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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 6 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 21 mars 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit ce jour à 10 h 30 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, c.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous tenons aujourd'hui la 12e séance du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste et nous entendrons des témoins.

Je vais expliquer aux téléspectateurs la raison d'être du comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande de l'ONU, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer sont étude du projet de loi, et nous avons accepté de le faire. La date limite pour l'adoption de ce projet de loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement serait invité au bout de trois ans à revoir les dispositions de la loi et ses répercussions sur les Canadiens en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotion.

Les travaux du comité spécial viennent concrétiser cet engagement pour ce qui est du Sénat. Quand nous aurons terminé cette étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons tous les problèmes dont il y aurait lieu, selon nous, de s'occuper, et nos travaux seront mis à la disposition du gouvernement et du grand public. La Chambre des communes a entrepris un exercice analogue.

Le comité a jusqu'ici entendu des ministres, le directeur de la Sécurité publique et de la protection civile, des experts internationaux et canadiens au sujet des menaces terroristes ainsi que des experts juridiques.

La question des certificats de sécurité ne relève pas de la Loi antiterroriste mais elle a été soulevée à plusieurs reprises au cours de nos discussions. Nous sommes donc heureux d'avoir ce matin un groupe de représentants du gouvernement qui vont nous aider à comprendre ce processus. Voici ces personnes : M. Kennedy, sous-ministre adjoint principal, Sécurité publique et Protection civile Canada, M. Therrien, avocat général principal, ministère de la Justice, Mme Deschênes, vice-présidente, Direction générale de l'exécution de la loi, Agence des services frontaliers du Canada, et M. Goodes, directeur général intérimaire, Direction générale du règlement des cas, Citoyenneté et Immigration Canada.

Comme d'habitude, j'inviterais les honorables sénateurs à formuler des questions et des réponses aussi brèves que possible.

M. Paul Kennedy, sous-ministre adjoint principal, Sécurité publique et protection civile Canada : Honorables sénateurs, je tiens à vous dire, au nom de mes collègues, que nous sommes heureux de pouvoir nous adresser au Sénat aujourd'hui. Dans ce genre de domaine, il est essentiel de bien connaître les faits, pour pouvoir prendre de sages décisions à la fin de vos délibérations.

Les journaux ont souvent été critiques à l'endroit de ce processus; on a utilisé des expressions du genre « processus draconien » et « procès secret ». En plus des documents d'information qui ont déjà été remis au comité, j'ai avec moi un résumé qui décrit les jugements prononcés par diverses juridictions au sujet de cette question. En outre, M. Therrien vous a transmis une trousse que nous pourrons utiliser un peu plus tard, comme document de référence.

En plus de tout cela, je vais déposer quelques observations et vous montrer ensuite des documents que vous pourrez prendre en considération pour décider si ce projet de loi respecte l'équité procédurale.

Au cours des mes comparutions antérieures devant le comité, j'ai indiqué que l'élément central de ce processus existait déjà en 1978 et que la Loi sur l'immigration avait été modifiée en 1991. Dans l'ensemble, le régime que l'on retrouve dans la LIPR adoptée en 2002 est pratiquement identique à celui qui existait auparavant.

Nous ne faisons pas de différence, une fois que les deux ministres ont décidé de déclencher ce processus, entre un résident permanent et un étranger qui se trouve au Canada. Ces questions sont automatiquement renvoyées à la Cour fédérale qui est chargée d'évaluer le caractère raisonnable de la décision.

Comme les honorables sénateurs le savent, il existe une légère différence entre le traitement accordé à ces deux catégories de personnes. Dans le cas d'un résident permanent, il faut délivrer un mandat et le juge est tenu de décider dans les 48 heures s'il y a lieu de détenir le résident permanent en attendant la décision sur le caractère raisonnable du certificat. Les personnes qui ne sont pas des résidents permanents sont automatiquement détenues et l'audience ainsi que la délivrance du certificat constituent le facteur déterminant dans la décision de les libérer ou non. Si le certificat est annulé, la personne visée est libérée. Si le certificat est déclaré raisonnable, les conditions de la détention sont révisées tous les six mois. On vous a remis des documents d'information qui montrent que la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de ces dispositions. Pour replacer cette question dans son contexte, je mentionnerais non seulement que cette loi a été déclarée constitutionnelle mais que l'État a fait preuve d'une grande retenue dans l'utilisation de ses pouvoirs.

Je vais vous fournir quelques chiffres pour illustrer tout cela. Chaque année, près de 110 millions de personnes arrivent au Canada, dont la moitié sont des résidents qui y retournent. En outre, près de 220 000 personnes deviennent chaque année des résidents permanents. En moyenne, on expulse du Canada 8 à 9 000 personnes pour diverses raisons — les demandes d'asile refusées.

En plus de tout cela, vous avez entendu les commentaires du directeur du Service de renseignement selon lesquels 350 personnes environ faisaient l'objet d'une surveillance de la part de ce service. Cela regroupe des citoyens, des résidents permanents et des ressortissants étrangers qui constituent une menace pour la sécurité du Canada. Tous ces chiffres sont annuels.

Depuis 1991, 27 certificats ont été délivrés à l'égard de 26 personnes. Cela représente en moyenne moins de deux certificats par an. Si l'on examine les chiffres correspondant à cette même période, à savoir de 1991 à aujourd'hui, cela veut dire qu'environ 1,5 milliard de personnes sont entrées au Canada, que 3 millions de personnes ont le statut de résident permanent, et que 120 000 d'entre elles ont été renvoyées pour diverses raisons. Parmi toutes ces personnes, 26 d'entre elles ont été visées par un certificat de sécurité.

Certains ont affirmé qu'il s'agissait d'un processus inhabituel. J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs que l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit un mécanisme qui peut être invoqué, au cours d'une instance civile ou pénale, lorsqu'il existe un risque que soient divulgués des renseignements touchant la sécurité nationale. La question est renvoyée à un juge de la Cour fédérale qui décide si la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale. Quelle que soit la nature de l'instance, il est prévu pour les renseignements classifiés un processus qui autorise un juge à les examiner, à se prononcer sur leur divulgation et à préparer un résumé judiciaire. Cela s'applique aux sources et aux techniques qui méritent manifestement d'être protégées — les enquêtes en cours et les relations avec des tiers. Le processus utilisé pour le certificat de sécurité trouve son origine dans l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada qui serait appliqué de toute façon.

Nous avons vraiment besoin d'un tel mécanisme. Sans lui, l'État serait obligé de décider s'il faut prendre le risque d'identifier certains individus, sources et de techniques et les compromettre. On mettrait des vies en danger, en révélant ces sources, et cela nuirait à la capacité de l'État d'effectuer des enquêtes de ce type à l'avenir. C'est un aspect très délicat lorsqu'il s'agit d'organisations qui peuvent survivre à la perte de quelques membres.

Cela représenterait un gros avantage pour les organismes qui constituent une menace pour la sécurité de l'État. Celui-ci serait en effet obligé de choisir entre s'abstenir d'utiliser ce mécanisme, auquel cas des terroristes et d'autres personnes demeureraient au pays et communiquer ces preuves à ces personnes, ce qui leur fournirait des renseignements précieux.

Le système actuel comporte toute une série de protections. Les certificats doivent être signés par deux ministres. Ces derniers doivent avoir des motifs raisonnables de croire à l'existence de certains faits. La question est immédiatement renvoyée à un juge de la Cour fédérale. Les juges sont obligés de tenir compte de tous les renseignements et de toutes les preuves. Le juge est chargé de décider quels sont les éléments qui peuvent être divulgués et c'est lui qui prépare le résumé qui sera communiqué à la personne concernée de façon à ce qu'elle soit raisonnablement informée des faits qu'elle doit réfuter. Le juge tient une audience publique à laquelle les agents du SCRS sont convoqués, interrogés et contre-interrogés et au cours de laquelle les personnes concernées ont la possibilité de présenter des preuves supplémentaires. Comme je l'ai fait remarquer, la détention des résidents permanents doit être révisée de façon périodique.

Lorsque le certificat est jugé raisonnable, il y a encore une autre étape à franchir, c'est l'opinion au sujet du danger que représente la personne en cause, qui doit être émise avant de renvoyer un réfugié au sens de la convention et bien entendu, un ressortissant étranger peut toujours demander que soit effectuée une évaluation des risques avant le renvoi. Même lorsqu'une personne est interdite de territoire, même si elle est reliée au crime organisé ou à d'autres types d'activités criminelles, le ministre de l'Immigration doit se demander s'il est opportun de renvoyer la personne en cause, compte tenu des risques qu'elle peut courir dans le pays de destination.

Il est difficile de parler de ces choses dans l'abstrait, en particulier lorsque l'on parle d'équité procédurale. Vous avez reçu un résumé judiciaire concernant M. Ahani. Ce dossier est relativement mince, il comprend 17 pages environ. Dans l'affaire récente de M. Zundel, des centaines de pages lui ont été communiqués.

Pour ce qui est de savoir si M. Ahani a été informé des allégations faites contre lui, le paragraphe 1 indique que le service a des motifs de croire que M. Mansour Ahani est membre du ministère iranien du Renseignement et de la sécurité — le MRS. Le MRS finance, et exerce directement, toute une série d'activités terroristes qui comprennent l'assassinat de dissidents politiques à l'étranger.

Le paragraphe 3 de la page 3, décrit les sujets abordés dans le rapport. L'allégation est que la principale fonction du MRS est l'assassinat des dissidents iraniens à l'étranger. M. Ahani a reçu une formation spécialisée de la part de cette organisation qui en a fait un assassin. Après avoir obtenu le statut de réfugié au Canada, Ahani a quitté le Canada pour se rendre en Europe, où il a été arrêté en compagnie d'assassins connus, membres du MRS.

À la page 4D, on constate qu'il existe des motifs raisonnables de croire que Ahani a participé en Europe à un complot en vue d'assassiner un dissident iranien bien connu. M. Ahani est maintenant de retour au Canada.

Le paragraphe 4 contient certains renseignements généraux concernant le MRS, qui a été créé en août 1983.

Le paragraphe 5 indique que la protection de la République islamique d'Iran est un objectif essentiel du MRS. Cet organisme cible les intellectuels, les opposants, les membres d'organisations dissidentes modérées ou extrémistes, et certains membres de ces organismes et groupes qui résident au Canada ou se rendent dans ce pays.

Le paragraphe 6 mentionne que la grande priorité du MRS est en ce moment le mouvement Mujahedin-e Khalq — le MEK. La deuxième priorité vise les groupes de droite qui s'opposent au gouvernement, la troisième les groupes et les personnes de gauche qui s'opposent au gouvernement.

Quelle que soit la position que vous occupez sur l'échiquier politique, le MRS s'intéresse à vous.

Au paragraphe 7 de la page 5, nous constatons que le 16 mars 1993, deux hommes armés en scooter se sont approchés d'une voiture dans une rue passante de Rome et ont tiré à bout portant une balle dans la tête du conducteur. Celui-ci était un ancien diplomatique iranien, M. Nagdi, qui était à la tête du bureau de Rome du MEK. De plus, l'Allemagne s'inquiète du fait que quatre chefs du Parti démocratique kurde d'Iran aient été tués en Allemagne en septembre dernier.

Le paragraphe 7.1 fait référence à des assassinats exécutés au Pakistan.

Au paragraphe 8, il est mentionné que les activités iraniennes inquiètent et choquent le gouvernement turc et il est mentionné qu'un journaliste a été tué à cette époque ainsi que le chef de la communauté juive d'Istanbul.

À la page 6, le rapport signale que les tueurs semblent être formés dans un camp de formation secret situé aux environs de Téhéran.

Le paragraphe 9 mentionne d'autres cas d'enlèvements et d'assassinats.

Le paragraphe 10 mentionne une série d'attaques commises en Europe; des meurtres à Genève et à Paris, des attaques au couteau à Bonn et bien sûr l'assassinat du traducteur du livre de Salman Rushdie, Les versets sataniques, dans sa résidence de Milan en août 1991.

Le paragraphe 11 mentionne que d'autres enquêtes ont été effectuées et le rapport conclut que rien n'indique que cette série d'assassinats va s'arrêter.

Le rapport mentionne des interrogatoires de M. Ahani dans lequel celui-ci a fourni des renseignements détaillés au sujet du meurtre de deux autres opposants du gouvernement iranien, à Vienne et en Suisse.

Les antécédents de M. Ahani indiquent qu'il a vécu et travaillé à Singapour, qu'il est né à Téhéran, en Iran, en 1964, et qu'il est arrivé à Vancouver, en Colombie-Britannique, sans passeport ni visa d'immigration valide.

Il est mentionné à la page 14 que certains renseignements contenus dans le rapport ont été fournis par Ahani et corroboré par d'autres renseignements en la possession du service mais ses déclarations contradictoires, les renseignements obtenus par le service au cours de ses enquêtes et les résultats du test polygraphique montrent tous que Ahani n'a pas répondu sincèrement aux questions et qu'il a tenté de tromper le service et les autorités d'immigration canadienne.

Le rapport fournit ensuite une série d'exemples de contradictions dans son témoignage, dans les motifs avancés pour expliquer son incarcération et ses déplacements ainsi que dans les dates concernant ces faits. Il est en réalité venu directement de Singapour, contrairement à ce qu'il a déclaré.

À la page 9, nous constatons qu'Ahani n'a finalement reconnu ces faits qu'au cours du quatrième interrogatoire et uniquement après avoir été confronté à ce sujet par les enquêteurs du service.

Au paragraphe 15, nous apprenons que sa demande d'asile initiale à titre de réfugié politique était fondée sur le fait qu'il avait été deux fois emmené dans le bureau du Comité révolutionnaire islamique et battu par des gardes de la révolution iranienne parce qu'il était en état d'ébriété. Il a par la suite modifié sa version des faits. Selon sa seconde version, il prétend avoir été emprisonné pour avoir refusé d'utiliser ses armes au cours d'une descente dans des bureaux du MEK au Pakistan. Il affirme avoir obtenu sa libération en feignant avoir reconnu ses erreurs et en acceptant de se joindre à la direction des assassins à l'étranger du service de sécurité du ministère des Affaires étrangères.

Au paragraphe 16, il affirme savoir beaucoup de choses sur le gouvernement et sur les opérations clandestines de l'Iran et qu'il serait certainement mis à mort s'il était obligé de quitter le Canada et de retourner dans ce pays. Il avait déclaré au départ qu'il avait également eu l'intention de devenir membre du MEK et il affirme aujourd'hui qu'il serait en danger s'il le faisait parce qu'il est devenu un assassin.

Au paragraphe 17, Ahani parle d'un ami et d'un ancien associé qui a travaillé avec lui au MRS et il mentionne que cette personne était un commandant qui coordonnait des attentats contre des dissidents. Il a commis des assassinats en Iran et dans d'autres pays.

Le paragraphe 18 mentionne qu'après son arrivée au Canada, Ahani a continué à fréquenter cette personne qui est, d'après lui, le commandant d'une équipe de tueurs.

Trois semaines après l'audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ce commandant l'a appelé et lui a dit qu'il voulait le voir.

Plus loin, au paragraphe 18, le rapport mentionne qu'Ahani a par la suite communiqué avec une personne inconnue à l'étranger et acheté un passeport de la République d'Andorre au nom de Roberto Gomez pour la somme de 900 $US.

Au paragraphe 19, il est mentionné qu'il a de nouveau été contacté à la mi-mai et qu'on lui a demandé de se rendre par avion à Zurich, ce qu'il a fait, en passant par Amsterdam et en utilisant un faux passeport.

Il a rencontré un gars dans un secteur boisé situé près d'un restaurant qui lui a dit qu'il avait besoin de son aide et ils se sont rendus en Italie. Le lendemain de leur arrivée en Italie, il a reçu un sac de sport qui contenait une forte somme en devises américaines et ils se sont rendus séparément dans une ville italienne.

On remet ensuite à M. Ahani une caméra avec laquelle il doit prendre un certain nombre de photographies mais discrètement.

Si nous lisons la suite des événements, il indique qu'ils ont été arrêtés par le gouvernement italien et qu'il se rend ensuite à Istanbul en Turquie. Au paragraphe 23, il est mentionné qu'Ahani devait déposer l'appareil photographique au consulat iranien à Istanbul.

Au paragraphe 23, en haut de la page 13, il affirme avoir remis l'appareil photographique à un employé, que le passeport sous le nom de Gomez a été photocopié et qu'il a ensuite été remis à M. Ahani.

Au paragraphe 24, il demande à sa femme de lui envoyer 2 000 $ pour qu'il puisse acheter un billet d'avion et un nouveau passeport. Le faux passeport grec qu'il a acheté ne l'obligeait pas à obtenir un visa pour entrer au Canada. Ahani prétend avoir fait disparaître le passeport Gomez pendant son vol vers Toronto, ainsi que son faux passeport grec une fois arrivé à Toronto.

Au paragraphe 25, il affirme n'avoir plus aucun contact avec cette personne depuis son arrivée au Canada; cependant, au cours d'un interrogatoire subséquent, il a reconnu avoir communiqué avec elle en Iran à un moment donné en juillet 1992.

Au sujet de sa formation, le paragraphe 26 mentionne que lorsqu'il était interrogé au sujet de sa participation à ce qui était décrit comme étant l'unité de lutte contre les drogues du bureau du premier ministre, il a déclaré qu'il avait participé ou projeté de participer à une attaque au Pakistan. Il a reçu, comme cela est mentionné au paragraphe 27, une formation spécialisée, notamment en matière d'utilisation des modèles portatifs de missiles sol-air ou sol-sol et de lance-grenades.

En haut de la page 14, on peut lire que M. Ahani a également reçu une formation pour attaquer des résidences et des véhicules en utilisant une combinaison d'explosifs et d'armes à tir rapide. Il s'est entraîné à sortir d'un véhicule en mouvement, à tirer quatre fois dans le cœur de la victime et une fois dans la tête et à remonter ensuite dans le véhicule en marche.

Quelques lignes plus loin, il est rapporté qu'il s'est familiarisé avec des dispositifs explosifs improvisés, avec les arts martiaux, les attaques lancées par des équipes d'hommes armés et la contre-surveillance, et qu'il a suivi des cours en concentration et en développement de la mémoire. Il a admis par la suite avoir suivi cette formation pour entrer dans les services secrets. Il a également fourni des détails au sujet d'un certain nombre de meurtres.

Cet homme éprouve manifestement quelques difficultés à dire la vérité parce que ses versions varient souvent, pour dire le moins. Au paragraphe 28, les trois dernières lignes, il a déclaré encore une fois qu'il a refusé de participer à une attaque lancée au Pakistan, où il devait faire une arrestation reliée aux drogues — ou même pas une arrestation, parce que, lorsque les autorités iraniennes au Pakistan attaquent une résidence, cela ne constitue pas une arrestation. Il a découvert que ces attaques visaient les résidences de membres du MEK vivant au Pakistan. Au cours de son examen polygraphique, on lui a demandé s'il avait activement participé au raid effectué au Pakistan et s'il avait commis des actes ayant entraîné la mort ou des blessures. L'examinateur en polygraphie a affirmé que les deux réponses négatives fournies par Ahani à ces questions étaient fausses.

Au paragraphe 29, deux dernières lignes, il réaffirme être convaincu que le gouvernement de l'Iran n'hésiterait pas à supprimer des cibles se trouvant au Canada.

Au paragraphe 30, le rapport mentionne qu'au cours de son examen polygraphique, on a demandé à Ahani s'il avait informé Khoshkooshk du fait qu'il avait communiqué avec les autorités canadiennes. L'examinateur en polygraphie a affirmé que la réponse négative fournie par Ahani était fausse.

À la page 16, au paragraphe 33, le rapport mentionne que tous les éléments dont dispose le service au sujet de Monsour Ahani montrent qu'il faut le considérer comme constituant une menace pour la sécurité du Canada : à cause de son association avec le MRS, du fait qu'Ahani a reconnu avoir participé aux activités de différentes sections du service de renseignement iranien, de la connaissance qu'il possède de ces activités, des renseignements précis qu'il possède au sujet du meurtre de certaines personnes, de ses contacts récents avec une personne qui est le chef d'une équipe d'assassins et du fait que cette organisation risque de lui demander de participer à des assassinats au Canada ou à l'étranger.

Au paragraphe 34, le rapport mentionne qu'il continue d'être loyal envers cette personne, qu'il a immédiatement décidé d'aller en Italie pour l'aider comme elle le lui demandait et qu'il a affirmé au service au cours d'un interrogatoire qu'il collaborerait probablement encore avec elle s'il était contacté.

Page 1; il continue à manifester de vifs sentiments nationalistes et religieux, dans ce cas-ci, pour l'Iran.

C'est un résumé assez court si on le compare à d'autres. J'estime que ce rapport mentionne très clairement ce que nous pensons de la personne visée par le certificat et les raisons pour lesquelles elle constitue un sujet de préoccupations pour le gouvernement du Canada, en général et pour les deux ministres qui l'ont signé, en particulier.

Le rapport mentionne également la façon dont se déroule la procédure. Ce document est ensuite déposé auprès d'un tribunal. Celui-ci tient des audiences publiques. J'ai avec moi des documents que nous serions très heureux de vous remettre si vous le souhaitez.

Il y a là un dossier qui a près de cinq pouces d'épaisseur mais je dois vous dire qu'il n'y a que deux pouces et demi qui représentent la transcription des audiences publiques, avec l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins.

L'autre document contient une série de jugements de la Cour fédérale dans le domaine de l'immigration qui sont susceptibles de vous intéresser.

J'ai en outre ce volume. Il contient tous les documents judiciaires concernant M. Ahani pendant la période en cause — Cour fédérale, Cour d'appel fédérale, Cour suprême du Canada, Cour supérieure de l'Ontario, Cour d'appel de l'Ontario, Cour suprême du Canada une deuxième fois, ainsi qu'un autre document pour le Comité des droits de l'homme des Nations Unies.

Je crois qu'on peut parler ici de divulgation complète, sincère et équitable et dire que la personne en question a bénéficié de garanties judiciaires; l'équité procédurale a donc été respectée.

Il n'est pas facile de bien comprendre tout cela lorsqu'on examine les articles de journaux.

Pour être juste, j'ai également demandé à mes collègues si ce dossier était représentatif de l'ensemble de ces dossiers, puisqu'il n'y a eu que 27 certificats visant 26 personnes depuis 1991. Je suis un avocat en formation et il est important pour moi de préserver ma crédibilité. C'est pourquoi je voulais être certain de connaître quelle était la norme dans ce domaine. Il est évident que ces personnes peuvent choisir de participer ou non à une audience publique. C'est une décision qu'ils prennent en fonction de la solidité de leur version des faits.

Si l'on examine les journées d'audience accordées à diverses personnes pendant cette période, nous constatons qu'une a eu deux jours d'audience, une autre cinq jours, deux jours, deux jours, quatre, huit, un, trois, 50. Cinquante jours d'audience pour M. Suresh, qui s'est également adressé à la Cour suprême du Canada. M. Ahani a eu 12 jours d'audience, M. Singh, 17. Un autre 18, six, cinq, M. Zundel en a eu 43, 12, 14 et 16.

Il faut également mentionner qu'il est possible de contester ces procédures judiciaires, ce qui me paraît très important. En outre, et j'aimerais que cela figure au compte rendu — et vous pourrez le constater en lisant les documents qui vous ont été distribués — je tiens à signaler que les juges ont parlé de façon très éloquente des responsabilités qui leur incombent dans ce genre d'affaires et du fait qu'ils doivent vérifier que les témoins disent la vérité, évaluer leur crédibilité, veiller à ce que les renseignements soient fiables et proviennent de plusieurs sources, sachant que ces renseignements peuvent donner lieu à de multiples interprétations. S'ajoute à tout cela le fait que le représentant de la Couronne est également un officier judiciaire et qu'à ce titre, il est tenu de divulguer au juge de façon franche, complète et équitable tous les renseignements pertinents, dont il a besoin pour prendre ce genre de décisions.

Nous serons heureux de vous remettre ces documents si vous le souhaitez.

Nous sommes prêts à répondre aux questions que les honorables sénateurs souhaitent nous poser.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci, monsieur Kennedy, de nous avoir présenté un excellent exposé, d'ailleurs très convaincant. Il est bien documenté. Je vous félicite de l'avoir aussi bien préparé. Je dois dire que vous avez abordé de nombreux aspects sur lesquels nous ne nous étions pas attardés, en tout cas pas dans mon cas.

Puisque vous avez mentionné Ahani, où est-il maintenant? Que lui est-il finalement arrivé?

M. Kennedy : Il est retourné dans son pays. J'ai un document ici qui me paraît intéressant et je crois que vous le trouverez également assez révélateur. C'est le compte rendu de l'audience qu'a tenue le tribunal des droits de l'homme des Nations Unies. Il y est allégué que le Canada a violé un des pactes et il contient une version des faits. Bien entendu, la personne qui a présenté ce mémoire à l'ONU mentionnait à l'époque que personne n'avait entendu parler de Ahani et que, selon certaines rumeurs, il serait mort. Bien entendu, le Canada a répondu que non seulement cela n'était pas vrai mais que M. Ahani avait eu un entretien avec un représentant canadien en Iran. Il a parlé à ce représentant et ne s'est pas plaint d'avoir été maltraité. En fait, un fonctionnaire du gouvernement iranien a contacté par la suite le gouvernement canadien, à la demande de M. Ahani, pour demander qu'on lui remette certains articles qu'il avait laissés au Canada. Je pense que Stewart Bell — et je me trompe peut-être sur ce point — s'est en fait rendu dans ce pays pour faire un suivi, en raison du caractère inhabituel de l'affaire; il a retrouvé Ahani et constaté qu'il était en bonne santé. Il n'a pas été torturé, il n'a pas été tué. Le mémoire présenté à l'ONU mentionne qu'il a été incarcéré pendant un certain temps à son retour mais qu'il a ensuite été relâché. Il se plaignait d'avoir du mal à trouver du travail. Même après le retour d'Ahani en Iran, le gouvernement du Canada a veillé à faire comprendre au gouvernement iranien qu'il ne souhaitait aucunement que cette personne soit maltraitée.

Le sénateur Lynch-Staunton : N'y a-t-il pas une contradiction ici? Voici un homme qui est un terroriste, d'après ce document, et je ne le conteste pas, et au lieu de l'emprisonner ici, nous le renvoyons dans le pays qui l'employait et il risque de reprendre ses anciennes activités.

M. Kennedy : Eh bien, de quoi aurions-nous pu l'accuser ici?

Le sénateur Lynch-Staunton : C'est vrai.

M. Kennedy : Un des objectifs des mesures antiterroristes est d'essayer de prévenir les actes terroristes et de désorganiser les groupes terroristes. En demeurant au Canada, cette personne aurait facilement eu accès à certaines cibles, parce que l'objectif de ce groupe était de tuer les dissidents. Par conséquent, en étant ici et en étant en mesure d'obtenir un passeport canadien, il aurait pu par la suite se déplacer facilement d'un pays à l'autre. Compte tenu de ces objectifs et du fait qu'il a été identifié comme personne ayant été renvoyée du Canada, je suis sûr qu'il figurera sur les listes de surveillance d'autres pays. Cela va par conséquent limiter ses déplacements. Il aura certainement du mal à embarquer sur un avion à destination de l'Amérique du Nord parce qu'il a été identifié comme un terroriste. Il est donc utile, au moins sur le plan de la prévention et de la désorganisation de ces groupes, de l'éloigner des personnes qui pourraient être ses victimes. Ce n'est pas une solution parfaite mais avec un système judiciaire et un processus pénal qui exige une preuve au-delà de tout doute raisonnable, nous savons que cela est une norme très difficile à respecter. Dans ce cas particulier, il fallait viser la prévention. Il ne fallait pas attendre qu'il tue quelqu'un pour ensuite porter des accusations contre lui. Il serait alors resté au Canada. Il aurait purgé sa peine mais même après l'avoir purgée, nous l'aurions déporté à titre de condamné, comme nous l'avons fait pour M. Charles Ng. Il a commis une infraction ici; nous l'avons poursuivi, il a purgé sa peine et nous l'avons renvoyé du Canada. Ce n'est peut-être pas la solution parfaite mais nous faisons le mieux que nous pouvons.

Le sénateur Lynch-Staunton : En fait, nous l'avons renvoyé et nous avons ainsi supprimé la menace qu'il faisait peser ici et peut-être en Amérique du Nord mais nous avons simplement déplacé la menace vers d'autres pays.

M. Kennedy : Cela n'est peut-être pas nécessairement le cas ici. Je me réjouis du fait qu'il s'est adressé au gouvernement canadien pour se plaindre d'être au chômage. Je pense qu'il n'est plus guère utile pour le service du renseignement iranien parce que tout le monde sait maintenant que c'est un assassin iranien. C'était un assassin professionnel. C'était sa réputation; il le faisait pour de l'argent.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je pense néanmoins qu'il pourrait être facilement embauché ailleurs. C'est ce que je ne comprends pas très bien. N'y a-t-il dans le Code criminel une disposition qu'on aurait pu lui appliquer? Devrait-on modifier le Code criminel pour que cela soit possible? Peut-on ajouter une disposition qui s'appliquerait à ce genre d'affaire, à des personnes dont il est établi — et je crois que la preuve en a été faite — qu'elles constituent une menace et un danger? Il a fréquenté des personnes qui ont tué, s'il n'a pas tué lui-même, il devrait donc être emprisonné ou surveillé étroitement de façon à supprimer la menace qu'il représente pour tous les pays.

M. Kennedy : Il y a deux aspects à considérer qui dépendent des faits de l'affaire. Il existe dans le code des dispositions qui traitent des infractions de terrorisme. Il y a des activités qui constituent des infractions de terrorisme, dans ce cas particulier, le fait d'être un assassin à la solde d'un autre gouvernement. Il faudrait examiner ces activités pour voir si elles sont visées par cette définition. Cependant, dans le cas d'un terroriste dont les activités sont visées par la définition d'« infraction de terrorisme », lorsque l'organisation dont il est membre figure sur une liste et que nous sommes en mesure de prouver que c'est une organisation terroriste, alors les actes posés par cette personne, même s'il ne s'agit pas d'un acte de terrorisme, peuvent être visés par les dispositions de la loi antiterroriste parce que selon ses dispositions, il n'est pas nécessaire que l'activité soit réellement exercée pour déclencher l'application de cette loi. Il faut néanmoins que l'organisation dont il fait partie puisse être qualifiée d'organisation terroriste.

Il existe dans la loi — et je dois préciser que cela ne fait pas partie de l'analyse effectuée jusqu'ici — des dispositions qui traitent de la détention préventive. Lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste va être exercée et de soupçonner la personne qui va l'exercer, il est possible d'arrêter cette personne conformément à une disposition relative à l'obligation de garder la paix. Tous ces éléments seraient analysés pour déterminer si les activités en question constituent des infractions de terrorisme définies par le Code criminel. Je n'ai pas envisagé cette affaire de ce point de vue.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pourrait-on dire que nous n'utilisons pas les dispositions de la loi parce que c'est un domaine tout nouveau et que le gouvernement estime qu'il est plus sûr d'utiliser la Loi sur l'immigration? Le mécanisme prévu par cette loi a déjà été utilisé plusieurs fois et par conséquent, nous possédons une certaine expérience de ce genre de cas et aucune dans celui du projet de loi C-36?

M. Kennedy : Le projet de loi C-36 n'existait pas à l'époque où M. Ahani a été renvoyé.

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, mais au cours des trois dernières années, il y a eu sept personnes, je crois, qui ont fait l'objet d'un certificat.

M. Kennedy : Cinq. Il faut examiner les différentes mesures qui peuvent être prises et utiliser celle qui paraît la plus appropriée, compte tenu des preuves dont vous disposez. Il est clair que dans les affaires dont vous parlez, il a été jugé que le certificat de sécurité était la mesure appropriée.

M. Daniel Therrien, avocat général principal, ministère de la Justice Canada : J'ajouterais que ces affaires sont particulièrement délicates lorsqu'il y a des allégations de risque de torture, ce qui était le cas pour M. Ahani. Le processus a permis de constater que, dans le cas particulier de M. Ahani, cette allégation n'était pas fondée. Cette question a été soumise à la Cour suprême, qui a confirmé les décisions antérieures selon lesquelles cette allégation n'était pas fondée et le Comité des droits de l'homme des Nations Unies n'est pas intervenu sur ce point. Il est évident que lorsqu'il y a une allégation de torture, la situation est beaucoup plus délicate. Cependant, dans un cas comme celui de M. Ahani, où l'on peut conclure que le risque de torture n'a pas été démontré, il faut alors choisir entre le recours au droit pénal et le recours à la loi sur l'immigration. Cela est vrai. Cependant, le Canada ne se trouve pas dans une situation exceptionnelle dans ce domaine. Tous les pays démocratiques ont adopté des lois sur l'immigration et des lois pénales. Ils utilisent ces deux types de loi depuis un certain temps. Et cela s'explique. Le droit pénal vise essentiellement à punir les personnes qui ont commis une infraction pénale. La loi sur l'immigration a pour but de refuser l'entrée du territoire national aux personnes qui n'ont pas le droit d'y entrer pour différents motifs, notamment le risque qu'elles représentent pour la société ou le territoire où elles se trouvent. C'est pourquoi ces deux systèmes travaillent de façon parallèle au Canada. Ils travaillent également de façon parallèle dans les autres pays démocratiques, c'est du moins ce que je pense. Les juridictions canadiennes et les juridictions internationales ont estimé que cette situation était tout à fait acceptable.

Il est clair que, lorsque l'on allègue qu'il y a un risque de torture, la situation est beaucoup plus délicate mais lorsqu'il n'y a pas de risque de torture, comme c'était le cas dans l'affaire Ahani, je ne pense pas qu'il soit possible de critiquer le recours à la loi sur l'immigration pour renvoyer quelqu'un qui est interdit de territoire, comme le font de nombreux autres pays.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous avez parlé de la différence de traitement entre les nationaux et les ressortissants étrangers pour la même infraction alléguée et nous avons suivi de près ce qui est arrivé au Royaume-Uni, les Law Lords ayant jugé qu'il était contraire à la Charte européenne des droits d'accorder un traitement différent à ces catégories de personnes. Le gouvernement a donc présenté un nouveau projet de loi qui accorde un traitement identique aux ressortissants britanniques et aux étrangers lorsqu'il s'agit d'activité terroriste, que celle-ci soit alléguée ou établie. Je préfère ce genre de solution parce que j'ai du mal à comprendre pourquoi le droit accorde un traitement différent aux ressortissants étrangers, qu'ils soient résidents permanents ou réfugiés, mais pourquoi il traite également différemment les citoyens. Aux termes de la Charte, il existe trois catégories de résidents qui font l'objet d'un traitement différent. Cette question a cependant été résolue au Royaume-Uni.

Monsieur Kennedy, je vous pose directement la question : Qu'en pensez-vous?

M. Kennedy : Je pense que nous vous avons fourni un résumé qui décrit les positions que nos tribunaux ont adoptées sur cette question.

Le sénateur Lynch-Staunton : Que pensez-vous de la décision du Royaume-Uni de traiter de la même façon ces deux catégories de personnes?

M. Kennedy : Notre Cour d'appel fédérale a examiné la décision du Royaume-Uni et a estimé que les faits étaient différents. Le Royaume-Uni s'est trouvé dans une situation difficile non seulement à cause de la différence de traitement mais parce qu'il existait aussi une disposition qui prévoyait la détention de ces personnes pour une durée indéterminée. Nous n'avons pas de disposition prévoyant la détention à durée indéterminée, de sorte qu'ici, la situation est différente. C'est pourquoi des personnes comme M. Suresh et M. Zarqawi ont été libérés sur cautionnement. Nous avons des dispositions qui autorisent les tribunaux à libérer ces personnes. C'est pourquoi nous n'avons pas connu le même problème qu'eux.

En outre, l'article 6 de notre Charte énonce expressément que le droit d'entrer au Canada appartient aux citoyens, à personne d'autre, et que le droit des résidents permanents d'entrer au Canada est régi par la Loi sur l'immigration. Le résident permanent ne peut invoquer les droits reconnus par la Charte et la Cour suprême du Canada l'a affirmé. En fait, une des responsabilités de l'État est de choisir les personnes qui sont autorisées à entrer sur son territoire. C'est une distinction tout à fait constitutionnelle qui a été reconnue valide par les tribunaux. Je pense que c'est même une des questions que la commission de l'ONU a examinées. Le traitement accordé au Canada à ces personnes est tout à fait valide sur le plan constitutionnel. Si nous n'avions pas ce pouvoir, nous ne pourrions empêcher personne d'entrer au Canada. Nous avons adopté des lois sur l'immigration pour le faire.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ce n'était pas vraiment la question que j'ai posée mais j'aurais une dernière question. Je l'ai posée au témoin précédent, à qui je n'aurais pas dû la poser, mais je crois que vous serez en mesure d'y répondre.

Existe-t-il un moyen d'annuler un certificat de sécurité si les preuves apportées par la personne concernée sont telles que le juge ou quelqu'un d'autre doit reconnaître qu'il y a une erreur? En d'autres termes, une fois délivré, le certificat est-il permanent ou peut-il être annulé?

M. Kennedy : Le juge est chargé d'examiner le certificat et de se prononcer sur son caractère raisonnable. Le juge peut annuler le certificat et sa décision est définitive.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le certificat est toutefois délivré par deux ministres et il est soumis à un juge pour qu'il le confirme ou le rejette. Une fois confirmé par le juge, cela met-il fin au mécanisme pour ce qui est de la validité du certificat de sécurité?

M. Kennedy : J'ai mentionné que l'étape suivante consisterait à déterminer si la personne en question risque d'être torturée en cas de renvoi, et il y a bien sûr le fait que le document peut être utilisé au cours de l'audience d'immigration.

Je peux vous dire que si nous obtenions des renseignements qui montraient que le certificat a été délivré à tort, je vous dirais que nous prendrions des mesures pour corriger la situation.

Le sénateur Lynch-Staunton : Est-il exact que vous soyez les seuls à pouvoir annuler le certificat ou est-ce qu'un juge pourrait le faire?

M. Kennedy : Eh bien, le juge se prononce sur le caractère raisonnable du certificat.

Le sénateur Lynch-Staunton : Oui, mais je parle de l'étape suivante.

M. Kennedy : Avec la formulation actuelle, il n'y a pas d'appel mais il y a d'innombrables décisions de sorte que je ne serais pas surpris que cette personne puisse invoquer, par exemple, le droit à la vie et à la liberté de l'article 7 et présente une demande fondée sur la Charte.

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, je vais essayer de résumer ma question. Si, un an après qu'elle ait été renvoyée, cette personne possède des preuves qui établissent que les renseignements utilisés étaient erronés, pourrait-elle faire appel? Est-il trop tard pour elle?

M. Therrien : Pour être sûr de bien avoir compris la question, je vais la reformuler. Si l'on constatait par la suite que les renseignements sur lesquels est fondé le certificat délivré par le ministre sont inexacts ou insuffisants, pourrait-on faire quelque chose et quels seraient les mécanismes que l'on pouvait utiliser dans ce cas? Ma réponse serait — comme l'a dit M. Kennedy — que c'est le tribunal qui a le principal rôle dans ce cas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Après que le tribunal s'est prononcé.

M. Therrien : Voulez-vous dire dans le cas où le tribunal a décidé qu'il fallait annuler le certificat?

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, le confirmer.

M. Therrien : Alors vous avez une décision qui n'est pas susceptible d'appel, et il y a une mesure de renvoi qui doit normalement être exécutée. Il est difficile d'imaginer en pratique une telle situation mais il est possible, aux termes de la Loi sur l'immigration, de modifier des conclusions concernant l'interdiction de territoire. Si ces renseignements existaient, chose très difficile à concevoir, je suppose qu'il serait possible d'admettre à nouveau cette personne.

M. Kennedy : Étant donné que c'est là une question importante, j'ai demandé à M. Craig Goodes quelle était leur façon d'agir à l'égard des personnes qui ont été expulsées. Je peux vous dire que nous sommes, tout comme eux, désireux d'éviter les erreurs judiciaires et que nous trouvons les moyens d'y remédier mais il est peut-être en mesure de nous expliquer ce que l'on peut faire pour les personnes qui ont été expulsées.

M. Craig Goodes, directeur général intérimaire, Direction générale du règlement des cas, Citoyenneté et Immigration Canada : Je vais conclure en revenant sur les derniers commentaires de M. Therrien.

Lorsque la personne est expulsée conformément à un certificat et aux conclusions qu'il contient, dans le scénario que vous avez décrit, sénateur, si l'on apprenait par la suite que les renseignements sur lesquels la mesure d'expulsion était fondée étaient inexacts, alors cette personne pourrait demander à nouveau son admission au Canada. Tout comme les personnes qui ont été expulsées pour une raison beaucoup moins grave peuvent demander à nouveau d'être admises au Canada. La loi prévoit certaines conditions qu'il faut respecter mais il existe un mécanisme qui permet à la personne qui a été expulsée du Canada de redemander son admission et, à certaines conditions, elle peut être autorisée à entrer de nouveau au Canada.

Le sénateur Fraser : Lorsque l'on parle d'expulser quelqu'un, il faut s'assurer que cette personne-là ne sera pas torturée. Quel est le processus suivi? Comment réussissons-nous à obtenir ces assurances? Quelle est la nature de ces assurances? Pouvons-nous être vraiment sûrs que ces assurances seront suivies d'effet?

M. Kennedy : Comme vous l'avez fait remarquer, il faut d'abord décider que l'individu court un danger; si nous pensons que c'est le cas, alors nous suivons un processus avec l'État étranger. M. Keith Morrill, du ministère des Affaires étrangères, est à nos côtés. Nous pensions que vous pourriez poser ce genre de questions et nous avons demandé à des experts comme lui de vous répondre.

M. Keith Morrill, directeur, Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, Affaires étrangères Canada : Sur la question des assurances, la Cour suprême a déclaré dans Suresh qu'il fallait examiner ces assurances dans chaque cas, mais nous pouvons certainement faire certaines choses pour veiller à ce que ces assurances proviennent des plus hauts niveaux du gouvernement et soient très fiables.

Par exemple, nous cherchons à obtenir ces assurances au niveau diplomatique et non pas simplement par un échange de lettres entre fonctionnaires. Nous cherchons à obtenir des assurances par un échange de notes diplomatiques qui concrétisent une déclaration précise de l'État étranger et non pas celle d'un individu qui peut faire une erreur ou être désavoué.

Dans le contexte de l'expulsion et non dans celui de l'extradition, la question des assurances est plus délicate parce qu'il n'y a pas de traité. Autrement dit, les assurances ne sont pas fournies en application d'un traité particulier qui impose certaines conditions à l'extradition. Nous recherchons néanmoins à obtenir des assurances au niveau diplomatique, et au niveau de l'État, il s'agit d'examiner la gravité des risques courus. Nous insistons au cours des échanges diplomatiques sur l'importance que nous attachons à ce genre d'engagements et sur notre détermination à veiller à ce que ces engagements soient suivis d'effet.

Le sénateur Fraser : Faisons-nous toujours un suivi? Je note que dans le cas de M. Ahani, M. Kennedy a mentionné qu'un représentant du gouvernement canadien s'était informé de sa situation en Iran.

M. Kennedy : Nous n'avons pas essayé de savoir comment il allait. Le document est la réponse du Canada au Comité des droits de l'homme parce que, comme je l'ai dit, son avocat avait affirmé qu'il allait peut-être être tué ou torturé. La réponse faisait clairement savoir que dans le cas de cette personne le risque de torture était tout à fait minime. Notre Cour suprême a examiné cette question et a souscrit à la décision du ministre. À la page 7 du document que je regarde, il est indiqué que les faits ont confirmé l'opinion du Canada selon laquelle la personne en cause ne risquait pas d'être torturée en cas de renvoi. Un représentant du gouvernement canadien avait parlé avec la mère de cette personne qui avait déclaré — et là nous sommes en octobre 2003, bien après son départ — que son fils allait bien et qu'il y avait eu d'autres contacts avec les autorités canadiennes, y compris une visite de Ahani à l'ambassade du Canada à Téhéran le 10 octobre 2002, au cours de laquelle il ne s'était pas plaint d'avoir été maltraité par le gouvernement iranien.

J'ai mentionné qu'il s'agissait d'un citoyen iranien se trouvant en Iran et que le Canada ne pouvait pas vérifier la situation des citoyens iraniens en Iran. Nous ne le faisons pas habituellement mais dans ce cas-ci, le Canada a signalé ce cas au gouvernement iranien et lui a indiqué qu'il s'attendait à ce qu'il respecte ses obligations internationales en matière de droits de l'homme, notamment en ce qui a trait à la personne en question.

Je pense que c'est le journaliste Stewart Bell qui, dans un de ses articles, s'était rendu là-bas, avait fait un suivi et avait eu une entrevue avec cette personne. Le document parlait toutefois du fait qu'Ahani s'était rendu à l'ambassade du Canada à Téhéran après sa soi-disant disparition.

La présidente : À quel document faites-vous référence, monsieur Kennedy? Est-ce un des documents que nous avons ici?

M. Kennedy : C'est un document que j'ai apporté avec moi et je propose de vous le remettre si vous le souhaitez. Il contient tous les actes de procédure concernant M. Ahani, notamment sa tentative de saisir de cette question le tribunal international des droits de l'homme et toutes les observations qui ont été faites à ce moment-là.

Le sénateur Kinsella : Il faudrait être précis ici. Vous parlez d'un document déposé aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Kinsella : A-t-il été examiné par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies qui est chargé de recevoir les communications présentées en vertu de ce pacte?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Kinsella : Avez-vous tous les documents concernant cette communication?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Kinsella : J'aimerais que tous ces documents soient remis au greffier.

M. Kennedy : Je serais très heureux de le faire.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Fraser : Vous avez fait remarquer que, lorsque ces personnes sont retournées dans leur pays d'origine, nous ne pouvons pas savoir ce qui leur arrive. Par contre, dans quelle mesure pouvons-nous donner foi aux assurances que nous fournissent certains pays qui pratiquent la torture et que faisons-nous dans ce cas?

M. Kennedy : Il faut bien sûr évaluer chaque affaire selon ses mérites, pour ce qui est du poids à accorder aux assurances fournies.

Pour ce qui est de la correspondance et de la décision relative aux droits de l'homme, ils ont examiné cette question avec l'Iran et affirmé que cela ne soulevait aucun problème avec l'Iran. Il y a quelques cas d'abus mais ces abus ne touchent pas habituellement des personnes comme M. Ahani et ils ne sont pas systémiques. Les décisions sont prises sur une base individuelle lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu d'accepter les assurances fournies.

L'autre chose à ne pas oublier est que les États agissent en fonction de leurs intérêts. Dans ce cas particulier, il s'agit de terrorisme. Le terrorisme est un phénomène mondial. Tous les pays ont besoin de la collaboration des autres pays pour lutter contre ce phénomène et il serait donc dans l'intérêt d'un État de ne pas agir de façon à, dans ce cas-ci, embarrasser le Canada ou à violer les engagements qu'il a pris, parce qu'il tient compte d'un contexte plus vaste. Il est évident que cela aurait un effet négatif sur ses relations avec le gouvernement canadien ainsi qu'avec les organisations canadiennes. Il est dans l'intérêt de tous les États, même les pires, de se comporter correctement.

Le sénateur Andreychuk : Je vous remercie d'avoir présenté l'affaire Ahani mais je suis un peu perplexe. Cette affaire remonte à 1993 et elle est antérieure à la nouvelle importance accordée au terrorisme. Il y a aussi le fait que la Loi sur l'immigration a été changée depuis cette époque. Je me souviens encore des changements importants apportés au processus d'immigration par le projet de loi C-11 — je ne sais pas comment il s'appelle maintenant — et c'est pourquoi j'aimerais avoir certaines précisions.

Est-il toujours exact que l'immigration utilise les preuves obtenues par nos services de renseignements et d'autres sources pour prendre des mesures de renvoi et délivrer des certificats de sécurité? Est-il exact que deux ministres doivent recommander la mesure d'expulsion envisagée au cabinet?

M. Kennedy : Non, ils ne la recommandent pas au cabinet.

Le sénateur Andreychuk : Ils prennent simplement cette décision.

M. Kennedy : Oui, les deux ministres sont autorisés, s'ils sont d'accord sur ce point, à signer le certificat et à le transmettre au tribunal.

Le sénateur Andreychuk : Un de ces ministres est le ministre de l'Immigration.

M. Kennedy : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Qui est l'autre ministre?

M. Kennedy : C'est la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada, connu également comme étant le solliciteur général, parce que tant que ce projet de loi ne sera pas adopté, c'est elle qui signe le certificat en qualité de solliciteur général.

Le sénateur Andreychuk : Pour ce qui est des questions relatives à l'expulsion et à la révocation de la citoyenneté, je crois que la cour a récemment déclaré qu'il n'est pas conforme à l'équité que les ministres qui font enquête soient également les ministres qui prennent les décisions définitives. Par conséquent, le ministère de l'Immigration effectue les enquêtes et obtient de l'information des sources de renseignement et c'est bien ce ministre, ainsi que le ministre de la Sécurité publique responsable des services de renseignement et de toutes les autres questions, qui signent ce document. Est-ce bien exact?

M. Kennedy : Oui. Je signale pour le compte rendu que le ministre de l'Immigration n'effectue pas d'enquête. En fait, le rôle d'application de la loi du ministère de l'Immigration a été supprimé en décembre 2003 et transféré au ministère de la Sécurité publique. Son rôle se limite uniquement à celui d'un observateur qui ne participe pas à l'enquête, que les faits ou non la justifient. Si c'est bien le cas, cela est soumis automatiquement à un juge de la Cour fédérale, qui est l'autorité qui a le pouvoir de l'annuler s'il l'estime justifié.

Je mentionnerais également que pour les affaires postérieures à 1991, le régime appliqué était pratiquement le même que celui qui existe actuellement pour ce qui est du processus dont vous parlez, à savoir la signature de deux ministres, la préparation d'un résumé par le juge et la transmission du résumé à la personne concernée. Tous ces éléments existaient déjà. Les mesures législatives adoptées en 2002 n'ont pas eu pour effet de modifier ces éléments. L'essentiel de ces éléments se retrouve ici.

Les affaires antérieures concernaient le terrorisme et toute une série de groupes et de personnes. C'est le service du renseignement qui fournissait les renseignements dans toutes ces affaires sauf pour l'une d'entre elles — Chiarelli — qui était une affaire concernant le crime organisée.

Monsieur Therrien, voulez-vous ajouter quelque chose au sujet du processus?

M. Therrien : J'aimerais dire quelques mots des modifications introduites par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui est le titre du projet de loi C-11, LIPR, adopté en 2002.

Dans l'affaire Ahani, le processus de délivrance du certificat était essentiellement identique à celui qui existe actuellement, à l'exception d'un élément important, à savoir l'évaluation du risque de torture. Lorsque le mécanisme de délivrance du certificat a été adopté pour la première fois, la convention contre la torture n'existait même pas. Elle a été adoptée au cours des années 1980 et les certificats ont été créés en 1978.

Dans la LIPR, la loi de 2002, le principal changement apporté au processus de délivrance des certificats est que l'évaluation du risque de torture a été confiée à la Cour fédérale dans le cadre de son examen du caractère raisonnable du certificat. On voulait ainsi accélérer le processus, réduire les délais, puisque la personne concernée est alors en détention, et examiner ces questions ensemble. Ahani a été détenu pendant longtemps : neuf ans. La LIPR a tenté de réduire ces délais en regroupant les procédures.

Le sénateur Andreychuk : Dans le projet de loi C-11, dans la mise à jour de la loi et la mise en œuvre des certificats de sécurité, je crois que le ministre avait le pouvoir de définir ce qui constitue le terrorisme et une activité terroriste. Existe- t-il aujourd'hui, dans la Loi sur l'immigration, une définition du terrorisme et des activités terroristes, ou est-ce la même définition que celle de la Loi antiterroriste?

M. Kennedy : Je tiens à préciser qu'avant décembre 2001, le terrorisme n'était défini dans aucune loi.

Le sénateur Andreychuk : Je comprends cela. Je ne veux pas toujours revenir en arrière, à 1993. Je veux savoir quelle est la situation actuelle.

M. Kennedy : Je pense qu'il existe un lien.

Le sénateur Andreychuk : La Loi sur l'immigration accorde-t-elle au ministre le pouvoir de définir ce que sont le terrorisme et une activité terroriste aux fins de la loi? Le projet de loi C-36 contient une définition d'activité terroriste et je veux savoir quelle est la définition qu'utilise actuellement le ministère de l'Immigration.

M. Kennedy : L'information dont je dispose, étant donné que je n'ai pas la loi avec moi, est que la LIPR ne définit pas ce qui constitue une activité terroriste. Dans l'ensemble de la jurisprudence qui couvre la période qui nous intéresse, les tribunaux n'ont pas hésité à conclure à l'existence d'une activité terroriste et de la définir ainsi. La définition que nous avons se trouve dans le projet de loi C-36 mais elle ne vaut que pour le Code criminel. Est-ce bien cela?

M. Therrien : Le ministre n'a pas le pouvoir de définir le terrorisme. La LIPR utilise ce terme et en fait un motif d'interdiction de territoire sans le définir. Comme l'affirme M. Kennedy, ces dispositions ont fait l'objet de contestations constitutionnelles fondées sur le fait que le terrorisme n'est pas défini et est une notion trop vague mais les tribunaux ont rejeté ces contestations.

Le sénateur Andreychuk : Il n'y a pas de règlement et le ministre n'a pas tenté de définir ce qui constitue une activité terroriste pour ce qui est du processus d'immigration. La seule définition utilisée est celle du projet de loi C-36; est-ce bien exact?

M. Kennedy : Le juge examine la Loi sur l'immigration pour se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat et il examine le mot lui-même « terrorisme » et utilise ensuite son pouvoir d'appréciation. Un juge a déjà déclaré : « Je reconnais le terrorisme quand je le vois. » Les juges n'ont pas éprouvé de difficultés particulières à appliquer la notion de terrorisme.

Vous avez raison, cela donne un vaste pouvoir au juge. La seule définition qui existe, comme je l'ai dit, est applicable au Code criminel.

Je feuillette les documents et je constate que la plupart des organisations qui y figurent sont également mentionnées dans le règlement des Nations Unies sur la suppression du terrorisme.

Le sénateur Andreychuk : Vous parlez maintenant d'organisations terroristes. Je parlais de la définition de terrorisme ou d'activité terroriste, par opposition aux organisations terroristes.

Dernière question, est-ce que tout cela est transmis au juge?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Cependant, l'information qui est transmise au juge provient de nos services de renseignement et de nos services d'immigration. Si le juge prend une décision au mieux de ses connaissances, et définit ce qu'est le terrorisme dans un cas donné, la personne concernée peut se retrouver visée par un certificat de sécurité.

Je ne parle pas du fait que cette personne peut ou devrait être expulsée. Je ne parle pas de la question de savoir si elle peut être torturée ou non.

Supposons que je sois un ressortissant étranger qui a fait l'objet d'un certificat de sécurité et que je veuille maintenant rétablir mon innocence parce que je possède de nouvelles preuves qui montrent que les agents de sécurité sont revenus sur leurs versions des faits ou sur autre chose; je dispose maintenant de renseignements que je pourrais présenter au Canada et dire : « Je ne suis pas un terroriste; je n'aurais pas dû faire l'objet d'un certificat. » Y a-t-il un moyen d'annuler ce certificat?

Dans notre Code criminel, il y a la discrétion ministérielle qui permet de rouvrir une affaire, même lorsque tous les appels sont épuisés, lorsqu'il y a eu une injustice. Il y a la réhabilitation. Nous savons que les gens font des erreurs.

Y a-t-il un recours pour la personne qui a fait à tort l'objet d'un certificat de sécurité, malgré tous les efforts que nous avons déployé pour éviter ce genre de chose?

M. Kennedy : Je vous ai décrit ce processus.

Le sénateur Andreychuk : Après l'audience, la personne est expulsée et ne se trouve plus au Canada. Des années plus tard, elle découvre des preuves qui montrent que le certificat repose sur des renseignements erronés. Cette personne peut-elle faire quelque chose pour faire annuler le certificat, pour que les faits soient rétablis et ne puissent plus être utilisés contre elle? Je parle de rétablir les faits.

M. Kennedy : Il faudrait bien sûr qu'il existe un processus. Il n'y en a pas dans la loi actuellement. Comme M. Goodes l'a indiqué, il faudrait que cela soit semblable à une nouvelle demande d'entrée au Canada. Le certificat est transmis à la Commission de l'immigration, il est utilisé à l'audience et il fait preuve de son contenu, à savoir que la personne visée est membre d'une organisation et que celle-ci a exercé ou exercera des actes de terrorisme. C'est de cette façon que le certificat est utilisé à l'audience.

Lorsque la même personne présente une nouvelle demande d'entrée au Canada, cela démarre un processus. Ce processus permettrait à la personne de mentionner qu'elle possède de nouvelles preuves et qu'il convient de réexaminer son dossier. Il pourrait y avoir une façon de le faire, si c'était bien là votre objectif. C'est une façon un peu détournée; la loi ne contient aucune disposition autorisant la personne qui a été expulsée et qui souhaite entrer au Canada à procéder ainsi pour faire annuler le certificat.

Le sénateur Andreychuk : C'est une façon indirecte. Ce n'est pas non plus une façon de démontrer que les faits utilisés antérieurement étaient faux. À l'heure actuelle, il n'est pas possible de rétablir les faits en demeurant dans son pays d'origine. Autrement dit, nous n'avons pas envisagé cette possibilité dans notre loi.

M. Kennedy : Il faudrait procéder de façon indirecte. Dans le cas où les renseignements auraient été fournis par le service du renseignement, la personne pourrait se plaindre au SCRS et fournir des preuves, et cet organisme pourrait reconnaître que les renseignements fournis au ministre étaient faux. L'organisme ferait un rapport au ministre et si le ministre reconnaissait que les faits étaient faux, nous pourrions prendre une décision en ce sens.

Je vous signale que, par rapport au nombre total des affaires, celles-ci sont choisies avec beaucoup de soin. L'ancien directeur du service du renseignement a déclaré que chaque cas de ce genre exigeait qu'on lui consacre près d'un million de dollars. Ces enquêtes ne sont pas faites à la légère et les faits sur lesquels elles se basent sont solides. Je vous ai montré deux façons d'attirer l'attention du public ou du ministre sur la situation hypothétique que vous avez mentionnée.

Le sénateur Smith : Et les brefs de prérogative comme le certiorari, le bref de prohibition et le mandamus? Pourrait- on utiliser ces brefs dans certaines situations auxquelles le sénateur Andreychuk a fait référence?

M. Kennedy : Selon la loi, la décision du juge de la Cour fédérale est définitive — la décision sur le caractère raisonnable du certificat est définitive pour ce qui est de la Couronne ainsi que pour la personne visée. Ces décisions ont fait l'objet de toutes sortes d'attaques indirectes fondées sur la Charte et de toutes sortes d'arguments. C'est pourquoi je ne pense pas que l'on puisse exclure complètement la possibilité que quelqu'un invoque l'article 7 de la Charte, combiné à l'article 24 ou à un autre type de redressement. Il ne faut jamais dire jamais avec les avocats.

On a utilisé certains brefs de prérogative dans le but d'essayer d'obtenir des injonctions pour empêcher le sursis de l'exécution d'une ordonnance. Dans le cas de M. Ahani, après que son expulsion ait été ordonnée, il a intenté une série d'actions pour essayer de suspendre son expulsion en attendant l'issue de l'examen auquel procédait la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Ces demandes ont été soumises à la Cour d'appel de l'Ontario et à la Cour suprême du Canada qui a refusé l'autorisation d'appel. Je ne dirais jamais que des avocats ne pourront jamais faire quelque chose.

Le sénateur Day : Je vous remercie d'être venu nous aider avec cette question des certificats.

Dans l'exemple de Mansour Ahani que vous nous avez donné, qui est très utile, je note à l'avant-dernière page — c'est l'ordonnance que prononce le juge après l'audience préparatoire à la rédaction du sommaire — qu'il semble que le juge ait supprimé certains mots. Je me demande pourquoi la partie qui a été supprimée était l'expression « soit signifié immédiatement ». Le résumé et les renseignements préparés conformément à l'article 40 de la loi tel qu'elle se lisait à l'époque doivent être signifiés à M. Ahani qui doit être à ce moment-là visé par une ordonnance de sécurité et en détention. Pourquoi n'est-il pas assisté par un avocat et pourquoi ce résumé ne devrait-il pas être signifié à cet avocat?

M. Kennedy : Il est possible qu'il n'ait pas eu d'avocat à l'époque; je n'en suis pas sûr.

M. Therrien : Les avocats ont accès à ce genre de renseignements. Je ne sais pas pourquoi ces mots ont été rayés dans ce cas particulier mais la personne visée et son avocat ont accès au sommaire.

Le sénateur Day : Il est en détention. On peut penser que dans le cours normal des choses il serait à ce moment-là en détention.

M. Kennedy : Oh, oui. M. Batt est ici, c'est un des avocats du ministère de la Justice, et il peut répondre à votre question.

M. Kennedy : M. Ahani était représenté par deux avocats.

Le sénateur Day : Vous ne vouliez pas faire deux copies et vous avez donc décidé de n'en remettre aucune, est-ce bien cela?

M. Robert Batt, avocat principal, Services juridiques, Service canadien du renseignement de sécurité, (SCRS), ministère de la Justice Canada : J'étais le procureur de la Couronne dans l'affaire Ahani. Je n'étais pas dans ce dossier en 1993, mais d'après l'expérience que j'ai acquise avec d'autres affaires semblables, lorsque le juge rend une ordonnance concernant la signification des résumés, il demande normalement si la personne visée a un avocat. Lorsque nous savons que la personne visée a retenu les services d'un avocat, nous en informons le juge et celui-ci ordonne que le résumé soit signifié à cet avocat. Certains juges demandent que le résumé soit signifié aux avocats et aux détenus. Certains nous disent que lorsque le détenu n'a pas d'avocat, il faut signifier le résumé au détenu et lorsque nous apprenons qui est son avocat, il faut le signifier à son avocat. Les situations sont très diverses.

Le sénateur Day : Cela a été rayé dans le formulaire qui était remis au juge. C'est sans doute parce qu'on ne savait pas si Ahani avait retenu les services d'un avocat.

M. Batt : Sans doute. Il est également possible qu'il ait eu un avocat et qu'il y ait eu une entente pour fournir ce résumé à l'avocat ainsi qu'à M. Ahani. Comme je l'ai dit, je n'étais pas là en 1993; je n'ai repris le dossier qu'en 1995.

Le sénateur Day : Cela m'amène à me demander comment une personne qui est détenue peut obtenir les services d'un avocat. La personne qui est détenue depuis 48 heures a-t-elle accès à un avocat si elle n'a pas déjà un avocat ou une équipe d'avocats prêts à s'occuper de ce certificat de sécurité?

M. Batt : Dans les affaires dont je me suis occupé, les détenus n'ont eu aucune difficulté à retenir les services d'un avocat. Dans les affaires dont je me suis occupé à Toronto et à Montréal, la plupart du temps, cet aspect a été réglé grâce aux représentants de l'aide juridique. Le détenu qui n'avait pas déjà un avocat en a obtenu un rapidement, dans la plupart des cas. Certains demandent les services d'un avocat dès qu'ils sont détenus et d'autres préfèrent attendre. Normalement, j'envoie une lettre au détenu, lorsqu'il n'a pas d'avocat, en lui conseillant de retenir immédiatement les services d'un avocat et en demandant à cet avocat de me contacter.

Le sénateur Day : Compte tenu des difficultés que connaissent certains régimes provinciaux d'aide juridique, est-il déjà arrivé que l'aide juridique ne soit pas en mesure de fournir un avocat à une de ces 27 personnes qui ont été détenues aux termes de ces dispositions?

M. Batt : Je ne peux parler que pour les six dont je me suis occupé. Les avocats ont parfois mentionné certains problèmes avec l'aide juridique mais d'une façon générale, les détenus ont obtenu une aide juridique, d'après ce que je sais.

Le sénateur Day : C'est peut-être une question que nous pourrions approfondir. Mais compte tenu du temps qu'il nous reste, j'aimerais parler maintenant des juges. Cette loi demande aux juges de la Cour fédérale d'accomplir une tâche assez particulière, et qui est un peu différente de ce qu'ils font normalement. J'examine encore l'exemple que vous nous avez donné, l'affaire Ahani, et la déclaration que le juge a faite sous serment à la fin du résumé. Au cours de cette audience, à laquelle n'assiste ni le détenu, ni son avocat, le juge peut-il se faire assister par un avocat pour examiner les renseignements présentés par les organismes de la Couronne?

M. Kennedy : Non. Il convient toutefois de préciser que les juges tiennent également des audiences à huis clos et ex parte — demandes de mandats de perquisition, d'interception de communications et choses de ce genre — dans lesquelles ils assument une obligation semblable. Certaines audiences sont très complexes, portent même sur des milliers de pages de documents qui sont déposés à l'appui d'une demande d'écoute électronique, par exemple.

J'ai mentionné dans mes observations liminaires que les procureurs de la Couronne sont tenus, en qualité d'officiers judiciaires, d'effectuer une divulgation complète, franche et équitable.

Le sénateur Day : Je le comprends.

M. Kennedy : C'est une lourde obligation et les documents sont communiqués. C'est la même obligation qui incomberait à un représentant de Sa Majesté pour ce genre de documents.

J'ai remis aux sénateurs un document intitulé « Certificats de sécurité et renvois », un exposé documentaire. Je ne sais pas si vous avez pu lire ce document mais je vous invite à le faire. Il contient une analyse de tous les commentaires faits par les tribunaux à ce sujet, y compris ceux des juges qui ont été amenés à exécuter la tâche dont nous parlons. Je pense qu'il y a même les commentaires formulés dans l'affaire Suresh qui font référence à l'arrêt Ruby de la Cour suprême, dans lequel la Cour a examiné ces questions et parle de la fonction qu'assume la Cour. Cela se trouve à la page 8 du document. Cela vient en fait de l'arrêt Charkaoui. Il fait référence à l'arrêt Ruby c. Canada, prononcé par la juge Arbour à l'époque, et parle de l'obligation de communiquer qui incombe à la Couronne, de la tenue d'une audience en l'absence d'une partie et du fait que le juge désigné entend les témoins présentés par les ministres. Le juge interroge lui-même les témoins si cela est nécessaire. Il examine soigneusement les documents. Quelques lignes plus loin, dans ce passage, la Cour parle des sources des renseignements, de la façon dont ces renseignements ont été obtenus, de la fiabilité des sources et des méthodes utilisées ainsi que de la possibilité de corroborer ces renseignements par d'autres moyens. Quelques lignes plus loin, la Cour mentionne que le juge s'enquiert auprès des représentants des ministres de la qualité de l'enquête et s'interroge sur la possibilité que les événements puissent être interprétés différemment. D'autres affaires sont citées au bas de la page — M. Zundel.

IL n'est pas facile de manipuler et d'impressionner madame la juge Arbour, comme le montre la façon dont elle s'est acquittée de ses fonctions sur la scène internationale. Dans Zundel, la nature des preuves était tenue partiellement secrète — je vous l'ai dit dans le seul but de dissimuler les sources et de préparer un résumé. Le juge affirme ensuite qu'il doit se montrer particulièrement vigilant au moment d'évaluer la preuve présentée et de déterminer l'importance qu'il convient de lui accorder, et qu'il doit examiner avec minutie tous les éléments de preuve qui lui sont présentés.

En haut de la page 9, le document indique que le juge examine attentivement tous les renseignements et parle du fait que la tâche additionnelle imposée au juge n'est pas prise à la légère. Les faits sont soupesés attentivement, en tenant compte également de la qualité et du nombre de sources d'information. Cela continue encore.

Dans Zundel, le juge assume une lourde responsabilité dans les audiences ex parte mais il en va de même pour la Couronne. Celle-ci doit remplir ses obligations avec impartialité et honnêteté. Elle doit ainsi communiquer les éléments de preuve qui lui sont défavorables. Elle ne doit pas se contenter de présenter un aspect des choses. Il faut communiquer les renseignements de façon complète, sincère et équitable.

Le sénateur Day : Et pourtant, les preuves présentées par la Couronne doivent bien sûr être favorables au certificat de sécurité. Le juge le sait. C'est le rôle de la Couronne. A-t-on envisagé ou suggéré de demander à un avocat spécial d'aider les juges à s'acquitter de leur obligation?

M. Kennedy : C'est l'amicus curiae ou l'ami de la Cour, auquel il a été fait référence. Cette question a été soulevée. Les juges de la Cour fédérale ont fait savoir qu'ils n'avaient pas besoin d'assistance dans ce genre d'affaires. Ils ont le pouvoir de demander de l'aide s'ils le souhaitent. Ils ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas en obtenir, que la loi leur demande de remplir un rôle de vérification objectif et ils savent que l'avocat du détenu n'assiste pas à l'audience. Ils ont fait savoir qu'ils n'étaient pas mal à l'aise dans ce genre de situation. « Mal à l'aise » est peut-être une expression un peu forte. Ils tiennent compte de tout cela, ils travaillent dans le cadre législatif et ils s'acquittent de leurs fonctions.

M. Therrien : J'ajouterais rapidement que les tribunaux canadiens ont jugé que l'absence d'un avocat spécial ne rendait pas le processus inéquitable ou inconstitutionnel. Cela s'explique principalement par le rôle important que joue le juge dans la vérification des renseignements présentés par le gouvernement. C'est le système canadien.

On pourrait fort bien envisager la création d'un poste d'avocat spécial semblable à ce qui existe ailleurs. Je dirais néanmoins qu'un tel système est loin d'être parfait. Dans le cas du Royaume-Uni, on constate qu'un certain nombre d'avocats spéciaux ont décidé de renoncer à ce rôle parce qu'ils se posaient des questions au sujet du processus auquel ils participaient. Selon ce processus, dans ce système, oui, il y a un avocat qui peut vérifier les preuves présentées par le gouvernement et à qui toutes ces preuves sont communiquées mais celui-ci ne peut parler à son client des renseignements classifiés. C'est une des contraintes du système qui prévoit la nomination d'un avocat spécial.

De toute façon, les tribunaux canadiens ont jugé qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des avocats spéciaux, à cause du rôle que jouent les tribunaux.

Le sénateur Austin : Je pense que la justification de ce rôle ne venait pas tant du fait que le juge pouvait avoir besoin de cette assistance mais découlait de la perception selon laquelle la présence d'un avocat spécial chargé d'examiner les preuves renforcerait l'objectivité de l'évaluation effectuée et offrirait au public une garantie que ce processus est effectivement objectif. C'est plus un commentaire qu'une question, je voulais tout simplement compléter la réponse.

M. Kennedy : Nous vous avons présenté ce régime comme nous le comprenons. La ministre, lorsqu'elle a comparu devant le comité, a mentionné que le comité avait le pouvoir de recommander certaines améliorations. Nous avons mentionné que ce modèle avait facilement survécu aux attaques constitutionnelles et c'est pourquoi nous parlons du modèle actuel et des jugements qu'ont prononcés les tribunaux.

Le sénateur Day : Pour terminer les questions portant sur le résumé que le juge doit préparer conformément aux dispositions législatives, ce juge est-il le même juge qui va tenir l'audience prévue par la suite?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Day : Dans les jours qui suivent?

M. Kennedy : Dès que l'avocat est prêt à procéder.

Le sénateur Day : Est-ce que le juge procède à cet examen sur la base du résumé?

M. Kennedy : Oui.

Le sénateur Day : En vue de décider s'il est justifié que la personne en question soit visée par un certificat de sécurité.

M. Kennedy : Dans ce régime, le juge assume une obligation permanente. S'il estime qu'il a besoin de plus d'éléments, il a la possibilité de compléter le résumé s'il l'estime nécessaire. C'est une obligation permanente.

La présidente : C'est un sujet qui intéresse beaucoup le comité. Si cela est nécessaire, nous pourrons peut-être demander aux témoins de revenir devant le comité. J'aimerais que tous les sénateurs qui ont fait savoir qu'ils souhaitaient poser des questions puissent le faire.

Le sénateur Kinsella : Je vais renoncer à parler d'un sujet qui a été examiné en partie. Les témoins ont fait référence à plusieurs reprises à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Le dossier devrait en fait indiquer que cette affaire n'a pas été soumise à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies.

Ce dont il s'agit ici, monsieur Kennedy, si je ne me trompe pas, c'est d'une communication qui a été déposée auprès du Comité des droits de l'homme des Nations Unies aux termes du Pacte relatif aux droits civils et politiques.

M. Kennedy : Oui, vous avez raison.

Le sénateur Kinsella : J'aimerais beaucoup comprendre cet aspect : s'agissait-il d'une communication interétatique ou non?

M. Therrien : C'était une communication déposée par un particulier, M. Ahani.

Le sénateur Kinsella : Ce document a été déposé par un particulier aux termes du premier protocole facultatif; est-ce bien cela?

M. Therrien : Je le crois.

Le sénateur Kinsella : Le Canada a-t-il contesté la recevabilité de cette communication devant le comité?

M. Kennedy : Entre parenthèses, au sujet de votre première question, j'ai fait une petite recherche et la communication a effectivement été présentée aux termes du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques. Nous allons devoir vérifier certaines choses pour pouvoir répondre aux autres questions.

Nous avons tous les documents concernant cette affaire, présentés par les deux parties, ainsi que les explications fournies par le gouvernement du Canada.

Le sénateur Kinsella : Merci. Je pense que nous pourrions obtenir ces dossiers auprès de l'ONU mais si vous les avez ici, ce sera utile au comité.

Le comité est en train d'examiner la Loi antiterroriste mais notre mandat ne se limite pas aux dispositions contenues dans la loi qui a été adoptée il y a trois ans. Il me paraît sage d'avoir formulé de façon plus générale notre mandat.

Il s'agit de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. Cette loi a pour but de faciliter la mise en œuvre d'un bon nombre d'instruments internationaux. Cela se comprend parce que les pays doivent lutter tous ensemble contre le terrorisme. J'aimerais revenir sur un aspect qu'a soulevé en partie mon collègue, le sénateur Lynch-Staunton, et qui concerne l'efficacité de la lutte contre le terrorisme lorsqu'une personne soupçonnée d'être un terroriste est arrêtée et, à la suite d'un processus ou d'un autre, qu'il s'agisse de la Loi sur l'immigration ou d'un autre mécanisme, est ramenée à la frontière et renvoyée dans son pays. Cela vous paraît-il être une façon très efficace de lutter contre le terrorisme? Si nous sommes suffisamment sûrs ou que les ministres sont suffisamment sûrs de leur dossier pour restreindre la liberté d'un individu en délivrant ce genre de certificat, devrions-nous vraiment libérer ces personnes dès qu'elles quittent notre territoire? Quelles sont nos obligations internationales dans la lutte mondiale contre le terrorisme? Que pensez- vous de cet aspect?

M. Kennedy : Il faut examiner la question en tenant compte de tous les pouvoirs dont nous disposons. Il n'existe pas de solution magique et c'est la raison pour laquelle nous devons utiliser les différents pouvoirs et possibilités qui nous sont offerts. C'est la raison pour laquelle nous avons des dispositions légales qui traitent, par exemple, du financement du terrorisme et qui nous donnent le pouvoir de bloquer et de confisquer certains fonds. Il existe des mécanismes civils qui peuvent être utilisés indépendamment des mesures pénales. Nous disposons d'une large gamme de pouvoirs. Nous pouvons supprimer l'enregistrement accordé aux organismes de charité. Dans ce domaine, une telle mesure a un effet prophylactique. C'est une des séries de moyens que nous avons pour entraver et prévenir les activités exercées par les organismes de ce genre au Canada. Je dirais que l'arrestation et le renvoi du chef d'un groupe de ce genre a pour effet d'entraver sérieusement les activités d'un tel groupe. Cela affaiblit le groupe, notamment en empêchant cette personne de recruter d'autres membres pour l'organisation, de les convaincre de prendre d'autres actions ou de rester au pays pour se procurer des équipements et des fonds qu'ils veulent envoyer dans leur pays d'origine. En les expulsant du Canada, on limite leur capacité de nuire. Cela ne vise pas uniquement les terroristes. Nous le faisons pour les membres du crime organisé, les auteurs de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Il arrive pourtant qu'on ne puisse utiliser ce mécanisme particulier qui a été fort utile pour le gouvernement du Canada. Nous sommes parfois obligés d'attendre d'avoir suffisamment de preuves pour pouvoir intervenir à l'égard de personnes se trouvant au Canada. Nous espérons bien entendu être en mesure d'agir suffisamment rapidement pour les poursuivre pour une infraction de complot ou quelque chose du genre avant que ces personnes ne commettent un meurtre. Il y a toujours un certain danger à attendre de pouvoir recourir au processus pénal.

Le sénateur Kinsella : Pensez-vous qu'il faudrait modifier la loi que nous sommes en train d'examiner pour que le Canada puisse poursuivre sur son territoire les personnes qui sont arrêtées à l'heure actuelle aux termes de la Loi sur l'immigration mais que nous renvoyons, que le réseau dont elles faisaient partie ait été détruit ou non? Je comprends la situation. Si nous voulons vraiment collaborer avec les autres pays pour lutter contre ce fléau mondial, ne devrions- nous pas modifier cette loi et assumer nos obligations? S'il faut pour cela détenir certaines personnes au Canada, cela fait partie du coût que devraient assumer les Canadiens. Ne serait-ce pas une contribution raisonnable que d'empêcher ces personnes de nuire dans les pays étrangers, comme nous le faisons pour notre propre pays?

M. Kennedy : Je vais examiner ces différents aspects. Je tiens pour acquis que le modèle dont vous parlez est un modèle dans lequel nous poursuivons, condamnons et expulsons ensuite la personne en cause.

Le sénateur Kinsella : Pourquoi les expulser? C'est la partie que je trouve absurde et contraire au bon sens.

M. Kennedy : Les personnes dont il s'agit sont souvent des personnes qui n'ont aucun statut au Canada. Il arrive que ces ressortissants étrangers n'aient même pas le statut de résident permanent. Pourquoi alors les placer dans une position favorable? Nous renvoyons de 8 000 à 9 000 personnes chaque année du Canada mais dans le cas d'un terroriste, nous le poursuivons ici et le laissons acquérir la citoyenneté. Ce n'est pas ce qui se produit habituellement. Il y a des gens qui commettent des crimes, qui sont inculpés et qui sont ensuite renvoyés du pays.

Il y a aussi le fait que tous les pays partagent ce fardeau dans une certaine mesure, si je peux m'exprimer ainsi. Il y a des gens qui ont commis des crimes reliés au terrorisme qui ont été poursuivis dans d'autres pays et renvoyés au Canada. Il y a des personnes comme M. Zundel, qui a été renvoyé du Canada et qui est maintenant détenu en Allemagne où les autorités font enquête sur lui au sujet des crimes haineux qu'il aurait pu commettre. Il y a donc un certain va-et-vient. N'oubliez pas qu'en suivant le modèle que vous proposez, on récompenserait presque ces personnes en les gardant au Canada alors qu'en fait ils n'ont aucun statut leur permettant de rester ici.

Le sénateur Kinsella : Il me semble que le modèle que vous utilisez, le modèle d'immigration, va à l'encontre de notre politique d'immigration qui vise à faire entrer au Canada les immigrants dont a besoin notre pays, tout cela dans l'intérêt général du Canada. Nous utilisons cet instrument pour nous attaquer aux personnes que nous soupçonnons être des terroristes.

La lutte contre le terrorisme est une lutte mondiale. La loi que nous examinons vise à mettre en œuvre sur notre territoire les obligations qu'imposent au Canada les instruments internationaux. Un jour ou l'autre, les Nations Unies vont essayer de définir à nouveau le terrorisme. Voici ma question : Pensez-vous que l'on pourrait modifier cette loi pour que nous puissions interdire, poursuivre et incarcérer les terroristes, qui bénéficieront, bien sûr, de toutes les garanties procédurales; cependant, lorsqu'ils auront été accusés d'être un terroriste et jugés comme tels, parce qu'ils participent à des activités terroristes ou projettent d'y participer, pourquoi ne pas les faire disparaître de la surface de la terre pour qu'ils ne puissent poursuivre leurs activités. Ne serait-ce pas une mesure raisonnable?

M. Kennedy : La difficulté, sénateur, est qu'il faut, avec ce modèle, disposer de preuves conformes à la norme pénale, c'est-à-dire qui établissent, grâce à des témoignages, la culpabilité de l'accusé au-delà de tout doute raisonnable. Avec le processus administratif que nous utilisons, nous pouvons avoir recours à des preuves par ouï-dire, et les tribunaux ont le pouvoir d'apprécier la force probante de ces preuves. Les ministres doivent être convaincus selon la prépondérance des probabilités et avoir des motifs de croire à l'existence de certains éléments. Si nous ne pouvions utiliser ce mécanisme, le modèle actuel, il faudrait attendre que ces personnes exercent au Canada suffisamment d'activités criminelles pour pouvoir les qualifier de terroristes. Par contre, si l'on veut utiliser un moyen préventif, c'est la technique qu'il faut utiliser. La Cour suprême a déclaré que nous pouvions utiliser ce mécanisme, qu'il était approprié et constitutionnel.

Le sénateur Kinsella : Les membres des Forces armées canadiennes qui se trouvaient en Afghanistan ont arrêté des personnes soupçonnées d'être des terroristes et les ont remises à l'armée américaine, qui en a envoyé un certain nombre à Guantanamo Bay. A-t-on obtenu des autorités américaines l'assurance que ces personnes ne risquaient pas la peine de mort?

M. Kennedy : Je suis désolé, je n'étais pas du tout au courant de cela.

Le sénateur Joyal : Est-il arrivé que la Cour fédérale du Canada refuse de confirmer un certificat de sécurité? Si cela est arrivé, dans quelles circonstances?

M. Kennedy : Je pense qu'il y a eu trois affaires de ce genre. Dans deux de ces affaires, on a utilisé le pseudonyme « Smith » pour protéger l'identité des personnes visées et l'autre affaire était celle de M. Jaballah.

Le sénateur Joyal : Sur quels motifs était fondé le refus du tribunal?

M. Kennedy : Je ne m'en souviens pas mais je pourrais vous fournir ces motifs si cela peut vous être utile.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le certificat n'a-t-il pas été refusé par un juge et ensuite présenté à un autre juge?

M. Kennedy : Oui, c'était celui de M. Jaballah.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le sénateur Joyal aimerait peut-être savoir comment cela s'est passé puisque les preuves étaient les mêmes dans les deux cas.

M. Kennedy : Le gouvernement a présenté de nouvelles preuves. C'est la difficulté que posent ce genre d'affaires. On pourrait soutenir qu'il y a eu forclusion, qu'il n'est pas possible d'entendre à nouveau des affirmations fondées sur les mêmes faits, ce qui oblige l'État à trouver de nouvelles preuves à transmettre au nouveau juge. Nous vous fournirons les jugements prononcés dans ces deux affaires.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pas des preuves, des motifs raisonnables.

M. Kennedy : Oui, des renseignements.

Le sénateur Lynch-Staunton : Des renseignements, du ouï-dire et ce genre de choses.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Therrien, la dernière fois que vous avez comparu, on a soulevé la question de la période de temps à l'intérieur de laquelle une personne qui est détenue en vertu des lois sur l'immigration pouvait être détenue sans avoir à être conduite devant un juge. Avez-vous eu l'occasion de réviser les différentes périodes de temps et de produire un rapport qui nous donnerait une idée des périodes de temps couvertes par la procédure actuelle telle qu'elle est définie dans la loi?

M. Therrien : La période de temps que j'avais indiquée à l'époque se situait entre deux et cinq ans. On peut certainement vous fournir un rapport circonstancié dans des cas précis. À l'heure actuelle, la période de détention des personnes qui font l'objet d'un certificat se situe entre deux et cinq ans.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous pourriez, dans ce rapport, nous donner le nombre de personnes qui sont en cause, c'est-à-dire celles pour lesquelles le délai a été le plus prolongé? Combien il y en a eu, et dans la mesure du possible, quelle a été l'issue des procédures?

M. Therrien : Certainement.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Le cas de Zahra Kazemi en Iran montre très clairement, d'après moi, que l'Iran ne contrôle pas vraiment ses services de sécurité, étant donné que l'accusation a été rejetée même s'il y a eu un décès. Une citoyenne canadienne est morte dans une prison iranienne.

Lorsqu'une personne fait l'objet d'un certificat de sécurité et que les responsables canadiens concluent que celle-ci ne risque pas d'être torturée, le détenu dispose-t-il d'un moyen pour faire examiner cette conclusion?

M. Goodes : Je vais brièvement vous décrire le processus utilisé pour l'évaluation du risque. Ce processus a pour but de nous donner la possibilité d'examiner le risque que court une personne qui, n'étant pas visée par la Convention de Genève sur les réfugiés, ne bénéficie pas de cette protection mais est toutefois protégée par d'autres conventions comme la Convention contre la torture. Avec ce processus, le représentant du ministre doit concilier le risque que court l'individu en question en cas de renvoi avec le danger qu'il représente pour la sécurité du Canada dans le cas où il demeurerait ici. Cet individu a la possibilité de prendre connaissance des renseignements qu'examine le représentant. Les renseignements communiqués par la Cour fédérale à cet individu sont également examinés par le représentant du ministre. L'individu a ensuite la possibilité de présenter au représentant du ministre des observations concernant ces renseignements. Le décideur, dans ce cas le représentant du ministre, a la possibilité de demander l'avis de fonctionnaires du ministère spécialement formés dans ce domaine qui sont en mesure de trouver des documents émanant de gouvernements étrangers, comme les rapports sur les droits de la personne, les documents préparés par des organismes multilatéraux comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et des ONG comme Human Rights Watch. Tous les documents que le représentant du ministre a utilisé pour prendre sa décision sont communiqués à cette personne, qui a ensuite la possibilité de présenter des observations à leur sujet. L'analyse effectuée par le représentant et les conclusions auxquelles il arrive au sujet du risque que court cette personne lui sont également communiquées. Le requérant a donc non seulement la possibilité de présenter des observations au début du processus mais il a aussi la possibilité de présenter des observations en se fondant sur les renseignements que le représentant a utilisé pour effectuer son évaluation et sur cette évaluation elle-même.

Le sénateur Joyal : Le détenu a donc le droit d'examiner « les preuves » que possède le représentant mais a-t-il le droit de demander à un juge, c'est-à-dire à un organe neutre, de les examiner en tenant compte des différents arguments que le détenu pourrait faire valoir en se fondant sur les renseignements qui lui ont été transmis?

M. Goodes : C'est le même juge de la Cour fédérale qui examine la décision du représentant du ministre en matière d'évaluation préalable au renvoi et le certificat. Si le détenu n'est pas satisfait de la façon dont la décision a été prise, il peut demander au ministre de confier le dossier à un autre représentant pour nouvelle décision.

La Cour fédérale est chargée d'examiner la décision du ministre et elle doit être convaincue que cette décision a été prise régulièrement.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, lorsque vous demandez au juge de délivrer un certificat, vous basez votre demande sur le fait que la personne représente un risque pour la sécurité et sur la conclusion du représentant selon laquelle le pays où il sera renvoyé ne risque pas de le torturer?

M. Goodes : Lorsque nous divulguons ces renseignements à la personne concernée, celle-ci peut demander qu'il soit procédé à une évaluation des risques avant le renvoi, de sorte que cela fait partie du processus d'examen du certificat. Ce processus est, à toutes fins pratiques, suspendu pendant que l'on effectue l'évaluation des risques et la conclusion à ce sujet est transmise au tribunal avant que celui-ci ne reprenne l'examen du certificat.

[Français]

M. Therrien : Sans être tout à fait en même temps, c'est dans la même procédure que la Cour fédérale examine, d'une part, l'inadmissibilité, donc les raisons pour lesquelles le certificat a été émis et, d'autre part, le risque de torture.

Cet examen s'est produit à plusieurs reprises dans le passé avec différents résultats. L'arrêt Ahani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en est un exemple, où les tribunaux ont confirmé la décision selon laquelle la personne n'était pas à risque de torture. Mais plus récemment la Cour fédérale a renvoyé devant le délégué ministériel certaines décisions pour des motifs de procédure.

Le sénateur Joyal : La cour a donc la capacité de revoir les éléments de preuve amenant l'administration à conclure que le pays vers lequel l'individu est retourné ne représente pas un risque raisonnable de torture. Dans un tel cas, la preuve que vous avez à faire est-elle la même que celle que vous avez à faire lorsqu'on en conclut que la personne représente un risque de sécurité?

Dans le premier cas, vous devez faire une preuve fondée sur les raisons de croire. Le deuxième type de preuve est tout à fait différent et semble beaucoup plus de nature objective que suggestive.

Pour la première preuve, on peut comprendre que des éléments soient retirés du dossier parce qu'ils sont trop sensibles eut égard aux opérations d'intelligence que vous menez. Mais dans le cas de la deuxième preuve, celle où l'individu court un risque d'être soumis à la torture, cette preuve s'apprécie sur des éléments de faits tout à fait différents.

M. Therrien : Vous avez raison. Toute la preuve portant sur l'existence ou non d'un risque de torture est plutôt de nature objective. Elle est divulguée dans son ensemble à l'individu. Selon la Convention contre la torture et pour bénéficier de la protection du Canada, il doit y avoir des motifs sérieux de croire que la personne est à risque de subir la torture. On ne parle plus de motifs raisonnables, mais de raisons sérieuses de croire que la personne peut être exposée à la torture.

J'apporterais la nuance suivante. Dans cette procédure, on considère deux facteurs au niveau administratif et au niveau judiciaire. Il y a une pondération de ces deux facteurs dans la décision ultime, à savoir si on expulse ou pas l'individu.

D'une part, on procède à une évaluation du risque que la personne soit assujettie à la torture selon les règles de preuve que je vous ai énoncées. L'autre partie de la décision vise à savoir si la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada. Le même délégué ministériel doit conclure que la personne est un danger pour la sécurité. Dans ce cas, il se peut que l'ensemble de la preuve ne soit pas divulgué.

D'autre part, il y a une pondération du danger pour la sécurité versus le danger que représenterait le renvoi pour l'individu. Pour ce deuxième élément, l'ensemble de la preuve est divulgué.

Le sénateur Joyal : Est-ce que le ministère a des lignes directrices suite à la décision Suresh quant à ce qui peut représenter un risque d'être soumis à la torture?

M. Therrien : Oui, il y a des ligues directrices générales qui sont données, entre autres aux agents du ministère de l'Immigration qui font des évaluations de risque avant renvoi. Ces lignes directrices fournissent certains paramètres aux agents sans toutefois dicter leur conduite ou un résultat.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'on pourrait avoir une copie de ces lignes directrices?

M. Therrien : Oui, certainement.

[Traduction]

M. Kennedy : Oui, M. Goodes vous les remettra. Il travaille pour Immigration Canada.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur Kennedy.

[Français]

Dans le cas où on arrive à la conclusion qu'il n'y a pas de risque que la personne soit soumise à la torture, dans le cas où ce pays pourrait transférer la personne vers un autre pays, est-ce que cette question est abordée dans l'évaluation globale du risque que la personne soit soumise à la torture?

[Traduction]

Je pourrais être plus précis; je vais vous donner un exemple, si vous le voulez, monsieur Goodes. Prenons le cas d'une personne qui vient des États-Unis et nous en arrivons à la conclusion que ce pays ne pratique pas la torture — je ne pense pas à une affaire particulière. Les États-Unis et la CIA ont un programme qu'ils appellent le programme de remise qui leur permet d'envoyer quelqu'un dans un pays tiers où cette personne pourrait être torturée. Lorsque le représentant évalue le risque que courent ces personnes doit-il tenir compte de la possibilité que le pays où elle est renvoyée pourrait remettre cette personne à un autre pays qui pratique la torture?

M. Goodes : Le représentant du ministre n'est aucunement limité lorsqu'il s'agit d'examiner les faits ou les affirmations qui se rapportent aux observations du requérant. Par conséquent, si celui-ci soulevait la question de sa remise à un autre pays — le fait que le renvoyer dans le pays A reviendrait en fait à l'expulser vers le pays B où il courrait un risque — cela serait pris en compte.

Le sénateur Joyal : Tenez-vous personnellement compte de cet aspect lorsque vous évaluez le risque que la personne concernée soit torturée?

M. Goodes : Oui. Cela fait partie de l'évaluation globale du risque que pose le renvoi pour la sécurité de cette personne.

Le sénateur Joyal : Cela figure-t-il dans vos lignes directrices?

M. Goodes : Il faudrait que je vous confirme que les choses se passeraient bien ainsi et je vais m'en assurer, monsieur.

Le sénateur Smith : Je crois que le temps est pratiquement écoulé. J'aimerais faire quelques réflexions sur le sujet qu'a abordé le sénateur Kinsella et obtenir vos réactions. Il me semble que lorsque nous utilisons l'expression « laisser partir », la difficulté vient du fait que nous fonctionnons comme un État de droit, à moins qu'il existe des preuves que ces personnes aient contrevenu à la loi sur le territoire canadien, mais je ne pense pas que nous puissions créer notre propre Guantanamo. Avez-vous étudié le cas de personnes qui n'ont encore rien fait de mal mais qui fomentent des complots — lorsque vous êtes en mesure de le prouver? Quelle est votre réaction à ce genre de situation? Les Américains vous ont-ils déjà demandé d'extrader une personne qui n'était pas de nationalité canadienne, sur laquelle portaient leurs soupçons et dont nous pensions qu'elle se retrouverait à Guantanamo? Je ne pense pas que cela se soit produit mais a-t-on déjà envisagé cette possibilité en examinant la question qu'a soulevée le sénateur Kinsella?

M. Kennedy : Vous parlez du cas où nous aurions des preuves qu'une personne donnée participe à un complot en vue de commettre un acte terroriste?

Le sénateur Smith : Oui. L'acte n'a peut-être pas encore été commis. Supposons qu'ils en rêvent tous les jours mais je ne sais pas comment l'on pourrait le prouver.

M. Kennedy : Comme vous le savez, une pensée même criminelle ne suffit pas.

Le sénateur Smith : Cela pourrait suffire si l'on est en mesure de le prouver.

M. Kennedy : Il faut une pensée criminelle plus la présence d'autres personnes et d'autres actions ayant pour but de mettre en œuvre le complot mais cela ne répond pas à la question centrale parce que que se passera-t-il si vous inculpez cette personne de complot? Elle irait en prison. Éventuellement, elle sera libérée. Les gens ne sont pas emprisonnés indéfiniment. Il y a une peine d'emprisonnement maximale de dix ans pour les infractions de terrorisme prévues par le Code criminel, selon le type de participation. La personne qui commet un acte terroriste au cours de la perpétration d'un autre acte criminel est passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Cependant, les gens obtiennent une libération conditionnelle et à un moment donné, il faut faire quelque chose. Nous ne voulons pas accorder un statut particulier aux personnes qui se trouvent au Canada sans avoir aucun statut et qui commettent des infractions. La pratique habituelle consiste à les déporter lorsqu'elles sont admissibles à la libération conditionnelle. C'est pourquoi ces personnes quittent le Canada à un moment ou à un autre et nous ne souhaitons pas leur accorder le statut de citoyen canadien de sorte que, comme vous le dites, ces personnes ne disparaissent pas mais nous faisons de notre mieux avec les outils dont nous disposons. Une fois que la personne est identifiée, cela devient un problème mondial. Quel que soit le pays où elle se trouve, elle va essayer de faire des choses illégales. On peut espérer qu'avec l'âge elle ne sera plus en mesure de commettre des méfaits et il y a également la possibilité que cette personne s'amende; je n'en sais rien.

La solution consiste, comme je l'ai fait remarquer, à utiliser les outils que nous avons pour au moins prévenir ce genre d'action et désorganiser les réseaux terroristes. C'est la raison pour laquelle cela constitue un outil important pour nous.

Le sénateur Smith : C'est une contrainte, mais c'est une contrainte qui me paraît bonne. Nous vivons dans une société qui est régie par le principe de légalité.

La présidente : Je remercie les témoins. Nous avons eu une discussion assez intense aujourd'hui parce que c'est une question qui suscite beaucoup d'intérêt et certaines préoccupations. Nous vous remercions d'être venus. Si nous avons d'autres questions, nous espérons pouvoir vous entendre à nouveau. Entre-temps, je vous souhaite beaucoup de réussite.

M. Kennedy : Si vous le souhaitez, je laisserai ces documents à votre greffier.

La présidente : Merci.

Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance jusqu'à 13 heures précises. Un dîner est servi dans la petite salle de comité à côté de la nôtre, et les témoins qui doivent comparaître à 13 heures sont invités à se joindre à nous.

La séance est levée.


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