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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 2 - Témoignages du 26 février 2004


OTTAWA, le jeudi 26 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, concernant la procréation assistée et la recherche connexe, se réunit aujourd'hui à 11 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes réunis pour poursuivre l'audition des témoins sur le projet de loi C-6, loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe.

Nous accueillons ce matin un certain nombre de témoins représentant diverses confessions religieuses. Je vous remercie tous d'être venus. Je sais que l'archevêque est venu de Halifax et je lui en suis reconnaissant. Je suis ravi que vous ayez réussi à venir malgré la très forte tempête de neige là-bas.

Voici comment nous procédons. Nous demandons à chacun d'entre vous de faire une brève déclaration, après quoi nous vous poserons des questions à tous, collectivement, plutôt que de le faire après chaque exposé.

Nous entendrons d'abord Mgr Terrence Prendergast, archevêque de Halifax. Merci d'être venu.

Mgr Terrence Prendergast s.j., archevêque de Halifax, Conférence des évêques catholiques du Canada: Je suis heureux d'être ici avec vous aujourd'hui et je tiens à vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole.

Dans mon allocution de ce soir, je reprendrai essentiellement l'intervention du président de la Conférence des évêques catholiques du Canada en octobre dernier, quand le projet de loi a été adopté à la Chambre des communes. Cette position est appuyée et réaffirmée par l'archevêque O'Brien, actuel président de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Comme bien d'autres organisations provenant de différents secteurs de la société, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) s'est vivement intéressée aux implications éthiques, juridiques et sociales des techniques de reproduction humaine et de génétique, depuis la création de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, le 15 octobre 1989.

Lorsqu'en janvier 2003, la Chambre des communes entreprit la troisième lecture de ce projet de loi, la CECC a publié une déclaration demandant que le projet de loi soit amendé de telle sorte que soit interdite la recherche sur les embryons et que soit assurée l'interdiction de toutes les possibilités de clonage. Cette déclaration se terminait en priant Dieu que soient données sagesse et grâce aux membres du Parlement afin que par eux adviennent le bien, le meilleur pour les humains d'aujourd'hui et de demain.

[Français]

La Chambre des communes a conclu l'étude d'un projet de loi dont la complexité était considérable et substantielle. Il ressort de tous ces travaux que plusieurs parlementaires ont durement et longuement travaillé afin que soit protégées la vie et la dignité humaine. Nous avons accueilli favorablement l'amendement visant à accroître l'efficacité des dispositions concernant l'interdiction du clonage. Tout au long de cette dernière étape du processus législatif, amorcé en mai 2001 par l'avant-projet de loi, nous avons reconnu qu'il y avait lieu d'appuyer de nombreux éléments, notamment l'interdiction du clonage reproductif et thérapeutique, celle de l'exploitation commerciale de la maternité de substitution, de l'altération de la lignée germinal, de la commercialisation du sperme, des ovules et des embryons, de même que le fait de reconnaître offensant l'inclusion de l'embryon dans la définition du matériel reproductif humain. Au moment où le Sénat canadien s'apprête à débattre du projet de loi C-6, nous souhaitons réitérer que, tout en ayant des aspects positifs, ce projet de loi comporte de sérieuses lacunes. Dans les lignes qui suivent, nous voulons tout d'abord exposer de manière succincte notre conception de l'embryon humain, considérant celui-ci comme un individu méritant notre protection. Et, puisque les législateurs catholiques ont la responsabilité de veiller au bien commun de la société, nous souhaitons proposer quelques pistes d'orientation à cet égard.

Je vous entretiendrai maintenant de l'humanité de l'embryon. Après plusieurs mois d'audiences publiques, le Comité permanent de la Santé de la Chambre des communes a entendu, tant des scientifiques que des experts en éthique, définir l'embryon comme étant un être humain. Ceux-là même qui considèrent que le terme d'être humain est plutôt d'ordre philosophique que biologique, acquiesceraient au fait que les embryons soient des humains, — que nous avons tous été au début de notre vie des embryons —, que la vie humaine se déploie dans un continuum, et que véritablement l'embryon est l'un des nôtres.

La raison tout comme la foi alimente la position catholique qui soutien que l'être humain doit être respecté et traité comme une personne dès son origine. Cela signifie que lorsqu'il s'agit de recherche ou de traitement, l'embryon doit être considéré comme un sujet et non un objet ou un moyen pour atteindre une fin. Aucune intervention ne devrait être entreprise si celle-ci ne contribue pas au bien-être de l'embryon ou au respect de son intégrité. Le problème qui subsiste, en ce qui concerne la recherche sur les cellules souches embryonnaires est le suivant: Bien que cette recherche puisse apporter des bienfaits aux personnes souffrantes de maladie, il demeure que celle-ci porte un préjudice irrémédiable à l'embryon qui meurt en raison du procédé utilisé. En fin de compte, les embryons sont exploités pour le bénéfice d'un tiers.

[Traduction]

Certains allégueront que les embryons générés en trop lors des traitements de l'infertilité mourront de toute façon, alors pourquoi ne pas en tirer un bien? Il n'est pas nécessaire que nous intervenions auprès de ces embryons pour qu'un bienfait ou mieux encore un sens soit donné à leur vie. Le bien et le sens de leur vie existent intrinsèquement parce qu'ils sont des humains. Au regard de la foi, ils sont connus et aimés de Dieu. Il demeure donc inutile de leur trouver un sens, particulièrement quand il n'est question que de justifier la décision de rendre disponible pour des fins de recherche des embryons humains.

Bien que nous réalisions que notre position quant à la protection de l'embryon écartera la recherche sur les cellules souches embryonnaires, recherche qui a soulevé tant d'espoir, nous sommes persuadés que la recherche sur les cellules souches adultes, qui fait montre de remarquables progrès, peut progresser davantage et qu'elle possède le potentiel requis pour combler tous ces espoirs. Par le fait même, nous pourrions, dans le domaine des technologies de reproduction et malgré la pression de puissants intérêts mercantiles au niveau international, signaler au monde que le Canada s'est engagé à respecter, à protéger et à inclure tout un chacun de la famille humaine.

Les délibérations du Comité permanent de la santé et l'intensité des débats à la Chambre des communes indiquent la complexité de ce projet de loi tant d'un point de vue scientifique qu'éthique. De toute évidence, ce projet de loi met en cause des intérêts opposés. Tout au long de ce débat, nombre d'hommes et de femmes de bonne volonté et de bonne foi ont déployé tous leurs efforts afin que soit protégée la vie humaine et promue la dignité de la personne et ils continueront de le faire.

Certes, les parlementaires catholiques doivent constamment chercher à protéger la vie et la dignité humaines. Cependant, cet objectif peut, en toute légitimité, s'exprimer de différentes manières. Nous n'avons donc pas l'intention de dire aux sénateurs catholiques comment ils doivent voter parce que c'est leur responsabilité de discerner la meilleure façon de protéger la vie et la dignité humaines, en considérant toutes les ressources mises à leur disposition, en autres l'enseignement de l'Église, mais aussi leur jugement personnel face aux réalités socio-politiques en jeu. L'encyclique bien connue du Pape Jean Paul II, Evangelium Vitae (l'Évangile de la vie), reconnaît aux parlementaires responsables de promouvoir le bien commun la nécessité de poser un jugement prudentiel. Au paragraphe 73, le Pape déclare:

Un problème de conscience particulier pourrait se poser dans les cas où un vote parlementaire se révélerait déterminant pour favoriser une loi plus restrictive, c'est-à-dire destinée à restreindre le nombre des avortements autorisés, pour remplacer une loi plus permissive déjà en vigueur ou mise aux voix [...] Dans le cas ici supposé, il est évident que, lorsqu'il ne serait pas possible d'éviter ou d'abroger complètement une loi permettant l'avortement, un parlementaire dont l'opposition personnelle absolue à l'avortement serait manifeste et connue de tous pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d'une telle loi et à diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publiques. Agissant ainsi, en effet, on n'apporte pas une collaboration illicite à une loi inique; on accomplit plutôt une tentative légitime, qui est un devoir, d'en limiter les aspects injustes. (Le souligné fait partie de la citation originale).

[Français]

Ce passage d'Evangelium vitae est cité dans la récente note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi, publiée le 24 novembre 2002 et intitulé: «À propos des questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique.» Cette note doctrinale rappelle également aux catholiques qu'ils ont le droit et le devoir d'intervenir pour rappeler le sens le plus profond de la vie qui comprend le bien commun et le bien intégral de la personne humaine et, en particulier, les droits de l'embryon humain.

Pour conclure, voici des paramètres déterminants, selon nous, et qui devront être considérés par les sénateurs tout particulièrement dans ce projet de loi. Les éléments positifs du projet de loi et ses provisions assurant la protection de l'embryon humain, l'absence alarmante de dispositions interdisant la recherche sur l'embryon et les conséquences encourues dans la prolongation du vide juridique actuel.

Nous vous assurons de nos prières afin que vos délibérations soient éclairées par la raison et confirmées par une foi empreinte d'espérance.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, Monseigneur l'Archevêque. Notre deuxième intervenant ce matin est Mme Samaa Elibyari, qui est directrice nationale du Congrès islamique canadien.

Mme Samaa Elibyari, directrice, Congrès islamique canadien: Au nom du plus bienfaisant, du plus miséricordieux, je vais commencer par vous donner les sources de jurisprudence en Islam.

Le système légal en Islam, désigné par le mot Shari'ah, est dérivé de deux sources essentielles: les lois telles qu'énoncées dans notre livre saint, le Coran; et les traditions, ou Hadith, qui sont des textes décrivant en détail la vie et les dires de notre Prophète Mohamed (Paix et Salut sur lui). Pour légiférer sur des situations qui ne sont pas explicitement mentionnées dans l'une ou l'autre des sources précédentes, les érudits doivent se fier à Ijtihad, un processus d'analyse méthodique. À travers ijtihad, ils vont discuter et réfléchir sur les principes du Coran ou s'inspirer de situations semblables trouvées dans les traditions pour arriver à résoudre un problème moral actuel.

Quelle est la perspective islamique sur la recherche en médecine? L'Islam encourage fortement les musulmans et musulmanes à s'instruire, en particulier en sciences. Donc, la recherche médicale est considérée comme un acte de foi, tant qu'elle soit faite dans un but de bienfaisance et selon les principes d'éthique islamiques. De ce fait, l'idée de la procréation humaine assistée est acceptée, pourvu que les notions d'embryon, de foetus et de famille soient définies en accord avec les normes islamiques.

Voyons quelles sont les notions islamiques que nous trouvons problématiques. Les juristes musulmans font une distinction claire entre les différentes étapes d'un organisme humain. La première étape englobe les 40 premiers jours, à la fin desquels la matière acquiert une âme.

[Français]

On peut donc dire qu'à la fin de cette période, l'organisme humain acquiert une âme.

[Traduction]

L'étape intermédiaire comprend les 40 jours suivants; et l'étape avancée, encore 40 jours. Après ces trois étapes, le foetus est considéré comme une personne à part entière ayant une âme et un corps et jouissant de droits légaux. Je donne les références dans mon document.

Pour ce qui est de «la santé et le bien-être», pour reprendre l'expression du projet de loi C-6, les musulmans croient que l'intérêt supérieur de l'enfant est mieux servi s'il naît et est élevé au sein d'une famille traditionnelle, c'est-à-dire une famille formée d'un homme et d'une femme légalement mariés. Un examen du projet de loi C-6 après une durée de deux ans, au lieu de trois, est aussi recommandé. Étant donné ce qui précède, le Congrès islamique canadien fait les recommandations suivantes.

À l'alinéa 2b), à la ligne 16, nous proposons d'insérer le mot «traditionnelles» après le mot «familles». À l'alinéa 2e), après les mots «procréation assistée», nous aimerions que l'on insère «doivent être un couple légalement marié; c'est-à- dire un homme et une femme dans un mariage traditionnel». À l'article 3, tout en haut de la page 3, le mot «embryon» signifie «organisme humain jusqu'au 43e jour» au lieu de «56e jour». De même, à l'article 3, à la définition de «foetus», nous voudrions que l'on lise «organisme humain à compter du 41e jour de développement» au lieu de «57e». Enfin, au sujet de l'examen parlementaire exigé à l'article 70, nous voudrions que cet examen soit obligatoire après deux ans au lieu de trois ans.

Telles sont nos recommandations.

Le rabbin Reuven Buka, président, Comité des affaires religieuses et inter-religieuses, Congrès juif canadien: C'est avec plaisir que je témoigne devant vous au nom du Congrès juif canadien. Je voudrais pour commencer vous remercier tous de m'avoir invité, et aussi dire que si ce que je vais vous dire constitue en quelque sorte une position officielle, nous ne nous sommes pas prononcés sur cette question par un vote ou quoi que ce soit, c'est plutôt un consensus.

Je ne suis pas ici, en tant que représentant du Congrès juif canadien, pour vous dire que vous devez respecter la loi juive dans votre législation, mais simplement pour partager avec vous certaines des valeurs qui sous-tendent la perspective juive, ce qui, nous l'espérons, vous sera utile à long terme dans les délibérations du Sénat.

Au départ, nous avons un engagement absolu envers la notion du caractère sacré de la vie, d'une manière générale. Ce caractère sacré de la vie s'applique non seulement aux embryons, mais aussi aux personnes qui sont dans une situation pénible en ce sens qu'ils veulent avoir des enfants, mais qu'ils sont dans l'impossibilité de les avoir par des voies naturelles et doivent donc avoir recours à des méthodes extraordinaires pour en avoir.

Nous comprenons parfaitement que le projet de loi est très clair et qu'il vise à protéger le caractère sacré de la vie. Cela ressort à l'évidence dans les interdictions que vous énumérez ici pour ce qui est du clonage thérapeutique et à des fins de reproduction, et aussi de la réduction des embryons à des denrées qui s'échangent sur le marché libre.

Nous appuyons également l'idée voulant que l'embryon doit être protégé. Cependant, le consensus qui s'est dégagé parmi les juifs sur la question probablement la plus controversée du projet de loi, à savoir la recherche sur les cellules souches embryonnaires, est qu'un embryon à l'extérieur de l'utérus n'a pas le statut d'un embryon qui est à l'intérieur de l'utérus.

Jusqu'à assez récemment, à moins que je sois mal renseigné, lorsque l'on faisait la fécondation in vitro, il y avait toujours, presque obligatoirement, un surplus d'embryons disponibles. C'était pour s'assurer d'avoir les plus grandes chances de succès possible de fécondation. Dans la plupart des cas, les embryons excédentaires étaient jetés à la poubelle, ou bien ils ne pouvaient durer — encore une fois si mes renseignements sont exacts — que pendant environ 14 jours.

Nous n'avons aucune objection, sur le plan religieux, à prendre ce qui aurait normalement été jeté à la poubelle et à s'en servir pour sauver des vies. En fait, notre position est qu'il serait presque impératif de prendre ces embryons qui sont dotés de vie et, au lieu de les jeter, de s'en servir pour en exploiter toutes les possibilités. Ce ne sont pas seulement des illusions médicales; il semble que ce soit très prometteur, avec possibilité de trouver des remèdes à des maladies qui ravagent l'humanité depuis un certain temps. L'aspect absolument critique en l'occurrence, c'est non seulement le statut de l'embryon, mais aussi l'intention.

Nous n'appuyons pas — et d'ailleurs ce projet de loi n'appuie pas non plus l'idée de cultiver des embryons in vitro expressément dans le but de faire de la recherche sur des cellules souches. Ce qui est en cause, c'est l'excédent, c'est-à- dire ce qui reste après la création d'embryons à des fins légitimes et pures, aux fins de la fécondation, après que celle-ci ait réussi.

Notre position ferme consiste à appuyer le projet de loi, et nous sommes très à l'aise avec l'idée d'utiliser l'excédent à des fins humaines valables, au lieu de le jeter. Nous ne pensons pas que cela compromette le moindrement l'intégrité de l'embryon. Je pense que le projet de loi offre une solide protection à cet égard. Nous sommes reconnaissants du fait que le projet de loi aille aussi loin pour ce faire.

Le sénateur Roche: Je voudrais remercier les témoins pour leur comparution d'aujourd'hui, qui nous est extrêmement utile.

J'ai une question centrale. Je vais la poser d'abord à Mgr Prendergast et j'invite également le rabbin Bulka et Mme Elibyari à se prononcer sur cette question.

Pour ne pas perdre de temps, nous ferions mieux d'en arriver tout de suite à l'essentiel, c'est-à-dire à la réalité politique à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle. Le gouvernement veut faire adopter ce projet de loi. Connaissant l'historique du dossier qui s'étend sur la dernière décennie et qui a abouti à la situation actuelle, et reconnaissant que le projet de loi renferme beaucoup d'éléments valables, nous pouvons dire que la recherche sur les embryons sera réglementée, tandis qu'à l'heure actuelle elle se fait sans aucune réglementation.

Ils ont essayé de scinder le projet de loi à la Chambre des communes. Cela n'a pas pu se faire. Quand le ministre a comparu devant notre comité il y a quelques jours, je lui ai demandé s'il accepterait un amendement qui interdirait la recherche sur les embryons. Il a répondu non. Il semble que si le Sénat amendait le projet de loi, le renvoyant ainsi à la Chambre des communes, compte tenu de la conjoncture politique, il ne serait jamais adopté par la Chambre des communes une deuxième fois au cours de la législature actuelle. En pareil cas, toutes les choses valables qui figurent dans le projet de loi seraient retardées encore davantage.

Nous devons donc être bien conscients que le gouvernement veut faire adopter ce projet de loi sans amendement. J'aimerais que le projet de loi soit amendé pour défendre plus énergiquement l'embryon. Je tiens à le dire bien clairement. Cependant, je ne pense pas pouvoir l'obtenir.

Par conséquent, je vous demande de réfléchir au paragraphe 33(1), qui prévoit la création de groupes consultatifs chargés de faire des recommandations sur la mise en oeuvre de ce projet de loi.

Que diriez-vous si le Sénat formulait une observation en faisant rapport de ce projet de loi? Les observations ont une valeur non négligeable. C'est un mécanisme courant quand les comités du Sénat font rapport des projets de loi.

Que diriez-vous d'une observation dans laquelle nous dirions qu'il y aurait lieu de créer, dans le cadre de l'agence de contrôle de la procréation assistée que l'on propose de mettre sur pied, un groupe consultatif qui superviserait la recherche sur les embryons et qui veillerait à ce que toute recherche sur des embryons se fasse seulement lorsque nécessaire et en suivant les lignes directrices les plus strictes, et que les membres du conseil consultatif soient des représentants des confessions religieuses?

Trouveriez-vous cela acceptable, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons?

Mgr Prendergast: C'est une question difficile. Je ne comprends pas vraiment comment le Sénat fonctionne et comment ses observations influent sur les projets de loi. Si je comprends bien, ce serait un geste de la part du Sénat qui estimerait vraiment que le projet de loi lui-même comporte des faiblesses et qu'il doit par conséquent utiliser les moyens à sa disposition pour diminuer ce qu'il considère comme les conséquences regrettables du projet de loi.

À long terme, c'est un jugement que chaque sénateur devra faire. Cela m'apparaît comme un geste utile, étant donné que c'est probablement le mieux que l'on puisse faire.

Comme vous le savez, parmi la communauté des catholiques romains, ceux qui sont en faveur de la vie et qui défendent le caractère sacré de la vie depuis la conception jusqu'à la mort naturelle sont divisés quant à ce que les parlementaires devraient faire en l'occurrence. C'est pourquoi ce passage que j'ai cité de l'encyclique Evangelium Vitae est critique. Vous devez vous poser la question: Existe-t-il une loi en vigueur? Il n'y en a pas. C'est de cela qu'il est question dans ce passage. Cependant, nous pouvons dire que nous avons une situation législative factuelle qui ne protège pas l'embryon. Par conséquent, tout ce qu'un sénateur peut faire pour protéger un embryon, protéger la vie depuis son origine, est potentiellement la meilleure chose qu'il ou elle puisse faire.

Je n'ai pas répondu explicitement à votre question, mais c'est là le genre de préoccupation dont il faut tenir compte. Je vous remercie de proposer une mesure qui peut limiter l'insuffisance flagrante de ce projet de loi.

Le sénateur Roche: Monseigneur, j'ai trouvé votre réponse très utile. Je voudrais demander au rabbin Bulka et à Mme Elibyari s'ils voudraient formuler une observation en réponse à la question que j'ai posée.

Le rabbin Bulka: J'aborde évidemment la question sous un angle différent. En fait, le débat se poursuit parmi les érudits juifs sur la question de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Le point de vue que j'ai exposé tout à l'heure est celui de la majorité sur cette question.

Je suis toutefois sensible au fait qu'il y a évidemment d'autres points de vue, notamment ceux de mes collègues ici présents. S'il y avait moyen de faire quoi que ce soit en vue de créer une sorte de climat de consensus au Canada, ce qui est la manière typiquement canadienne, je serais tout à fait en faveur de cela.

Je fais toutefois une mise en garde: je ne serais pas fervent partisan d'une mesure législative qui ferait peut-être obstacle aux efforts des spécialistes de la médecine qui tentent de trouver le moyen de guérir de graves maladies. À cet égard, si ce que l'on propose leur imposait des contraintes et nuisait en fait à leur chance de succès, j'hésiterais à l'appuyer.

Mme Elibyari: Nous ne prétendons pas parler au nom de tous les musulmans du Canada, mais il y a un certain consensus parmi les membres du Congrès islamique canadien, à savoir qu'il faut encourager la recherche sur les cellules souches, pourvu que l'on mette en place des lignes directrices.

Cela ne doit pas se faire dans le but d'en tirer profit. Ce n'est pas acceptable de produire des cellules uniquement pour la recherche, mais si elles sont produites dans le cadre du processus de la fécondation in vitro et seront jetées de toute manière, alors nous ne voyons aucun mal à s'en servir pour améliorer la santé.

La question de ce que l'on fait de l'embryon nous préoccupe particulièrement parce que nous n'acceptons pas la notion d'une mère porteuse. Je n'entrerai pas dans les détails quant à la définition d'une famille traditionnelle. Je veux seulement attirer votre attention sur le fait que nous avons une loi sur l'héritage dans l'Islam. Les hommes et les femmes n'héritent pas du même montant. Il deviendrait problématique de déterminer qui sont la vraie mère et le vrai père. Étant donné ces lois, nous devons maintenir l'unité de la famille traditionnelle. Un examen serait des plus utiles.

Le sénateur Cook: Monseigneur, à la fin de votre exposé, vous avez dit — et je suis certaine que je parle au nom de nous tous — que nous devons être éclairés par la raison et renforcés par la foi. Notre tâche est très difficile. Nous mettons dans la balance notre humanité, mais nous avons par ailleurs une responsabilité envers l'ensemble des Canadiens.

Le projet de loi a mis beaucoup de temps à nous parvenir. Dans sa forme actuelle, il comporte des problèmes aux yeux de bien des gens. Ma question est hypothétique, mais devrions-nous proposer des amendements à ce projet de loi qui est en chantier depuis 10 ans? Les besoins sont tellement criants. Nous n'avons aucune réglementation pour quoi que ce soit. Tout cela se fait en ce moment même. Devrions-nous proposer des amendements et risquer de perdre ce projet de loi? Je vous demanderais à chacun de vous de répondre.

Le rabbin Bulka: En général, on ne peut faire autrement que de répondre que tout dépend de ce que vous voulez y mettre. Si vous avez une objection fondamentale et si vous estimez que, faute d'y ajouter ou retrancher quelque chose, ce projet de loi est tellement fondamentalement mauvais que le Canada serait dans une situation encore pire, vous devez alors agir en conséquence.

Je n'ai rien vu dans le projet de loi qui s'écarte beaucoup de la position des Canadiens, de la morale et de l'éthique qui de manière générale régissent le comportement des Canadiens. Je reconnais que la question principale est la recherche sur les cellules souches. Je suis plus à l'aise avec cela que mon collègue, mais c'est parce que dans notre tradition, nous envisageons peut-être cette question un peu différemment.

Je ne veux pas parler en son nom, mais peu importe ce qu'on choisira de faire dans ce dossier, qu'on aille dans un sens ou dans l'autre, je pense que le projet de loi, de manière générale, renferme tellement d'éléments valables. Nous pourrions couper les cheveux en quatre et se demander s'il faut que ce soit 40 jours ou 56 jours ou quoi que ce soit, mais à un moment donné, il faut se décider et se dire qu'il faut aller de l'avant dans ce dossier.

Je sais que la communauté médicale piaffe d'impatience parce qu'elle veut se lancer dans la recherche sur les cellules souches, et c'est absolument essentiel. On entend dire tous les jours que le plus tôt nous commencerons à faire de la recherche, plus tôt nous pourrons sauver des vies. En fin de compte, rien n'a une plus grande valeur que cela.

Mgr Prendergast: La question, au fond des choses, c'est qu'il faut juger si un sénateur devrait voter en faveur ou contre le projet de loi. S'il considère que le projet de loi est fondamentalement mauvais au point qu'il ne peut se résoudre à voter en sa faveur, c'est une interprétation et une conclusion légitime qui serait celle de beaucoup de catholiques. Beaucoup appuient ce point de vue parce que c'est la question de la vie qui est en cause. Par contre, les gens sont placés dans la même situation que dans le dossier de la Loi sur l'avortement. Celle-ci a été rejetée, de sorte que nous n'avons plus aucune loi, ce qui fait que l'enfant à naître est encore moins bien protégé.

Je pourrais comprendre qu'un sénateur dise qu'un projet de loi qui comporte des faiblesses, c'est mieux que pas de projet de loi du tout. Encore une fois, sous réserve d'accepter ce que le sénateur Roche proposait, à savoir que l'on ajoute des observations, peut-être que c'est le mieux que l'on puisse faire.

Telle est la lourde tâche à laquelle est confronté le législateur quand il doit légiférer pour le bien commun, au meilleur de ses connaissances, en se fondant sur la raison, mais aussi sur sa foi. Je ne voudrais pas être à la place d'un sénateur obligé de voter là-dessus, parce que j'en perçois toute la complexité. En fin de compte, il faudra voter. C'est pourquoi nous prions pour vous.

Le sénateur Cook: Je vous en remercie et, comme vous l'avez dit, il me faudra voter à un moment donné.

Le sénateur Keon: Monseigneur, est-ce que dimanche prochain, j'entendrai à l'église le prêtre déclarer en chaire que l'Église catholique estime que c'est probablement le meilleur compromis, ou bien l'entendrai-je dire que l'Église n'appuie vraiment pas ce projet de loi?

Mgr Prendergast: Eh bien, la Conférence des évêques n'a pas pris position là-dessus. Elle a simplement énoncé la difficile tâche qui vous attend. Je pense qu'il incombe à un législateur catholique de laisser sa foi, son esprit et son coeur s'imprégner de la tradition et des valeurs, mais aussi de voir ce qui est possible.

Si une personne est éclairée par la foi, par la raison, et si elle prend la bonne décision, je pense que personne ne peut lui faire de reproches.

Le sénateur Kinsella: Nous devons faire très attention au paradigme que nous utilisons dans notre analyse. J'entends beaucoup parler de tout le travail qui a été fait depuis 10 ou 15 ans, et les gens disent, Dieu du ciel, si jamais ce projet de loi était perdu. C'est un peu comme la tâche de Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque qui pousse son rocher jusqu'au sommet de la colline pour le laisser ensuite débouler jusqu'en bas.

Nous devons faire attention de ne pas tomber dans ce piège intellectuel. Beaucoup de témoins nous disent qu'il y a des lacunes dans le projet de loi. Le gouvernement lui-même doit percevoir les lacunes dans son projet de loi, parce que le gouvernement y a inséré une disposition qui stipule, «nous ne sommes pas vraiment certains que ce projet de loi soit juste et c'est pourquoi nous allons le réexaminer dans trois ans». Cela devrait nous amener tous tant que nous sommes à réfléchir et à nous dire: «ma foi, s'il y a des lacunes, examinons-les».

Notre responsabilité, en tant que sénateurs, est de ne pas perdre de vue les minorités et les intérêts des minorités. C'est ce que les Pères de la Confédération envisageaient pour nous. Nous ne sommes pas le gouvernement. Nous ne faisons pas partie de l'exécutif. Nous faisons partie de la branche législative. Nous ne sommes pas élus, mais le mode de sélection des sénateurs est un débat que l'on pourra tenir une autre fois.

Notre responsabilité primordiale, comme chambre de second examen, c'est précisément de scruter les projets de loi à la loupe pour en discerner les lacunes. Nous sommes des marchands dont la tâche est de trouver la moindre faille du produit qu'on veut nous vendre. C'est pourquoi nous examinons les projets de loi. Ce ne sont pas seulement mes honorables collègues qui trouvent des lacunes, pas seulement les témoins qui trouvent des lacunes; le gouvernement lui- même, dans le projet de loi, a dit qu'il y a des lacunes dans cette mesure.

Il me semble que, quand on a proposé dans certains milieux de scinder le projet de loi de manière à regrouper les points sur lesquels il y a consensus ou ce qui se rapproche le plus d'un consensus, en écartant les lacunes, pourquoi ne serait-ce pas une manière raisonnable de procéder? Je demande à l'un ou l'autre des témoins de répondre à cela.

Mgr Prendergast: Si j'ai bien compris la conversation de ce matin — je dois dire que cela a été pour moi une initiation rapide au fonctionnement du Sénat. Je suis de ces Canadiens qui n'y accordent pas tellement d'attention et je m'en excuse auprès de ceux d'entre vous qui sont présents. Je suis reconnaissant pour ce que j'entends dire à propos du Sénat. Cette rectification est-elle valable?

Je pense que c'est vous qui savez le mieux si un projet de loi scindé serait adopté ou non. Je viens d'entendre le sénateur Roche dire que si l'on propose de scinder le projet de loi, la Chambre n'en tiendra aucun compte et l'adoptera tout simplement, ce qui nous donnera une protection moindre que celle que nous pourrions peut-être obtenir en faisant une observation. Je ne sais pas comment le déficit démocratique devrait être interprété ou résolu. Nous sommes peut- être en présence d'une lacune de tout le mécanisme gouvernemental sur laquelle nous devrions nous pencher.

Le sénateur Kinsella: Je vais saisir au vol cette allusion au déficit démocratique. Il y aura bientôt des élections fédérales. Pour quiconque s'intéresse sérieusement à améliorer la participation de tous les Canadiens à la direction des affaires publiques et à l'élaboration et l'adoption de la législation canadienne, qu'y aurait-il de mal à donner aux électeurs canadiens l'occasion de s'exprimer sur ce projet de loi, créant ainsi un modèle démocratique d'élaboration du projet de loi pour que les législateurs des deux chambres aient une meilleure idée au cours des prochains mois de la position de la population canadienne sur cette question?

Le rabbin Bulka: Songez-vous à tenir un référendum?

Le sénateur Kinsella: Non, nous aurons des élections fédérales.

Le rabbin Bulka: Vous voulez dire que cette mesure deviendrait un enjeu électoral?

Le sénateur Kinsella: Puisque nous sommes saisis de l'affaire, les Canadiens voudront savoir comment ceux qui aspirent à devenir députés au Parlement prendraient position sur cette question.

Le rabbin Bulka: Je ne suis pas sûr qu'au bout du compte, vous serez plus avancés que vous ne l'êtes aujourd'hui.

Le sénateur Kinsella: Vous laissez entendre que l'électeur canadien ne devrait pas avoir son mot à dire.

Le rabbin Bulka: Je n'en suis pas sûr non plus. L'idée que le gouvernement réexamine la question après trois ans n'est pas mauvaise. C'est une leçon d'humilité que de dire que tout cela, en un sens, est quasiment plus grand que nature, et que nous ignorons ce qui va se passer dans ce dossier. Cependant, nous voulons essayer de faire de notre mieux.

La médecine change très rapidement. Dans trois ans, vous remettrez peut-être en question ce que vous avez dit sur le clonage. Vous voudrez peut-être reconsidérer une question parce que la médecine ou la technologie aura tellement progressé. L'idée d'un réexamen dans trois ans est très utile à tous points de vue.

Je ne suis pas sûr que de scinder le projet de loi et d'en retirer ce qui pourrait être qualifié de l'un des éléments les plus importants du point de vue du grand public canadien, qui n'aimerait rien de mieux que d'avoir une guérison pour la maladie de Parkinson et d'Alzheimer, et cetera... Je ne crois pas que ce serait bien accepté de mettre en suspens cet élément essentiel.

Mme Elibyari: La communauté musulmane n'a aucune objection au projet de loi. Je crois que cette mesure ne préoccupe pas au plus haut point la communauté à l'heure actuelle. Nous encourageons tout à fait la recherche médicale. Je ne pense pas que ce sera même un enjeu électoral.

Quant à ce que le Congrès islamique canadien a recommandé pour ce qui est de la définition de la famille, que ce soit 40 jours ou 56 jours, nous laisserons les personnes en cause et ceux qui veulent suivre leur religion décider de ce qu'ils veulent. Nous ne faisons que des recommandations.

Mgr Prendergast: Pour ce qui est de s'en remettre à la population, je pense qu'étant donné le grand nombre de questions qui sont débattues dans une campagne électorale, celle-ci tomberait en bas de liste et n'obtiendrait pas beaucoup d'attention.

Mon point de vue sur le rôle des législateurs, que ce soit à la Chambre ou au Sénat, c'est qu'ils sont des députés. Je ne suis pas en faveur de tenir un référendum sur chaque question. C'est pourquoi vous avez été choisis pour être parlementaires et pour être la chambre de deuxième réflexion. C'est votre tâche en tant que législateurs de décider du bien commun.

Le président: Sur ce point, l'un des problèmes des élections, c'est que l'on vote pour un parti ou une personne qui propose tout un train de mesures. Il est possible que vous en aimiez certaines plus que d'autres. Vous ne pouvez pas tirer de conclusions générales.

La campagne électorale sur le libre-échange a peut-être été un exemple d'une campagne axée sur un seul thème central. En général, compte tenu du mélange, c'est difficile de tirer des conclusions sur une unique question.

Le sénateur Trenholme Counsell: En vous écoutant tous les trois, je me disais que c'était extraordinaire de vivre dans un pays démocratique où l'on peut faire entendre son point de vue et suivre un échange comme celui-là.

Hier, nous avons eu un exposé des plus émouvants de la part de parents qui ont eu recours à la procréation humaine assistée. Nous avons aussi entendu des enfants qui sont nés grâce à la technologie de la procréation assistée. Pour ces personnes, le projet de loi représentait un énorme réconfort, parce que même si nous parlons de l'embryon en ce moment, le projet de loi renferme tellement d'autres éléments qui offrent protection, information et consentement. Les gens avec qui nous avons parlé hier soir et que nous avons écoutés nous ont grandement rassurés ou tout au moins ont beaucoup rassuré certains sénateurs au sujet de ce projet de loi et peut-être bien que nous finirons par l'adopter grâce à leurs observations.

Est-ce que l'un d'entre vous voudrait nous parler de ce que ce projet de loi signifie pour des personnes de votre communauté religieuse, des parents ou des enfants, qui doivent la vie ou qui ont eu le privilège de devenir un parent grâce à la technologie de la procréation assistée?

Le rabbin Bulka: Ces enfants sont nés avant le projet de loi. C'est bien.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je pose cette question parce qu'ils vivent leur vie sans pouvoir compter sur l'information qui sera maintenant disponible, par exemple sur le donneur et les maladies héréditaires. Nous n'avons jusqu'à maintenant aucun moyen de veiller à ce que cette information soit disponible. Le projet de loi nous donne cela.

Le rabbin Bulka: J'ai lu le projet de loi, mais je ne me rappelle pas s'il comporte une disposition quelconque sur la personne qui possède les embryons excédentaires. S'il y a divergence entre le mari et la femme, si l'un dit oui à la recherche et l'autre dit non, cette situation est-elle prévue dans le projet de loi?

Le président: Si je comprends bien, le projet de loi définit les donneurs, mais pas les propriétaires.

Le rabbin Bulka: Cela devrait-il y être?

Le sénateur Trenholme Counsell: Dans l'article sur le consentement.

Le président: Ce sera dans le règlement.

Le rabbin Bulka: J'ai rencontré des gens qui sont nés de cette façon et ils se considèrent probablement de la même manière que les enfants adoptés. Comme vous le savez, au fil des années, l'adoption a bénéficié d'une certaine forme d'acceptation. Ce n'est plus le traumatisme que c'était autrefois. Ce sera la même chose en l'occurrence.

À cet égard, la mesure législative ne peut être qu'un atout. Elle n'est certainement pas un obstacle.

Le sénateur Trenholme Counsell: J'aimerais demander à Mme Elibyari si les musulmans ont recours à a procréation assistée. Est-ce que la procréation médicalement assistée est permise par la religion musulmane?

Mme Elibyari: Nous avons du mal à nous occuper du nombre élevé d'enfants que compte notre communauté.

Le sénateur Trenholme Counsell: Vous avez de la chance.

Mme Elibyari: C'est généralement le cas, bien qu'il y ait des exceptions. J'en suis un exemple car je n'ai pas d'enfants. J'aurais certainement voulu avoir un enfant au moyen de la procréation assistée. Je ne dis pas que cela n'existe pas, mais on n'en entend pas parler autant vu le nombre élevé d'enfants.

Mgr Prendergast: Je tiens à préciser que pour l'Église catholique romaine, la procréation médicalement assistée pose un problème fondamental, car nous la considérons comme une objectification de l'embryon. Nous disons que les techniques de reproduction assistée de ce type sont moralement illicites. Nous comprenons que tout le monde n'est pas d'accord avec nous. Certains auront du mal à le croire, mais c'est la position de notre Église.

À notre avis, elle diffère de l'union sexuelle qui est la façon «normale» et moralement licite de concevoir un enfant.

Il peut y avoir des gens — et il y en a vraisemblablement — dans notre communauté qui ont, de leur propre gré, adopté une position différente de celle de l'Église. Nous estimons que fondamentalement cette décision n'est pas moralement licite.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, j'ai une petite question à poser à Mme Elibyari. Vous avez mentionné que ce projet de loi comprenait un examen systématique fait au bout de trois ans. Vous demandez que cela soit ramené à deux ans. Pouvez-vous nous en donner les raisons?

Mme Elibyari: Nous pensons qu'il s'agit là d'une nouvelle technologie et nous attendons les résultats de son application. Il nous importe de préserver la diversité — l'un des articles du projet de loi en fait mention — et nous aimerions que la diversité humaine soit présente dans la recherche afin d'éviter qu'un groupe ethnique particulier ne soit favorisé. C'est l'une de nos préoccupations.

Nous aimerions aussi que tous les citoyens bénéficient équitablement du projet de loi, et ce, quel que soit leur statut social. Nous ne savons pas vers où nous mèneront les progrès de la science, il est donc possible qu'une solution de rechange à l'utilisation des embryons pour la recherche sur les cellules souches se présente. Par exemple, le cordon ombilical pourrait être utilisé, même à partir de cellules mûres. Bien sûr, nous préférerions une source non controversée et c'est la raison pour laquelle nous jugeons qu'un examen au bout de deux ans serait plus approprié.

Le sénateur Fairbairn: Dans le cadre de notre travail dans l'une ou l'autre Chambre, il nous arrive de temps à autre quand nous faisons rapport, de faire quelques recommandations au lieu de retarder un projet de loi à cause d'un amendement. C'est une possibilité dans ce cas.

[Français]

Le sénateur Plamondon: Dans un des témoignages d'hier, j'ai senti le désarroi d'un témoin qui ne pouvait retracer son père biologique parce que la banque de sperme n'avait pas de détails.

On sentait à travers son témoignage que le père biologique en question aurait fait un don de sperme pour des motifs pécuniaires. Le témoin s'interrogeait sur ce que pensait le donneur après avoir donné la vie en donnant son sperme. C'est comme si le donneur ne réalisait pas qu'il était en train de créer la vie et ce, pour des considérations temporaires.

Il y a aussi l'aspect commercial qui m'inquiète. On parle d'un donneur de sperme mais, en fait, personne ne donne de sperme. Les gens sont payés pour le donner. Dans ce commerce, il y a le détaillant de sperme et l'acheteur de sperme. Il ne s'agit donc pas de commerce sur une grande échelle, mais néanmoins il s'agit d'un commerce.

On a parlé des mères porteuses en affirmant qu'aucune étude exhaustive n'existait à ce jour au sujet de l'impact sur elles et sur leur famille. Étant mère de sept enfants, je sais toute l'implication des membres de la famille lorsque la mère porte un enfant. Ils veulent écouter le cœur, ils veulent toucher le ventre. Il y a toute une dynamique, que les mères comprendront, qui se produit.

Un enfant pourrait dire: «Quand vas-tu me vendre»?, s'il sait que sa mère a laissé aller un enfant pour de bon motifs. Je ne mets pas en doute les motifs, mais il y a un enfant qui a quitté la cellule familiale et cela créé de l'angoisse chez les autres enfants. J'ai senti cette inquiétude dans le témoignage.

Nous parlons de mères porteuses et de réglementation. Mais malheureusement il n'existe toujours pas d'études d'impact sur les mères porteuses. Il n'y a que des anecdotes de gens très contents et d'autres qui le sont moins.

Quant à l'aspect commercial, on proposait de prévoir dans le projet de loi quelque chose qui récompenserait les gens, car pour le moment le geste est totalement altruiste. Je suis tout à fait d'accord avec cette recommandation. On a pourtant prétendu que cette recommandation était irréaliste, ce qui me laisse croire qu'en effet il existe un aspect purement pécuniaire.

Mme Elibyari: La tradition musulmane est catégorique sur ce fait. Il ne devrait pas y avoir un aspect commercial. Il ne s'agit pas d'une transaction commerciale. On veut seulement accepter la procréation assistée entre un mari et sa femme, sans tierce personne de l'extérieur.

Le concept de mère porteuse n'est pas accepté en Islam. On ne peut pas avoir une mère porteuse. Tout doit être fait à l'intérieur d'une famille traditionnelle.

Mgr Prendergast: Je vous remercie pour ces observations. Selon l'Église catholique romaine, une des raisons qui explique notre réticence et notre objection est la perception de l'embryon ou du sperme ou des mères porteuses comme objet. Ce fait enlève l'humanité de la relation humaine à la personne engagée dans le processus de mettre au monde un être, un enfant.

[Traduction]

Le rabbin Bulka: En ce qui concerne la commercialisation, et comme je ne suis pas entièrement au courant des dernières nouveautés concernant le projet de loi, je sais que des règlements ont été inclus pour la limiter et que vous disposez d'un certain contrôle.

La question des mères porteuses est un très grand problème pour notre religion. Autrement dit, si quelqu'un demandait à un rabbin s'il pouvait y avoir recours, le rabbin répondrait par un «non» catégorique. Toutefois, je sais que certains font appel à des mères porteuses. Vous avez mentionné des problèmes issus de cette question. Il en existe probablement d'autres.

La question n'est pas tant le fait de retarder ou non le projet de loi à cause de ce problème, mais de mettre en place un vrai système de surveillance. Donc, si vous faites un examen au bout de trois ans, vous devez absolument y inclure les répercussions. Vous pouvez avoir une sorte de suivi puis être prêts à faire des recommandations fondées sur ce suivi.

Le sénateur Léger: Je vous remercie d'être venus. Monsieur le rabbin, vous avez déclaré que l'embryon n'a pas le même statut selon qu'il se trouve à l'extérieur ou à l'intérieur de l'utérus. Pourriez-vous ajouter quelques mots à ce sujet?

Le rabbin Bulka: Bonne question. La loi juive décrète que dès qu'un oeuf est fertilisé dans la mère, il devient immédiatement un être humain potentiel. Dans l'utérus, il n'y a pas de période de 40 jours d'attente ou quoi que ce soit. Cependant, à l'extérieur de l'utérus, il n'a, dans le cadre de ces questions, aucun statut d'entité. Il doit être traité avec respect car il représente une vie potentielle, mais dès qu'il est à l'extérieur de l'utérus il n'a pas de statut qui servirait à le catégoriser en tant qu'avortement ou quoi que ce soit de ce genre.

Mme Elibyari: Je voudrais apporter une précision. Lorsque nous parlons des 40 premiers jours, l'embryon est en vie, mais nous faisons une distinction entre la vie réelle et la vie potentielle. Il s'agit d'une vie potentielle, mais ce n'est pas une vie réelle.

[Français]

Le sénateur Pépin: On parle des mères porteuses, des donneurs et d'embryons. Une mère porteuse ou un donneur serait-il toujours accepté dans l'Église catholique? Je me rappelle qu'il y a 40 ans les personnes divorcées ne l'étaient pas, et maintenant, elles sont les bienvenues.

Mgr Prendergast: Toutes les personnes sont acceptées dans l'Église catholique. Même s'elles ont des difficultés en acceptant l'enseignement de l'Église — peut-être que des gens les désigneront comme étant des pécheurs ou des pécheresses — elles sont quand même membres de la communauté de la foi. Elles sont toujours les bienvenues. Nous devons les traités comme des êtres humains qui ont une dignité, même si nous ne sommes pas d'accord avec leurs actions. On aime toujours la personne et on l'accepte.

[Traduction]

Le rabbin Bulka: En fait, la même chose s'applique dans ce cas même s'il peut y avoir quelques questions juridiques. Le principal problème avec les mères porteuses est de déterminer la vraie mère de l'enfant? C'est un problème très délicat.

Pour nous, la question de la légitimité se réduit réellement à déterminer la mère? Une mère porteuse qui nourrit un enfant pendant près de neuf mois pourrait revendiquer le statut de mère légale, même si dans le monde des mères porteuses, tel que nous le connaissons, dès qu'un enfant naît, il retourne sauf complications au point d'origine.

Du point de vue de la loi juive, le consensus général veut que cet enfant ait deux mères. Ces cas sont compliqués.

Le sénateur Pépin: C'est la même chose pour l'adoption.

Le rabbin Bulka: Lors de leur mariage, il y aura quelqu'un en plus.

Le président: Je vous remercie tous d'être venus. Vous nous avez beaucoup aidés. Nous vous remercions de nous avoir accordé votre temps. Nous vous avons posé des questions difficiles, mais nous nous les sommes aussi posées. Nous avons donc pensé à en partager la responsabilité avec vous. Je vous remercie d'être venus ce matin.

Notre prochain témoin est le professeur Baylis, de l'Université Dalhousie.

[Français]

Mme Françoise Baylis, professeure, Département de bioéthique et philosophie, Université Dalhousie: C'est un honneur et un privilège pour moi d'avoir l'occasion de vous parler du projet de loi C-6. Mes commentaires seront brefs pour que nous ayons le plus de temps possible pour discuter du projet de loi.

À mon avis, le projet de loi C-6, la Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe comprend de bonnes dispositions et fournit un cadre législatif précis et approprié pour les techniques de procréation humaine assistée. Je prie avec insistance le Sénat d'adopter le projet de loi. Les Canadiens vivent déjà depuis trop longtemps dans l'attente de telles mesures législatives. Il ne faut pas laisser le vide juridique se perpétuer. Il est important que la santé et la sécurité des femmes et des enfants soit protégées.

Dans le cas de la procréation assistée les femmes sont particulières vulnérables car elles sont exposées au double risque de la coercition et de l'exploitation. Les enfants issus de la procréation assistée sont aussi à risque.

Les principes des interdictions explicites et les activités contrôlées énoncées dans le projet de loi C-6 sont bien adaptées à l'obligation qu'a le gouvernement de protéger les femmes et les enfants.

La loi — quoi que d'autres diraient autrement — n'est pas un instrument fixé à jamais. Tout comme la sagesse morale n'est ni statique ni absolue.

Comme vous le savez bien, les lois peuvent être changées au besoin, en fonction de nouvelles connaissances ou de nouvelles mœurs. Le projet de loi C-6 impose un autre public bien adapté à notre époque. Ne vous laissez pas influencer par les allégations fallacieuses en matière d'immuabilité de la loi. À vrai dire, et on l'a déjà entendu ce matin, en vertu des dispositions du paragraphe 60,1, la loi prévoit un examen parlementaire dans les trois années qui suivent l'entrée en vigueur de l'article 21.

[Traduction]

Quatrièmement, cette loi ne vise pas à criminaliser la science. Le fait qu'il existe des lois qui infligent des peines sévères à ceux qui conduisent en état d'ébriété ne veut pas dire que tous les conducteurs sont des criminels. Si nous tenons compte sérieusement des principes préconisés dans la loi et les interdictions spécifiques, il est souhaitable qu'un individu qui décide d'enfreindre la loi s'expose ainsi à de lourdes peines. Les scientifiques doivent comprendre que la société dans son ensemble a le droit et le devoir d'établir des lignes directrices pour les technologies qui ont des répercussions importantes.

Cinquièmement — et je passe maintenant aux parties les plus controversées de mes propos et de la loi — la recherche sur des embryons humains a été explicitement autorisée dans les lignes directrices relatives à la recherche au Canada depuis 1987. Cette recherche a été faite et se poursuit aujourd'hui. Les embryons humains qui restent après les traitements contre l'infécondité sont actuellement utilisés dans la recherche en fécondation in vitro, les essais cliniques et le développement des technologies de cryoconservation. Toutes ces interventions entraînent la destruction de l'embryon.

Certains s'opposent au développement de la recherche sur l'embryon afin de favoriser la recherche sur les cellules souches et j'ajouterais que l'on porte trop d'attention à ce sous-ensemble de la recherche. Le principe fondamental de la distinction n'est pas clair, car il ne semble pas reposer sur un statut moral. Pourquoi est-ce que l'on condamne la destruction d'embryons pour faire de la recherche visant à développer des thérapies dont pourraient bénéficier tous les Canadiens et que l'on accepte de continuer une telle recherche pour développer des traitements contre l'infécondité pour 15 p. 100 des couples canadiens qui ont des problèmes d'infécondité?

Ma dernière remarque concerne la question du clonage. L'interdiction de créer des embryons à des fins de recherche au moyen du clonage ou d'autres méthodes est bonne. Ne vous laissez pas persuader par de faux arguments avançant un prétendu besoin pour un soi-disant «clonage thérapeutique». Le transfert de noyau d'une cellule somatique n'est pas nécessaire pour obtenir les avantages éventuels des thérapies fondées sur les cellules souches. Les scientifiques doivent se tenir mutuellement pour responsables d'avoir soulevé de faux espoirs au sein de circonscriptions vulnérables et de profanes.

Je serais heureux de répondre à toutes les questions concernant les points ci-dessus lors de la discussion qui suivra les quelques observations qui me restent à faire. Étant donné la récente déclaration faite par des savants coréens qui ont obtenu des cellules cérébrales embryonnaires à partir d'embryons clonés et le fait que cela puisse attirer votre attention sur la partie du projet de loi qui interdit complètement le clonage, je voudrais dire quelques mots à ce sujet.

Des scientifiques déclarent qu'il y a un problème de rejet immunitaire dû à la transplantation de cellules souches provenant d'autres individus. Ils disent que ce problème peut être contourné efficacement au moyen de la transplantation autologue dans laquelle on redonne au patient ses propres cellules indifférenciées — d'où le besoin de clonage. À mon avis, ces déclarations sont fausses.

Premièrement, il peut ne pas y avoir de problème de rejet immunitaire. Aucune preuve scientifique n'affirme que le rejet immunitaire sera un problème si l'on utilise des cellules souches embryonnaires. Deuxièmement, la science peut éventuellement présenter une telle preuve, auquel cas, s'il y a un problème de rejet immunitaire, le clonage pour la transplantation autologue n'est pas la meilleure solution au problème de rejet immunitaire pour des raisons d'éthique, d'économie et d'équité. Troisièmement, les meilleures solutions à l'éventuel problème de rejet immunitaire comprennent le stockage de lignées cellulaires avec des systèmes d'histocompatibilité importants et précis ou des cellules manipulées génétiquement afin de réduire le rejet ou de le combattre activement.

Les scientifiques canadiens devraient investir leur temps, leur énergie et leurs talents et le gouvernement devrait investir son argent dans la recherche de solutions de rechange efficaces et viables pour tous les Canadiens. Ainsi, le Canada peut apporter une contribution importante à la science internationale dans le développement des technologies qui peuvent être un jour disponibles pour la communauté internationale.

Je vous recommande de lire les deux annexes au document que j'ai préparé car elles traitent des fausses allégations concernant la viabilité commerciale de ces questions et elles traitent aussi des allégations scientifiques concernant des solutions de rechange légitimes au problème éventuel de rejet immunitaire.

J'ai cité quelques éminents scientifiques, ceux qui ont été les premiers à placer, au niveau mondial, la recherche des cellules souches dans un contexte humain en utilisant soit des embryons soit des fœtus.

Je voudrais terminer en me répétant. Le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée, est une bonne mesure législative qui assure un cadre législatif clair et judicieux pour les technologies de procréation assistée. N'oubliez pas que c'est l'objectif du projet de loi — des technologies de procréation assistée.

J'exhorte le Sénat à adopter le projet de loi. Les Canadiens ont déjà attendu trop longtemps. On ne doit pas les laisser dans un vide juridique.

Mme Bridget Campion, professeure agrégée de théologie, Toronto School of Theology: Merci de m'avoir permis de formuler des observations sur le projet de loi C-6. C'est un projet de loi important étant donné ses répercussions sur la thérapeutique et la recherche, mais aussi parce qu'il aura forcé les citoyens canadiens à considérer nos valeurs — ces choses qui nous sont importantes. Ne serait-ce que pour cette raison, le projet de loi est très important.

Je me réjouis des interdictions du clonage, de la commercialisation de la procréation humaine et, il me semble, de la création de chimères. Je suis une éthicienne, pas une avocate ni une législatrice, aussi je ne peux pas juger de l'efficacité de ces interdictions dans la pratique, mais je me réjouis des intentions qui les ont créées.

La seule préoccupation que je voudrais partager aujourd'hui est le vrai manque de protection de la vie de l'embryon humain, surtout dans le domaine de la recherche. En vertu du projet de loi, la vie humaine peut être créée in vitro à des fins de recherche à condition que la recherche ait pour effet d'améliorer ou de donner un enseignement des techniques de procréation assistée. Il semble, en vertu du projet de loi, qu'il n'y a pas de restriction à ce que l'on peut faire subir à la vie humaine embryonnaire déjà en existence, les prétendus embryons «de rechange», à condition que la vie humaine n'ait pas dépassé le quatorzième jour de son développement. Malheureusement, bien que la recherche puisse ne pas offrir un nouveau dénouement à la vie humaine à ce stade précoce, elle entraîne habituellement la destruction de la vie embryonnaire.

Pourquoi est-ce si troublant? Au cours des 60 dernières années, l'éthique de la recherche a eu pour objectif principal une définition plus large et plus générale de ce que doit être un être humain — un être qui a de la valeur. Je dois dire que nous commençons à reconnaître aussi la valeur des êtres humains qui sont traités comme une espèce non humaine. Aujourd'hui, nous reconnaissons l'essence de l'humanité chez les prisonniers des camps de concentration, chez les pauvres fermiers afro-américains du sud des États-Unis et chez les enfants ayant une déficience intellectuelle et souffrant de graves invalidités dans les écoles d'État. Nous admettons qu'ils n'auraient jamais dû être victimes de tels préjudices au nom de la recherche.

Nous sommes surpris et consternés que cette essence de l'humanité n'ait pas été reconnue plus tôt. C'est à juste titre que nous nous félicitons des progrès accomplis vers une vision plus globale de l'humanité. Pourtant, comme le prouve ce projet de loi, un groupe n'est pas inclus dans cette communauté privilégiée et protégée: ce groupe, c'est celui des humains embryonnaires.

Pourquoi devrions-nous protéger cette entité humaine qui semble si différente de nous? Il semble qu'il y ait très peu de rapports entre les embryons humains et nous qui sommes dans cette salle.

Adolescente, je me souviens avoir vu une photo de mon grand-père prise quand il avait 19 ans. Il portait une combinaison de travail, il était fermier. Il avait des cheveux à cette époque et il s'appuyait sur une Ford flambant neuve. Dans la photo, il était jeune. Quand j'étais adolescente, il m'était tout simplement impossible d'imaginer le jeune homme qu'il avait été. Je l'ai toujours connu vieux, pourtant, il a été jeune. La photo le prouve.

Dans nos sociétés urbaines en mouvement permanent, la vie semble souvent être une suite de photos instantanées, fragmentées et sans aucun lien entre elles. Nous retournons dans notre ancien quartier pour découvrir que le bébé de la maison d'à côté est subitement devenu une jeune personne qui conduit une voiture; nous envoyons une petite fille à l'université et elle nous revient sous les traits d'une jeune femme.

Il nous arrive même de ne pas nous reconnaître quand nous nous regardons dans le miroir. On dirait que les choses se déroulent si soudainement. Mais, en fait, il n'y a rien de soudain dans ce développement. Nos voyages en tant qu'êtres humains se déroulent de manière progressive et continue.

Les Grecs avaient peut-être raison. Nous avons tendance à diviser la vie en étapes discrètes: prénatale, néonatale, périnatale, tout-petit, préscolaire — jusqu'aux catégories décrivant les vieux comme personnes âgées en forme, accablées de maux, de santé fragile. Les Grecs considéraient que chaque vie s'entrelaçait et se tissait à d'autres vies comme un fil, mais chacune de ces vies était continue du début à la fin, où que soit cette fin. Pour certains êtres humains, qui se trouvent au stade embryonnaire, ce fil sera très court.

Jusqu'à quel point cet embryon humain est-il différent? Pas comme nous? Si nous pensons un instant au fil de nos vies, peu importe où nous en sommes aujourd'hui, le fait est que nous avons eu une existence embryonnaire. Elle fait partie de notre histoire. À mon sens, nous n'étions pas des embryons humains; nous étions des humains embryonnaires.

En consultant la documentation sur les atrocités commises au cours de l'histoire, on se demande comment des gens ont pu être aussi aveugles pour pouvoir faire autant souffrir certains groupes humains particuliers? Il me semble que le projet de loi C-6 n'offre pratiquement pas de protection à la vie humaine au stade embryonnaire.

Je voudrais terminer en disant que les humains embryonnaires sont précieux pour la recherche, précisément parce qu'ils sont humains.

[Français]

Mme Abby Lippman, professeure, Faculté de médecine, Université McGill: C'est un plaisir et un honneur de témoigner à votre comité. Avec mon accent, je parle les deux langues officielles du Canada. Il va falloir que mes enfants le sachent. Je parlerai en anglais avec mes regrets.

[Traduction]

Je vais parler de quelques points saillants du mémoire écrit que je vous ai présenté. J'essaierai de ne pas répéter certaines observations faites par Mme Baylis. Je ne dirai que «idem» et je soulignerai chaque point qu'elle a présenté. Je me pencherai plus sur les quelques questions qu'elle n'a pas soulevées.

Je vous parle à titre personnel et aussi en tant que personne qui a étudié ces questions durant les trois dernières décennies. En fin de compte, votre décision devrait être très facile à prendre.

En dépit des diverses utilisations du mot «consensus», le consensus n'est pas un vote à la majorité; le consensus n'est pas le ralliement de tout le monde. Le consensus est l'acceptation d'un compromis. Ce n'est pas mon premier choix, peut-être — peut-être c'est mon premier choix. Toutefois, il est acceptable. Je pense que dans cette définition de consensus, nous avons atteint un consensus avec le projet de loi C-6.

Certains mentionnent des lacunes. Cependant, au lieu de voir des lacunes, nous devrions penser aux controverses dans le projet de loi, celles pour lesquelles il n'y aura jamais d'entente. Je le dis car il y a 30 ans que je m'y suis impliquée. Il y aura toujours des controverses à ce sujet et ce sera toujours une question litigieuse.

Nous avons vu le projet de loi C-47, le projet de loi C-56, le projet de loi C-13 et aujourd'hui le projet de loi C-6. J'estime que c'est suffisant. J'espère que les gens bien avisés de la Colline pensent de même et que nous pourrons aboutir.

Avec ces antécédents, je parle aussi en tant que coprésidente du Réseau canadien pour la santé des femmes.

L'essentiel, comme l'a dit Mme Baylis, est que ce projet soit adopté et qu'il soit adopté maintenant. Je n'ai pas à ajouter aux histoires d'horreur que vous avez déjà entendues à propos de ce qui se passe.

J'ajouterais qu'il existe un consensus au sein de la population canadienne. J'ai passé les trois dernières décennies avec des groupes différents — des groupes féministes, des groupes de scientifiques, des éthiciens, des gens du milieu juridique — et la plupart ont dit «Mettez-vous au travail, allons de l'avant avec ce projet de loi». Cela a été même dit dans ma province du Québec où les divers groupes de femmes sont tous en faveur de cette loi. C'est vraiment quelque chose de constater que tout le monde est d'accord au Québec, des souverainistes aux fédéralistes. À elle seule, cette situation prouve qu'il y a un consensus.

D'autres personnes, notamment des honorables sénateurs, ont mentionné la notion de consentement éclairé et de choix éclairé. Il est très important dans cette loi qu'il y ait un choix éclairé. La loi garantit le choix éclairé par des règlements qui garantissent que les choix des personnes qui ont recours à la procréation assistée ne sont vraiment pas forcés, quelle que soit la signification de ce terme. Il y a obligation de services de consultation donnés par des personnes neutres n'ayant aucun intérêt dans ces activités.

N'oublions pas que quiconque n'aime vraiment pas ce que propose ce projet de loi n'a pas à y prendre part. Rien ne dit que si vous ne voulez pas avoir un bébé par un donneur, qu'il faut que vous ayez un bébé par un donneur; seulement, le projet de loi permet à ceux qui veulent avoir recours à la procréation assistée par donneur de le faire de manière sécuritaire pour les femmes, une mesure de sécurité pour les enfants qui naîtront. C'est, à mon avis, le point essentiel du projet de loi. Je prends cette question très à cœur.

Les femmes doivent avoir des renseignements précis, objectifs et pertinents et avoir recours à tous les services de consultation dont elles ont besoin afin que lorsqu'elles choisissent cette voie, elles ont déjà été bien informées avant de prendre une décision qui implique un processus.

Par conséquent, l'obligation des services de consultation n'est pas du tout paternaliste, qu'elle soit ou non requise dans d'autres secteurs. Ce secteur est différent: le processus dans lequel entrent les femmes lorsqu'elles entreprennent une fécondation in vitro dépasse assurément leur objectif de ramener à la maison un seul bébé vivant. Pour cette raison, les services de consultation sont essentiels. Les femmes n'ont pas recours à la fécondation in vitro pour rentrer à la maison avec des quintuplés nés prématurément. Les services de consultation sont importants pour que les femmes sachent à quoi s'attendre. En cas de fécondité et de la création d'un embryon, qu'arrivera-t-il à cet embryon? Sera-t-il utilisé pour quelqu'un d'autre? Sera-t-il utilisé pour des recherches? Je ne veux pas que mon embryon soit utilisé pour des recherches; je ne vous demande que de féconder suffisamment d'œufs pour que vous puissiez les retransférer dans mon corps. Voilà ce qui sera autorisé par le projet de loi: un processus réfléchi et informé.

La surveillance et le contrôle ont aussi été controversés. Personne parmi nous n'aimerait savoir que des renseignements le concernant ont été versés dans une banque de données; nous avons tous à coeur le respect de la vie privée. Toutefois, le consentement éclairé est préconisé dans ce cas. On pourra enfin demander «combien de bébés sont nés à partir de ce processus au Canada» — finalement, après 30 ans, je n'aurai pas à hausser les épaules et répondre «Je n'en ai aucune idée, je ne sais pas ce qui se passe» — nous saurons qui est né, le nombre d'enfants nés et s'ils sont en sûreté.

Certains d'entre vous ont peut-être vu la série radiotélévisée de la SRC diffusée la semaine dernière sur les effets indésirables des médicaments. Cela nous a fait constater notre ignorance des médicaments que nous prenons. Je ne vais pas vous demander de me dire si vous avez visité le site web pour taper le nom de votre pilule préférée pour voir si elle était dans la liste ou non, mais à mon bureau, tout le monde — des épidémiologistes — l'a fait. Aucun ordinateur n'était libre.

Nous ne savons pas ce qui se passe avec Lupron ni avec les médicaments que prennent les femmes qui ont recours à ces processus. Il faut que nous le sachions. C'est immoral, à mon sens, de ne pas faire le suivi de l'utilisation de ces technologies et d'en connaître l'aboutissement. Nous faisons toujours cela. Nous retournons dans les mêmes restaurants; nous devrions savoir ce qui arrive à nos enfants. La surveillance et le contrôle sont une partie importante du projet de loi. Ils y sont inclus; cela ne devrait soulever aucune controverse.

Je n'ai pas à ajouter ma voix à ceux qui disent que la commercialisation ne devrait pas être autorisée; aucune commercialisation ne devrait être autorisée. Certains prétendent que si nous ne payons pas ceux qui fournissent des oeufs, du sperme et des embryons, il nous sera impossible de répondre à la «demande des personnes stériles». Je vous rappelle qu'il y a de nombreuses personnes — vous ne les avez peut-être pas entendues — qui peuvent prouver l'invalidité des allégations de pénurie.

Nous devons nous questionner sur le besoin de ce qui est créé et pas simplement sur un besoin qui est là. Nous devons examiner de plus près certains des déterminants structurels des changements de fécondité. Si nous voulons répondre aux besoins, nous n'avons pas à payer les donneurs; nous devons changer certaines des structures de notre société qui mènent à l'infertilité ou à l'infécondité. Et nous devons aussi faire la distinction entre ces deux termes.

L'organisme de réglementation existe. Laissons-le tel quel. Il fera l'objet d'un examen. J'espère que tous ceux qui y seront nommés le seront sans conflit d'intérêts et qu'ils rempliront judicieusement leurs fonctions. Évidemment, ils se seront déjà fait des opinions, mais ils devront être à l'écoute des autres. Voilà, c'est l'objet de l'organisme.

Nous ne pouvons pas passer sous silence ce qui s'est passé depuis les nouvelles provenant de la Corée et concernant le clonage et la recherche des cellules souches embryonnaires. Comme Mme Baylis, je ne crois pas qu'il y ait d'impératif moral à faire des recherches des cellules souches embryonnaires ou une nécessité stratégique à le faire.

Je me suis réjouie à la lecture du témoignage que vous avez entendu la semaine dernière du Dr Alan Bernstein et du Dr Ron Worton, qui sont deux éminentes personnalités. Eux aussi ont déclaré que nous n'avons pas besoin de faire du clonage de cellules souches embryonnaires pour avoir les traitements nécessaires; nous pouvons travailler avec des cellules mûres. Je voudrais seulement ajouter que si nous devons utiliser le transfert de noyau d'une cellule somatique comme s'il s'agissait d'un sujet à la mode pour la recherche, ce serait la première fois que nous utiliserions des cellules humaines pour en apprendre plus au sujet des animaux, au lieu d'utiliser des cellules animales pour en apprendre plus sur les êtres humains.

Je voudrais aussi souligner que nous n'avons pas à faire cela. Certains propos entendus vous donneraient, comme à moi, des froids dans le dos. Nous n'avons pas besoin de faire du clonage thérapeutique. Il est, aujourd'hui, voué à l'échec pour les nombreuses raisons mentionnées par Mme Baylis et d'autres personnes.

Je voudrais aussi parler du problème des besoins. Ian Wilmot, qui se prétend être le «père» de Dolly ou l'homme derrière l'oeuvre de Dolly, a publié un article dans le New Scientist la semaine dernière dans lequel il déclare que l'insuffisance d'offres pour faire ce travail ne doit pas nous préoccuper. N'oubliez pas que pour le transfert de noyaux d'une cellule somatique en Corée, il a fallu l'oeuf et la cellule d'une femme. Les transferts n'étaient possibles que sur les femmes. Les tentatives utilisant des cellules d'hommes ont échoué. En outre, il fallait des femmes qui produisaient encore des oeufs. Ce qui veut dire que vous développerez ces thérapies dans le climat d'aujourd'hui pour des femmes en âge de procréer et qui, je l'espère, n'ont pas souvent les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.

Pour parer au problème de non-utilisation des femmes pour obtenir des oeufs, Ian Wilmot propose d'utiliser des oeufs de vache. Je vous laisse le soin de réfléchir à ce qui pourrait arriver si nous nous engageons dans cette voie. Nous pouvons utiliser des cellules souches mûres.

J'ai beaucoup appris au fil des ans. Des amis m'ont rappelé la première réunion sur ces sujets. Je me trouvais aux États-Unis, au National Institute of Health (NIH), nous parlions des tests génétiques prénatals. J'avais dit «nous devrions faire quelque chose maintenant, car cela ne peut que s'empirer». C'était il y a 30 ans. Ça s'est empiré.

Le projet de loi C-6 représente un espoir pour mes collègues américains. Pour rédiger ses règlements, la Commission nationale consultative sur la bioéthique américaine a adopté le libellé du projet de loi C-6. Le projet a été considéré, avec beaucoup de satisfaction, comme quelque chose d'aussi valable que ce qui existe en Angleterre.

Je me joins au professeur Baylis pour dire que l'adoption du projet de loi C-6 placerait le Canada à l'avant-garde dans des secteurs où il souhaite être à l'avant-garde. J'espère que vous agirez avec diligence et rapidité, mais — et il y a un mais, ce n'est pas pour présenter un amendement — j'espère que vous continuerez à vous intéresser à cette question après l'adoption du projet de loi C-6. J'espère que vous continuerez à vous occuper de la santé des femmes, des hommes et des enfants et que vous reconnaîtrez que c'est «en amont» qu'il faut régler le problème de l'infertilité.

Un bon nombre des problèmes, sinon la plupart, visés par cette loi pourraient être évités par l'élimination des causes connues — sociales et environnementales en particulier — de l'infertilité, de l'infécondation et des maladies chroniques. Adopter le projet de loi C-6 et légiférer la procréation assistée en dehors du contexte détournerait l'attention des besoins éprouvés par les femmes au niveau de leur santé en matière de sexualité et de leur santé génésique — c'est-à- dire des lieux sûrs pour se développer, vivre, travailler et jouer. Parler de la recherche des cellules souches embryonnaires en dehors du contexte équivaut aussi à nous détourner de ce dont nous avons tous besoin pour améliorer notre qualité de vie. Je vous invite à adopter rapidement le projet de loi C-6 et à garder à l'esprit des perspectives plus élargies pour les futurs débats portant sur des questions d'affaires sociales, de sciences et de technologie qui intéressent les Canadiens.

Mme Suzanne Scorsone, ancienne commissaire, Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, témoignage à titre personnel: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée. Je rejoins ce que mes trois collègues ont dit. Le fait que nous soyons issus de différents milieux prouve le degré du consensus qu'inspire ce projet de loi chez beaucoup de gens.

Vous nous avez invités pour connaître nos opinions personnelles. Vous devez décider en vous fondant sur ce qui vous semble le plus approprié et sur l'approche la plus constructive par rapport aux réalités qui nous font face. Comme mes collègues, je vous demande d'adopter ce projet de loi maintenant, sans amendement. S'il doit retourner à la Chambre, il pourrait ne plus en sortir et s'il en sortait, il ne sera certainement pas dans un meilleur état qu'aujourd'hui.

Cela ne veut pas dire que le projet de loi ne comporte pas de lacunes. Tout projet de loi émergeant d'un processus démocratique aura des éléments qui ne seront pas appréciés par certains. C'est ainsi que fonctionne la synergie d'individus ayant des points de vue différents. Si un quelconque législateur pouvait dire qu'il devait se conformer entièrement à ce qu'il voulait, cela entraînerait, dans la plupart des cas, une dictature, car il y aurait d'autres personnes qui seraient malheureuses et qui n'obtiendraient pas ce qu'elles voudraient.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi est acceptable pour le plus grand nombre possible d'individus et c'est probablement ce que nous pouvons faire de mieux. Dans trois ans, nous pourrons le réexaminer à la lumière de l'expérience acquise. En ce qui concerne ces secteurs fondamentaux dans lesquels des gens peuvent voir des problèmes, il y aura une occasion de les réexaminer dans un calendrier réaliste. Je vois quelques problèmes fondamentaux, y compris dans la recherche sur les embryons.

Je voudrais parler de certaines questions que j'aimerais voir traiter dans les règlements, car il y a une imprécision qui risque de créer des problèmes qui pourrait être résolue par l'organisme et les règlements si les gens sont vigilants.

D'autres personnes ont indiqué qu'actuellement le vide est dû à la loi. Nous avons une loi existante, et cette loi c'est qu'il n'y a pas de loi. Selon le système juridique canadien et de nombreux autres systèmes juridiques, ce qui n'est pas interdit est autorisé. Tacet, placet; qui ne dit mot consent.

Par conséquent, il y a une loi. À mon avis, tout ce que nous ferons maintenant favorise une bonne pratique et évite dans la mesure du possible les torts. La loi peut ne pas aller assez loin, mais au moins ce sera quelque chose. Si nous n'agissons pas, nous serons tenus responsables des conséquences de notre inaction. Nous serons les auteurs de tout ce qui se passera dans le vide juridique une fois que nous aurons choisi de ne pas agir. Il faut y penser.

Je suis très satisfaite de l'interdiction indiquée dans le projet de loi de plusieurs formes de commercialisation. J'ai été déçue qu'il ne fasse pas mention des cliniques privées à but lucratif. Les cliniques de fertilité devraient toutes être à but non lucratif, mais la vigilance dans ce secteur pourrait être mise en place par des règlements et au moyen de l'organisme.

Je suis mécontente du degré de recherche autorisé sur les embryons. On pourrait faire beaucoup plus avec les cellules somatiques ou sur des modèles animaux. Cela pourrait aussi être examiné à l'avenir. Au moins, ce projet de loi ne fixe pas de limites à ce sujet.

J'ai vu dans la documentation que les références concernant l'utilisation d'embryons créés pour tester des médicaments — c'est-à-dire utiliser des embryons au lieu de souris. D'autres utilisations d'embryons pourraient être faites et seraient même plus industrielles et abusives que tout ce qui est prévu dans les dispositions de ce projet de loi.

À moins que nous souhaitions l'utilisation des embryons comme matière première dans l'industrie — ce qui se produira si nous n'agissons pas — nous devons faire ce que nous pouvons aujourd'hui pour limiter les dangers, puis voir ce qui peut être fait à l'avenir.

La section concernant l'élimination de la discrimination envers les personnes qui ont recours à la technique de procréation assistée me préoccupe. L'élimination de la discrimination est très importante. Nous ne devons pas éliminer la discrimination en utilisant une autre forme de discrimination. Il existe des établissements confessionnels, communautaires ou autres ou bien des particuliers qui remettraient en question le fait d'autoriser des personnes qui ne sont pas mariées ou qui se trouvent dans une certaine situation à recourir aux techniques de procréation. Les règlements ne devraient pas imposer de discrimination en déterminant que certains de ces groupes ne peuvent pas avoir d'autorisation. Les règlements ne devraient pas ordonner que, par exemple, les hôpitaux catholiques ou les hôpitaux de l'Armée du Salut ne peuvent pas avoir une clinique de fertilité du fait que ces hôpitaux ne voulaient donner un traitement qu'aux personnes engagées dans une relation permanente, stable et qui sont mariées.

Il existe des moyens d'aborder la question. Il y a suffisamment d'établissements qui fourniront des technologies de fertilité à la majorité des gens. Nous n'avons pas à appliquer une discrimination à rebours.

Dans le même ordre d'idées, l'intérêt supérieur de l'enfant, qui a été établi comme étant l'élément clé de cette loi, doit permettre de faire enquête auprès des personnes qui font une demande afin de déterminer s'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant de donner le traitement. Si une personne a des antécédents de violence à l'égard des enfants ou de troubles psychiatriques graves, il ne serait pas discriminatoire d'utiliser dans les cliniques de fertilité les mêmes critères d'enquête que les établissements d'adoption.

L'État n'intervient pas dans la vie privée des personnes lorsqu'il s'agit d'activités de reproduction, mais lorsque des personnes veulent avoir recours aux établissements du système de soins de santé et obtenir l'appui de l'État pour arriver à concevoir, alors qu'aucune autre méthode de conception ne fonctionne, il ne s'agit plus d'un acte privé. Par conséquent, d'autres intervenants peuvent décider s'ils veulent être associés ou non à ce processus. Je crois que cela devrait être permis dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Et là aussi, il est possible de s'assurer, grâce aux règlements et à l'agence, qu'une telle pratique ne devienne pas discriminatoire, dans un sens comme dans l'autre.

Je suis satisfaite du texte sur les hybrides, mais il y a une lacune, et cette lacune permet l'hybridation à des fins autres que la reproduction. Dans nos déplacements à travers le pays, les gens nous ont dit maintes et maintes fois qu'ils ne veulent pas d'hybridation, un point c'est tout.

Supposons qu'on fait un hybride en fusionnant les pronuclei d'un humain et d'un animal, combien de temps devrait- on le garder en vie? Le résultat ne serait peut-être pas viable, mais ce n'est pas clair pour moi si la règle des 14 jours s'applique à quelque chose qui n'est pas entièrement humain. Supposons que ça fonctionne — supposons que la fusion d'un gamète de bonobo ou de chimpanzé et d'un gamète humain fonctionne et que l'embryon puisse survivre pendant un certain temps. Il faudra tenir compte de cette lacune, car la majorité des Canadiens ne seront pas en faveur d'une telle pratique.

Je suis d'accord avec les propos de Mme Lippman au sujet du registre sur les renseignements médicaux. Et j'ajouterais que c'est très important que le registre contienne des données à long terme, et non seulement ce que les cliniques ont sous la main. L'état civil, pour une femme ou un donneur relativement jeune, n'est pas un renseignement médical qui sera utile dans 20 ans.

Le conseil d'administration devra être constitué de représentants de divers milieux, afin d'éviter qu'il ne soit contrôlé par des groupes particuliers de personnes ayant une orientation favorisant des points de vue particuliers au sujet de ce qu'elles font. Le conseil devrait être constitué de personnes provenant de divers milieux représentatifs des Canadiens.

Par ailleurs, je désire faire un commentaire important au sujet de la question de l'exemption. Selon le texte, le gouverneur en conseil peut donner une exemption pour à peu près n'importe quoi qui existe dans les règlements. Cependant, les règlements sont pris sur autorisation du gouverneur en conseil, ce qui peut laisser croire que le gouvernement pourrait sans problème vider de sa substance le projet de loi s'il le désirait, s'il comptait faire quelque chose de techniquement interdit par la loi.

Je crois que dans les règlements et dans la création de l'agence, il faut faire très attention et faire preuve de prudence et de retenue, et qu'il faudra examiner de nouveau toute la question dans trois ans.

C'est bon que les règlements soient présentés au Parlement, mais je le répète, il y a une petite échappatoire qui permet au ministre de modifier des choses à court préavis, s'il croit que c'est nécessaire. Je suggère d'examiner cela de très près.

Au sujet des droits acquis, tout le monde sait que ce projet de loi s'en vient. Il s'agit de faire une chose au moins une fois dans l'année qui précède l'entrée en vigueur du projet de loi; quelqu'un sans expertise qui possède de nombreux établissements de petite taille pourrait y faire des choses une fois pour obtenir un droit acquis; ce serait en quelque sorte la ruée vers l'or. Selon moi, la période des droits acquis devrait être très courte et vous devriez exiger que les personnes qui en font la demande démontrent très rapidement qu'elles ont les capacités, les compétences et l'expertise nécessaires afin d'empêcher que cela devienne une industrie en pleine expansion — je veux bien dire une industrie.

En conclusion, je vous dirai seulement ceci: s'il vous plaît, adoptez-le maintenant. Si le projet de loi n'est pas adopté, le bien qui aurait pu en résulter ne se produira pas et nous serons responsables de toutes les conséquences néfastes qui découleront du vide qui existe dans la loi.

Le sénateur Morin: Votre témoignage a été très utile et sera étudié avec soin. Je sais qu'il y a des recommandations et des conseils et nous allons assurément étudier cela de très près, car je crois que c'est extrêmement utile.

Madame Baylis, je désire souligner l'excellent travail que vous avez fait dans ce dossier. Vous y travaillez depuis de nombreuses années et vous avez vraiment contribué à ce projet de loi. Je pense que les sénateurs n'ont pas reçu la lettre ouverte dont vous avez été l'instigatrice et qui est signée par 65 experts canadiens en déontologie des soins de santé et en droit de la santé. Je désire faire circuler cette lettre, monsieur le président.

Vous pouvez peut-être nous présenter le contenu de la lettre. Je ne pense pas qu'elle ait été lue et je crois qu'elle est extrêmement importante. Elle a été signée par la majorité des experts canadiens en déontologie des soins de santé et en droit de la santé. Ces experts ont des points de vue vraiment divergents. J'en connais quelques-uns et je sais que certains ont de sérieuses réserves au sujet du projet de loi. Mais en dépit de ça, tous soulignent la nécessité de l'adopter. Vous pourriez peut-être nous donner des renseignements à ce sujet.

Je tiens aussi à vous remercier pour le travail que vous avez accompli pendant toutes ces années. Je sais que ce n'est pas facile. C'est probablement le 10e comité auquel vous comparaissez à ce sujet et vous avez toujours été claire. Je vous remercie pour ça. Vous pouvez commenter la lettre.

Mme Baylis: Je vous remercie de me permettre d'aborder à nouveau ce sujet. C'est un document très important car, comme vous l'avez dit, il est signé par des experts des quatre coins du pays, qui proviennent de différentes disciplines et qui ont des points de vue différents. Bon nombre de ces personnes, si elles se présentaient devant vous une à une, vous diraient qu'à leur avis, tel élément du projet de loi devrait être modifié; d'autres vous diraient que selon elles, cet élément est le meilleur élément du projet de loi. Lorsque le dialogue, le débat et la discussion sont faits avec respect, vous pensez que vous avez eu votre chance. Les gens peuvent dire «J'ai pu dire ce que j'avais à dire, j'ai essayé de donner mon point de vue et, en bout de ligne, j'appuie le processus».

Mais ce que vous ne savez peut-être pas au sujet de cette liste, c'est qu'elle a été rédigée en moins de 24 heures. C'est ce qui est incroyable et appréciable — en moins de 24 heures — et c'est parce que nous pensions qu'elle devait être diffusée publiquement. Nous croyions que c'était le bon moment; nous savions que le gouvernement allait voter.

Je suis certaine que si nous avions eu le temps et que si nous avions procédé avec plus de méthode et de recherche, nous aurions eu plus de signatures. Les personnes qui ont signé sont celles que nous avons pu rejoindre en moins de 24 heures au cours d'une fin de semaine. Je crois que ce fait est un élément très positif en faveur du projet de loi, le fait que nous ayons pu les rejoindre par courriel — certains assistaient à la même conférence que nous — et que ces personnes aient pu signer la lettre en faveur de l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Morin: Je vais remettre la lettre à la greffière.

Le sénateur Cordy: Madame Campion, vous nous avez donné des exemples frappants des horreurs qui se sont produites au nom de la recherche sur des embryons. Dans le projet de loi C-6, la recherche sera désormais réglementée, il y aura des contraintes et la sécurité des personnes en cause sera assurée.

Ce n'était pas clair pour moi, quand vous avez donné les exemples, si vous vouliez démontrer que le projet de loi C-6 allait être une bonne chose pour les personnes en cause, ou non.

Mme Campion: Sous sa forme actuelle, il semble que le projet de loi C-6 n'offrira pas ce type de protection pour la vie humaine embryonnaire. C'est ce que je comprends, mais vous le savez probablement mieux que moi. D'après ce que je comprends, il est possible de faire de la recherche sur une vie humaine jusqu'au quatorzième jour à des fins d'apprentissage des techniques de procréation assistée.

Mme Baylis: Pour votre gouverne, j'aimerais préciser ce point en des termes plutôt provocants: ce que le projet de loi C-6 fait, c'est qu'il limite la recherche sur des embryons humains. C'est son effet net. Actuellement, quiconque y compris moi-même — et je n'ai aucun talent, aucune aptitude dans ce domaine — peut faire de la recherche sur un embryon humain, en autant qu'il puisse s'en procurer un. Je pourrais faire une œuvre d'art avec un embryon humain, si j'étais capable d'en obtenir un.

Ce projet de loi vous oblige à obtenir une autorisation. J'ose croire que ces autorisations ne seront pas données à grande échelle. Qu'on ne distribuera pas une multitude d'autorisations. Vous exercerez un contrôle en fonction, je l'espère, des valeurs des Canadiens. Vous allez donner aux Canadiens l'assurance que les recherches sont effectuées dans des contextes appropriés.

Je vous demande d'être indulgent, car j'aimerais aussi répondre à une des questions posées par la personne qui occupait ce fauteuil il y a quelques instants. Cette personne voulait savoir à qui appartenaient les embryons. Il est important de comprendre qu'il n'y a pas de cadre régissant la propriété de ces embryons. En fait, ils ne sont pas des biens. Par contre, ces embryons ne sont pas non plus traités comme des personnes. C'est vrai d'un point de vue légal; ils sont considérés comme sui generis.

Je vous encourage à examiner de près l'article 3 du projet de loi, qui traite du consentement. Il est écrit que pour procéder, il faut le consentement éclairé. La chose la plus importante — et qui n'apparaît peut-être pas clairement dans le texte du projet de loi — est que le consentement doit être conforme aux lignes directrices des IRSC.

J'ai participé à l'élaboration de ces lignes directrices, qui précisent clairement qu'il faut obtenir le consentement des donneurs de gamètes et des donneurs d'embryons. Il faut donc obtenir le consentement d'un grand nombre de personnes.

Le projet de loi prévoit de nombreuses protections pour tenir compte des personnes ayant des points de vue différents sur le statut moral de l'embryon en développement. En même temps, il tient suffisamment compte des intérêts des scientifiques en permettant aux personnes ayant le bon talent, le bon projet et la bonne hypothèse de travailler dans un cadre législatif clair.

Dans ce contexte, nous servons bien les scientifiques. Les scientifiques doivent connaître les règles du jeu afin de pouvoir travailler dans un climat de certitude. L'incertitude actuelle n'est bonne pour personne.

Le sénateur Roche: J'aimerais poser une question à Mme Scorsone, si vous me le permettez.

Madame Scorsone, vous avez clairement dit dans votre témoignage que nous devions adopter le projet de loi C-6 parce que nous devons prendre ce qui est là maintenant et que nous ne savons pas ce qui arrivera plus tard. Vous avez été très claire à ce sujet.

Vous avez dit qu'il y avait un consensus autour de la table. C'est peut-être vrai, mais si vous veniez à mon bureau jeter un coup d'œil aux courriels que je reçois, je ne crois pas que vous utiliseriez le mot «consensus» pour décrire les réactions des Canadiens.

Je vous donne l'exemple de deux organisations — l'organisation Droit à la vie et la Coalition nationale pour la vie — qui sont, selon moi, constituées de personnes sincères et sérieuses. Pour ces organisations, il ne s'agit pas d'un projet de loi qui contient certaines lacunes. Selon elles, ce sont les fondements philosophiques du projet de loi qui constituent la lacune et c'est pourquoi il faut le rejeter, même s'il contient des bons éléments.

Le groupe Droit à la vie au Nouveau-Brunswick écrit qu'un sondage mené par Léger et Léger a indiqué que la majorité des Canadiens étaient contre la recherche sur des embryons. Que par conséquent, le projet de loi devrait être rejeté pour des raisons humanitaires. La Coalition nationale pour la vie écrit que le projet de loi véhicule une philosophie matérialiste qui suppose qu'un être humain n'est rien de plus qu'une machine biologique et qu'il prête un aspect utilitaire à la valeur de l'être humain.

Je reçois beaucoup de courriels qui abondent dans ce sens. Avec l'expérience que vous avez, comment répondriez- vous à ces personnes sérieuses et sincères qui mettent en question non seulement les lacunes du projet de loi mais tout le principe utilitaire qu'il véhicule?

Mme Scorsone: Je ne veux pas être obligée de nommer des groupes ou des coalitions de groupes en particulier. Je vais plutôt répondre par rapport au fond de la question.

Diverses personnes de bonne volonté ont des points de vue différents au sujet des nombreux aspects de ce projet de loi. Moi aussi, je suis contre l'expérimentation avec n'importe quel type d'embryon humain vivant, mais je préfère limiter le tort qui peut être fait aux embryons en général.

Les sénateurs sont plus près de la vie politique que moi. Vous voyez peut-être quelque chose de différent dans le processus politique, par rapport à ce qui est réellement possible à la Chambre et au Sénat, vous êtes mieux placés que moi. Je suis à l'extérieur de ça.

Il est bon de vouloir la perfection. Cependant, si nous voulons la perfection à un point tel que nous ne pouvons même pas faire le bien, alors nous n'aurons rien accompli d'autre que d'avoir montré la pureté de notre intention.

Je crois que l'archevêque Prendergast a mentionné l'existence d'un parallèle avec la question de l'avortement. C'est une question différente sous certains aspects. Au sujet de l'avortement, certaines personnes voient un équilibre, ou une opposition, entre la femme enceinte et l'enfant. Je ne vois pas ça comme une opposition, mais c'est le cas de certaines personnes. Dans le cas de l'embryon dans une boîte de Pétri, aucune femme ne renonce à ses aspirations et à son avenir de mère. La décision est faite au niveau de l'embryon uniquement. De nombreuses personnes qui ont un point de vue vraiment différent au sujet de l'avortement croient toutes que l'expérimentation sur les embryons n'est pas une bonne chose. Il en faut tenir compte.

Mais s'il n'est pas possible à court ou même à long terme de mettre fin à l'expérimentation sur les embryons, ou d'empêcher la multiplication de ce type d'expérimentation qui se pratique depuis longtemps, limitons-en pour l'instant les effets néfastes et appliquons des contraintes réalistes. Autrement, ce qui pourra se produire — comme cela s'est produit lors du débat sur l'avortement avec les diverses versions et résolutions de la loi — c'est qu'au lieu d'avoir des restrictions, nous aurons un vide.

En ce moment, il n'y a aucune restriction en matière d'avortement. Il en résulte que l'avortement en fin de grossesse est complètement légal dans ce pays parce que rien ne dit que c'est interdit. Tant que l'enfant n'est pas complètement sorti du conduit vaginal ou qu'il n'est pas retiré par césarienne, il est entièrement à risque, car on a jugé qu'aucune restriction n'était assez bonne.

J'aimerais mieux une restriction qu'une permission complète, et si nous laissons le vide, nous donnons la permission complète. Il sera temps plus tard d'aborder d'autres questions.

Le président: Merci beaucoup pour cette intervention. Excusez-moi, mais nous devons arrêter ici. Je vous remercie tous et toutes de votre présence ici. Mesdames et messieurs les sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu mercredi prochain à 9 h 30.

La séance est levée.


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