'étude faite en Angleterre et au pays de Galles. On y voit la mortalité infantile en 1930 et en 1950, où les taux sont plus faibles. L'argument invoqué est que c'est le résultat de l'amélioration de la prospérité générale.

L'argument de la gauche porte sur la mortalité par classe sociale. Cela donne une courbe en trompette. Il y a une disparité croissante entre les plus riches et les moins nantis et une disparité croissante entre les taux de mortalité. Toutefois, si vous examinez la situation à long terme, vous avez une «trompette à l'envers», les taux de longévité se rapprochant davantage d'une classe sociale à l'autre sur une plus longue période. Des données permettent d'étayer les arguments de la gauche et de la droite lorsque l'on examine ces questions du point de vue idéologique.

Le ministère de la Santé se trouve devant un dilemme, étant donné que les principaux facteurs qui favorisent la santé ne sont pas du domaine de la santé. Il s'agit plutôt du statut social, du contrôle sur le travail et du niveau d'instruction, des domaines sur lesquels le ministère de la Santé n'exerce aucun pouvoir. S'il en assume la responsabilité, les autres ministères risquent de le considérer comme un «impérialiste de la santé». Comment résoudre ce genre de problèmes?

Nous avons essayé d'examiner certaines idées nouvelles quant à notre compréhension du monde physique et notre relation avec l'environnement physique, de même que notre compréhension des relations entre les gens et le contexte social. Nous savons maintenant que le monde physique n'est pas déterministe. Nous avons une approche beaucoup moins déterministe que la causalité et nous savons que l'incertitude a un rôle à jouer dans la compréhension du monde physique.

Nous comprenons également qu'en ce qui concerne notre relation avec l'environnement physique nous ne pouvons pas contrôler la nature, mais plutôt interagir avec elle. En étudiant les êtres humains et leur développement, nous avons compris que les gens se développent en interaction avec leur milieu. Les publications les plus récentes qui résultent des travaux de l'Institut canadien de recherches avancées se penchaient sur le développement des enfants et son rapport avec ce genre d'interaction.

Nous avons commencé à examiner nos concepts en matière de santé et nous avons découvert qu'il y avait trois façons de les considérer. La première consistait à se pencher surtout sur la personne et l'être humain en tant qu'organisme. La deuxième mettait surtout l'accent sur l'environnement, et plus particulièrement sur l'environnement social des gens. La troisième résulte des quelques travaux qui se sont penchés sur l'interaction entre les deux. Par conséquent, on se penchait sur des boîtes, et non pas sur les liens entre ces boîtes.

Nous nous sommes rendu compte que trois choses contribuaient à la santé, soit l'individu, le contexte social et l'interaction entre les deux. À partir de cette constatation, nous avons émis l'hypothèse que la qualité de l'interaction entre l'individu et son contexte social est un facteur de santé essentiel qu'il faudra examiner dans le contexte de la politique.

Nous pouvons étudier de nombreuses politiques de santé et les diviser en trois groupes: celles qui sont centrées sur l'individu et le corps, autrement dit l'organisme, celles qui portent sur le contexte, surtout social, et celles qui se fondent sur la qualité de l'interaction entre les deux. Les deux premières séries de politiques ont certainement eu des effets bénéfiques. Nous pensons que la troisième peut les lier et produire de nouveaux avantages.

Nous avons un tas d'exemples qui viennent à l'appui de ces trois séries de politiques. Il suffit d'examiner l'étude Marmot concernant le contrôle sur le travail. Elle montre clairement que ce n'est pas seulement le milieu de travail, mais la façon dont une personne interagit avec ce milieu qui compte. J'ai d'autres exemples que je ne pourrai pas passer en revue, car nous disposons seulement de 10 minutes.

Je parlerai de l'étude d'Everson, puis du rôle du régime de soins de santé. J'aborderai également les politiques concernant les enfants.

Everson a étudié 2 500 hommes finlandais. Son étude portait sur le désespoir en tant qu'état émotionnel. Néanmoins, le critère de désespoir dont elle s'est servie était en fait ce que les gens pensaient de ce qu'il adviendrait d'eux dans l'avenir. Il s'agissait de leur interaction avec le monde extérieur.

Trois séries de politiques découlent de ces conclusions. La première portait sur l'individu et l'organisme. Everson a essayé de dispenser un traitement prophylactique dès l'apparition de l'artériosclérose en prescrivant des médicaments. Cela donne des résultats.

La deuxième politique mettait l'accent sur l'environnement. Il s'agissait d'offrir aux gens davantage de possibilités. Cela donne également des résultats.

La troisième politique consistait à faire en sorte qu'il y ait une interaction et que les gens puissent avoir recours à des ressources externes. Trois types de politiques différents ressortent de l'examen de ce genre de cas.

Voici comment nous pouvons réfléchir au rôle du système de soins de santé. Un régime de soins de santé universel est, d'une certaine façon, une condition préalable à la discussion. Cela fait partie de la politique de santé et de l'investissement dans la santé.

Le système de soins de santé est une ressource précieuse, non seulement parce qu'il assure des services, mais aussi parce qu'il offre un sentiment de sécurité. Ce sentiment de sécurité améliore l'interaction des gens avec la société dont ils font partie. Il améliore également leur état de santé.

Dans les pays qui ont un régime universel de soins de santé, l'état de santé de la population est généralement meilleur qu'ailleurs. Aux États-Unis, la promotion de la santé n'est pas aussi bien établie qu'au Canada, en grande partie parce que la couverture est le principal facteur. Un grand nombre de gens ne sont pas couverts par l'assurance-maladie. Il s'agit d'établir des politiques qui rétabliront la confiance dans l'assurance-maladie au lieu de songer à simplement modifier le système ici et là.

L'amalgame des meilleures politiques pour les enfants résulte des récents travaux du RCRPP. Cela correspond aux travaux menés de longue date par l'Institut canadien de recherches avancées et Fraser Mustard. Il s'agit d'envisager un groupe de politique incluant les trois composantes. La composante axée sur la personne comprend des choses comme la vaccination, ce que nous avons déjà fait, et l'apport nutritionnel. La politique axée sur l'environnement doit apporter un nombre suffisant d'écoles et de garderies ainsi qu'un bon environnement pour les enfants, notamment un logement adéquat. Le besoin d'interaction doit être intégré dans l'ensemble de politiques.

Si vous examinez nos politiques actuelles, il y est beaucoup question des garderies qui favorisent le développement et de bonnes relations entre les parents et leurs enfants. La formation donnée aux parents et les garderies favorisant le développement s'inscrivent dans cette interaction.

Nous croyons que les politiques doivent apporter un rendement à court terme, à moyen terme et à long terme sur l'investissement. Nous croyons qu'elles doivent répondre à ces considérations.

Le troisième domaine est celui qui présente le plus de difficulté, mais qui rapporterait sans doute le plus. Nous croyons qu'il faut faire des études de cas, se servir de certaines de ces idées pour améliorer les liens entre les ministères de façon à faciliter les choses. Nous croyons aussi que pour y parvenir nous devons faire front commun avec les autres secteurs. Je vous remercie.

M. Fraser Mustard, The Founders' Network: Je vais poursuivre cet exposé dans une direction légèrement différente. Ayant été médecin, j'ai grandi dans le système de soins de santé, et, comme je suis au courant du débat à ce sujet, je voudrais faire quelques observations sur ce que j'appelle «les mythes concernant notre système de santé». Je reviendrai plus tard sur la question plus vaste des facteurs déterminants de la santé.

Une chose curieuse est qu'en 1974, un document intitulé: «Le rapport Mustard» disait que les services de santé communautaires devraient être intégrés dans les services de santé en établissement. C'est ce qu'on a fait finalement en réunissant deux personnages durs à cuire. L'un d'eux était Bette Stephenson, qui était sur le point de devenir présidente de l'AMC, et l'autre était Duncan Gordon, le président du conseil d'administration de l'hôpital pour enfants malades. M. Gordon était plutôt un élitiste, étant convaincu de gérer un hôpital de première classe, et la pratique familiale ne l'intéressait pas, contrairement à Mme Stephenson. J'ai écouté leurs diatribes pendant trois mois. Enfin, j'ai trouvé une solution. Je suis allé à une réunion où j'ai demandé: «Comment préféreriez-vous être soigné si vous tombiez malade?» M. Gordon et Mme Stephenson sont finalement tombés du même avis. La raison pour laquelle je le mentionne est que cette lutte se poursuit actuellement. Lorsque nous avons publié le rapport, les gens de l'extérieur n'avaient pas suivi ce processus. Les conseils d'administration des hôpitaux ont donc rejeté l'idée de relever d'une structure de gestion locale, dont ils faisaient partie, et mes bons collègues de la médecine ont vite opposé le même refus à leur tour. Voilà dans quel contexte vous essayez de rationaliser le processus.

En conclusion, si vous ne pouvez pas changer un régime d'assurance à financement public, et non une médecine socialisée, c'est parce que chaque fois qu'il y a des changements institutionnels, les individus touchés par ce changement vont essayer de s'y opposer et les ministres de la Santé vont devenir les paratonnerres qui vont attirer la foudre de cette réaction. Je l'ai constaté à maintes reprises à l'époque en Ontario, et je le constate constamment de nos jours.

Je vais vous parler des mythes et, plutôt que de vous lire notre texte, qui les présente, je vais attirer votre attention sur les tableaux et je m'en servirai pour exposer certains mythes et certains faits.

Le premier tableau porte sur les faits économiques. Vous avez un mandat d'ordre technologique. Je suis profondément convaincu, puisque nous avons été les premiers à promouvoir les nouvelles notions de croissance économique à l'institut que je dirigeais, que la seule mesure valable de l'évolution technologique, c'est l'évolution de la productivité totale. Ce tableau a été tiré de Martin et Porter et Helpman et Fortin dans leur étude sur la compétitivité canadienne. Il montre que la productivité totale du Canada a cessé de croître vers 1975, ce qui signifie en deux mots que la capacité de création de richesses n'augmentait plus.

Le niveau de vie relatif évolue parallèlement à cette activité, et comme le montrent Martin et Porter et Helpman et Fortin, la productivité a diminué d'environ 30 p. 100. Cela veut dire que la base de richesse disponible pour gérer des fonctions qui ne créent pas de richesse, ce qui est le cas des soins de santé s'érode. Par conséquent, il faut comprendre cette pression sur le système.

Le deuxième tableau montre la croissance démographique, et il montre essentiellement que les gens vivent plus longtemps. C'est un tableau qui a été préparé par M. Fogel, un historien économiste. Son analyse des 250 dernières années est très solide et n'est plus discutée, sauf parmi ses collègues professionnels.

M. Fogel a étudié l'histoire des pays occidentaux et montré que l'espérance de vie augmentait avec l'augmentation de la taille moyenne des individus. Il a constaté que la taille moyenne était un produit des facteurs génétiques et d'une bonne alimentation. Il a rapidement remarqué que les années de la petite enfance influaient sur l'évolution de la santé, et en particulier sur les maladies durant la vie adulte.

Ce sont des travaux considérables qui ont été réalisés au cours de ce siècle, et il a développé aussi un autre argument très important pour votre travail. Il a dit que la qualité de la population résultant de ces données expliquait 50 p. 100 de la croissance économique du Royaume-Uni après la révolution industrielle. C'est un constat qu'on néglige totalement dans la plupart des débats de politique publique et qui est totalement ignoré par la plupart des économistes néoclassiques. Ce tableau montre l'élan extraordinaire donné par les nouvelles connaissances et les nouvelles technologies dans le monde. Ces technologies nous donnent la capacité de créer de la richesse, et c'est un document que vous devriez consulter. C'est le texte de son discours en tant que président de l'Association américaine des économistes, et il contient des messages importants pour vous, notamment sur la santé, sur l'évolution de la santé et sur l'évolution de l'économie et ses répercussions sur les Canadiens.

Notre économie a évolué, et nous ne sommes pas en très bonne situation. Que sont devenues les dépenses dans le domaine de la santé? Le tableau suivant montre ce qui s'est passé en général. Les gouvernements ont été obligés de réduire les dépenses des régimes à financement public parce que leurs assiettes fiscales n'augmentaient pas. Les programmes élaborés pour des cycles de stabilité économique ne conviennent absolument pas à des périodes de bouleversement économique comme celle que nous traversons.

Il est intéressant de constater que même les États-Unis ont été touchés par cela. Ils ont réduit leurs dépenses publiques et privées. Le Canada fait un assez bon travail. L'OCDE est arrivée à un plateau, et le Royaume-Uni est bien en arrière de nous pour ce qui est de ces dépenses. Par conséquent, il y a des compressions des finances publiques. Cela entraîne des restrictions du financement de la santé, et par contrecoup toute une série de problèmes pour les fournisseurs de soins et le système dans son ensemble. Ils ne peuvent pas fonctionner dans une telle situation de stress et ont du mal à s'adapter au genre de choses dont nous parlons dans le rapport. Il n'y a pas d'incitation à évoluer, et l'on continue à être piégé par l'ancien système, qui n'est pas aussi efficace qu'il le devrait.

Quelles sont les conséquences de cette situation pour notre santé? L'OCDE a publié un récent rapport auquel fait référence le tableau 4. D'après ce rapport, en 1995 et 1996, quand tous ces calculs ont été faits, la situation du Canada n'était pas aussi bonne que celle de la Suède et du Japon en termes de nombre d'années perdues pour 100 000 années de vie, mais elle était tout de même meilleure que celle de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis. C'est assez impressionnant. En matière d'espérance de vie, nous ne sommes pas au sommet de la liste, mais nous sommes tout de même assez bien placés. Pour ce qui est de la mortalité infantile, nous pourrions faire mieux, mais la situation n'est pas mauvaise non plus.

Nos dépenses de soins de santé ne sont pas les chiffres impressionnants que vous voyez au bas, car il s'agit ici de dépenses privées et publiques. Il faut bien le comprendre. Aux États-Unis, les dépenses de soins de santé sont financées à environ 50 p. 100 par le secteur privé, alors que ce pourcentage n'est que de 25 p. 100 au Canada.

En dépit du mythe, notre santé ne s'est pas détériorée. L'article de Thorsell dans le Globe and Mail au début du mois, selon lequel la qualité des soins au Canada se serait détériorée, est une ânerie totale. Je suis scandalisé que quelqu'un puisse écrire un tel non-sens quand on connaît la réalité de la situation au Canada. Cela en dit long sur les journalistes.

Les données suivantes sont des données canadiennes qui vous seront utiles. Ce sont des informations tirées de Noralou Roos. Le Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba est le seul système au monde d'enregistrement des soins de santé entièrement intégré qui examine une population d'un million d'habitants. Il est lamentable qu'il n'y ait pas un programme aussi complet dans le reste du pays. Votre comité pourrait recommander que le Système canadien d'information sur la santé en fasse la promotion. Les Canadiens ne connaissent pas les données sur Winnipeg, mais au Manitoba on les connaît. En l'occurrence, on se sert des dossiers administratifs pour obtenir des informations réelles. L'état de santé des habitants de Winnipeg en 1986 et 1996 a été déterminé en fonction de leur niveau d'éducation. Par exemple, on place les gens de Q1 à Q5, le niveau Q5 correspondant à ceux qui ont le niveau le plus élevé d'éducation. Le taux de mortalité pour 100 000 habitants est un gradient. Chez les individus des catégories Q5 et Q4, on constate une amélioration; pour les décès prématurés, le même niveau de statut: et pour l'espérance de vie, le même schéma.

Une des conclusions intéressantes de cette étude a été que le gradient, qui représente les inégalités en matière de santé, n'est pas influencé par les soins de santé. C'est un message important pour vous.

En revanche, la prestation de services s'adresse aux gens qui sont le plus malades, au bas du tableau, ou ceux qui ont un statut Q1. Notre système fonctionne bien à cet égard, mieux que le système américain. C'est une base de données très solide. Le document montre qu'on ne peut pas rectifier les inégalités en matière de santé par le biais du système de soins de santé. Cela ne veut pas dire qu'il soit sans importance; cela signifie simplement qu'il faut s'attaquer à la cause du gradient.

Le mythe suivant, ce sont les délais d'attente. J'adore cette histoire. Je vois que mon ami le sénateur Keon est ici. Il y avait des délais d'attente quand j'étais interne en 1953, bon sang. Cela n'a jamais changé. On trouvait des moyens de les contourner. J'ai fait hospitaliser des gens en dépit des obstacles de l'administration quand j'estimais que c'était nécessaire. Je ne sais pas comment fonctionne l'administration de nos jours; j'imagine que je me ferais renvoyer.

Le Fraser Institute publie des informations sur les délais d'attente qu'il recueille dans le cadre d'enquêtes inappropriées auprès du public. Les données du Manitoba sont tirées directement des dossiers. Au tableau 6, vous constaterez que les délais d'attente pour les cholécystectomies, les hernies, les lésions du sein, les varices, les opérations du canal carpien, les RTUP, les amygdalectomies, et cetera, n'ont pas beaucoup évolué, en dépit d'une réduction de plus de 25 p. 100 du nombre de lits pour soins actifs à Winnipeg. C'est important. Comme le souligne Noralou Roos, quand on remet ces informations aux médias deux jours avant la publication des données habituelles du Fraser Institute, la presse y prête enfin attention et ne s'occupe plus du Fraser Institute. Vu tous les mythes véhiculés par la presse qui tendent à influer sur les dépenses publiques, vous devriez insister pour que les gouvernements de Sa Majesté fassent un plus gros effort pour donner aux Canadiens des informations et des faits réels sur le système.

Si vous venez du pays de M. Klein, vous allez aimer le tableau suivant. Ce sont les données de Winnipeg sur les opérations privées de la cataracte. Vous remarquerez que le délai d'attente est plus long quand les médecins opèrent à la fois dans le secteur privé et dans le secteur public que quand ces chirurgiens opèrent uniquement dans le secteur à financement public. C'est intéressant. Vous pourrez sans doute en discuter, mais il se trouve que le mode de paiement et le fonctionnement du système influent sur les délais d'attente. Tout cela figure dans ces documents.

Cela dit, il y a une chose qui me frappe: combien d'argent dépense-t-on pour les soins de santé et quelle est l'utilité de la privatisation? Je parle dans ce document de ce qui se passe vraiment aux États-Unis. En gros, c'est le chaos. Le régime d'assurance privé américain ne réussit pas à contrôler les coûts de la santé, sauf en imposant un énorme plafond à ces coûts. Ils ont décidé de gérer les médecins qui ont eux-mêmes géré les programmes de soins, ce qui a des répercussions énormes sur l'attitude de ces médecins vis-à-vis de leur propre système et entraîne de profondes tensions aux États-Unis.

Je mentionne toutes sortes de références. Vous pourrez lire tout cela si vous le voulez, mais si vous devez parler de soins de santé privés, il faudrait discuter aussi de la réaction des individus, c'est-à-dire de la réaction des gens qui fournissent les soins. Le docteur Keon et le docteur Mustard n'ont aucune envie de se faire dire ce qu'ils peuvent ou ce qu'ils ne peuvent pas faire par un gestionnaire. À moins d'un changement complet de la situation, ce ne serait pas acceptable. Or, c'est ce qu'on essaye de faire en gérant les soins aux États-Unis. Au Canada, nous nous en tirons beaucoup mieux, car on limite les montants disponibles, mais on conserve une souplesse permettant de gérer correctement les choses. Il est important de lire tous ces documents et d'y réfléchir.

Le tableau 8 montre les dépenses des pays comparativement à leur richesse réelle. C'est un rapport qui ne changera pas. Il demeure, quelles que soient l'évolution de la richesse et l'augmentation des coûts.

Le tableau 9 porte sur une intéressante étude réalisée aux États-Unis sur la privatisation des structures hospitalières. Vous voyez qu'on a transformé des établissements sans but lucratif en établissements à but lucratif. L'augmentation des dépenses a été énorme. Les établissements à but lucratif ont ensuite été retransformés en établissements sans but lucratif, et les dépenses ont suivi la pente inverse. Lisez cela si vous voulez vous interroger sur les dépenses publiques et privées dans le système de soins de santé. Selon Adam Smith, le docteur Keon et le docteur Mustard ne sont que de simples serviteurs. Il faisait une distinction claire entre travail productif et travail non productif. J'ai été choqué lorsque j'ai lu ce chapitre, mais j'ai compris ce qu'il voulait dire. La richesse relative d'une société détermine les montants qu'on peut investir dans des fonctions qui ne créent pas de richesse. Cela ne signifie pas que ces fonctions soient négligeables. Il incluait les avocats et les chanteurs d'opéra dans cette catégorie. Je ne crois pas que les chanteurs d'opéra soient de simples serviteurs, mais si vous comprenez les déterminants de la croissance économique, vous constaterez que M. Smith a parfaitement raison. Il faut bien comprendre que les dépenses de soins de santé sont étroitement liées à la richesse de la société. Si on investit excessivement dans ce domaine, on crée un déficit et on risque d'investir insuffisamment dans la nouvelle économie créée par l'évolution technologique.

Le tableau suivant est tiré des travaux de ce maître de l'action économique logique, Bob Evans. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai pensé qu'il détestait tous les médecins, mais je me suis senti progressivement plus à l'aise avec lui. Il souligne qu'il n'y a que trois groupes fondamentaux pour financer la santé: le gouvernement au sommet, avec un régime du genre de celui que nous avons; d'autres assureurs; et les foyers. C'est tout ce qu'il faut. Si le régime est en difficulté, les fournisseurs de soins doivent trouver d'autres sources de financement. De même, si vous avez une entreprise et que vous avez des difficultés financières, il faut réorganiser votre entreprise pour qu'elle devienne plus efficace. C'est la tension fondamentale qui s'exerce sur notre système, et à laquelle nous essayons de trouver une solution.

Quand on essaie de changer un système, de changer une institution, que ce soit une entreprise ou un hôpital, on influe sur l'existence et sur la carrière d'individus. Le secteur privé et les entreprises le font parce qu'ils y sont obligés. Mais quand il s'agit d'un secteur à financement public, les personnes touchées par le changement protestent et provoquent une tempête politique qui attire la foudre sur les ministres de la Santé. Je l'ai constaté pendant 30 ans, et je le constate encore maintenant. Le gros problème est de savoir comment on peut décentraliser le système pour donner aux collectivités l'indépendance voulue pour qu'elles puissent prendre des décisions qui éviteront la polarisation qui empêche les ministres de donner le feu vert à ces changements. Ce n'est pas évident. On fait des expériences un peu partout dans le monde. L'expérience actuelle aux États-Unis, où l'on essaie de plafonner les soins de santé, court à l'échec. Le Royaume-Uni va peut-être trouver une meilleure solution, ou peut-être nous-mêmes pourrons-nous être plus créatifs face à ces données.

Les rapports du Forum national sur la santé disent qu'il faudrait faire un tas de bonnes choses. Je suis d'accord. Mais on y trouve surtout une conclusion très importante, à savoir qu'il faut s'attaquer aux déterminants réels des inégalités en matière de santé, déterminants liés à l'endroit où l'on vit et où l'on travaille durant tout le cycle de vie.

Le tableau 11 est tiré d'un document d'Acheson. À gauche, il y a la «classe sociale», et le tableau s'intitule «Taux de mortalité normalisés». Là encore, vous avez un gradient parfait, qui s'est maintenu de 1970-1972 à 1991-1993. Il y a eu des améliorations considérables dans les classes sociales supérieures, mais pas dans la classe la plus basse. Ces données correspondent bien aux données sur Winnipeg de Noralou Roos dont je vous parlais tout à l'heure. On constate exactement le même phénomène.

Cela nous amène à la dernière bataille de toute cette entreprise. Je n'ai pas lu l'ensemble du rapport «L'étude sur la petite enfance», mais j'en ai apporté deux exemplaires, un en français et un en anglais. Si vous voulez en avoir d'autres, appelez mon bureau, et nous vous en enverrons. On y montre clairement que les premières années de l'existence déterminent la santé durant tout le reste de la vie d'un individu. Cela m'a fait comprendre brutalement le problème qui se pose au gouvernement. À mon avis, il aurait fallu qu'en dépit des pressions sur le système de soins de santé le gouvernement investisse au moins un milliard pour l'aide au développement dans la petite enfance, car cela aurait entraîné des bénéfices énormes pour l'avenir. Vous ne l'avez pas fait. Je sais qu'il y a eu d'autres pressions, mais je crois que c'était une erreur, parce que le mythe dont je parlais était omniprésent dans la presse. On vous dit quoi faire, et cela nous ramène aux options.

Margaret McCain et moi-même nous sommes bien amusés. Nous avons dit à Margaret Marland, une ministre sans pouvoir, que nous allions continuer à aller parler de ce rapport un peu partout dans les collectivités. Mme McCain est actuellement au Nouveau-Brunswick, où l'on cherche désespérément des conseils. Nous sommes invités au moins deux fois par semaine par diverses régions de cette province et du Canada à venir parler de cela avec les citoyens et les collectivités. Nous avons des publics de 400 à 600 personnes, qui regroupent des gens d'affaires et de simples citoyens. Les gens sont conscients de l'importance du contenu de ce document. Cela nous ramène à toutes les étapes du processus.

Pour résumer tout cela en quelques mots, j'ai ajouté une feuille à la fin, car il y a un ouvrage intitulé: The Myth of the First Three Years (Le mythe des trois premières années), auquel les médias ont donné une énorme publicité. Ce livre comporte un important message, mais déforme le reste de la réalité. Au fond, c'est une erreur. Je vous signale que la Banque mondiale va organiser une tribune sur le développement dans la petite enfance dans le monde en développement les 10 et 11 avril à Washington.

Le président de la banque va ouvrir la conférence et le ministre ontarien présidera une des sessions. J'ai invité la ministre fédérale responsable de l'ACDI à assister à cette réunion. J'espère qu'elle le fera, car il y a tout un mouvement à ce sujet sur la scène mondiale, et c'est extrêmement important.

Pour conclure, pour ce qui est de l'avenir de la santé, nous devons nous débarrasser des mythes et redéployer nos ressources. Le cerveau est la porte d'entrée sur la santé, l'apprentissage et le comportement, tout au long de la vie. Nous en savons beaucoup plus sur ce processus qu'il y a 50 ans. L'aspect scientifique est bien documenté. Je crois que les conclusions de Michael Marmot sont déterminées en partie par le développement de la petite enfance. Michael ne serait pas d'accord avec moi, mais je crois que c'est assez évident. Les taux de décès chez les personnes âgées que je vous ai montrés pour Winnipeg sont peut-être lourdement influencés par ce qui s'est passé dans la petite enfance, et c'est pourquoi il est très difficile au système de santé d'y remédier.

C'est probablement la réalité. Ce n'est qu'une hypothèse, mais il y a des preuves très concluantes. Vous rendriez un grand service aux gouvernements canadiens si, au cours de vos travaux, vous diffusiez ce message à plus grande échelle. Je suis convaincu que les collectivité y sont plus réceptives que la plupart des gens ne l'imaginent. Les médias posent un énorme problème, car ils ne savent vraiment pas bien traiter de ce sujet.

Le sénateur Keon: Il m'est difficile de poser des questions à ces deux messieurs, car je suis tout à fait d'accord avec l'approche idéologique qu'ils ont présentée. Cela nous pose toutefois un problème pratique si nous voulons faire quelque chose d'utile à l'issue de ces audiences en modifiant nos priorités et le système. Nos élus politiques peuvent se vanter à juste titre que le système de soins de santé est excellent. En conséquence, la population redoute tout changement, même si on réclame actuellement des modifications parce que le service n'est pas aussi rapide pour les riches qu'aux États-Unis.

Comment pouvons-nous cesser de faire d'énormes dépenses pour des établissements et des programmes de soins qui restent passifs et attendent que des malades se présentent au lieu de prendre les mesures que vous préconisez tous les deux? Avez-vous une idée de la façon d'y parvenir?

M. Mustard: Je vais vous donner un exemple que vous pourriez peut-être explorer. Le Manitoba a essayé de décentraliser les prises de décisions concernant la santé. Les collectivités peuvent se servir de cette base de données. Elles ont accès à l'état de santé de la population selon la classe socioéconomique et l'utilisation du système de santé, mais sous forme de données globales, si bien qu'on ne peut étiqueter personne. Le Manitoba est en train d'inclure dans cette base de données un instrument de mesure du développement de l'enfant au cours de ses cinq premières années. Cet outil mesure le développement physique et cognitif de l'enfant et aura sans doute une efficacité prédictive énorme. Nous verrons quels sont ces gradients lorsque nous aurons des renseignements sur les diverses collectivités. Cela inclura aussi sans doute le rendement scolaire global dans les écoles. Cet instrument montrera que le cerveau est la voie de la santé, de l'apprentissage et du comportement. Ce sera le premier dossier administratif sur le cycle de vie que nous aurons au Canada, et cela, au niveau des collectivités.

Dans le sud-est du Manitoba, après avoir examiné les chiffres, les autorités ont décidé de consacrer une partie des ressources de la santé au développement de la petite enfance. Cette décision a été prise non pas par le gouvernement, mais par la structure qui a été créée à cette fin au Manitoba.

Si vous pouvez agir à ce niveau, vous avez des chances de succès. Les nouveaux systèmes d'information et les possibilités dont disposent les organismes communautaires semblent produire un certain effet. Lorsque nous avons examiné la question en préparant le rapport pour M. Harris, nous avons appris qu'il y avait en Ontario beaucoup de gens entreprenants qui étaient sans lien avec le gouvernement et qui commençaient à s'attaquer à ces problèmes. Ils savent comment intégrer les fonctions. Nous avons suggéré au gouvernement ontarien d'apprendre à interagir avec eux et à favoriser une coopération entre le secteur public et le secteur privé au niveau des collectivités afin de faire progresser ces programmes. La tradition voulant que nous ayons de bons conseils d'administration dans les hôpitaux permet de le faire.

Nous devons nous adapter au monde moderne de l'électronique et des systèmes d'information et transférer cette capacité aux collectivités. C'est relativement facile pour elles à comprendre, et elles peuvent faire des choix.

M. Glouberman: On a tendance à confondre le rendement réel du système de santé et le manque de confiance du public. Devant ce manque de confiance on réagit souvent en affectant davantage de ressources au système. Cela ne règle pas le problème, car c'est un problème de confiance. Il s'agit de voir quelles sont les stratégies à utiliser pour accroître la confiance du public dans le système de soins de santé. Cela dépend en partie de l'information. Il faut également garantir que le système de soins de santé sera là lorsque les gens en auront besoin. Cela joue un grand rôle dans le débat.

Il y a de nombreux aspects à cela. La réduction des dépenses publiques a réduit les points d'accès aux services. Nous l'avons constaté jour après jour ces dernières années avec la fermeture d'organismes communautaires et la suppression de certaines ressources dans plusieurs collectivités. Si vous réduisez le nombre de points d'accès, les gens se tournent vers la police et les salles d'urgence, qui ne suffisent plus à la tâche. La solution consiste à augmenter le nombre de points d'accès aux services de soutien et de soins de santé.

Également, lorsqu'on garantit aux gens qu'ils obtiendront des services dans un délai raisonnable, ce qui est défini, comme dans l'étude manitobaine, on leur dit quel devrait être leur niveau de confiance. Le problème est dû en partie à l'évolution des attentes du public. Les riches veulent une réponse instantanée et s'estiment en droit de l'obtenir.

Lorsque l'assurance-maladie a été mise en place au Canada, les gens ont reconnu qu'il y aurait un prix à payer en ce qui concerne le délai de réponse. La réponse était plus lente, mais l'équité était plus grande. Je crois que les Canadiens l'ont généralement accepté, tant que leur vie et leur sécurité n'étaient pas menacées. Ce sont des concessions que les Canadiens étaient prêts à faire, mais nous n'avons pas été aussi explicites que nous aurions pu l'être à cet égard.

Si l'on était plus explicite, si l'on donnait davantage de garanties et si l'on assurait un meilleur accès, cela faciliterait les choses. Nous commençons à le faire. Je ne suis pas aussi pessimiste que certaines autres personnes. Je crois que nous devons améliorer la confiance du public dans le système de santé, lui donner l'assurance qu'il sera là lorsqu'il en aura besoin. C'est une question importante. Ce n'est pas seulement un mythe.

M. Mustard: À cet égard, je ne suis pas d'accord pour dire que le délai de réponse pose un problème, d'après les données des observations du Manitoba. Je préfère ne pas m'étendre sur ce sujet ici.

Je siège au comité consultatif du centre du Manitoba, et je manque donc d'objectivité. Néanmoins, les membres de ce conseil sont des gens d'affaires qui comprennent la situation. En juin dernier, nous nous sommes réunis avec une dizaine de chefs d'entreprises de Winnipeg pour parler des renseignements émanant du centre du Manitoba et de la réaction de la presse.

Ces personne s'inquiétaient de ce que les médias changeaient totalement les attentes du public. J'ai l'impression que c'est là un message extrêmement important. Les gens ont confiance dans les données qui proviennent maintenant du centre du Manitoba. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait, mais ils essaient de prendre des mesures pour empêcher la propagation des mythes qui sapent le système de soins de santé canadien.

Si vous comparez les données manitobaines à la situation dans le Sud, vous verrez tout de suite que vous vivez au Manitoba, et non pas au Minnesota.

Le sénateur Keon: Je voudrais en revenir à la question de l'accès. Dans le cadre d'autres fonctions, celle de chef de la direction de l'Institut de cardiologie, j'entends constamment parler d'accès. Curieusement, c'est le mot à la mode depuis deux ans environ. Les demandes qui parviennent jusqu'à moi sont ainsi formulées: «Comment puis-je avoir accès à la clinique de l'hypertension ou à la clinique des lipides, car on me dit que je n'ai pas besoin de ce service parce que mon médecin de famille peut le faire?»

C'est vraiment un problème. Je ne sais pas d'où cela vient. J'aimerais avoir votre avis sur la façon dont nous pourrions résoudre ce problème. Nous ne donnons pas les bonnes informations aux points d'accès.

M. Glouberman: Il y a une diminution du nombre de points d'accès à toutes les formes d'aide. Cela entraîne une énorme différence. Comme il y a de moins en moins de points d'accès et que les choses sont de plus en plus concentrées, très souvent les gens n'ont plus accès à autant d'expertise, à autant d'information, et les services offerts ne correspondent pas bien aux besoins des individus.

Prenez par exemple le cas des jeunes en difficulté. Auparavant, il y avait des lignes téléphoniques d'aide ou des formes d'interventions d'organismes communautaires qui pouvaient les aider. Maintenant qu'il n'y a plus ces organismes, on voit très souvent des jeunes atterrir dans des salles d'urgence ou au commissariat de police, qui ne sont pas du tout adaptés à la situation.

On se pose beaucoup de questions sur les points d'accès multiples des organismes à financement communautaire. Quand ces organismes disparaissent, le soutien de la collectivité s'effrite.

Plus les modes de réponse sont spécialisés et axés sur les urgences, plus il est difficile de répondre à tout l'éventail des demandes. On croit que les gens se présentent au mauvais endroit, mais c'est tout simplement parce qu'ils ne peuvent aller nulle part ailleurs.

M. Mustard: Ce n'est pas nouveau. Je me souviens de la triste époque où nous n'avions pas de système de soins de santé à financement public. La plupart des médecins avaient un revenu plutôt maigre. L'accès était un problème constant dans tout le système. Les deux seules choses qui le faisaient marcher, c'était la qualité des professionnels au point d'accès et les structures administratives dans lesquelles ils fonctionnaient.

J'ai été profondément découragé, et je ne devrais pas le dire publiquement, mais je vais le dire quand même. Je ne crois pas que la qualité de l'administration d'un grand nombre de nos établissements de santé soit au niveau de la qualité des fournisseurs de soins de santé. Il y a un énorme décalage de compétence, qui entraîne des problèmes. C'est le problème auquel se heurtent les États-Unis, avec leur système de soins géré. Quand un groupe de personnes éminemment qualifiées et ayant une formation professionnelle sont obligées de fonctionner dans le cadre d'une structure gérée par des gens qui n'ont pas le même bagage et les mêmes capacités, il se produit d'énormes frictions.

Il faut bien comprendre que, pour donner des conseils à une personne qui est malade, il faut avoir quelqu'un d'extrêmement sensible, qui doit pouvoir prendre les décisions appropriées sans être mis à l'écart, au point d'accès.

Si l'on fait des expériences avec les infirmières ou infirmiers praticiens dans le domaine des soins primaires, cela peut marcher, mais personne n'a jamais proposé de programmes permettant d'améliorer le système de cette façon. Cela fait partie de la bagarre que j'ai eue avec Duncan Gordon et Bette Stevenson lors de l'élaboration de ce rapport.

Peut-être faudrait-il que notre profession fasse quelque chose pour promouvoir le remaniement des structures administratives en ce sens. Je ne pense pas que les structures administratives suffisent à elles seules, sans l'appui des professionnels. Je ne vois pas cela.

Le sénateur Fairbairn: J'ai une question à poser à propos de l'amélioration de la petite enfance. Toutefois, pour continuer notre discussion, le soi-disant nouveau système géré est censé entraîner une plus grande efficacité et offrir la meilleure solution aux individus, c'est-à-dire leur permettre d'obtenir des soins à domicile ou par l'intermédiaire d'autres organismes plutôt que dans le centre de soins primaires.

J'ai constaté personnellement, et je suis sûre que tout le monde ici l'a constaté dans sa famille, que la difficulté en ce qui concerne les points d'accès venait en partie du fait que quand on a mis sur pied les systèmes on n'a pas suffisamment accordé d'importance aux liens. Divers pans du système fonctionnent peut-être très bien, depuis les salles d'urgence jusqu'aux hôpitaux ou aux services communautaires, mais des citoyens de tous âges, en particulier les personnes âgées qui sont en situation de détresse et de grand risque, constatent que malgré toute la bonne volonté du monde il n'y a pas de liens entre ces divers pans du système.

Je ne sais pas comment faire exactement, mais il faudrait mettre en place un mécanisme pour que ces liens existent à l'intention des personnes qui évoluent dans le système. Sinon, on peut se trouver dans une situation extrêmement risquée, dans la collectivité ou chez soi, si les interventions auxquelles on s'attend ne se produisent pas parce que le lien ne s'est pas fait quelque part.

Je ne sais pas si c'est la même chose partout dans le pays, mais en ce qui me concerne j'ai constaté ici et en Alberta que cette absence de liens constituait presque une menace au bon fonctionnement de notre système médical actuel.

M. Glouberman: Je suis d'accord. Nous avons dit que les liens étaient essentiels. Or, les systèmes de soins de santé sont perçus de la même manière que la santé, de façon parfaitement cloisonnée. Il y a des cases qui sont reliées par des lignes, mais la question est de savoir ce qui se passe au niveau de ces lignes. Souvent, elles sont très floues, et le problème, c'est notamment d'améliorer ces liens.

Apparemment, beaucoup de ces liens étaient de nature officieuse dans le passé. À la base du système, il semble que les patients soient orientés de façon assez harmonieuse d'une étape à une autre.

Mais quand on commence à établir des liens plus formels, à structurer le système en supprimant par exemple certaines frontières théoriques, en régionalisant par exemple, on peut créer des problèmes de transition des patients parce qu'on fait disparaître une bonne partie des liens informels qui existaient auparavant.

J'ai réalisé des entrevues dans des bureaux de médecin et j'ai discuté de la façon dont les médecins s'occupaient des personnes âgées aussi bien dans la collectivité que dans des établissements. Je travaille chez Baycrest aussi.

Ce que nous avons constaté notamment, c'est que ces liens fonctionnaient bien et que les patients étaient correctement transférés d'une étape à une autre tant que le médecin pouvait s'appuyer sur une infirmière ou un infirmier praticien. Une fois que cette personne n'était plus là, le système ne fonctionnait plus.

Une bonne partie de ces transitions s'effectuent grâce à des liens informels, parce que les gens se connaissent, savent quoi faire, savent comment fonctionne le système. C'est comme cela que les choses fonctionnent dans la plupart des systèmes.

En décidant de formaliser une bonne partie de ces démarches et de supprimer certaines structures, on peut rendre la situation plus difficile. Il est donc important de comprendre comment les choses fonctionnent et comment s'effectue le cheminement des patients.

Nous venons de terminer une étude sur la transition entre l'hôpital et le domicile des patients.

Nous avons constaté qu'une bonne partie des obstacles venaient de ce que les personnes ne voyaient pas plus loin que leur propre domaine et leur institution, leur discipline ou leur profession. Il y a sans arrêt des liens qui se nouent entre des professions, des disciplines et des institutions. En général, cela se passe très bien. Si ces liens sont rompus, c'est souvent parce qu'on transforme les structures formelles ou qu'on crée de nouvelles organisations.

Une bonne partie de cette évolution au Canada a rendu les transitions plus difficiles au lieu de les faciliter.

Le sénateur Fairbairn: Si vous regardez à la lettre «S» dans l'annuaire, vous ne trouverez pas «soins de santé». Ce sera dans une partie verte sous un autre intitulé, et c'est donc très difficile à trouver.

M. Mustard: Il y a aussi l'énorme évolution sociale et démographique de la société. Il y a 50 ans, il y avait tout un système d'entraide familiale sur plusieurs générations, qui facilitait les choses. Aujourd'hui, tout a changé. Ce ne sont pas seulement les personnes âgées et les malades, mais aussi les enfants, qui sont touchés. Il faut essayer de réaliser tout cela. Il faut mettre en place une structure locale. Comment peut-on canaliser les capacités de création de ces fonctions interactives chez les individus?

Il y a une de nos constatations qui ne porte pas directement sur les soins de santé, mais qui est pertinente en matière de santé si l'on accepte la thèse du cerveau. Nous avons examiné ce que j'appellerais «les fonctions d'atelier de réparation». Les organismes qui s'occupaient de santé mentale des enfants, de bien-être et d'aide à l'enfance étaient tous cloisonnés dans les communautés, et non intégrés. Nous avons trouvé des gens qui savaient comment les intégrer. L'une des idées astucieuses qui ont permis aux collectivités d'intégrer ces activités a été les programmes d'action communautaire pour les enfants, dans le cadre desquels on a constitué des commissions locales. Ces programmes sont très instructifs, car leur application s'étend à toute la durée du cycle de vie.

Une fois ces programmes instaurés, il devient extrêmement important de voir comment les transferts de communication fonctionnent. Je suis prêt à croire que le PACE a fait plus pour rehausser la capacité communautaire que tout autre programme élaboré par le gouvernement du Canada. Il pourrait être utile de voir s'il y a moyen d'appliquer ce programme au sujet à l'étude.

Je ne veux pas dire qu'on devrait le faire à cause de la façon dont le PACE est ciblé sur le plan technique, mais plutôt parce qu'il peut rehausser la capacité communautaire. Les collectivités peuvent collaborer pour créer les instruments nécessaires. Le problème, c'est que si l'on veut un centre de santé communautaire, on ne veut pas seulement le centre de santé communautaire, mais toutes sortes d'autres choses qui peuvent y être intégrées. On veut élargir la base. Il faut un conseil d'administration quelconque. On doit s'assurer que les programmes gouvernementaux auxquels on a recours pour financer ceux qui travaillent dans ce domaine peuvent être intégrés facilement à un nouveau système et que l'on aplanit les obstacles professionnels à la collaboration.

Mes enfants doivent travailler à peu près la moitié moins longtemps que les membres de ma génération pour se loger et se nourrir. Les heures disponibles pour le loisir ont augmenté et les heures disponibles pour le travail bénévole aussi. La société doit trouver le moyen d'exploiter ces heures libres. J'ai même proposé que le gouvernement accorde un crédit d'impôt aux gens à la retraite, comme moi, qui sont prêts à consacrer trois jours par semaine à un centre de développement de la petite enfance. Pourquoi ne pas avoir recours à mes services? J'en reviens à ce que vous disiez: je vivrai plus vieux et je risque moins de devenir un fardeau parce que je ferai quelque chose d'utile.

Selon moi, il faut envisager la situation actuelle de façon imaginative et tenir compte des occasions et des programmes gouvernementaux d'incitatifs pour obtenir le niveau d'intégration réalisable. Si l'on profite en même temps des réseaux d'information à notre disposition, on peut faire beaucoup parce qu'on peut se servir du réseau électronique.

La vice-présidente: Je prie les sénateurs de poser des questions un peu plus courtes. Nous avons deux autres témoins à entendre.

Le sénateur Fairbairn: Je serai brève. L'étude des premières années de la vie a été l'une des choses les plus importantes qu'on ait faites dans le domaine des soins de santé et dans bien d'autres domaines. J'ai travaillé à l'alphabétisation pendant environ 16 ans. La question d'actualité dans le domaine de l'alphabétisation est passée de l'adulte à la famille à l'enfant. Les ministres des Finances parlent maintenant comme vous, et dans les mêmes termes que vous, des enfants de moins de deux ans.

Que pouvez-vous nous conseiller, docteur Mustard, sur la façon d'utiliser cette information pour mettre l'accent -- ce qui exige des fonds -- sur cette période de la vie humaine pour donner aux enfants le départ dont ils ont besoin avant l'âge de six ans? Vous dites que, après six ans, il est trop tard sous bien des aspects pour influencer la vie future d'un enfant.

M. Mustard: Vous n'avez pas le tableau sous les yeux. Le groupe de référence devait répondre à une question reliée au fait que le sujet dont nous discutons commence au moment de la conception. La première année de la vie est une période critique. Bien des gens ne considèrent pas les garderies comme un élément qui influe sur le développement de l'enfant. Nous avons dû envisager la période à partir de la conception jusqu'à l'âge de six ans parce que c'est une période très importante. Nous avons choisi l'expression «centre de développement de la petite enfance» parce que les parents ont un rôle énorme à jouer. Pendant nos voyages autour de la province, nous avons appris qu'il existe de très bons centres de parentage qui fournissent des soins non parentaux illégalement, mais qui doivent pour ce faire contourner les règlements. Les parents participent au processus, par exemple à la maternelle, et peuvent se servir des renseignements obtenus lorsqu'ils sont chez eux avec leurs enfants.

La première chose que vous pourriez faire serait de créer un cadre englobant ce qu'on entend par le développement de la petite enfance et de rendre les centres de parentage accessibles à tous les membres de la société qui ont de jeunes enfants. Deuxièmement, il ne faut pas oublier que 65 p. 100 des femmes qui ont des enfants de moins de six ans font partie de la main-d'oeuvre active. Il est stupide de ne pas tenir compte de ce facteur, vu que les gens doivent aller travailler. L'immeuble où je travaille est administré par une dame qui a eu l'intelligence de prévoir un centre de parentage et de développement de la petite enfance. Ce centre a énormément de succès. Tous ceux qui travaillent dans l'immeuble peuvent s'en servir, mais d'autres peuvent le faire aussi.

Les gouvernements pourraient accorder des crédits d'impôt pour les investissements du secteur privé dans les centres de développement de la petite enfance et de parentage destinés à leurs propres employés, mais qui seraient aussi accessibles aux autres membres de la collectivité. On pourrait accomplir beaucoup de progrès de cette façon. N'est-ce pas ce qu'un programme gouvernemental doit faire, donner l'exemple? Les garderies sont un secteur réglementé, et les professionnels qui veulent voir l'intégration des services vous diront que les règlements constituent un obstacle. Il faut s'en débarrasser si on veut un système mieux intégré. Cela revient au même. C'est ce qu'on dit dans le rapport.

Si certains d'entre vous veulent qu'on vous explique tout cela, nous le ferions volontiers pour vous donner un outil dont vous pourriez vous servir. Le premier ministre Harris veut le faire. J'ignore si ses collègues politiques lui permettront de le faire. Il considère que c'est très important, quoi que vous puissiez lire là-dessus dans les journaux. C'est révélateur. Si vous pouvez vous entendre sur des formules appropriées, bien des gens vous appuieront.

Le sénateur Cohen: Je voulais vous parler, docteur Mustard. Vous mentionnez la baisse du niveau de vie dans la première page de votre rapport. Nous savons tous que le niveau de vie a commencé à baisser en 1975, et le nombre de pauvres parmi notre population est maintenant extrêmement élevé. Si nous acceptons votre hypothèse selon laquelle les maladies de la vieillesse viennent de ce qui vous arrive pendant la petite enfance, à quel genre de crise devrons-nous faire face? Quand les enfants qui sont nés après 1975 dans une famille pauvre, compte tenu des problèmes socioéconomiques auxquels ils font face maintenant, vieilliront? Qu'arrivera-t-il à notre régime de soins de santé? Ils n'ont que 25 ans à l'heure actuelle. Si votre hypothèse est fondée, nous ferons face à une crise.

M. Mustard: Quand vous jetterez un coup d'oeil sur le rapport, vous constaterez que nos mesures sont tous des gradients. C'est un point très important. La transformation économique de la population est effectivement considérable, surtout pour les personnes de moins de 45 ans, c'est-à-dire ceux qui élèvent maintenant des enfants. Le gradient est révélateur. Ce n'est pas vraiment une question de pauvreté. C'est une chose beaucoup plus vaste qui touche toute la société. D'après ces critères, le groupe le plus important d'enfants en difficulté se situe dans les classes moyennes.

Toute solution doit être accessible à tous. Il importe d'en trouver une. C'est important sur le plan politique parce que les tensions exercées sur les jeunes familles ne sont pas insignifiantes. Si l'on se concentre sur un seul groupe à l'exclusion des autres, on aura du mal à faire accepter le programme. Il vaut mieux qu'il soit accessible à tous. C'est ce qui compte.

Je voudrais signaler deux choses. D'abord, on peut maintenant dire avec pas mal de certitude que, si une femme a été élevée pendant ses cinq premières années dans une famille dysfonctionnelle, elle court un risque beaucoup plus élevé d'éprouver des problèmes de santé mentale, comme la dépression, pendant la trentaine. Le rapport est évident.

Deuxièmement, si un homme a été élevé pendant ses cinq premières années dans une famille dysfonctionnelle, il risque d'être un analphabète fonctionnel. Des études suédoises montrent qu'il aura probablement des problèmes à l'école et qu'il a de bonnes chances d'avoir des démêlés avec la justice.

Si on commence à faire la lecture à un enfant à l'âge de huit mois, le lecteur favorise le développement crucial des cinq chaînes sensorielles au cours de cette période, c'est-à-dire: l'odorat, le toucher, la température, l'ouïe et la vue. Ces derniers s'intègrent aux fonctions régulatrices du cerveau qui régissent l'activation et les émotions et alimentent en fait la cognition.

Nous comprenons maintenant pourquoi il existe un lien entre l'analphabétisme et le comportement des hommes dans le système de justice -- ce que nous ignorions auparavant. Tout cela mis ensemble, la réponse est oui, si nous ne prêtons pas attention à cet aspect, nous nous retrouverons avec un fardeau sur les bras. Si on examine ce qui se passe à l'heure actuelle dans les écoles, comme des jeunes qui tirent sur des gens, ce dysfonctionnement se traduit par une violence extrême. Dans la majorité des cas, c'est avant l'âge de cinq ans que tout se joue.

Le sénateur Callbeck: Docteur Mustard, vous avez présenté un document sur les mythes. L'un des mythes veut que les réductions des dépenses dans le domaine des soins de santé nuisent à notre santé. Pour dissiper ce mythe, vous avez présenté des statistiques du Manitoba qui indiquent que la situation du système de soins de santé n'entraîne aucune détérioration de la santé.

Il s'agit de statistiques recueillies entre 1986 et 1999, même si au cours de cette période les dépenses hospitalières ont diminué, de même que le nombre de lits de soins actifs.

Il y a certainement de très nombreux Canadiens qui ne seraient pas d'accord avec vous. Si vous examinez les sondages, les Canadiens ont moins confiance dans leur système de soins de santé, qu'il y a cinq ans. Pouvez-vous nous indiquer les facteurs qui ont vraiment déclenché cet état de chose? À une époque, les Canadiens avaient confiance dans le système de soins de santé. Cette confiance a-t-elle effectivement diminué lorsque les gouvernements ont réduit le financement et le nombre de lits de soins actifs? Je sais que bien des gens font le lien entre le système de santé et le lit de soins actifs.

Vous avez présenté des statistiques qui indiquent que les dépenses de soins de santé n'ont pas nui à notre santé mais pourtant, comme je l'ai dit, les Canadiens ne seraient pas d'accord avec vous. Quels sont les facteurs qui ont entraîné cette baisse de confiance?

M. Mustard: Ce que je vais dire risque de m'exposer à des poursuites de la part du propriétaire de l'un de nos quotidiens nationaux. Si des individus sans aucune responsabilité sociale s'emparent de votre idéologie ou de vos valeurs -- et je soutiendrais qu'il s'agit en majeure partie de la philosophie qui sous-tend l'un de nos quotidiens nationaux, que je ne nommerai pas -- vous courez le risque de tomber dans le piège économique néoclassique tel que l'a exprimé Milton Friedman, à savoir que l'idéologie est en grande partie le moteur des instruments de la société, et qui énonce les raisons à l'appui. Certains soutiendraient que si vous pouvez privatiser les soins de santé, vous agissez conformément à la philosophie néoclassique. Vous libérerez le système, et bien des gens sont profondément convaincus que c'est la façon dont la société devrait fonctionner.

Je vous renvoie à Sen et Fogel, deux lauréats du prix Nobel: l'économie néoclassique n'aura probablement aucune chance au cours de ce siècle, parce qu'il faut mieux comprendre comment on crée la richesse et comment on renforce les éléments de la société.

Donc à mon avis ce qui se passe, c'est que des gens parfois qualifiés de néo-libéraux, qui essentiellement ne comprennent pas ce lien, s'emparent d'un dossier, ce qui peut être très destructeur pour la société. Je crois que c'est en grande partie le cas aussi de l'autre quotidien national. Le problème surgit lorsque les deux quotidiens nationaux ne sont pas sur la même longueur d'onde. Ils expriment de toute évidence une opinion qui plaît à leurs lecteurs, et il est vrai que certains de leurs articles ne témoignent pas d'un parti pris, mais l'information qu'ils produisent est sélective.

Les milieux d'affaires au Manitoba ont compris que la presse s'était trompée. Quant à savoir s'ils peuvent changer les médias, je l'ignore. Une autre organisation qui à mon avis fait un travail déplorable, c'est malheureusement la SRC. J'en voulais tellement à la SRC que j'ai failli écrire au nouveau président pour lui dire que je cesserais d'écouter les émissions de cette société parce qu'elle ne traitait pas des questions d'une manière équilibrée.

Je pense que cela traduit une structure bizarre des valeurs de notre société, et il n'y a peut-être rien à faire, mais je crois qu'il est possible de changer les choses. Si on commençait par travailler en collaboration avec les collectivités, je pense que l'on pourrait fondamentalement changer le système. Cependant, nous sommes prisonniers des convictions de notre voisin du sud qui se répandent jusque chez nous. En passant, je ne parle pas de l'Île-du-Prince-Édouard, qui est un monde différent.

Le sénateur Callbeck: Un monde meilleur.

M. Glouberman: La façon dont vous décrivez ce casse-tête est intéressante, parce que ce n'est pas que le système de soins de santé fonctionne mal, c'est que la population n'a plus confiance dans ce système. C'est l'argument que j'ai essayé de faire valoir. La question que l'on se pose, c'est comment remédier à cette perte de confiance? Les stratégies pour ce faire diffèrent des stratégies permettant de renforcer le système de soins de santé. Peu importe dans quelle mesure on le renforce, si les pressions dont il fait l'objet sont constantes, cela réduit la confiance de la population. Le système de soins de santé ne réagira pas à ce que les gens croient, mais plutôt à ce qui existe.

M. Mustard: Si vous minez la confiance du public, et si vous souhaitez instaurer un système privé pour toutes sortes de raisons -- par appât du gain et pour d'autres raisons -- le public devient plus réceptif, et vous pouvez dire qu'il y a eu en fait une campagne discrète en ce sens. C'est peut-être bon ou mauvais, mais je pense qu'il faut examiner cette question.

M. Glouberman: J'ai un exemple de gens qui sont victimes de ce type de manoeuvre. La SRC m'a demandé de commenter le fait que l'on offre de l'assurance-maladie à de jeunes cadres, qui peuvent payer jusqu'à 1 000 $ par année pour obtenir une assurance-maladie immédiate aux États-Unis. Les personnes ciblées ont entre 30 et 40 ans. En fait, les gens entre 30 et 40 ans n'auront jamais à faire appel au système de soins de santé, sauf dans des circonstances très inhabituelles, et alors elles seraient traitées tout aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. C'est une façon dont le manque de confiance se répand dans l'ensemble de la société et incite les gens à agir. C'est une bonne stratégie de commercialisation.

Le sénateur Callbeck: Je sais que nous n'avons plus beaucoup de temps, mais j'aimerais poser une autre brève question. Certains disent que la Loi canadienne sur la santé est trop rigide pour permettre une réforme de la santé. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Croyez-vous que cette loi soit trop rigide pour permettre d'établir un système de santé de la population au Canada?

M. Glouberman: C'est une bonne question. J'ai eu l'occasion de parler à l'un des rédacteurs de la Loi canadienne sur la santé. Une cinquantaine de personnes prétendent avoir participé à la rédaction de cette loi, mais j'ai eu l'occasion de rencontrer une personne qui a en fait travaillé à la rédaction de cette loi. Il a indiqué qu'il était très clair que l'intention de la Loi canadienne sur la santé était d'assurer «au moins» ce qui est assurable; entre-temps, cela est devenu: assurer ce qui est «au plus» assurable. Au nom de l'efficacité, on a constaté un important transfert de coût des institutions aux particuliers.

Si, par exemple, des gens quittent l'hôpital plus tôt parce que le système hospitalier est plus efficace, le coût se trouve transféré aux familles. Car certains de vos médicaments ne sont assurés que lorsque vous êtes à l'hôpital. Donc, on a affaire à un autre transfert de coût. L'important n'est donc pas la structure ou le libellé de la Loi canadienne sur la santé, mais plutôt l'interprétation de ce qui devrait être assurable. Si on parle de ce qui est «au moins» assurable, tout va bien, mais si on parle de ce qui est «au plus» assurable, c'est là que les ennuis commencent.

M. Mustard: J'aimerais ajouter que la loi n'est pas rigide. Le problème, c'est un problème d'exécution. C'est que les gouvernements provinciaux ne sont pas arrivés à concevoir des systèmes qui sont plus adaptés aux besoins des collectivités, pour permettre les changements. Regardez ce qui se passe en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba et dans certaines autres provinces.

L'Ontario a encore beaucoup de chemin à faire à cet égard. Il faut y réfléchir sérieusement. Ce n'est pas la loi qui fait obstacle, c'est l'absence d'innovation et d'encouragements qui favorisent l'innovation.

[Français]

Le sénateur Gill: Cela touche la standardisation des services. C'est toujours ma préoccupation générale lorsqu'on fait la cueillette d'information. Suite à la cueillette et au résultat, on est souvent porté à évaluer la situation et à la standardiser. C'est vrai dans plusieurs domaines, et j'imagine que c'est le cas dans celui de la santé. Quant aux services adaptés à la population, par exemple, on a des statistiques concernant le Manitoba.

À partir de vos données, est-ce que vous pouvez établir des services qui correspondent vraiment aux besoins des gens du Nord, aux endroits isolés? Vous avez parlé de décentralisation des services. Chez ces gens, la mortalité est plus grande en raison de leur statut social et économique. Peut-on se baser sur ces données pour dire qu'on répond aux besoins des gens du Nord et des gens des communautés isolées dans le domaine de la santé en particulier?

[Traduction]

M. Mustard: C'est une bonne question. On se sert en fait des données du Manitoba pour cela. C'est dans les régions éloignées du Manitoba que la demande relative aux services est la plus élevée, et c'est exactement ce qui se passe. Deuxièmement, le système de renvoi de ces régions vers le centre, à Winnipeg, est assez bien pensé, comme le montre l'étude. Le problème le plus difficile, dans ces régions, consiste à remédier aux causes sous-jacentes des problèmes de santé de ces gens. Vous allez constater que les données du Manitoba nous donnent une assez bonne idée de la situation. L'Ontario n'a pas ces données, et voilà pourquoi nous ne pouvons pas vous dire comment les services sont vraiment répartis ici. C'est ce qui a amené le Manitoba à créer des programmes spéciaux qui aident les gens du Nord à avoir accès aux systèmes.

La vice-présidente: Votre témoignage était fascinant. Vous nous avez donné amplement matière à réflexion, et il nous faudra maintenant méditer les statistiques que vous nous avez communiquées.

Nous allons maintenant entendre deux témoins qui représentent des maisons de sondage canadiennes. Comme on le sait, les maisons de sondage se sont beaucoup intéressées ces dernières années au système de soins de santé. Notre comité pourra sûrement profiter des informations dont ils vont nous faire part aujourd'hui.

M. Chris Baker, vice-président, Environics Research Group: Mesdames et messieurs les sénateurs, le mandat de votre comité est important et opportun. Il est certain que tout observateur des institutions politiques du Canada respecte le Sénat pour les enquêtes qu'il mène dans des domaines divers. Chaque fois qu'une question brûlante semble se poser, le Sénat dispose d'amples pouvoirs de consultation et d'enquête, et, chose certaine, le processus d'articulation de la politique gouvernementale au Canada a profité de l'intérêt que les sénateurs ont accordé à diverses questions.

J'étais pour ma part très heureux d'apprendre que votre comité se pencherait sur les attitudes qu'ont les Canadiens envers la santé, et surtout de savoir qu'on nous inviterait à vous faire un exposé.

Chez Environics, particulièrement au bureau d'Ottawa, nous ne nous intéressons pas seulement aux questions relatives à la politique gouvernementale et à leur cheminement, mais aussi aux interactions qui se produisent entre ces questions. Les soins de santé sont un domaine très important qui rejoint une vaste gamme de questions relatives à la politique gouvernementale. Vous avez certainement entendu des commentateurs dire que notre système de soins de santé contribue non seulement à la qualité de notre vie, mais aussi à notre compétitivité économique. Ce système rejoint également des valeurs très profondes de la société canadienne.

Je vais vous donner un bref aperçu des données que nous réunissons depuis quelques années. Nous nous sommes penchés tout particulièrement sur les données qui proviennent de notre revue trimestrielle, Focus Canada. À tous les trois mois, nous allons sur le terrain et interrogeons environ 2 000 Canadiens sur une foule de questions relatives à la politique gouvernementale.

En juillet 1999, nous avons mené une étude assez complète sur les soins de santé au Canada. C'est une étude que nous réalisons régulièrement dans le cadre de Focus Canada. Cependant, nous continuons également de suivre, sur une base trimestrielle, diverses questions relatives aux soins de santé qui préoccupent les Canadiens.

Les données que nous allons vous présenter aujourd'hui sont toutes très récentes. Les plus anciennes remontent à juillet 1999 et les plus récentes à janvier 2000.

Je vais passer ces données en revue rapidement. Vous voyez que nous avons un certain nombre de diapositives. Je ne m'attarderai pas sur certaines diapositives qui contiennent plus de détails que les autres, mais je tenais à les soumettre à votre attention.

Dans le contexte canadien, on constate que, pour la première fois, les soins de santé sont considérés, au même titre que le chômage, comme étant le problème le plus important qui se pose au pays. Quinze pour cent des Canadiens disent que le chômage et les soins de santé constituent les questions brûlantes de l'heure; 11 p. 100 disent que ce sont les impôts; 11 p. 100 mentionnent d'autres problèmes économiques. Cinq grandes questions préoccupent les Canadiens, et les trois autres sont la pauvreté, la faim et la clochardise.

Le fait que l'on se soucie moins de l'économie et du chômage a permis à d'autres préoccupations d'émerger. Il convient de noter l'importance de l'aspect démographique ici. Les femmes ont tendance à se soucier davantage des soins de santé, alors que les hommes ont tendance à se soucier davantage des impôts. L'âge et le niveau de revenu sont aussi des facteurs qui jouent. Plus vous avancez en âge, plus vous vous souciez de l'état du système de soins de santé.

On voit bien à quel point le chômage, que représente la première ligne de ce graphique, a perdu de son acuité dans la conscience publique. On voit que la santé, la ligne verte, est passée d'une préoccupation inexistante en novembre 1992 au point où, aujourd'hui, 15 p. 100 des Canadiens s'en préoccupent.

Il y a aussi un lien évident entre la santé et l'identité canadienne. Il y a un lien certain entre l'universalité du système de santé et les valeurs canadiennes fortes que sont l'égalitarisme et la générosité. Même si l'on considère que le système est en difficulté, on y voit aussi un exemple de partenariat fructueux. Entrent ici en jeu le partenariat traditionnel fédéral-provincial, le partenariat entre le patient et son médecin, et aussi entre l'individu et l'État.

Sur ce graphique, on voit que parmi tous les éléments qui revêtent de l'importance pour l'identité canadienne, seule la santé se classe au premier rang au Québec et ailleurs au pays.

Pour ce qui est des rôles et des responsabilités des gouvernements, on constate que les Canadiens jugent aujourd'hui sévèrement aussi bien le fédéral que les gouvernements provinciaux pour la manière dont ils gèrent le dossier de la santé.

Ces indicateurs ont enregistré une légère augmentation au cours des quelques derniers trimestres. Cela reflète la priorité plus élevée que tous les gouvernements commencent à accorder à la santé. Cependant, les Canadiens comprennent très mal comment le système est financé. Chose certaine, lorsque j'essaye d'expliquer à mes amis ce que sont les points d'impôt et ce qu'ils signifient, au bout de 30 secondes, ils me regardent d'un air absent.

Les Canadiens tolèrent mal ceux qui en rejettent la responsabilité sur d'autres. Ils réclament des résultats plus positifs et, surtout, plus de coopération intergouvernementale.

On voit sur ce graphique-ci un taux net en ce sens, à savoir ceux qui approuvent la conduite du gouvernement moins ceux qui la désapprouvent, et l'on constate que le gouvernement fédéral et la plupart des gouvernements provinciaux sont mal notés lorsqu'il s'agit du régime de soins de santé. Dans d'autres dossiers, ils pourraient mieux faire, mais chose certaine, le régime de santé public semble être en bien piètre état, en ce moment.

Lorsque nous avons demandé aux gens d'établir leurs priorités en matière de dépenses gouvernementales, les trois quarts des Canadiens ont dit vouloir que l'on consacre plus d'argent aux soins de la santé. C'est un peu plus que l'éducation et la pauvreté infantile au haut de la liste des priorités en matière de dépenses. Il convient de noter que le désir de voir les gouvernements dépenser davantage a atteint un plateau, ce qui veut dire que ce désir est élevé, mais qu'il ne baisse pas. Il ne montre aucun signe de fléchissement.

Encore là, il y a de légères différences d'ordre démographique dans l'établissement des dépenses prioritaires, mais la nécessité d'investir davantage dans ce domaine suscite un consensus fort.

Ma propre expérience en matière de politique gouvernementale me dit que, parfois, les priorités en matière de dépenses gouvernementales, traduisent un appel à l'effort et à l'attention. Cependant, je sais qu'en matière de soins de santé, non seulement on veut que les gouvernements dépensent davantage, mais on veut aussi que les décideurs accordent plus d'effort et d'attention à cette question.

Ces graphiques vous montrent certaines priorités en matière de dépenses gouvernementales. Chose intéressante, quand on interroge les gens au sujet de l'excédent budgétaire du gouvernement fédéral, on constate que les dépenses relatives aux programmes sont demeurées assez stables au cours des trois dernières années. Il existe certaines fluctuations en ce qui concerne les réductions d'impôts et le remboursement de la dette, mais on constate qu'environ 40 p. 100 des Canadiens disent, de façon constante, qu'il faut affecter l'excédent budgétaire du gouvernement fédéral aux programmes, et le programme qui obtient leur préférence, c'est bien sûr la santé.

Si l'on passe maintenant aux perceptions à l'égard du régime de soins de santé, on s'aperçoit que deux tiers des Canadiens se déclarent assez satisfaits du régime actuel. Cependant, ceux qui en sont très satisfaits sont seulement un peu plus nombreux que ceux qui ne sont pas du tout satisfaits.

Chose encore plus importante, les niveaux de satisfaction relativement au régime de soins de santé ont baissé considérablement au cours des années 90. Par exemple, en 1991, 46 p. 100 des Canadiens s'en disaient très satisfaits, comparativement à seulement 17 p. 100 aujourd'hui.

Nous avons également posé une série de questions sur l'impression que les gens ont du régime. L'une des préoccupations, c'est la qualité. Il est intéressant de voir que les Canadiens définissent généralement la qualité en fonction de l'accès. La qualité demeure, bien sûr, la plus importante préoccupation.

Les coûts associés au régime, et la nécessité de son financement public sont secondaires, suivis d'une intégration des services communautaires et hospitaliers. Ces sujets sont en bas de liste, mais je ferai remarquer que 51 p. 100 des Canadiens, soit une majorité, se disent très préoccupés par l'intégration des services communautaires et hospitaliers. Il est intéressant de constater que les inquiétudes relatives au coût du régime et à son financement public, ont en fait diminué depuis 1994, mais que les préoccupations relatives à la qualité demeurent constamment élevées.

Pour les Canadiens, il existe un lien étroit entre l'accès et l'universalité. D'après les diverses options que nous proposions aux Canadiens, nous constatons que ceux-ci s'opposent énergiquement à toute mesure qui pourrait limiter l'accès aux services de santé. Le témoin précédent a parlé de l'accès et de son importance, et nous constatons que c'est une valeur primordiale pour les Canadiens. La population préfère que l'accès soit fondé sur les besoins plutôt sur la richesse ou sur d'autres critères. À l'heure actuelle -- et le pourcentage a augmenté depuis 1992 -- 84 p. 100 des Canadiens sont fortement en faveur d'un régime d'assurance-maladie universel, pour tous les Canadiens, quelle que soit leur situation économique.

Lorsque nous examinons les facteurs qui influent sur la santé, nous décelons une tendance à insister sur les établissements ou les facteurs externes. Les soins de santé et les médecins, l'hygiène et le milieu naturel figurent généralement assez bas sur la liste des facteurs qui influent sur les soins de santé. On considère également que le comportement personnel est un élément important.

Il est important de constater qu'au chapitre du logement et du revenu, deux facteurs qui viennent récemment d'être pris en compte parmi les déterminants de la santé, il existe un écart marqué, selon le revenu des répondants. Ceux qui ont les revenus les plus élevés ne considèrent pas le logement et le revenu comme des facteurs déterminants de la santé, alors qu'une partie de la population, qui se trouve au bas de l'échelle économique, est d'avis contraire.

Au chapitre des priorités de dépenses au sein du portefeuille de la santé, nous constatons une préférence marquée pour les dépenses relatives aux installations et aux activités de recherche. Dans ces priorités, les activités communautaires viennent au second rang, et celles qui sont perçues comme plus éloignées de la population reçoivent le degré de priorité le moins élevé dans les nouvelles dépenses au chapitre de la santé. Soixante-dix-huit pour cent des Canadiens accordent un degré de priorité élevé au maintien du nombre de lits d'hôpitaux; viennent au second rang le financement de la recherche sur les maladies qui affectent les femmes et l'équipement de haute technologie à la fine pointe du progrès. L'augmentation des programmes axés sur la communauté figure plus bas sur la liste des priorités. Cela est dû, à mon avis, à un certain caractère immédiat de nos inquiétudes au sujet du régime de soins de santé, et j'en reparlerai dans un instant. Les lits d'hôpitaux et les équipements de haute technologie offrent des avantages immédiats, alors que les initiatives axées sur les communautés et la santé populaire, sont perçues comme des activités à plus long terme. Parce qu'ils sont très inquiets, les Canadiens mettent surtout l'accent sur les activités qui offriront des avantages immédiats plutôt qu'à long terme.

Dans l'examen des options, pour notre système de soins de santé, nous constatons que bon nombre de Canadiens sont prêts à envisager des solutions de soins externes ou hors des établissements, comme les soins à domicile, mais s'opposent fortement à toute mesure qui limitera l'accès aux services. Enfin, ces dernières années, on a constaté que l'appui à certaines mesures plus limitatives a diminué proportionnellement à l'augmentation des inquiétudes relatives aux soins de santé. Nous constatons, en tout cas, que les Canadiens sont de moins en moins d'accord avec la rationalisation des services hospitaliers, l'imposition d'une sorte de tarif raisonnable ou l'instauration d'un régime de ticket modérateur.

Les gens s'intéressent également moins à diverses options visant à limiter les abus. Encore une fois, ce sont des préoccupations relatives à l'accès. En fait, les Canadiens semblent si préoccupés de l'accès, qu'ils reviennent à l'idée qu'il faut offrir les services essentiels et voir à ce tous les Canadiens puissent avoir accès à ces services à longue échéance. Une grande majorité de gens jugent que les particuliers devraient avoir davantage de responsabilités dans ce domaine, en plus des gouvernements, et une majorité estime également que les employeurs, les médecins, les sociétés d'assurance-maladie, les groupes de réglementation, et cetera, ont un rôle plus important à jouer. Trente pour cent seulement des Canadiens croient que les organismes bénévoles devraient assumer une part plus grande de responsabilité; ce n'est pas par manque de confiance dans ces organismes, mais plutôt parce que les Canadiens jugent que ces organismes font déjà leur part et ne peuvent peut-être pas faire davantage.

Il y a eu bien sûr récemment des discussions au sujet du projet de loi 11 de l'Alberta, et les gens s'inquiètent de plus en plus de ce que l'avènement des cliniques privées érodera encore davantage le régime de soins de santé. Seule une minorité de Canadiens croient que les cliniques privées sont une bonne façon d'abréger les listes d'attente. Ces cliniques sont toutefois acceptées mais avec réticence, faute d'autres solutions.

Ce tableau montre clairement que les Canadiens redoutent de plus en plus que ces cliniques n'érodent notre régime de soins de santé, et aussi qu'ils sont de moins en moins certains que ces cliniques sont la solution au problème des listes d'attente. À l'heure actuelle, nous constatons une approbation mitigée des mesures proposées en Alberta qui est due, à mon avis, au fait que les gouvernements provinciaux, ou d'autres organismes, n'ont pas de solutions à proposer. Dans le domaine de la politique publique, on croit généralement que les Canadiens préfèrent un mauvais plan à l'absence de plan. Je ne porte aucun jugement sur ce que propose l'Alberta, mais compte tenu du manque de solutions de rechange, les critiques du projet de loi 11 auront bien de la difficulté à s'opposer à son adoption.

Pour conclure, notre régime de soins de santé est un puissant symbole des valeurs de notre société. Même si les inquiétudes au sujet des soins de santé, ont atteint leur maximum, elles n'ont pas diminué depuis et demeurent le principal problème. La population est moins satisfaite du régime et critique la façon dont tous les ordres de gouvernement s'acquittent de leur tâche dans ce domaine. Elle souhaite que les gouvernements cessent de lutter entre eux dans le domaine des soins de santé et commencent à collaborer.

L'accès aux soins de santé et la disponibilité des ces soins sont les principaux domaines de préoccupation, et les Canadiens s'opposeront énergiquement à toute mesure visant à limiter cet accès. Comme je l'ai déjà dit, la population voit les dépenses comme un indicateur d'attention et d'effort, mais elle croit néanmoins qu'il faut investir davantage dans le régime. En fin de compte, les Canadiens sont davantage intéressés à trouver des solutions que des responsables. Les particuliers, ainsi que les gouvernements et les employeurs, ont une part plus grande de responsabilité à assumer dans le régime de soins de santé. Même si on estime que les initiatives communautaires ou de santé populaire sont intéressantes, les formes plus classiques de prestation de services suscitent de grandes inquiétudes, et c'est à ces dernières que les Canadiens souhaiteraient que l'on accorde plus d'attention.

La question que je me pose est la suivante: Qu'est-ce qui va déclencher les changements qui s'imposent dans le régime de soins santé? Une crise, la stabilité ou la volonté politique? Si les gens souhaitent des solutions à caractère pécuniaire ou des solutions plus immédiates aux problèmes des soins de santé, une crise permettra à coup sûr d'attirer l'attention sur ces questions. Mais si l'on veut mettre en place des initiatives plus novatrices et à plus long terme, dans le domaine des soins de santé, ce dont les Canadiens ont vraiment besoin, c'est de stabilité. Puisque le degré d'inquiétude au sujet de notre régime est actuellement très élevé, les Canadiens ne sont pas vraiment intéressés par des solutions novatrices ou des solutions qui pourraient mettre en péril leur accès au régime, ou encore des solutions qui ne renforcent pas les modes traditionnels de prestation -- lits d'hôpitaux, équipement de haute technologie, installations. Voilà ce que pensent les Canadiens. Tant qu'ils ne seront pas davantage rassurés à l'égard de l'état actuel du régime, ils seront moins portés à accepter des initiatives novatrices de soins de santé qui permettraient de réduire les coûts ou d'améliorer la santé de la population.

Évidemment, la volonté politique est toujours un facteur important, mais nous ne sommes plus à l'époque où un sauveur viendrait mettre de l'ordre dans les soins de santé. Nous avons constaté que les Canadiens s'opposent aux mesures punitives visant à forcer les provinces à respecter la Loi canadienne sur la santé, surtout lorsqu'il y a un retrait de fonds. La volonté politique devrait, en fait, se manifester par une plus grande collaboration entre le fédéral et les provinces.

Il est bien sûr essentiel, pour améliorer notre régime de soins de santé, de mieux informer les citoyens, même si cela a pour effet d'augmenter l'inquiétude à court terme. Merci.

M. Scott Evans, consultant principal en statistique, Goldfarb Consultants: Merci de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. Mon témoignage s'enchaîne bien au sujet dont a discuté M. Fraser Mustard, puisque nous vivons dans un nouveau climat qui offre de bonnes occasions d'orienter l'appui du public dans une direction ou une autre. Personne ne sait encore exactement quelle devrait être l'orientation, puisque les propositions et les programmes proposés n'ont pas encore été acceptés et ne sont pas encore entièrement élaborés.

Nos données confirment une tendance générale que vous reconnaîtrez peut-être tous -- la population a de moins en moins confiance dans le régime actuel de soins de santé. Personne ne sait encore exactement pourquoi. La restructuration financière du régime de soins de santé, et la réaction des médias et de divers groupes militants, sont des facteurs qui ont tous contribué à ce manque général de confiance. Cela s'applique à toutes les régions du Canada. Plus particulièrement, vous constaterez dans la sixième diapositive la diminution spectaculaire du nombre de réponses positives, lorsqu'on a demandé aux gens si le régime de soins de santé fonctionnait bien et qu'il était inutile de le modifier. Comme vous pouvez le constater, cette question a été posée de 1989 à 1999.

A ce propos, ces questions étaient généralement posées chaque année en février et mars. Vous pouvez voir la diminution spectaculaire des réponses positives, qui sont passées de 45 p. 100 à 14 p. 100. Cela représente un changement important quant aux valeurs, aux croyances et attitudes.

Toutes les régions ne sont pas mentionnées dans la septième diapositive et on ne peut donc pas constater certaines grandes différences entre régions. D'une façon générale, j'ai examiné les deux principales régions. En Ontario, la population est moins inquiète du régime de soins de santé, alors que la population du Québec est plus inquiète. Il est intéressant de constater que cette inquiétude a atteint son apogée au Québec en 1998. Cela est dû en partie au fait que, durant cette période, au Québec, il y avait des négociations avec divers praticiens du régime de soins de santé. Tous ces bouleversements ont provoqué un changement réel dans l'attitude du public. Cependant, il importe de noter qu'il se dégage une tendance constante au fil des ans.

Il existe des différences en fonction du revenu, comme on l'a déjà mentionné. Les mieux nantis ont toujours considéré que le système ne fonctionnait pas aussi bien que ne l'estimaient les personnes dont les revenus étaient inférieurs. Ce qui est important, c'est la convergence qui s'établit. Par conséquent, vous pouvez constater que dès avant 1999, comme on peut le voir sur la neuvième diapositive, il y a une convergence de tous les groupes de revenu. Autrement dit, tous s'accordent de plus en plus à dire que le régime de soins de santé posait des problèmes.

La même chose s'applique aux deux sexes. Auparavant, les hommes se préoccupaient davantage de fiscalité, et les femmes de santé. Les femmes estimaient en général que le régime de soins de santé fonctionnait bien, mais la tendance s'est modifiée. Vous pouvez maintenant voir sur la diapositive 11 que le pourcentage de femmes convaincues que le régime de soins de santé fonctionne bien était inférieur en 1999 à celui des hommes. Cela s'applique dans toutes les régions.

Les préoccupations en matière de santé changent, et c'est important parce que la politique publique compte de nombreux enjeux. Quels ont été les changements dans l'importance relative de ces préoccupations? Dans les années 90, les dépenses du gouvernement, l'endettement et les questions fiscales étaient en tête de liste. Ces questions sont encore importantes, mais il y a eu un changement spectaculaire, car la santé est passée au rang des grandes préoccupations.

Au bas du graphique que vous voyez sur la treizième diapositive, vous pouvez constater que la colonne en rouge représente les soins de santé -- l'inquiétude au sujet des soins de santé en tant que question de principe. Le régime de soins de santé était moins préoccupant en 1993 que d'autres questions comme la fiscalité, la dette nationale et les dépenses du gouvernement. Ces trois derniers sujets ont perdu du terrain au fil des ans, au fur et à mesure qu'ont augmenté les inquiétudes au sujet du régime de santé. La situation de l'éducation est demeurée assez constante. Vous voyez qu'il y a un changement graduel. La fiscalité et l'endettement n'ont pas totalement disparu de la liste des préoccupations, ce sont des sujets qui sont encore bien présents à l'esprit de la population, mais la santé devient une préoccupation primordiale.

Sur la diapositive 14, vous pouvez voir que la fiscalité est encore un sujet brûlant, mais la santé est presque au même niveau. C'est une changement important, qui s'est produit graduellement au cours des années 90.

En raison de la récession, le chômage était un problème capital dans les années 90. Grâce à la reprise de l'économie, les Canadiens se sont davantage préoccupés des programmes sociaux et des dépenses relatives à ces programmes. La santé est un élément important des programmes sociaux, d'après les Canadiens. Lorsqu'ils disent qu'il faut accroître les dépenses dans les programmes sociaux, c'est très souvent aux soins de santé qu'ils font référence. Par conséquent, lorsqu'on leur demande quelles devraient être les priorités du gouvernement fédéral, vous constaterez sur la diapositive 16 que la santé a pris de l'importance, même si cette augmentation s'est stabilisée en 1998 et 1999. C'est un sujet qui reçoit un degré de priorité considérablement plus élevé qu'au début des années 90. L'importance apportée à d'autres questions, comme les dépenses du gouvernement, le chômage et les impôts, a diminué.

Les répondants à l'enquête de Goldfarb ont également dit s'attendre à ce que les gouvernements provinciaux fassent leur part dans le maintien des programmes sociaux. En fait, si vous demandez aux Canadiens de qui ces programmes relèvent, ils n'en ont généralement pas une idée claire. Malgré tout, ils croient que les gouvernements provinciaux devraient jouer un rôle essentiel dans le maintien des programmes sociaux au Canada. Je le répète, les soins de santé font partie, pour les Canadiens, des programmes sociaux.

L'autre question porte sur le ticket modérateur. On a demandé aux Canadiens s'ils étaient prêts à payer un ticket modérateur modeste pour obtenir des soins de santé. Il est intéressant de constater qu'au début des années 90, cette idée recevait un certain appui. Par exemple, on mentionnait dans la question un paiement de 10 $ lorsqu'un patient allait consulter un médecin. Certains étaient d'accord avec cette idée. On voit toutefois dans la diapositive 20 que cet appui a chuté dans les dernières années de la décennie 90.

Au Québec, c'est l'inverse; les habitants de cette province semblent enclins à accepter l'idée d'un ticket modérateur. Toutefois, les Québécois suivent la tendance nationale et, dans une grande mesure, leur appui a diminué aussi.

Les Canadiens sont encore très intéressés par les réductions d'impôts, mais contrairement aux années 90, les soins de santé sont également prioritaires dans leur esprit. Nous avons demandé aux Canadiens de nommer deux sujets qui devraient avoir priorité absolue, dans le cadre d'un excédent budgétaire. Ces données sont tirées de notre rapport de mise à jour, qui a été rédigé en novembre et décembre 1999. Parmi les idées proposées, il y avait l'augmentation des dépenses affectées au régime de soins de santé et la réduction des impôts des particuliers. Ces deux propositions étaient en tête de liste. Sur la diapositive 22, on voit que d'autres questions étaient jugées moins importantes.

On décèle une même tendance dans toutes les régions. Même si les femmes accordent davantage d'importance que les hommes à la santé, vous verrez sur la diapositive 25 qu'il y a eu des changements importants. Les hommes ont appuyé, à 36 p. 100, l'idée d'accroître les dépenses affectées au régime de soins de santé, comparativement à 62 p. 100 chez les femmes. Pour ce qui est des priorités budgétaires, l'importance varie beaucoup selon le sexe des répondants. C'est peut-être parce que les femmes ont toujours été plus près du régime de soins de santé que les hommes.

Elles sont davantage insatisfaites de certains des services fournis, ou elles ont l'impression d'avoir plus de chances d'avoir des problèmes. Les femmes estiment davantage que la santé devait être une priorité.

Les priorités sont légèrement différentes selon le revenu des répondants, et l'impôt sur le revenu des particuliers a été jugé important. La priorité accordée aux dépenses dans le domaine de la santé était également assez élevée. Le seul groupe qui n'était pas d'accord est celui des gens qui gagnent au moins 50 000 $ par année; ce n'est pas très étonnant, compte tenu de la façon dont ce groupe a toujours perçu le régime de soins de santé actuel.

Pour conclure, l'opinion publique connaît actuellement des fluctuations intéressantes. Il est possible de faire accepter la légitimité de différentes approches du régime de soins de santé qui pourront rétablir la confiance de la population dans le régime.

Les gouvernements provinciaux doivent s'orienter vers une réforme des soins de santé. Toutefois, ils doivent être conscients des doutes qu'entretient la population, et dans certains cas de son cynisme, à l'égard d'une réforme des soins de santé. Les gens sont prêts à accepter une réforme des soins de santé, ils en reconnaissent le besoin, mais ils sont cyniques quant aux améliorations à y apporter ou à la volonté des gouvernements d'agir.

La population ne semble guère appuyer l'idée d'un régime privé de soins de santé, comparable à ce qui existe aux États-Unis. Nous ne l'avons pas mentionné dans notre mémoire, mais ces données sont appuyées par un rapport précédent que nous avons rédigé au sujet de l'identité nationale et qui confirme les travaux d'Environics. Le régime de soins de santé est un élément important de l'identité canadienne. Pour les Canadiens, le régime de soins de santé financé par les deniers publics est un élément essentiel de leur identité. Ils hésiteraient beaucoup à se lancer dans l'aventure des soins de santé privés.

Les Canadiens veulent que les deux ordres de gouvernement réinvestissent dans les programmes sociaux. Les soins de santé représentent un élément très important de ce que j'appelle «programmes sociaux».

Les Canadiens commencent également à en avoir assez de la bisbille entre les deux ordres de gouvernement. Quand on leur demande comment ils conçoivent relations fédérales-provinciales, ils ne semblent pas comprendre pourquoi les deux ordres de gouvernement semblent ne pas vouloir ou ne pas pouvoir s'entendre sur ce qui doit être fait. Les Canadiens semblent perdre patience.

Les Canadiens estiment que l'excédent budgétaire devrait permettre au gouvernement de réinvestir dans le régime de soins de santé du pays. C'est l'une des dépenses auxquelles ils accordent la priorité.

La vice-présidente: J'ai trouvé intéressant de voir que, dans vos deux enquêtes, les Canadiens ne tolèrent pas beaucoup que l'on rejette la responsabilité de la situation sur le voisin. J'ai une question à poser avant de donner la parole à mes collègues.

Dans son témoignage, M. Mustard a parlé des mythes -- et pour bon nombre d'entre nous, il faut encore distinguer les mythes des réalités. Il a dit quelque chose d'intéressant, c'est-à-dire que les mythes font la manchette, ce qui provoque des pressions du public sur le gouvernement et sur le régime. Nous pouvons lire des articles sur des actes criminels qui sont parfois suscités par un incident particulier qui a retenu l'attention du public. Quand vous faites vos sondages, comment tenez-vous compte de la couverture médiatique, qui suscite peut-être des pressions par la suite? Dans vos grandes enquêtes, ces pressions périodiques sont-elles prises en compte ou non dans les données?

M. Evans: Je vais me servir de l'exemple du Québec. Dans le tableau sur la confiance des Québécois dans le régime de soins de santé, vous avez constaté qu'il y avait une pointe. Durant cette période, beaucoup de choses se passaient au Québec dans le domaine des soins de santé. Ce qui importe, ce ne sont pas les pointes, mais plutôt les tendances à plus long terme. C'est pourquoi il est utile d'examiner une période de dix ans, car on peut en dégager des constantes. Parmi les différents groupes, on constate des tendances constantes, même s'il peut y avoir des recoupements au fil du temps. Dans les années 90, par exemple, les Albertains se sont beaucoup préoccupés du régime de soins de santé. Les modifications au régime de soins de santé ont donné lieu à de nombreux débats et à beaucoup d'activité politique. Il en a été de même en Saskatchewan, au Manitoba et en Colombie-Britannique. En Ontario, toute la province était touchée. Cela fluctue.

Si ces choses-là ne se stabilisaient pas avec le temps, vous pourriez constater des pointes spectaculaires. Toutefois, si vous examinez les tendances à plus long terme, il y a une certaine constante. Même si les questions les plus préoccupantes influent sur les attitudes et les valeurs, une analyse, sur une période assez longue, permet de dégager des tendances assez constantes.

C'est la leçon importante qu'il faut tirer de nos propos d'aujourd'hui. À l'heure actuelle, la population n'a guère confiance dans le régime. Les gens savent qu'il faut faire quelque chose, mais ils ne savent pas exactement quoi. Ils sont prêts à examiner les propositions. Ils veulent être convaincus, ils veulent qu'on leur démontre que les solutions proposées permettront d'avoir un meilleur régime de soins de santé à des coûts abordables. Ils sont prêts à accorder à ces questions le même degré de priorité qu'on a fixé au gouvernement en matière de fiscalité, de dépenses gouvernementales, et cetera.

M. Baker: Cela me rappelle un ami qui travaille aussi dans le domaine de la politique publique et de la recherche sur l'opinion publique. Il a reçu récemment des données confidentielles sur une enquête sur les soins de santé. Un article paru dans The Ottawa Citizen, ou peut-être dans The Globe and Mail, affirmait que la priorité des Canadiens c'est la réduction du fardeau fiscal et non pas les soins de santé. Cette conclusion contredisait totalement la masse de données qu'il avait lui-même en main. Nous avons eu un entretien le lendemain et il m'a dit: «J'ai passé toute la nuit à analyser ces données et je n'y comprends rien. Mes données ont été recueillies en posant 60 questions. Pourquoi mes résultats sont-ils différents de ceux du sondage mentionné dans la presse?» Je lui ai répondu: «Pour moi la réponse est facile: Vous avez raison et ils ont tort.»

Nous avons constaté que très souvent on surestime l'influence des médias sur l'opinion publique. Je peux certainement trouver de nombreux reproches à leur faire sur la façon dont ils abordent les questions de politique publique et la recherche sur l'opinion publique.

Nous avons constaté qu'avant que les Canadiens ne se forment une opinion, ou ne tirent des conclusions sur une sujet d'actualité, ils vivent une période d'anxiété. C'est préoccupant pour les décideurs. Sur des questions comme la biotechnologie, les soins de santé, le commerce international, dès que l'information parvient au public, sa première réaction est l'anxiété ou l'inquiétude. Les gouvernements ont spontanément le réflexe de tenter de gérer cette réaction. Nous ne voulons pas que les gens soient anxieux, nous voulons qu'ils aient confiance en nous... ou une réaction du genre.

Les décideurs ne comprennent pas que cette période d'anxiété incite les Canadiens à obtenir plus d'information et à tirer leurs propres conclusions. Les médias ont le pouvoir d'infléchir l'opinion publique, au lieu de l'informer, seulement lorsqu'ils adoptent une position unanime. Nous l'avons constaté lors du débat national sur la libéralisation des échanges en 1998, quand les milieux d'affaires et les médias ont adopté une position identique sur un des aspects du débat. Ils ont alors aidé les Canadiens à se rallier à une position, et ils les ont même poussés dans ce sens.

Or, sur la question des soins de santé, il y a des voix discordantes, de sorte que les Canadiens devront se faire une idée seuls. Voilà où nous en sommes maintenant. Nous sommes à l'étape de l'anxiété, et cela incite les Canadiens à vouloir être mieux renseignés et à tirer leurs propres conclusions.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais poser deux ou trois courtes questions. La première concerne la diapositive 20 où on voit un solide appui pour un ticket modérateur à payer lors d'une visite chez le médecin.

M. Evans: Parlez-vous de mon exposé?

Le sénateur Callbeck: Oui. Vous montrez qu'en 1992, par exemple, 50 p. 100 des Québécois appuyaient l'idée d'un ticket modérateur et que l'appui global avoisinait les 40 p. 100. Vous montrez ensuite une baisse importante. Vos données de sondage permettent-elles d'expliquer cette baisse?

M. Evans: Au début des années 90, il y a eu d'importantes compressions des dépenses publiques. Le gouvernement a lancé une campagne de relations publiques plutôt efficace et dit: «Écoutez, nous n'avons pas le choix, il faut à tout prix réduire nos dépenses. Les réductions toucheront tous les postes des dépenses. Nous tenterons de rendre cela aussi peu douloureux que possible.» L'opinion publique, en général, a accepté la nécessité de se serrer la ceinture. Cela signifiait que les services allaient coûter plus cher et qu'il fallait instaurer temporairement des frais d'utilisateur. Des solutions temporaires ont été mises en oeuvre jusqu'à ce que la situation s'améliore, jusqu'à ce que nous trouvions de meilleures façons plus efficientes, d'assurer l'exécution des programmes et la prestation des services sociaux.

Quand l'économie prend du mieux et que les gouvernements réussissent à mieux gérer les dépenses et les déficits publics, la population accepte moins bien la nécessité de mesures comme les frais d'utilisateur. Le système n'est pas encore parfait, mais il a été nettement amélioré. Pourquoi devons-nous recourir à un ticket modérateur? C'est contraire au principe fondamental de l'universalité des soins de santé, si étroitement associé à l'identité nationale.

L'imposition d'un ticket modérateur devait être une solution temporaire plutôt qu'à long terme. La crise terminée, vers la fin des années 90, la situation s'est améliorée -- les dépenses publiques et le déficit étaient maîtrisés -- alors pourquoi envisager un ticket modérateur? Cela nous ramène aux valeurs fondamentales de notre régime universel de soins de santé. Voilà comment j'explique la tendance.

Le sénateur Callbeck: Dans votre exposé, vous montrez que les hommes et les femmes ne se disent pas également satisfaits du système. Les aînés ont-ils tendance à être moins satisfaits que les gens d'âge moyen et les jeunes?

M. Evans: La tendance qui se reflète, dans les données présentées ici, révèle une diminution de la confiance dans le régime de soins de santé.

Déjà les différences étaient fonction du sexe, de l'âge, de la scolarité ou du niveau de revenu, mais ces différences s'estompent. C'est pourquoi cette tendance revêt un tel intérêt pour ceux qui préconisent d'autres options en matière de santé. À l'heure actuelle, tous les groupes s'entendent pour dire qu'il existe un problème. Il n'y a pas nécessairement de consensus sur la solution à privilégier, mais le mécontentement est général.

C'est une occasion rêvée pour ceux, parmi vous, qui voudraient lancer des initiatives de restructuration et de réforme du régime de soins de santé, car vous pourriez compter sur l'appui de l'opinion publique.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez parlé, monsieur Baker, du degré d'anxiété, mais croyez-vous que les gouvernements ont mal mesuré ce degré d'anxiété, et qu'il existait déjà depuis longtemps, comme nous l'avons constaté?

Quand on voyage ici et là au pays, on a l'impression d'avoir toujours un temps de retard par rapport à l'opinion publique. Monsieur Evans, vous avez parlé des pointes illustrées sur vos graphiques. Croyez-vous que si vous meniez une enquête en Alberta aujourd'hui, vous constateriez une telle pointe, ou y aurait-il une tendance plus uniforme?

M. Evans: Je vais répondre rapidement, puis je laisserai à M. Baker le soin de répondre à la première question. Je suis ravi que vous souleviez le cas de l'Alberta car, il y a quelques années, Ralph Klein a entrepris de réduire de façon assez spectaculaire le budget de la santé et il apporté de profonds changements à la structure du régime. Cela a provoqué une véritable levée de boucliers. D'ailleurs, dans un cas, dans un hôpital, les travailleurs de la santé ont déclenché une grève sauvage qui a reçu l'appui de la population.

Cela montre comment le gouvernement de l'Alberta a mal jugé la disposition des Albertains à appuyer des moyens aussi draconiens de réforme du régime de soins de santé. Le gouvernement provincial a rapidement fait marche arrière et a marqué un temps d'arrêt. Ces points représentent une pointe dans l'évolution des attitudes. Soudain, ces dossiers défraient la manchette et cela entraîne la cristallisation des attitudes.

Par ailleurs, les médias publient des articles au sujet de malades qui ne réussissent pas à obtenir des services essentiels dans les hôpitaux. Un jeune garçon est décédé à cause d'une erreur commise lors d'un transfert entre hôpitaux. Cela enflamme l'opinion publique.

Tout à coup, les animateurs de débats radiodiffusés se mettent à dire que le système est en crise. Les gens craignent que, s'ils tombent malades, il n'y aura aucun médecin pour s'occuper d'eux. Pourront-ils recevoir les services dont ils ont besoin? Cela se traduit par une pointe qui illustre la vive préoccupation des gens face au système de santé, mais cette pointe est temporaire. La tendance devient plus uniforme par la suite.

Toutefois, on constate que la tendance globale se maintient. Même s'il y a une pointe d'inquiétude, la tendance se maintient. Elle est cumulative. La préoccupation n'est pas aussi vive qu'au moment de la pointe, mais elle reste plus marquée qu'elle ne l'était avant la pointe. L'inquiété augmente et retombe mais sans jamais retomber en deçà de son niveau précédent, étant donné qu'aucune solution n'est apportée au problème qui provoque l'inquiétude.

L'Alberta est un bon exemple d'une province où le gouvernement a essayé d'imposer rapidement des changements difficiles au régime de soins de santé. Le gouvernement a dû faire marche arrière, à quelques reprises, parce qu'il s'était mépris sur l'attitude de la population. Il essayait peut-être vraiment d'aller aussi loin que possible, sachant fort bien qu'il devrait ensuite faire marche arrière jusqu'à un certain point.

Si l'on effectuait plusieurs sondages périodiques, on verrait des pointes à ces moments-là où la situation est sur le point d'exploser, mais peu après ces pointes s'estomperaient. Quand il s'agit d'une question qui revient régulièrement, on voit une telle tendance graduelle au fil du temps. Si vous prenez la moyenne d'un sondage continu, vous observerez une tendance générale.

Le sénateur Fairbairn: L'Assemblée législative de l'Alberta est actuellement saisie d'un projet de loi. Y voyez-vous seulement une situation explosive passagère?

M. Evans: C'est difficile à dire sans avoir toutes les données nécessaires. Je m'attendrais à ce que cela s'ajoute à la préoccupation continue au sujet du système de soins de santé. On verra probablement une légère pointe, qui viendra s'ajouter à la préoccupation croissante en général, face au système de soins de santé. Cela serait temporaire. La préoccupation s'atténuerait un peu, mais, d'une manière générale, elle continuerait d'augmenter encore. C'est ce que je pense.

M. Baker: Pour faire suite aux commentaires de M. Evans, il est intéressant de noter que le premier ministre Klein a tiré une leçon de son expérience d'il y a quelques années. La question est de savoir s'il a appris suffisamment.

Il a essayé d'apporter unilatéralement des changements au système de soins de santé, et de les imposer, plutôt que d'essayer d'en arriver à un consensus. Cette fois-ci, il a essayé de regrouper le projet de loi 11 avec d'autres initiatives. Il a offert des crédits supplémentaires pour d'autres services. Il a peut-être mal interprété la situation et n'a tout simplement pas compris que le niveau d'anxiété est tellement élevé qu'il faut donner aux gens une impression de stabilité, et les rassurer, avant d'apporter des changements systémiques majeurs.

Le gouvernement de l'Alberta s'est certainement montré à l'avant-garde en ce qui concerne un certain nombre de questions, en particulier sur le plan financier. Toutefois, il semble éprouver plus de difficultés face aux questions sociales. Tous les gouvernements sont en train de faire du rattrapage sur cette question.

Quand les soins de santé ont commencé à prendre l'allure d'un problème, c'était principalement en raison d'anecdotes dont on parlait -- les gens décrivaient des expériences fâcheuses, ou parlaient d'amis dont les problèmes de santé avaient empiré faute de soins immédiats, et ainsi de suite.

Lorsque le nombre d'anecdotes de cette nature a commencé à augmenter, la première réaction des gouvernements a été de compter sur la confusion juridictionnelle pour essayer de se décharger du problème sur un autre palier de gouvernement. Il devenait commode pour les politiciens provinciaux de critiquer les politiciens fédéraux, tandis que les politiciens fédéraux critiquaient les politiciens provinciaux, et que ces derniers se critiquaient entre eux. Au lieu de se rendre compte qu'il y avait peut-être un problème, leur premier instinct a été de «tirer leur épingle du jeu» et de dire que c'était la faute de quelqu'un d'autre.

Cette attitude a persisté jusqu'à ce qu'elle aboutisse chez vous, et personne n'était prêt à s'occuper du problème.

Tous les échanges d'accusations des années précédentes ont mené à la situation actuelle où il n'y a pas d'atmosphère de consensus ou de coopération entre les divers partenaires. Le régime de soins de santé de notre pays est fondé sur un partenariat où chacun a son rôle et ses responsabilités. Malheureusement, certains des participants ont profité de la confusion, et du fait que les gens ne connaissaient pas le partage des responsabilités, pour se défiler. Maintenant, les gouvernements se trouvent malheureusement obligés de faire du rattrapage. Je ne dis pas que les gens sont bien en avance des gouvernements à ce sujet, mais ils sont sur une voie complètement différente, et ils sont très inquiets.

La vice-présidente: Comme on dit, il faut cesser les atermoiements et passer à l'action.

Le sénateur Keon: J'ai un commentaire à faire, et peut-être une question à poser. Il est intéressant de voir que vos sondages se limitent à des questions sur le système de prestation des soins de santé. Vous ne demandez pas du tout aux gens quel est l'état de santé des Canadiens comparativement à celui d'autres populations du monde. Je vous encourage à le faire. L'un des principaux problèmes, dans le domaine des soins de santé, est que les gens ont peur de toute réforme du régime, ils n'acceptent pas l'idée qu'on puisse prendre des mesures positives pour améliorer la santé de la population.

M. Baker: Tout à fait. Cela me rappelle un proverbe africain: «Je pleurais parce que je n'avais pas de chaussures, quand j'ai vu un homme qui n'avait pas de pieds.» Les Canadiens savent que notre pays est très favorisé, mais ils ne semblent pas se rendre compte à quel point.

Dans tous les travaux que nous avons effectués -- et nous travaillons beaucoup ailleurs dans le monde -- lorsque nous demandons aux Canadiens comment notre système se compare à celui d'autres pays, et comment se compare notre santé par rapport à celle d'autres populations, ils disent certainement croire que nous avons le meilleur système et la population la plus en santé. Les seuls qui peuvent avoir une chance de nous dépasser sur le plan de la santé de la population, ainsi que sur celui du régime de soins de santé, sont les pays nordiques. Les Canadiens apprécient beaucoup les régimes mis en place dans ces pays. Lorsqu'on fait une comparaison même avec les pays d'Europe occidentale, ou avec nos voisins du sud, on reconnaît certainement que nous sommes favorisés ici. On a simplement tendance à envisager la question seulement en fonction de notre propre situation, plutôt que de la comparer à celle d'autres pays.

M. Evans: Le problème découle, en partie, du fait que le débat a été limité à une question de coûts et de dépenses. La qualité des soins de santé était une question secondaire et, elle est venue sur le tapis parce que les compressions budgétaires ont eu des répercussions sur la qualité, dans l'esprit de beaucoup de gens. On disait surtout au cours du débat que tout coûtait trop cher et qu'il fallait réduire les coûts de notre régime de soins de santé. Lorsque les gens examinent ce régime et voient les changements qu'il est en train de subir, ils les envisagent dans le contexte d'un programme de réduction des coûts. Ils éprouvent des craintes parce que, quand on parle de réduction des coûts, on ne parle pas de qualité, on parle seulement de réduction des coûts, peut-être même aux dépens de la qualité. Je ne pense pas que le débat sur les soins de santé ait porté sur la qualité de ces soins, ni même sur certains des éléments dont Fraser Mustard a parlé, malheureusement. On a parlé plutôt du point de vue des coûts qu'on pouvait réduire, parce que le régime était trop dispendieux. C'était là le programme et c'est pourquoi certaines des autres questions que vous avez soulevées, n'ont pas été abordées dans le débat.

La vice-présidente: Si personne d'autre n'a de questions à poser, je remercie M. Evans et M. Baker de nous avoir fourni d'intéressantes statistiques. Il était fascinant de voir que deux maisons de sondage différentes montraient la même ligne de tendance. Cela rend vos données d'autant plus pertinentes.

La séance est levée.


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