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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 6 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 21 mars 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 h 4 pour examiner en profondeur les dispositions et l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. C'est la 13e fois que le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste reçoit des témoins. Je vais expliquer la raison d'être de notre comité à l'intention de nos téléspectateurs.

En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande de l'ONU, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer son étude de ce projet de loi. Nous avons accepté, et la date limite pour l'adoption du projet de loi a été fixée à la mi-décembre 2001.

Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement reverrait au bout de trois ans les dispositions de la Loi et ses répercussions sur les Canadiens, en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotion.

Les travaux de notre comité spécial représentent la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat. Quand nous aurons terminé notre étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons les problèmes dont il faudra s'occuper à notre avis, et nous mettrons le résultat de nos travaux à la disposition du gouvernement et du grand public. La Chambre des communes se livre actuellement à un exercice analogue.

Le comité a rencontré jusqu'ici des ministres, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, des juristes et des spécialistes de la question, canadiens et étrangers.

Nous discuterons cet après-midi de la dimension internationale de la Loi antiterroriste en compagnie de fonctionnaires d'Affaires étrangères Canada. Nous avons avec nous M. Keith Morrill, directeur de la Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, qui a déjà comparu ce matin, et Mme Ruth Archibald, coordonnatrice principale à la Direction du crime international et du terrorisme.

Comme toujours, chers collègues, je vous serais reconnaissante de garder vos questions et vos réponses aussi concises que possible.

Mme Ruth Archibald, coordonnatrice principale, Direction du crime international et du terrorisme, Affaires étrangères Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Je pense que vous avez reçu ce matin certains des renseignements que vous aviez demandés lors d'une séance précédente au sujet des moyens spécifiques que nous donne la Loi antiterroriste pour nous permettre de nous acquitter de certaines de nos obligations internationales. Je me ferai cependant un plaisir d'y revenir au cas où tout le monde n'aurait pas encore reçu le document.

Je vais commencer par une brève déclaration pour replacer dans son contexte ce que fait notre bureau, au ministère des Affaires étrangères.

La lutte antiterroriste, comme on l'appelle, ne constitue pas un nouvel enjeu, ni sur le plan national, ni sur le plan international. Le verdict rendu dans l'affaire Air India la semaine dernière nous a rappelé que ce problème existait avant le 11 septembre 2001, ce que certaines personnes oublient parfois.

Bien que sa réaction aux événements du 11 septembre ait été particulièrement rapide et de grande envergure, la communauté internationale développe des normes depuis plus de 40 ans. Par exemple, la Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs date de 1963. En fait, les 12 conventions et protocoles internationaux majeurs portant sur le terrorisme et les questions connexes existaient avant 2001.

Bien sûr, la menace terroriste demeure présente, quatre ans après le 11 septembre 2001. Et la détermination de la communauté internationale à lutter contre cette menace est tout aussi présente. C'est ainsi que le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a annoncé le 10 mars dernier une importante stratégie pour lutter contre le terrorisme, dans le cadre du Sommet international de Madrid sur la démocratie, le terrorisme et la sécurité. Cette stratégie a d'ailleurs été confirmée aujourd'hui dans le rapport du secrétaire général sur la réforme de l'ONU en vue du sommet de septembre.

Cette stratégie de l'ONU, tournée vers l'avenir, porte sur cinq grands principes : le terrorisme n'est pas une tactique acceptable, quel qu'en soit le but; il faut priver les terroristes de leurs moyens d'action; il faut dissuader les populations de soutenir les terroristes; les États doivent développer leurs capacités de prévention du terrorisme; et les droits de la personne doivent être protégés. Nous pouvons donc nous attendre, je pense, à ce que les normes internationales en matière de lutte au terrorisme continuent à se développer au fil des années à venir, surtout dans le contexte de l'ONU.

Je voudrais souligner un certain nombre de points qui sont aussi soulevés, comme je l'ai déjà mentionné, dans les réponses écrites fournies à votre comité ce matin. Bien que les liens entre les mesures législatives et certaines obligations internationales précises soient clairs et bien définis, il est important de noter que le Canada a aussi des obligations internationales plus générales auxquelles on peut dire que la Loi antiterroriste répond plus largement.

Une de ces obligations découle de la décision du Conseil de sécurité selon laquelle les États doivent prendre « les mesures voulues pour empêcher que des actes de terrorisme ne soient commis, notamment en assurant l'alerte rapide d'autres États par l'échange de renseignements ». Il s'agit de la résolution 1373 du Conseil de sécurité, adoptée en septembre 2001. Cette résolution ne prescrit pas les mesures précises qui doivent être adoptées au niveau national. À cet égard, on peut dire que la Loi antiterroriste prise dans son ensemble répond à la fois aux obligations précises et aux obligations plus générales du Canada.

Parallèlement à ses obligations juridiques, le Canada a pris des engagements politiques dans des instances internationales comme le G8, la Communauté économique Asie-Pacifique, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l'Organisation des États américains. Dans ce dernier cas, il y a aussi un nouvel instrument régional sur la lutte antiterroriste.

Nous nous sommes engagés à continuer de jouer un rôle efficace, tant au niveau national que sur la scène internationale, dans la lutte mondiale contre le terrorisme. Le Canada doit honorer ses engagements dans le cadre des efforts collectifs pour lutter contre le terrorisme à l'échelle internationale.

Bien que la Loi antiterroriste comporte une dimension internationale importante, il s'agit évidemment aussi d'un outil qui permet au Canada de combattre le terrorisme à l'intérieur de ses frontières, ce qui est nécessaire pour répondre à ses propres besoins.

En conclusion, j'aimerais citer un court passage du rapport que le secrétaire général Kofi Annan a déposé aujourd'hui :

Le terrorisme s'en prend à toutes les valeurs de l'ONU : respect des droits de l'homme, primauté du droit, protection des civils, tolérance entre les peuples et les nations, et règlement pacifique des conflits. Cette menace n'a cessé de grandir ces cinq dernières années. Les réseaux transnationaux de groupes terroristes opèrent sur toute la planète et font cause commune pour brandir leur menace à la face du monde entier.

C'est pourquoi le terrorisme exige une réponse globale et universelle. Nous croyons que la Loi antiterroriste qui est présentement sous examen nous donne certains des outils nécessaires pour nous permettre de contribuer à cette réponse.

Nous nous réjouissons d'avoir l'occasion de discuter plus longuement avec vous de la dimension internationale de cette loi.

La présidente : Madame Archibald, vous avez parlé d'un document qui avait été déposé aujourd'hui. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit exactement?

Mme Archibald : Je ne suis pas certaine qu'il ait été déposé. Je vous prie de m'excuser si je n'ai pas employé la bonne terminologie. Au cours d'une séance précédente, certains sénateurs avaient demandé des réponses précises à des questions portant sur la dimension internationale de la Loi antiterroriste. Nous avons donc cherché ces réponses en collaboration avec nos collègues du ministère de la Justice. Et je croyais que le ministère vous les avait envoyées ce matin.

La présidente : S'il nous les a envoyées ce matin, nous ne les avons pas reçues, mais il y a un autre document qui a été distribué.

Mme Archibald : Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions là-dessus. Ces questions ont été soulevées au cours d'une séance antérieure, mais si elles sont toujours en suspens, je me ferai un plaisir de vous fournir des réponses à partir du document.

Le sénateur Andreychuk : Puisqu'il est question de documents, nous venons tout juste de recevoir quelque chose du ministère de la Justice. Est-ce que cela vient du témoin de ce matin?

La présidente : Oui.

Le sénateur Kinsella : Bienvenue aux témoins. Pourriez-vous expliquer aux membres du comité la position du Canada aux Nations Unies au sujet de la définition du « terrorisme »?

Mme Archibald : Je vais commencer, après quoi M. Morrill, l'avocat responsable des négociations, pourra vous donner plus de détails.

C'est une question qui s'est posée tout particulièrement dans le contexte des négociations sur une convention générale — des négociations entreprises depuis déjà longtemps, bien avant 2001. Au départ, ces négociations étaient présidées par un Canadien, un conseiller juridique auprès du ministère des Affaires étrangères. Elles ont achoppé quand il a fallu déterminer dans quelles conditions un terroriste n'était pas un véritable terroriste, mais plutôt quelqu'un qui combat des « forces d'occupation », selon la définition proposée par ceux qui soutenaient cet argument.

La question s'est posée également dans d'autres tribunes, où on n'a pas jugé nécessaire d'avoir une définition. Par exemple, l'instrument régional négocié à l'Organisation des États américains ne comprend pas de définition du « terrorisme ». Or, il a été produit il y a moins de quatre ans. C'est peut-être une question qui se limite à l'ONU, mais elle est certainement tout à fait d'actualité.

Le secrétaire général Annan, tant aujourd'hui que dans les commentaires qu'il a faits à Madrid il y a dix jours, a demandé instamment à la communauté internationale de tenter d'en arriver à une définition pour les besoins de cette convention et a laissé entendre que certaines des lignes directrices recommandées par le groupe de haut niveau pourraient servir de point de départ pour établir cette définition.

Le sénateur Kinsella : Quelle est la position du Canada dans ce débat à l'ONU?

M. Keith Morrill, directeur, Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, Affaires étrangères Canada : Évidemment, le Canada souhaite une convention générale sur le terrorisme; le nœud des discussions, c'est cette définition, comme pour les 12 conventions précédentes sur le terrorisme.

Dans le cas de ces 12 conventions, il a été impossible d'en arriver à une définition satisfaisante pour tout le monde à cause de la question difficile de ce qu'on appelle souvent les « combattants de la liberté ». La question qui se pose, c'est celle de l'équivalence morale entre terrorisme et lutte armée.

La position du Canada, c'est que nous aimerions qu'il y ait une convention générale, mais pas à n'importe quel prix.

Nous devons avoir une définition du terrorisme qui ne laisse pas de côté certains actes terroristes en raison du groupe qui les commet ou de la situation dans laquelle ils sont commis. Dans les discussions de New York, qui sont actuellement au point mort, on a beaucoup insisté sur ce que nous appelons généralement les « dispositions d'exemption ». Autrement dit, on indique très clairement que certains éléments ou certaines situations ne seraient pas visés.

Il y a deux choses. Premièrement, l'Organisation des États islamiques défend une position inspirée du contexte des territoires occupés.

Elle propose un libellé qui semblerait exclure certaines activités que le Canada, comme la plupart de ses alliés, considérerait comme des activités terroristes. En même temps, il y a une discussion sur la mesure dans laquelle les activités des forces militaires d'État devraient être incluses, d'une manière ou d'une autre, dans la définition du terrorisme. Autrement dit, les forces militaires d'États sont régies par un système extrêmement développé de droit humanitaire — ce qui n'est pas mon domaine —, mais le Canada est d'avis qu'il ne faut pas mettre sur le même plan les activités terroristes et celles des forces armées, soit en ne considérant pas certains groupes terroristes comme des terroristes, soit en considérant les forces militaires comme des terroristes dans certaines situations.

Les choses n'avancent pas. Mais, avec le rapport de ce groupe de haut niveau, il est permis d'espérer que l'impasse pourra être dénouée.

Le sénateur Kinsella : Diriez-vous que le Canada, dans ces discussions, a adopté une attitude proactive, qu'il cherche de nouveaux paradigmes, ou plutôt qu'il se montre prudent et réticent, en disant : « Voyons ce qui va se passer dans cinq ans, et nous aurons peut-être terminé un ou deux paragraphes de plus »?

M. Morrill : Je dirais que l'attitude du Canada est extrêmement bien coordonnée à celle de ses alliés.

Le sénateur Kinsella : À ce sujet-là, est-ce qu'il est question au cours de ces discussions d'une instance internationale qui serait chargée de poursuivre les terroristes et de leur imposer des peines, où qu'ils se trouvent?

Je vais vous donner un exemple précis. Nous avons discuté ce matin de la façon dont le Canada s'est servi des pouvoirs que lui accorde la Loi sur l'immigration au sujet des certificats, par exemple. Nous finissons pas expulser des gens simplement parce que nous présumons qu'ils font partie de groupes terroristes ou qu'ils y sont associés. Le bon sens nous oblige à nous demander pourquoi nous devrions renvoyer un terroriste ailleurs pour qu'il s'y livre à ses activités terroristes. Pourquoi ne pas nous occuper de ce terroriste au Canada, conformément à un modèle international à cet égard, où qu'il se trouve?

Je serais curieux de savoir s'il y a eu ou non au niveau international des discussions sur la possibilité que les États membres prennent leurs responsabilités et décident de lutter vraiment contre le terrorisme à l'échelle internationale. Si nous arrêtons des gens au Canada, nous devrions les poursuivre; nous devrions les incarcérer plutôt que de les envoyer se balader en liberté ailleurs dans le monde. Il s'agit en quelque sorte de changer le paradigme en vue de l'application de peines internationales, par exemple dans une prison internationale. Est-ce qu'il en question dans les discussions? Vous me suivez?

M. Morrill : Je pense que je vous suis très bien, sénateur. Si vous me permettez de faire un commentaire, je vous dirai qu'il est important de faire une distinction entre la question dont nous avons discuté ce matin — c'est-à-dire l'expulsion, essentiellement, qui n'est pas intrinsèquement une peine. Certaines personnes ne sont pas admissibles au Canada, pour diverses raisons, y compris parce qu'elles aimeraient bien venir vivre ici, mais qu'elles n'ont pas le visa nécessaire.

Dans ce contexte, le Canada pratique l'expulsion de la même manière que la plupart des autres pays, à savoir qu'il expulse les gens qui n'ont pas le droit d'être ici.

Ce dont nous avons discuté à New York, et dont il est question dans presque toutes les conventions de l'ONU sur le terrorisme, c'est une structure pénale. Il y a une approche internationale claire au sujet des sanctions. C'est le principe de l'extradition ou de la poursuite. Les traités les plus récents sur le terrorisme sont des traités d'extradition. Ce sont des traités d'assistance juridique mutuelle, des ententes de partage de l'information.

Pour prendre votre exemple, nous ne discutons pas à New York de la façon dont nous allons expulser des gens, même si, comme l'a dit M. Kennedy, cela peut être un outil important pour combattre le terrorisme et pour respecter notre obligation de ne pas offrir un refuge sûr aux terroristes. Nous parlons essentiellement d'une convention de droit pénal qui ferait en sorte que nous nous entendrions tous pour avoir dans notre droit pénal une infraction qui serait définie par ce traité, si nous pouvons finir par en rédiger un. C'est pourquoi il est tellement important d'établir une bonne définition. Autrement, nous pourrions nous retrouver avec une infraction qui ne cadre pas avec le système canadien.

Comme tous les pays ont des approches différentes au sujet de leur capacité de traiter les infractions, tant sur leur territoire qu'à l'extérieur de celui-ci, il faut en fait leur donner le choix : soit qu'ils poursuivent les gens dans leur propre pays, soit qu'ils les extradent vers le pays qui souhaite les poursuivre.

C'est fondamental dans le système canadien. Au Canada, le régime pénal prévoit certaines mesures de protection pour les accusés, sur le plan de la preuve, même avant qu'il soit question de mesures de protection spécifiques. Ces mesures incluent par exemple l'interdiction de se servir de preuves par ouï-dire ou de produire des photos sensationnalistes des victimes pour ébranler le jury. Ce sont tous des éléments de nos règles sur la preuve.

Les pays de droit civil, comme la France, ne possèdent pas de structures de ce genre parce que la personne chargée de l'enquête est un magistrat, qui sait que le ouï-dire a moins de valeur que les témoignages de vive voix, mais qui entend ces deux types de preuve parce qu'il a la formation nécessaire pour les pondérer. Ce sont habituellement les pays les plus à l'aise pour poursuivre des gens accusés d'infractions commises à l'extérieur de leur territoire. Et ils n'extradent généralement pas leurs ressortissants. Par conséquent, ils ont dû développer au fil des siècles des mécanismes pour les cas où un de leurs ressortissants est accusé de meurtre, par exemple, dans un pays étranger. Ils n'envoient pas leurs ressortissants à l'étranger. Ils doivent pouvoir les poursuivre eux-mêmes. Les pays comme la France ont un système ouvert pour poursuivre les auteurs présumés d'infractions commises à l'étranger, et des structures de présentation de la preuve élaborées en conséquence.

Les pays de common law ont plutôt tendance à extrader les gens accusés d'avoir commis des infractions à l'extérieur de leur territoire. Il y a des exceptions, mais vous remarquerez que, quand nous appliquons ces exceptions, il est extrêmement difficile d'intenter des poursuites avec succès. C'est à cause de nos règles de base concernant la preuve.

En réponse à votre question, c'est un élément qui nous intéresse beaucoup, mais vous devez comprendre qu'il y a déjà eu des discussions là-dessus dans le passé et qu'il y a en gros un système à deux voies, avec deux approches possibles. Soit vous poursuivez dans votre propre système, soit vous extradez vers un pays dont le système pourra soutenir les poursuites. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Kinsella : Oui. Merci beaucoup.

Pour finir, à combien le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international estime-t-il le nombre de citoyens canadiens emprisonnés ailleurs dans le monde par suite de poursuites pour terrorisme qui ont porté fruit?

Et, comme sous-question, combien y a-t-il de citoyens canadiens à Guantanamo Bay?

M. Morrill : Je n'ai pas la réponse à votre première question, mais nous pourrons certainement essayer de vous trouver cette information. Je dois souligner que les Canadiens détenus à l'étranger ont le droit de s'adresser à leur consulat et de nous faire avertir. Ils ont également le droit de demander aux États de ne pas nous avertir, ce qui fait que nous n'aurons certainement pas de chiffre exact; il y aura sans aucun doute des gens qui auront demandé que le Canada ne soit pas averti, mais je peux essayer de vous trouver ce renseignement.

Le sénateur Kinsella : Et Guantanamo Bay?

M. Morrill : Cette question a déjà été posée ce matin.

Mme Archibald : Vous voulez savoir combien il y en a en ce moment?

Le sénateur Kinsella : Combien y a-t-il de citoyens canadiens emprisonnés à Guantanamo Bay?

Mme Archibald : Un.

Le sénateur Kinsella : Et est-ce que cette personne a demandé le soutien consulaire du Canada?

M. Morrill : Pas à ma connaissance. Je sais que le Canada a essayé par tous les moyens d'entrer en contact avec elle. La position du gouvernement américain, c'est qu'en vertu du droit humanitaire, ce sont les lois de guerre qui s'appliquent à Guantanamo Bay. Or, les prisonniers de guerre et les combattants ennemis n'ont pas accès aux services consulaires. Mais je ne veux pas trop m'avancer, d'autant plus que ce n'est pas mon domaine de spécialisation.

Le sénateur Kinsella : En tant que chef de la Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, pensez-vous que la position des Américains est défendable en droit international?

M. Morrill : C'est possible. L'accès aux services consulaires pour les prisonniers, dans un contexte militaire, pose une question délicate. Encore là, je ne suis pas spécialiste du droit humanitaire ou du droit de la guerre, mais je sais que la plupart des règles dans ce domaine s'appliquent à des situations où un État est en guerre contre un autre et, par conséquent, à l'emprisonnement de ressortissants de cet autre État, et c'est pourquoi les règles semblent restreindre cet accès. Ces règles sont toutefois établies en fonction d'une conjoncture précise, et la conjoncture actuelle est tout à fait inhabituelle. Je ne peux pas vous répondre, sénateur.

Le sénateur Kinsella : Henry Dunant, le père du droit humanitaire international, doit se retourner dans sa tombe.

Le sénateur Fraser : Dans le cadre du plan d'action relatif à la Déclaration sur la frontière intelligente, il y a eu des exercices de formation conjoints pour les Canadiens et les Américains qui travaillent le long de la frontière. Vous êtes sûrement au courant des préoccupations soulevées, ici et ailleurs, au sujet du profilage racial dans le cadre de la lutte au terrorisme. Pouvez-vous nous dire quelles sont les garanties en place pour éviter d'introduire le profilage racial dans les exercices de formation conjoints comme ceux-là?

Mme Archibald : Je suis désolée, sénateur, mais je ne peux pas vous le dire parce que nous ne sommes pas responsables du contenu de cette formation. Je soupçonne que, s'il y a une formation conjointe sur cet aspect-là en particulier, cela se fera par l'entremise de l'Agence des services frontaliers, en collaboration avec ses homologues de la Homeland Security.

La formation à laquelle nous participons plus directement, c'est celle qui a été réclamée par le Congrès américain au sujet de la réponse aux attaques de nature chimique, biologique ou nucléaire. Nous avons déjà offert deux sessions de formation, et nous en préparons une autre pour la fin du mois, sur le troisième niveau. Ces sessions visent à tester nos propres mécanismes de réponse; il ne s'agit donc pas d'une formation conjointe. Pour ce qui est de la formation conjointe comme telle, et plus précisément du profilage racial, je ne peux pas vous répondre.

Le sénateur Fraser : La Déclaration sur la frontière intelligente contient-elle des engagements explicites sur le respect des droits de la personne, tels qu'ils sont définis dans chacun des pays?

Mme Archibald : Je ne pense pas qu'il soit question des droits de la personne dans la déclaration. Mais c'est certainement une composante de tous nos engagements internationaux. Il y a d'autres situations, y compris dans le contexte de l'OEA, où nous avons travaillé de concert avec les États-Unis pour incorporer des dispositions sur les droits de la personne dans nos déclarations et nos obligations internationales. Mais je suis à peu près certaine que la Déclaration sur la frontière intelligente ne comprend pas de disposition spécifique sur les droits de la personne.

Le sénateur Fraser : Ce n'est pas un peu inhabituel?

Mme Archibald : C'est inhabituel, mais il ne s'agit pas d'un document déclaratif. C'est un plan d'action, un document technique très spécifique et très systématique.

Le sénateur Fraser : Je comprends. Mais, compte tenu des préoccupations du grand public au sujet des droits de la personne, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, je me demandais dans quelle mesure nous protégions explicitement ces droits.

J'aimerais vous poser une question sur un autre élément de cette déclaration. Je pense que celle-ci permet aussi un meilleur échange de renseignements sur les douanes et l'immigration. L'information est un autre domaine qui préoccupe beaucoup le grand public, surtout en ce qui concerne les renseignements personnels transmis aux autorités américaines au sujet de citoyens canadiens, pour qu'elles en fassent ce qu'elles veulent. Quelles sont les garanties en place à cet égard?

M. Morrill : D'après ce que je sais de la Déclaration sur la frontière intelligente, son titre montre clairement que ce n'est pas un traité. Elle ne crée pas d'obligations; elle décrit simplement une procédure à suivre, ce qui inclut l'élaboration de politiques et d'approches. Ce n'est pas un document qui entraîne des obligations juridiques, ni qui vise à modifier les règles ou les lois du Canada.

Il faut donc tenir compte des règles normales en vigueur au Canada au sujet des échanges d'information et de la protection de la vie privée, c'est-à-dire de l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des droits garantis par la Charte à cet égard. Si vous voulez des détails à ce sujet-là, vous devriez probablement vous adresser à quelqu'un, au ministère de la Justice, qui s'occupe spécifiquement de la protection de la vie privée.

Mais il va sans dire, à mon avis, que les organismes canadiens respectent les lois canadiennes; si ces lois les empêchent de divulguer certains renseignements, ils ne les divulgueront pas. Si le Parlement les autorise à le faire, je suppose qu'ils le feront.

Le sénateur Fraser : Nous avons entendu dire dans différentes situations que, quoi que disent les lois canadiennes, il y a des cas où les Américains appliquent leurs propres lois. Ils disent par exemple : « Votre avion ne pourra pas atterrir ici si vous ne nous fournissez pas toute une foule de renseignements, que vous ayez ou non remanié vos lois pour qu'elles concordent avec les nôtres. » Jusqu'à quel point les interventions de ce genre sont-elles courantes?

Mme Archibald : Je dirais que les Américains ont certainement le pouvoir de le faire. Et ils vont le faire quels que soient nos arrangements avec eux.

Le sénateur Fraser : Je ne conteste pas leur pouvoir d'intervenir sur leur propre territoire, mais cela a des conséquences pour nous.

Mme Archibald : Je n'ai jamais entendu dire que cela s'est effectivement produit. Nous nous sommes entendus, tant avec les Américains qu'avec l'Union européenne, pour négocier des accords en vue du partage de certains types de renseignements sur les voyageurs. Les négociations avec l'Union européenne sont presque terminées. D'ailleurs, elles se sont beaucoup mieux déroulées que nos négociations similaires avec les Américains, principalement parce que nous avons ici des garanties que nous entendons appliquer pour les échanges d'information, y compris celles que nous imposent nos lois sur la protection des renseignements personnels. Le commissaire à la vie privée a participé de très près à ces négociations. Nous serons peut-être en mesure d'échanger officiellement des renseignements de ce genre avec l'Union européenne avant de pouvoir le faire avec les États-Unis.

Le sénateur Fraser : Vous avez dit que nous étions toujours en négociations avec l'Union européenne et avec les États-Unis, n'est-ce pas?

Mme Archibald : Oui.

Le sénateur Fraser : Quand ces négociations devraient-elles aboutir, à votre avis?

Mme Archibald : Je suis plus au courant de ce qui se passe du côté de l'Union européenne parce que ces négociations sont presque terminées; nous espérons qu'elles le seront d'ici la fin de l'année.

Le sénateur Fraser : J'espère bien que notre comité pourra voir l'entente conclue bien avant la fin de l'année.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je voudrais revenir à la question des Canadiens détenus à l'étranger comme présumés terroristes. Quand M. Judd, le directeur du SCRS, a comparu devant le sous-comité qui étudie le projet de loi C-36 à l'autre endroit, il a dit qu'il y avait un certain nombre de Canadiens impliqués dans la planification et l'exécution d'opérations terroristes dans d'autres pays. Il a parlé en particulier d'une personne à New York qui, selon un rapport, est en contact avec nos agents consulaires là-bas.

À votre connaissance, combien y a-t-il de Canadiens détenus aux États-Unis et ailleurs pour activités terroristes?

M. Morrill : À ma connaissance à moi?

Le sénateur Lynch-Staunton : Je veux parler des cas connus des Affaires étrangères.

M. Morrill : Je ne peux pas vous donner de chiffre aujourd'hui, mais je peux certainement me renseigner. Mais je dois dire qu'avant 2001, quand des gens étaient inculpés pour des actes terroristes au Canada, ils étaient accusés d'avoir posé des bombes ou d'avoir comploté pour commettre une infraction quelconque. Il n'était pas question de « terrorisme ».

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne veux pas parler des gens détenus au Canada, mais de ceux qui sont emprisonnés à l'extérieur du pays.

M. Morrill : C'est sans doute la même chose ailleurs. Autrement dit, des gens peuvent être accusés de meurtre, et non de terrorisme, mais je peux probablement vous trouver des chiffres à ce sujet-là.

Le sénateur Lynch-Staunton : D'après M. Judd, plusieurs Canadiens ayant participé à la planification et à l'exécution d'opérations terroristes dans d'autres pays ont été placés en détention. Est-ce qu'il est le seul à le savoir?

Mme Archibald : Nous pourrions vous dire qu'il y en a « plusieurs », mais vous nous avez demandé un chiffre précis. Je ne pense pas que nous puissions vous en donner un, pour les raisons que M. Morrill vient d'expliquer.

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, vous ne pouvez pas dire qu'ils sont détenus parce qu'ils sont accusés d'une autre infraction quelconque et qu'ils ne sont pas inclus par conséquent dans le nombre de personnes accusées d'actes terroristes, et affirmer ensuite qu'il y en a plusieurs. Qui sont ces gens, et où sont-ils?

M. Morrill : M. Judd avait de toute évidence en tête plusieurs personnes en particulier. Personnellement, je ne sais pas de qui il s'agit. Je peux sans doute vous trouver des chiffres. Tout ce que j'ai voulu dire, c'est qu'il sera peut-être difficile de connaître le nombre exact. Je suppose que vous ne parlez pas seulement des gens qui sont détenus, mais aussi de ceux qui ont été poursuivis et reconnus coupables.

Le sénateur Lynch-Staunton : Non, je veux parler des gens, en particulier des citoyens canadiens originaires de certains pays, qui sont détenus aux États-Unis.

Mme Archibald : Aux États-Unis?

Le sénateur Lynch-Staunton : Plus précisément. Pour être bien clair, je pense au cas de M. Arar, un citoyen canadien qui a été intercepté par les autorités américaines au moment où il s'apprêtait à rentrer au Canada via New York, qui a été emprisonné pendant une semaine environ et qui a ensuite été envoyé dans son pays d'origine, la Syrie, où il est resté au moins un an. Il est revenu sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre lui, ni en Syrie, ni aux États-Unis ni au Canada, et il affirme avoir été torturé. À la suite de cette affaire, le gouvernement canadien a annoncé — vous me corrigerez si je me trompe — qu'une entente ou un protocole avait été conclu avec les États-Unis pour éviter à l'avenir toute mesure unilatérale de ce genre contre des citoyens canadiens, toute expulsion — ce que les Américains appellent « rendition » — vers le pays d'origine où les gens risqueraient d'être torturés. Il ne pourrait plus y avoir de mesures unilatérales. Est-ce exact?

M. Morrill : C'est exact. Je suis au courant de cette entente. Si je me rappelle bien, elle porte sur l'expulsion, ailleurs qu'au Canada, de citoyens canadiens se trouvant aux États-Unis. Il faut préciser que cette entente ne s'applique pas uniquement aux gens qui ont la double nationalité. Les pays peuvent expulser des gens vers un pays dont ils ne sont pas des ressortissants, mais c'est plutôt rare. Quand une personne possède une double nationalité, il faut décider vers quel pays elle sera expulsée.

Je pense que le Canada et les États-Unis ont conclu une entente unique en son genre. Quand un des deux pays envisage d'expulser de force un ressortissant de l'autre pays vers un pays tiers — c'est-à-dire ailleurs qu'au Canada ou aux États-Unis —, il existe un mécanisme de consultation permettant d'avertir le plus haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères de l'autre pays. Effectivement, cette entente a été mise en place.

Le sénateur Lynch-Staunton : Est-ce que l'entente consiste à avertir le Canada qu'un de ses ressortissants va être expulsé ou à obtenir l'approbation des autorités canadiennes à cette fin?

M. Morrill : Encore une fois, il s'agit de l'expulsion ailleurs qu'au Canada.

Le sénateur Lynch-Staunton : Oui.

M. Morrill : Il ne s'agit pas de demander une autorisation, mais d'avertir l'autre pays que la mesure est envisagée. À ce moment-là, les Canadiens et les Américains peuvent entreprendre des discussions au plus haut niveau pour régler la question.

Le sénateur Lynch-Staunton : Quel est le résultat final? Qu'est-ce qui se passe si le Canada dit : « Non, ne l'expulsez pas; si vous voulez l'envoyer quelque part, envoyez-le au Canada »? Est-ce que les autorités américaines sont obligées d'accéder à cette requête?

M. Morrill : Non, ce n'est pas un veto, sénateur. C'est une structure de consultation de haut niveau, qui permettra au Canada de faire valoir ses vues sur toute expulsion de ce genre.

Le sénateur Lynch-Staunton : Il n'est donc pas vrai qu'un cas comme celui de M. Arar ne pourrait plus se produire, comme on l'a laissé entendre à l'époque.

M. Morrill : Je ne pense pas, monsieur. Je serais très surpris qu'un cas similaire à l'affaire Arar puisse se produire dans le cadre de cette entente. Bien franchement, les Canadiens, au plus haut niveau, connaissaient probablement les intentions des Américains à ce moment-là. Je me trompe peut-être, mais je pense que c'était une façon tout à fait inhabituelle d'aborder l'expulsion d'un citoyen canadien. Les fonctionnaires responsables du dossier ont été extrêmement surpris que M. Arar soit expulsé ailleurs qu'au Canada. Si les hauts fonctionnaires canadiens avaient su que les Américains voulaient l'envoyer ailleurs, je suppose que le gouvernement canadien aurait fait pression sur les Américains pour les faire changer d'idée.

Le sénateur Lynch-Staunton : Selon une étude très convaincante sur toute cette question de l'expulsion, on estime que de 100 à 150 personnes ont été renvoyées dans leur pays d'origine, pas uniquement des citoyens de ce pays uniquement, mais aussi des gens qui avaient la double nationalité. Je doute que ces pays aient été consultés. Pourquoi le Canada serait-il le seul à l'être?

M. Morrill : Parce que, monsieur, le Canada et les États-Unis sont des alliés solides et des partenaires qui partagent une longue frontière ouverte, ce qui fait que le Canada a davantage intérêt que tout autre pays — à part peut-être l'autre pays voisin des États-Unis — à avoir une entente de ce genre. Il faut dire aussi que nos collègues américains voient le Canada comme un allié efficace dans leur lutte contre le terrorisme. Il semble donc que nous puissions, dans ce contexte, jouir d'un traitement de faveur tant en raison de notre position affirmée sur la question que de nos liens étroits avec les Américains.

Le sénateur Lynch-Staunton : Un citoyen australien d'origine égyptienne a été renvoyé en Égypte par les autorités américaines, et il affirme y avoir été torturé. Il est maintenant de retour en Australie. Voulez-vous dire que l'Australie a moins d'influence que nous sur les États-Unis, surtout après ce qui s'est passé lors de la guerre en Irak? Pensez-vous que les Australiens seront consultés la prochaine fois, ou simplement avertis, comme nous le serons, semble-t-il? Je ne vois pas de différence entre ce qui est arrivé à M. Arar sans que le Canada puisse intervenir et la possibilité que les Américains songent à refaire la même chose en disant : « Si vous avez quelque chose à dire, messieurs les Canadiens, allez-y, dites-le; mais en définitive, c'est nous qui allons décider ce que nous allons faire de ce monsieur. »

M. Morrill : Vous posez deux questions. Je ne sais pas si l'Australie a réclamé une entente de ce genre. Je ne peux pas vous dire pourquoi elle n'en a pas conclu une, du moins à ma connaissance.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous l'ignorons.

M. Morrill : Au moment où l'entente canado-américaine a été conclue, les Américains ont indiqué clairement qu'ils n'avaient avec aucun autre pays des rapports comme ceux qu'ils entretiennent avec nous. Je ne sais pas ce qui s'est passé depuis. Je pense que c'était en janvier de l'an dernier.

D'après ce que j'au vu au fil des années dans les cas de mésententes entre les autorités et d'enlèvements transfrontaliers, l'influence du Canada dans ces dossiers et ses efforts pour faire valoir les droits de ses citoyens portent généralement fruit; en définitive, les Américains nous écoutent. Ils ont intérêt tout autant que nous à protéger leurs ressortissants. Vous ne semblez pas croire qu'ils puissent prêter attention à ce genre de choses. Mais, d'après ce que j'ai pu constater, je n'en doute pas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Supposons que l'entente ait été en vigueur au moment de l'affaire Arar. Qu'est-ce qui se serait passé alors? Comment l'entente aurait-elle été appliquée? Les autorités auraient décidé d'envoyer M. Arar en Syrie, où il est né. Le gouvernement canadien en aurait été averti. Et ensuite? Quelle aurait été la procédure? Qui aurait parlé à qui? Est-ce que cela se serait fait verbalement ou par écrit? Y aurait-il eu une rencontre, et à quel niveau?

M. Morrill : En vertu de l'entente, il y a deux points de contact, un dans chaque pays. Ce sont les responsables des services consulaires dans chaque ministère des Affaires étrangères. Au département d'État, c'est l'équivalent d'un sous- ministre adjoint responsable des affaires consulaires. Du côté canadien, c'est le directeur général des affaires consulaires. C'est le plus haut responsable des affaires consulaires. Tant le département d'État que le ministère des Affaires étrangères ont une salle d'opérations qui fonctionne 24 heures par jour; c'est le canal normal. En plus de l'avis envoyé à un agent consulaire dans un consulat donné, ce qui est très important, il y a aussi un avis spécifique envoyé par les hauts fonctionnaires quand la mesure est envisagée — pas quand la décision est prise, mais quand la mesure est envisagée. C'est ce que dit l'entente, si je me rappelle bien.

À ce moment-là, on peut présumer que les deux pays échangeraient des renseignements sur les raisons pour lesquelles la mesure est envisagée. Les hauts fonctionnaires pourraient aussi tenir compte des répercussions qu'une expulsion de ce genre, des États-Unis vers un pays tiers, pourrait avoir sur nos relations bilatérales.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si le principal argument avancé pour expulser une personne ayant une double nationalité est que les méthodes d'interrogatoire du pays tiers sont un peu plus persuasives que celles des États-Unis et du Canada, est-ce que ce serait acceptable pour les autorités canadiennes?

Nous savons tous que ces gens-là sont envoyés en Égypte, en Syrie ou ailleurs — la liste est malheureusement trop longue — pour qu'ils y soient interrogés selon des méthodes complètement inacceptables dans une société civilisée. C'est bien connu; personne ne le conteste. Si elles avaient su que M. Arar serait envoyé en Syrie pour y être soumis à ce genre d'interrogatoire, est-ce que l'argument dont nous discutons aurait permis aux autorités canadiennes d'interdire son expulsion?

M. Morrill : Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un mécanisme de consultation, et non d'un veto. Les autorités canadiennes auraient exprimé leur point de vue.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pouvons-nous avoir un exemplaire de l'entente?

M. Morrill : Je pense que oui.

Le sénateur Joyal : Monsieur Morrill, vous avez mentionné dans votre réponse au sujet du Canadien détenu à Guantanamo Bay que les autorités américaines ne lui donnaient pas accès aux services consulaires. Est-ce que j'ai bien compris votre réponse?

M. Morrill : D'après ce que je peux comprendre, les Américains considèrent que la Convention de Vienne sur les relations consulaires ne s'applique pas dans cette situation, puisqu'il s'agit d'une détention dans le cadre d'un conflit militaire. C'est un des éléments en jeu. Il y a d'une part les contacts, et d'autre part l'accès aux services consulaires. Je pense que les Américains n'ont accordé à personne ce qu'ils ont appelé « l'accès aux services consulaires » parce qu'ils estiment que la convention sur les relations consulaires ne s'applique pas. Cependant, certains pays ont demandé — et obtenu — le droit d'établir des contacts avec leurs ressortissants pour confirmer qu'ils se portaient bien, mais les Américains ne considèrent pas cela comme un accès à des services consulaires.

Le sénateur Joyal : La position que défend le gouvernement américain, à savoir que ces gens-là n'ont pas droit à la protection prévue par la constitution américaine, a été renversée par la cour suprême des États-Unis; ils ont donc droit à l'application régulière de la loi. Une fois cette décision rendue publique, est-ce que le gouvernement canadien a communiqué avec les autorités américaines à ce sujet-là?

M. Morrill : Je ne suis pas sûr de comprendre, sénateur.

Le sénateur Joyal : Je vais reformuler ma question. La cour suprême des États-Unis a rejeté la position du gouvernement américain et en est arrivée à la conclusion que celui-ci doit maintenant traduire les détenus de Guantanamo devant les tribunaux, sous des chefs d'accusation spécifiques, pour pouvoir les garder en détention. Il ne peut pas leur refuser la protection des lois américaines. Dans ce contexte, le gouvernement canadien a-t-il demandé aux autorités américaines quand ce Canadien serait traduit en justice et sous quel chef d'accusation?

M. Morrill : Je ne travaille pas dans le domaine du droit humanitaire, qui s'applique aux conflits armés. Mais je sais que le gouvernement canadien a travaillé fort pour faire en sorte que des accusations soient portées, ou alors pour que cette personne soit traitée de façon appropriée. Si je comprends bien, il y a une distinction entre le droit applicable en cas de conflit armé et les règles concernant l'accès aux services consulaires. Autrement dit, est-ce que les Américains doivent rendre les services consulaires accessibles aux gens qu'ils détiennent en vertu du droit relatif aux conflits armés, qu'il s'agisse de prisonniers de guerre ou — comme ils disent — de combattants illégaux? Le fait que les Américains soutiennent également que leurs garanties constitutionnelles ne s'appliquent pas à Guantanamo ne semble rien changer à leur analyse, à savoir que c'est le droit humanitaire — le droit relatif aux conflits armés — qui doit s'appliquer.

Le gouvernement canadien a essayé de s'assurer que le Canadien détenu à Guantanamo était bien traité, qu'il était en bonne santé et, idéalement, que les règles selon lesquelles il devrait être mis en accusation ou libéré étaient appliquées.

J'ai bien peur de ne pas connaître ce cas en détail.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous vous renseigner auprès de vos collègues du ministère sur les contacts les plus récents entre le gouvernement canadien et les autorités américaines à ce sujet, et sur le moment où des accusations seront portées contre le Canadien détenu à Guantanamo?

M. Morrill : Certainement, monsieur.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous aussi vous informer sur les initiatives que compte prendre le gouvernement canadien si des accusations sont effectivement portées contre ce prisonnier afin qu'il puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat?

M. Morrill : Certainement, monsieur.

Le sénateur Joyal : En vertu de la Déclaration sur la frontière intelligente, le gouvernement canadien s'est entendu avec les autorités américaines pour échanger des renseignements sur les Canadiens qui traversent la frontière. Depuis que cette déclaration est en vigueur, quels nouveaux renseignements le gouvernement fournit-il aux autorités américaines?

Mme Archibald : Cela varie selon qu'il s'agit de passagers du transport aérien ou de gens qui traversent régulièrement la frontière par voie terrestre. Il y a des protocoles d'entente pour chaque cas, dont certains existent depuis longtemps. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous fournir plus de détails sur ce qui se passe actuellement à cet égard, mais les gens de l'Agence des services frontaliers du Canada pourraient vous en donner.

Il y a aussi, et depuis longtemps, des échanges de certains types de renseignements entre les organismes responsables des questions d'immigration, par opposition aux aspects commerciaux des transferts transfrontaliers. Je pense que la situation n'est pas très différente de ce qu'elle a toujours été, mais les gens de l'Agence des services frontaliers seraient mieux placés que moi pour vous fournir cette information.

Tous ces échanges ont toujours été — et sont encore — régis par des protocoles d'entente entre organismes, et ils aident à protéger les garanties comme celles dont nous parlions tout à l'heure en ce qui concerne le respect de la vie privée et les autres préoccupations que pourrait avoir le gouvernement du Canada. Nous ne nous occupons pas des détails de ces ententes. Nous savons qu'elles existent parce qu'elles font partie de la déclaration, mais le travail se fait entre les organismes spécialisés.

Le sénateur Joyal : Vous nous suggérez d'inviter des représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada pour qu'ils nous fournissent cette information?

Mme Archibald : Ils pourraient vous fournir de l'information sur cet aspect de la question, en effet.

Le sénateur Joyal : Je voudrais vous poser une question sur la protection des personnes qui sont détenues au Canada et qui sont ensuite transférées dans des pays où elles risquent la torture. En cas d'extradition, il y a des échanges d'information entre le Canada — par l'intermédiaire de son procureur général — et le procureur général du pays qui demande l'extradition, et qui s'engage à ne pas appliquer la peine de mort si c'est la sentence qui est prononcée.

Y a-t-il des protocoles d'entente selon lesquels des pays s'engageraient à ne pas torturer quelqu'un qui y serait expulsé en vertu d'un certificat comme ceux dont nous avons discuté ce matin?

M. Morrill : Vous voulez parler d'expulsion, pas d'extradition?

Le sénateur Joyal : Je veux parler d'expulsion. Plus précisément, quand le Canada extrade quelqu'un, le procureur général du pays où cette personne est extradée s'engage à ne pas appliquer la peine de mort contre elle. C'est une procédure juridique très claire.

Dans le cas où une personne serait expulsée vers un pays où elle risque la torture, est-ce que nous exigeons un engagement quelconque et, si oui, de quel type?

M. Morrill : Je vous ai demandé de préciser parce que, dans les cas d'extradition, il y a des règles spéciales qui s'appliquent et qui font en sorte que l'extradition ne peut avoir lieu qu'à certaines conditions. Dans les cas d'expulsion, pour lesquels il n'existe pas de traité, il faut procéder au cas par cas; les tribunaux canadiens doivent notamment être convaincus que la personne expulsée ne sera pas soumise à la torture, même si la Cour suprême a indiqué, dans l'affaire Suresh, que cela pourrait se produire dans certaines circonstances exceptionnelles.

J'imagine que nous demanderions des garanties par la voie d'une note diplomatique. Je sais que nous avons déjà rédigé des notes diplomatiques pour obtenir des garanties relatives à la peine de mort, dans des cas d'expulsion, en indiquant que, si nous expulsions une personne, nous voulions être certains qu'elle ne se verrait pas imposer la peine de mort si elle était traduite devant la justice.

Il y a des cas où nous avons cherché à obtenir des garanties relatives au traitement réservé à une personne, et je pense que cela s'est déjà fait au sujet des soins de santé. Mais la structure dans laquelle cela se déroulerait, c'est que le système de notre pays déciderait s'il était approprié d'expulser une personne. Dans ces circonstances, le décideur examinerait les garanties reçues, idéalement par note diplomatique, et déciderait du poids à leur accorder, parce que nos tribunaux ont indiqué que certaines garanties devraient avoir plus de poids que d'autres.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, avant qu'une personne soit expulsée vers un pays où elle risquerait d'être torturée, le ministère ou les services diplomatiques canadiens ne chercheraient pas à obtenir de ce pays un engagement selon lequel cette personne ne serait pas torturée?

M. Morrill : Non, monsieur. Je suis désolé si je n'ai pas été assez clair. S'il apparaît utile d'obtenir des garanties pour prendre une décision au sujet d'une expulsion, les services diplomatiques chercheront à obtenir ces garanties, par exemple au sujet de la torture ou d'autres aspects du traitement qui serait réservé à la personne expulsée. Les tribunaux ont indiqué qu'il fallait examiner cela au cas par cas, et que les garanties auraient un poids variable.

Le sénateur Joyal : Autrement dit — j'essaie de comprendre les nuances —, si un juge de la Cour fédérale, en acceptant le certificat et l'ordonnance d'expulsion, demandait qu'une personne ne soit pas expulsée à moins que le gouvernement reçoive l'assurance qu'elle ne serait pas soumise à la torture, c'est seulement à ce moment-là que les services diplomatiques canadiens communiqueraient avec le pays concerné pour essayer d'obtenir ces garanties?

M. Morrill : Mme Archibald voudra peut-être ajouter quelque chose. Je vous dirai que, quand on envisage une expulsion, on pèse les différents risques. Si on expulse quelqu'un vers la Suède, on ne s'inquiète pas trop de la torture. Mais si on l'expulse vers un autre pays, c'est peut-être plus inquiétant. Si les agents qui souhaitent expulser quelqu'un se soucient de respecter les règles, la personne peut être expulsée. J'imagine que, s'il y avait des risques de torture, ils pourraient facilement être décelés au début du processus, mais tout dépendrait de la gravité de ces risques de torture ou d'autres mauvais traitement dans les circonstances, bien franchement.

Je ne suis pas sûr qu'il soit possible de se prononcer sans connaître les circonstances de chaque cas.

Mme Archibald : Tout dépend des cas. Par exemple, il peut arriver que des gens fassent l'objet d'un certificat de sécurité au Canada et risquent l'expulsion sans toutefois être accusés de quoi que ce soit dans le pays vers lequel ils doivent être expulsés. Cela ferait partie des garanties qui pourraient être exigées. Il pourrait s'agir de déterminer s'il y a des accusations pesant contre une personne et si elle risquerait d'être arrêtée à son retour. Il faudrait en tenir compte pour prendre une décision. Selon les circonstances, l'information demandée et les garanties exigées peuvent varier. Ce n'est pas toujours pareil.

Le sénateur Joyal : Je comprends. J'essaie de comprendre quelle protection une personne expulsée peut attendre de notre système, qui défend la dignité humaine et le respect du corps, deux valeurs fondamentales auxquelles nous attachons beaucoup d'importance dans notre pays et que nous essayons de promouvoir sur la scène internationale. C'est ce que je veux savoir, essentiellement. Autrement dit, est-ce que nous nous lavons les mains, tout simplement, ou si nous faisons quelque chose de plus pour essayer de protéger la personne expulsée, dans l'esprit de nos lois canadiennes?

Mme Archibald : Sénateur, même si nous demandons des garanties au moment où l'ordonnance d'expulsion doit être exécutée, cette ordonnance est presque toujours soumise à une révision judiciaire puisqu'elle est généralement rendue bien avant d'être portée devant la cour. Cela fait partie des mesures de protection. Il arrive que la possibilité qu'une personne soit soumise à la torture persiste un certain temps, par suite de changements importants dans son pays d'origine. Nous pouvons profiter des rapports internationaux récents sur les droits de la personne et des renseignements que nous fournissent nos propres missions à l'étranger pour procéder à ce genre d'évaluation bien avant de demander des garanties officielles. Cette évaluation peut nous aider à déterminer si nous allons ou non exiger des garanties, si cela en vaut la peine. En définitive, c'est soumis à une révision des tribunaux. Et les tribunaux ont indiqué dans au moins un cas — tout comme vous — que, dans la plupart des circonstances, il ne fallait pas procéder à l'expulsion. Ils ont cependant déclaré qu'il pouvait y avoir des cas où, même s'il y avait certains risques que la personne expulsée soit soumise à la torture un de ces jours, le Canada était quand même justifié de l'expulser.

Je pense que cela ne s'est jamais produit dans les faits. Le rôle des tribunaux est important dans cet exercice. Les fonctionnaires ne sont pas les seuls à prendre la décision, qu'ils soient aux Affaires étrangères, à l'Immigration ou dans un autre ministère, et cette décision est sujette à révision.

La présidente : Sénateurs, le temps file, encore une fois; je vous demande donc d'être aussi concis que possible pour la suite de cette discussion des plus intéressantes.

Le sénateur Smith : Ma question complémentaire ne porte pas sur la torture, mais sur la peine de mort. Je ne sais pas s'il a déjà été question du cas du Chinois qui est arrivé à Vancouver; il y avait des millions de dollars en cause. Le gouvernement chinois cherchait à le faire extrader pour un crime qui pourrait lui valoir la peine de mort. Êtes-vous au courant de cette histoire? N'avons-nous pas obtenu des Chinois l'engagement qu'ils ne l'exécuteraient pas? La dernière fois que j'en ai entendu parler, l'affaire était toujours devant les tribunaux.

M. Morrill : Je pense que j'en ai entendu parler.

Le sénateur Smith : Où l'affaire est-elle rendue?

M. Morrill : Je suppose que vous voulez parler de l'affaire Li. C'est un cas d'expulsion, pas d'extradition. D'après ce que j'ai entendu dire au début du processus, ce genre d'expulsion peut prendre environ cinq ans avant qu'il y ait une décision définitive.

Le sénateur Smith : Et où en sommes-nous en ce moment? La dernière fois que j'en ai entendu parler, Li perdait toujours, n'est-ce pas?

M. Morrill : Notre système comporte de nombreuses possibilités de révision et d'examen judiciaire des décisions. Je pense que l'affaire est rendue devant la Cour d'appel fédérale. Dans les cas de ce genre, d'après ce que je comprends — mais vous pourriez obtenir plus de détails des gens de l'Immigration —, il y a une révision judiciaire de la décision administrative et une requête d'habeas corpus. Il y a donc toute une série de mécanismes qui permettent à la personne d'exercer ses droits.

Le sénateur Smith : L'appel n'était-il pas fondé sur le fait que nous ne pouvions pas nous fier à l'engagement du gouvernement chinois à ne pas exécuter cet homme s'il était condamné un jour, ou s'il l'avait déjà été par contumace? Êtes-vous au courant?

M. Morrill : Je ne pense pas qu'il ait été condamné par contumace. En réalité, je l'ignore, alors je ne devrais pas dire cela.

Le sénateur Smith : L'appel n'était-il pas fondé sur le fait que nous ne pouvions pas nous fier à l'engagement du gouvernement chinois?

M. Morrill : Pas que je sache. En fait, je crois que c'était plutôt une question de procédure.

Mme Archibald : Je ne pense pas que l'affaire ait été portée devant les tribunaux en raison des garanties exigées ou du poids à accorder à ces garanties, mais je peux certainement essayer de le confirmer. Je suis presque certaine que ce n'est pas le nœud de l'affaire, dans ce cas-là.

M. Morrill : M. Li se bat sur tous les fronts; il peut donc y avoir d'autres aspects.

Le sénateur Smith : Après avoir lu ce que j'ai lu, j'aimerais bien avoir des renseignements à jour là-dessus.

Le sénateur Andreychuk : Pour en revenir aux questions de politique gouvernementale, quelle est la position du Canada au sujet du terrorisme et quelle image renvoyons-nous au reste du monde à cet égard? Avons-nous une politique sur les moyens à prendre pour lutter contre le terrorisme en collaboration avec la communauté internationale?

Mme Archibald : Je ne sais pas à quel point vous cherchez une réponse précise. Mais, oui, nous avons une politique; notre premier instinct a été de travailler dans le cadre du processus multilatéral. Nous avons examiné les normes énoncées dans les 12 conventions de l'ONU qui sont déjà en vigueur. Nous avons consacré des efforts considérables, tant sur le front diplomatique que sur le plan de l'amélioration des capacités, pour essayer de nous assurer que les autres pays adhèrent aussi à ces 12 conventions et, surtout, qu'ils les appliquent. À notre avis, c'est le fondement essentiel d'une coopération internationale appropriée au sujet du terrorisme, comme c'est le cas depuis 20 ans.

Nous devons aussi essayer de nous assurer que, dans leur lutte contre le terrorisme, les États — et le nôtre en particulier — tiennent également compte de leurs obligations internationales en matière de droits de la personne. Nous avons fini par nous entendre, à l'ONU, sur un langage qui semble acceptable pour tout le monde, et qui précise très clairement que la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le plein respect de nos obligations internationales en matière de droits de la personne, notamment dans le cadre du droit humanitaire et du droit des réfugiés.

Nous avons aussi l'obligation d'aider les autres États qui peuvent trouver plus difficile d'appliquer certaines des nouvelles normes. Il y a des normes juridiques énoncées dans les 12 conventions internationales, mais il y a aussi une série de normes en évolution dans les organisations fonctionnelles de l'ONU. Cela peut inclure par exemple les nouvelles normes de l'OACI concernant les titres de voyage internationaux, des normes qui ont été adoptées par la communauté internationale au cours des trois dernières années, mais qui pourraient évidemment représenter un lourd fardeau pour certains États en développement s'ils devaient les appliquer toutes. Ce n'est qu'un exemple.

Le sénateur Andreychuk : Ce qui me préoccupe surtout, c'est que nous avons beaucoup de nouvelles lois en place, tant au pays qu'à l'échelle internationale, et je sais que c'est toujours difficile de les faire adopter. Le Canada met-il l'accent sur le renforcement des réseaux de renseignement ou s'il cherche à conclure plus d'ententes, d'accords et de traités?

Mme Archibald : Je pense que l'un n'empêche pas l'autre, et je ne crois pas que cela ait été envisagé comme tel dans le contexte international.

Plus nous nous éloignons de certains des accords conclus au lendemain du 11 septembre 2001 — cela se reflète d'ailleurs dans les commentaires qu'a faits le secrétaire général aujourd'hui et la semaine dernière, et cela traduit bien l'approche canadienne à cet égard —, plus il faut pouvoir échanger d'information. La résolution de l'ONU en ce sens vise en partie à essayer de prévenir les attentats terroristes et à faire en sorte que les États s'avertissent les uns les autres quand ils savent que quelque chose va se produire; quant à savoir si cela doit se faire par des échanges officiels de renseignements ou par d'autres méthodes, tout dépend des circonstances.

Notre façon de mener notre « guerre au terrorisme » a aussi une incidence sur le recrutement des terroristes, le financement des activités terroristes et le soutien à ces activités. Je ne dirais pas que nous devrions nous concentrer uniquement sur les activités de renseignement sans nous préoccuper de ce qu'on a appelé les causes profondes du terrorisme. Plus nous nous éloignons du 11 septembre, plus il est important d'examiner les facteurs sous-jacents qui contribuent au recrutement. Cela devient important à la fois dans le cadre de l'ONU et dans nos relations bilatérales avec les autres pays.

Le sénateur Andreychuk : Votre tâche est à peu près la même que la nôtre. Vous avez indiqué en quoi consistait l'approche canadienne, et nous devons déterminer comment nous envisageons le projet de loi C-36 dans le cadre de cette approche. Nous n'avons pas d'énoncé de politique étrangère; nous attendons toujours une déclaration du ministre.

Mme Archibald : Je n'en ai pas non plus.

Le sénateur Andreychuk : Exactement. Il est difficile de mettre ce projet de loi en perspective parce que nous ne savons pas dans quelle direction générale le gouvernement compte s'orienter. J'espère que nous aurons à la fois la déclaration du ministre et l'énoncé de politique étrangère sous les yeux pour pouvoir prendre une décision raisonnée et éclairée au sujet du projet de loi et de ce qu'il faut en faire.

Je présume que vous fonctionnez actuellement en vertu des obligations que nous avons déjà contractées.

Mme Archibald : Oui, mais il y a des signes. Tout ne sera pas entièrement nouveau. Notamment, nous fonctionnons actuellement dans le cadre de tribunes internationales, et nous faisons valoir nos vues lors des conférences internationales, par exemple à Madrid il y a deux semaines et à la conférence à laquelle je me suis rendue il y a un mois en Arabie saoudite. Ces vues représentent la politique gouvernementale; c'est notre politique étrangère.

En outre, pas plus tard qu'aujourd'hui, je pense que le gouvernement va répondre aux commentaires du secrétaire général sur le terrorisme. Nous avons une politique étrangère, même si elle n'est pas énoncée expressément.

M. Morrill : Vous avez parlé notamment de la mise en place de mécanismes pour les échanges de renseignements. Il est également utile de souligner que la convention la plus récente portant sur le terrorisme, tout comme la résolution 1373, prévoit explicitement que les États doivent communiquer entre eux pour partager l'information dont ils disposent. Encore une fois, dans un autre contexte, l'un n'empêche pas l'autre. Si vous regardez l'alinéa 3c) de la résolution 1373, vous verrez qu'il oblige tous les États à collaborer, particulièrement par des mécanismes et des accords bilatéraux et multilatéraux, pour prévenir et empêcher les attentats terroristes. Le contexte multilatéral favorise les liens bilatéraux; c'est la même chose pour certains éléments de la convention relative au financement des activités terroristes.

Les échanges bilatéraux d'information sont jugés nécessaires et, en même temps, ils laissent plus de latitude aux pays pour choisir avec qui cette information sera échangée; les pays sont prêts à partager les renseignements dont ils disposent avec des pays connus, mais ils ne peuvent pas nécessairement s'engager à le faire avec tous les pays du monde.

Le sénateur Andreychuk : Dans ce cas, est-ce que nous expulsons des terroristes ou des gens que nous soupçonnons de se mêler d'activités terroristes vers des pays avec lesquels nous ne serions probablement pas prêts à échanger de l'information? Dans le contexte international, nous considérons que certaines personnes représentent une menace pour le Canada, et pourtant nous sommes prêts à les expulser sans avoir absolument aucun contrôle sur l'endroit où ils vont se retrouver et sur ce qu'ils vont faire ensuite. N'est-ce pas incohérent comme politique?

M. Morrill : Je dois dire que l'expulsion est un outil possible en cas de terrorisme, mais ce n'est pas tout; c'est un élément de notre politique générale sur ce que nous faisons des gens qui arrivent au Canada sans statut juridique établi et qui ne peuvent pas y être admis. C'est un outil qui peut nuire aux réseaux et aux activités terroristes, mais ce n'est pas le seul.

S'il y a des preuves justifiant des poursuites au criminel au Canada, c'est peut-être la voie qui sera choisie. L'important, c'est de nous servir de tous les outils dont nous disposons. Si une personne est expulsée pour activités terroristes, c'est probablement parce qu'il n'y a pas matière à la poursuivre au criminel.

Autrement dit, l'alternative, ce n'est pas de poursuivre les gens au Canada ou de les expulser. L'alternative, dans ce domaine, c'est de les expulser ou de les laisser tranquilles au Canada.

La discussion finit souvent par déboucher sur les différents seuils de preuve nécessaires pour prendre une mesure administrative, c'est-à-dire l'expulsion, et pour intenter des poursuites au criminel. Vous avez raison de dire que ce n'est pas une situation idéale, mais notre système l'exige, pour de très bonnes raisons de politique. Notre système de justice pénale doit assurer aux gens un haut niveau de protection. Mais, pour une expulsion, le niveau de la preuve n'a pas à être aussi élevé.

Le sénateur Andreychuk : Madame Archibald, dans quelle mesure la double citoyenneté entre-t-elle en ligne de compte dans nos pratiques à l'échelle internationale? Les choses étaient assez simples, autrefois. Tout était fondé sur les relations consulaires. Les gens s'identifiaient comme des citoyens canadiens ou des sujets britanniques, et nous ne nous mêlions pas de leur fournir du soutien ou de l'assistance, comme il en est question dans le règlement, à moins qu'ils nous disent qu'ils étaient Canadiens et qu'ils fournissent des preuves en ce sens. Le terrorisme et les problèmes relatifs à la double citoyenneté vous ont-ils obligés à changer certains de vos règlements consulaires ou si nous fonctionnons toujours de la même façon qu'avant le 11 septembre 2001?

Mme Archibald : Je me ferai un plaisir de vous trouver des renseignements plus précis là-dessus, mais à ma connaissance, le fait qu'une personne ait ou non la double nationalité n'a plus d'influence, comme c'était le cas dans le passé, sur le genre de services consulaires à sa disposition. Cela peut à l'occasion changer quelque chose au fait que nous connaissons ou non l'existence de la personne. Cela rend parfois les choses plus difficiles, ou plus longues, si cette personne est entrée dans un pays tiers, par exemple, sous son autre nationalité. Nous ne sommes pas toujours au courant que les gens ont la double nationalité, et les fonctionnaires de l'autre pays non plus. Mais il n'y a certainement rien qui dit que, si vous avez la double citoyenneté, vous devez passer par ici ou par là en premier.

Le sénateur Andreychuk : Je vois plutôt la question de l'autre point de vue. Si un citoyen canadien ayant une double nationalité se trouve dans un pays tiers, ce pays peut décider de dire : « C'est un citoyen syrien, alors nous allons le traiter en conséquence plutôt que comme un citoyen canadien. » À votre connaissance, est-ce que cela pose un problème et, si oui, qu'avons-nous fait pour le résoudre?

M. Morrill : Comme l'a dit Mme Archibald, le Canada cherche toujours à porter assistance aux citoyens canadiens, en vertu du droit international et de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, mais vous avez raison de soulever cette question. Un pays étranger pourrait bien décider de ne pas appliquer la Convention de Vienne sur les relations consulaires à ses propres ressortissants.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais parler d'un pays tiers.

M. Morrill : Selon la règle, un citoyen canadien qui serait aussi un ressortissant français et qui se trouverait en Jamaïque pourrait bénéficier de la protection consulaire de l'un ou l'autre de ces deux pays.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas non plus ce que je veux savoir. Supposons qu'une personne se trouve dans un pays donné. Vous avez parlé de la Jamaïque. Prenons plutôt les États-Unis. Cette personne a la nationalité syrienne et la citoyenneté canadienne. Avons-nous l'assurance que sa citoyenneté canadienne va être prise en considération ou si ce pays tiers — les États-Unis — va pouvoir décider s'il veut traiter cette personne comme un ressortissant syrien ou comme un citoyen canadien? Avons-nous conclu des ententes à cet égard, ou avons-nous encore des problèmes dans les situations de ce genre?

M. Morrill : Dans ce genre de situation, non, je n'ai pas entendu dire qu'il y ait des problèmes parce qu'il faudrait donner accès aux services consulaires des deux pays. Je n'ai pas entendu parler de cas où un pays tiers — les États- Unis, dans votre exemple — aurait dit : « Non, comme cet homme est à la fois Canadien et Syrien, mais nous lui donnons accès seulement aux services consulaires syriens. »

Le sénateur Andreychuk : Ce que je veux dire, c'est : « Nous allons l'expulser vers la Syrie sans en avertir le Canada. »

M. Morrill : C'est une autre histoire. Ce n'est pas une question d'accès aux services consulaires.

Le sénateur Andreychuk : Je veux parler des mesures possibles.

M. Morrill : Les États-Unis et les autres pays, à ma connaissance — doivent dire aux gens qu'ils ont le droit d'avoir accès à leurs agents consulaires. Ils y sont obligés par traité. Les gens sont libres ensuite de ne pas se prévaloir de ce droit, et certains choisissent de s'en passer, mais s'ils le demandent, l'obligation prévue par traité, c'est que les citoyens canadiens doivent avoir accès aux agents canadiens, quelle quoi soit leur autre nationalité par ailleurs.

Je n'ai pas entendu dire que cela posait un problème particulier. Dans le cas de M. Arar, les agents canadiens ont appris la décision de l'expulser très peu de temps après l'avis relatif à son droit d'accès, mais je pense qu'il a aussi eu des contacts avec un avocat qui, bien franchement, a appris qu'il serait expulsé pas très longtemps à l'avance.

Le sénateur Mercer : Pour faire suite à la question du sénateur Andreychuk, je suis très frustré. Vous devez faire preuve de réserve parce que vous êtes fonctionnaire, mais pas moi. L'affaire Arar est l'exemple parfait d'un cas où les Américains ont choisi de ne pas tenir compte de la double citoyenneté parce que cela leur convenait. Tout se fait toujours quand cela leur convient. Vous avez dit tout à l'heure — ce qui m'amène à ma question — que les États-Unis et le Canada avaient des intérêts similaires. Je ne suis pas d'accord. Nous avons des intérêts similaires uniquement quand cela convient à nos amis américains. Nous traversons des moments frustrants. Des Canadiens sont arrêtés à l'étranger et expédiés dans un pays tiers, sans consultation ou à peu près. Des Canadiens sont arrêtés et envoyés en prison à Guantanamo Bay, où ils n'ont pas accès aux services consulaires qui pourraient leur être offerts de La Havane. Il y a constamment des instances internationales qui tranchent en notre faveur, par exemple dans le conflit sur le bois d'œuvre résineux, sans que personne n'en tienne compte. J'ai grandi dans le nord de Halifax. Il y avait des fiers- à-bras dans la cour d'école et dans la rue. Bien franchement, nous vivons actuellement à côté d'un fier-à-bras. J'ai l'impression que le droit international ne s'applique aux États-Unis d'Amérique que quand cela leur convient. Pourquoi ne faisons-nous pas ouvertement pression pour que ce prisonnier détenu à Guantanamo Bay ait accès aux services consulaires? Nous savons qu'il est là. Nous savons que les règles appliquées ne sont pas acceptables. Pourquoi ne pas pousser ouvertement pour que ce citoyen canadien ait accès à ces services?

M. Morrill : Je dois dire, monsieur, que nous faisons des pressions. On nous a dit très clairement que, si nous parlions de « services consulaires », nous n'obtiendrions rien, alors nous faisons des pressions pour entrer en contact autrement avec cette personne. Je pense qu'il y a eu des contacts, mais le travail consulaire est axé en majeure partie sur les questions pratiques et les moyens d'aider cette personne. Si la façon dont notre requête est formulée risque de nous empêcher de lui porter assistance, bien franchement, ce serait peut-être une meilleure idée de chercher à voir ce qui est dans l'intérêt des gens en cause. Je pense que c'est ce que fait le gouvernement canadien dans tous les cas de ce genre, y compris dans le dossier du bois d'œuvre résineux, dont vous avez parlé.

Nous avons des intérêts similaires dans la lutte contre le terrorisme. Cela ne veut pas dire que nos intérêts ne peuvent pas diverger dans un cas particulier. Nous ne sommes pas perdus quelque part dans le Pacifique Sud, entourés d'eau. Nous avons une longue frontière non surveillée. Nous avons des rapports économiques extrêmement profonds et diversifiés. Nous devons travailler avec nos collègues américains, et nous devons vivre dans le monde qui nous a été donné. Le gouvernement canadien fait son possible pour y arriver, et il obtient des résultats qui ne satisfont peut-être pas tout le monde, mais je pense que nous faisons un travail raisonnablement efficace.

Au sujet de l'affaire Arar, le gouvernement a demandé une enquête, et nous allons avoir le point de vue du juge.

Le sénateur Mercer : Vous nous avez donné une réponse très diplomatique; vous êtes vraiment très habile pour marcher sur des œufs.

Nous avons entendu ce matin un certain nombre de commentaires sur des gens qui étaient au Canada et qui ont été reconnus coupables — ou du moins accusés — de s'être livrés à des activités terroristes, et qui ont été expulsés du pays. Ce qui a donné lieu à la question hypothétique suivante : que se passerait-il si on découvrait un peu plus tard, ou bien des années plus tard, que ces gens ont été accusés à tort? En réponse à une question sur les recours dont disposeraient ces gens, un des membres du groupe de ce matin a indiqué qu'ils pourraient refaire une demande d'admission au Canada, quelle que soit la façon dont ils seraient ici arrivés en premier lieu, que ce soit comme réfugiés ou comme immigrants ayant reçu le droit d'établissement.

Cela me semble grossièrement injuste. Je ne vois pas pourquoi quelqu'un qui était ici comme réfugié ou comme immigrant ayant reçu le droit d'établissement, qui aurait été expulsé après avoir été accusée à tort d'avoir participé d'une manière ou d'une autre à des activités terroristes et qui aurait prouvé que ces accusations n'étaient pas fondées devrait se retrouver à la fin de la queue. Est-ce que j'ai bien compris ce qui s'est dit ce matin?

M. Morrill : Je ne peux pas vraiment commenter le fonctionnement du système d'immigration. J'étais dans la pièce, et je présume que c'est pourquoi vous me posez la question. Je pense qu'il était question à ce moment-là des ordonnances qui entraînent un renvoi et, une fois que c'est fait, l'ordonnance n'est plus en vigueur. Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Si vous êtes à l'extérieur du pays et que votre statut a été aboli, le seul processus qui fonctionne pour récupérer votre statut, à ce que je sache, c'est la Loi sur l'immigration, par les voies normales. Il me semble avoir entendu un des messieurs qui était ici dire qu'il y avait des mécanismes, dans la Loi sur l'immigration, selon lesquels il était possible de demander un traitement spécial.

Le sénateur Mercer : J'espère avoir mal compris moi aussi.

Le sénateur Day : Je vais essayer d'être bref pour cette dernière intervention. Prévoyons-nous devoir adopter d'autres mesures législatives pour respecter nos obligations en vertu des 12 conventions de l'ONU auxquelles nous avons souscrit?

Mme Archibald : Nous avons signé et ratifié chacune de ces conventions. Avant de ratifier une convention, au Canada, nous nous assurons généralement, par l'intermédiaire du ministère de la Justice, que nous serons pleinement en mesure de l'appliquer, ce qui inclut la possibilité de changements réglementaires ou législatifs et passe souvent par des consultations avec les provinces. Nous faisons cela entre la signature et la ratification, ce qui signifie qu'il nous faut parfois plus de temps que d'autres pays pour ratifier les instruments internationaux.

Le sénateur Day : Prévoyez-vous qu'il faudra d'autres mesures législatives?

Mme Archibald : Pas pour l'application de ces 12 conventions.

Le sénateur Day : C'est ce que je voulais savoir. Nous avons beaucoup parlé aujourd'hui des échanges d'information et des protocoles d'entente entre organismes. Vous avez évoqué notre accord avec l'Union européenne à ce sujet-là. Si je me rappelle bien, la majorité des dispositions que nous avons vues dans le projet de loi découlent de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'aéronautique, au paragraphe 4.83(1). Du point de vue de nos obligations internationales en matière d'échanges d'information, quel rôle joue la Direction du crime international et du terrorisme du ministère canadien des Affaires étrangères? Il y a eu d'abord notre Comité de la sécurité nationale et de la défense qui a examiné, surtout du point de vue des ministères fonctionnels, l'importance des efforts de coordination et le cloisonnement qui existait. Puis, la vérificatrice générale a analysé le rapport du Sénat et a préparé son propre rapport là-dessus. Et enfin, nous avons eu le projet de loi C-6, qui se rattache aux fonctions de la vice- première ministre et qui est dans le système actuellement. Quel est le rôle de votre direction pour amener tous les services à travailler ensemble?

Mme Archibald : En ce qui concerne les échanges d'information, tout dépend en bonne partie du niveau de cette information. Dans le cas de l'Union européenne, il est question d'une obligation par traité, ce qui toucherait automatiquement notre ministère. Pour certains accords conclus depuis longtemps entre ministères de l'Immigration, par exemple, il n'est pas nécessaire d'avoir un traité. Nous ne participerions donc pas nécessairement à l'exercice officiellement; en fait, il y a certaines choses dont nous ne nous occupons pas, surtout en ce qui concerne les gens qui traversent fréquemment la frontière canado-américaine. La plupart des nouvelles ententes avec d'autres pays que les États-Unis — avec qui nous avons des ententes depuis longtemps — entraînent des obligations similaires à celles que prévoient les traités même si elles ne portent pas expressément le nom de traités. Nous sommes alors concernés.

Pour répondre à votre question plus générale, c'est un des principaux défis que les gouvernements ont eus à relever depuis l'adoption de la résolution 1373, qui est surtout préventive. Elle encourage les pays à échanger des renseignements. Comme nous l'avons découvert, il est parfois difficile de faire circuler l'information entre nos propres organismes. Il y a eu beaucoup d'activité dans de nombreux pays, dont le nôtre, pour essayer de mettre en place des systèmes grâce auxquels le ministère de l'Immigration saurait par exemple ce que sait la GRC, et ce que sait le Bureau des passeports. Je pense que nous sommes sur le point d'y arriver au Canada.

Le sénateur Day : Qui dirige les opérations pour ces échanges d'information?

Mme Archibald : Une des choses qui ont changé, c'est que nous avons maintenant tendance à nous réunir plus souvent qu'avant. Nous savons tous que nous voulons échanger des renseignements et tenter de supprimer les obstacles. Nous essayons de voir comment nous nous acquittons de notre obligation internationale à cet égard. D'autres ont une approche plus pratique, en disant : « Nous avons besoin de cette information tout de suite. » Nous participons officiellement à tout cela, à une étape ou à une autre. Nous travaillons à la mise en place d'une entente avec Interpol, par exemple, au sujet d'une banque de données sur les passeports perdus ou volés. Nous sommes maintenant en mesure d'y contribuer grâce à un protocole d'entente international. Et nous encourageons les autres pays à faire la même chose en leur offrant la possibilité de contribuer eux aussi à cette banque de données.

Le sénateur Day : J'aimerais avoir un éclaircissement, tant pour mes collègues que pour moi. Quand vous dites « nous », voulez-vous parler des Affaires étrangères et de la Direction du crime international et du terrorisme, ou du Canada?

Mme Archibald : Quand je dis « nous », en parlant d'Interpol, il s'agit du Canada, mais le ministère des Affaires étrangères était en cause parce qu'il s'agissait d'une obligation contractée par traité.

Le sénateur Day : Qui dirigeait les opérations?

Mme Archibald : Probablement les Affaires étrangères et le Bureau des passeports, mais pas ma direction.

Le sénateur Day : Le développement de ces échanges d'information se fait en partie entre organismes au Canada même, comme vous l'avez souligné, et en partie au niveau international.

Votre ministère a-t-il pris l'initiative pour préparer les modifications à apporter à la Loi sur l'aéronautique et à la Loi sur la sécurité publique? Comment ces lois, qui nous permettent de répondre à nos besoins sur le plan national et de respecter nos obligations à l'échelle internationale, ont-elles été élaborées? Quel est le ministère qui dirigeait les opérations?

Mme Archibald : Je pense que, dans ce cas, il s'agissait de Transports Canada. Et nous avons eu notre rôle à jouer à cause de l'aspect international.

M. Morrill : Bien avant la Loi antiterroriste, les lois canadiennes sur la vie privée et les échanges d'information étaient en train de changer, pas tellement sur le plan législatif, mais surtout sur le plan judiciaire. La Loi sur la protection des renseignements personnels stipule que l'information divulguée doit servir uniquement aux fins pour lesquelles elle a été recueillie, mais il y a des exceptions, qui sont énumérées dans la loi. Une de ces exceptions se rattache aux échanges d'information en vertu d'accords ou d'arrangements, ces accords étant des traités et ces arrangements, des protocoles d'entente.

Dans les années qui ont précédé la Loi antiterroriste, un certain nombre de décisions judiciaires ont restreint la capacité des organismes gouvernementaux à échanger des renseignements, entre eux et au niveau international. Par conséquent, dans ce contexte, quand on regarde nos obligations internationales, il faut commencer par examiner la capacité d'échanger des renseignements à l'intérieur du pays. Je pense qu'on peut affirmer que cette capacité, au Canada, a été restreinte par diverses analyses judiciaires entre le moment où la Loi sur la protection des renseignements personnels a été adoptée et la fin du siècle. Un certain nombre d'organismes du gouvernement canadien ont examiné à ce moment-là leur capacité de divulguer des renseignements et se sont demandé ce qu'ils devaient faire pour respecter les obligations que nous imposent les traités, de même que pour tenir compte des relations visées par des protocoles d'entente plus spécifiques. Cela a aussi eu un effet sur le projet de loi qui vous a été soumis, en ce sens que les ministères et leurs avocats réfléchissent aux possibilités actuelles en matière d'échanges d'information.

Le sénateur Day : Les membres de notre comité ont accepté d'examiner la situation générale de la lutte antiterroriste au Canada, et c'est pourquoi j'ai mentionné la Loi sur la sécurité publique. Je suppose que c'est la même chose pour la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et pour les échanges d'information entre pays.

J'aimerais me faire une idée du rôle des Affaires étrangères dans l'élaboration de la législation. Est-ce que vous vous contentez de présenter une demande et de laisser quelqu'un d'autre poursuivre le travail? Mme Archibald a dit que c'est Transports Canada qui avait pris l'initiative dans le cas de la Loi sur l'aéronautique, alors je présume que l'Immigration aurait pu faire la même chose pour la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cette loi précise très clairement pendant combien de temps l'information peut être conservée, et ainsi de suite, et vous n'avez pas eu votre mot à dire?

Mme Archibald : Sur cette question, non, parce qu'il s'agissait d'information recueillie au Canada en vue d'une utilisation au Canada. C'est quand l'information sort du pays que nous intervenons parfois.

Le sénateur Day : Il y a des moyens prévus pour que cela change.

Mme Archibald : Cela se produit au cours des négociations sur ces mécanismes. Par exemple, dans le cadre des négociations avec l'Union européenne, il y a des mécanismes qui permettent de profiter du fait que nous avons maintenant la capacité de recueillir cette information au pays même. Nous participons à l'élaboration des mécanismes concrets d'échange de renseignements, et non aux premières discussions sur ce dont les autres ont besoin pour leurs propres intérêts intérieurs.

Le sénateur Day : Par suite des négociations auxquelles vous participez, prévoyez-vous qu'il faudra modifier les lois existantes pour permettre ces échanges internationaux?

Mme Archibald : Non, parce que nous négocions en sachant très bien ce que nous sommes autorisés à faire en vertu des lois canadiennes.

Le sénateur Day : Mais vous n'avez pas aidé à créer la loi qui vous permettrait de négocier ce que vous vouliez négocier?

Mme Archibald : C'est l'histoire de l'œuf et de la poule. Je ne suis pas certaine que, à l'époque où vous avez étudié le projet de loi, nous étions pleinement conscients de ce qui pourrait être nécessaire pour conclure une entente avec l'Union européenne. Cela arrive parfois. Ce n'est pas comme si nous étions tenus à l'écart des discussions et si nous n'étions pas au courant. La question est de savoir qui dirige les opérations. Dans ce cas particulier, c'était Transports Canada puisque c'est ce ministère qui avait besoin de cette information. La chose nous intéresse aussi parce que nous pourrions être obligés à l'avenir de fournir cette information en vertu d'un traité. En sachant à l'avance ce dont nous pensons avoir besoin pour un traité, nous pouvons parfois participer plus activement à l'élaboration d'une loi canadienne; mais, en général, les lois sont élaborées pour des raisons intérieures, et en définitive, nous devons faire avec. À moins qu'il s'agisse d'un traité touchant un nouvel instrument relatif aux droits de la personne ou quelque chose du genre, il y a très peu de cas dans lesquels nous faisons du rattrapage.

Le sénateur Day : Vous ne pouvez pas prendre des lois conçues expressément pour des échanges entre organismes à l'intérieur du Canada et vous attendre ensuite à pouvoir les appliquer au niveau international sans y être autorisés. Vous devez avoir votre mot à dire quand ces lois sont préparées, sans quoi vous devrez y faire apporter des modifications plus tard.

Mme Archibald : Oui. Nous avons notre mot à dire, mais ce n'est pas nous qui dirigeons les opérations.

La présidente : Je remercie les témoins de nous avoir fait passer un après-midi très intéressant. C'est une question difficile, qui intéresse énormément les sénateurs.

Si vous pouviez nous faire parvenir les renseignements complémentaires qui vous ont été demandés en réponse à quelques questions, nous vous en serions très reconnaissants.

La séance est levée.


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