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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 1 - Témoignages du 19 février 2004


OTTAWA, le jeudi 19 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel (loteries), se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre ordre du jour porte sur le projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel (loteries). Nous reprenons l'étude amorcée hier avec le témoignage du parrain du projet de loi, le sénateur Lapointe.

Nous avons aujourd'hui la chance de recevoir l'aide de deux experts du domaine des jeux de hasard et des jeunes; ils sont tous deux psychologues à l'Université McGill, dont relève le Centre international d'étude sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes.

Honorables sénateurs, je vous demande d'accueillir le professeur Jeffrey Derevensky et la professeure Rina Gupta. Bienvenue.

Je vous invite à présenter des remarques préliminaires au comité, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

M. Jeffrey Derevensky, professeur, Université McGill: Nous sommes heureux de venir vous faire part de notre expérience et de nos connaissances sur les jeux de hasard en général, et sur les jeux de hasard et les jeunes en particulier.

Pour brosser un tableau général, à McGill, Mme Gupta et moi-même travaillons depuis 12 ou 13 ans à essayer de comprendre pourquoi certains individus présentent un risque élevé de développer une dépendance au jeu. Nous avons effectué diverses recherches et études sur la prévention et nous dirigeons aussi un centre de traitement qui relève de l'université.

Avant de vous entretenir des appareils de loterie vidéo, dans le contexte du projet de loi, je précise pour le comité que ce qui fait défaut, c'est une commission nationale qui serait chargée d'étudier les jeux de hasard au Canada. Mme Gupta et moi-même collaborons activement avec des commissions nationales étrangères, et nous aimerions demander aux sénateurs d'envisager la création d'un comité national qui étudierait toutes les formes de jeux de hasard au pays, en plus des appareils de loterie vidéo.

De manière très générale, nous savons que le taux des individus qui ont une dépendance grave au jeu au Canada, ailleurs en Amérique du Nord et en Europe, se situe entre 1 et 3 p. 100 de tous les adultes. Des études effectuées au Centre et qui ont été reprises dans d'autres parties du monde laissent croire que le groupe des adolescents présente aussi un risque élevé de développer une dépendance au jeu et des problèmes connexes. De fait, nous constatons qu'entre 4 et 8 p. 100 des adolescents présentent un risque très élevé de développer une dépendance au jeu. Cette dépendance s'accompagne de comportements délinquants, de troubles mentaux et physiques, de problèmes sociaux et émotifs, ainsi que de difficultés scolaires. Dans notre exposé, Mme Gupta et moi-même avons tenté de décrire certains de ces problèmes ainsi que les résultats de la recherche.

Nous savons aussi que la dépendance au jeu a des conséquences directes sur au moins à cinq à sept autres personnes. Si un conjoint souffre d'une dépendance au jeu, ce problème aura certainement des répercussions sur les membres de la famille, l'employeur, les pairs et les amis, ainsi que sur le réseau social de cet individu. Bien que les chiffres soient relativement modestes, quand on commence à inclure les personnes touchées directement et indirectement, on constate que dans la société, un grand nombre d'individus sont gravement touchés par les problèmes aigus de dépendance au jeu.

Certains prétendent que le groupe le plus vulnérable à la dépendance au jeu est celui des 18 à 25 ans. Nous avons toute une génération de jeunes qui ont grandi dans une société où le jeu n'est pas seulement légal, mais où il est approuvé par nos provinces, encouragé par elles et, en fait, où les provinces récoltent les revenus qu'il génère. Le jeu, qui était autrefois considéré comme une activité répréhensible, est devenu une forme très répandue de divertissement dans notre société.

Nous savons aussi que les individus qui ont une dépendance au jeu se livrent à toutes sortes d'agissements. Si certains préfèrent jouer au casino, jouer au vingt et un, nous savons que beaucoup d'entre eux se livrent à une foule d'activités différentes. Un de nos clients à l'université, qui était un habitué des casinos, est devenu un obsédé des appareils de loterie vidéo après avoir cessé de fréquenter le casino.

Sur le plan légal, nous savons aussi que les joueurs pathologiques jouent à une multitude de jeux, dont certains sont régis par l'État, d'autres sont des jeux informels qu'ils jouent entre eux — ils peuvent parier sur les résultats sportifs, par exemple — et certains sont des jeux de hasard illégaux organisés par des preneurs de paris ou exploités dans Internet.

Nous savons qu'il y a une progression dans le jeu. Il ne s'agit pas de ce que les psychologues appellent «l'apprentissage non cumulatif». Vous ne devenez pas un joueur pathologique après être allé une seule fois au casino ou avoir utilisé une fois un appareil de loterie vidéo. Nous savons qu'il y a une progression. Malheureusement, l'une des choses qui nous inquiète, c'est qu'avec les appareils de loterie vidéo, la progression est beaucoup plus rapide qu'avec les autres formes de jeu.

Les appareils de loterie vidéo, ou machines de jeux électroniques, semblent être très problématiques en raison de leurs caractéristiques fondamentales. Ainsi, ces appareils présentent un taux de gain assez élevé, de sorte que le joueur reçoit un renforcement fréquent. Ils s'appuient sur ce que les psychologues appellent des «programmes à proportion variable». Le joueur ne perd pas tout son argent d'un coup; il en gagne, puis il en perd. Du point de vue psychologique, cette stratégie incite les individus à jouer plus longtemps.

Ces appareils donnent aux joueurs l'illusion de maîtriser la situation. L'une des inquiétudes que Mme Gupta et moi- même avons acquises au fil de notre recherche, est que beaucoup de ces jeux tirent maintenant partie de la technologie des jeux vidéos. Ils font appel à des écrans électroniques. Nous savons qu'une génération entière de jeunes utilise les jeux vidéos ou les a utilisés sur un ordinateur. Nous ne nous préoccupons pas seulement des taux actuels de dépendance au jeu dans notre société, mais aussi de l'ampleur future du problème.

Depuis quelques années, notre domaine est confronté à un dilemme intéressant. Puisque les adolescents présentent un taux plus élevé de dépendance au jeu que les adultes, nous craignons d'avoir surestimé la capacité des jeunes, à mesure qu'ils deviennent adultes, de cesser par eux-mêmes de jouer. Nous croyons qu'il faudra attendre 10 ou 15 ans pour savoir si nos craintes seront fondées. Nous menons ici une expérience sociale très délicate avec nos jeunes, puisque nous n'en connaîtrons le résultat que dans 10 ou 15 ans.

Nous savons que les appareils de loterie vidéo suscitent une forte dépendance. Leurs effets de lumière, de son et de couleur sont attrayants. Ces appareils proposent des jeux multiples, qui permettent à l'utilisateur de passer d'un jeu à l'autre.

Nous croyons que notre gouvernement, en tant que législateur, a la responsabilité de trouver un compromis entre les énormes revenus produits par les appareils de loterie vidéo et son devoir de diligence. Ce qui nous inquiète, c'est qu'au Canada en particulier, dans les provinces qui se réglementent elles-mêmes, il y a un lien de dépendance entre les organismes de réglementation et ceux qui perçoivent les revenus. Nous devons nous efforcer de créer des organismes de réglementation plus indépendants.

Dans le contexte de ce projet de loi, nous savons que le fait que les appareils de loterie vidéo soient accessibles partout les rend très attrayants. Dans une grande ville, il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour trouver un appareil de loterie vidéo. Il y en a presque partout. La publicité relative aux appareils de loterie vidéo est aussi préoccupante. Ainsi, au Québec, on se demande avec beaucoup d'inquiétude si les établissements qui possèdent de tels appareils ne se présentent pas eux-mêmes comme des mini-casinos.

Nos données empiriques montrent que s'ils avaient le choix entre un permis d'alcool et un permis d'appareil de loterie vidéo, les établissements québécois qui ont les deux renonceraient à leur permis d'alcool. C'est un commerce très lucratif. En Alberta, les revenus tirés des appareils de loterie vidéo avoisinent le milliard de dollars; au Québec, ces revenus sont semblables.

Certaines études nationales ont porté sur les attitudes à l'égard des appareils de loterie vidéo. Dans le cadre d'une étude menée en 1999, Jason Azmier et son groupe de la Canada West Foundation ont interrogé un échantillon aléatoire de 2 200 participants et ils ont constaté que la majorité des répondants — 70 p. 100 — étaient d'accord pour que les appareils de loterie vidéo ne soient permis que dans les établissements de jeu comme les casinos et les hippodromes. Compte tenu du grand nombre d'appareils de loterie vidéo et de machines à sous que l'on trouve dans les hippodromes aujourd'hui, le Canada est réputé pour avoir créé un néologisme désignant les établissements de jeu appelés en anglais «racinos», un amalgame de «racetrack» et de «casino».

On note des écarts régionaux dans les réponses aux questions sur la popularité des appareils de loterie vidéo. C'est dans les provinces maritimes que l'on constate la plus forte opposition à ces appareils, puisque 62 p. 100 des répondants sont en faveur de leur interdiction. En Colombie-Britannique, 44 p. 100 des répondants appuient l'interdiction et en Ontario, où ils sont le moins populaires, 37 p. 100 des répondants appuient leur interdiction. En Ontario, il n'y a pas d'appareil de loterie vidéo dans les établissements qui servent de l'alcool. Plus de femmes que d'hommes croient que ces appareils devraient être interdits. Il y a plus d'hommes d'âge mûr qui sont opposés à leur utilisation que de jeunes hommes appartenant au groupe des 18 à 35 ans.

Au Centre, à l'Université McGill, nous sommes extrêmement inquiets de la prolifération des jeux de hasard au Canada et, en particulier, des appareils de loterie vidéo. Mme Gupta peut vous donner plus de détails sur nos travaux, qui ont permis de constater que, malgré l'interdiction aux mineurs d'utiliser les appareils de loterie vidéo, il semble très facile d'avoir accès à ces appareils et de s'en servir.

Le président: Madame Gupta, voulez-vous ajouter quelque chose avant la période de questions?

Mme Gupta: Non.

Le président: Avant de donner la parole au sénateur Beaudoin, j'aimerais vous poser une question, monsieur Derevensky. Vous avez dit qu'au Québec, les revenus annuels des appareils de loterie vidéo sont d'environ 1 milliard de dollars. Savez-vous où va cet argent et quelle en est la proportion, le cas échéant, qui est consacrée à informer la population sur la dépendance au jeu et à traiter les personnes qui ont une dépendance?

M. Derevensky: En général, au Québec, la totalité des revenus va à l'État. Les fonds ne sont pas réservés à un usage particulier. Toutefois, Loto Québec, l'organisme gouvernemental qui gère toutes les activités de jeu au Québec — loteries, appareils de loterie vidéo et casinos — réserve maintenant 20 millions de dollars au gouvernement provincial, au ministère de la Santé et des Services sociaux, pour la recherche sur les traitements et pour la prévention de la dépendance au jeu. C'est relativement nouveau. Vingt millions de dollars semblent une somme importante, mais les revenus nets tirés de tous les jeux de hasard au Québec atteignaient 1,3 milliard de dollars l'an dernier. Une proportion relativement modeste de cet argent est maintenant réinjectée dans le système.

Le président: J'aimerais obtenir une précision: le montant de 1,3 milliard de dollars représente tous les jeux de hasard, pas seulement les appareils de loterie vidéo?

M. Derevensky: Oui. C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir à la question qui a été posée hier à propos de la répartition des pouvoirs. En vertu du Code, il est criminel de se livrer à des jeux de hasard, et le droit pénal est interprété de manière très souple. Cela ne fait aucun doute. Les provinces sont en cause jusqu'à un certain point, mais le fait est que malgré cela, les articles du Code criminel prévoient des exemptions, entre autres. Je crois que le partage des compétences entre Ottawa et les provinces est respecté. Toutefois, il existe une collaboration, ou un lien interprovincial, entre Ottawa et les provinces. Tout est inclus dans la définition d'un crime que contient le Code criminel, y compris les exemptions.

Nous avons soulevé cette question hier. Le sénateur Lapointe ne s'oppose pas au jeu dans les casinos et dans certains autres endroits; il s'oppose au jeu dans les bars. Il veut éliminer cela. C'est une question d'endroit.

Toutefois, le fait est que l'article du Code criminel qui est en cause est rédigé de manière telle que l'endroit est maintenant visé par les dispositions pénales.

M. Derevensky: Cette question relève davantage des juristes que des psychologues. Mais, cela dit, notre interprétation du projet de loi est que le jeu serait cantonné à des établissements principalement consacrés au jeu. Nous craignons que beaucoup des endroits où vous pouvez maintenant trouver des appareils de loterie vidéo choisissent alors de devenir des établissements de jeu et suppriment tous leurs autres services, puisque la majorité de leurs recettes proviennent du jeu.

Quant à nous, nous croyons que le gouvernement fédéral doit réglementer le jeu de manière beaucoup plus stricte au Canada. Toutefois, il semble indiqué que ce soient les légistes qui déterminent si cette responsabilité est de compétence provinciale ou fédérale.

Le sénateur Beaudoin: Certains d'entre nous ont soulevé la question de la discrimination. Les riches iront au casino et feront tout ce qu'ils veulent. Ceux qui ne sont pas riches vont dans les bars et ils y dépensent leur argent, mais ils ont moins d'argent. Je ne pense pas qu'il y ait discrimination dans la façon dont la Charte des droits et libertés, à titre d'exemple, serait appliquée ici. Je ne sais pas.

Mme Gupta: Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il ne devrait pas être si facile d'avoir accès aux appareils de jeux électroniques — au point où des gens se retrouvent en train de jouer alors qu'ils n'en avaient pas l'intention, simplement parce qu'ils sont ou qu'ils passent à un endroit qui annonce la présence de tels appareils.

Nous constatons que beaucoup d'individus deviennent dépendants au jeu de manière fortuite. Ils sont dans un bar à attendre un ami, ou ils marchent dans la rue et voient une affiche les invitant à entrer, et ils trouvent un jeu qu'ils n'avaient jamais eu l'intention d'utiliser. Ce scénario est très fréquent dans les régions où on trouve des appareils de loterie vidéo dans les bars.

Le deuxième problème est que, pour les gens qui ont une dépendance au jeu, ou ceux qui jouent beaucoup avec ces appareils et qui souhaitent réduire cette activité ou y mettre fin, il est très difficile de le faire à cause de la prolifération de ces appareils autour d'eux. Les adolescents et les jeunes adultes que nous traitons à notre centre de l'Université McGill nous demandent notamment: «Comment puis-je cesser de jouer alors que partout où je regarde, je sais qu'il y a un appareil dans tel bar, ou que quelque chose m'attire irrésistiblement parce qu'il y a un appareil dans tel autre bar?» C'est quelque chose qu'ils ne peuvent pas éliminer de leur environnement. Beaucoup d'entre eux veulent s'enfermer chez eux et ne pas sortir — d'où la nécessité, parfois, d'hospitaliser les patients dans un centre de traitement.

Il semble y avoir des appareils de loterie vidéo partout. Dans notre province, et dans les provinces où il peut y en avoir dans les bars, ces appareils sont très visibles. L'autre jour, je me rendais travailler en voiture et j'ai vu des enfants qui attendaient l'autobus scolaire juste en face d'un bar où une affiche annonçait des appareils de loterie vidéo. Les enfants regardaient l'affiche, ne sachant évidemment pas de quoi il s'agissait. Toutefois, c'est vraiment très visible.

M. Derevensky: J'aimerais aussi souligner qu'une étude récente menée en Alberta a permis de constater que 61 p. 100 des joueurs pathologiques et 45 p. 100 de ceux qui avaient un problème modéré présentaient une dépendance particulière aux appareils de loterie vidéo. Une étude semblable a permis de constater que parmi 3 100 individus qui ont demandé à être traités en Ontario au cours de la dernière année, 67 p. 100 avaient une dépendance aux appareils de loterie vidéo.

Bien que la dépendance au jeu ne soit pas exclusivement liée aux appareils de loterie vidéo, il semble qu'une forte proportion des revenus provienne de joueurs pathologiques qui utilisent des appareils de loterie vidéo, et que les individus qui demandent de recevoir des traitements ou qui éprouvent de graves difficultés présentent généralement une dépendance à ces appareils.

Je suis d'accord avec Mme Gupta pour dire que la grande accessibilité des appareils fait en sorte qu'il est très facile pour les joueurs pathologiques d'entrer à quelque part pour cinq minutes et d'y passer le reste de la journée.

Le sénateur Joyal: Monsieur Derevensky et madame Gupta, je lis dans votre document que vous travaillez au Centre international d'étude pour le jeu et les comportements à risque chez les jeunes. Pourriez-vous me donner des détails sur vos antécédents professionnels et m'indiquer à quelle faculté de l'Université McGill vous êtes rattachés? Nous n'avons pas reçu de notes biographiques sur nos témoins. Il serait utile de consigner cette information au procès-verbal parce que, comme vous le savez, le compte rendu de nos délibérations est publié et beaucoup de gens liront celui de notre réunion d'aujourd'hui. Vous pourriez peut-être commencer par cela.

Mme Gupta: Certainement. Je suis pédopsychologue — psychologue clinicienne dans la province du Québec. Je travaille à l'Université McGill, à la faculté d'éducation et au département de la psychologie scolaire et de l'orientation.

M. Derevensky est employé au même département. Grâce à une recherche conjointe que nous avons amorcée en 1993-1994, nous avons accumulé suffisamment de fonds pour créer un centre, à McGill, qui s'intéresse en particulier à la question du jeu, notamment parmi les jeunes.

M. Derevensky: Je suis également employé au département de psychiatrie à McGill. Même si nous sommes payés par le ministère de l'Éducation, nous avons fait beaucoup de travail dans le domaine médical, en psychiatrie. Nous menons des projets conjoints avec l'Institut neurologique de Montréal, à McGill, ainsi qu'avec d'autres instances du genre dans le monde entier.

Le mandat de notre centre est très précis et vise la prévention. Nous avons une équipe de prévention qui prépare de la documentation pour les écoles et nous organisons des ateliers et de la formation à l'intention des dispensateurs de traitement, ainsi qu'à celle d'autres spécialistes et chercheurs dans le domaine de la prévention dans le monde entier.

Le sénateur Joyal: Pour commencer, j'aimerais essayer de comprendre toutes les répercussions — d'abord les répercussions économiques et, bien sûr, les répercussions sociales. Lorsque vous avez expliqué les répercussions sociales, vous avez abordé la question de certaines répercussions économiques. Pouvez-vous nous indiquer pour chaque province le montant des recettes produites par les ALV? Disposez-vous de ces données?

M. Derevensky: Je n'ai pas le total de ces montants. J'ai par contre les dépenses annuelles de jeu per capita liées aux ALV, par province. Pour la Colombie-Britannique, il s'agit de 451 $ — il s'agit de jeu, non pas d'ALV, puisqu'il n'y en a pas dans cette province.

Le sénateur Joyal: D'accord.

M. Derevensky: En Alberta, les ventes quotidiennes par ALV s'élèvent à 338 $, les dépenses annuelles de jeu per capita étant de 781 $. En Saskatchewan, les ventes quotidiennes s'élèvent à 168 $, et les dépenses annuelles per capita à 672 $. Au Manitoba, les ventes totales s'élèvent à 112 $ et les dépenses annuelles de jeu per capita à 612 $. En Ontario, il n'y a pas d'ALV, seulement des machines à sous dans les hippodromes, et les dépenses annuelles de jeu per capita s'élèvent à 527 $. Dans la province du Québec, les ventes quotidiennes par ALV s'élèvent à 199 $. À titre d'information, nous avons dans notre province 14 200 appareils; si vous multipliez ce chiffre par 200 $, vous arrivez aux taux annuels. Nous avons des dépenses annuelles de jeu per capita de 604 $.

Au Nouveau-Brunswick, les ventes quotidiennes provenant des ALV s'élèvent à 110 $, et les dépenses annuelles de jeu per capita à 435 $. En Nouvelle-Écosse, les ventes quotidiennes s'élèvent à 138 $, les dépenses annuelles de jeu per capita à 595 $. À l'Île-du-Prince-Edouard, les dépenses quotidiennes s'élèvent à 98 $ en ce qui concerne les ALV et les dépenses de jeu per capita, à 396 $. À Terre-Neuve, les ventes totales s'élèvent à 116 $ pour ce qui est des ALV et les dépenses annuelles de jeu per capita à 531 $.

Parmi toutes les provinces — et il ne faut pas oublier que les deux plus importantes, soit l'Ontario et la Colombie- Britannique, ont choisi de ne pas avoir d'ALV pour l'instant, à tout le moins — les ventes quotidiennes moyennes par ALV au Canada s'élèvent à 187 $; les dépenses annuelles de jeu per capita à l'échelle du pays s'élèvent à 557 $.

Le président: J'aimerais une précision. Je n'ai pas bien compris lorsque vous avez donné le chiffre pour le Québec, lorsque vous avez indiqué le nombre d'appareils. Je croyais que vous nous donniez les dépenses quotidiennes per capita. Voulez-vous parler de tous les appareils?

M. Derevensky: Non, il s'agit de 199 $ par jour par appareil.

Le président: Par appareil?

M. Derevensky: Oui.

Le président: Je ne l'avais pas compris et je ne sais pas si d'autres sénateurs l'ont compris.

Le sénateur Andreychuk: J'ai une question au sujet des autres. Vous nous avez donné les chiffres quotidiens pour la Colombie-Britannique alors que cette province n'a pas d'ALV. Pourriez-vous revenir sur les chiffres? Vous semblez avoir utilisé des données différentes de référence.

M. Derevensky: J'ai indiqué qu'en Colombie-Britannique, il n'y a pas de recettes quotidiennes ALV, mais que les dépenses annuelles de jeu per capita dans cette province s'élèvent en général à 451 dollars.

Les deux provinces dont je n'ai pas parlé pour ce qui est des dépenses quotidiennes ALV sont l'Ontario et la Colombie-Britannique.

Le président: Voyons si j'ai bien compris. Pour le cas du Québec, par exemple, vous nous avez donné deux chiffres, 199 dollars per capita.

Le sénateur Joyal: Par jour, par année.

M. Derevensky: Par ALV.

Le président: Par ALV, 604 dollars étant le montant brut pour tous les genres de jeux.

M. Derevensky: C'est exact.

Le sénateur Joyal: Nous essayons de comprendre le phénomène. C'est la première fois que j'essaie d'en comprendre la portée et les ramifications.

Savez-vous combien chaque province gagne à partir de ces appareils? En d'autres termes, connaissez-vous le nombre d'appareils dans chaque province, ce qui vous permettrait de multiplier la moyenne per capita par jour? Vous avez parlé du Québec; hier, on nous a dit que le Québec gagne 980 millions de revenu grâce aux ALV. Je crois que l'on nous a également donné le chiffre pour l'Alberta. Avez-vous de tels chiffres pour les autres provinces afin que nous puissions savoir exactement quel est l'impact de l'existence et de l'exploitation de ces appareils sur le revenu provincial?

M. Derevensky: Je n'ai pas ces chiffres ici, mais nous pourrions certainement les transmettre à votre comité.

Il est important de souligner toutefois que si l'on supprime les recettes ALV du revenu d'un gouvernement provincial, elles ne vont pas disparaître. S'il n'y a pas d'ALV, les joueurs ALV vont aller au casino pour jouer aux machines à sous qui, à de nombreux égards, sont semblables aux ALV. Il est donc faux de dire que si nous retirons complètement les ALV d'une province, nous en diminuons proportionnellement les recettes.

Mme Gupta: Les personnes qui sont touchées sont en fait les propriétaires de bar, vu qu'ils vont perdre la totalité des recettes générées par les appareils dont ils sont propriétaires.

Le sénateur Joyal: Vos observations doivent être nuancées. Dans une province où il n'y a pas de casino, si vous retirez les ALV de tout lieu public, vous vous retrouvez avec une perte nette. Les fonds ne seraient pas déplacés, à moins que les gens n'achètent davantage de billets 6/49, de tickets à gratter, etc. Dans ces conditions, bien sûr, les recettes peuvent se déplacer. Dans chaque province, l'impact de la perte de revenu ne serait pas le même.

Mme Gupta: Si je comprends bien, la proposition ne vise pas à retirer complètement les ALV de la société, mais plutôt à en limiter le nombre et à les placer dans les établissements de jeux. Il s'agirait donc de les retirer des bars et de les placer dans ce que l'on appellerait des mini-casinos ou des hippodromes — lieux qui ne font pas vraiment partie de la vie quotidienne — mais pas nécessairement de les supprimer totalement et d'éliminer les recettes des provinces.

M. Derevensky: J'aimerais également indiquer que la recherche n'est pas suffisante dans ce domaine pour l'instant et qu'elle ne permet donc pas de prévoir précisément ce qui se passerait si l'on diminuait de moitié le nombre de tels lieux. On ne peut que se lancer dans des hypothèses, on ne le sait pas.

Le sénateur Joyal: Il est important pour nous de le savoir. Nous voulons connaître toutes les conséquences d'un tel projet de loi. Je vous remercie de l'indiquer aux fins du compte-rendu, car nous recherchons des chiffres qui risquent de ne pas être disponibles.

Mon autre question relative au revenu vise le propriétaire de bar. Avez-vous des chiffres sur le montant d'argent produit sur le marché — et non pas au gouvernement provincial — par suite de l'existence et des recettes de location des ALV dans ces entreprises? Avez-vous des chiffres à ce sujet? Y en a-t-il?

M. Derevensky: Si je comprends bien, si les ALV étaient supprimés, vous voulez savoir quel en serait l'impact sur leur entreprise, mis à part les recettes ALV. Est-ce bien là le sens de votre question?

Le sénateur Joyal: Oui, exactement.

M. Derevensky: Nous ne disposons pas de données à ce sujet.

Le problème de certains des ALV, c'est que même si chaque province a établi des règlements fixant le nombre maximum d'appareils autorisés dans un établissement donné, ces règlements ne sont pas vraiment respectés. Au Québec, la loi initiale prévoyait que pour chaque licence pour débit de boisson, on pouvait avoir cinq appareils au maximum, or, cette loi a été contournée, deux ou trois bars étant construits dans le même établissement, ce qui a permis aux gens de dire «nous avons trois licences pour débit de boisson, nous les multiplions par trois et par conséquent, nous pouvons avoir 15 appareils». Les deux autres bars ne sont jamais ouverts, mais 15 appareils sont autorisés et produisent un revenu important.

Le sénateur Joyal: Aux fins du compte-rendu, j'aimerais savoir combien d'ALV au total se trouvent dans les huit provinces canadiennes dont vous nous avez parlé. Avez-vous ce chiffre?

M. Derevensky: Désolé, je n'ai pas cette information, mais il est possible de l'obtenir et je pourrais la transmettre au comité.

Le sénateur Joyal: Mon autre question porte sur l'emplacement des ALV. Vous avez abordé ce point en indiquant que les jeunes ont facilement accès aux ALV. J'ai cru comprendre hier, d'après les témoignages entendus, que les ALV ne sont disponibles que dans les bars. Bien sûr, il faut avoir au moins 18 ans pour entrer dans un bar. Pourriez-vous expliquer le risque que représentent les ALV pour ce segment de la population qui, d'après vous, est plus vulnérable à l'attrait du jeu.

Mme Gupta: Vous avez raison de dire que les ALV se trouvent dans des établissements ouverts aux personnes âgées d'au moins 18 ans. Non seulement les retrouve-t-on dans les bars, mais aussi dans des restaurants-bars où le bar est à part du restaurant. Parfois, un enfant qui se trouve dans un restaurant voit parfaitement bien l'appareil et passe devant pour aller aux toilettes. On retrouve des ALV dans des salles de jeux électroniques où une paroi de verre délimite partiellement le secteur réservé aux personnes âgées d'au moins 18 ans. Là encore, ces appareils sont très visibles.

Nous savons fort bien que beaucoup de jeunes que nous traitons à McGill ont accès aux ALV et ont une dépendance à cet égard. Nous essayons par conséquent de comprendre comment ils y ont eu accès. Il semble, que tout comme beaucoup de jeunes qui n'ont pas l'âge requis arrivent à entrer dans les bars, etc., ils peuvent également aller dans des endroits où se trouvent des ALV. Certains peuvent utiliser une fausse pièce d'identité, même si les jeunes avec qui nous avons travaillé n'avaient pas besoin de le faire.

Plus une entreprise réalise de recettes grâce aux ALV, moins il est probable qu'elle ne retire ces appareils des lieux. Cette réalité a un impact considérable sur le propriétaire qui se soucie peu de la possibilité d'amende ou de peine s'il autorise des jeunes n'ayant pas l'âge requis à utiliser un ALV. Jusqu'à présent, je n'ai jamais entendu parler d'établissements qui aient subi de peine, qui aient dû payer une amende ou qui aient été contraints de retirer ces appareils sous prétexte qu'ils ont permis à des jeunes n'ayant pas l'âge requis d'avoir accès aux appareils.

C'est l'application de la loi et la surveillance qui font défaut. Les propriétaires des établissements gagnent beaucoup plus en fermant les yeux sur les jeunes qui utilisent un ALV. Statistique Québec qui vient juste de terminer une enquête sur tous les jeunes dans la province est arrivé à la conclusion que 10 p. 100 des jeunes avaient accès aux ALV dans les établissements où ils ne peuvent normalement pas entrer. D'après nos recherches dans la région de Montréal, essentiellement dans les écoles anglophones, 6 p. 100 des jeunes ont accès aux ALV sans aucune difficulté.

Il s'agit donc d'un manque d'application de la loi, d'un manque de surveillance et d'un manque de peine en cas d'infraction. Par voie de conséquence, les jeunes ont accès aux ALV, alors qu'ils ne le devraient pas.

Le sénateur Joyal: Dans votre déclaration liminaire, vous dites qu'il faudrait créer un comité national chargé d'examiner les questions relatives au jeu au Canada. Pourriez-vous préciser pourquoi ce serait essentiel, selon vous? En d'autres termes, comment serait-il possible d'améliorer la santé publique en gérant mieux les pratiques de jeu au Canada?

M. Derevensky: Des études nationales effectuées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, en Nouvelle- Zélande et en Australie ont abouti à d'importants changements de politique sociale, tant et si bien que nous commençons maintenant à avoir au Canada une meilleure image globale de la prévalence et des genres de problèmes de jeu, des méthodes de traitement des joueurs à problèmes, ainsi que des types d'initiatives de prévention mises sur pied dans notre pays. Cela nous permettrait également de demander à certains de nos organismes de financement d'injecter les fonds dans les secteurs où nous accusons les plus grandes faiblesses.

Nous voyons actuellement les problèmes de jeu comme une question de politique de santé publique. Il s'agit d'une démarcation importante des conceptualisations préalables des problèmes de jeu. Ce n'est pas simplement un problème personnel; nous avons une obligation de diligence ainsi que la responsabilité de participer à la protection de nos citoyens. Le fait de créer une commission nationale qui examinerait non seulement le jeu ALV, mais aussi la réglementation du jeu et l'accès à distance est très important.

Nous n'avons pas de normes nationales, par exemple, pour la publicité du jeu. Certaines lignes directrices provinciales définissent ce qui peut faire l'objet de publicité et ce qui ne le peut pas. Le Canada peut-il établir des lignes directrices pour ce qui est de la publicité et du public visé?

Mme Gupta: J'ai fait partie d'un comité international d'organisation qui cherchait à trouver une formule permettant de déterminer les coûts et les avantages sociaux de la légalisation du jeu dans nos sociétés. Ce comité en a conclu que nos pays et nos provinces ne réunissent pas suffisamment de renseignements statistiques pour y parvenir.

Une commission nationale déciderait des renseignements qu'il faut réunir et par qui — c'est-à-dire, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ou les deux? La commission ferait également en sorte que le fonds soit dirigé vers ces organisations pour assurer la collecte de ces renseignements.

À l'heure actuelle, dans beaucoup de provinces, les décisions sont prises sans aucune donnée empirique. Par exemple, les ALV sont dotés de dispositifs de sécurité qui signalent aux gens le temps qu'ils passent à jouer et également comment ils peuvent modifier la vitesse du jeu. Toutefois, rien de ceci n'a été évalué de manière empirique; c'est comme si la société, dans son ensemble, servait de cobaye.

Un organisme de réglementation serait en mesure de suivre ces questions; il permettrait de déterminer ce qu'il faut faire pour mieux prévoir ce qui peut se passer; il donnerait des conseils quant à la façon de prendre les décisions voulues pour protéger le public le plus possible, tout en autorisant le jeu.

Le président: Madame Gupta, dans l'une de vos publications, vous indiquez que les adolescents jouent plus que les adultes — certains commencent dès l'âge de 10 ans. Quelles sont les habitudes de jeu des enfants de 10 ans?

Mme Gupta: Je suis contente que cette question soit posée. Pour ce qui est des plus jeunes, nous nous apercevons qu'ils commencent à s'intéresser au jeu surtout à cause des billets de loterie, comme les tickets à gratter que vend Loto- Québec au Québec. Ces billets renforcent le jeu, car ils sont peu coûteux et ne sont pas considérés comme posant un problème pour les jeunes. Les parents encouragent d'ailleurs souvent les enfants à jouer. Les billets sont en général attrayants et souvent ornés de personnages de dessins animés. Il suffit de gratter le ticket pour savoir immédiatement si on a gagné ou perdu. Comme les ALV, ces tickets ont des «ratios de renforcement intermittent». Avec certains billets, vous recevez une carte gratuite qui vous permet d'en acheter un autre pour gagner un dollar avec lequel vous achetez un autre billet. Les enfants peuvent jouer ainsi pendant longtemps et devenir extrêmement intéressés.

À notre connaissance, peu de gens ont une dépendance à ces billets à gratter, mais ces derniers semblent mener à un comportement d'accoutumance — comme la cigarette pourrait conduire à l'usage de drogue. La loterie instantanée est très populaire auprès des plus jeunes. Dans ce groupe, on observe également d'autres formes de jeux non légalisés, comme les jeux de cartes à la maison avec parents et amis.

Dans notre recherche, on ne fait pas de distinction entre le jeu légalisé, le jeu organisé entre pairs et le jeu illégal comme les paris illégaux sur des événements sportifs. Chez les plus jeunes, le jeu se limite habituellement aux billets à gratter.

Le président: Il faut l'aide d'un adulte pour réclamer les prix.

Mme Gupta: Il y a à peine quelques années, il n'y avait aucun âge légal pour acheter des billets de loterie et jouer à la loterie au Québec. Même un enfant de moins de cinq ans pouvait réclamer un prix allant jusqu'à 500 $. Nous avons attiré l'attention de nos politiciens sur cette problématique, et une loi provinciale a été adoptée pour empêcher les jeunes d'acheter des billets de loterie, mais cette loi n'est pas bien appliquée, à notre avis, parce que de nombreux enfants ont accès à ces billets. Je ne sais pas s'ils réclament eux-mêmes les prix qu'ils gagnent ou si leurs parents le font pour eux. Quoi qu'il en soit, peu d'obstacles empêchent actuellement les jeunes de jouer.

Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie tous deux d'avoir effectué cette recherche sur le jeu. Lorsque j'étais juge et que je m'occupais des jeunes, on ne parlait même pas de ce sujet. Aucune recherche n'avait été faite. Je suis ravie que vous ayez fait cette étude. J'ai du mal à comprendre le projet de loi que nous avons devant nous, parce que trop peu de recherches ont été faites sur les conséquences liées aux appareils de loterie vidéo.

Vous avez comparé le processus d'accoutumance au jeu à l'usage du tabac et d'autres drogues. Or, certains chercheurs continuent de réfuter cette thèse. Vous avez fait un rapprochement entre les appareils de loterie vidéo et les billets de loterie. Qu'en est-il des jeux vidéo, qui exercent un attrait puissant sur les jeunes? Il n'y a pas beaucoup de différence entre jouer et gagner à un jeu vidéo et jouer et gagner à un appareil de loterie vidéo. Non seulement vous pouvez gagner, mais vous pouvez aussi gagner quelque chose de tangible. Des recherches ont-elles été menées sur les nouveaux comportements qu'on observe chez les adolescents d'aujourd'hui, que la plupart d'entre nous n'avons pas connus, et qui causent des problèmes qu'il faut traiter?

Mme Gupta: Notre première recherche a été menée auprès de jeunes fréquentant des écoles primaires et secondaires de Montréal et portait sur le lien entre les jeux vidéo et le jeu de hasard. Nous avons constaté un lien très intéressant. Les adolescents ont effectivement de la difficulté à différencier les deux types de jeu. La plupart des personnes comprendront que les jeux vidéo reposent essentiellement sur la pratique et les habilités. Plus vous jouez, meilleurs seront vos résultats et vous atteindrez des niveaux supérieurs. Lorsque le jeu de hasard est présenté comme un jeu électronique, sur un écran semblable à celui des jeux vidéo, les gens semblent garder la même croyance à l'égard de cette activité. Ils ont tendance à croire que plus ils jouent, meilleurs sont leurs résultats. Ils transposent une illusion de contrôle sur un appareil de jeux de hasard.

Cette situation devient problématique. Bon nombre des appareils de jeux de hasard électroniques qu'on retrouve dans les casinos de Las Vegas comportent des graphiques de type Nintendo. Nous croyons que les entreprises qui conçoivent les graphiques pour ces machines tentent d'attirer les jeunes qui ont grandi avec les jeux vidéo. Des programmes de prévention et d'éducation dans les écoles doivent évidemment être mis sur pied pour contrer ce problème.

Le sénateur Andreychuk: Je me suis occupée de la réhabilitation de jeunes gens qui présentaient une accoutumance à l'alcool, aux drogues et au tabac. Nous parlions d'interdiction, mais c'est très difficile. Le projet de loi ne prévoit pas une interdiction absolue, mais ne fait que repousser le problème; il ne l'élimine pas.

Les contrôles sont-ils plus efficaces au niveau local qu'au niveau fédéral ou provincial? Lorsque le reniflage de colle est devenu problématique en Saskatchewan chez les jeunes adolescents de certaines communautés, certains villages et autres régions, on a jugé plus pertinent d'avoir des règlements municipaux pour réglementer l'entreposage de la colle — elle devait être gardée derrière un comptoir. Vos réponses correspondent à la réalité des communautés et au soutien qu'elles pourraient apporter à ce type d'interdiction. Est-ce qu'on obtiendrait des résultats plus probants de cette façon au lieu de déplacer les appareils de loterie vidéo?

En effet, rien ne montre dans vos statistiques que les jeunes ont moins de problèmes de jeu dans les deux provinces où il n'y a pas d'appareils de loterie vidéo. Est-ce que je me trompe? Est-ce qu'aucune recherche n'a été effectuée?

Mme Gupta: Très peu de recherches permettent de comparer les provinces. L'exemple du reniflage de colle est intéressant en comparaison avec ce à quoi nous nous attaquons dans l'industrie du jeu. L'industrie de la colle n'apporte rien aux budgets municipaux, contrairement à l'industrie du jeu. Il serait difficile de donner le contrôle aux municipalités et aux provinces sans supervision. Elles ont tout intérêt à faciliter l'accès puisqu'elles profitent des recettes.

À notre avis, c'est une des situations où il faut mettre en place des organismes indépendants de réglementation qui ne profitent pas des recettes de ces activités. Il y a conflit d'intérêts.

M. Derevensky: Nous croyons vraiment qu'il faut séparer la réglementation et la propriété gouvernementale du jeu, même dans les provinces qui ont adopté des lois rigoureuses pour empêcher les personnes mineures de jouer. Par exemple, il est interdit à une personne mineure d'acheter un billet de loterie en Ontario. Toutefois, quand on cherche à connaître le nombre de commençants qui ont reçu une amende, ont perdu leur permis ou ont été réprimandés, on constate qu'il n'y en a pas. La situation est la même au Québec et dans de nombreux États américains. Malgré le fait que nous ayons des lois, peu de mesures de suivi ont été prises à la suite d'opérations d'infiltration.

Le sénateur Andreychuk: Les municipalités et les provinces semblent profiter des recettes. Dans quelle mesure avez- vous analysé les avantages qu'en retire le gouvernement fédéral? Le système de loterie profite-t-il directement aux recettes fédérales? Y a-t-il des avantages indirects liés à la réduction des recettes et au partage des coûts? Dans quelle mesure ces facteurs sont-ils pris en considération dans une négociation provinciale-fédérale sur le partage des coûts?

M. Derevensky: Nous n'avons pas fait cette étude. Nos collègues du secteur économique se chargeront d'examiner ce type de partage. Nous avons fait part de nos inquiétudes aux ministres fédéraux lorsqu'ils ont tenté d'établir une loterie pour soutenir les équipes sportives au niveau fédéral. Les jeunes s'intéressent particulièrement aux sports et croient qu'ils peuvent prédire les résultats des matchs, et il faut interdire cette activité.

Le sénateur Andreychuk: Y a-t-il une pression constante? Nous n'avons pas réussi à interdire l'alcool et il faut continuellement se battre pour interdire l'alcool aux jeunes. La drogue, la cigarette, toutes les considérations concernant la production de revenu, le libre accès et le choix personnel entrent en jeu.

Pourquoi devons-nous croire que nous réussirons à faire interdire le jeu alors que nous avons échoué ailleurs?

M. Derevensky: Je ne crois pas que nous le pouvons. Dans les écoles, les jeunes sont sensibilisés aux problèmes causés par la drogue, l'alcool et la cigarette. Pourtant, rares sont les écoles dans l'ensemble du pays où l'on parle des problèmes de jeu. Nous avons été invités à prendre part à des discussions sur les soirées de casino avec des directeurs d'écoles secondaires qui voulaient en faire des activités de collecte de fonds. Il ne s'agit pas uniquement d'un problème sociétal, mais aussi d'un problème parental. Nous avons constaté que les jeunes sont souvent entraînés au jeu par leurs parents. Il faut plus d'annonces d'intérêt public. Il faut des campagnes de publicité ou des messages pour éduquer le grand public et faire comprendre que le jeu n'est pas inoffensif et sans conséquences négatives.

Mme Gupta: À mon avis, ce projet de loi n'est pas un projet d'interdiction. Il vise plutôt la réduction des méfaits et le devoir de diligence.

On n'a pas réussi à interdire l'alcool en société, mais on a des lois pour protéger les gens, par exemple en leur interdisant de boire de la bière dans la rue. Les propriétaires de bar et les barmen doivent veiller à ce que les gens ne conduisent pas s'ils sont ivres. Il y a aussi un certain devoir de diligence et une certaine responsabilité même à l'égard du tabac. Je sais que les commerçants sont plus vigilants dans le contrôle des cartes d'identité afin d'empêcher les jeunes d'acheter du tabac.

Il faut retenir que nous ne préconisons pas l'interdiction. Il faut assurer un équilibre entre permettre à l'industrie du jeu d'exister et protéger les personnes à haut risque, comme les groupes à faible revenu, les personnes montrant des signes de vulnérabilité et les jeunes dans les écoles. L'objectif est d'écarter le jeu des secteurs où il peut faire le plus grand tort, pour le confiner aux secteurs où il est le moins nocif. Nous ne savons pas si les revenus en seraient touchés, mais nous le saurons avec le temps.

Le sénateur Bryden: Vous nous avez parlé des personnes que vous traitez à McGill. Pouvez-vous nous dire comment vous traitez l'accoutumance? Quel type de personnes s'inscrivent à votre programme? Est-ce que ce sont des enfants? Pouvez-vous décrire votre programme de thérapie?

Mme Gupta: Jusqu'à présent, la plus jeune personne à s'inscrire à un traitement avait 14 ans et la plus âgée avait 22 ans, mais nous essayons de nous limiter aux jeunes de moins de 18 ans. Nous voyons des personnes de tous les milieux, de tous les niveaux de revenu familial et d'éducation.

En ce qui a trait aux tendances, nous voyons les types de jeu auxquels ils s'adonnent. Les problèmes d'accoutumance les plus importants sont ceux liés aux appareils de loterie vidéo, aux jeux de cartes qui se jouent au casino — certains y entrent illégalement tandis que d'autres ont plus de 18 ans — et aux paris sur les sports organisés par des preneurs aux livres. Ce sont les trois types de problèmes de jeu que nous avons tendance à traiter à notre centre.

La plupart des personnes sont de sexe masculin. Notre approche est globale et éclectique, c'est-à-dire que nous ne traitons pas exclusivement le comportement du joueur, mais nous tentons aussi de comprendre la cause de ce comportement. Nous croyons généralement que le jeu entre dans le paradigme des autres types de dépendance, dans lesquels on cherche à s'évader. Les gens vous diront: «Ma vie est tellement stressante que je me suis mis à boire jusqu'à ne plus le sentir ou en être conscient». C'est la même chose pour le jeu. Des jeunes aux prises avec des problèmes de dépression, d'anxiété ou de contrôle de soi, qui ont des difficultés à l'école en raison de problèmes d'apprentissage, qui perdent un parent ou dont les parents divorcent, découvrent que le jeu les transporte dans un autre monde. Le jeu leur permet d'oublier tous ces problèmes souvent pendant six, sept ou huit heures d'affilée grâce à un phénomène appelé «dissociation», qui vous fait perdre la notion du temps lorsque vous vous engagez dans cette activité.

Nous cherchons à dresser le profil de la personne. Pourquoi cette personne s'évade-t-elle par le jeu ou d'autres accoutumances? Certaines personnes sont aux prises avec des accoutumances multiples. Nous tentons de toucher les problèmes sous-jacents. Par conséquent, nous nous attaquons au problème de jeu pour l'atténuer et nous traitons les problèmes de dépression et de contrôle de soi; nous apprenons aux jeunes comment faire face aux difficultés et comment améliorer leur groupe de pairs; nous les amenons à s'engager davantage dans des activités régulières et quotidiennes qui conviennent à leur âge, nous les aidons à réintégrer le système scolaire et à élaborer un plan de remboursement de leurs dettes — ce qui est souvent nécessaire. Le programme est global et complet.

Nous avons la même approche avec chaque personne, mais nous ne traitons pas nécessairement chacun de la même façon. Le traitement est personnalisé, selon les besoins.

Le sénateur Bryden: Depuis combien de temps faites-vous cela?

Mme Gupta: Depuis huit ans?

M. Derevensky: Entre huit et dix ans.

Le sénateur Bryden: Combien de patients traitez-vous approximativement dans une année?

Mme Gupta: Le nombre varie, mais il n'est pas très élevé. Peu de jeunes se présentent pour recevoir un traitement. Au cours d'une année, il peut y en avoir entre cinq et dix. Le traitement dure longtemps. Nous suivons habituellement un jeune pendant un an. Il m'est arrivé d'en suivre pendant deux ou trois ans pour prévenir les rechutes.

Le sénateur Bryden: Quel est votre taux de réussite?

Mme Gupta: Il est difficile d'établir un taux de réussite, parce que nous n'avons pas de groupe témoin. Une recherche poussée nous obligerait à refuser le traitement à un certain nombre de jeunes pour que nous puissions comparer leurs résultats à ceux qui reçoivent un traitement. C'est de cette façon qu'on établit un taux de réussite fiable. Nous n'avons jamais eu besoin de refuser des soins, parce que nous ne sommes pas débordés. Nous croyons dans notre approche de traitement, et je ne pense pas qu'un si grand nombre de jeunes aient échoué. Je dirais que notre taux de réussite se rapproche des 90 p. 100.

Le sénateur Bryden: Attribuez-vous ce succès au traitement ou au fait que cette personne ait trois ans de plus?

Mme Gupta: Pardon?

Le sénateur Bryden: Est-ce que les jeunes ont tendance à éliminer le problème en vieillissant?

Mme Gupta: Non, certainement pas ceux que nous voyons. Lorsqu'un jeune se présente lui-même pour un traitement, il est rendu à une extrême limite de gravité et ne peut plus s'aider lui-même. J'attribue la majeure partie des améliorations à la relation thérapeutique, à l'approche et au soutien que nous obtenons auprès des familles et des amis.

Le sénateur Bryden: Vous faites cela depuis un certain nombre d'années. Avez-vous gardé le contact avec les premiers groupes que vous avez traités, en guise de suivi?

Mme Gupta: Avec deux membres du premier groupe seulement.

Le sénateur Bryden: Je ne parle pas seulement du premier groupe. Pendant combien de temps pouvez-vous rester en contact avec eux? Comment savez-vous si, deux ans après la fin du traitement, ils ne seront pas de retour et n'auront plus d'argent?

Mme Gupta: Dans la majorité des cas, nous n'avons pas de certitude après deux ans. Nous essayons de rester en contact pendant au moins un an. Nous pouvons ainsi voir s'il y a rechute et, comme dans tous les cas d'accoutumance, les taux de rechute sont élevés lorsqu'il n'y a pas un bon programme de prévention et de suivi. Les gens reviennent habituellement à ce moment-là.

Je connais des jeunes qui sont restés en contact depuis plus de six ans. Toutefois, pour la plupart des jeunes qui vont bien et qui réintègrent le système scolaire, nous présumons que les choses vont bien si nous ne les revoyons pas après un an.

M. Derevensky: De nombreuses personnes croient que ces habitudes s'estompent avec le temps; que les choses vont mieux lorsqu'on devient adulte et qu'on a un emploi et une famille.

Les conséquences à long terme d'une accoutumance au jeu sont très graves. Nous avons vu des jeunes qui ont quitté l'école et n'y retourneront jamais. Ils ont volé des membres de leur famille et ont brisé des liens qui ne seront jamais réparés. Les conséquences dont ils ont fait l'expérience — comme celles liées aux problèmes de drogue et d'alcool — se feront sentir longtemps, même s'ils ne jouent plus ou n'ont plus un problème de jeu.

Le sénateur Bryden: Nous essayons presque toujours de corriger un comportement en imposant une amende ou une sanction pénale. Nous donnons d'énormes amendes ou d'autres sanctions comme moyen de dissuasion, sinon pour punir la personne qui est fautive, du moins pour empêcher d'autres d'adopter un tel comportement. C'est ce que nous avons fait avec l'alcool et la drogue. Les États-Unis s'engagent toujours dans des guerres et luttent présentement contre la drogue. Leurs prisons sont remplies, surtout de jeunes noirs et hispaniques, qu'ils mettent maintenant à la rue après quelque 10 ans de détention. Environ 40 000 à 50 000 détenus seront libérés cette année, et ce nombre augmente. Les Américains ont tout simplement repoussé le problème.

À mon avis, aucune de ces approches n'a vraiment réussi à régler le problème. J'ignore même si elles peuvent atténuer le problème sans en créer d'autres.

Ce qui est encourageant dans bien des cas, c'est qu'on met l'accent sur la prévention, l'information et l'éducation. Cela aide beaucoup, particulièrement parce que les gens qui le souhaitent peuvent avoir accès à l'information et à l'éducation sur Internet.

Probablement la chose la plus encourageante que j'aie entendue sur le tabagisme chez les jeunes est un phénomène qui remonte à un an ou deux seulement. Dorénavant, les jeunes populaires dans les écoles secondaires sont les non- fumeurs et non plus les fumeurs. La pression des pairs me fait penser à l'analogie d'une personne qui pousserait une pierre jusqu'en haut d'une montagne. Elle pousse et pousse pendant longtemps et progressivement, elle réussit à franchir la crête. C'est le genre d'effort qu'il faut encourager et préconiser.

Je me demande si ce pourrait être un modèle pour vous aider dans la lutte contre la dépendance au jeu et pour la réduction des dommages qui en découlent.

M. Derevensky: Nous faisons beaucoup de recherche sur les problèmes liés au jeu chez les jeunes et les adolescents afin de déterminer les comportements typiques des enfants adeptes du jeu et ainsi de mieux comprendre les facteurs de risque qui nous permettront de concevoir des programmes de prévention plus efficaces. Nous sommes très fiers de dire que nous avons participé à l'élaboration d'un programme axé sur l'école, tant aux niveaux primaire que secondaire. Nous sommes en train de terminer l'essai d'un programme sur CD-ROM s'accompagnant d'un manuel pour les enseignants, qui sera gratuit dans toutes les écoles de la province du Québec afin d'intensifier la sensibilisation pour prévenir ce problème.

Nous pensons commencer à peine à prévenir le jeu. Nous devons créer des publicités plus efficaces et aider les parents à comprendre que le jeu peut engendrer des problèmes. L'un des adolescents qui est venu recevoir un traitement nous a dit: «On nous parle des problèmes de drogue et à d'alcool à l'école, mais personne ne nous a jamais dit que le jeu pouvait devenir un problème.»

Vous avez dit avec raison que le tabagisme et la consommation d'alcool chez les adolescents diminuent, de même que la consommation de drogues dans certaines populations, comme le montre l'enquête auprès des ménages réalisée aux États-Unis. Nous devons vraiment concentrer une bonne partie de notre travail sur la prévention. En tant qu'organisme, nous devons veiller à recevoir un financement suffisant pour concevoir des programmes de prévention efficaces et fondés sur des données scientifiques, puis pour les déployer dans tout le pays.

Le sénateur Joyal: Le problème ne vient-il pas en partie du fait que les gouvernements ne reconnaissent pas le jeu comme un problème de santé publique? Pour ce qui est du tabagisme, le gouvernement fédéral a investi des millions de dollars en campagnes de prévention. N'importe lequel d'entre nous qui regarde la télévision y verra une publicité. Le gouvernement provincial s'est lui aussi lancé dans cette voie. La semaine dernière, j'ai vu une série de publicités financée par le gouvernement du Québec et qui m'a semblé très percutante.

Il y a aussi diverses publicités contre la consommation d'alcool. Vous connaissez le slogan, «La modération a bien meilleur goût». Le gouvernement fédéral poursuit une campagne contre la consommation d'alcool depuis près de 25 ans. Cependant, je n'ai jamais vu de publicité — parrainée par le gouvernement provincial ou fédéral — visant à informer les gens d'un danger pour la santé publique de la gravité que vous décrivez.

Par conséquent, le premier objectif ne devrait-il pas consister à reconnaître le jeu comme un problème grave de santé publique? Cela ne serait-il pas justifiable?

M. Derevensky: Vous avez raison, sénateur. Nous travaillons en collaboration avec l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS), dont la portée s'étend à toutes les Amériques, à tenter de faire reconnaître ce problème comme un problème de santé publique. Nous essayons également de faire valoir à l'Organisation mondiale de la santé que les problèmes liés au jeu sont des problèmes de santé publique. L'un des membres de notre personnel fera une présentation à l'Association canadienne de santé publique, à Terre-Neuve, au printemps prochain, afin d'indiquer clairement que le jeu est un problème de santé publique.

On observe toutefois une petite différence entre le cas du jeu et les exemples du tabagisme et de la consommation d'alcool que vous nous avez donnés, puisque les gouvernements provinciaux sont propriétaires des installations de jeu. D'une part, ils essaient de combattre le jeu compulsif et d'en faire un enjeu de santé publique; d'autre part, ils ne veulent tout de même pas voir leurs recettes chuter. Dans les faits, la British Columbia Lottery Corporation, qui gère toutes les installations de jeu de la province, a reçu la consigne d'augmenter ses recettes. En effet, les ministres du Revenu et les hauts fonctionnaires des ministères des Finances des États-Unis disent à leurs organismes responsables du jeu, qui relèvent du gouvernement, d'augmenter leurs recettes. Il doit y avoir production de recettes.

Nous sommes dans une impasse, en quelque sorte, parce que si le gouvernement reconnaît le jeu comme un problème de santé publique, il s'en déclare presque responsable. Au pays — au Québec, en Ontario et en Colombie- Britannique — on remarque un nombre croissant de poursuites pour manque à une obligation de diligence. Si le gouvernement sait qu'il s'agit d'un problème de santé publique, comment se fait-il qu'il favorise ce comportement?

Le sénateur Smith: J'aimerais faire une observation dans le même sens. Le tabagisme, en particulier, se distingue du jeu par une longue histoire de données et de statistiques sur les dangers réels qu'il représente et les milliers de vies qu'il prend chaque année.

Il y a aussi une longue histoire de lutte contre la consommation excessive de boissons alcoolisées. Il y a quatre-vingts ans, les gens pensaient que la solution était la prohibition, vous le savez tous. Cela n'a pas vraiment fonctionné.

En ce qui concerne le jeu, par contre, je vous ai dit que j'avais toujours eu un petit penchant favorable aux courses de chevaux, puisqu'il s'agit d'une longue tradition. Ces courses nécessitent beaucoup de main-d'oeuvre, et une grande proportion des emplois se trouvent en régions rurales. Je ne crois pas qu'on entende les mêmes histoires d'horreur à cet égard, mais il peut y avoir des données à ce sujet.

Le phénomène des casinos, par contre, est plutôt récent. Je vous ai fait remarquer hier que des personnes comme J.S. Woodsworth et Tommy Douglas, les fondateurs de la CCF et du NPD — et même Stanley Knowles — se retourneraient dans leurs tombes s'ils savaient que c'est le gouvernement NPD, parmi tous les partis, qui a introduit les casinos en Ontario parce qu'il avait désespérément besoin d'argent.

Il est facile pour nous d'avoir l'air vertueux, et je suis très sensible au problème qui nous occupe. Je viens de Toronto, en Ontario. Bien qu'on trouve des appareils de loterie vidéo partout, l'Ontario est l'une des deux provinces où il n'y en a pas. Il est facile pour moi de prodiguer des conseils gratuits aux résidents des huit autres provinces qui sont en plus grave état de péché à cet égard. Cependant, je suis certain qu'ils voudraient récupérer les recettes perdues d'une autre façon, et certaines provinces, dont le Québec, verraient toute intrusion dans une sphère de compétence provinciale comme un blasphème, une tricherie ou de la trahison. Vous venez tous les deux du Québec, donc vous savez de quoi je parle.

Il faut tenir compte de ce genre de chose. Je suis certain que vous y avez déjà réfléchi. Si vous avez des observations ou des commentaires à formuler à cet égard, je serais très heureux de les entendre.

Mme Gupta: Nous sommes ici pour présenter tous les faits et les données que nous avons compilés au fil du temps. Je crois personnellement que nous devons viser un certain équilibre. Nous ne souhaitons pas éliminer complètement une chose de la société ni bouleverser complètement son économie simplement pour protéger un certain pourcentage de la population susceptible d'avoir des problèmes de jeu compulsif.

Le sénateur Smith: Avant que vous ne partiez, j'aimerais vous demander ce que vous pensez des courses de chevaux.

Mme Gupta: Nous ne nous sommes pas beaucoup penchés sur la question des courses de chevaux. Ce n'est pas un champ d'intérêt marqué chez les adolescents et les jeunes dont nous nous occupons. Le phénomène le plus près des courses de chevaux auquel j'ai été confrontée dans mon travail avec nos patients est celui des pistes de chevaux animées qu'on trouve au casino. Il y a beaucoup d'appareils de loterie vidéo aux pistes de courses de Montréal, et il arrive parfois qu'on y tienne des jeux de table, qui présentent des problèmes particuliers. Cependant, je dirais en gros qu'il y a des formes de jeu qui semblent moins problématiques que d'autres.

Au début de son exposé, M. Derevensky a demandé à ce qu'on surveille de plus près les effets des différents types de jeu sur notre société en termes de bien-être et de coûts. Nous savons que pour la plupart, les appareils de jeu électroniques semblent être ceux représentant la plus grande menace au bien-être de nos citoyens. Nous ne voulons pas nécessairement empêcher toutes les autres formes de jeu dans notre société. Nous visons un équilibre.

On a parlé de programmes de prévention. On a parlé aussi de publicité et de toute la question de la santé publique. La volonté de protéger les gens contre les effets négatifs du jeu compulsif doit transparaître à divers niveaux. Nous ne pouvons déployer nos efforts à un seul endroit, mais pas ailleurs. Les travaux de nombreuses commissions d'autres pays montrent que l'accessibilité est le plus grand facteur déterminant de préjudices en bout de ligne. C'est une chose. La publicité et l'éducation en sont une autre.

Il faut examiner la question à divers niveaux. Nous ne pouvons pas nous précipiter d'un côté pour protéger les gens et négliger tous les autres de l'autre. Dans une perspective de santé publique, il faut chercher un équilibre et trouver un moyen de permettre le jeu dans nos sociétés tout en protégeant les personnes le plus possible.

Le président: Je vous remercie infiniment, madame Gupta et monsieur Derevensky, d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer ce matin. Votre exposé, ainsi que vos réponses et observations ont été très informatifs et utiles. Ces renseignements aideront beaucoup le comité dans ses délibérations. Je vous remercie encore une fois d'être venus.

La séance est levée.


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