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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 17 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 15 h 52 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, nous poursuivons notre étude du système de santé canadien et de ce que devrait être le rôle fédéral et de l'évolution à imprimer à celui-ci pour que le système reste viable à l'avenir. Nous sommes ravis d'entendre aujourd'hui Marc Lalonde, que vous connaissez certainement tous de par les diverses fonctions qu'il a exercées tant dans le secteur privé que le secteur public.

M. Lalonde était le ministre de la Santé en 1977 lorsque la contribution financière fédérale pour la santé a cessé d'être un partage des coûts moitié-moitié. Avant 1977, le gouvernement fédéral payait 50 p. 100 d'un ensemble convenu de soins de santé. Cette formule a été modifiée en 1977 par la Loi sur le financement des programmes établis, en faveur d'un financement global. Il s'agit là d'un financement forfaitaire, qui n'est plus axé sur le coût. Ce transfert global ne comprenait plus seulement des versements en espèces mais aussi ce que l'on appelle des points fiscaux. M. Lalonde voudra peut-être nous en expliquer les raisons. Nous avons pensé qu'il serait important de comprendre la logique de ce changement, étant donné la controverse entourant les points fiscaux et la question de savoir si le gouvernement fédéral devrait toujours les comptabiliser.

Nous saisirons également cette occasion pour parler de la gestion des grands hôpitaux. En effet, M. Lalonde a été pendant 14 ans le président du conseil d'administration d'un grand hôpital de Montréal. Je pense qu'il nous serait utile de bénéficier de cette perspective sur le système de santé.

Enfin, puisqu'il était ministre de la Santé au moment où ParticipAction et d'autres programmes ont été lancés en vue d'améliorer la santé des Canadiens, il voudra peut-être nous dire également quelques mots à ce sujet.

M. Lalonde n'a pas de déclaration liminaire écrite car il est rentré d'Angleterre seulement hier soir.

Nous vous remercions d'être venu, monsieur Lalonde. Vous connaissez notre façon de procéder. Contrairement à ce qui se passe à la Chambre des communes, nos questions ne seront pas partisanes, et porteront sur le fond du problème. Vous avez la parole.

[Français]

L'honorable Marc Lalonde, c.p.: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de votre invitation, et comme le président vient de l'indiquer, j'ai eu à fricoter dans le domaine de la santé durant un grand nombre d'années. Au cours des cinq dernières années, mon rôle s'est surtout concentré dans la fonction de patient dans notre régime hospitalier, et il ne fait aucun doute dans mon esprit que c'est à ce système que je dois de me retrouver encore vivant pour comparaître devant vous aujourd'hui.

De toute évidence, j'aurais besoin de plus de 10 minutes pour vous décrire les conclusions de mes diverses expériences au cours des 28 dernières années. Si j'ai eu l'honneur d'avoir une certaine influence sur l'évolution de la politique canadienne en matière de santé, entre 1972 et 1984, mon expérience est maintenant beaucoup plus limitée à la scène québécoise depuis 1984.

Le président vous a indiqué l'objet principal qui a motivé ma comparution devant ce comité, à savoir la Loi sur les programmes établis de 1977. On m'avait aussi demandé d'être disponible pour traiter de la Loi canadienne sur la santé de 1984. J'ai noté que je devrais comparaître avec mon ex-collègue, Mme Bégin, qui ne peut malheureusement être disponible aujourd'hui, et il est clair qu'elle aurait été beaucoup plus en mesure que moi de témoigner adéquatement sur cette loi. Comme j'étais ministre des Finances à l'époque où cette loi fut adoptée, il est évident que j'y avais pris un intérêt professionnel, non seulement en tant que ministre de la Santé, mais aussi en tant que ministre des Finances.

Je ne perdrai pas de temps à vous répéter le contenu de la Loi sur les programmes établis de 1977, le président vous en a déjà fait un résumé aujourd'hui et je crois comprendre que plusieurs témoins y ont fait abondamment référence dans les réunions antérieures.

Je constate avec plaisir qu'au moins deux de mes anciens collègues, les sénateurs Callbeck et Robertson, étaient de l'autre côté de la table alors que j'étais ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Ces sénateurs doivent avoir des souvenirs assez vifs des discussions que nous avions eues à l'époque. Le président a même déclaré qu'il était haut fonctionnaire au Conseil privé à cette époque et qu'il s'était vivement opposé, heureusement sans succès, à l'adoption de la loi de 1974. Ce qui indique qu'il est faux de prétendre que les fonctionnaires ont toujours le dessus sur les ministres dans l'administration fédérale.

J'aimerais d'abord dire un mot sur le contexte qui a précédé l'adoption de la loi de 1974. À l'époque, il s'agissait du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Il regroupait presque tous les programmes sociaux du gouvernement canadien et les programmes de santé. C'était une époque où le ministère de la Santé couvrait environ le tiers des dépenses fédérales dans leur ensemble. En 1972, le ministère était dirigé parallèlement par deux sous-ministres: M. A. W. Johnson pour le bien-être social et le docteur Maurice Leclerc pour la santé.

Suite à ma nomination en 1972, nous avons décidé de faire une revue en profondeur des programmes dont le ministère était responsable. Il y a eu la publication, en 1972, du livre orange sur la réforme de la sécurité sociale canadienne et, en 1974, la publication d'un document intitulé: «Nouvelles perspectives de la santé des Canadiens.» Ce dernier vous a d'ailleurs été remis. J'y reviendrai plus en détails.

Une des conclusions fondamentales de ces études menées en parallèle par les deux branches du ministère était à l'effet qu'il était essentiel d'élargir les concepts qui avaient mené à l'adoption des régimes de bien-être social et de santé au Canada. De plus, les définitions contenues dans les lois fédérales en vigueur créaient plusieurs problèmes que nous devions surmonter.

Il y avait à cette époque des plaintes répétées des provinces depuis plusieurs années. À mon avis, ces plaintes étaient en bonne partie justifiées par le fait que l'application des régimes en vigueur, tant dans le domaine du bien-être social que dans celui de la santé, représentait une intrusion excessive du gouvernement fédéral dans des matières de juridiction provinciale. De plus, ce régime fédéral imposait des rigidités trop grandes et des distorsions dans l'allocation des ressources financières dans les secteurs concernés.

Laissez-moi dire un mot sur les rigidités indubitables qui existaient. Nous faisions face à une augmentation des coûts dans les domaines de la santé et du bien-être social dans une période de stagflation, c'est-à-dire de stagnation économique et d'inflation considérable. Le gouvernement fédéral désirait contenir les coûts et assurer une plus grande équité dans les contributions entre les provinces. Certaines d'entre elles, beaucoup plus à l'aise, pouvaient se permettre des programmes plus généreux auxquels le gouvernement canadien était forcé de contribuer à 50 p. 100. Par ailleurs, les pressions pour contenir les coûts nous amenaient à une réglementation pointilleuse des programmes, à savoir ce qui constituait une dépense éligible tant dans le domaine de la santé que dans celui du bien-être social.

Si le sujet vous intéresse, vous pourrez demander à vos recherchistes de récupérer les règlements en vigueur à l'époque dans les domaines de la santé et du bien-être social afin de voir à quel point la réglementation fédérale était détaillée et combien on avait de débats avec chaque province. Par exemple, à savoir si tel genre de lit était admissible ou si telle situation de bien-être donnait ouverture à une participation du fédéral à 50 p. 100.

En outre, les provinces argumentaient aussi avec raison. Nous étions d'accord que le régime en force décourageait l'innovation et concentrait les ressources dans des domaines plus coûteux comme la santé, l'assurance-hospitalisation et l'assurance médicale. D'ailleurs, l'objectif du programme pour l'assurance-hospitalisation dans les années 50 et pour l'assurance médicale dans les années 60 était d'assurer à tous les Canadiens ces services de base qu'étaient l'hospitalisation et les soins médicaux. À cette époque, ces deux services étaient considérés coûteux. Les provinces et le gouvernement fédéral avaient convenu qu'ils s'engageaient à participer à 50 p. 100 dans les coûts de ces programmes majeurs.

Avec le temps, on s'est aperçu que cette conception des soins de santé était plutôt étriquée et qu'il y avait une alternative moins coûteuse que l'hospitalisation pour bon nombre de traitements. Malheureusement, cette alternative n'était pas éligible à la participation aux coûts par le gouvernement fédéral. Lorsque les ministres de la Santé et les ministres des Finances provinciaux avaient le choix entre un service pour lequel le gouvernement fédéral paierait 50 p. 100 des coûts et un autre pour lequel la province devrait en payer 100 p. 100, il n'était pas difficile d'imaginer la préférence de la province, même si ce n'était pas, objectivement, l'investissement le plus efficace en termes de bénéfices pour les programmes de santé.

Le gouvernement du Québec voulait mettre sur pied des centres locaux de services communautaires pour dégorger les hôpitaux, favoriser des services moins spécialisés et plus accessibles à la population. Il faisait cependant face à une situation où il lui fallait absorber 100 p. 100 de ces coûts. L'objectif était sinon de réduire les coûts par unité, au moins d'élargir les services à la population.

Vous aviez cette situation du côté des provinces. Du côté du gouvernement fédéral, vous aviez une autre inquiétude. Suite à la publication du livre orange sur le bien-être social et du livre blanc sur la santé, on était venu à la conclusion qu'il fallait élargir notre conception des services dans ce domaine. Il y avait aussi une inquiétude de plus en plus grande de la part du ministre des Finances et du gouvernement en général. Nous étions pris à payer 50 p. 100 de ce que les provinces voulaient dépenser dans les domaines couverts sans avoir quoi que ce soit à dire sur l'allocation de ces dépenses par les gouvernements provinciaux. Il y avait alors un désir de grande prévisibilité dans les obligations du gouvernement fédéral, tant dans le domaine de la santé que dans celui du bien-être social.

On a voulu donner un coup de barre. Des négociations ont eu lieu avec les provinces qui ont mené à un accord sur le nouveau régime qui a été incarné par la loi de 1977.

D'une part, nous avons atteint une plus grande flexibilité pour les provinces dans l'allocation des sommes versées dans le domaine du bien-être et de la santé. D'autre part, nous obtenions une plus grande prévisibilité des dépenses fédérales puisque nous établissions un programme de paiements per capita qui était en relation avec la croissance du PNB. Ces versements prenaient en partie la forme de points d'impôt et en partie celle de versements comptants aux provinces.

Il ne fait aucun doute que la loi de 1977 a permis au gouvernement canadien et à celui des provinces d'atteindre les deux objectifs qui étaient poursuivis. Je tiens à souligner que l'intention à l'époque n'était d'ailleurs pas de réduire la contribution fédérale aux services déjà couverts, mais il est évident que les événements subséquents ont démontré qu'il était peut-être plus facile pour le gouvernement fédéral de le faire en vertu du programme de 1977 qu'antérieurement.

Vous m'avez demandé de commenter quelques inconvénients et parmi ces inconvénients, certains vous ont déjà été mentionnés. Il était plus difficile, évidemment, d'évaluer spécifiquement la contribution fédérale à chaque programme puisque vous aviez des versements qui couvraient un ensemble de programmes et qu'il n'y avait pas une allocation spécifique comme antérieurement, à l'assurance médicale.

Sans aucun doute, il en est résulté une certaine réduction de la visibilité politique de la contribution fédérale. À mon avis, ceci aurait fort bien pu être compensé par une meilleure information, une information plus agressive, plus systématique, provenant du gouvernement fédéral quant à sa contribution aux programmes provinciaux.

Il y a un troisième inconvénient, peut-être le plus grave, qui nous a préoccupés à l'époque. Nous avons beaucoup débattu à ce sujet et notre inquiétude était à l'effet que l'adoption d'un tel régime pourrait mener à une réduction de l'engagement politique du gouvernement et des parlementaires canadiens envers ces programmes, dans le cas où les liens entre les programmes et la contribution financière fédérale devenaient plus vagues.

En définitive, pourquoi un député fédéral voterait-il des fonds pour lesquels il n'est pas en mesure de réclamer crédit devant ses électeurs d'une façon spécifique? S'il a le choix entre l'application un programme spécifique dans lequel il pourra dire: «Voici, c'est le gouvernement canadien qui vous donne 100 p. 100 de tel programme» et un programme où il se perd dans des relations fédérales-provinciales et des allocations déterminées par le gouvernement provincial, il est évident que la tendance naturelle de l'homme ou de la femme politique sera d'aller vers ce sur quoi il peu réclamer le plus de crédit.

Je pense que ce facteur a pu, en effet, rendre plus facile l'adoption des décisions qui ont été prises par les gouvernements canadiens subséquents en vue de couper assez profondément dans les contributions fédérales aux domaines de la santé et du bien-être. Je ne parlerai pas du domaine de la loi de 1984 parce que mon temps s'écoule. On reviendra à mon point de vue sur le régime actuel suite aux questions qui seront soulevées tantôt.

Si j'avais un conseil à donner devant ce comité, ce serait de vous dire de prendre la vue la plus large possible du sujet que vous étudiez. Chaque fois qu'on parle de crise dans le domaine de la santé, on se précipite sur les questions ayant trait au fonctionnement et au financement des services médicaux et hospitaliers. Cela est fort compréhensible puisque c'est là où se font les grandes dépenses.

Si nous désirons améliorer la santé des Canadiens, ces deux grands secteurs ne sont que de simples éléments d'un tableau beaucoup plus large et qui comporte des éléments non moins importants.

Quand je vois certains débats à l'heure actuelle, je suis tenté de faire une comparaison avec l'industrie de l'automobile. Il y a quelques années, on avait des automobiles dont la qualité laissait beaucoup à désirer. Une des solutions envisagées était de construire davantage de garages, de stations-service et d'ateliers de réparation. On aurait donc pu ajouter faire en sorte que toutes les automobiles auraient pu être réparées quand elles nous tombaient entre les mains.

On a par ailleurs vu l'arrivée sur le marché d'automobiles de meilleure qualité. Les consommateurs ont suffisamment protesté que la concurrence a forcé les fabricants à améliorer considérablement la qualité de leur automobile. Par la suite, il y a eu de la réglementation gouvernementale qui est intervenue pour forcer l'adoption de certaines caractéristiques qui ont amené une amélioration de la qualité des automobiles. En outre, on a vu qu'il était nécessaire d'améliorer la qualité des routes et de réglementer la vitesse.

Si je reviens au domaine de la santé, je me rappelle l'anecdote du sauveteur qui passait son temps à retirer des corps en train de se noyer dans une rivière. Il se demandait pourquoi personne n'était sur place pour prévenir les passants qu'ils ne devraient pas s'aventurer sur le pont sans grands risques de tomber dans la rivière et de se noyer. C'était un pont défectueux, sans garde-fous, il était en train de s'effondrer.

C'est un peu ce que nous avons fait en 1974 avec une nouvelle perspective sur la santé des Canadiens. Nous avions identifié quatre facteurs fondamentaux dans la santé des Canadiens, à savoir la biologie humaine, le style de vie, l'environnement et les services de santé. Nous en étions venus à la conclusion qu'en termes de coûts- bénéfices, les services de santé ne constituaient pas le facteur le plus susceptible d'améliorer le niveau de santé et la longévité des Canadiens.

À sa sortie, ce document est un peu tombé comme une roche mais il a été repris aux États-Unis par l'Organisation mondiale de la santé. Comme à l'habitude, les Canadiens, à force d'en entendre parler à l'étranger, se sont dit qu'ils avaient peut-être quelque chose d'intéressant. Cette étude a eu beaucoup d'impact sur les politiques canadiennes, tant fédérales que provinciales.

Le ministère de la santé a poursuivi des études beaucoup plus raffinées sur le sujet. Je constatais que le ministère a récemment publié une nouvelle liste des déterminants de la santé.Ils en ont énuméré neuf qui sont le revenu et la situation sociale, les réseaux de soutien social, le niveau d'instruction, l'emploi et les conditions de travail, les environnements physiques, le patrimoine biologique et génétique, les habitudes de vie et les compétences d'adaptation personnelle, le développement sain dans l'enfance et finalement, en neuvième place, les services de santé.

On pourra y revenir si la chose vous intéresse. Dans le fond, ces neuf facteurs sont des élaborations des quatre que nous avions identifié en 1974 et ils constituent des instruments d'analyse importants.

J'étais à Washington durant les deux dernières semaines, avant d'aller en Angleterre, et je lisais dans le Washington Post une série d'articles sur un des problèmes auxquels les États-Unis font face à l'heure actuelle, et qui s'appelle l'obésité. On pouvait y lire qu'environ 60 p. 100 des Américains souffrent à l'heure actuelle d'une forme plus ou moins accentuée d'obésité et qu'il était devenu, dans les écoles, extrêmement difficile d'encourager les étudiants à faire de l'exercice et à se tenir en forme de façon générale.

En effet, tout le monde peut constater cela, il suffit d'aller sur une plage aux États-Unis en été ou dans la saison chaude, et on peut constater qu'il y a un sérieux problème quelque part. On connaît toutes les conséquences négatives du phénomène d'obésité, à partir des jeunes en particulier. Il y a deux solutions possibles: la première est d'attendre que ces gens soient sérieusement malades et qu'ils se présentent à l'hôpital ou chez le médecin, et qu'ils requièrent toutes sortes de services coûteux, ou bien la deuxième serait de s'adresser à cette question par un énorme programme d'éducation populaire. Ce programme devrait traiter à la fois du conditionnement physique et de l'alimentation. Pour citer le latin de mon enfance: mens sana in corpore sano.

Ceci implique la participation du gouvernement fédéral, des provinces, des écoles, des municipalités et des familles. L'impact sur la santé pourrait être énorme. Si on ne fait rien, l'impact négatif aussi sera énorme et on aura à payer en termes de coûts de santé.

Je cite cet exemple parmi beaucoup d'autres. Il y a d'ailleurs des expériences dans les 25 dernières années qui ont montré qu'une action spécifique dans le domaine de la promotion et de la prévention dans le domaine de la santé peut avoir des effets assez rapides et significatifs.

L'importance d'étudier la question de la santé dans un contexte large m'apparaît majeure. Je soutiens que ce n'est pas une fuite en avant, ni une alternative à la fourniture de services de santé de première qualité et de services efficients.

Deuxièmement, une telle approche, pour le gouvernement fédéral, a des conséquences pour la contribution financière fédérale. Je pense que simplement revenir à une limitation de la contribution fédérale aux services d'hospitalisation et aux services médicaux serait une erreur.

Troisièmement, dans ce domaine, et le Sénat peut se le permettre, il est important de comprendre que les meilleures solutions dans ce domaine seront celles qui amèneront une action qui sera poursuivie à long terme. Même s'il y a des actes qui peuvent être posés ayant un impact immédiat, il faut éviter de boucher les trous et plutôt regarder l'ensemble de la situation.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lalonde. J'ai bien saisi votre argument en faveur du financement global, c'est-à-dire du versement d'une somme forfaitaire à la place des coûts, car je suis d'accord avec vous concernant la rigidité. Le financement global me gênait beaucoup moins que les points fiscaux. Vous avez parlé du crédit politique. Il me semble qu'il est difficile pour un gouvernement de bénéficier du crédit politique lorsqu'il n'a pas eu à endurer la douleur politique de l'imposition. Céder des points fiscaux signifie en pratique que le contribuable individuel paie moins à un gouvernement et davantage à l'autre, mais il paie quand même le même montant. C'est à cela qu'est revenu le transfert de points fiscaux.

Mon opinion à l'époque que c'était cela qui entamait la légitimité du rôle du gouvernement fédéral, plus que le financement global. Cela m'amène à me demander si la Loi canadienne sur la santé ne devrait pas simplement être perçue comme une façon pour le gouvernement fédéral de regagner la légitimité qu'il a perdu en cédant les points fiscaux. Autrement dit, il s'est dit: «Notre seule légitimité réelle provient de la portion en espèces, autant adopter une loi pour convaincre les Canadiens que nous nous soucions du système de soins de santé». Je caricature délibérément pour mettre en lumière le problème, mais j'aimerais votre avis sur les points fiscaux et la légitimité de la Loi canadienne sur la santé une fois que vous avez cédé les points fiscaux.

M. Lalonde: Premièrement, le transfert de points fiscaux n'était pas une chose nouvelle en 1974. Nous l'avions déjà fait au Québec pour l'éducation postsecondaire bien avant 1974. En substance, c'était un arrangement politique avec les provinces. Nous avons acheté la paix à un certain prix, cela ne fait pas de doute.

L'enjeu était politiquement très important au Québec en particulier, mais les provinces en général se plaignaient de ce que le gouvernement fédéral dépense dans un domaine de compétence provinciale. Nous répliquions que nous nous servions simplement de notre pouvoir de dépense constitutionnel. Il était évident que ces programmes resteraient en place pendant longtemps. Certaines provinces avaient des points fiscaux qui leur rapportaient davantage qu'à d'autres, et les provinces disaient avec insistance qu'elles seraient beaucoup plus rassurées, moins à la merci du gouvernement fédéral, si au moins une partie du transfert prenait la forme de points fiscaux. Cela a certainement eu pour effet de réduire la visibilité de la contribution du gouvernement fédéral, mais voilà quel était le contexte à l'époque.

Pour ce qui est de la Loi de 1984, je ne pense pas qu'il se soit agi en rien de récupérer notre visibilité. Elle procédait de la crainte sincère d'une érosion des éléments fondamentaux de l'assurance-maladie, par des moyens détournés. Un peu partout nous voyons apparaître la surfacturation et des redevances supplémentaires pour les soins hospitaliers, et il était impératif que le gouvernement fédéral réaffirme les principes fondamentaux inscrits dans la première loi et mette en place des régimes obligeant les provinces à mieux rendre compte, au public en général et au gouvernement fédéral, de l'usage qu'elle fait des fonds fédéraux.

Si vous cherchez l'explication de la Loi de 1984, elle ne réside pas dans une volonté du gouvernement fédéral de récupérer un peu de la visibilité qu'il a perdue. Il fallait impérativement une loi fédérale pour réaffirmer les principes fondamentaux auxquels le Parlement fédéral était unanimement attaché. Il commençait à y avoir une érosion de ces principes qui, si on ne l'enrayait pas, aurait pu entraîner le démantèlement de tout le système national tel que nous le connaissions. Voilà la logique que nous avons suivie.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Lalonde, sur la question du financement forfaitaire et des points fiscaux et de la Loi sur le financement des programmes établis, vous disiez qu'il faut les considérer dans une perspective à long terme. Étant donné ce qui s'est passé depuis sachant que le grand public ne comprend rien à toute la question des points fiscaux, referiez-vous la même chose aujourd'hui? Il y a une telle ignorance de la part du public. Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral n'obtient pas tout le crédit qu'il mérite sur le plan du financement de la santé. Si vous deviez recommencer à zéro, avec l'avantage de la rétrospective, aurait-il été possible de mieux expliquer cela au public? Je pense que si vous demandiez à l'homme de la rue ce qu'est le système de points fiscaux, vous verriez que les gens n'en ont pas la moindre idée ni ne savent que certaines provinces utilisent le système différemment des autres.

M. Lalonde: Je vous parie que même au Parlement, beaucoup de parlementaires seraient incapables de dire ce que signifient les points fiscaux dans leur province. C'est un problème important et difficile. Dites-vous que si nous pouvions recommencer, nous ne devrions pas opter pour les points fiscaux?

Le sénateur LeBreton: Avec l'avantage de la rétrospective, pensez-vous que le gouvernement fédéral aurait pu abandonner la formule 50-50 en faveur du financement global et des points fiscaux d'une manière que le public aurait pu mieux comprendre?

M. Lalonde: Je ne sais pas si nous serions parvenus à un accord avec les provinces. Nous avions utilisé une première fois ce système pour l'éducation postsecondaire au Québec, et l'accord avec les provinces a finalement été conclu sur la base du transfert de points fiscaux. Je ne sais pas si nous aurions pu adopter la Loi sur le financement des programmes établis sans un transfert de points fiscaux aux provinces. Nous aurions peut-être pu les envoyer au diable et leur dire de se contenter des versements en espèces. Il y aurait eu une bagarre, mais cela n'aurait jamais été qu'une de plus dans l'histoire du Canada.

Nous avons décidé à l'époque que c'était un compromis raisonnable. En admettant que c'était une bonne chose à faire à l'époque, je dirais que le gouvernement fédéral aurait dû expliquer de manière beaucoup plus agressive quelle était sa contribution aux divers programmes provinciaux, année après année. J'ai toujours trouvé que le gouvernement fédéral se montrait excessivement discret à cet égard.

C'était comme les paiements de péréquation versés au Québec et aux provinces de l'Atlantique, et au Manitoba en particulier. Je me souviens de discussions avec mes fonctionnaires où je disais: «Pourquoi ne vais-je pas là-bas avec un gros chèque pour le remettre en présence des médias? Au moins, les gens verront ce que nous faisons». La réponse, non seulement de mes fonctionnaires mais aussi de mes collègues et ministres et des autres provinces était: «Non, si vous faites cela, il y aura un tollé en Ontario parce que les gens diront qu'un autre zillion de dollars sort de leurs poches au profit du Québec ou des Maritimes et cetera». Nous n'avons jamais osé faire face et dire «Tant pis. Il faudra expliquer aux Ontariens et aux Albertains que c'est pour le Canada et c'est nécessaire».

Le programme de partage des coûts n'est pas une cause perdue, loin de là. Le gouvernement fédéral ne devrait pas hésiter à dépenser pour des campagnes visant à informer le public d'où vient l'argent et à quoi il sert. Pour ma part, je n'aurais aucune objection, comme contribuable, à ce que le gouvernement fédéral dépense de l'argent pour cela. Les citoyens canadiens ont le droit de savoir qui paie quoi. Mais pour cela, il faut un programme d'information systématique expliquant ce que l'on fait et pourquoi.

Le sénateur LeBreton: Peut-être les ministres de la Santé pourraient-ils faire cela lorsqu'ils se rencontrent. Le public n'y comprend rien, il ne voit que les chiffres. Les points fiscaux obscurcissent beaucoup de choses. Les ministres de la Santé, en mettant tous les problèmes sur la table, pourraient aider le public à s'y retrouver dans toute cette confusion sur ce que fait exactement chaque niveau de gouvernement. Cette confusion est un élément du problème. C'est pourquoi les Canadiens commencent à douter du système. Ils ne comprennent pas réellement, et n'ont comme information que ce qu'ils lisent dans les journaux ou quelques exemples désastreux dans une région du pays qui n'a pas de rapport avec la situation réelle. Je me demande quelle est la solution.

M. Lalonde: C'est intéressant. Je crois que la plupart des citoyens reconnaissent que les services de santé relèvent de la responsabilité provinciale, mais il semble qu'une grande partie de la population estime que le gouvernement fédéral ne fait pas sa part. Je trouve qu'il y a là un message pour les parlementaires fédéraux et le gouvernement fédéral.

Je pense également que la contribution sous forme de points fiscaux ne devrait pas simplement être passée par pertes et profits. Le gouvernement fédéral, à un moment donné, a cédé une part de son assiette fiscale. Cette contribution, à mon avis, existe toujours. Il y a moyen de l'évaluer, d'évaluer la contribution du Parlement fédéral aux programmes provinciaux dans les domaines de la santé et des autres services couverts par le nouveau système, c'est-à-dire l'éducation postsecondaire, la santé et l'assistance sociale. Il y a moyen d'évaluer la part du gouvernement fédéral. Il est plus difficile de donner des chiffres pour chaque volet, étant donné l'intégration des contributions, mais le gouvernement fédéral pourrait établir une ventilation équitable de ces coûts sur la base des contributions historiques et les projeter vers l'avant. C'est possible.

Pour revenir au dernier point de mon exposé, le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer dans le domaine de la promotion de la santé et de la prévention des maladies, ainsi que de la recherche. Les instituts de recherche qu'il finance représentent une contribution très importante du gouvernement fédéral. Certaines des recherches sont financées à 100 p. 100, et certaines activités de promotion et de prévention pourraient également être financées à 100 p. 100. Il vaudrait mieux que ce soit fait avec la pleine coopération de tous les acteurs dans ce domaine. Ainsi, le gouvernement fédéral verrait son action reconnue. La loi sur le tabac que vous avez adoptée est certainement liée à la santé, et c'est là un leadership et une contribution de niveau fédéral que le public perçoit. Il ne les relie peut-être pas directement à la santé, mais c'est néanmoins lié. Il s'agit pour vous de faire votre travail politique et d'expliquer aux Canadiens le but de vos actes dans ce domaine.

Le sénateur Carstairs: Monsieur Lalonde, avez-vous jamais songé au moment de la Loi sur le financement des programmes établis que l'on arriverait un jour à un stade où les points fiscaux représenteraient pratiquement toute la contribution du gouvernement fédéral? C'est l'argument qui a présidé, comme vous le savez, à l'introduction du transfert canadien en matière de santé et de sécurité sociale. Il est apparu que le Québec serait la première province à ne plus toucher du tout de transfert en espèces, seulement les points fiscaux.

M. Lalonde: Nous n'avions jamais prévu que le Québec serait dans une situation où les points fiscaux couvriraient toute la contribution du gouvernement fédéral, et je ne pense pas que ce soit déjà le cas. Je ne suis pas certain, mais j'en serais extrêmement surpris.

Le sénateur Carstairs: Mais c'était bien là l'explication donnée pour l'introduction du transfert canadien en matière de santé et de services sociaux. Le graphique semblait montrer que, au fur et à mesure que les points fiscaux augmentaient en valeur, le Québec ne recevrait plus de transfert en espèces en 2002.

M. Lalonde: Peut-être, mais je peux vous dire que ce n'était pas un sujet de préoccupation particulier à l'époque. Nous savions alors que l'Alberta et l'Ontario pourraient très rapidement être dans une situation où les points fiscaux couvriraient toute la contribution fédérale, vu la croissance plus rapide de leur valeur dans ces provinces. Mais nous jugions que la flexibilité et la possibilité pour les provinces de façonner plus librement leurs politiques sanitaires et sociales l'emportaient sur la faculté des politiciens fédéraux de se vanter de payer 50 p. 100. Nous pensions que nous pourrions et devrions expliquer aux Canadiens que nous faisions toujours une contribution, même sous forme de points fiscaux. C'est un travail politique qu'il faut faire.

L'importance de l'élimination des distorsions et de la rigidité du système valait bien que l'on prenne le chemin des points fiscaux et subventions. Il n'était pas essentiel que ce soit sous forme de points fiscaux, toute la contribution aurait pu être sous forme de subvention. Mais, comme je l'ai dit, c'était fondamentalement une bagarre politique. Nous avons jugé qu'il n'était pas nécessaire de partir en guerre à propos de points fiscaux.

Le président: Je comprends maintenant exactement pourquoi j'étais opposé à cette méthode. Peu importe que ce soit ou non le Québec, mais les données montraient que dans la période entre 2002 et 2008, la plupart des provinces ne recevraient plus d'espèces, seulement des points fiscaux. Je me disais: «Si j'étais une province ne touchant plus d'espèces et seulement les recettes des points fiscaux qu'on m'a données en 1977, pourquoi ne sortirais-je pas simplement de l'assurance-maladie puisque le gouvernement fédéral ne verse plus de contribution?» On ne va certainement pas retirer les points fiscaux aux provinces, car cela engendrerait un problème politique colossal. Il faudrait introduire des niveaux d'impôt sur le revenu différents selon les provinces. Voilà la logique qui motivait ma réticence face aux points fiscaux.

D'ailleurs, je reconnais tout à fait qu'en 1977 personne n'a jamais songé à cette éventualité, en regardant les prévisions. Il ne semblait pas que les espèces descendraient jamais à zéro. Mais cela m'inquiète aujourd'hui, car sans espèces et uniquement des points fiscaux, si une province décide de se retirer, nous n'avons plus de levier. Je suis donc d'accord avec le sénateur Carstairs. Nous avons introduit le transfert canadien pour préserver une portion en espèce afin qu'il reste une contribution fédérale visible, et un moyen de pression fédéral pour empêcher les provinces de sortir du système. Aimeriez-vous me donner votre avis là-dessus?

M. Lalonde: Non.

Le président: Même si vous ne le voulez pas, j'aimerais bien entendre votre avis.

M. Lalonde: Cela fait trop longtemps que j'ai quitté la partie. Je pense que votre analyse est juste. Dès l'instant où une province peut prétendre qu'elle ne reçoit plus de contribution financière du gouvernement fédéral, pourquoi se sentirait-elle liée par les règles fédérales? Toutefois, avec un peu d'imagination, on peut trouver d'autres façons de serrer la vis là où il faut. Je ne veux pas entrer dans les détails.

Le sénateur Carstairs: Ma deuxième question porte sur votre rapport, qui me paraît aussi valide aujourd'hui qu'en 1974. Il existe des déterminants de la santé, et des façons de favoriser une meilleure santé chez les Canadiens. Mon expérience au niveau provincial me montre que les gouvernements sont très réticents à dépenser pour des programmes qui ne sont pas sous-tendus par une analyse de coûts-bénéfices. Chaque fois qu'ils ont supprimé une initiative de prévention, c'était parce que nous ne pouvions pas prouver qu'elle tenait ses promesses. Comment changer cela? Comme faire comprendre que les programmes de prévention peuvent avoir autant d'effet, voire plus grands, sur la santé des Canadiens que certaines interventions médicales lourdes?

M. Lalonde: Puis-je commencer avec une anecdote? C'était peu après la publication de ce rapport. L'une de nos premières décisions, lors d'une conférence fédérale-provinciale des ministres de la Santé, après la publication de cet ouvrage, a été d'adopter à l'unanimité l'idée que tous les gouvernements provinciaux devraient promulguer une loi imposant le port de la ceinture de sécurité dans les voitures. Nous étions unanimes autour de la table. Nous sommes sortis de là gonflés à bloc, conférence de presse, unanimité, et cetera. Les ministres de la Santé sont rentrés chez eux et la plupart ont été bien accueillis, mais je peux vous dire que dans quelques provinces, le ministre des Transports les attendait avec une batte de baseball disant: «Qu'est-ce que tu fais sur mon terrain? Ce n'est pas toi qui va décider ce qui se passe sur les routes de cette province. Ce n'est pas le rôle du ministre de la Santé». Il y a même eu une province où la loi a été adoptée, mais sans être promulguée pendant trois ou quatre ans parce que le premier ministre craignait la réaction de l'électorat.

Nous avions des statistiques provenant de la Nouvelle-Zélande, qui avait une loi en ce sens, et d'un autre pays montrant que le port obligatoire de la ceinture de sécurité engendrait une réduction d'environ 25 p. 100 des blessures graves dans les accidents de la route. La même chose s'est produite au Canada. Les statistiques l'ont prouvé au bout de cinq ans. Finalement, l'Alberta, qui avait d'abord refusé, a adopté la loi et la Nouvelle-Écosse a soudainement décidé de donner la sanction royale à une loi précédemment adoptée. Ce qui a emporté la décision a été la preuve de l'efficacité, ainsi que les fortes pressions exercées par des groupes communautaires et des organisations comme l'Association canadienne de la santé publique et d'autres qui ont démontré à leurs gouvernements provinciaux qu'il fallait agir.

Je pense donc que l'action communautaire sera extrêmement importante. C'est comme dans le domaine de l'environnement. Vous imposez des règles et effectuez des dépenses, sachant que vous ne verrez pas les résultats demain. Les résultats n'apparaîtront qu'à moyen et long terme.

Les groupes de pression et organisations bénévoles ont fait suffisamment de campagnes, chez nous et ailleurs dans le monde occidental, pour que les politiciens soient contraints d'écouter. Des partis verts siègent dans les Parlements de différents pays d'Europe et d'ailleurs. Le mouvement y a revêtu une forme politique. Les politiciens qui mettaient trop longtemps à agir ont vu s'organiser une opposition politique. Chez nous, les partis politiques ont eu la sagesse d'agir assez vite pour éviter la création d'un tel parti politique.

Nous avons besoin d'un type d'action dont le ministre de la Santé peut être le chef de file, mais il ne peut être le seul acteur. Ce doit être une action collective du gouvernement, car dans presque tous les cas plusieurs ministères sont mis en jeu. Le coût n'est pas un problème. Un programme d'éducation publique sur l'obésité, par exemple, a un coût insignifiant comparé au budget de la santé. Ce qu'il faut, c'est la volonté de mettre en place des programmes et de les maintenir. Le problème est qu'une mesure est à la mode pendant un moment, puis les ministres et les fonctionnaires changent. Ensuite, un beau jour, le programme disparaît parce que ce n'est plus un enjeu électorale au bout de six mois, les crédits vont ailleurs et c'est la fin du programme. Il faut plutôt un programme durablement suivi par les pouvoirs publics.

Nous avons au Canada depuis plusieurs décennies le Guide alimentaire canadien. Cette publication est reconnue comme l'un des premiers et des meilleurs guides diététiques du monde. Lorsque j'étais ministre de la Santé et du Bien-être social nous envoyions chaque mois par la poste les chèques d'allocation familiale et de pension de la vieillesse. Aujourd'hui, cela se fait électroniquement et c'est pourquoi on ne peut plus ajouter des encarts dans les enveloppes. Nous avions une politique telle que chaque mois un encart était inséré avec tous les chèques. Ces brochures traitaient de divers sujets intéressant la condition physique, l'alimentation et les habitudes de vie saines. Nous faisions la promotion du Guide alimentaire canadien et envoyions des calendriers chaque année. C'est peut-être maintenant une méthode démodée, mais on pourrait peut-être utiliser le courrier électronique. Quoi qu'il en soit, je suis déçu que ce genre d'action n'est pas entreprise plus vigoureusement et systématiquement. On verrait des résultats beaucoup plus rapidement qu'on ne le pense.

Nous avions, par exemple, le programme appelé ParticipAction, qui a été agressivement promu à une époque où la majorité des fonds provenaient du secteur privé. Les stations de télévision accordaient du temps d'antenne gratuit pour promouvoir l'exercice physique et décourager les gens de fumer. Nous en avons vu les effets sur le nombre des gens atteints de maladie cardiovasculaire. Nous avons constaté une amélioration des statistiques plusieurs années après l'introduction de ParticipAction. En ce qui concerne le tabac, on a vu l'effet sur le nombre de cancers du poumon chez les hommes. Malheureusement, les femmes ont décidé de fumer autant que les hommes et les chiffres de cancers du poumon chez les femmes sont en hausse.

On ne peut donc pas dire que c'est de l'argent gaspillé, qu'on ne voit pas de résultat. Au contraire, on peut mesurer l'effet de divers programmes mis en oeuvre. On peut chiffrer ces résultats, en termes de productivité accrue et de Canadiens encore en vie et contribuant par leurs impôts aux soins des malades. Je pense que c'est une idée très vendable aux Canadiens et aux pouvoirs publics, pourvu qu'il y ait une direction politique acceptant d'appliquer les programmes systématiquement et durablement.

Le président: Puisque vous avez cité les chiffres d'obésité américains, dans la Maclean's cette semaine on dit que 25 p. 100 des enfants canadiens entre 4 et 9 ans sont obèses. Les Américains ne sont pas les seuls touchés.

Le sénateur Keon: Tout d'abord, j'ai été ravi de vous écouter, monsieur Lalonde. Je suis heureux d'entendre des suggestions positives et pas seulement une litanie d'événements passés. Je souscris à toutes vos suggestions.

M. Lalonde: J'en aurai d'autres si vous me laissez cinq minutes à la fin, monsieur le président.

Le président: Vous les aurez.

Le sénateur Keon: J'aimerais que ce comité cherche les moyens de sortir notre pays de l'impasse financière où se trouvent les provinces; autrement dit, l'assurance-maladie traditionnelle couvrant les frais hospitaliers et médicaux les détruit financièrement. Cela va bientôt avaler 50 p. 100 du budget de certaines provinces.

Nous avons fait beaucoup de chemin sur bien des plans. Nous avons quelques programmes excellents, de bonnes données et un savoir-faire en matière de santé de la population. La même chose vaut pour la santé publique. Nous avons fait des progrès énormes sur le plan de la recherche médicale au cours des quatre ou cinq dernières années, avec les instituts, et cetera. Vous avez parlé d'éducation sanitaire, et c'est un domaine où nous avons échoué. Il y a eu quelques progrès, mais pas d'action concertée en matière d'éducation sanitaire. Je crois que nous avons échoué pour des raisons politiques. Je ne sais pas qui osera se lever et prendre l'initiative. Il faudra beaucoup de maturité politique pour le faire sans s'attirer les foudres des homologues provinciaux.

Je ne suis pas sûr qu'aucune des formules de financement qui se sont succédé depuis 1950 étaient idéales, mais je pense que le gouvernement fédéral doit prendre davantage d'initiatives. Nombre des déterminants de la santé sont d'envergure nationale. Les petites provinces, en tout cas, ne peuvent pas régler des problèmes tels que l'environnement et beaucoup d'autres choses.

J'aimerais avoir votre avis sur ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour renforcer au moins les éléments du système autres que l'assurance-maladie. Je les énumère de nouveau: aligner la santé de la population sur la santé publique; le système de prestation des soins des santé, la recherche médicale, avec bouche de rétroaction et chiffrage des résultats; et, surtout, un programme sérieux d'éducation sanitaire ont continué, qui ne serait pas forcément très coûteux.

M. Lalonde: Merci de vos aimables paroles.

Effectivement, comme nous le disons tous deux, le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer à l'égard de la santé et de la politique sanitaire au sens large, mais il ne devrait pas essayer de faire cavalier seul. Si certaines provinces ne veulent pas collaborer, tant pis pour elles.

Prenez le cas de l'éducation sanitaires. Avec les moyens de communications d'aujourd'hui, rien n'empêche le gouvernement fédéral d'utiliser l'Internet et la télévision et la radio autant qu'il veut pour l'éducation sanitaire. Mais ce serait plus efficace si l'éducation sanitaire était intégrée dans les programmes d'enseignement et prise en charge par les enseignants, qui sont quotidiennement en contact avec les enfants. Je vois déjà certaines provinces prendre les armes et dire: «Le gouvernement fédéral empiète sur l'éducation». Si elles veulent le faire et le financer elles-mêmes, très bien. Pourquoi n'accepteraient-elles pas de faire ce travail en concertation avec les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral?

Prenez le cas de l'alimentation des jeunes enfants. Pouvons-nous les aider à manger mieux? On peut certes agir au niveau fédéral, mais une bonne partie de cette éducation doit être dispensée en salle de classe. Quel ministre provincial de la Santé ou de l'Éducation pourrait y être opposé? Cependant, dans notre système, cela n'est pas le rôle de l'enseignant, et il faudra donc attribuer cette responsabilité à quelqu'un, ce qui signifie accroître le budget de l'éducation spécifiquement pour cela. Je ne pense pas que cela coûtera des milliards, et ce serait un bon investissement de la part des gouvernements provinciaux, mais suppose que le ministre de la Santé et le ministre de l'Éducation collaborent. Si nécessaire, le ministre de la Santé pourrait prendre une partie de ses fonds pour aider le ministre de l'Éducation, avec l'accord du ministre des Finances provincial.

Je dirais que le gouvernement fédéral peut faire beaucoup. Il vaudrait mieux que ce soit fait de manière concertée. Cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral va commencé à financer l'enseignement primaire.

À mon avis, la contribution totale du gouvernement fédéral à la santé devrait augmenter. Avec cette majoration, on pourrait négocier des mesures concertées avec les provinces dans le sens que j'ai dit. Je pense que c'est possible, mais cela exigera certainement des dépenses accrues de la part du gouvernement fédéral.

C'est d'ailleurs là l'une de mes conclusions générales. Je pense qu'il y a place dans l'économie canadienne à dépenser plus pour la santé. Nous lui avons déjà consacré jusqu'à 10,1 p. 100 du PIB, je crois, chiffre qui englobe les dépenses privées et publiques. Le pourcentage est descendu jusqu'à 8,9. Actuellement, nous sommes autour de 9,1 p. 100. Nous n'avons pas besoin d'y consacrer 14 p. 100 comme les Américains, ni même 12 p. 100. Mais, vu les effets désastreux sur notre système des coupures fédérales et provinciales au cours des années 90, il faudrait majorer sensiblement les dépenses au cours des prochaines années pour réparer les dégâts des dernières années, puis peut-être stabiliser les contributions. Si nous prenions pour cible 10 p. 100 du PIB consacré à la santé au cours des années qui viennent, pour ensuite graduellement stabiliser le chiffre entre 9,5 p. 100 et 10 p. 100, on constaterait que nous avons pas mal d'argent pour faire le nécessaire. Une bonne partie de la somme devrait être réservée à la promotion et à la prévention.

Le sénateur Robertson: Monsieur Lalonde, cela a été un plaisir de travailler avec vous lorsque vous étiez ministre fédéral de la Santé. Notre relation était confortable et les tensions qui se manifestent aujourd'hui ne semblaient pas exister alors. Je dois dire, peut-être parce que je suis l'aînée autour de cette table, que la rétrospective remet en mémoire beaucoup de bons souvenirs et programmes que l'on tend à oublier un peu.

Je pense qu'il serait sage pour ce comité d'oublier les points fiscaux. Je ne le dis pas pour polémiquer, mais puisque nous en sommes à faire l'historique des ressources, autant le dire. Lorsque ces points fiscaux ont été transférés aux provinces, c'était un cadeau plutôt fictif. En effet, ils avaient été enlevés aux provinces dans les années 50 et 60. Lorsqu'ils ont été restitués, cela n'a fait que rétablir l'état des choses. Vous vous souviendrez de ce débat. Connaissant l'attitude des provinces dans ce domaine -- et elles ont la mémoire plus longue encore que moi -- je ne pense pas qu'elles céderaient là-dessus avec beaucoup de grâce, mettons, ou d'enthousiasme. Je pense qu'il importe de ne pas perdre cela de vue au moment de formuler nos recommandations et d'arrêter nos positions.

J'ai été intéressée par vos remarques, monsieur Lalonde, excellentes comme à l'accoutumée, et j'aimerais revenir sur les programmes de prévention. Je suis d'accord au sujet de ce que vous dites concernant les programmes préventifs. Comment les mettre en place, c'est une autre affaire, mais il y a peut-être moyen. Vous parliez du partage des coûts moitié-moitié au début. Il est bien évident que le gouvernement fédéral devait trouver une autre formule car les provinces, aussi astucieuses que nous l'étions et le sommes, ont fourré tout ce qu'elles ont pu dans cette enveloppe de manière subreptice. Vous n'aviez aucun contrôle sur l'augmentation du coût. Cela marchait très bien.

La plupart d'entre nous autour de cette table estimons que les soins doivent être moins axés sur l'hôpital. Les soins de l'avenir seront dispensés dans la collectivité, sur le lieu de travail, à l'école ou au domicile, et seules les personnes très malades, qui souffrent d'une maladie mettant en danger leur vie ou subissent de grosses opérations seront rassemblées, en quelque sorte, sous un même toit. Nous savons que cela offre des économies, car des projets pilotes un peu partout en ont apporté la preuve.

Nous devons amener le public et les gouvernements à accepter ces programmes à domicile, en milieu de travail et scolaire. Je me demande si les provinces ne s'engageraient pas dans cette direction avec plus d'énergie si elles ne payaient que la moitié de ce genre de soins. Les provinces ne comprennent rien de mieux que l'argent, et cela en fera économiser à tout le monde. Les soins hospitaliers sont une charge énorme. Même avec la réduction du nombre de lits per capita, dans bien des régions, 40 p. 100 des lits d'hôpital sont encombrés par des gens qui pourraient soignés ailleurs. Il faut une carotte pour qu'ils soient placés ailleurs. Il faudra peut-être pour cela mettre en place des programmes clairement définis, pour que le petit jeu du passé ne puisse plus être employé. Nous devons bien avoir assez d'imagination pour renforcer et sauver le système de santé.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler, monsieur Lalonde, que nous avons beaucoup de difficultés dans nos petites provinces. Terre-Neuve a une formule per capita, ce qui est de la folie. Dieu sait d'où cela est venu, mais cela ne peut pas marcher. Les petites provinces, avec une faible population, ont besoin d'une fondation pour construire, et elles en sont démunies.

Pourriez-vous réagir à ces propos décousus?

M. Lalonde: Merci, sénateur Robertson, de vos aimables paroles et de vos bons souvenirs, que je partage.

Vous parlez des petites provinces. Il n'y a pas que les petites provinces qui ont un grave problème. J'ai vu les dépenses per capita au Canada en 1998. La province qui dépense le moins per capita n'est pas une des petites provinces de l'Atlantique, mais le Québec, par un écart sensible. Ce ne sont pas des chiffres officiels, mais ils ont été reproduits dans Le Devoir du samedi 30 avril.

Il ne fait aucun doute qu'il y a eu beaucoup de pressions, mais aucun doute non plus dans mon esprit qu'il était nécessaire d'en exercer. J'ai présidé pendant 14 ans un grand hôpital de Montréal. Nous avons réussi à réduire considérablement les coûts sans réduire le service aux malades. Il y avait beaucoup de gaspillage dans le système, et il reste beaucoup de rigidité, notamment parce que c'est un milieu très fortement syndiqué. Pendant mes premières années, on ne pouvait déplacer une infirmière d'un étage à un autre parce que la convention collective stipulait qu'elle travaillait dans ce service et pas dans un autre. Il y avait un arrangement douillet pendant longtemps, et il était très difficile d'opérer des changements. Seule la menace de la pendaison parvenait à concentrer les esprits et à autoriser les changements qui auraient pu et dû être faits.

Vous envisagez, en substance, d'introduire de nouvelles distorsions dans le système. Je serais très réticent à vous suivre dans ce sens, à moins qu'il s'agisse de programmes très spécifiques. Et pour une courte durée -- cinq ans, mettons -- pour mettre en place un système convenant à tout le monde. Sinon, on retrouvera la même chose qu'avec l'assurance-hospitalisation. Beaucoup de gens qui ne devraient pas être à l'hôpital occupaient ces lits, parce que le gouvernement fédéral payait 50 p. 100 de la facture.

Si vous pouviez identifier des programmes spécifiques qui n'entraînent pas une distorsion de la prestation des soins de santé et une mauvaise répartition des coûts, très bien. Toutefois, j'espère que le gouvernement fédéral ne s'engagerait pas à long terme car on fausserait la répartition générale des fonds, et c'est bien là l'écueil de ces programmes. J'aimerais mieux que le gouvernement fédéral dise: «Nous allons payer 50-50, ou 30 p. 100 ou 40 p. 100, mais ce sera pour l'ensemble du domaine de la santé, englobant la promotion de la santé et la prévention.»

S'il faut payer plus, je ne pense pas qu'il faille cibler la contribution. Toutes ces définitions ont beaucoup évolué au fil des ans, et nous découvrons de nouvelles façons de faire les choses avec le passage du temps. Si vous introduisez une rigidité dans la répartition des fonds, il faudra en payer le prix.

Le sénateur Robertson: Je n'envisage pas de rigidité. Je songe à un processus très sélectif, afin de montrer que certaines choses peuvent être faites en dehors des hôpitaux. Vous dites, une quote-part de 30 p. 100 des dépenses totales est également une possibilité. Les provinces pourraient préférer cela. Toutefois, il y a des moyens de définir les programmes qui n'existaient pas il y a 30 ans. Il y a des moyens de tailler les programmes sur mesure qui n'existaient pas il y a 30 ans. On peut plus facilement mesurer les résultats que jadis. Ce n'est pas très simple, mais il y a des étalons. Il serait intéressant de se pencher sur certaines de ces choses.

M. Lalonde: Ma préférence sera toujours que les programmes soient payés à 100 p. 100 par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Callbeck: Moi aussi j'apprécie que vous soyez venu. J'ai aimé travailler avec vous. Vous m'avez remis en mémoire des choses auxquelles je n'avais pas pensé depuis quelque temps, telles que le Livre orange et le Livre blanc et ce qu'était une dépense admissible pour le partage 50-50, et cetera. J'avais oublié à quel point le système était rigide alors.

J'aimerais parler de la Loi canadienne sur la santé. Des experts nous ont dit qu'elle est désuète, pas assez flexible pour autoriser des réformes novatrices. D'autres experts ont émis l'avis contraire. J'aimerais connaître votre point de vue. Sur les cinq critères -- couverture complète, administration publique, universalité, transférabilité et accessibilité -- pensez-vous qu'il faille en abolir ou en ajouter d'autres?

M. Lalonde: Beaucoup de gens reprochent la Loi canadienne sur la santé des choses qu'elle n'était pas censée faire. La loi n'introduit pas de rigidité. Les cinq critères existaient auparavant. La Loi canadienne sur la santé introduit des définitions plus claires, par le biais du règlement ou d'autres façons, pour donner un contenu à ces règles. En ce sens, il y a peut-être un peu de rigidité. Mais je n'hésite pas à dire que le Parlement fédéral doit conserver les cinq critères qu'il a adoptés par le passé. À mon avis, ils restent aussi valides que jamais.

Je n'ai pas vu non plus ailleurs dans le monde de baguette magique et de solution parfaite. Notre système n'est pas parfait, mais dans l'ensemble les problèmes peuvent être réglés, tantôt avec de l'argent, tantôt un esprit d'initiative. À mon avis, ces critères ne doivent pas être abandonnés ou modifiés, certainement pas dans la situation actuelle. Je ne vois aucun problème dans le régime actuel qui exigerait l'abandon des cinq critères de façon à remédier à ces problèmes. Par conséquent, ma position à ce sujet est claire et catégorique.

Le financement permet énormément de flexibilité. Les provinces peuvent faire tout ce qu'elles veulent avec l'argent qu'elles touchent. En sus, il y a des exigences spécifiques à respecter sur le plan des soins médicaux et hospitaliers, clairement énoncés. Je pense qu'il faut les conserver. Rien n'empêche une province de dépenser plus pour les soins à domicile ou pour le personnel paramédical, si elles le souhaitent. Elles peuvent utiliser les fonds fédéraux pour cela, mais il est clair que pour les soins médicaux et hospitaliers il faut des critères de base. Si certains médecins veulent se retirer du système, qu'ils le fassent. Ils sont libres, mais ils ne peuvent pas avoir les deux en même temps. C'est la règle, et je la trouve bonne.

Le sénateur Cook: Je viens de la plus petite province, Terre-Neuve et Labrador.

M. Lalonde: Je pensais que la plus petite province était l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Cook: Je pense qu'en chiffre de population, Terre-Neuve est la plus petite.

M. Lalonde: Je ne pensais pas que Terre-Neuve avait rétréci ces dernières année.

Le sénateur Cook: Notre population est plus dispersée que celle de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous sommes plus loin des hôpitaux de soins tertiaires, dont il n'existe actuellement que deux. J'ai siégé à un conseil d'administration d'hôpital au cours des neuf dernières années et ai souffert les affres des coupures, et ce n'était pas facile. Mais j'ai vu émerger certaines choses positives, l'une étant les soins communautaires et l'autre les soins à domicile. Dans notre effort de regrouper les services et de dégager des économies, nous sommes passés d'une position à une autre.

Ayant écouté toutes les autres questions et réponses, je me pose cette question: Quand et comment allons-nous sortir du cadre de la maladie pour entrer dans celui de la bonne santé?

M. Lalonde: Le financement fédéral actuel encourage cela. Il n'y a plus de restrictions à l'usage que peuvent faire les provinces de leurs fonds dans le domaine de la santé. Elles doivent respecter certaines normes dans les deux programmes que j'ai indiqués, mais sinon elles sont libres d'utiliser les fonds comme elles le veulent. Selon notre Constitution, les provinces ont la responsabilité de ces services. C'est ainsi que notre pays fonctionne depuis toujours et continuera de fonctionner pendant longtemps, ai-je l'impression. Encore une fois, le gouvernement fédéral peut encadrer, encourager, soutenir politiquement et financièrement, mais les services de santé doivent être assurés essentiellement pour les autorités provinciales, avec la participation et le soutien des collectivités.

Voilà la façon dont les Canadiens font les choses et la façon dont elles doivent être faites dans un système démocratique. Je n'imagine pas le gouvernement fédéral se substituer aux provinces à cet égard. Vous avez vu ces changements vous-mêmes à Terre-Neuve, qui vont dans le bon sens. Il y a eu des améliorations considérables au niveau de la coopération fédérale-provinciale dans le domaine de la santé. L'Institut canadien d'information sanitaire, par exemple, est une nouveauté utile. Je crois savoir qu'il y a maintenant des comités fédéraux-provinciaux de haut niveau travaillant en concertation, d'après ce que je peux voir, car tous les gouvernements se retrouvent dos au mur aujourd'hui. Parfois les politiciens fanfaronnent, mais au niveau des fonctionnaires, on se rend compte qu'il faut collaborer et nous devons les encourager en ce sens. Je répète ce que j'ai dit au sujet de la concentration sur l'interprétation la plus large possible de la santé et de la politique sanitaire, et je pense que nous pouvons progresser.

Je vais conclure rapidement, monsieur le président, car j'ai déjà intégré une partie de ce que je voulais dire dans mes réponses aux dernières questions. Mais je répète que les cinq critères fondamentaux actuels doivent être maintenus. Je ne pense pas que notre système soit cassé, qu'il faille le reconstruire entièrement à partir de zéro. J'entends dire ici et là des dirigeants politiques dire que le statu quo n'est pas une option. Tout dépend de ce qu'ils entendent par là. S'ils veulent dire que nous devons mettre au rebut ce qui existe, ils ont tort. S'ils veulent dire qu'on peut améliorer ce qui existe, ils ont raison. Je pense que beaucoup de ces améliorations peuvent être introduites dans le cadre actuel. Nous n'avons pas besoin de réinventer tout un nouvel ensemble de lois à ce stade.

Les sénateurs devraient se poser à eux-mêmes quelques questions très simples pour mettre les choses en perspective. Avons-nous, au Canada, une profession médicale de haute qualité? Je pense que les Canadiens en général répondraient oui.

Avons-nous des professionnels de la santé compétent et dévoués à leur profession? En règle générale oui, bien qu'il y ait quelques problèmes de moral au sein des troupes qui ont été assaillies à gauche et à droite de contraintes difficiles au cours des dix dernières années.

Est-ce que nos institutions offrent des services comparables à ceux que l'on trouve dans les autres pays développés? Absolument. La question est de savoir si nous sommes proche du sommet ou proche du fond. La réponse est que nous ne sommes peut-être pas au sommet, mais nous ne sommes certainement pas au bas de l'échelle.

L'espérance de vie des Canadiens est-elle comparable à celle des autres pays de l'OCDE? Seuls la Grande-Bretagne et le Japon ont une espérance de vie plus longue et il est intéressant de noter qu'ils consacrent moins à la santé en proportion de leur PIB.

Notre mortalité infantile est-elle inférieure à celle des autres pays? Oui, elle est parmi les plus basses du monde.

Est-ce que notre réglementation des produits sanitaires, médicaments et aliments assure aux Canadiens une nourriture et des médicaments sûrs? Il faut répondre oui, comparativement. Encore une fois, nul n'est parfait, regardez autour de vous.

Allouons-nous à la santé une part de notre PIB ou une dépense per capita comparable à celle des autres pays? Encore une fois, la comparaison nous est favorable. Nos dépenses sont inférieures à celles des États-Unis, surtout per capita, mais les chiffres montrent qu'en dépit de cela nous obtenons d'assez bons résultats sur le plan de la santé nationale.

Je ne cache pas qu'il y a des problèmes sérieux. Sinon, vous ne seriez pas là à faire ce travail et votre comité n'aurait pas été créé. Cependant, je pense qu'il faut remettre les choses en perspective et voir quelle est notre tâche en tant que société, que Canadiens.

J'ai déjà dit qu'à mon avis il faudrait augmenter la part des dépenses publiques consacrées à la santé, mais ce n'est pas seulement une affaire fédérale. Dans ma province du Québec, par exemple, la part des dépenses publiques allant à la santé a considérablement baissé depuis que la contribution fédérale a diminué. Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, doivent examiner leurs comptes et réaliser que, du moins sur une base per capita, la plupart des provinces ont coupé à un point tel qu'il faut maintenant réinvestir.

Enfin, j'espère que nous pouvons arriver à un régime tel que le financement, fédéral et provincial, soit stable. Nous savons qu'il a fallu faire des coupures, mais dans le domaine de la santé, on ne peut pas gérer à la petite semaine. Il faut un régime où l'on sait plusieurs années d'avance comment les choses vont fonctionner.

J'ai vu dans ma province des coupures radicales et arbitraires et des décisions qui ne tenaient compte que du court terme. Le ministre des Finances voulait avoir un déficit réduit l'année suivante, et on coupait. On a mis les infirmières au Québec à la retraite anticipée. Nous leur avons fait une offre qu'elles ne pouvaient refuser. Maintenant, nous sommes à court d'infirmières. Nous réembauchons celles qui veulent revenir et leur payons des primes conséquentes pour cela. Nous sommes même obligés d'envoyer des gens se faire soigner aux États-Unis, aux frais de l'État. Tout cela était prévisible. Nous savons aujourd'hui quels seront les besoins de la population au cours des prochaines années. Il est incroyable de voir des situations comme celle-ci, et c'est totalement inacceptable. Je comprends pourquoi les Canadiens sont autant indignés et portés à dire: «Que le diable emporte vos deux gouvernements, c'est votre travail de réparer les dégâts, faites-le».

J'espère que vous recommanderez au gouvernement fédéral, à l'issue de vos délibérations, d'assurer au moins un financement de base stable pour les dix prochaines années.

Le président: Merci d'être venu, monsieur Lalonde. Nous apprécions tous non seulement vos idées, mais aussi votre franchise. Par-dessus tout, il est merveilleux de voir que votre passion pour la politique publique ne semble pas s'être atténuée depuis 16 ans.

La séance est levée.


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