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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 1 - Témoignages du 14 février 2005 (séance du matin)


OTTAWA, le lundi 14 février 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit ce jour à 10 h 30 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, c. 41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous tenons aujourd'hui notre première séance avec témoins du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste. Pour nos téléspectateurs, je vais rapidement expliquer ce que nous faisons. En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C. et en Virginie, et à la demande de l'ONU, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.

Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer son étude de ce projet de loi, et nous avons accepté. La date limite pour l'adoption de ce projet de loi a été fixée à la mi-décembre 2001. Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement serait invité au bout de trois ans à revoir les dispositions de la Loi et ses répercussions sur les Canadiens en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotion. La création de ce comité spécial représente la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat.

Quand nous aurons terminé cette étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons tous les problèmes dont il faudra s'occuper à notre avis, et nous mettrons nos travaux à la disposition du gouvernement et du grand public. La Chambre des communes a entrepris un exercice analogue.

Aujourd'hui, nous accueillons l'honorable Anne McLellan, vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le fait que Mme McLellan soit notre premier témoin est important, puisque c'est elle qui a présenté le projet de loi C-36 en 2001, quand elle était ministre de la Justice. Elle va être avec nous pendant une heure et demie, et ensuite les hauts fonctionnaires qui l'accompagnent resteront là pour poursuivre la discussion.

Je vous invite tous à formuler des questions et des réponses aussi concises que possible.

Madame la ministre, vous avez la parole.

L'honorable Anne McLellan, C.P., députée, vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Bonjour, honorables sénateurs. Puisque c'est moi qui ai présenté ce projet de loi à l'époque, je suis heureuse de vous parler de son rôle et de la différence qu'il apporte dans notre société. Je suis reconnaissante aux sénateurs de la contribution importante qu'ils ont faite à ce projet de loi lors de sa présentation, et je vous remercie d'avance des commentaires judicieux que vous ferez aujourd'hui et dans les semaines à venir.

Je tiens à remercier sincèrement le Sénat pour le travail extraordinaire qu'il a accompli au cours des semaines et des mois qui ont suivi le 11 septembre 2001. Nous nous souvenons tous que cela a été une période de travail intense pour le Sénat et la Chambre des communes ici au Canada aussi bien que pour de multiples organisations dans le monde entier, par exemple l'ONU ou d'autres organisations internationales de premier plan. Je remercie encore une fois sincèrement le Sénat pour son travail exceptionnel et l'ouverture d'esprit et la clairvoyance avec laquelle vous avez abordé une tâche qui était manifestement très délicate. Je suis donc très heureuse d'avoir cette occasion de faire le point de notre travail et de l'expérience que nous avons acquise, et de voir avec vous s'il faut apporter certains ajustements à cette loi, que ce soit à cause de l'évolution de la situation ou de l'apparition de nouveaux défis.

Il s'agit d'une loi importante et complexe. Elle mérite un examen approfondi. Je crois que la meilleure façon de le faire, c'est de s'en tenir à la Loi elle-même plutôt que de se disperser dans des discussions sur les considérations qui débordent de son champ d'action.

Il y a des moments et des endroits mieux appropriés pour tenir ce genre de débat plus général, et je préférerais que nous nous concentrions, au moins pour commencer, sur les dispositions de la Loi antiterroriste pour pouvoir l'examiner de fond en comble comme il se doit, et comme le souhaitent manifestement les Canadiens.

[Français]

En faisant cet examen, il est essentiel de se rappeler les événements qui ont mené à l'adoption de cette loi et de se souvenir de la menace qui a surgit et qui existe toujours sans signe de répit.

[Traduction]

Certes, la notion de terrorisme n'était pas inconnue au Canada avant le 11 septembre 2001. Nous avions nous- mêmes été directement touchés par le terrorisme. L'attentat contre un avion d'Air India en 1983 a été l'acte de terrorisme le plus meurtrier commis jusque-là dans le monde. Cet attentat a été une terrible tragédie pour la Canada. Lors du procès et de la condamnation en avril 2001 d'Ahmad Rassam, qui avait été arrêté à la frontière américaine en décembre 1999, nous avons appris que d'autres attentats terroristes étaient en préparation ici au Canada.

Depuis des années avant le 11 septembre 2001, nous étions en première ligne à l'ONU et ailleurs dans ce domaine, et nous avons signé 12 instruments internationaux portant sur divers aspects du terrorisme.

L'adoption de la Loi antiterroriste nous a permis de mettre à exécution de nombreux engagements que nous avions pris précédemment en vertu de divers instruments internationaux, notamment la Convention des Nations Unies pour la répression des attentats terroristes à l'explosif et la Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme. Le gouvernement a signé ces deux conventions en 1998 et 2000 respectivement, mais en 2001 nous ne les avions pas encore intégrées à notre législation.

Les dispositions clés de la Loi antiterroriste n'ont pas été simplement le résultat de la tragédie du 11 septembre 2001. Le ministère de la Justice préparait déjà depuis bien des mois les mesures requises en vertu de ces conventions en s'inspirant de normes internationales respectées. J'insiste bien là-dessus : à cette époque, quand j'étais ministre de la Justice, et bien avant, nous travaillions déjà, depuis cinq ans dans certains cas, sur diverses formules de mise en oeuvre des conventions des Nations Unies. Nous nous efforcions, avec nos homologues de divers pays, d'élaborer dans toute la mesure du possible des normes internationales que nous pourrions tous adopter en tant que communauté unie dans la lutte contre le terrorisme. Il est néanmoins certain que la tragédie du 11 septembre 2001 a donné un coup de fouet et un caractère d'urgence à nos efforts.

Pour condamner ces attentats, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la Résolution 1373 qui demandait notamment aux États de geler les avoirs des terroristes et de faire rapport dans les 90 jours sur les mesures prises pour mettre en oeuvre cette résolution. En fait, c'est une résolution qui va bien au-delà, et je suis sûre que vous l'avez tous examinée. C'est une résolution à caractère universel qui invite le monde civilisé à passer à l'action contre le terrorisme dans la foulée des attentats du 11 septembre.

Avec ces événements du 11 septembre, nous avons tous pris brutalement conscience d'un fait que nous ne percevions jusque-là peut-être que de façon abstraite, le fait que la terreur ne connaît pas de frontières. Elle est devenue un aspect bien malencontreux de notre paysage, un défi que nous ne souhaitions certainement pas, mais que nous ne pouvions plus ignorer. La communauté mondiale devait réagir. La Loi antiterroriste a été l'un des éléments de réponse du Canada.

Cette loi reconnaît qu'il n'est pas de rôle plus fondamental ou plus important pour le gouvernement que d'assurer la sécurité de ses citoyens. La sûreté et la sécurité sont les fondements de tous les autres droits liés à la citoyenneté et les conditions essentielles de toutes les autres libertés. La Loi part du constat que si un attentat terroriste se produit, il est trop tard. Je crois que plusieurs d'entre vous ici m'ont entendu dire, et je le crois encore plus profondément aujourd'hui, que lorsque des terroristes sont dans des avions, il est trop tard et nous avons échoué. La Loi crée donc des infractions criminalisant les activités qui se produisent avant l'accomplissement d'un acte terroriste, par exemple le fait de faciliter sciemment une activité terroriste. C'est pourquoi la Loi est parfois décrite comme une mesure de prévention. Je crois que mon collègue le ministre de la Justice, M. Irwin Cotler, doit venir discuter avec vous de l'importance des aspects préventifs de cette loi anti-terroriste.

La notion de sécurité n'a rien de théorique ou d'abstrait. Elle se manifeste par les conditions de stabilité qui permettent aux Canadiens de construire leur vie. La sécurité, cela veut dire créer des conditions permettant aux Canadiens d'investir en confiance et de travailler sans crainte. Cela veut dire préserver la qualité de vie des Canadiens et assumer nos responsabilités de citoyens du monde. Cela veut dire respecter les normes internationales comme nos homologue s'attendent à ce que nous le fassions pour faciliter la confiance, les échanges commerciaux et le passage des frontières que nous avons trop souvent tendance à considérer comme des choses parfaitement normales. Le fait d'assumer pleinement cette responsabilité mondiale est un aspect clé de cette loi.

La technologie a permis aux terroristes de disposer d'outils incomparables de coordination et de frappe à l'échelle mondiale. La capacité technique de relier et de combiner des forces disséminées sur plusieurs continents a créé un contexte de menace sans précédent. Puisque les terroristes considèrent que leur champ d'opération, c'est le monde entier, nous sommes obligés de faire de même. La sécurité nous impose d'unir nos forces avec celles des pays étrangers. C'est ce que fait cette loi. Elle s'inscrit dans le cadre d'un vaste effort international. Renforcer nos mesures de sécurité, ce n'est pas seulement renforcer la sécurité du Canada, c'est aussi renforcer la mobilisation mondiale contre la terreur. Si nous ne recourons pas à des mesures appropriées, nous manquerons à nos devoirs envers la communauté internationale et nous ferons du Canada un lieu plus attrayant pour ceux qui cherchent à établir des bases de terrorisme.

Permettez-moi de dire maintenant quelques brefs mots au sujet de la Loi elle-même. Comme les honorables sénateurs le savent, cette loi a suscité des débats — des débats intenses — et c'est tout à fait normal. Quand elle a été présentée, elle a déclenché des discussions animées. Elle a fait l'objet d'un examen parlementaire complet. Son examen a été accéléré, mais les parlementaires l'ont néanmoins étudiée de manière intense et détaillée. Plus de 100 témoins ont comparu au comité de la Chambre des communes en trois semaines, cependant que le Sénat procédait à une étude préalable et entendait 76 témoins que le projet de loi puisse être adopté rapidement. Et ce qui est particulièrement important, c'est que des amendements ont été proposés et adoptés à l'occasion de cet examen.

Toute loi qui cherche à trouver un équilibre entre les droits des citoyens et les exigences de la sécurité nationale doit être abordée avec prudence et soumise à un examen public approfondi. Je suis fière de la façon dont cette loi a évolué. Je suis fière des valeurs qui l'ont façonnée, des modifications qui l'ont améliorée et du débat au sein du public et du Parlement qui l'a enrichie. Je crois que le résultat que nous avons obtenu, c'est une loi qui trouve le juste équilibre entre la nécessité de protéger la sécurité des Canadiens et l'importance de protéger leurs droits. Elle cible les terroristes, leurs actes, leurs visées et leurs réseaux de soutien, et elle est le reflet des idéaux les plus nobles de notre nation. Elle est l'expression de nos convictions en matière de liberté humaine et individuelle.

Lorsque nous avons adopté une loi de lutte contre le terrorisme, il était important de démontrer qu'une société libre pouvait agir en conformité avec ses valeurs. Je crois que c'est le cas de cette loi. Elle respecte des valeurs canadiennes importantes telles que l'équité, l'application régulière de la loi et le contrôle judiciaire. Elle est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. En bref, c'est une solution spécifiquement canadienne.

Parmi ses aspects clés figurent divers garde-fous, dispositifs de reddition de comptes et mécanismes d'examen concernant les divers organismes qu'elle couvre. Il s'agit d'instruments de surveillance et d'examen déjà existants, notamment la Commission des plaintes du public contre la GRC, le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, le CSARS, le Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Pour aller plus loin, le fait que la loi prévoie aussi l'exigence de rapports annuels ainsi que l'examen statutaire que nous entreprenons actuellement traduit clairement une volonté d'éviter les abus et un souci d'ouverture, de transparence et de reddition de comptes auprès des Canadiens. Par exemple, dans le cas de la disposition d'arrestation sans mandat, ou arrestation préventive, je dois en tant que ministre préparer et soumettre au Parlement un rapport annuel sur le recours à cette disposition. Des mesures de protection sont aussi exigées dans tous les cas où ce pouvoir peut être utilisé, par exemple une surveillance judiciaire et le consentement du procureur général. En vertu des modifications apportées au Code criminel, le ministre responsable de la police dans chaque province doit présenter au public un rapport annuel sur le recours au pouvoir d'arrestation sans mandat, la durée de détention et le nombre de cas où une personne a été arrêtée sans mandat et relâchée par la suite.

Permettez-moi maintenant de vous parler de la façon dont la Loi a fonctionné concrètement. Bien que trois ans soient une durée très courte pour évaluer une loi aussi générale qui porte sur des questions complexes, je crois que nous avons déjà pu en tirer des leçons et enregistrer certains succès.

Premièrement, il faut bien comprendre que l'argent est le nerf du terrorisme. Sans argent, les terroristes ne peuvent pas acheter d'armes, former des agents ou créer des cellules à l'étranger.

L'un des effets importants de la loi a été à élargir le mandat du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, pour y inclure la détection, la prévention et la dissuasion du financement des activités terroristes. En vertu des dispositions de la loi, le CANAFE peut maintenant partager certaines informations avec ses homologues internationaux pour enquêter sur les opérations de financement du terrorisme et intenter des poursuites. Ces dispositions permettent aussi au CANAFE de transmettre aux autorités du maintien de l'ordre et au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, des informations sur le financement du terrorisme.

En outre, la loi a permis au Canada de respecter ses obligations auprès du Groupe d'action financière, un organisme intergouvernemental chargé de la promotion de politiques internationales pour la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. La loi sert aussi à protéger l'intégrité des organismes caritatifs au Canada en empêchant les organisations qui appuient des activités terroristes de bénéficier du statut d'organisme caritatif.

La loi a créé un dispositif public de désignation des groupes ou des particuliers liés au terrorisme. Maintenant que les individus ou entités sont inscrits sur une liste, les Canadiens savent exactement à qui ils ont affaire. Nous avons inscrit jusqu'ici plus de 30 entités sur cette liste. Avant de le faire, nous procédons à des tests rigoureux. La loi prévoit aussi des dispositions de radiation de la liste, un examen judiciaire et un réexamen de la liste tous les deux ans.

La liste a été révisée en novembre 2004 et il a été décidé d'y maintenir les 35 entités qui y étaient inscrites. Les banques, les maisons de courtage et autres sont aussi tenus dans ce contexte de respecter certaines exigences de façon à priver les organisations terroristes de l'accès aux actifs qu'elles détiennent au sein de ces institutions.

Mais outre ce qui se passe dans le cadre de la loi, il y a tout ce qui n'arrive pas, et qui est peut-être aussi important. La disposition d'investigation n'a été utilisée qu'une seule fois, dans le contexte de la pire tragédie terroriste qu'ait connue notre pays, celle d'Air India. Comme vous le savez, la Cour suprême a confirmé à cette occasion la constitutionnalité de l'investigation.

Au cours de cette période, il n'y a eu qu'une seule arrestation pour motif de terrorisme et il n'y a eu aucune arrestation sans mandat. La discrétion et les pratiques exemplaires de gestion du risque guident les décisions d'application de la loi.

D'aucuns diront que ce constat prouve qu'on n'avait pas besoin de cette loi. Je soutiens au contraire qu'il montre qu'elle est appliquée de façon prudente et responsable. Ce constat nous permet aussi de remettre en perspective les craintes de ceux qui pensaient que la loi risquerait de menacer des groupes particuliers ou les droits des Canadiens. La primauté du droit est un principe sacro-saint dans notre société démocratique; et notre système de justice pénale a montré qu'il ne recourait à des pouvoirs extraordinaires que dans des circonstances extraordinaires.

Qui plus est, si nos lois doivent servir d'instruments de dissuasion et de prévention, il serait totalement déplacé d'en estimer la valeur en fonction de la fréquence de leur utilisation. La prévention et la dissuasion sont essentielles, comme nous l'avons appris en 2001. Comme je l'ai dit lors du débat à cette époque, et je le répéterai : Si les pirates de l'air sont dans les avions, c'est trop tard, nous avons échoué. Nous devons avoir une position claire vis-à-vis des éléments dangereux et les empêcher de faire du Canada leur base.

Quelles sont les leçons que nous avons apprises et les principes que nous devons appliquer à l'avenir? Je crois que nous avons trouvé le bon équilibre avec cette loi, mais je me rends bien compte qu'il y a encore des gens qui sont dérangés par l'impression qu'elle donne. Je suis d'accord pour revoir les mesures de sécurité afin de nous assurer que nous atteignions nos objectifs en préservant les valeurs canadiennes.

J'ai rencontré de nombreux groupes, notamment des représentants des communautés arabes et musulmanes du Canada. J'ai entendu leurs préoccupations et je les respecte. J'ai accepté à l'époque que la Loi soit revue au bout de trois ans, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui.

En avril dernier, quand j'ai présenté la toute première Politique de sécurité nationale intégrée du gouvernement du Canada, nous nous sommes engagés à organiser une table ronde multiculturelle sur la sécurité. La semaine dernière, le ministre de la Justice et moi-même avons annoncé la composition de cette table ronde et nous avons hâte tous les deux de rencontrer ce groupe le mois prochain.

Grâce à cette table ronde et aux discussions que nous avons poursuivies avec d'autres groupes et particuliers représentant diverses communautés, nous garantissons l'échange et le dialogue sur les questions de sécurité nationale et leurs répercussions sur notre société multiculturelle.

Lorsqu'on s'interroge sur l'avenir de cette loi, il est essentiel de bien comprendre que le 11 septembre 2001 n'a pas été un incident isolé. En fait, depuis cette date, d'autres atrocités ont été commises dans le monde, notamment à Bali, Madrid et Beslin — et chacune de ces tragédies nous a rappelé que les terroristes pouvaient frapper n'importe où et n'importe quand.

D'autres vous diront que la situation du Canada face aux menaces ne s'est pas améliorée depuis le 11 septembre 2001 et qu'on peut même penser qu'elle s'est empirée ou en tout cas qu'elle est devenue plus complexe. Le Canada lui- même a été présenté comme une cible d'al-Qaeda, Osama ben Laden l'ayant mentionné en novembre 2002. Le danger n'est pas écarté; la menace ne s'est pas estompée; et notre vigilance ne doit pas faillir.

La loi que vous examinez aujourd'hui est un élément important de la stratégie du Canada pour assurer la sécurité des Canadiens, et elle contribue de façon importante aux efforts internationaux pour lutter contre le terrorisme partout où il peut exister.

Au cours des trois dernières années, la loi a été judicieusement appliquée, et elle demeure nécessaire. Forte d'une expérience et d'un recul de trois ans, je suis plus que jamais convaincue que cette loi était la bonne réponse et comportait les bonnes mesures. Je peux affirmer sans hésiter qu'elle demeure une réponse appropriée aux défis auxquels nous sommes confrontés ici, chez nous, et dans le monde entier.

Je remercie les honorables sénateurs de leur attention et de leur volonté indéfectible de renforcer la sécurité des Canadiens. J'ai hâte d'entendre vos commentaires et vos questions et je suis ouverte à toute suggestion que vous pourrez me faire pour améliorer cette loi et contribuer aux efforts du Canada au sein de l'élan mondial de lutte contre le fléau du terrorisme.

La présidente : Je vous remercie de cet exposé. Avant de donner la parole à mes collègues qui piaffent, j'aimerais vous demander de nous présenter les hauts fonctionnaires qui vous accompagnent.

Mme McLellan : Je vais les laisser se présenter eux-mêmes, mais M. Kennedy est SMA au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, et M. Pentney est conseiller juridique au ministère. Vous voulez vous présenter de façon plus détaillée?

M. Paul Kennedy, sous-ministre adjoint principal, ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile : Je suis le sous-ministre principal et responsable de la sécurité publique et de la protection civile — d'où ma présence ici aujourd'hui — mais mon champ d'action va des glissements de terrains au terrorisme.

M. Bill Pentney, sous-procureur général adjoint, Citoyenneté, immigration et sécurité publique, Ministère de la Justice Canada : Je suis sous-procureur général adjoint, responsable de la citoyenneté, de l'immigration et de la sécurité publique au ministère de la Justice. Contrairement à M. Kennedy, je m'occupe aussi de citoyenneté, d'immigration et de crimes de guerre.

La présidente : Merci beaucoup d'être là.

Je suis en train de faire une liste d'intervenants et je vais vous donner quelques noms pour que vous soyez prêts à intervenir. Nous commencerons par le sénateur Andreychuk, suivie du sénateur Fraser et du sénateur Lynch-Staunton — qui est, comme vous le savez tous, vice-président de ce comité, et avec lequel je suis enchantée de travailler de nouveau — et enfin du sénateur Smith.

Sénateur Andreychuk, vous êtes la première.

Le sénateur Andreychuk : Merci; je ne sais pas si c'est une invitation à être concise, mais je vais essayer.

Je vous remercie, madame la ministre, d'être venue nous rencontrer malgré vos problèmes de santé.

Mme McLellan : Je vous en prie.

Le sénateur Andreychuk : Vous nous avez expliqué en gros les raisons pour lesquelles vous avez recouru à cette loi. C'était en réponse aux événements du 11 septembre 2001; et je me souviens de nos questions et de vos réponses quand vous nous disiez qu'il fallait agir vite. Il s'était produit un événement effroyable que nous n'avions pas imaginé. Nous savions bien qu'il y avait des activités terroristes dont nous nous occupions, mais c'est l'énormité de cet événement qui a poussé le gouvernement à réagir vite, à juste titre.

Notre souci à l'époque, c'était de bricoler du mieux possible, en fonction des connaissances que nous avions, une loi qui protégerait les Canadiens.

J'apprécie pleinement votre intention d'examiner nos recommandations, mais j'aimerais bien avoir votre évaluation. D'après ce que vous nous avez dit dans votre déclaration liminaire, nous avons besoin de cette loi, qui a bien répondu à nos besoins. Ai-je raison d'en conclure que vous avez l'intention de la maintenir telle quelle? En trois ans, nous n'avons donc rien trouvé dans cet exercice d'équilibre entre tous nos droits qui mérite d'être ajusté de façon à protéger d'autres libertés en même temps que nous nous occupons de la sécurité et de la sûreté de la population? Le grand public, dont je fais partie — je n'ai pas accès à vos séances d'information sur la sécurité — ne se sent pas plus en sécurité aujourd'hui qu'il y a trois ans.

Étant donné tout ce que nous avons appris en trois ans, quels sont les changements qu'il faudrait apporter à la Loi pour nous garantir une meilleure sécurité et rendre à nos concitoyens des choses qu'il n'était pas nécessaire de leur retirer à cette époque-là?

Mme McLellan : Je ne crois pas que nous ayons retiré quoi que ce soit aux citoyens. En fait, nous avons agi en tant que Canadiens et nous savons, pour avoir abondamment consulté nos concitoyens au cours des trois dernières années, que la grande majorité d'entre eux sont satisfaits des mesures que nous avons prises. Certains voudraient que nous allions plus loin et d'autres, un très petit nombre d'après nos derniers échantillons, trouvent que nous sommes allés trop loin. Quelque chose comme 7 p. 100 des répondants trouvent que nous sommes allés trop loin, plus de 40 p. 100 trouvent que nous ne sommes pas allés assez loin et plus de 50 p. 100 estiment que nous avons trouvé la bonne mesure. Les Canadiens sont le reflet fidèle du monde dans lequel nous vivons quand on les interroge en détail sur cette question. Ils estiment que la sécurité ne s'est pas améliorée dans le monde. Ils considèrent qu'ils sont tout à fait en sécurité dans leur famille et au sein de leur collectivité. Ils estiment que la protection de leur sécurité individuelle et collective est un des devoirs les plus impérieux du gouvernement. Mais leur opinion est le reflet d'une réalité dont nous sommes tous conscients, à savoir que la sécurité dans le monde n'est pas meilleure qu'elle ne l'était le 11 septembre. Ce monde est au contraire plus complexe, comme en témoigne la prolifération des attentats terroristes à travers la planète.

Ce que je voudrais dire tout d'abord, c'est qu'il est bien important de comprendre que les Nations Unies ne se sont pas engagées dans la lutte contre le terrorisme le 11 septembre. C'est pour cela qu'il y avait déjà 12 conventions de l'ONU. Nous avons été parmi les premiers à les signer, mais nous n'avions pas encore inclus dans notre législation intérieure les dispositions nous permettant d'en appliquer une bonne partie. Encore une fois, je tiens à rappeler à tout le monde que mon ministère à l'époque, le ministère de la Justice, et le gouvernement lui-même, travaillaient déjà depuis des années à contrer la menace mondiale du terrorisme. En fait, même si le 11 septembre n'avait jamais eu lieu, le gouvernement aurait quand même présenté une loi antiterroriste intégrée à l'automne 2001 ou peu après. Nous en étions arrivés à l'étape de la discussion en comité au gouvernement du Canada.

Par conséquent, sénateur, je ne dirais pas que nous avons bricolé ce texte à la hâte. En fait, une bonne partie des dispositions de cette loi existaient déjà depuis longtemps, et pas seulement ici d'ailleurs, mais dans de nombreux pays du monde entier. Les rencontres internationales qui avaient eu lieu pour mettre au point les dispositions qui se retrouvent ici d'une façon ou d'une autre sont trop nombreuses pour que je les énumère toutes. Le monde était bien conscient de la menace terroriste. Mais c'est peut-être seulement avec les attentats du 11 septembre que nous avons pris pleinement conscience, dans cette région-ci du monde, de la véritable monstruosité du terrorisme.

Si vous regardez ce que les autres pays un peu partout sur la planète ont fait, vous constaterez que nous avons adopté une loi qui traduit un souci très poussé de trouver le juste équilibre. Nous procédons à cet examen de la Loi parce qu'effectivement, nous avons probablement appris certaines choses, du moins je l'espère. Je peux vous assurer, et je ne suis pas la seule, que nous en savons beaucoup plus maintenant sur la portée mondiale du terrorisme, la sophistication des réseaux et la menace insidieuse qu'ils font véritablement peser sur la planète. En trois ans, depuis le 11 septembre, nous avons appris une masse de choses. Nous avons aussi constaté les conséquences involontaires de ces mesures de lutte contre le terrorisme sur certaines collectivités, ici, chez nous et dans le reste du monde, des conséquences malheureuses qui sont le résultat non pas de la Loi, mais d'une menace répandue dans le monde entier. Il faut donc travailler avec ces communautés pour les rassurer quelle que soit leur appartenance ethnique, linguistique ou religieuse et leur montrer que la cible, comme je le disais, c'est bien le terrorisme. J'ai toujours dit, et nous le constatons dans une foule d'événements qui se sont produits depuis le 11 septembre à travers le monde, qu'il existait manifestement des terroristes de toutes couleurs, de toutes langues et de toutes religions. Nous avons appris que nous devions faire un beaucoup plus gros effort pour tendre la main aux communautés affectées pour veiller à mitiger ces conséquences involontaires. Et c'est justement pour cela que mon collègue M. Cotler et moi-même avons lancé l'idée de la Table ronde transculturelle sur la sécurité, dans le cadre de notre stratégie et de nos efforts pour collaborer avec une société pluraliste et diverse.

Le sénateur Andreychuk : Trois remarques : d'une part, vous avez dit que vous auriez aimé que nous examinions cette loi. Une des conséquences malencontreuses de cette loi, à mon avis, c'est ce qu'elle entraîne au niveau de toutes les autres lois. Si nous voulons évaluer cette loi de façon équitable et précise, il faut examiner toutes les autres lois liées au terrorisme, la Loi sur l'immigration et toutes les autres. Je ne vais pas les énumérer, mais j'ai l'impression que si l'on veut faire le travail correctement, il faut le replacer dans son contexte.

Deuxièmement, les conséquences malencontreuses affectent plus la communauté musulmane ou arabe que le reste de notre population. Avez-vous examiné deux choses : d'une part, le fait que notre définition s'inspire très fidèlement de celle des Britanniques, alors que la Chambre des lords est maintenant en train de faire ses commentaires sur leur loi. Deuxièmement, quand vous parlez de conséquences involontaires, nous savons que le mécanisme de l'audience d'investigation n'a été utilisé qu'une seule fois, mais les communautés nous disent que ce qui est vraiment épouvantable dans cette loi, c'est la simple menace de cette procédure et non son utilisation en tant que telle. Quand on enquête, si l'on se sert de la menace d'une audience d'investigation, cela a des répercussions sur le comportement de la personne visée. Les rapports que vous avez déposés concernent des mesures concrètes qui ont été prises, mais ils ne parlent absolument pas de l'utilisation ou de l'éventualité d'une utilisation de cette mesure. C'est cela qui crée le malaise au sein de nombreuses communautés du Canada, et chez les non-Canadiens qui résident ici.

Mme McLellan : Est-ce que vous voulez dire, madame le sénateur, qu'un de mes organismes a menacé de se servir de cette loi directement contre un groupe particulier, car si c'est le cas, j'aimerais bien le savoir?

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas une menace explicite, mais c'est simplement qu'on sait que cette procédure existe, qu'elle peut être utilisée, et qu'elle est épouvantable.

Mme McLellan : C'est la même chose que le Code criminel : les gens qui attaquent une banque, qui battent leur femme ou qui infligent des sévices à leurs enfants savent très bien que cette menace existe, qu'on peut les poursuivre en vertu du Code criminel.

Le sénateur Andreychuk : Vous mettez cela sur le même plan.

Mme McLellan : C'est une question de protection de la sécurité des Canadiens.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce que vous maintenez toujours que la sécurité et la sûreté constituent le fondement de toutes nos libertés, et non que nos libertés ont une incidence sur la sécurité et la sûreté et que les deux vont de pair et l'une n'est pas la condition préalable de l'autre?

Mme McLellan : Tout à fait. Dans une démocratie, il faut qu'il y ait un équilibre, surtout dans une démocratie pluraliste comme la nôtre qui insiste autant sur la Charte des droits et libertés. Toutefois, plus que moi, c'est mon collègue M. Cotler, compte tenu de sa vaste expérience internationale depuis des années, qui vous dira qu'on ne peut pas parler de liberté de religion, d'association et d'égalité quand les gens vivent dans la peur et n'ont pas le droit fondamental à exister dans une société stable et sûre. À travers le monde, madame le sénateur, nous voyons des États déliquescents dont la population est privée du droit le plus fondamental à la stabilité et à la sécurité, et où la société civile n'existe plus tout simplement. Elle se désintègre. Encore une fois, mon collègue M. Cotler pourra vous en parler avec éloquence en se fondant sur sa propre expérience vécue.

Il est vital que nous trouvions le juste équilibre. Personne ne prétend le contraire. C'est pour cela que nous avons fait de gros efforts pour mettre en place des dispositifs de protection, et c'est en fait pour cela que nous avons accepté un si grand nombre d'amendements proposés aussi bien par le Sénat lors de son étude préalable que par le comité de la Chambre des communes à l'époque. Par exemple, à propos de la définition du terrorisme, vous souvenez-vous de tous les témoignages sur les multiples façons épouvantables dont on pourrait se servir de cette notion? Rien de tout cela n'est arrivé parce que cette loi s'inscrit nécessairement dans la panoplie de toutes nos autres lois, y compris tout notre bagage constitutionnel. Elle est profondément ancrée dans les valeurs des Canadiens et dans la panoplie de lois qui garantissent la protection des Canadiens et de nos valeurs fondamentales.

Nous avons par exemple modifié la définition de la notion de terrorisme. Nous avons écouté les interventions des Premières nations, des syndicats et d'autres personnes et nous avons pris soin de ne pas englober des activités légales comme les contestations, manifestations ou protestations diverses. Il n'a jamais été question de viser ce genre de choses avec cette loi qui, comme je l'ai dit et je le répète, vise les terroristes et le terrorisme. Si vous pensez qu'il y a d'autres moyens d'affiner encore le texte pour nous acquitter de nos obligations intérieures et internationales, je suis tout à fait ouverte, et je le souligne bien, à d'éventuelles recommandations en ce sens; pour affiner encore plus l'équilibre, si vous voulez.

Je dois préciser que la décision de la Chambre des lords en Grande-Bretagne, dont on parle, semble faire l'objet d'un grave malentendu. Elle ne portait pas sur la loi antiterroriste, elle portait sur la loi sur l'immigration. Elle concernait la notion de détention pour une durée indéfinie, une notion qui n'existe évidemment pas dans nos lois, que ce soit dans la Loi antiterroriste ou dans la Loi sur l'immigration. En réalité, ce que nous essayons de faire, c'est d'expulser les gens qui n'ont pas à être au Canada le plus rapidement possible, comme l'a récemment souligné la Cour d'appel fédérale.

Le sénateur Andreychuk : Je sais bien qu'il s'agit d'immigration, mais je pense qu'il est bon de lire certains de leurs principes fondamentaux et d'en prendre note.

Mme McLellan : Tout à fait. J'ai effectivement lu cette décision.

Le sénateur Andreychuk : C'est pour cela que je dis qu'il ne faut pas nous en tenir au projet de loi C-36; qu'il faut voir tout l'ensemble du système.

Mme McLellan : J'aimerais revenir là-dessus. Le premier devoir de ce comité, comme de celui de la Chambre, c'est de s'acquitter de l'obligation énoncée dans le projet de loi C-36, c'est-à-dire de revoir le projet de loi C-36. C'est pour cela que j'ai dit que j'espérais que les deux comités concentreraient leur examen sur le projet de loi C-36 lui-même. Si l'un ou l'autre des comités ou les deux estiment alors qu'il y a d'autres questions connexes à examiner, libre à vous de vous pencher sur ces questions comme bon vous semblera. Je ne dis pas le contraire. Mais il est important pour les Canadiens et pour le gouvernement que cet examen du projet de loi C-36 ait lieu car il est stipulé par la loi. Si vous avez des suggestions à nous faire pour le modifier ou le rééquilibrer, nous serons heureux de les recevoir. Et ensuite, s'il y a d'autres choses sur lesquelles vous voulez faire des commentaires, cela relèvera entièrement de la compétence de votre comité.

Le sénateur Stratton : Ce que vous nous dites en deux mots, c'est qu'à votre avis il n'y a aucun changement à apporter à ce projet de loi de votre point de vue, que vous l'avez parfaitement réussi du premier coup?

Mme McLellan : Je crois que personne n'a jamais prétendu avoir tout réussi parfaitement du premier coup, mais je pense que cette loi réalise un juste équilibre. C'est la bonne loi pour répondre à la menace terroriste sur le plan intérieur et sur le plan international. Cela dit, nous avons par exemple accepté que les dispositions de la Loi visant les pouvoirs en matière d'arrestation à titre préventif et d'audience d'investigation prennent fin après cinq ans, à moins qu'une résolution ne soit adoptée par les deux Chambres. Nous reconnaissions que la situation pouvait évoluer et que nous pouvions juger que ces deux éléments n'étaient plus nécessaires. Même dans la Loi, nous avons reconnu que le réexamen était important, que les circonstances pouvaient évoluer, et que des changements à la Loi pouvaient se justifier. Compte tenu de ce que je constate en tant que ministre de la Sécurité publique responsable de la mise en oeuvre de notre Politique de sécurité nationale, je crois que nous avons un bon équilibre. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on ne peut pas le raffiner, mais je suis convaincue que cet équilibre que nous avons réalisé est le bon face aux défis que nous connaissons aujourd'hui dans le monde.

Le sénateur Fraser : Ma question est un peu compliquée. Madame la ministre, il y a trois ans, comme vous, ce qui me préoccupait, c'était de trouver le bon équilibre, et c'est encore le cas maintenant. J'ai toujours tenu à ce que la structure du système que nous avons mis en place avec ce projet de loi comporte tous les garde-fous possibles sans nuire à cet équilibre. Permettez-moi d'attirer votre attention sur un domaine qui me perturbait il y a trois ans et qui me trouble toujours, la liste d'entités, la liste des groupes terroristes. C'est une liste qui est adoptée par le gouverneur en conseil sur votre recommandation. Il y a trois ans, c'est un autre solliciteur général qui l'a fait, mais c'est un ministre bien précis qui suggère les groupes à inscrire sur la liste des entités terroristes. C'est quelque chose de très grave car le simple fait d'être inscrit sur cette liste signifie que pour le Canada, vous constituez un groupe terroriste. C'est extrêmement grave.

Mme McLellan : C'est exact.

Le sénateur Fraser : La décision est publiée dans la Gazette du Canada et on peut en appeler une fois auprès de la Cour fédérale. On peut aussi essayer d'écrire au ministre pour lui dire qu'on n'est pas un groupe terroriste, mais il s'agit du ministre qui vous a inscrit sur la liste au départ. Deux ans plus tard, la liste doit être révisée en vertu de la loi, et elle est révisée par le ministre qui l'a établie au départ et qui s'appuie sur les conseils du même ministère. Je me suis dit alors, et je le pense toujours, qu'on pouvait avoir une espèce de pérennisation bureaucratique qui pouvait le cas échéant entraîner des problèmes importants, pas par mauvaise volonté, mais simplement parce que c'est comme cela que les choses arrivent. Je me demande donc s'il ne vaudrait pas mieux que ce soit quelqu'un d'autre qui fasse ce réexamen, ou si le ministre qui exerce vos fonctions ne devrait pas faire participer des gens de l'extérieur à cette révision.

Je ne dis pas que les groupes qui figurent sur cette liste ne sont pas des groupes terroristes. J'ai l'impression que c'est une très bonne liste. Je ne conteste pas qu'il s'agisse de groupes terroristes. Mais il s'agit d'une loi permanente. Est-ce qu'on ne pourrait pas affiner un peu la situation?

Mme McLellan : C'est intéressant, et je suis ouverte à toutes vos suggestions. Comme vous l'avez dit, dans la vie d'un ministre ou d'un parlementaire élu, le changement est une réalité incontournable et vous avez donc tout à fait raison de dire que ce n'est pas moi, que c'est un autre ministre qui a inscrit la plupart de ces groupes sur cette liste. Il se trouve que, par coïncidence, j'ai jeté un regard nouveau sur l'essentiel de cette liste, et qu'en plus elle doit être soumise au gouverneur en conseil. Je ne peux pas me contenter de l'examiner et de dire que, vu tout ce que j'entends dire et tous les renseignements que nous avons, il faut maintenir toutes ces entités sur la liste. Cela ne suffit pas, il faut aussi que le gouverneur en conseil soit convaincu que la liste est toujours pertinente. J'estime donc qu'il y a des mesures de protection, mais je suis tout à fait curieuse de savoir si vous estimez que cela ne suffit pas. Les 35 groupes que nous avons inscrits sur cette liste figurent tous aussi sur la liste des Nations Unies et, d'ailleurs, sur les listes de tous nos partenaires dans la lutte mondiale contre le terrorisme. Je n'ai pas la moindre hésitation concernant ces 35 entités. Je suis absolument convaincue qu'elles doivent figurer sur cette liste et y demeurer au moins jusqu'au prochain réexamen.

Le sénateur Fraser : Avez-vous consulté quelqu'un en dehors de votre ministère à l'occasion de cet examen?

Mme McLellan : Nous consultons l'ONU pour savoir qui est sur sa liste. Nous sommes évidemment au courant des listes des autres pays. Toutefois, nous nous appuyons principalement pour cet examen sur les informations recueillis par les services de renseignement du Canada. Avec mes hauts fonctionnaires, nous examinons la liste en nous fondant essentiellement sur ces renseignements. Nous connaissons les entités inscrites sur les listes d'autres pays en vertu des règlements de l'ONU parce que la résolution de l'ONU a établi un réseau mondial qui nous permet de collaborer étroitement, de nous échanger des informations et de coopérer pour des choses comme l'établissement de listes. Si nous avions sur notre liste quelqu'un qui n'apparaîtrait sur aucune autre liste, je demanderais pourquoi cette entité figure sur notre liste, qui est une liste parmi des centaines, et non sur les listes des autres pays.

C'est donc comme cela que nous procédons, mais l'essentiel des renseignements sur lesquels je fonde ma décision provient des services de renseignement canadiens.

Mon fidèle collaborateur vient de me rappeler que pour cette liste, mes hauts fonctionnaires collaborent au niveau du sous-ministre avec les ministères des Affaires étrangères, des Finances et de la Justice, et que naturellement le gouverneur en conseil est le reflet de tous mes collègues du Cabinet.

Le sénateur Lynch-Staunton : À propos de listes, pourquoi les Tigres de libération de l'Éelam tamoul, les TLET, ne figurent-ils pas sur cette liste? C'est un groupe terroriste notoire qui est interdit aux États-Unis, en Grande-Bretagne et ailleurs. Pourquoi n'en faisons-nous pas autant?

Mme McLellan : Comme vous le savez, sénateur, ils sont sur la liste de l'ONU et par conséquent nous pouvons les poursuivre en vertu du Code criminel. Toutefois, comme l'a souligné le sénateur Fraser, comme ils ne figurent pas sur la liste de notre Loi antiterroriste, c'est à nous de prouver qu'ils sont effectivement terroristes si nous voulons les poursuivre.

Nous faisons constamment des recherches à l'échelle mondiale pour voir quels groupes devraient figurer sur cette liste. Elle n'est pas statique et je continue à surveiller de très près cette situation.

Le sénateur Lynch-Staunton : Mais que vous faut-il de plus pour les inscrire sur la liste, surtout quand vous savez que les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Inde, l'Australie, la Malaisie et d'autres pays l'on déjà fait? Que savent-ils que nous ne savons pas encore?

Mme McLellan : Le ministre actuel et l'ancien ministre des Affaires étrangères ont dit qu'il y avait une lueur d'espoir pour la paix au Sri Lanka. Il vaudrait mieux que ce soit le ministre des Affaires étrangères qui réponde à ces questions parce qu'il pourrait vous en dire plus sur les discussions qu'il a pu avoir. Quoi qu'il en soit, on m'a dit qu'on espérait que ces discussions pourraient éventuellement déboucher sur des négociations de paix et qu'il valait donc mieux éviter pour l'instant d'inscrire les TLET sur la liste.

Je tiens à vous assurer que j'examine régulièrement la situation et que je vais continuer. Il est évident que mes collègues du Comité de la sécurité publique et de la protection civile doivent examiner de très près la situation des TLET au cours des mois à venir.

Le sénateur Lynch-Staunton : On aurait pu dire la même chose pour la Palestine, où cela fait 40 ans qu'il y a un espoir de paix.

Mme McLellan : Je vous comprends, sénateur.

Monsieur Kennedy, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Kennedy : Dans un souci de clarté, je précise qu'il y a plusieurs listes, et que celle dont vous parlez, c'est la liste établie en vertu du Code criminel.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je parle de la liste des entités établie en vertu du projet de loi C-36.

M. Kennedy : Oui. Toutefois, en plus de cela, il y a la liste établie en vertu du Règlement d'application de la Résolution des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme. Le Canada a inscrit les TLET sur cette liste, ce qui nous permet de geler ou de saisir leurs fonds. Le ministre des Affaires étrangères les a inscrits sur cette liste, donc ils y figurent actuellement.

En outre, la liste établie en vertu du Code criminel nous est très utile lors des procès, car nous n'avons pas à prouver que les groupes figurant sur cette liste sont des entités terroristes. Il reste néanmoins que si une organisation ou des individus se livrent à des activités qui relèvent de la définition d'activités terroristes, ils peuvent tout de même être poursuivis au Canada pour ces activités. Nous pouvons les poursuivre, que le groupe figure ou non sur la liste. En outre, nous pouvons saisir leurs fonds en vertu du Règlement des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme, qui est un règlement canadien en vertu duquel les TLET sont inscrits sur une liste.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne veux pas me lancer dans une discussion. On n'a pas fait les choses comme il aurait fallu. Le fait est que ces gens-là recueillent des fonds au Canada et les envoient au Sri Lanka pour financer des activités terroristes. C'est un fait, et pourtant le gouvernement refuse d'inscrire ce groupe là où il devrait le faire, c'est- à-dire sur la liste des entités qui permet au gouvernement de saisir les actifs, de geler les comptes bancaires et d'arrêter les gens qui continuent à appuyer les rebelles et les terroristes.

Mme McLellan : Sénateur, je vous comprends.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous avez dit, madame la ministre, que la Chambre des lords s'était prononcée sur la loi sur l'immigration. Permettez-moi de vous corriger. Cette Chambre des lords s'est en fait prononcée sur la loi sur la lutte antiterroriste, la criminalité et la sécurité, qui inclut les certificats de sécurité.

Mme McLellan : M. Kennedy peut vous expliquer exactement ce qu'ils ont fait.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je l'ai ici. Je ne veux pas entamer toute une discussion là-dessus.

M. Kennedy : Nous reconnaissons qu'ils se sont prononcés sur cette disposition dont vous parlez dans leur loi, et qui concerne l'immigration. Mais il n'y a pas de disposition parallèle dans le projet de loi C-36.

Le sénateur Lynch-Staunton : D'accord, mais on a donné l'impression que c'était une loi sur l'immigration comme la nôtre, ce qui n'est pas le cas. Cela fait partie de l'équivalent chez eux de notre projet de loi C-36.

M. Kennedy : Je reconnais que j'ai communiqué à la ministre un message un peu bref.

Comme vous le savez, notre disposition remonte à 1978, elle a pris une forme plus officielle en 1991 et elle a été de nouveau présentée en 2000 et ensuite.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci d'ouvrir ce sujet, et je vais terminer sur ceci. Vous avez tout à fait raison, madame la ministre, d'affirmer que le projet de loi C-36 a été utilisé avec prudence, grâce je crois aux avertissements qui ont été lancés ici et ailleurs, mais il reste quand même le problème des gens qui ont été détenus en vertu de la Loi sur l'immigration et de ces fameux certificats de sécurité. Grâce à ces certificats, le gouvernement peut très bien, en s'appuyant sur les preuves les plus ténues, détenir quelqu'un de façon plus ou moins indéfinie, le faire comparaître devant un juge en utilisant des renseignements que seul le gouvernement peut fournir, et enfermer quelqu'un indéfiniment sur de simples soupçons et sans qu'aucune accusation soit portée, en menaçant cette personne de déportation.

Nous connaissons tous bien certaines affaires et certaines décisions récentes des tribunaux, notamment celle de décembre dernier à Toronto. Comment le gouvernement peut-il justifier un traitement aussi vil au mépris complet du droit? Certes, ces gens-là ne sont pas des Canadiens, mais la Charte s'applique à tout le monde.

Mme McLellan : Les tribunaux ont clairement affirmé que cette procédure n'était pas contraire au droit.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne vais pas me lancer dans cette discussion. Les tribunaux ne se sont pas prononcés sur tout le processus.

Mme McLellan : Je voudrais vous aider à bien comprendre la nature des certificats de sécurité. C'est une mesure extraordinaire qui n'a été utilisée que dans quelques rares cas.

En fait, depuis le 11 septembre 2001, seulement trois certificat de sécurité ont été émis. Je n'en ai émis aucun. L'un d'eux concernait d'ailleurs Ernst Zundel, un cas qui n'a rien à voir avec la situation dont nous parlons.

Je ne crois pas qu'il y ait un autre aspect de notre infrastructure juridique qui ait été abordé par les tribunaux plus souvent que les certificats de sécurité ces dernières années. Comme l'a dit M. Kennedy, cela date de bien avant le 11 septembre 2001; cela n'a rien à voir avec cette loi. En fait, depuis qu'ils existent, 27 certificats de sécurité ont été émis et, comme je vous le disais, trois seulement depuis le 11 septembre 2001. C'est une procédure utilisée dans le cadre de la Loi sur l'immigration et non de la Loi antiterroriste. C'est un dispositif qui nous permet de nous occuper de ressortissants étrangers et dans certains cas, de résidents permanents que nous voulons renvoyer rapidement du Canada. Si vous avez lu les récentes décisions de la Cour d'appel fédérale et de la Cour fédérale, vous savez qu'elles affirment clairement que l'un de nos objectifs est de renvoyer ces gens-là rapidement, dans un délai raisonnable. Le certificat de sécurité a justement pour but d'entamer cette procédure de renvoi rapide à l'étranger d'un individu qui constitue une menace pour notre pays ou qui peut être coupable d'une activité criminelle grave, par exemple dans le cadre du crime organisé. Lorsque le certificat de sécurité est utilisé, le juge peut traiter certaines informations de façon confidentielle. Tout cela est soumis à la Cour fédérale. Il y a un juge désigné qui entend toutes les preuves. C'est ce juge qui présente ensuite la preuve, soit dans son intégralité — c'est son choix — soit sous forme d'un résumé, à la personne qui fait l'objet du certificat de sécurité.

C'est en fait le juge qui décide individuellement de la quantité d'information qui va être présentée à la personne faisant l'objet du certificat de sécurité et à son avocat. Dans certains cas, on lui présente la quasi-totalité de l'information pour lui permettre de répondre aux allégations du certificat de sécurité. Toutefois, dans pratiquement tous les pays, il existe des dispositions permettant aux gouvernements de garder confidentielles certaines informations liées à la sécurité nationale lorsqu'ils veulent expulser certains individus de leur territoire.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le fait est que cette information est fournie uniquement par le gouvernement, qu'elle est très sélective et pas toujours fiable. Deuxièmement, il n'y a pas de procès. Troisièmement, l'individu risque d'être déporté vers un pays où il risque d'être torturé. Où est l'équité dans tout cela, où est le respect de la suprématie du droit, je me le demande.

Mme McLellan : Nous n'avons jamais expulsé un individu vers un pays...

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, mais vous avez essayé et vous n'avez pas pu.

Mme McLellan : Nous n'avons expulsé personne vers un pays où il y avait un risque important de torture.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous n'avez pas réussi, mais vous avez essayé. Vous aviez quelqu'un à Toronto que vous vouliez renvoyer en Égypte.

Mme McLellan : Nous obtenons des assurances, comme d'autres pays le font quand ils pensent qu'elles sont fiables, mais nous prenons soin d'y donner suite et de nous assurer que le pays en question respecte ses engagements.

Le sénateur Lynch-Staunton : L'Égypte et la Syrie sont bien connus pour leur expertise en matière de torture, et nos alliés se servent même de ces pays pour faire leur sale boulot. Ne me dites pas qu'on peut les croire sur parole.

La présidente : Nous pourrons revenir là-dessus avec d'autres témoins.

Le sénateur Smith : J'ai deux questions. J'aimerais tirer une ou deux choses au clair.

Je suis d'accord avec l'idée de départ de cette loi. Ce que je me demande, c'est, compte tenu du constat concret que nous pouvons faire, si elle est vraiment efficace. J'imagine qu'elle se justifie dans une certaine mesure parce qu'elle comble un certain nombre de lacunes de la législation existante. Je crois que vous avez dit qu'à part trois certificats de sécurité, il n'y avait eu qu'une seule arrestation pour motif de terrorisme.

Mme McLellan : C'est exact.

Le sénateur Smith : Inutile de mentionner de noms, mais pouvez-vous me rappeler ce qui s'est passé? Où en est-on? En sommes-nous aux conclusions finales? Pouvez-vous nous en parler un peu?

Mme McLellan : Je ne peux pas vous dire grand-chose car l'affaire est toujours devant les tribunaux.

Le sénateur Smith : Y a-t-il des motions préliminaires?

Mme McLellan : Oui.

M. Pentney : Je crois que l'individu en question est toujours incarcéré mais qu'il y a une enquête en cours sur le cautionnement.

Le sénateur Smith : Il ne s'agit pas d'un des trois certificats de sécurité?

Mme McLellan : Pas du tout. C'est une accusation au pénal en vertu de la Loi antiterroriste. C'est la première fois que cela arrive au Canada.

Le sénateur Smith : Vous savez quand les accusations ont été portées?

M. Kennedy : Les accusations ont probablement été portées au cours des quatre derniers mois. Il n'y a pas encore eu d'enquête préliminaire. Il y a une ordonnance de non-publication. Nous ne voulons pas nuire à cette personne.

Le sénateur Smith : Moi non plus, mais nous aurions besoin d'informations concrètes sur les faits précis qui lui sont reprochés. Or, nous n'en avons pas.

Mme McLellan : Malheureusement, il y a une ordonnance de non-publication, et par conséquent tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il a été inculpé en vertu des articles 83.18 et 83.19 du Code criminel.

Le sénateur Smith : Ceci m'amène à ma question suivante : si un seul mandat d'arrêt a été émis dans le cadre de cette loi, cela signifie probablement que les autres lois existantes, que ce soit la Loi sur l'immigration ou le Code criminel en général doivent être assez efficaces pour régler les problèmes qui se présentent. Est-ce exact, ou que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Quelles sont les lois sur lesquelles vous vous appuyez le plus?

Mme McLellan : Nous n'avions pas de loi qui définissait le terrorisme. Si vous lisez le règlement de l'ONU, vous constaterez qu'il comporte un ensemble assez complet d'instructions pour les membres de l'ONU dans la foulée du 11 septembre 2001, un ensemble de mesures à intégrer à leur législation intérieure, toutes sortes de dispositions, par exemple : prendre les mesures nécessaires pour empêcher les attentats terroristes; refuser de donner asile à ceux qui financent le terrorisme, et veiller à ce que toutes les personnes qui participent au financement, à l'organisation et à la préparation ou la perpétration d'actes de terrorisme ou qui apportent un appui soient traduites en justice et que la peine infligée soit à la mesure de la gravité des actes. Nous préparions déjà depuis un certain temps ce projet de loi. Ces événements nous ont simplement fait prendre conscience plus brutalement de la nécessité pour tous les pays de prendre le taureau par les cornes en définissant le terrorisme pour la première fois dans nos lois, de la nécessité de dire aux Canadiens et au reste du monde que nous prenions position sur les activités terroristes criminelles en nous dotant officiellement des moyens de traquer les individus qui auraient de telles activités.

Le sénateur Smith : Je n'en disconviens pas. Je suis bien d'accord. Mais même si le mot terrorisme ne figurait pas dans les autres lois — simplement la notion de complot en vue d'infliger un préjudice corporel — est-ce que les dispositions existantes n'ont pas été utiles?

Mme McLellan : Pas pour la lutte contre le terrorisme. Si vous voulez faire une comparaison, regardez toutes les révisions qu'il a fallu apporter à notre législation sur le crime organisé. Les accusations de complot du Code servaient à poursuivre le crime organisé, mais nous avons constaté à quel point il était difficile de se servir de ces motifs de complot dans ce contexte-ci. Nous avons donc remanié le texte pour cibler de façon beaucoup plus incisive la nature de l'activité du crime organisé et préciser les infractions correspondantes. Nous avons donc resserré le champ d'action, nous avons énoncé les valeurs de notre pays en disant clairement qu'il n'était pas question d'accepter les comportement terroristes.

Le sénateur Joyal : J'ai deux types de questions. Quand nous avons adopté le projet de loi C-36, c'était sous la pression des États-Unis qui nous demandaient d'agir très rapidement. Il est clair que le projet de loi C-36 comportait des mesures juridiques extraordinaires qui étaient à la limite de la Charte et des droits de la personne tels que nous les concevons traditionnellement au Canada.

Le juge en chef de la Cour suprême pense que ces mesures se justifiaient peut-être à l'époque, mais qu'il faut maintenant les revoir. Or, ce que je crois vous entendre dire, c'est que les conditions sont les mêmes aujourd'hui, et j'en conclus que ces dispositions vont donc demeurer de façon permanente dans la législation du Canada.

Est-ce exact?

Mme McLellan : Non. Il est certain que la lutte contre le terrorisme et les manifestations du terrorisme à l'échelle mondiale dans sa forme actuelle sont présentes à plus grande échelle aujourd'hui que le 11 septembre 2001.

Cela dit, j'ai dit clairement quand j'ai témoigné ici à l'automne 2001 qu'il ne s'agissait pas d'une loi d'urgence. Nous n'envisagions pas la disparition à court terme des principales dispositions de ce projet de loi. Je ne pense pas que la définition d'activité terroriste disparaîtra de mon vivant du Code criminel, et je crois que ce terrorisme constituera toujours une infraction criminelle. Je ne peux pas imaginer le jour où nous n'aurons plus à tenir une liste des groupes terroristes qui lèvent des fonds pour perpétrer leurs attentats effroyables. Il n'a jamais été question d'adopter une loi d'urgence. Encore une fois, l'ONU avait déjà pris des dispositions concernant tous les aspects du terrorisme avec ses 12 conventions bien des années avant le 11 septembre 2001, de même que de nombreux pays dans le monde.

Pour ce qui est des deux dispositions de réexamen, nous pensons qu'il ne sera peut-être pas nécessaire d'y recourir. Nous avons reconnu que ces deux dispositions étaient controversées et qu'elles prendraient fin après cinq ans à moins qu'une résolution ne soit adoptée par les deux Chambres du Parlement. Par conséquent, la loi montre clairement que nous voulions nous positionner à l'époque, et laisser le Parlement décider par la suite s'il fallait maintenir ces deux dispositions.

Le sénateur Joyal : Mais votre opinion sur cette loi, c'est que nous n'avons aucune raison de revenir sur ces deux dispositions parce qu'elles n'enfreignent pas notre tradition juridique, n'est-ce pas?

Mme McLellan : En effet. Nous avons pris grand soin en travaillant avec les deux comités de respecter la primauté du droit et la Charte canadienne des droits et libertés, et de trouver un juste équilibre. Toutefois, comme je l'ai dit tout à l'heure, et comme l'a dit le sénateur Fraser à propos la liste, je suis ouverte à d'éventuelles suggestions de mécanismes permettant de faire plus de clarté sur le processus d'examen qui accompagne l'établissement de la liste.

Si vous me demandez si nous allons maintenir la liste, la réponse est catégoriquement oui. Est-elle nécessaire? Oui, en vertu de nos engagements dans le cadre de l'ONU. Mais on peut peut-être raffiner cette procédure. Je suis ouverte à toute suggestion.

Le sénateur Joyal : Comment réconciliez-vous cela avec ce que la juge en chef Beverley McLachlin déclarait l'été dernier? Lors d'un exposé public à une conférence internationale spéciale sur l'éthique et le droit du terrorisme, elle a dit, et je la cite :

[Français]

Le Canada cherche à maintenir l'équilibre fragile entre la sécurité collective et la préservation des libertés fondamentales. C'est aux juges canadiens qu'il revient d'assurer la légitimité de ces moyens juridiques extraordinaires et leur fidélité à l'idéal de primauté du droit.

[Traduction]

Pour moi, l'élément clé, c'est « assurer la légitimité de ces moyens juridiques extraordinaires ».

Si vous avez qualifié ces dispositions du projet de loi C-36 de « moyens juridiques extraordinaires » et que vous vous êtes interrogée sur leur légitimité, c'est parce qu'elles ne devaient pas rester là très longtemps, alors que maintenant elles vont être pérennisées. Or, leur légitimité est toujours en question parce que ce sont des moyens extraordinaires.

J'ai trouvé que dans votre exposé de ce matin, vous ne nous avez pas beaucoup éclairés sur cet aspect du projet de loi C-36. Il y avait des passages fort pertinents concernant la mise en application des 12 instruments internationaux, et nous n'avons pas d'objection à cela. Nous ne nous occupons pas de cet aspect de la loi. Ce qui nous intéresse, ce sont les mesures que la juge en chef et la plupart des autres juges qualifient d'extraordinaires. Personne ne s'attendait à ce que ces mesures extraordinaires soient maintenues indéfiniment.

Mme McLellan : Non, et je m'abstiendrai de tout commentaire sur les dispositions précises dont parlait la juge en chef. Tout ce que je dirai, c'est que je suis profondément persuadée que la juge en chef est convaincue de la nécessité d'une loi antiterroriste. Je pense cependant qu'elle s'est concentrée très spécifiquement sur les dispositions d'arrestation à titre préventif et d'audience d'investigation, les deux dispositions qualifiées d'extraordinaires. Toutefois, ce n'est pas à moi de me prononcer là-dessus; la juge en chef elle-même aura certainement l'occasion de préciser la position de la magistrature sur certains aspects de cette loi antiterroriste.

Je pense qu'on peut dire que tout le monde a qualifié ces deux dispositions d'extraordinaires, les dispositions d'arrestation à titre préventif et d'audience d'investigation, et que c'est pour cela qu'il y a une clause de réexamen. Je crois que ce que dit la juge en chef, et je suis bien d'accord, c'est que dans une démocratie, il faut revoir ce genre de dispositions.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième question concerne la Patriot Act. Vous n'avez pas parlé dans votre exposé des répercussions de cette loi américaine sur notre propre législation. Or, certains aspects importants de cette loi ont des répercussions sur les protections conférées par la Charte aux Canadiens.

Pourriez-vous nous en parler et nous dire quelles initiatives vous avez prises pour atténuer les retombées — je vais utiliser un terme juridique que vous connaissez bien — extraterritoriales de cette loi, la Patriot Act, sur les droits des Canadiens?

Mme McLellan : Tout d'abord, notre loi est sensiblement différente de la Patriot Act. Il est important de bien souligner notre approche spécifiquement canadienne face au défi du terrorisme. Nous n'avons pas adopté certaines des dispositions qui figurent dans la Patriot Act.

Je ne peux pas vous parler d'aspects précis de cette loi. Il en est question dans un certain nombre de tribunaux fédéraux des États-Unis. Donc ce sont leurs propres tribunaux qui sont en train de se prononcer sur l'interprétation et la constitutionnalité de certains aspects de la Patriot Act.

Pour ce qui est de la protection des renseignements personnels, si vous faites allusion aux objections formulées par le Commissaire à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique à propos de l'éventuelle portée extraterritoriale de la Patriot Act, nous avons clairement dit que les filiales canadiennes de sociétés américaines qui fonctionnent au Canada doivent respecter la loi du Canada. La Patriot Act n'a donc pas de portée extraterritoriale à cet égard. C'est notre législation sur la protection de la vie privée, aux niveaux fédéral et provincial, qui s'applique à ces filiales canadiennes et elles sont tenues de respecter ces lois.

Nous tenons à nous assurer de comprendre parfaitement toutes les dimensions possibles de cette portée extraterritoriale de la Patriot Act. C'est pourquoi le président du Conseil du Trésor a chargé un groupe de travail interministériel de voir s'il y a des choses qui nous ont échappé et de s'assurer qu'il n'y a pas de possibilité d'incursion de sociétés américaines dans les affaires privées de leurs filiales canadiennes opérant sur le territoire national, en vertu de cette Patriot Act.

Nous suivons donc cette question de très près, mais je crois, monsieur Pentney, que nous avons clairement affirmé que les filiales canadiennes relevaient entièrement de la législation fédérale et provinciale en matière de protection des renseignements personnels. Ce sont ces lois qui s'appliquent et il n'est pas question que ces entreprises communiquent des informations à l'étranger en contravention à la législation fédérale ou provinciale pertinente.

M. Pentney : Je n'ai rien à ajouter.

Le sénateur Jaffer : Madame la ministre, pour enchaîner sur ce que disait le sénateur Joyal, j'imagine que vous parlez de transfert d'informations financières à des sociétés américaines.

Mme McLellan : La législation sur les renseignements personnels n'est pas limitée aux informations financières.

Le sénateur Jaffer : J'espère qu'avant la fin de notre mandat vous nous donnerez une réponse plus complète à la question du sénateur Joyal.

Mme McLellan : Nous pouvons certainement vous donner plus de précisions, et vous pourriez peut-être entendre à ce sujet la Commissaire à la protection de la vie privée.

Le sénateur Jaffer : Ma question porte sur le fait qu'on examine cette loi dans une bulle. J'aimerais vous faire respectueusement remarquer que si l'on ne tient pas compte de la Loi sur la sécurité publique, de la Loi sur l'aéronautique, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, de la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada, du SCRS, du CANAFE, et cetera, c'est un peu comme si l'on nous demandait de nous pencher sur la question du mariage de conjoints de même sexe sans tenir compte de la Charte. On ne peut pas voir cela dans une bulle.

Je suis préoccupé par les répercussions de cette loi. Vous avez dit que le Code criminel servait à prévenir les gens. La différence entre la cour pénale et cette loi, c'est qu'il y a des groupes qui se sentent visés au Canada. Tout le monde ici sait bien que cette question suscite les passions. Pourriez-vous nous dire par écrit, parce que vous n'avez pas le temps maintenant, ce que votre ministère fait exactement en matière de profilage racial? Je peux vous signaler que des policiers de votre ville sont allés suivre une formation sur cette question en Californie. Je vous donnerai plus de précisions en privé. J'ai hâte de recevoir vos explications détaillées sur la formation que vous donnez en matière de profilage racial.

Quand la Loi antiterroriste a été adoptée, plusieurs d'entre nous ici se sont réjouis de voir qu'on avait prévu des sanctions supplémentaires pour les attaques contre des institutions religieuses. Lors de l'attaque contre la Talmud Torah à Montréal, à l'école juive, on a pu constater que les églises, les mosquées et les synagogues étaient protégées, mais que les institutions ayant des activités dans la mouvance religieuse ne l'étaient pas. Votre ministère s'occupe-t-il de mettre en place des sanctions supplémentaires pour le cas où ces institutions seraient victimes du même genre de situation?

Mme McLellan : Je suis parfaitement sensible au fait que les communautés arabes et musulmanes se sont senties extrêmement vulnérables après le 11 septembre 2001, de même que la communauté sikh s'est sentie directement visée après la tragédie d'Air India. Cette tragédie d'Air India nous a fait comprendre à quel point il était important d'établir des contacts et d'avoir une meilleure communication et un meilleur climat de confiance avec la communauté indo- canadienne. Je ne dirai pas que tout ce que nous avons fait a été parfait, mais je crois que nous avons appris beaucoup de choses depuis le 11 septembre 2001 en matière de relations avec les diverses communautés, surtout celles qui se sentent visées par l'attention, la colère ou la peur des Canadiens. Le gouvernement doit veiller à bien faire comprendre à tous les Canadiens que, comme je l'ai dit déjà publiquement et je continuerai à le répéter, il y a des terroristes de toutes couleurs, de toutes religions et de toutes langues. Il n'est pas question d'une religion ou d'un groupe particulier, il est question de terrorisme et de terroristes. Encore une fois, on en trouve partout.

Il se trouve néanmoins qu'à la suite du 11 septembre 2001, les communautés arabes et musulmanes se sont senties particulièrement marginalisées et vulnérables. Il y a une chose que je regrette très sincèrement, honorables sénateurs, c'est que l'on n'ait pas donné suite à l'engagement que j'avais pris en décembre, après l'adoption de cette loi, de constituer au sein du ministère de la Justice un comité chargé de collaborer avec les communautés, et notamment les communautés arabo-musulmanes au Canada. Le premier ministre a décidé de me transférer du ministère de la Justice au ministère de la Santé en janvier 2002, et l'engagement que j'avais pris ne s'est donc pas concrétisé. Je le regrette profondément car je crois vraiment qu'il aurait fallu le faire. Je sais que mon collègue, M. Cotler, a eu de nombreuses rencontres partout au Canada avec divers groupes multiculturels et notamment la communauté arabe et musulmane, depuis qu'il est devenu ministre de la Justice. Mais cela a été une erreur de ne pas créer ce comité.

Quant à la table ronde transculturelle que nous avons établie, mon collègue M. Cotler et moi-même espérons qu'elle nous permettra d'avoir des rencontres régulières avec ces groupes. Elle a été établie dans le cadre de notre Politique de sécurité nationale pour nous permettre de rencontrer les représentants des groupes multiculturels du Canada, de les entendre nous parler de leurs craintes, de leurs aspirations, de la façon dont des choses comme cette loi, comme l'Agence des services frontaliers du Canada, sont perçues dans leurs communautés et de la façon dont cela les touche. Nous voulons établir un dialogue pour leur expliquer pourquoi nous prenons ces mesures pour protéger tous les Canadiens y compris eux, mais aussi pour comprendre nous-mêmes les répercussions involontaires que ces dispositions peuvent avoir sur ces communautés.

Je conviens avec vous, sénateur Jaffer, que les Canadiens arabes et musulmans ont été particulièrement affectés par cette situation. C'est pourquoi nous devons absolument poursuivre notre travail auprès de cette communauté, afin de bien comprendre ses préoccupations et lui faire comprendre nos objectifs. J'espère que nous allons pouvoir travailler tous ensemble afin que tous se sentent concernés par un sentiment de sécurité collective de tous les Canadiens. Nous ne faisons pas de profilage racial.

En fait, si vous avez des preuves de profilage racial, j'aimerais bien en entendre parler car ce serait un motif de renvoi. Nous ne faisons pas de profilage racial. Nous nous servons simplement des pratiques de gestion du risque les plus perfectionnées au monde, je crois. Donc, si vous avez des preuves de profilage racial, j'aimerais bien avoir des exemples. C'est tout ce que je dirai pour l'instant.

Le sénateur Jaffer : Madame la ministre, en toute déférence, vous dites que vous ne faites pas de profilage racial et vous connaissant, je sais que vous en êtes convaincue. Mais quand on s'appelle Mohammed et qu'on se fait sans cesse arrêter, et que tous les Mohammed se font arrêter, on commence à se demander pourquoi c'est seulement les Mohammed qui se font arrêter.

Mme McLellan : Je comprends.

Le sénateur Jaffer : Quand on dit qu'il n'y a pas de profilage racial, c'est quelque chose qui ne passe pas du tout auprès des gens qui en font l'objet. Je crois que la meilleure chose à faire à cet égard, c'est de nous parler de la formation que vous donnez à vos agents.

Mme McLellan : J'oubliais justement cela. La formation est très importante. J'en ai justement parlé avec les représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada. Il est important que les gens qui sont en première ligne aient une bonne formation. Nous utilisons des techniques de gestion du risque mondialement acceptées. Nous ne faisons rien d'exceptionnel à cet égard. Mais il faut que nos agents de première ligne soient correctement formés. Il faut qu'ils comprennent que quelque chose qui peut sembler neutre pour M. Pentney ou pour moi peut être perçu de façon différente si je suis un Canadien-Arabe nommé Mohammed, par exemple. Il s'agit donc de donner la bonne formation. Je tiens à vous répéter encore une fois que nous ne faisons pas de profilage racial mais que nous utilisons des techniques de gestion du risque. Tous les pays le font. Tous les organismes de tous les pays le font. Parfois, ces techniques ont des conséquences malencontreuses et effectivement, il est important de sensibiliser les gens qui sont en première ligne à ce genre de situation.

Sénateur Joyal, j'ai oublié de vous dire que la Cour suprême du Canada avait confirmé la constitutionnalité des audiences d'investigation. Il y a eu qu'une seule audience de ce type, lors de l'affaire d'Air India, et la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de cet instrument à cette occasion. Cela dit, c'est un dispositif qui demeure à mon avis extraordinaire, et c'est pour cela qu'on a prévu une disposition de réexamen et que nous devons demeurer constamment vigilants à l'égard de ce genre d'instruments.

La présidente : Soyez certaine que nous reviendrons sur les objections soulevées par le sénateur Jaffer lors de nos discussions futures.

Le sénateur Day : Je voudrais vous demander une précision et vous poser une petite question, madame la ministre. Il a été plusieurs fois question de l'équilibre entre droits individuels et sécurité collective, et vous avez dit que vous pensiez avoir trouvé un juste équilibre. Notre discussion aujourd'hui a beaucoup porté sur les droits individuels. Pour ce qui est de l'autre aspect, la sécurité collective, les fonctionnaires de votre ministère et des divers organismes qui relèvent de vous vous ont-ils suggéré des modifications à apporter à cette loi ou des procédures à y rajouter? Votre ministère va-t-il nous suggérer des modifications ou des points particuliers à examiner?

Mme McLellan : Nous ne proposons pas de changements à cette loi pour l'instant. Elle fait l'objet d'un examen et nous avons hâte d'entendre vos commentaires. Vous pourriez poser ces questions par exemple à Giuliano Zaccardelli, le commissaire de la GRC, s'il comparaît, à Jim Judd, le chef du SRCS, s'il comparaît; ou au chef du Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, s'il comparaît; vous pourriez leur demander s'ils estiment, compte tenu de leurs activités de première ligne, qu'ils devraient avoir des pouvoirs supplémentaires.

Sur le plan opérationnel, mise à part la loi, comme l'a dit la vérificatrice générale, le plus grand défi pour nous comme pour les autres démocraties occidentales responsables d'assurer la sécurité collective de leurs compatriotes et dans certains cas la sécurité de ressortissants de pays alliés, c'est de recueillir des renseignements à temps pour empêcher certaines activités, qu'il s'agisse de bloquer des activités de financement, de démanteler un réseau ou de prévenir des attentats comme ceux du 11 septembre ou celui de Madrid, et cetera. Il faut obtenir les renseignements à temps. Il faut les analyser en temps réel et les répercuter en première ligne, que ce soit à l'Agence des services frontaliers du Canada dans un aéroport ou à une frontière terrestre, à la GRC ou à un autre organisme. Le renseignement est fondamental pour nous permettre de nous acquitter de notre devoir de sécurité.

Le 11 septembre nous a appris une chose. Il y avait une foule de renseignements qui étaient éparpillés dans différentes agences, et les Américains à cet égard ont un défi bien pire que le nôtre à relever. Ils disposaient d'énormément de renseignements, mais il y en avait une partie qui n'avaient même pas été traduits. Ces renseignements restaient sur des bureaux, n'étaient pas partagés et n'étaient pas répercutés sur le terrain. Si l'un des 17 terroristes avait été arrêté par un policier à New York, ce policier n'aurait de toute façon pas pu avoir accès aux informations qui auraient permis d'enrayer les attentats du 11 septembre. Nous devons donc, comme les autres pays, nous assurer de recueillir ces renseignements en temps réel, de les analyser et de les répercuter en première ligne pour pouvoir bloquer les individus et les biens à haut risque. C'est là notre objectif.

Le but de cette loi, c'est la prévention. Honorables sénateurs, si je dois être amenée à accuser quelqu'un d'avoir précipité un avion sur une tour, cela voudra dire que j'aurai échoué. Ce que je veux, c'est éviter cela au nom de la sécurité des Canadiens.

Le sénateur Day : Vous avez dit tout à l'heure qu'un des outils les plus importants pour cela, c'était la capacité de saisir les fonds des organisations qui sont fondamentalement axées sur le terrorisme, et que c'était l'un des buts premiers de cette loi. Vous ne nous avez pas donné de statistiques sur les montants qui ont été saisis en vertu de cette loi ou des instruments de répression du terrorisme de l'ONU. Quels sont les montants que vous avez saisis depuis trois ans, et que sont devenus ces fonds?

Mme McLellan : Je vais laisser M. Kennedy vous répondre, mais dans le contexte des Nations Unies, il s'agit d'un effort mondial. Il nous appartenait de mettre en place notre propre dispositif intérieur dans le contexte de la lutte mondiale contre le financement de ce genre d'activités et le transfert de fonds à l'échelle mondiale. N'oubliez pas que quand nous saisissons ou nous gelons des fonds, nous ne parlons pas simplement de terrorisme, mais nous ciblons évidemment aussi le crime organisé.

La présidente : Je rappelle à mes collègues que nous allons entendre les hauts fonctionnaires cet après-midi.

Mme McLellan : M. Kennedy pourrait peut-être répondre à cette question quand je serai partie.

Le sénateur Day : Très bien.

La présidente : Ce serait très utile, sénateur Day, car M. Kennedy aura effectivement la gentillesse de rester pour nous aider. Madame la ministre, merci infiniment d'être venue nous voir ce matin. Cette discussion va manifestement déboucher sur une série d'audiences passionnantes, délicates et animées pour notre comité. Vous avez eu dans le passé la générosité de revenir nous voir régulièrement à propos du C-36 quand nous le souhaitions, et nous espérons pouvoir compter de nouveau sur cette générosité à l'avenir.

Mme McLellan : Oui, et comme je vous le disais, c'est mon collègue M. Cotler qui pilote ce dossier, car c'est Justice Canada qui est le ministère responsable de la Loi antiterroriste. Il a hâte de venir vous rencontrer. En tant que ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, je suis responsable d'une bonne partie des détails opérationnels et je me ferai donc un plaisir de revenir, peut-être vers la fin de vos délibérations, vous apporter un complément de réponses et entendre les recommandations que vous voudrez bien me soumettre.

Je dirai en conclusion que vous accomplissez un travail important, non seulement parce qu'il s'agit d'une loi, mais aussi parce que c'est important pour nous, pour les valeurs de notre démocratie, de revoir cette loi. J'aurais personnellement tendance à penser qu'il vaudrait mieux cibler la Loi elle-même, mais je comprends très bien la nécessité de voir le contexte plus général et je sais bien qu'il y a des problèmes. Le sénateur Lynch-Staunton et moi- même parlions des certificats de sécurité. Il y a des questions distinctes qui peuvent apporter un élément de contexte et même contribuer à renforcer la sécurité des Canadiens. Ce sont des choses qui sont peut-être utiles, et ce sont en tout cas des choses sur lesquelles vous voudrez certainement vous pencher.

La présidente : Merci beaucoup. Soyez certaine que nous aborderons toutes ces questions dans la suite de nos discussions. Vous avez mentionné certains témoins qui figureront certainement sur notre liste. D'ailleurs, notre prochain témoin pour le gouvernement sera le ministre de la Justice, M. Cotler, que nous entendrons lundi prochain. Merci, madame la ministre. Nous allons maintenant aller déjeuner et nous reprendrons à 12 h 45 la conversation avec nos deux hauts fonctionnaires qui ont fait preuve d'une grande patience.

La séance est levée.


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