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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 14 - Témoignages du 10 mai 2000


OTTAWA, le mercredi 10 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 52 pour examiner l'état du système de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du système de santé au Canada. Nous voulons établir ce qu'il convient de faire pour l'améliorer et nous voulons aussi comprendre quel rôle le gouvernement fédéral doit jouer dans l'élaboration de la politique en matière de santé et dans la mise en oeuvre du système de santé.

Nos témoins d'aujourd'hui compareront le système canadien aux systèmes d'autres pays. La première phase de notre étude vise à nous permettre de faire ressortir les grandes questions qui se posent dans le domaine de la santé. À compter de l'automne, nous étudierons à fond plusieurs de ces questions et nous comparerons notamment le système de santé du Canada à celui d'autres pays. Les témoins que nous entendrons aujourd'hui nous donneront un bref aperçu des similitudes et des différences entre les divers systèmes de santé.

Nous accueillons aujourd'hui des universitaires. Il s'agit de M. Ake Blomqvist, de l'université Western Ontario, de M. Mark Stabile et de Mme Colleen Flood de l'Université de Toronto. Nos trois témoins viennent de terminer une étude faisant une comparaison internationale des systèmes de santé en partie pour le compte de la Ontario Medical Association. Leur objectif aujourd'hui est de nous donner un aperçu des différents systèmes de santé. Comme je l'ai dit, nous étudierons plus à fond cette question un peu plus tard.

M. Blomqvist nous entretiendra d'un document intitulé «Health Care System: Some International Comparisons», dans lequel il compare notre système au système européen.

M. Ake Blomqvist, professeur d'économie de la santé, université Western Ontario: Étant donné que je m'intéresse depuis longtemps à l'étude comparative des politiques de santé, j'apprécie grandement l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant le comité. Je vais vous entretenir des systèmes de santé de certains pays choisis qui figurent dans le tableau que vous trouverez dans le document qui vous a été distribué. J'ai choisi de comparer notre système à ceux du Royaume-Uni et des Pays-Bas parce que je pense que les systèmes de santé de ces pays diffèrent du système canadien, en particulier en ce qui a trait à divers importants aspects institutionnels.

Cette diapositive vous montre également que les dépenses engagées au titre de la santé diffèrent dans les trois pays que je compare. Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet du système de santé américain qui, comme vous le savez, est le plus coûteux au monde. Les dépenses par habitant au titre de la santé aux États-Unis s'élèvent à 4 000 $ contre 2 000 $ au Canada. L'écart dans la proportion du PIB qui est consacrée aux services de santé dans nos deux pays est analogue. Le cas des autres pays sur lesquels porte cette étude est également intéressant parce qu'il fait ressortir le fait qu'il est possible de mettre en oeuvre un système de santé moderne qui répond apparemment aux besoins de la population avec des ressources beaucoup plus limitées que celles dont dispose le Canada. À titre d'exemple, le Royaume-Uni consacre moins de 7 p. 100 de son PIB aux services de santé alors que le Canada en consacre 9 p. 100 et les États-Unis, 14 p. 100, selon les statistiques les plus récentes.

Ce tableau ne comporte pas de données sur la consommation des services de santé par les personnes âgées dans ces divers pays. Le pourcentage des dépenses de santé engagées pour répondre aux besoins des personnes de plus de 65 ans dans ces pays représente 40 p. 100. Compte tenu du fait que cette couche de population est beaucoup moins importante que la population totale, cela signifie que les dépenses par habitant pour les personnes de plus de 65 ans sont quatre fois supérieures à ce qu'elles sont pour les personnes de moins de 65 ans. Compte tenu des changements démographiques qui s'annoncent au Canada, cette question revêtira beaucoup d'importance à long terme.

Quand je donne mes cours sur les divers régimes de soins de santé, je commence d'habitude par un diagramme comme celui que je viens de mettre au tableau. Je souligne la différence entre un régime de services de santé et un marché ordinaire où les acheteurs, c'est-à-dire les patients dans un régime de soins de santé, achètent simplement les services de vendeurs, autrement dit les fournisseurs B, les médecins et les hôpitaux qui offrent les soins de santé. Dans un marché ordinaire, les fournisseurs offrent le service et les acheteurs paient directement les fournisseurs. C'est le genre de modèle d'offre et de demande que connaissent les économistes. Les régimes de soins de santé sont très différents d'un marché ordinaire sur le plan institutionnel à cause de l'existence d'un tiers qui finance le fournisseur B, autrement dit, l'assureur, qui peut être soit public soit privé. La plus grande partie des paiements pour les services fournis par les médecins et les hôpitaux dans un régime de soins de santé ne vient donc pas directement des patients. Les paiements sont versés soit par l'assureur privé, soit par le gouvernement lorsqu'il s'agit d'un régime d'assurance publique, comme au Canada. De leur côté, les acheteurs effectuent des paiements sous forme de primes d'assurance ou d'impôt que versent les patients ou utilisateurs à l'agence de financement, qui peut être soit le gouvernement, soit l'assureur du secteur privé.

Vu cette structure inusitée par rapport au marché économique ordinaire, lorsqu'on fait l'analyse de l'industrie des services de santé ou du régime de soins de santé, la principale différence concerne les arrangements institutionnels de l'agence de financement. Il y a donc les arrangements institutionnels entre l'assureur, c'est-à-dire le régime d'assurance d'une part, et les patients de l'autre.

Y a-t-il des frais à payer par l'usager? Quels services sont assurés explicitement ou implicitement par le régime d'assurance? Quels services ne sont pas inclus? Ce sont toutes des questions qui touchent les liens entre les patients et l'agence de financement. Bien entendu, une question importante pour les patients consiste à savoir s'ils peuvent choisir leurs régimes d'assurance. Dans un régime comme le régime canadien, ils n'ont pas le choix. Ailleurs, y compris en Grande-Bretagne, les patients ont une certaine marge de manoeuvre, même s'il s'agit essentiellement d'un régime public.

Les arrangements institutionnels deviennent aussi exceptionnellement importants pour les rapports entre l'agence de financement, c'est-à-dire le gouvernement ou le régime d'assurance d'une part, et ceux qui fournissent les services aux clients assurés de l'autre. Cela touche des questions comme les taux versés aux fournisseurs, la façon dont ces taux sont fixés, que ce soit par la concurrence ou que les prix soient réglementés et négociés, et l'inclusion des soins gérés, comme on le voit de plus en plus aux États-Unis. Autrement dit, les assureurs imposent-ils des règles pour contrôler la façon dont les fournisseurs assurent les services aux utilisateurs?

Une autre question bien importante a trait au lien entre les fournisseurs de soins primaires, c'est-à-dire les médecins de famille ou généralistes qui représentent la première ligne de défense d'un régime de services de santé ou le premier point de contact entre le patient et le régime, et ceux qui fournissent ce qui représente la partie la plus coûteuse et de loin du budget total des services de santé, soit les services hospitaliers et les services de spécialistes. Autrement dit, comment les fournisseurs de soins primaires réglementent-ils l'accès des patients aux services hospitaliers et spécialisés très coûteux qui représentent une partie si importante du coût total?

Cela correspond à la classification typologique que j'ai établie pour décrire les régimes de services de santé comme appartenant à trois genres d'arrangement institutionnel. Quelle est la nature de l'agence de financement? Quelle est la nature et l'organisation des services de soins primaires, c'est-à-dire les services de médecins de famille, de généralistes ou les soins primaires en général? Comment les hôpitaux, les spécialistes et les services médicaux sont-ils financés? Comment réglemente-t-on l'accès des patients aux services hospitaliers et aux services de spécialistes?

Récemment, d'autres questions ont acquis beaucoup plus d'importance et je devrai peut-être mettre ma classification typologique à jour. Il y a la question des produits pharmaceutiques qui, comme vous le savez peut-être, représentent maintenant une aussi grande partie des coûts totaux que le temps consacré aux services de médecins dans le régime canadien. Comment détermine-t-on quel produit pharmaceutique utiliser et comment expliquer l'augmentation très rapide du coût des produits pharmaceutiques dans certains pays?

Bien entendu, il y a aussi la question de la population vieillissante, c'est-à-dire les fournisseurs B de soins de longue durée et de soins en maison de repos et ceux qui déterminent l'évolution du coût des services de ce genre.

Pour montrer comment j'utilise cette classification typologique pour décrire les régimes de services de santé, je reviens à la façon dont le régime canadien est organisé.

Sur le plan de l'assurance ou du financement, nous avons un régime public unique financé par les impôts et, sur le plan des rapports entre l'assuré et l'assureur ou l'agence de financement, il n'y a pas de ticket modérateur. J'ai inclus une dernière ligne qui montre la qualité de l'assurance. Je me suis longtemps demandé s'il fallait mettre un point d'interrogation après qualité de l'assurance, mais cette question a trait aux périodes d'attente, à l'accès aux technologies les plus perfectionnées, et ainsi de suite. Autrement dit, que peut-on dire à propos de la qualité de l'assurance que nous avons implicitement selon le régime canadien par rapport à l'assurance offerte dans d'autres régimes?

Au Canada, les soins primaires sont fournis par les médecins de famille ou généralistes, comme on les appelle en Grande-Bretagne, qui sont payés selon le principe du paiement à l'acte. J'imagine que tout le monde sait que le «paiement à l'acte» signifie simplement que, lorsqu'un patient va voir le médecin, on consulte un barème à la fin de la visite où l'on trouve le montant du paiement pour chaque service fourni au patient. C'est d'après ce montant qu'on calcule le revenu du médecin tous les mois quand on facture le régime d'assurance provinciale.

Bien entendu, même si je ne l'indique pas ici, une partie importante des soins primaires au Canada sont maintenant fournis à l'hôpital aux salles d'urgence. Comme vous le savez, une question importante sur le plan de la politique publique consiste à savoir quel rôle devraient jouer les salles d'urgence pour la fourniture de soins primaires.

Relativement aux services hospitaliers et spécialisés, selon le système canadien, même les spécialistes dans les hôpitaux, c'est-à-dire ceux qui traitent leurs malades à l'hôpital, sont rémunérés en fonction du même système de paiement à l'acte que les fournisseurs de soins primaires. Le régime canadien s'écarte sur ce plan du régime de bien d'autres pays où les spécialistes hospitaliers sont rémunérés autrement. Cela vient en partie du fait qu'il y a toujours un rapport économique ambigu entre les spécialistes rémunérés à l'acte et les installations très dispendieuses dont ils ont besoin pour gagner leur vie, c'est-à-dire les installations dont ils se servent pour traiter leurs patients à l'hôpital. Quels incitatifs avons-nous pour garantir une combinaison efficace de l'utilisation des services de spécialistes et l'élément très dispendieux du régime de soins de santé représenté par les hôpitaux si le paiement vient de deux endroits différents? Les hôpitaux sont payés directement par les ministres provinciaux de la Santé alors que la rémunération des médecins travaillant dans ces hôpitaux vient d'un autre budget.

Je voudrais dire quelques mots au sujet des différences qu'il y a entre le régime de certains des pays sur ma liste et le régime canadien relativement à cette organisation. Il ne faut pas oublier que le régime britannique est beaucoup moins dispendieux que le régime canadien. Nous dépensons 9 p. 100 de notre PNB pour les services de santé alors que les Britanniques y consacrent quelque chose comme 7 p. 100 d'un PIB moins important. Leur régime de soins de santé est donc moins dispendieux que le nôtre. Reste à savoir si la qualité est la même, bien sûr, mais le régime britannique coûte de toute façon beaucoup moins cher.

Pour ce qui est de l'assurance, le système du Royaume-Uni est semblable à celui du Canada en ce sens qu'il s'agit d'un régime public universel. Il est financé par l'argent des impôts. Il n'y a pas de ticket modérateur pour obtenir des services de santé au Royaume-Uni. À ma connaissance, le Royaume-Uni et le Canada sont les seuls pays où tous les soins sont entièrement gratuits. La plupart des autres pays imposent un ticket modérateur, mais le Royaume-Uni et le Canada n'en ont pas.

Contrairement à la situation au Canada, il y a un important secteur de l'assurance privée au Royaume-Uni où environ 10 p. 100 de la population est couverte par une assurance privée contrairement à ce qui se passe ici. Je crois que, dans toutes les provinces, il est interdit aux assureurs privés d'offrir des régimes d'assurance couvrant les mêmes choses que le régime public. Cette interdiction n'existe pas au Royaume-Uni si bien que le secteur de l'assurance privée y est important.

Je signale toutefois qu'au Royaume-Uni, ceux qui souscrivent une assurance privée paient deux fois pour leur assurance-santé. D'abord ils paient les impôts qui leur donnent droit aux services du régime public. Ensuite, ils doivent payer la prime pour leur assurance privée. Vous n'avez pas d'option de retrait. Si vous achetez une assurance privée, vous devez quand même payer les impôts qui financent le régime public. L'assurance privée reste donc relativement limitée au Royaume-Uni pour cette raison.

Pour ce qui est des leçons que le Canada pourrait en tirer, la principale différence réside sans doute dans le système utilisé au Royaume-Uni pour payer les services de soins primaires. Ces soins sont fournis par les médecins généralistes qui travaillent sous contrat pour le ministère de la Santé. Je ne sais pas exactement s'il s'agit d'un contrat avec le Service national de la santé ou avec le gouvernement, mais c'est un contrat avec le secteur public.

Chaque médecin généraliste du Royaume-Uni reçoit, à la fin du mois, un paiement qui dépend uniquement du nombre de personnes enregistrées auprès de ce médecin au cours du mois; la rémunération ne dépend pas du volume de services fournis à ces patients. Le paiement se fonde sur le nombre de personnes que le médecin a sur sa liste, quel que soit le volume de services fournis.

Pour que ce genre de système fonctionne, il faut qu'un patient ne puisse s'inscrire que chez un seul et même médecin. Le système de régulation est un «barrage» qui ne vous permet pas d'avoir accès à des services hospitaliers, à des médicaments ou à d'autres services couverts par le régime public, à moins d'être dirigé vers ces services par votre médecin généraliste. Ce système incite les patients à s'inscrire auprès d'un généraliste afin d'être certain d'avoir accès aux autres services.

Un système de capitation présente une caractéristique importante du point de vue d'un économiste. Le paiement à l'acte incite les médecins à offrir un volume de services important, car plus ce volume augmente, plus ils gagnent d'argent. Dans un système de capitation, le médecin n'a pas ce genre d'incitatif. Le montant d'argent qui lui est versé chaque mois ne dépend pas du nombre d'unités de service qu'il fournit aux patients.

Remarquez également que ce système présente une caractéristique importante qui est nécessaire à son bon fonctionnement. Les patients ont en effet le droit de changer de généraliste s'ils ne sont pas satisfaits de celui auprès duquel ils sont inscrits.

Le sénateur Carstairs: J'ai une question. Comment les patients peuvent-ils recourir aux services d'urgence avec le système de capitation?

M. Blomqvist: À ma connaissance, il n'y a pas de dispositions de remplacement. Vous devez être inscrit sur la liste d'un fournisseur de soins primaires pour avoir accès à des services hospitaliers ou pharmaceutiques. À ma connaissance, il n'y a pas de listes pour les services d'urgence, ce qui veut dire qu'en principe vous pouvez vous faire soigner à l'urgence si votre généraliste n'est pas disponible. Je suppose que le contrat du généraliste prévoit sans doute des services d'appoint, comme ceux dont on discute actuellement au Canada. Toutefois, je ne connais pas tous les détails.

Mme Colleen Flood, professeure, Université de Toronto: La plupart des médecins n'assurent pas les soins d'urgence. Les gens peuvent donc avoir accès aux services d'urgence comme c'est le cas ici.

Le président: Les soins d'urgence sont dispensés en dehors du système. Comme il s'agit d'une urgence, c'est considéré comme des soins à part.

Mme Flood: Toutefois, certaines cliniques de médecine générale sont établies à côté de cliniques d'urgence pour inciter les gens à se présenter là en premier au lieu de se rendre à l'hôpital.

M. Blomqvist: Pour ce qui est des soins hospitaliers, le système britannique est comparable au système canadien à certains égards pour ce qui est de la répartition des fonds entre les hôpitaux. Il s'agit avant tout d'une décision administrative prise par la direction du Service national de la santé. Dans mon mémoire, je dis que c'est une décision politique qui est prise dans le système canadien. La différence au Royaume-Uni est que les spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux sont des employés salariés des hôpitaux. L'ambiguïté dont j'ai parlé en ce qui concerne les relations économiques qui existent au Canada entre les spécialistes des hôpitaux et l'établissement hospitalier dans lequel ils travaillent n'existe pas sous la même forme au Royaume-Uni. Les spécialistes du Royaume-Uni qui travaillent en milieu hospitalier sont des employés salariés de l'hôpital. Je ne connais pas d'étude indiquant de quelle façon cela change la dynamique des prises de décisions entre les gestionnaires des hôpitaux et les médecins, mais j'ai l'impression que cela doit changer cette dynamique dans une large mesure.

Pour gagner du temps, je ne parlerai pas vraiment des réformes apportées au Royaume-Uni. Mon mémoire fournit certains détails à ce sujet. Je les crois très intéressants, mais Mme Flood voudra peut-être vous en parler.

Le cas des Pays-Bas est très intéressant, peut-être pas tant en raison de la façon dont les services de santé sont organisés pour le moment, mais plutôt en raison du projet de réforme extrêmement complet qui a été lancé au début des années 90. Nous ne savons pas exactement où en est cette réforme. Il y a à l'heure actuelle énormément de conflits politiques aux Pays-Bas. Il s'agissait d'un projet de réforme très intéressant.

Disons surtout que les réformes que les Hollandais s'apprêtaient à apporter consistaient essentiellement à passer d'un régime d'assurance-santé public unitaire, du moins pour les personnes à faible revenu, à un régime d'assurance obligatoire pour tout le monde. Les gens seraient couverts par l'entremise d'un certain nombre de régimes de soins gérés qui se feraient concurrence.

Le gouvernement continuerait d'assurer le financement du régime avec une petite participation du secteur privé. Toutefois, le financement public devait être étendu à plusieurs régimes d'assurance qui allaient se concurrencer pour obtenir cet argent. C'est ce qu'on appelle une concurrence gérée. J'appelle cela une concurrence gérée entre divers régimes de soins gérés.

Le président: D'après votre description, cela correspond exactement à un système de coupons. C'est la même chose que le système de coupons dont on parle en ce qui concerne l'éducation.

M. Blomqvist: C'est tout à fait cela. De plus, ceux d'entre vous qui ont suivi ce qui s'est passé au milieu des années 90 aux États-Unis remarqueront que cela ressemble beaucoup à une version du plan Clinton. Ce n'est pas vraiment accidentel, étant donné que l'économiste de la santé dont le nom revient le plus souvent lorsqu'on parle de celui qui est à l'origine du plan Clinton, c'est le nom d'Alain Enthoven, d'origine hollandaise, qui a été consulté à maintes reprises par les Hollandais, au moment où ceux-ci préparaient leur propre régime d'assurance.

La forme actuelle du régime hollandais fournit une preuve empirique intéressante pour les Canadiens qui affirment qu'un système de soins qui mêlerait assurance publique et assurance privée mènera inévitablement à une baisse des normes dans l'assurance publique. En Hollande, un peu plus de 60 p. 100 de la population, c'est-à-dire ceux qui ont des bas revenus, sont assurés par le régime public universel, tandis que tous ceux qui dépassent un certain seuil de revenu, ou qui sont à leur propre compte, doivent se tourner vers le privé pour obtenir une assurance-santé.

Comme les patients des régimes public et privé sont tous traités dans les hôpitaux et que les médecins s'occupent des deux types de patients, cela pourrait servir de cause type pour les Canadiens qui affirment que l'introduction de l'assurance privée dans les soins de santé mènera inévitablement à un abaissement des normes du régime public. Je ne suis pas sûr que l'on a systématiquement cherché à comparer les deux systèmes, mais étant donné que le régime hollandais est relativement stable et être semble appuyé en bonne partie par la classe politique, il semblerait à première vue que l'on puisse y trouver l'illustration de la coexistence pacifique des régimes public et privé, coexistence qui n'a pas entraîné l'effondrement du système public.

Voilà ce que j'avais à dire. Sachez aussi que mon mémoire écrit comprend des documents supplémentaires dans lesquels je parle un peu du régime américain Medicare. Au fond, ce que je fais, c'est poser la question suivante: si l'on avait un régime d'assurance-médicaments tel que le régime qui s'applique à tous les Américains de plus de 65 ans, et si le régime d'assurance-santé américain devenait universel et qu'il était financé par les deniers publics parce qu'il s'adresse à l'ensemble de la population américaine, jusqu'à quel point ce système différerait-il de celui qui existe actuellement au Canada.

Je m'arrêterai ici, puisque M. Stabile reprendra la comparaison.

M. Mark Stabile, professeur, Université de Toronto: Comme le disait M. Blomqvist, je m'en tiendrai aux deux régimes d'assurance-santé du Canada et des États-Unis.

Tandis que la majorité des Américains adhère à des régimes privés d'assurance-santé, qui leur sont offerts principalement par leur employeur, un grand nombre d'Américains ont également droit à l'assurance publique. Aux États-Unis, les deux plus grands régimes d'assurance publique sont le programme Medicare, qui s'applique à tous les Américains de plus de 65 ans, de même qu'aux handicapés et aux Américains qui souffrent d'une insuffisance rénale permanente, et le programme Medicaid, qui s'adresse aux pauvres. Le programme Medicare est un programme fédéral, tandis que le programme Medicaid est géré par les différents États. Vingt-cinq pour cent des Américains affirment que Medicare ou Medicaid est leur source principale d'assurance-santé.

Je vais m'attarder au programme Medicare, puisqu'il est possible de faire des comparaisons utiles entre Medicare et le régime canadien d'assurance-santé publique. Comme on l'a signalé, la grande différence entre les deux programmes, c'est que Medicare s'adresse principalement aux personnes âgées qui font appel aux ressources de santé beaucoup plus souvent que l'ensemble de la population. Par ailleurs, comme vous le savez, le régime d'assurance-santé du Canada est universel d'accès.

Presque tous les Américains de 65 ans et plus sont assurés par Medicare. En 1998, 35,5 millions d'Américains étaient inscrits au régime Medicare traditionnel de rémunération à l'acte, et 4,2 millions de plus étaient inscrits au régime Medicare de soins gérés. Il est intéressant de noter que l'ensemble de la population assurée par Medicare dépasse le nombre de Canadiens assurés par tous les programmes provinciaux de soins de santé au Canada, toutes provinces combinées.

Le régime Medicare est en deux parties. La partie A sert principalement à financer les services aux hospitalisés. La partie B aide à payer le coût des services des médecins, les soins en clinique externe et l'équipement médical. La partie B est facultative, mais presque tout le monde y adhère. En effet, en 1998, 97 p. 100 de ceux qui avaient adhéré à la partie A du régime avaient également adhéré à sa partie B.

Comme on l'a mentionné, le programme est financé principalement par les taxes perçues auprès des employés et des employeurs, de même que grâce aux recettes générales et à de petites primes supplémentaires. Laissez-moi vous parler rapidement de ces primes. Il n'y a aucune prime à payer pour adhérer à la partie A. Par contre, les taux d'adhésion à la partie B du régime pour l'an 2000 représentent 45,50 $ US par mois. Le régime prévoit également des franchises et une participation aux coûts, qui peuvent être toutes deux assez imposantes. Il y a également des services qui ne sont pas assurés par le régime Medicare traditionnel de rémunération à l'acte, et les médicaments d'ordonnance achetés à l'extérieur de l'hôpital constituent sans doute la dépense la plus impressionnante en ce sens.

Les États-Unis ont un marché de l'assurance privée qui fonctionne en parallèle avec Medicare; cela permet aux individus de s'assurer contre certains des coûts afférents à l'utilisation du régime Medicare et contre certains frais comme ceux des médicaments d'ordonnance qui ne sont pas assurés par Medicare. C'est ce que l'on appelle là-bas l'assurance «medigap», qui sert à combler les lacunes du régime Medicare.

Les départements d'assurance des différents États approuvent les polices d'assurance qui servent à combler les lacunes dont je viens de parler, polices qui sont ensuite vendues par des compagnies d'assurance privées. Les Américains admissible à Medicare achètent généralement des polices supplémentaires selon deux options: ils l'achètent soit sur une base individuelle sur le marché privé ou la reçoivent de leur employeur actuel ou précédent. Soixante-six pour cent des assurés du régime Medicare selon la rémunération à l'acte ont une assurance supplémentaire pour combler les lacunes de la première, et environ la moitié de ceux qui ont cette assurance supplémentaire la reçoivent de leur employeur précédent ou actuel.

Beaucoup d'Américains choisissent d'acheteur leur police par le truchement de leur employeur, car les contributions de l'employeur aux polices de soins de santé de l'employé sont exclues du revenu imposable de l'employé. De nombreuses recherches effectuées aux États-Unis démontrent que ces subventions à caractère fiscal non seulement encouragent les individus à acheter de l'assurance par le truchement de leur employeur, mais les encouragent aussi à se procurer une couverture plus important qu'ils ne l'auraient fait autrement.

Ce que fait le régime «medigap», c'est qu'il réduit le montant à débourser chaque fois que l'on utilise le système de soins de santé. Il en coûte moins cher à ceux qui ont une assurance «medigap» de recourir au système de soins de santé que ceux qui n'en ont pas. Si les gens réagissent à l'incitation par les prix, on peut alors s'attendre à ce que ceux qui ont de l'assurance privée «medigap» non seulement utiliseront plus souvent les services assurés par le medigap mais auront également plus souvent recours aux services assurés par Medicare, le régime d'assurance publique, étant donné qu'ils ont moins de déboursés à faire chaque fois qu'ils y ont recours. Les études effectuées aux États-Unis viennent étayer cette hypothèse. Dans l'une d'entre elles effectuée par le Congressional Budget Office, les chercheurs ont constaté que les détenteurs d'assurance privée «medigap» utilisaient 24 p. 100 de plus que ceux qui n'avaient pas cette assurance les services d'hospitalisation et les services de médecin, qui sont assurés par Medicare.

J'aimerais faire certains parallèles entre le cas de Medicare-medigap aux États-Unis et notre système provincial de soins de santé au Canada. Tout comme pour Medicare aux États-Unis, chacune des provinces offre un régime d'assurance publique qui s'applique aux services dans les hôpitaux et aux services des médecins. Mais contrairement à Medicare américain, ces services sont offerts à la totalité de la population et pas seulement à un segment de celle-ci. De plus, les provinces offrent une couverture au premier dollar. Comme on l'a signalé, lorsque l'on utilise le système de soins de santé, il n'y a pas de franchises directes ni de participation aux coûts. Toutefois, tout comme c'est le cas avec Medicare américain, certaines choses ne sont pas assurées par les régimes provinciaux, mais représentent une part accrue des coûts des soins de santé. Ainsi, les médicaments d'ordonnance achetés à l'extérieur de l'hôpital en représentent une très grande partie, tout comme plusieurs autres éléments. Ces éléments constituent des frais associés au système de soins de santé, et même s'ils ne sont pas considérés comme une participation aux coûts, ils jouent exactement le même rôle, à savoir qu'ils servent à partager les coûts des soins de santé entre l'utilisateur et l'assureur.

Ainsi, si vous allez voir le médecin parce que vous avez mal à la gorge et qu'il diagnostique une infection streptococcique, même si c'est le médecin qui a fait le diagnostic, il vous faudra acheter des antibiotiques à vos frais pour traiter votre maladie. De plus, la Régie de l'assurance-maladie de l'Ontario vous remboursera une visite tous les deux ans chez l'ophtalmologue, même si l'achat de verres de prescription sert surtout à corriger votre vision.

Par conséquent, beaucoup de Canadiens achètent de l'assurance-santé supplémentaire pour pouvoir acheter certains des éléments qui ne sont pas assurés par le régime provincial de soins de santé. En 1996, près de 60 p. 100 des Canadiens avouaient avoir acheté une assurance supplémentaire, et il semble que cette proportion ait maintenant grimpé à 70 p. 100.

La plupart des Canadiens achètent cette assurance par le biais de leur employeur, et quelque 60 p. 100 des Canadiens qui travaillent affirment que leur employeur leur offre un avantage comme celui-là. On peut démontrer que s'il en est ainsi, c'est peut-être à cause des subventions semblables à celles que l'on offre aux États-Unis lorsque l'on achète une assurance complémentaire par le truchement de son employeur.

Les économistes qui se sont penchés sur l'industrie de l'assurance ont constaté que les individus se comportent différemment lorsqu'ils ont une assurance, ou n'en ont pas. Étant donné que les individus assurés ont moins de déboursés à faire, ils ont tendance à utiliser les services assurés plus fréquemment. De la même façon, ceux qui n'ont pas d'assurance supplémentaire et qui doivent payer pour obtenir un service particulier y auront recours moins fréquemment.

Je voudrais signaler que tout comme dans le cas du système Medicare-medigap américain, le système d'assurance-santé publique et le système d'assurance supplémentaire privée qui existent au Canada se complètent et ne peuvent dans la plupart des cas se substituer l'un à l'autre. Nous partageons efficacement les coûts que représentent nos dépenses en soins de santé en regroupant les biens et services, dont certains sont financés par les deniers publics et d'autres financés par le privé. Comme on l'a déjà signalé, l'exemple le plus frappant est le regroupement des services de médecins financés par les deniers publics avec les médicaments d'ordonnance financés par les assureurs privés.

Quel effet ce regroupement a-t-il sur ceux qui utilisent le système de soins de santé? Il a été démontré que les individus ayant acheté une assurance privée supplémentaire au Canada utilisent plus souvent non seulement les services privés mais aussi les services publics. L'étude a probablement démontré que les Canadiens qui jouissent d'une assurance-santé supplémentaire rendent visite à leur médecin 10 p. 100 de fois plus souvent que les autres. Ce résultat ne se dément pas, même si l'on tient compte du fait que les individus qui jouissent d'une assurance supplémentaire sont généralement plus à l'aise que ceux qui n'en ont pas et si l'on tient compte des différences avec lesquelles les individus évaluent leur propre santé.

Je vais terminer en signalant que les systèmes de soins de santé des États-Unis et du Canada sont à la fois financés partiellement par les deniers publics et par les sociétés privées. Il arrive souvent que les services de soins de santé soient regroupés de façon efficace et que les dépenses privées et publiques soient nécessaires pour que l'assuré obtienne des soins efficaces. Ces différences dans l'accès des uns à l'assurance privée se traduisent par des différences d'utilisation non seulement des soins privés mais aussi des soins publics. Il est important de signaler que les médicaments d'ordonnance, qui sont assurés par les compagnies privées lorsqu'ils sont achetés à l'extérieur de l'hôpital, sont la composante qui croît le plus rapidement dans le système de soins de santé.

Les ententes actuelles de partage des coûts qui existent aux États-Unis avec le régime Medicare, et au Canada avec les régimes d'assurance-santé publique et les régimes supplémentaires ont pour conséquence que l'interaction entre les deux régimes jouera un rôle accru dans la prestation des soins de santé, à la fois aux États-Unis et au Canada.

Mme Flood: Tous les pays industrialisés, à l'exception notoire des États-Unis, ont mis sur pied des régimes d'assurance-santé dans un but qu'ils ont tous en commun, soit de s'assurer que tous leurs citoyens ont accès à une gamme exhaustive de services de qualité supérieure en fonction de leurs besoins et non pas en fonction de leur capacité de payer. Voilà l'objectif de redistribution que partagent la plupart des pays industrialisés, à l'exception des États-Unis. Mais en dépit du fait qu'ils partagent cet objectif, il y a d'énormes différences d'un pays à l'autre dans le type de services de santé qui sont inclus dans la corbeille de soins et de services assurés. Il y a également divergence d'un pays à l'autre quant à la façon dont on détermine ce qui entre ou pas dans la corbeille publique.

Il y a également des différences dans la configuration des régimes, comme l'a signalé le professeur Blomqvist. Ainsi, les pays européens tels que les Pays-Bas, la France et l'Allemagne misent sur l'assurance sociale et sur une réglementation considérable des assureurs et des fournisseurs privés. C'est en réglementant à l'excès les assureurs privés que ces pays atteignent leur objectif de redistribution. D'autres pays, tels que le Canada, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, se fient au gouvernement pour contrôler le financement -- et c'est ce qu'on appelle le modèle du payeur unique -- afin que tous les citoyens aient accès au régime de santé et afin de continuer à contrôler les prix et l'utilisation des services. Il s'agit là des deux modèles de financement les plus courants.

Il faut d'abord noter que même si nous avons l'impression que la réforme du système de santé est un sujet qui tape sur les nerfs des Canadiens, sachez qu'il tape aussi sur les nerfs de tous dans les autres pays industrialisés. Chacun des régimes de soins de santé se heurte constamment à ces mêmes problèmes. Cela ne devrait pas vous surprendre, étant donné l'énorme complexité des régimes de soins de santé, la taille gigantesque du régime de santé et tous les intérêts en place. Par conséquent, j'avoue qu'il est merveilleux de voir que vous allez vous pencher sur les différents régimes de soins de santé qui existent dans le monde, car une étude détaillée ne peut que faire avancer le débat, qui s'est embourbé jusqu'à maintenant dans l'idéologie sans vraiment tenir compte des faits.

Tous les régimes de soins de santé luttent contre le même problème, qui est le suivant: nos besoins en soins de santé sont sans limite. Mais qu'est-ce qu'un besoin? C'est une notion relative et qui dépend des contextes. Personnellement, je pourrais consacrer toutes mes ressources à essayer d'améliorer ma santé, et je pourrais exiger de la société qu'elle le fasse aussi pour prolonger mon espérance de vie. En fait, je pourrais exiger à peu près n'importe quoi du système médical.

Dès lors que l'on affirme que les soins de santé sont à ce point importants que l'on ne devrait les refuser à personne pour cause d'incapacité de payer, on se retrouve avec le problème suivant: du simple fait que l'on ne demande pas aux citoyens de payer, ils s'attendent à ce que le système réponde à tous leurs besoins en matière de soins de santé, peu importe comment ils sont définis. Voilà le problème fondamental. Nous voulons assurer l'accès à des soins de santé à tous, par principe moral, mais tous autant qu'ils sont en exigent plus, et plus encore.

Non seulement les patients exigent toujours plus, mais ils s'attendent à ce que leur médecin leur dicte leurs besoins en matière de soins de santé. C'est en effet courant. Nous nous tournons vers les médecins pour qu'ils nous disent ce qui cloche et pour nous dire comment retrouver la santé. Ce sont eux qui établissent le diagnostic et nous disent ce dont nous avons besoin. Il s'agit là de la fonction de contrôleur dont parlait M. Blomqvist, et c'est ce qui constitue le problème fondamental. Dans la plupart des systèmes de soins de santé, rien n'incite les médecins à être sensibles aux coûts des services qu'ils vous suggèrent. Ce sont eux qui contrôlent ces services, qui établissent le diagnostic et qui nous disent ce dont nous avons besoin. Rien ne les incite à limiter le nombre de tests en laboratoire ou de tests sanguins, ni à éviter de nous envoyer sans fin chez des spécialistes, quitte à revenir les voir ensuite.

J'ai étudié avec soin les systèmes de santé du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas et des États-Unis. D'ailleurs, vous pouvez acheter mon livre pour vraiment pas cher. Je répondrai donc avec plaisir à toutes les questions que vous pourriez avoir au sujet de ces pays. Toutefois, dans le peu de temps qu'il me reste, je voudrais signaler les caractéristiques uniques du système canadien, puis faire quelques observations un peu plus dirigistes que ceux que j'ai l'habitude de faire, lesquelles vous ont été distribuées en fait. Il s'agit d'un document que j'ai préparé exposant les différentes options de politique permettant de redresser le Medicare. J'y reviendrai, mais je voudrais d'abord expliquer en quoi le Canada est unique.

Le Canada est unique parce qu'il a maintenu farouchement dans la Loi canadienne sur la santé les services des médecins et les services d'hospitalisation requis du point de vue médical. C'est cela qui est unique en soi, et qu'aucun autre pays n'a fait. La loi interdit la surfacturation et les frais d'utilisation pour tous les services de médecins et d'hospitalisation requis du point de vue médical.

Dans certains pays, comme la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, on impose des frais d'utilisation considérables pour la consultation du médecin de famille. Je suis moi-même originaire de la Nouvelle-Zélande, et chaque fois que je vais visiter mon médecin de famille, je dois cracher 40 $. La plupart des citoyens de la classe moyenne et les gens aisés ont acheté des assurances privées qui assument la visite chez le médecin de famille. Dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, on permet aux citoyens de contourner l'affluence du secteur public par l'achat d'assurances privées et l'achat de soins dispensés dans le privé. Ces pays permettent à leurs médecins de travailler dans le secteur public, mais d'arrondir leurs fins de mois en travaillant aussi dans le privé.

Le secteur privé s'occupe surtout des opérations de routine, c'est-à-dire des ablations -- amygdales, végétations, et cetera. Il ne s'occupe pas d'oncologie ou de soins aigus.

D'autres pays, dont les Pays-Bas, permettent l'assurance privée. Il faut toutefois se rendre compte qu'il ne s'agit pas du tout du genre d'assurance privée qui est parfois préconisée au Canada. Aux Pays-Bas, la protection au titre des soins dans les cas graves est obligatoire. Vous avez peut-être remarqué qu'aux Pays-Bas, le chiffre est très élevé, soit 11,5 p. 100, alors que les moyennes tournent autour de 2 à 3 p. 100. Cela est dû au fait que toute la population est obligatoirement protégée au titre des soins à long terme.

Les 40 p. 100 des mieux nantis des Pays-Bas peuvent se procurer une assurance privée ordinaire -- mais les assureurs privés ne peuvent pas être sélectifs. Ils ne peuvent pas limiter la protection seulement aux ablations; la protection doit être totale. Ce genre d'assurance n'est pas aussi lucratif lorsqu'il faut couvrir toute la gamme des soins.

Puisqu'il existe aux Pays-Bas un solide engagement en matière d'équité et de solidarité, les hôpitaux traitent de la même façon les patients protégés par l'assurance sociale, c'est-à-dire l'assurance publique, et ceux qui sont protégés par l'assurance privée. Les médecins estiment qu'il est contraire à l'éthique de permettre aux personnes protégées par une assurance privée d'avoir priorité. Les Hollandais n'ont pas de lois comme les nôtres, le cadre de réglementation en vertu de la Loi canadienne sur la santé, mais ils obtiennent les mêmes résultats par d'autres moyens -- en gros, par des normes d'éthique. Ils attachent énormément d'importance à la solidarité. Même s'il existe de nombreux régimes d'assurance privée, il faut aller au-delà pour voir ce qui se fait vraiment dans le pays.

Au Canada, compte tenu des critères très rigides de la Loi canadienne sur la santé en matière de services hospitaliers et médicaux, aussi inutiles qu'ils soient, et en matière d'autres services de soins de santé, il s'est produit une privatisation passive importante. La technologie a évolué. Parallèlement, les soins ont été de moins en moins dispensés dans les hôpitaux et de plus en plus à domicile. On s'est de plus en plus orientés vers le traitement pharmaceutique. On compte davantage sur l'équipement et les soins médicaux fournis par d'autres types de professionnels de la santé, pas seulement par les médecins. Il y a eu une grande privatisation passive, et ces produits et services ne sont pas visés par la Loi canadienne sur la santé. Ils relèvent donc de divers régimes privés et publics de financement qui varient d'une province à l'autre.

Cette privatisation passive, conjuguée aux compressions financières, est l'une des principales causes de la diminution de la part assumée par le secteur public dans le total des dépenses en soins de santé au Canada. Cette part est passée de 74,6 p. 100 en 1990 à 69,8 p. 100 en 1997. Cette part est considérablement inférieure à celles de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni qui sont respectivement de 77,3 p. 100 et de 84,6 p. 100. Il y a une grande différence. Elle est toutefois comparable à la part de l'Australie, mais bien supérieure à celle des États-Unis, où elle est de 43 p. 100.

Permettez-moi maintenant de faire des observations dont il y aurait lieu de tenir compte en vue d'une réforme du régime canadien, compte tenu de ce que je connais des autres régimes de soins de santé. Il faut d'abord établir quel est l'objectif ultime. S'agit-il de redistribuer la richesse en veillant à ce que l'accès aux soins de santé se fonde sur le besoin et non sur la capacité de payer? Si nous pouvons nous entendre sur ce principe, c'est déjà un grand pas en avant. Si nous nous entendons sur ce principe, il y a donc trois éléments qui doivent régir la réforme: la reddition de comptes, l'intégration et la souplesse.

Nous dépensons des sommes importantes au titre des soins de santé. Nous y investissons 9,2 p. 100 du produit intérieur brut, soit 86 milliards de dollars en 1999. Dans une société prospère de cette ampleur, on trouverait de brillants gestionnaires. Ces gestionnaires s'adapteraient à l'évolution de la dynamique du système. Mais dans le régime public de soins de santé, les gestionnaires ne sont pas encouragés de la même façon à réagir au changement et à s'adapter constamment pour améliorer le rendement. Si je fais la comparaison avec le secteur privé, ce n'est pas pour préconiser la privatisation -- loin de là -- puisque le but du régime de soins de santé n'est pas l'efficacité, mais la redistribution de la richesse. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas essayer d'être efficace pour atteindre cet objectif. C'est ce qui fait pour moi la différence.

Nous devons examiner comment on peut améliorer les décisions et la gestion du régime que finance notre secteur public. La meilleure façon, c'est d'améliorer la reddition de comptes des décideurs.

Tous reconnaissent que sans croissance économique, il est inutile d'accroître le financement du régime de soins de santé. L'argent ainsi investi ne pourrait être dépensé ailleurs, par exemple dans l'enseignement, le soutien du revenu, la création d'emplois, et cetera. Si la solution n'est pas d'accroître le financement, il faut donc se tourner vers une meilleur reddition de comptes et une meilleure gestion. Même si l'expression «soins gérés» porte la connotation des excès et des iniquités du régime américain, j'estime que le concept est encore valable. Il consiste à surveiller les décisions des médecins afin que soit choisi le service le plus rentable pour traiter un problème de santé particulier. Il faut voir à ce que les médecins soient encouragés à choisir le service le plus rentable pour chaque besoin en soins de santé et à établir la priorité de ces besoins puisque certains sont évidemment plus importants que d'autres.

Jusqu'à présent, le Canada n'a pas visé à améliorer la gestion mais plutôt à réduire les ressources dont dispose le régime de soins de santé. C'est ainsi qu'on a moins d'hôpitaux, moins de lits d'hôpitaux, moins d'infirmiers et d'infirmières et moins de technologies. On espère qu'en limitant les ressources, les médecins utiliseront mieux ce dont ils disposent. Il faut faire davantage et pour cela, il faut améliorer la reddition de comptes.

Il est essentiel d'améliorer la reddition de comptes puisque dans tous les systèmes où il est impératif de limiter les coûts, on a généralement tendance à réaffecter les coûts plutôt qu'à améliorer le rendement. Au Canada, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et dans bon nombre d'autres pays, cette réaffectation des coûts a eu pour effet d'augmenter les temps d'attente, d'allonger les listes d'attente et de favoriser davantage les soins informels. Les analystes de la politique de la santé et les économistes -- et je l'ai constaté à quelques reprises -- ont malheureusement attaché trop d'importance aux résultats en matière de santé. Si cela ne peut pas être mesuré, cela n'a pas d'importance. Par conséquent, on n'a tenu compte du problème des listes d'attente et des soins informels que dans la mesure où il a des effets mesurables sur les résultats en matière de santé. On n'a pas tenu compte des craintes et des préoccupations de la population au sujet de l'allongement des délais d'attente non plus que du fardeau que constituent les soins informels, avec tous les effets qu'ils ont du point de vue personnel et financier. On ne mesure même pas la perte directe de salaire que représentent les délais d'attente et les soins informels, parce que ces coûts ne se retrouvent pas dans le budget des soins de santé. Mais le Canadien moyen sait que cela représente des coûts réels, et les décideurs du domaine de la santé doivent être plus sensibles aux préoccupations des gens qu'ils représentent afin de garantir la viabilité à long terme du régime. Sinon, l'appui à l'assurance-maladie continuera de faiblir et il y aura des motifs constants d'accroître le financement privé, ce qui mine l'objectif général de redistribution de la richesse.

Le Canada est puisqu'il interdit l'instauration d'un régime d'assurance privée à deux paliers, comme il en existe au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. C'est un mécanisme de reddition de comptes important, puisque toute la population est incluse dans le même régime et que de cette façon, la classe moyenne et les bien nantis défendent la qualité du régime public. C'est un élément important. Au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, où il existe ce régime d'assurance privé supplémentaire, qui, je le répète, est très différent de celui des Pays-Bas, les listes d'attente sont infiniment plus longues. En fait, en pourcentage de la population, elles sont cinq fois plus longues en Nouvelle-Zélande et trois fois au Royaume-Uni. C'est peut-être dû au fait que s'il existe un tel régime d'assurance privée, la classe moyenne et les bien nantis ne sont pas incités à exercer des pressions pour que le régime public soit amélioré.

C'est donc un bon point de départ que d'inclure toute la population dans le même régime. Le Canada a raison d'adopter ce principe, mais ce n'est pas suffisant.

Les décideurs doivent rendre des comptes à court terme et à long terme des conséquences de leurs décisions. Dans le régime canadien, la reddition de comptes est disséminée entre les divers ordres de gouvernement, les autorités en matière de santé, les hôpitaux, les infirmiers et infirmières, les médecins et autres dispensateurs de soins. À vrai dire, les gouvernements ne sont pas vraiment incités à adopter des mécanismes pour augmenter leur reddition de comptes, et c'est malheureux. Le seul moyen de sortir de cette impasse est peut-être de confier la tâche des décisions à des autorités en matière de santé élues localement ou nommées par le gouvernement et de concentrer les efforts sur l'évaluation de la reddition de comptes afin de vérifier leur rendement.

Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous offrir un plan complet. Si je le pouvais, je serais millionnaire.

Mais dans d'autres pays, on a obtenu de bons résultats lorsque les gouvernements et les autorités en matière de santé ont conclu des ententes de rendement dans lesquelles étaient énoncés les objectifs du gouvernement en matière de résultats, de délais d'attente, et cetera. Le rendement de ces autorités en matière de santé doit être évalué et surveillé constamment. Une fois que sont conclus de tels contrats ou de tels accords entre le gouvernement et les autorités en matière de santé, il semble que certaines des améliorations qui vous préoccupent se réalisent.

Nous savons que nous avons besoin de plus d'information. Il faudrait également envisager d'autres mécanismes qui accroissent la reddition de comptes. Il y a entre autres la consultation obligatoire et la création d'un poste d'ombudsman de la santé ou de commissaire des soins de santé. Je ne vais pas entrer dans les détails.

L'autre grand principe d'une telle réforme est l'intégration. Lorsqu'on encourage les autorités en matière de santé à être de bons décideurs, il faut leur donner les outils dont elles ont besoin pour prendre de bonnes décisions. Elles doivent contrôler le budget d'une vaste gamme de services de soins de santé. Elles doivent gérer le budget consacré aux médecins, aux médicaments, aux soins à domicile et aux hôpitaux de façon à pouvoir prendre des décisions de rechange efficaces. Il existe encore de nombreux cloisonnements dans le financement, ce qui signifie qu'il se prend souvent des décisions stupides sur le genre de soins offerts et à qui ces soins sont offerts.

Le dernier principe qui devrait régir la réforme est la souplesse. La Loi canadienne sur la santé renferme d'excellentes valeurs de base, mais elle est le produit des années 50 et 60, une époque où les services des hôpitaux et des médecins étaient considérés comme tout ce que le régime pouvait offrir. La technologie a évolué plus rapidement que la loi.

Il faut trouver une façon de décider quels services seront financés publiquement et à quelles conditions. Il nous faut un meilleur processus de décision pour décider ce qui est financé et ce qu'il ne l'est pas, et ce processus doit être souple car il est appelé à évoluer. L'évaluation doit être constante, car certains soins à domicile devraient être financés par le secteur public alors que certains services par les médecins ne devraient pas l'être. Certains services offerts dans les hôpitaux devraient être financés par le secteur public, d'autres pas. Dans certains cas, il faudrait imposer un ticket modérateur, dans d'autres pas. Il faut toutefois qu'il y ait un processus pour en décider de façon constante.

Les pays qui essaient d'effectuer des réformes structurelles rigides finissent invariablement par passer d'une réforme à l'autre, toute aussi rigide. Nous l'avons constaté un peu partout au Canada, dans différents types de réforme, mais surtout dans d'autres pays. Au Royaume-Uni, un économiste de la santé appelle ce phénomène la désorganisation périodique du régime de soins de santé. Si vous essayez de créer un régime rigide, il ne vous sera pas possible de vous adapter à l'évolution de la technologie et de la démographie. Cela provoquera des problèmes. Un régime rigide peut fonctionner pendant un an, peut-être, mais il y aura d'autres grands problèmes au bout de cinq ans.

Le régime doit être souple. À mon avis, cette souplesse doit se trouver du côté de l'offre. Si l'on offre suffisamment d'incitatifs aux autorités en matière de santé, ou si les services sont encouragés à prendre de bonnes décisions, il y aura davantage de souplesse du côté de l'offre, qu'il s'agisse de contrats avec des hôpitaux à but lucratif ou à but non lucratif, ou de contrats avec des gens qui dispensent des soins à domicile, et cetera. Avec suffisamment d'incitatifs pour faire ce qu'il faut et si nous nous engageons à assurer la qualité et la solidarité par le biais du financement public, nous devrions envisager une souplesse plus grande et voir comment nous pouvons configurer l'offre.

Le temps est venu de réformer la Loi canadienne sur la santé -- même si Monique Bégin ne voudrait pas que je dise qu'il faut en accroître la portée -- sans pour autant perdre cet engagement d'assurer la solidarité et l'équité. Il faut intégrer à la loi les principes de la reddition de comptes, de l'intégration et de la souplesse. Nous devons garantir que les valeurs sur lesquelles se fonde l'assurance-maladie, des valeurs très importantes, sont maintenues, même si ce n'est pas nécessairement dans leur structure actuelle.

Le président: Je vous remercie tous les trois de ce fascinant survol. Nous vous entendrons de nouveau lorsque le comité étudiera en détail ces pays.

J'ai une question à vous poser à tous les trois.

Je vous ai écoutés et j'ai lu certains de vos témoignages antérieurs, et il me semble que tous les trois, vous préconisez trois principes. Je vais utiliser des termes différents de Mme Flood, mais il me semble que ces principes sont les suivants.

Premièrement, il faut traiter le régime de soins de santé dans son ensemble. En politique, nous parlons du régime de soins de santé. Toutefois, dans les faits, l'assurance-maladie représente une part de moins en moins grande du régime de soins de santé puisque les soins sont de plus en plus offerts à l'extérieur des hôpitaux. M. Stabile a dit que l'assurance-maladie ne remboursait pas les lunettes, mais qu'elle payait les honoraires de l'ophtalmologiste. C'est un bon exemple.

Votre deuxième principe, c'est qu'il faut offrir des incitatifs aux soignants primaires, les médecins de famille ou généralistes, afin qu'ils utilisent de façon efficace les services, de façon systémique, dans le renvoi aux spécialistes et les médicaments qui sont recommandés. Certains d'entre vous l'ont exprimé différemment. Mme Flood a parlé de surveillance des médecins et des décisions. M. Blomqvist a mentionné des exemples d'autres pays. Il a parlé plus particulièrement de capitation ou d'un régime de surveillance, qui tous les deux contiennent des incitatifs. L'essentiel, il me semble, est que vous souhaitez des incitatifs pour les médecins de soins primaires afin qu'ils tiennent compte des coûts pour tout le système et non seulement de leurs coûts à eux.

Le troisième principe, qui a été plus clairement énoncé par M. Blomqvist dans certains de ses exemples, est que la concurrence entre les professionnels de la santé, au-delà des soins primaires, est en fait une bonne chose. Il a parlé d'organismes de financement. Certains d'entre vous ont parlé d'administrations régionales de soins de santé, qui peuvent représenter une concurrence sous divers noms.

Ai-je raison de croire que ce que vous préconisez tous les trois, même si c'est selon des termes différents et en fonction de pays différents, ce sont ces trois principes? Sinon, aidez-moi à comprendre où je me trompe.

Deuxièmement, l'un d'entre vous a-t-il préparé un document ou un rapport sur mon deuxième principe, soit celui qui consiste à inciter les médecins et les soignants primaires à utiliser le régime efficacement? Existe-t-il quelque part une liste de tous les incitatifs qui ont été utilisés au monde à un moment donné ou un document qui montre comment on peut susciter la concurrence entre soignants grâce à un régime de ticket modérateur, ou par d'autres moyens?

Madame Flood, je vous demanderais de répondre la première. Ces principes correspondent-ils aux arguments que vous avez présentés?

Mme Flood: Oui. Permettez-moi de faire une observation au sujet du troisième, c'est-à-dire de la concurrence du côté de l'offre. Ce que je préconise, ce sont des incitatifs pour les fournisseurs d'assurance ou les acheteurs de soins -- c'est-à-dire les décideurs. Il peut s'agir des organismes de financement ou des administrations de soins de santé. Il s'agit de ceux qui ont l'argent.

Le président: Pour revenir au modèle initial de M. Blomqvist, vous croyez qu'au lieu d'offrir nécessairement les incitatifs aux fournisseurs, il faudrait les offrir à ceux qui fournissent l'argent aux fournisseurs.

Mme Flood: Oui.

Le président: Peu importe qu'il s'agisse d'un gouvernement, d'une OSIS ou d'un autre organisme?

Mme Flood: Oui. Il existe différents marchés des soins de santé du côté de l'offre. Ils ne sont pas toujours semblables. Dans certains marchés, il n'y aura jamais de concurrence -- par exemple dans le cas des services psychiatriques. Dans d'autres marchés, les soins à long terme, par exemple, il est davantage possible de susciter une concurrence entre les fournisseurs de services.

Ce qu'il faut, ce sont des décideurs et des acheteurs intelligents qui décideront s'il vaut mieux qu'ils offrent les services eux-mêmes, qu'ils possèdent eux-mêmes les hôpitaux, ou s'il vaut mieux offrir les services à contrat par le truchement d'hôpitaux concurrents et de fournisseurs de soins à domicile. Voilà l'essentiel.

Mme Flood: Par conséquent, au Royaume-Uni, on a décidé que les budgets ne pouvaient pas être vraiment enlevés aux médecins, qu'il était préférable de confier ces budgets aux médecins eux-mêmes. Les infirmières en santé communautaire dispensent des soins primaires à un très grand nombre de personnes et elles les regroupent. Ce sont elles qui décident des modalités d'achat de soins dans des hôpitaux, de soins à domicile, du budget pour les médicaments, et cetera, et ce sont elles qui administrent le tout. Dans d'autres pays, le gouvernement nomme des administrateurs à cette fin, ou encore les membres des administrations des soins de santé sont élus. Dans aucun de ces pays, personne n'a vraiment bien réfléchi à la façon dont il faut prendre de bonnes décisions, sauf peut-être ceux qui détiennent les fonds. Si l'on ne prend pas de bonnes décisions, on perd son temps.

M. Blomqvist: Je pense qu'il y a un certain ordre hiérarchique dans vos principes, sénateur Kirby. Je suis tout à fait d'accord en ce qui concerne le concept de l'intégration -- ce que Mme Flood appelle intégration. Il faut un contrôleur unique pour l'ensemble du budget. Ce contrôleur prend effectivement les décisions pour le patient, au sujet d'une variété de services -- les services hospitaliers, pharmaceutiques, médicaux et ainsi de suite. Il peut s'agir d'un généraliste qui a un contrat de paiements par capitation et qui détient une enveloppe budgétaire, mais il peut s'agir également d'un régime d'assurance qui est en concurrence avec d'autres régimes d'assurance. À condition qu'il y ait intégration dans ce sens, il peut s'agir également d'une administration de soins de santé de district qui achète des soins au nom de la population qu'elle assure. L'intégration est un élément; et au Royaume-Uni, l'autre élément est la séparation entre l'acheteur et le fournisseur de services, qui faisait partie des réformes en plus de l'aspect détenteur de fonds.

Il y a un autre élément et c'est la concurrence, qui est nécessaire pour assurer la compétitivité quant aux prix ou encore le maintien de la qualité. Si les prix sont contrôlés, par exemple au moyen d'une formule de paiement par capitation, la seule façon de s'assurer que les généralistes détenteurs des fonds dispenseront effectivement des soins appropriés, consiste alors à laisser aux patients le choix de s'adresser à un autre médecin s'ils ne sont pas satisfaits.

Il peut y avoir concurrence entre des régimes d'assurance, si vous voulez le permettre. Cependant, il faut une forme de concurrence entre ces agents intégrés. La séparation entre l'acheteur et le fournisseur de services ne permet pas cela et ne le prévoit pas, sauf si ces systèmes comportent une obligation de rendre compte au niveau politique.

Mme Flood: En effet.

M. Stabile: Je pense que les trois incitatifs offerts aux généralistes couvrent tout. En ce qui concerne ces incitatifs, il est important de penser que c'est une bonne idée dans certains cas et une mauvaise idée dans d'autres cas. Il y a des incitatifs qui peuvent être appliqués dans bien des secteurs. Il y a par exemple les incitatifs axés sur l'offre, c'est-à-dire sur les médecins et les assureurs. Dans certains cas, ils peuvent même assurer eux-mêmes leurs propres patients. Il est possible d'offrir des incitatifs à tous les intervenants dans le système.

Il y a un autre élément qui est la concurrence entre les fournisseurs de services. Aux États-Unis, la concurrence permet la flexibilité dont Mme Flood parlait. Dans les organisations de soins intégrés de santé, on apporte constamment des changements; lorsqu'une chose ne fonctionne pas, on la change. Lorsqu'il y a de nouveaux médicaments, on peut apporter le changement nécessaire parce qu'il y a suffisamment de flexibilité dans le système. Nous avons un système qui est bon, mais il ne comporte pas autant de flexibilité. Il est important que le système comporte une certaine flexibilité.

Le sénateur Fairbairn: Avez-vous suivi l'évolution de la situation en Alberta, en ce qui concerne la Loi sur la santé?

Mme Flood: Oui.

Le sénateur Fairbairn: Pouvez-vous faire un lien entre cette situation et certaines de vos remarques? Vous savez certainement que le sujet a suscité un débat très animé qui est probablement loin d'être terminé. Je vous pose la question parce que vous nous dites que la Loi sur la santé, qui est merveilleuse, est aussi un produit d'une époque presque révolue et qu'il est nécessaire de la modifier, et non pas de la détruire.

Évidemment, il est difficile de faire accepter des changements et je demande comment vous voyez l'expérience de l'Alberta. Pensez-vous qu'elle est compatible avec notre système de soins de santé tel que nous le connaissons, ou pensez-vous comme certains dans la province qui craignent que cette mesure ne réduise pas les coûts et ne fasse pas diminuer les listes d'attente? Verra-t-on une amélioration des services de santé? C'est une chose qui se passe en Alberta, mais elle inquiète certainement des gens dans toutes les régions du pays.

Mme Flood: J'ai regardé le projet de loi 11. Lorsque j'ai entendu parler pour la première fois des propositions du premier ministre Klein, des personnes de ma connaissance sont devenues très agitées et je pensais qu'elles étaient ridicules. Je pensais qu'elles s'attachaient trop à leur idéologie; je ne voyais pas de problème dans la passation de marché de services avec des hôpitaux concurrents -- privés ou à but non lucratif. J'ai cependant été obligés de ravaler mes paroles lorsque j'ai jeté un coup d'oeil au projet de loi 11, car ma grande préoccupation, comme vous l'avez peut-être compris, est que le financement public assure l'équité pour tous. Je voudrais que le financement public s'étende aux médicaments, ainsi qu'aux soins à domicile et à d'autres services. Je suis beaucoup plus en faveur de la flexibilité du côté de l'offre. Dans le projet de loi 11, la définition des services de soins de santé améliorés comprend des types de services qui sont censés être assurés en vertu de la Loi canadienne sur la santé et qui doivent donc être financés par l'État.

Par exemple, si un médecin dit qu'un service d'imagerie par résonance magnétique n'est pas médicalement nécessaire pour un patient, il peut être en train de lui dire qu'il est trop inquiet. C'est le médecin qui détermine ce qui est médicalement nécessaire pour son patient. Le médecin peut dire à un patient qui n'est pas assuré par un régime public que s'il veut aller dans un cabinet médical privé juste à côté, le service pourra lui être fourni rapidement, contre paiement. Quand j'ai vu cela, je me suis rendu compte que cette mesure permettait un financement privé pour des services de santé améliorés, j'ai dû ravaler mes paroles et j'ai envoyé un message électronique à tous pour leur dire qu'ils avaient raison. Pour ce qui est de la notion même de la passation de marchés avec des fournisseurs concurrents à but non lucratif et à but lucratif, je ne suis pas opposée en principe aux fournisseurs à but lucratif. Il y a plusieurs façons de plumer un canard et s'il est possible de le faire ainsi plus efficacement, je suis tout à fait pour. Si cela signifie qu'il faut ouvrir la porte au financement dans le secteur privé, ce que le premier ministre Klein semble permettre, étant donné sa définition des services de soins de santé améliorés, je pense que c'est mal et vraiment contraire aux valeurs qui sous-tendent la Loi canadienne sur la santé.

M. Blomqvist: Je n'ai pas vu le texte du projet de loi, mais j'aimerais ajouter qu'il y a un certain nombre d'années, certains des conseils de comté en Suède ont passé des marchés avec des fournisseurs privés afin de faire diminuer les listes d'attente. Pour autant que je sache, on ne s'est pas plaint en Suède que cette mesure était incompatible avec les valeurs fondamentales du système de soins de santé de la Suède. La mesure a permis de diminuer les listes d'attente très rapidement.

Mme Flood: Souvent, les gens ne saisissent pas la distinction entre le financement et la prestation des services. Le financement par l'État est essentiel; nous avons cependant toujours eu des services dispensés par le secteur privé. Nous sommes en train de discuter pour déterminer si c'est vraiment mal d'avoir recours à des organismes à but non lucratif ou à but lucratif.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez raison, quand vous parlez de ce que la population comprend et de ce qu'elle ne comprend pas. Vous avez dit que nous devions envisager d'autres mécanismes pour améliorer la reddition de comptes afin d'établir un lien entre les décideurs et les citoyens qu'ils représentent, et vous avez dit que les administrateurs des services de santé doivent consulter les collectivités qu'ils représentent. Vous avez également dit que les médecins auront toujours un certain pouvoir discrétionnaire quant aux services à fournir et à qui les fournir. Il faut consulter régulièrement la population au sujet des différents services qui doivent être financés par l'État.

Selon vous, comment doit se faire cette participation du public et cette consultation obligatoire des collectivités par les administrateurs du secteur de la santé? Lorsque nous parlons de changement, c'est un élément essentiel parce que beaucoup de gens dépendent certainement de l'opinion de leur médecin et d'autres intervenants dans le système, et ils ne comprennent peut-être pas ce qui va se passer, lorsqu'intervient un changement.

Mme Flood: C'est exact, mais il est absolument essentiel d'amener le public à participer.

Le sénateur Fairbairn: Comment peut-on le faire?

Mme Flood: Il y a bien des façons de procéder. M. Blomqvist parlait tout à l'heure de la concurrence entre les organisations de soins intégrés de santé. J'appelle cela la sortie. Un patient peut prendre son billet de référence et aller ailleurs. C'est un mécanisme de reddition de comptes, qui permet de passer d'un généraliste détenteur d'une enveloppe budgétaire à un autre, ou encore un patient peut prendre son billet du gouvernement pour passer d'une administration de soins de santé à une autre, parce qu'il n'est pas satisfait. J'appelle cela la sortie. C'est un mécanisme de reddition de comptes, mais je ne pense pas que cela puisse jamais être accepté ici.

L'autre mécanisme de reddition de comptes est, pour l'essentiel, ce dont je vous parle et que j'appelle «la voix». C'est un système qui oblige les autorités sanitaires, les autorités publiques et les décisionnaires gouvernementaux à véritablement rendre des comptes à ceux qu'ils sont censés représenter. Examinons comment d'autres pays ont procédé pour aboutir à une réforme.

En Nouvelle-Zélande, situation que je connais le plus, les ententes négociées avec les gouvernements par les autorités sanitaires comportaient une clause de consultation obligatoire tous les ans. Elles avaient l'obligation de consulter les représentants des collectivités pour fixer les priorités, définir les besoins, d'une année sur l'autre. Cette procédure s'est avérée très efficace. Il existe également une commission de santé publique qui se déplace pour consulter directement la population sur les prestations devant être ou non publiquement financées. Ils ont renoncé à établir une liste définitive, mais ils peuvent au moins dresser une liste de priorités qu'ils communiquent au gouvernement. Le gouvernement négocie alors avec les autorités sanitaires. Cela les aide. Le gouvernement décide que cette année, par exemple, il donnera la priorité aux problèmes de santé autochtones ou de mortalité infantile. Ce seront cette année les domaines de financement public prioritaires.

Un certain nombre de pays ont une commission de soins de santé ou un médiateur chargé de ce dossier. Si vous avez à vous plaindre d'un médecin ou d'une administration sanitaire, vous n'avez pas à faire appel à un avocat spécialisé comme moi. Le médiateur est là pour entendre les plaintes comme par exemple si quelqu'un s'inquiète de sa place sur une liste d'attente ou s'inquiète d'une chose ou d'une autre. Il reste que c'est un peu compliqué. Le système que j'appelle «la sortie» semble plus simple. C'est une simple affaire d'offre et de demande mais en réalité, c'est très compliqué. Le système que j'appelle «la voix», le contrôle politique, est plus compliqué, plus lourd mais en fin de compte, probablement plus approprié pour le Canada.

M. Blomqvist: Il y a un domaine que j'ai toujours considéré comme sous-équipé dans lequel les autorités fédérales de chaque pays peuvent jouer un rôle extrêmement utile, et c'est celui de l'évaluation technologique systématique. Il ne s'agit pas simplement d'évaluer le coût potentiel des nouvelles technologies mais aussi de réfléchir à ce qui devrait être inclus: quels sont les coûts des différents genres d'interventions, même celles qui peuvent paraître relativement banales? Quels sont les avantages? Quel est le consensus scientifique sur la question? Il me semble que ces questions permettraient d'aboutir à un certain degré de consensus et d'acceptation de ces principes.

M. Stabile: Ça commence au Canada. Nous commençons à comprendre qu'il y a des différences d'utilisation des technologies d'un bout à l'autre du pays. Des rapports récents montrent que nous utilisons les technologies de manière très différente en Ontario par rapport à la Colombie-Britannique et par rapport à d'autres provinces. Il n'y a donc pas de consensus -- certainement pas entre les patients mais encore moins dans la communauté médicale. J'espère que ce genre d'information nous permettra de faire avancer ce dossier que l'Institut canadien sur la santé commence à piloter.

Le sénateur Carstairs: J'ai une ou deux questions d'ordre général à vous poser et ensuite une ou deux questions d'ordre plus particulier. Quand j'examine les études comparatives entre le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Japon, je suis frappée par le fait que nous avons des géographies très différentes. A-t-on jamais étudié ce que nous dépensons par habitant au Canada en quantifiant le facteur géographique?

M. Blomqvist: Je crois que des études de ce genre ont été faites en Suède où il y a des inégalités analogues entre les coûts de santé dans les gros centres urbains et les régions rurales éloignées. Je n'en connais pas particulièrement les résultats, mais je sais que les niveaux de coûts de santé par habitant à des normes comparables sont très différents à cause de l'existence de tous ces conseils de comté dont certains sont très importants et faiblement peuplés alors que d'autres sont urbains.

Mais je n'en dirai pas plus car je n'en sais pas assez.

Mme Flood: Moi non plus. C'est une excellente question: dans quelle mesure la géographie est un problème? Un certain nombre de pays ont ce problème de forte densité dans les centres urbains et pratiquement personne ailleurs. La Nouvelle-Zélande et l'Australie connaissent ces problèmes. Le problème c'est d'attirer des médecins dans ces régions. C'est un problème réel quand vous les payez à l'acte et qu'ils se retrouvent tous dans les centres urbains dont ils ne veulent pas bouger. Si vous les rémunérez selon une formule de capitation, ils bougeront.

Le sénateur Carstairs: Bien sûr. Là est tout le problème. Je suis originaire d'une province, le Manitoba, où nous avons une très grande ville, et ensuite nous avons Brandon et après pratiquement rien en termes de nombre. En cas d'urgence, le seul moyen c'est l'avion pour Winnipeg. Cela doit considérablement gonfler nos coûts comparativement aux Pays-Bas où, soyons honnêtes, une ambulance suffit pratiquement n'importe où.

M. Stabile: Il existe des études qui comparent, en particulier, le Manitoba à certains États des États-Unis qui ont des distributions de population analogues et nous nous sortons très bien de ces comparaisons en termes de coûts. Ils ont tendance à dépenser plus.

Le sénateur Carstairs: L'autre question qui m'inquiète, c'est la capitation. Je crois qu'il est clair que si tous les médecins, les généralistes ou les médecins de famille, tout particulièrement, étaient payés suivant la capitation, on pourrait fixer des protocoles d'utilisation pour les analyses, l'équipement technologique, et cetera, mais personne ne semble en vouloir pour le moment. Si une femme connaît une grossesse difficile, oui, il est possible qu'elle ait besoin de huit ultrasons mais lors d'une grossesse normale il est probable qu'un seul ultrason soit suffisant. Que faites-vous si cette patiente demande six ultrasons pendant son traitement et menace le médecin d'aller voir ailleurs s'il ne lui prescrit pas ses six ultrasons? À 125 $ la séance, c'était le prix la dernière fois que j'ai regardé, cela devient lourd pour le système de santé. Comment parvenir à la capitation?

Mme Flood: Cela dépend de sa forme. Il vous faut décider du degré de responsabilité à accorder au médecin de famille. Vous pouvez lui confier toutes les responsabilités, la responsabilité pour pratiquement tous les services hospitaliers, les médicaments, les rayons X, et cetera, ou vous pouvez lui donner des responsabilités plus gérables car il est évident qu'il y a des limites au risque financier qu'il sera prêt à assumer. Lorsque les généralistes au Royaume-Uni ont commencé à cotiser à une caisse d'assurance, cette caisse ne couvrait que les médicaments, les analyses de laboratoire, les rayons X et les interventions chirurgicales bénignes. Pour pouvoir leur confier plus de responsabilités, il faudrait qu'ils cotisent tous à cette caisse pour qu'elle ait les reins plus solides. Il faut aussi que le généraliste qui accepte de travailler dans un secteur particulièrement difficile puisse bénéficier d'un mécanisme de solidarité. Si un médecin travaille dans un secteur où une personne sur trois est séropositive, il est évident que sa seule cotisation ne lui permettra pas de se couvrir. Calculer le risque et s'assurer en conséquence est le plus gros obstacle à la formule de capitation. Cependant, c'est vers les Pays-Bas qu'il faut se tourner pour voir comment cela peut marcher. Ils ont étudié tout ce qui devrait être étudié avant de mettre leur système en place.

Le sénateur Carstairs: Je dirais que le plus gros problème c'est l'attitude des médecins. Il suffit de revenir au tout début en 1965. L'autre jour, Tom Kent nous a clairement dit que l'option préférée c'était la capitation. Cela n'a pas été possible. Les médecins n'en voulaient pas. Que faire pour qu'ils changent d'attitude?

Mme Flood: Il faudra les acheter. C'est la seule solution qu'on ait trouvée partout ailleurs. Il faudra leur accorder le genre de budget par capitation qui leur donnera l'autonomie et l'argent qu'ils voudront pour se sentir à l'aise.

Le sénateur Carstairs: En d'autres termes, si leur salaire est de 85 000 $ en moyenne après retenues, il faudra leur garantir 100 000 $ par an?

Mme Flood: À long terme, ce serait rentable.

Le sénateur Banks: Dites-le à la LNH.

M. Blomqvist: L'autre chose que je me demande, et je ne suis pas certain que cela fasse partie de la question, c'est si l'on peut trouver un moyen d'y parvenir par degrés. En d'autres termes, est-il possible d'offrir aux médecins le choix entre le paiement par capitation ou rémunéré à l'acte? Dans un tel cas, il faudrait donner aux patients le choix de consulter un médecin payé par capitation ou un médecin payé à l'acte. Si c'est la solution, et si vous pensez que consulter un médecin payé par capitation est plus économique, il faut alors indemniser le patient qui décide de le faire. Est-ce que nous sommes prêts à le faire?

Mme Flood: Pourquoi indemniser le patient?

M. Blomqvist: Pour qu'un système fondé sur la capitation fonctionne, il faut que les patients, pour commencer, acceptent de ne pas consulter d'autres médecins pendant la durée du contrat et, deuxièmement, acceptent les recommandations du médecin. Si un patient n'aime pas la recommandation du médecin, il va voir un spécialiste.

Le président: Vous ne pouvez plus consulter un autre médecin si la recommandation du premier ne vous plaît pas.

Le sénateur Carstairs: Un avantage certain c'est de pouvoir toujours compter sur un service. À l'heure actuelle, il y a un nombre disproportionné de Canadiens qui consultent dans des cliniques ou qui encombrent les salles d'urgence à un coût énorme. Il faudrait en tenir compte.

Mme Flood: La qualité et la continuité sont deux atouts de la capitation. L'évolution de la santé des patients est mieux suivie.

M. Stabile: La situation est délicate. Si les États-Unis ont fini par opter pour la capitation c'est parce qu'ils se sont retrouvés avec plus de médecins qu'ils n'en avaient besoin. Lorsqu'ils se sont retrouvés avec trop de services hospitaliers, trop de médecins, ils ont pu dire: «Nous nous proposons de vous offrir une plus grosse part du gâteau».

Le président: C'est le principe d'exclusion par voie d'achat quand l'offre est excédentaire. C'est le même principe.

M. Stabile: Leur situation est beaucoup plus simple que la nôtre.

Le sénateur Banks: J'aimerais beaucoup que vous nous disiez comment cela fonctionnerait sur le plan administratif. Je viens du monde du spectacle et, à mon avis, c'est un problème insoluble. Je crois qu'il est tout à fait analogue. Le problème de la dynamique et de l'incompatibilité entre le directeur artistique d'une compagnie de ballet et l'administrateur de la compagnie de ballet, ou de théâtre ou d'orchestre, est insoluble. C'est comme la situation en Irlande du Nord. Comment cela fonctionnera-t-il dans le domaine de la santé? Je vois bien un administrateur dire à un médecin: «Vous ne pourrez plus revoir ce patient», ou «Vous ne pouvez lui recommandez d'aller voir ce spécialiste». Le médecin répondra: «Je suis médecin». Même s'il peut arriver que l'administrateur soit aussi médecin. Il y aura forcément des frictions.

Mme Flood: Les frictions ne me dérangent pas. Elles sont même probablement souhaitables car elles ne peuvent aboutir qu'à de bonnes solutions équilibrées. L'administrateur représente les intérêts de la société. Il y a les intérêts plus généraux de la société et les intérêts du patient.

Le sénateur Banks: C'est donc un dictateur bienveillant.

Mme Flood: Il faut parvenir à un équilibre entre les intérêts de la société et les intérêts du patient. Comme je l'ai déjà dit, les patients veulent tout. Nous voulons tous tout quand nous sommes malades. Il n'y a pas de problème tant que nous sommes bien-portants, pas malades, mais une fois malades, nous voulons avoir accès à tout. Nous voulons tout, y compris le haut-de-forme et le lapin blanc. Il faut arriver à un juste milieu. Vous avez tout à fait raison de parler de problème de frictions entre les administrateurs et les médecins. C'est comme vouloir faire défiler des chats. Les médecins n'aiment pas être administrés.

Il reste que nous n'avons même pas essayé. Nous n'en savons rien parce que nous n'avons jamais essayé. Bien entendu, au départ, il y aura des difficultés. Ce sera difficile. Aux États-Unis, cette formule de soins gérés ou administrés pose des problèmes. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas essayer.

J'aimais bien l'initiative qui consiste à confier aux généralistes la gestion d'un budget. Je trouvais que cela fonctionnait bien. Il est malheureux que Blair ait décidé de -- en fait, il l'a pratiquement fait exploser. Elle a pris des proportions incontrôlables. Le nombre de participants la rend ingérable. Vous pouvez donner aux médecins leur autonomie, leur donner le pouvoir de prendre des décisions, leur donner des budgets et les encourager à prendre des décisions, c'est ça l'autre solution.

M. Stabile: Cela nous ramène au point d'interrogation sur les normes de prestation d'un bout à l'autre du pays. Nous pouvons dire à un médecin: «Il y a 200 autres médecins qui font la même chose que vous et qui n'utilisent pas autant de ressources que vous mais qui n'en perdent pas pour autant de patients. Pourquoi cette différence? Nous avons d'autres médecins qui agissent différemment sans que cela coûte autant. Pourquoi cette différence?»

Mme Flood: En fait, si j'étais patient, j'aimerais aussi beaucoup le savoir.

[Français]

Le sénateur Gill: Les services de santé ont été améliorés. Tout le monde est d'accord là-dessus. La longévité des gens a augmenté, le taux de mortalité infantile a baissé, et cetera. Par contre, on a déresponsabilisé les gens. Tantôt, quelqu'un mentionnait la désorganisation. De temps en temps, il faudrait se désorganiser pour permettre aux gens de devenir davantage responsables. On s'enfonce davantage dans l'abîme lorsqu'on déresponsabilise les gens. L'État supporte tous les soins, tous les frais. Vers quoi nous dirigeons-nous pour faire en sorte que les familles soient responsables? On devrait acquérir une certaine responsabilité et on ne devrait pas laisser tout cela à l'État.

[Traduction]

M. Blomqvist: Une des déceptions dans le domaine de la santé, à mon avis, ce sont ces campagnes incitant la population à mener une vie plus saine dans le but de réduire les coûts de santé. Tous ces programmes comme ParticipAction, ces campagnes contre le tabac, et cetera, nous donnent bonne conscience, mais l'incidence sur la réduction des coûts de santé est loin d'être probante. L'autre moyen d'y arriver c'est de jouer sur les primes d'assurance -- en d'autres termes, les réduire, voire réduire les impôts de ceux qui mènent une vie plus saine, comme par exemple les non-fumeurs. Encore une fois, l'incidence sur la réduction des coûts n'est pas particulièrement encourageante.

Je crois honnêtement qu'il n'y a guère d'autre solution que d'évaluer l'incidence des nouvelles technologies lorsqu'elles arrivent sur le marché, et de faire un simple choix social: les accepter ou les rejeter. Quant aux campagnes de vie plus saine, les résultats ne sont pas probants.

Mme Flood: Vous parlez, je suppose, du concept d'usager-payeur.

Le sénateur Gill: Oui.

Mme Flood: Le problème dans le domaine de la santé c'est le médecin. Si vous allez voir un médecin c'est pour qu'il vous dise ce dont vous avez besoin. Le médecin est votre intercesseur auprès du système de santé. C'est la raison pour laquelle se fixer sur les patients et leur faire payer plus n'est pas forcément la meilleure solution. Nous n'avons tout simplement pas de quoi le justifier. En Nouvelle-Zélande, si vous allez voir votre médecin, c'est vous qui payez. Il y a des problèmes réels au niveau des conséquences. La mortalité infantile augmente. Il y a le problème d'accès pour les revenus faibles. Même si le gouvernement subventionne les plus démunis, ils doivent quand même payer 50 p. 100 du coût. Vous ne voulez pas empêcher les gens d'avoir accès au système car dans la majorité des cas ils ne peuvent pas s'autodiagnostiquer. Vous voulez qu'ils aient accès au système mais il faut que le médecin leur serve d'intercesseur avec le reste du système.

Inciter la population à vivre plus sainement ne peut aboutir à des résultats que dans le contexte d'une bonne relation médecin-patient. C'est au médecin de dire à ses patients d'arrêter de fumer, par exemple. Et ce médecin sera d'autant plus incité à le faire si le coût total de la santé de ce patient correspond à une incidence directe pour lui.

M. Stabile: C'est tout particulièrement important pour les enfants et les indigents. Les études examinant si le recours fréquent à la médecine permettait vraiment d'être en meilleure santé ont été très peu concluantes, sauf dans le cas des enfants et des indigents, où on a la preuve que l'intervention des médecins est bénéfique. Les différences sont très visibles.

Le président: Merveilleuse manière de conclure.

Demain, nous entendrons les représentants de l'Institut canadien d'information sur la santé. L'un des postulats qu'ils avancent est qu'il semblerait, à de nombreux égards, qu'il n'y a pas de forte relation de cause à effet entre la consommation de services de santé par un individu et un état de santé généralement supérieur, ce qui contredit nombre d'idées reçues.

Comme vous pouvez en déduire d'après le nombre de questions qui vous ont été posées, nous aurions pu continuer pendant des heures. Nous vous remercions infiniment de ce tour d'horizon fort instructif. Nous ferons de nouveau appel à vous à l'automne, quand nous serons entrés dans une phase beaucoup plus intensive de l'examen de ce que la situation dans d'autres pays peut nous apprendre.

Entre-temps, si vous y réfléchissez et que vous finissez par mettre la main sur une liste d'options ou de politiques ayant été utilisées pour mettre en place ce genre de systèmes sous différentes formes, j'aimerais la voir, même sous forme de cartouche. Ce serait formidable. Merci d'être venus.

La séance est levée.


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