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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 11 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 16 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 h 5 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C.2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, il s'agit de lavingt-troisième séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste accueille des témoins.

Pour le bénéfice de nos spectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes menées contre les villes de New York et de Washington et l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Et nous avons accepté. La date limite fixée pour son adoption avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Cependant, certains se sont dits inquiets de voir qu'il était très difficile d'évaluer en détail les répercussions éventuelles de cette mesure législative en un si court laps de temps. Pour cette raison, il a été convenu que trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner rétrospectivement les dispositions de la Loi et leur impact sur les Canadiens, dans le cadre d'un forum public beaucoup moins émotif. Le travail de notre comité spécial se veut le résultat des efforts que déploie le Sénat pour respecter cette obligation.

Une fois notre étude terminée, nous en ferons rapport au Sénat et nous y soulèverons toute question qui, à notre avis, mérite d'être abordée, après quoi nous remettrons le fruit de notre travail au gouvernement et à la population canadienne. La Chambre des communes est actuellement engagée dans une étude semblable.

Jusqu'à maintenant, le comité a accueilli des ministres et des fonctionnaires, des spécialistes internationaux et nationaux en matière de sécurité, ainsi que des experts juridiques, de même que les responsables de l'application de la loi et de la collecte de renseignements de sécurité. Aujourd'hui, nous allons entendre des témoignages au sujet des libertés civiles. Ce matin, nous accueillons M. Alan Borovoy, conseiller principal de l'Association canadienne des libertés civiles, qui est accompagné par Mme Alexi Wood, analyste des politiques oeuvrant au sein de cette association.

M. Alan Borovoy, conseiller principal de l'Association canadienne des libertés civiles : Merci, madame la présidente. Je suppose que le meilleur point de départ est la définition encombrante « d'activité terroriste » parce qu'elle est à l'origine de tant de choses. Nous savons qu'en 2001, des efforts ont été faits pour préciser cette définition et la rendre plus viable. Malheureusement, j'ai le regret de dire que ces efforts se sont soldés par un échec puisqu'il subsiste un grand flou. Pour illustrer ce problème, j'aurai recours à trois exemples. Premièrement, à la fin de 2004, en Ukraine, s'est manifesté un vaste mouvement de protestations populaires. Si une grève générale avait eu lieu à des fins politiques, comme les chefs du mouvement le préconisaient, cette grève aurait très bien pu nuire au fonctionnement de certains établissements essentiels, ce qui aurait présenté des risques inclus dans la définition « d'activité terroriste ». Si des Canadiens avaient appuyé cette grève générale en guise de protestation, vu la sympathie manifestée dans notre pays envers ce mouvement, ils auraient bien pu se rendre ainsi coupables d'un crime terroriste au Canada.

S'il y avait un soulèvement en République populaire de Chine, contre le gouvernement de la Corée du Nord ou contre le gouvernement iranien, et si des Canadiens envoyaient de l'argent aux insurgés pour les aider — même si de tels événements faisaient le bonheur des partisans de la démocratie dans le monde entier et même si les insurgés faisaient tout leur possible pour réduire au minimum les pertes civiles — les Canadiens qui soutiendraient les insurgés pourraient se rendre coupables d'un crime terroriste. Si vous n'êtes pas convaincus, je suis prêt à revoir la définition en détail avec vous pour vous démontrer que ce risque existe bel et bien.

Mon troisième exemple est tiré de l'actualité canadienne. Lorsque des Autochtones, des agriculteurs ou des camionneurs bloquent des routes très empruntées, il n'est pas impossible qu'ils entravent ainsi le travail de la police, des ambulances ou des pompiers. C'est le genre de chose qui peut se produire lorsque des gens bloquent des routes ou lorsque d'autres doivent faire un détour parce qu'ils craignent qu'une route soit bloquée. Donc, les participants à de tels barrages pourraient se rendre coupables d'un crime terroriste.

Je ne peux pas voir comment on pourrait renverser un régime tyrannique dans un pays étranger sans avoir aucunement recours à une forme ou une autre de désobéissance civile et même, dans certains cas, sans avoir recours à la violence. Je ne me réjouis pas du tout à l'idée que des Canadiens qui participeraient au renversement d'un tel régime, dans ces circonstances, puissent se rendre coupable d'une infraction au Canada. En ce qui concerne les camionneurs et les autres qui sont susceptibles d'ériger des barricades sur les routes canadiennes, leurs actes demeurent illégaux, mais ils ne devraient tout de même pas être considérés comme des actes terroristes. La loi nous expose à ce genre de risque.

Selon nous, le meilleur moyen de réduire ce risque consiste à limiter beaucoup plus la définition d'activité terroriste. Pour qu'il y ait activité terroriste, il faudrait que des individus cherchent à atteindre par la force des objectifs antidémocratiques, en commettant délibérément des actes de violence grave contre des non-combattants. Je crois qu'il n'est pas possible de formuler une définition englobant tous les actes que sont susceptibles de commettre les terroristes sans inclure des actes qui ne devraient pas être considérés comme du terrorisme. Je vous rappelle que, dès que les actes commis sont dommageables, ils sont illégaux de toute manière. Le régime spécial visant les actes terroristes devrait être limité aux activités les plus dangereuses.

Je m'intéresse à des problèmes dont vous n'entendez pas aussi souvent parler que d'autres problèmes, plus présents dans les discussions. Je pense notamment au pouvoir d'ostraciser. En mettant des gens sur une liste, le gouvernement peut en faire des parias. La loi permet au gouvernement de traiter ainsi des particuliers aussi bien que des organisations, sans l'approbation d'un tribunal, même s'ils n'ont commis aucun crime et si aucune accusation n'a été portée contre eux. Les organisations n'existent que pour des raisons bien précises, mais les particuliers, eux, veulent vivre leur vie comme tout le monde. Ce sont non seulement les personnes habitant à l'autre bout de la planète qui peuvent être visées, mais aussi des citoyens et des résidents permanents de notre pays. Nous sommes d'avis qu'on ne devrait pas pouvoir inclure dans la liste des particuliers qui sont citoyens et résidents permanents du Canada. Il existe de bonnes raisons de douter de la nécessité d'aller aussi loin. L'approbation d'un tribunal devrait être nécessaire au préalable, et des approbations subséquentes devraient également être obtenues.

En ce qui concerne l'obligation de communiquer de l'information lorsqu'on fait une acquisition, je m'imagine facilement que si cette disposition était beaucoup plus appliquée qu'elle ne l'a été jusqu'à maintenant, notre pays ne serait plus le même genre d'endroit où il fait bon vivre. Cette obligation pourrait être imposée uniquement à certaines membres de notre collectivité, et la nécessité d'aller aussi loin est très discutable. Nous sommes d'avis que l'obligation de communiquer de l'information sur les gens suspects et d'éviter de faire affaires avec eux, devrait incomber uniquement aux personnes entre les mains desquelles passent de grosses sommes d'argent ou des biens d'une grande valeur. Et cette disposition devrait s'appliquer seulement aux organisations de la liste. Lorsqu'ils acquièrent un bien, les gens ne devraient pas être obligés de déterminereux-mêmes s'il provient d'une organisation terroriste. Si l'organisation en question n'est pas dans la liste, les gens ne devraient pas avoir à s'en préoccuper. Le pouvoir d'exclure de l'information... J'arrive à la fin du temps qui m'est accordé.

La présidente : Oui.

M. Borovoy : Dans ce cas, je ne parlerai pas de certains pouvoirs; il en est question dans le mémoire que nous vous remettons. Les mécanismes de protection prévus dans la loi à l'heure actuelle sont trop peu nombreux et trop faibles. Nous pensons que lorsque de l'information est traitée à huis clos et que les principaux intéressés ne peuvent pas en prendre connaissance, ceux-ci devraient être défendus par une personne digne de confiance chargée de protéger le bien public et pouvant, elle, examiner cette information lors des séances à huis clos.

Nous pensons aussi — et c'est peut-être la première fois que vous entendez ce point de vue — que certains pouvoirs exercés pourraient être inconstitutionnels. Je regrette que nos tribunaux ne soient pas aussi accessibles qu'ils devraient l'être pour entendre les demandes en vue de faire déclarer inconstitutionnels certains de ces pouvoirs. Les tribunaux insistent pour que la preuve accompagnant de telles demandes soit solide, mais commentpeut-on s'attendre à ce qu'on puisse établir la preuve nécessaire lorsqu'il est question de pouvoirs exercés secrètement, comme ils sont censés l'être. Nous croyons qu'une loi devrait être adoptée pour que les tribunaux ne puissent invoquer l'insuffisance de la preuve pour refuser d'entendre une demande lorsqu'il est question de la constitutionnalité de pouvoirs exercés secrètement.

Nous croyons en outre que tant la police que les autres intervenants qui exercent des pouvoirs secrètement dans le domaine de la sécurité nationale devraient être soumis à des vérifications indépendantes subséquentes.

Nous aimerions qu'il y ait un examen obligatoire de l'exercice de ces pouvoirs, qui portent atteinte à la vie privée, et que cet examen ait lieu au moins tous les cinq ans, aussi longtemps que les pouvoirs resteront en vigueur. Nous devrions être capables de nous dire et d'affirmer à tous les Canadiens, en pensant à notre postérité, qu'en raison de la nature de ces pouvoirs, nous répugnons à y avoir recours et nous faisons tout notre possible pour les éliminer aussitôt que possible. Sur ce, je termine respectueusement mon exposé, madame la présidente.

La présidente : Merci, monsieur Borovoy. Vous aurez l'occasion de nous parler des sujets que vous n'avez pas eu le temps d'aborder lors de la période de questions. Monsieur Neve, aimeriez-vous dire quelques mots?

M. Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale : Merci, madame la présidente. Bonjour aux membres du comité. Amnistie internationale est heureuse d'avoir l'occasion de participer à cet important examen.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'Amnistie internationale vous demande de mettre les droits de la personne au cœur de cet examen de la Loi antiterroriste. Si je le dis, ce n'est pas seulement parce que les droits de la personne sont un concept essentiel. Bien entendu, j'ose croire que le caractère essentiel des droits de la personne suffirait pour que vous leur accordiez toute votre attention, mais si je vous en parle, c'est à cause de la raison d'être de la Loi antiterroriste, c'est-à-dire évidemment la sécurité.

Toute tentative d'assurer la sécurité qui n'est pas fermement ancrée dans un respect scrupuleux des droits de la personne est vouée à l'échec. Une approche de la sécurité qui néglige les droits de la personne ne fait qu'accentuer les inégalités et aggraver les injustices. Elle nourrit le ressentiment, la discorde et les conflits, ce qui nous laisse avec une insécurité encore plus grande.

Notre mémoire met en évidence les aspects des lois et des pratiques canadiennes contre le terrorisme qui nécessitent une réforme pour garantir le respect de nos obligations primordiales envers la communauté internationale en ce qui a trait aux droits de la personne. Je n'ai pas le temps de parler de tous les changements nécessaires, mais je serai heureux de répondre à vos questions au cours du dialogue que nous aurons l'occasion d'engager.

J'aimerais premièrement vous parler de la portée de votre examen. Nous savons qu'on vous a demandé de procéder à un examen de la Loi antiterroriste, connue sous le nom de projet de loi C-36 lors de son adoption à toute vapeur en 2001. Comme nombre d'autres personnes, je vous conseille vivement d'élargir votre perspective puisque la plupart des mesures prises au Canada contre le terrorisme l'ont été hors du cadre de la loi.

Nous sommes heureux de votre décision d'inclure dans votre examen le recours aux attestations de sécurité par le Canada dans le domaine de l'immigration, mais nous vous exhortons à ajouter une dimension de plus à votre examen. La législation contre le terrorisme devrait comprendre des dispositions pour remédier aux problèmes issus de la participation des organismes canadiens de sécurité et d'application de la loi aux enquêtes et aux opérations antiterroristes hors du pays, dans des affaires impliquant des citoyens canadiens et dans des circonstances ayant entraîné de graves violations des droits de la personne. À défaut d'adopter cette perspective plus vaste, votre examen de la loi restera incomplet.

Pour bien comprendre la loi, vous devez non seulement savoir comment et pourquoi elle est utilisée, mais aussi comment et pourquoi elle ne l'est pas. J'aimerais parler brièvement de quatre recommandations cruciales touchant aux définitions, au secret, aux attestations de sécurité visant les immigrants ainsi qu'aux opérations à l'étranger.

Je commence en parlant des définitions. Nous constatons, nous aussi, le problème signalé par M. Borovoy avec éloquence. Nous en avions parlé en 2001, lorsque le projet de loi était débattu par le Parlement. Je souligne que la communauté internationale continue de buter contre ce problème, qui consiste à définir judicieusement les activités terroristes. Il est difficile de trouver une définition qui n'empiète pas sur les droits fondamentaux de la personne et qui ne risque pas d'entraver les formes légitimes de dissidence, d'agitation et de désobéissance sur la scène politique.

Au problème décrit par M. Borovoy, j'aimerais en ajouter un autre qui préoccupe Amnistie internationale concernant la définition d'activité terroriste, puisqu'un élément important de cette définition est la présence d'un motif d'ordre politique, religieux ou idéologique. À l'échelle internationale, les traités entre les États membres des Nations Unies, entre les pays d'Amérique et au sein du Conseil de l'Europe ont été rédigés en prenant bien soi de ne pas inclure ce genre d'éléments dans la définition d'activité terroriste, le cas échéant.

Par exemple, voici la définition d'activité terroriste contenue dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme :

Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque.

Cette définition ne mentionne ni les motifs politiques, ni les croyances religieuses, ni les idéologies.

Amnistie internationale croit que les États ont le droit, et même l'obligation, de faire enquête sur les actes visant à causer la mort ou de graves blessures et sur les autres problèmes du genre, puis d'intenter des poursuites au besoin. Ce devrait être le cas que les actes soient commis avec des motifs politiques, religieux ou idéologiques, ou qu'ils soient commis pour d'autres motifs.

Lorsqu'on introduit les motifs politiques, religieux ou idéologiques dans la définition de cette infraction, on augmente considérablement le risque que l'application de la loi donne lieu à de la discrimination fondée sur la race, la religion, l'appartenance politique ou un autre critère. D'une certaine manière, la police et les services de sécurité canadiens sont alors obligés d'enquêter sur les convictions politiques, religieuses et idéologiques des suspects, des témoins, des membres de la famille, des groupes communautaires ou d'autres personnes.

La loi pave la voie au profilage racial dont ont été victimes des Canadiens de foi musulmane, d'origine arabe ou sud asiatique ou d'autres minorités ethniques et religieuses, aux mains de la police, de responsables de la sécurité ou d'agents des douanes, qui leur ont notamment posé des questions indiscrètes sur leurs croyances religieuses et qui leur ont demandé où ils pratiquaient leur culte.

Actuellement, on facilite la discrimination et on incite même les gens à en faire preuve dans les pratiques d'application de la loi au Canada. De plus, on introduit dans la définition de l'infraction un élément qui risque d'être difficile à prouver dans un procès, ce qui complique davantage la tâche de ceux qui cherchent à obtenir la condamnation des criminels.

C'est pourquoi Amnistie internationale recommande d'enlever de la définition d'activité terroriste toute mention des motifs politiques, religieux ou idéologiques, à moins qu'on arrive à démontrer sans l'ombre d'un doute qu'on peut inclure ces motifs sans qu'il y ait risque de discrimination.

J'aimerais maintenant dire un mot à propos du secret puisque la Loi antiterroriste a modifié substantiellement la Loi sur la preuve au Canada. La Loi antiterroriste établit notamment une procédure draconienne et hautement secrète pouvant être employée par l'État, lors d'une poursuite, pour empêcher que soient divulgués des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables, c'est-à-dire des renseignements qui concernent les affaires internationales ou la défense ou la sécurité nationales. L'audience permettant de déterminer si les renseignements peuvent être divulgués est tenue à huis clos, et on ne peut même pas divulguer le simple fait qu'une audience a lieu.

Cette procédure inquiète Amnistie internationale à plusieurs égards. Premièrement, nous craignons qu'en incluant les renseignements sur les affaires internationales dans les renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables, de l'information puisse être soustraite au regard du public, de l'accusé dans un procès criminel ou des parties concernées dans une autre instance judiciaire simplement parce que cette information pourrait embarrasser le Canada dans ses relations avec un autre État ou nuire à des négociations commerciales ou d'autres types de négociations avec des pays étrangers. Or, les conventions internationales sur les droits de la personne ne permettent pas qu'on invoque une telle raison pour limiter le droit de l'accusé à un procès équitable. L'article 14(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui a été ratifié par le Canada, est tout à fait clair à cet égard.

On ne peut empêcher le public d'avoir accès à de l'information sous prétexte qu'on soigne ses relations internationales, à moins que la divulgation de l'information présente des risques évidents et fondés sur le plan de la sécurité nationale, par exemple. Nous recommandons aux autorités compétentes de modifier la loi pour enlever les affaires internationales des raisons pouvant être invoquées pour limiter le droit à un procès équitable.

Je vais maintenant passer à la question des attestations de sécurité.

Je suis certain que les membres de ce comité savent que quatre personnes sont actuellement détenues au Canada, à Toronto et à Ottawa, en raison des attestations de sécurité auxquelles on a eu recours contre elles en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. À Montréal, une cinquième personne a récemment été libérée sous caution avec des conditions très strictes, après avoir été détenue.

Amnistie internationale est d'avis que le recours aux attestations de sécurité peut entraîner des détentions arbitraires et violer le droit fondamental à la liberté des personnes visées. Nous demandons au gouvernement canadien depuis de nombreuses années de procéder à une réforme de ces dispositions.

Nous sommes heureux de constater que ce comité s'occupe, comme on aurait dû le faire depuis trop longtemps, de cette tache importante au dossier du Canada dans le domaine des droits de la personne. Le recours aux attestations de sécurité au Canada est contraire à un certain nombre de normes juridiques internationales qui sont essentielles pour protéger les gens contre la possibilité d'une détention arbitraire. Les personnes détenues ne sont pas informées des allégations précises qui pèsent contre elles. Elles peuvent seulement prendre connaissance d'un résumé de la preuve utilisée contre elles. La preuve peut être présentée dans un tribunal en l'absence du détenu et de son avocat. Le détenu n'a pas le droit d'interroger les personnes dont le témoignage est incriminant pour lui. De plus, au bout du compte, le tribunal fédéral saisi de l'affaire considère uniquement le caractère raisonnable de la décision d'avoir recours à une attestation de sécurité et n'en examine pas la substance.

Selon nous, on nie dans les faits aux personnes détenues en raison d'une attestation de sécurité le droit de préparer leur défense et de contester sérieusement la légalité de leur détention, ce qui est contraire aux obligations du Canada en vertu des conventions internationales sur les droits de la personne, y compris les articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les règles concernant les attestations de sécurité doivent être réformées pour les rendre conformes aux obligations du Canada sur la scène internationale relativement aux droits de la personne. Ces règles doivent notamment prévoir un examen approfondi des raisons justifiant la détention et doivent aussi exiger que toute la preuve recueillie contre la personne visée lui soit fournie pour qu'elle puisse se défendre efficacement et sérieusement contre les allégations susceptibles d'être sans fondement.

Enfin, j'aimerais parler des inquiétudes soulevées par les opérations du Canada à l'étranger. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, on a beaucoup parlé, un peu partout dans le monde, de la pratique américaine désormais connue sous le nom d'extradition extraordinaire. On nous rapporte qu'un nombre croissant de personnes soupçonnées de participer à des activités terroristes ou de les soutenir sont arrêtées ou détenues directement par les autorités américaines ou avec la participation tacite des autorités américaines, parfois aux États-Unis et parfois à l'étranger. Ces personnes sont traitées hors du cadre juridique existant. Elles se voient refuser l'application régulière de la loi et sont privées d'autres droits essentiels. Elles finissent par être envoyées en cachette dans des pays on l'on ne respecte pas du tout les droits de la personne, où elles sont soumises à de longs interrogatoires souvent ponctués de torture et d'autres traitements cruels.

Un cas de ce genre qui a beaucoup retenu l'attention au Canada est celui du citoyen canadien Maher Arar. Mais lesÉtats-Unis ne sont pas le seul pays en cause. Amnistie internationale craint que le traitement réservé à M. Arar ainsi qu'à au moins trois autres citoyens canadiens arrêtés, détenus et torturés en Syrie ne révèle en fait qu'une forme d'extradition extraordinaire serait pratiquée par les organismes canadiens de sécurité et d'application de la loi.

Dans les quatre cas, si on se fie à certaines allégations, des autorités canadiennes auraient communiqué avec des autorités syriennes avant et pendant la détention. Si ces allégations se révèlent fondées, les autorités canadiennes pourraient avoir fourni des renseignements conduisant à l'arrestation de ces quatre personnes dans le but qu'elles soient arrêtées ou en fermant volontairement les yeux sur le risque qu'elles soient arrêtées.

Il semble également que des renseignements de source canadienne aient servi à conduire des interrogatoires en Syrie au cours desquels les détenus ont été torturés.

En outre, on craint que les renseignements obtenus lors des interrogatoires aient été envoyés au Canada et aient été utilisés dans le cadre d'enquêtes sur ces quatre hommes et sur d'autres personnes. Le droit international interdit clairement d'utiliser à cette fin des renseignements obtenus sous la torture.

Une enquête publique est en cours avec pour mandat de déterminer le rôle que les fonctionnaires pourraient avoir joué dans l'affaire Arar. Amnistie internationale a demandé instamment qu'on en profite pour examiner la tendance que montrent les autres affaires. Nous ne savons pas encore si la commission le fera.

Je veux laisser le comité sur trois recommandations pertinentes à votre examen, recommandations auxquelles on pourra donner suite quelles que soient les conclusions de l'enquête. Premièrement, il est indispensable que le gouvernement du Canada s'assure qu'un examen complet, public et indépendant soit effectué sous une forme ou une autre. Je ne dis pas qu'il faut lancer une autre enquête, mais plutôt qu'il devrait avoir un processus d'examen public indépendant qui examinerait tous les cas de citoyens canadiens détenus à l'étranger dans ces circonstances : les cas d'allégations contre des personnes soupçonnées d'avoir participé à des activités terroristes ou de les avoir soutenues, de personnes ayant été détenues en pays étranger où leurs droits fondamentaux risquent de ne pas avoir été respectés et les cas où les circonstances laissent entendre qu'il y aurait eu participation de la part des autorités canadiennes. Cet examen doit donner lieu à des mesures disciplinaires ou à des poursuites au criminel contre quiconque aurait enfreint des politiques, des protocoles ou des lois. L'examen devrait aussi porter sur la possibilité d'établir un mécanisme d'indemnisation approprié.

Deuxièmement, il est aussi indispensable de réformer la loi. Le présent examen de la Loi antiterroriste du Canada offre une occasion de le faire. Tout en reconnaissant que les activités de renseignement et de partage de l'information entre le Canada et d'autres pays se poursuivront et que cela constitue une pratique nécessaire, le Canada doit développer des protocoles des droits de la personne auxquels seront assujettis de telles dispositions. La Loi antiterroriste pourrait servir de fondement au cadre législatif et réglementaire exigeant un tel protocole et aux moyens à prendre pour l'établir.

Troisièmement, la loi canadienne doit interdire explicitement toute pratique d'application de la loi ou sécuritaire qui exposerait des personnes, intentionnellement ou par négligence, au risque de violation des droits de la personne, par exemple la torture, au Canada ou à l'étranger. La loi canadienne ne prévoit rien en ce sens. Nous avons manqué à notre obligation d'intégrer pleinement, de façon correcte et solide, nos obligations en vertu de la convention des Nations Unies contre la torture. Cet important traité international n'a pas été pleinement intégré dans la législation canadienne. Voilà l'occasion de rectifier la situation.

Le président : Je vous remercie tous deux de votre exposé. C'est une bonne entrée en matière.

Le sénateur Kinsella : Je veux commencer par la question de l'examen, et attirer votre attention sur le paragraphe 145(1). C'est la disposition de la loi actuelle qui exige la mise sur pied de ce comité chargé d'examiner la loi. On y lit clairement que, dans les trois ans qui suivent la sanction de la présente loi, un examen approfondi des dispositions et de l'application de la loi doit être fait par un comité de chaque Chambre.

La loi ne dit pas que d'autres examens devront être faits après celui-ci. Autrement dit, cette disposition de la loi aura été respectée une fois que notre comité et celui de la Chambre des communes auront complété leurs travaux. Il n'y aura donc pas d'autre examen. Je sais que vous désirez quelque chose de beaucoup plus rigoureux que ce que nous faisons actuellement, mais même cette disposition précise qu'il n'y aura pas de tel examen. Qu'en pensez-vous?

M. Borovoy : Nous pensons qu'il importe d'envoyer le message que le genre de pouvoirs intrusifs dont nous avons parlé sont des caractéristiques indésirables de notre loi; qu'on pense ou non qu'ils sont nécessaires, elles ne sont pas appréciées. Même si nous pensons qu'elles sont nécessaires, elles ne sont pas appréciées. Pour cette raison, il importe de prévoir un examen continu, ou au moins qu'un examen périodique soit prévu dans la loi. Autrement, l'attention du pays sera tournée vers ces violations de ce que nous considérons comme des libertés civiles et des droits de la personne normaux, qui se poursuivront tant que ces pouvoirs existeront dans la loi.

Le sénateur Kinsella : Je partage ce point de vue. Il reste à démontrer le besoin d'avoir ces outils dans la boîte à outils. Certains d'entre eux n'ont pas été utilisés depuis que la loi a été édictée. Pour reprendre cette métaphore, je connais bien peu de travailleurs de la construction qui se promènent avec un marteau pneumatique, une grue ou tous ces équipements lourds dans leur boîte à outils. Ils appellent pour les avoir quand ils en ont besoin. J'ai remarqué que, dans votre mémoire, il est suggéré d'abroger cette loi. Si nous abrogeons cette loi et qu'on a besoin d'avoir ces pouvoirs un jour, le Parlement a déjà montré, à l'occasion, et même pas plus tard que la semaine dernière, qu'une loi peut être adoptée rapidement.

Revenons à l'abrogation de la loi. Que pensez-vous qu'il arriverait si nous revenions à la situation antérieure?

M. Borovoy : Vous peignez un tableau qui a beaucoup de bon sens. Il y a certaines caractéristiques de la loi, surtout lorsque vous parlez de démanteler des organisations terroristes qui achètent des propriétés, auxquelles je suis assez favorable, sachant ce que je sais au sujet de l'époque où nous vivons. Je ne sais pas si nous devons aller aussi loin que l'abrogation, et je ne suis pas sûr que la métaphore de la boîte à outils soit la bonne manière d'envisager la chose. J'ai entendu des intéressés demander pourquoi nous en avons besoin si nous ne nous en servons pas. Ceux qui veulent la conserver disent qu'il faut l'avoir au cas où nous en aurions besoin. Je préfère qu'on se demande pourquoi nous avons besoin de ces pouvoirs particuliers et pourquoi nous devons les réexaminer.

Par exemple, nous avons suggéré que le pouvoir d'inscrire des citoyens et des résidents permanents sur une liste de terroristes soit aboli, et que ce pouvoir se limite aux organisations en cas de besoin, ou aux gens qui ne sont ni citoyens ni résidents permanents qui vivent peut-être aux antipodes. Pensons qu'un bon nombre des candidats à cette liste sont probablement déjà l'objet d'une surveillance attentive, ce qui donne à nos forces de sécurité une bonne chance d'anticiper leurs activités nuisibles et de les empêcher. Quant à la question de la propriété, il y a bien des façons de geler les biens et les propriétés sans aller aussi loin que d'inscrire les gens sur une liste.

C'est pourquoi je pose la question à savoir à quel point ce pouvoir est nécessaire. Je pense donc que la façon la plus productive d'envisager ce problème serait non pas en regardant simplement si ces pouvoirs ont été utilisés ou non, mais en faisant en sorte qu'on soit obligé de justifier un recours à ces pouvoirs.

M. Neve : J'ai quelque chose à ajouter. Au moment où le projet de loi C-36 franchissait rapidement les étapes de la procédure législative, en 2001, Amnistie internationale et bon nombre d'organismes ont demandé à maintes reprises au gouvernement de justifier un tel besoin. Nous avons besoin d'une analyse. Nous avons besoin de comprendre les lacunes de la législation canadienne actuelle qui font que cette loi, avec toutes ses facettes draconiennes et dangereuses sur le plan du respect des droits de la personne, est nécessaire. Cela n'a pas été fait à l'époque, et nous continuons de croire qu'il faudrait le faire. Espérons que votre processus d'examen vous permettra de demander que ce soit fait, au moins en partie, et qu'on aura des réponses. Ce besoin n'a pas été comblé. C'est l'une des raisons qui ont amené beaucoup d'organismes à formuler cette recommandation. On n'a pas encore eu de justification. Bon nombre d'organismes croient que ce n'étaient pas nécessairement les lacunes de la législation qui étaient en cause, mais plutôt l'insuffisance de financement et la nécessité d'améliorer la capacité des services de renseignement — que c'étaient là les vrais problèmes en ce qui concerne les pratiques antiterroristes du Canada.

Amnistie internationale ne demande pas que la loi soit abrogée, mais il faut au moins que des éléments de la loi le soient. J'ai mis en évidence quelques petits bouts, des choses qu'il faudrait supprimer des définitions et des choses concernant le genre d'information et de preuves qui peuvent être retenues aux fins d'un procès. Certaines facettes de la loi doivent être réformées pour assurer sa conformité avec nos obligations en matière de droits de la personne. Ensuite, on peut se demander ce qui se passe avec tout ce qui se produit et qui n'est pas visé par la loi. Je pense que c'est pertinent dans le contexte des préoccupations exprimées par bien des intéressés qui ne se contentent pas de demander pourquoi la loi est nécessaire si l'on ne s'en sert pas. Ces préoccupations ont plutôt trait au fait que cette loi ne sert pas et que beaucoup de choses se passent qui ne sont pas visées par cette loi. Que pouvons-nous donc conclure au sujet de la nécessité de cette loi si, même avec une telle législation, il faut recourir au processus d'émission d'attestation de sécurité ou si des choses comme la situation en Syrie demeurent de plus en plus préoccupantes? Est-ce que cela ne démontre pas que cette loi ne correspond pas aux besoins?

Nous pensions qu'il y avait quelque chose d'important dans la loi antiterroriste qui s'est malheureusement avéré plus théorique que concret. La loi, bien qu'imparfaite, marquait un changement d'orientation vers une pratique plus axée sur la justice et sur la poursuite de criminels, coupables par exemple d'activités terroristes, plutôt que sur la pratique de longue date qui consistait, pour notre système d'immigration, à simplement se débarrasser des gens, ce qui n'est utile pour personne. Cela peut soit exposer la personne visée à une injustice ou lui donner la chance d'échapper à la justice. Nous espérions que cette loi mettrait un terme à cette pratique et que nous verrions le Canada commencer à veiller à assurer que des poursuites soient intentées ici, au sein de notre système de justice pénale, d'une façon qui respecte les normes en matière de droits de la personne. Cela s'est avéré plus théorique que concret, mais ce serait là un des éléments sur lesquels il faudrait se montrer prudent, en ce sens qu'il ne faut pas renoncer à tout ce que la Loi antiterroriste permet d'accomplir.

Le sénateur Kinsella : J'aime beaucoup votre idée d'établir des protocoles en matière de droits de la personne qui devrait être appliqués par les agents de l'État qui exercent l'un ou l'autre de ces pouvoirs conférés par la loi.

Nous pouvons en parler sur ce point bien précis. Vous avez attiré notre attention sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et sur l'article 4 en particulier. Cet article dit que, en cas de danger public exceptionnel, même quand l'existence de la nation elle-même est menacée, certains droits de la personne ne doivent pas être abolis, notamment en ce qui concerne la torture, mentionnée à l'article 7. Les gens ont le droit de ne pas être exposés à la torture, même quand l'existence de la nationelle-même est menacée.

L'article 4 est très intéressant en ce sens qu'il précise aussi qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur la race, la religion, et cetera. Notre comité a beaucoup discuté de la question du profilage racial. En l'absence d'un protocole des droits de la personne, nous pouvons comprendre les préoccupations de ceux qui se sentent victimes de profilage racial, ce qui n'est pas justifiable même en temps de danger public exceptionnel. Ce n'est jamais justifiable, selon le pacte dont nous sommes signataires.

Cela me dérange d'entendre parler de torture. C'est le terme qu'on utilise. D'autres emploient une terminologie créative et parlent plutôt de renvoi extraordinaire, comme vous avez dit. Nous devons prendre garde de ne pas nous laisser prendre par des termes du genre interrogation vigoureuse. Je serais moins inquiet si les idées que vous avez formulées étaient inscrites dans la loi et dans un protocole des droits de la personne.

Pourriez-vous nous en dire plus long?

M. Neve : Je partage vos préoccupations; elles sont fondamentales. Deux recommandations clés peuvent être tirées de ce que vous venez de dire. La première est l'idée d'un protocole des droits de la personne. Il faudrait certainement un fondement législatif à ce protocole, de manière à en faire une obligation et non seulement une possibilité. Il faudrait que la GRC, le SCRS et tout autre organisme sécuritaire soient tenus de l'appliquer.

Deuxièmement, nous devons faire de l'ordre dans nos mesures législatives sur la question de la torture. Il n'existe pas encore d'énoncé clair dans la loi canadienne voulant que personne, en aucune circonstance, soit jamais renvoyé là où l'attend la torture. Or, le droit international nous oblige à le faire, en plus des dispositions dont vous venez de parler.

La convention de l'ONU contre la torture, que le Canada a ratifiée en 1987, dit aussi que la torture n'est jamais justifiée, qu'on ne peut jamais l'excuser. Elle dit aussi explicitement que cela inclut le renvoi de gens où ils seront torturés, et qu'on se rend complice de torture si l'on agit ainsi sciemment.

L'ONU a fréquemment reproché au Canada, et elle l'a fait pas plus tard que la semaine dernière, quand elle a effectué l'examen quinquennal du respect de la convention par le Canada, de ne pas se conformer à cette obligation, et elle l'a souligné comme étant une préoccupation en soi. Elle a également affirmé qu'il fallait attendre davantage du Canada. Sur la scène mondiale, où tant de choses se produisent sur tant de fronts qui risquent d'affaiblir la protection contre la torture, quand un gouvernement comme le Canada prend la parole devant un comité de l'ONU pour exprimer ces mêmes sentiments, c'est extrêmement nuisible.

La torture demeure endémique sur notre planète, et le Canada devrait tout faire pour la faire disparaître. À l'article 12, notre Charte des droits et libertés assure clairement la protection contre la torture au Canada, sous le terme de traitement cruel, mais il nous manque un autre document qui préciserait que le Canada ne doit jamais, en aucune circonstance, renvoyer des gens là où les attend la torture, même quand la sécurité est en jeu. Nous devrions plutôt appliquer l'illusoire promesse de justice de la Loi antiterroriste. Plutôt que d'envoyer quelqu'un à la torture, les poursuites devraient être lancées ici, si nous soupçonnons la personne. Voilà ce que la loi était censée faire, et elle ne tient pas cette promesse.

Le président : Merci beaucoup. C'est un début important qui nous a éclairés.

Le sénateur Joyal : Ma question porte davantage sur le principe que sur des éléments précis de la loi. Vous avez traité de beaucoup de ces aspects que nous avons étudiés avec d'autres témoins, dont vous avez peut-être lu les mémoires ou les témoignages.

J'aimerais revenir à ce que j'appelle l'« enveloppe philosophique » de ce projet de loi, essentiellement fondée sur les témoignages des témoins importants que nous avons entendus au cours de nos audiences sur le droit à la sécurité.

En vertu de ce principe, le droit à la sécurité a préséance sur tous les autres droits. Cela part du principe que, si l'on n'a pas droit à la sécurité, tous les autres droits deviennent sans aucune valeur, comme ce serait le cas de la liberté d'expression, d'association, de conscience, ainsi de suite. Nous sommes plus ou moins acculés à une idéologie selon laquelle, si nous voulons garantir le droit à la sécurité, nous accepterons facilement que certains autres droits soient bafoués, restreints, suspendus ou limités.

Nous avons posé la question à différents témoins au cours de nos travaux, mais nous n'avons pas encore, selon moi, de définition nette de ce que nous voulons dire par « droit à la sécurité ». Pour moi, ce n'est pas inscrit dans la Charte. Il n'y a rien de tel, dans la Charte, que le droit de l'État à sa sécurité. Quand on dit « droit à la sécurité », il s'agit essentiellement du droit de l'État de maintenir le droit à la sécurité. En tant que personne, je veux qu'on me protège contre des fouilles policières, des enquêtes, l'écoute électronique, l'arrestation sans raison, et j'en passe. Cependant, quand on parle de droit à la sécurité, on parle du droit de l'État à la sécurité, et de la responsabilité de l'État de se maintenir. C'est essentiellement ce qu'on trouve dans la définition du terrorisme. Le terrorisme, essentiellement, d'après ce que je comprends, c'est « ... intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou [...] contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s'en abstenir... »

Autrement dit, c'est renverser le gouvernement; c'est essentiellement ce que les gens comprennent du terrorisme.

Pour cette raison, il importe de bien préciser où tracer la ligne avant de commencer à discuter de certains aspects opérationnels du « droit à la sécurité ».

M. Borovoy : J'aime à penser que mon rôle ici est de remettre un peu en question la façon de concevoir les choses. Je ne crois pas que ce soit la façon de résoudre les problèmes. On ne peut pas déterminer abstraitement si la sécurité a préséance sur la liberté ou si c'est la liberté qui a préséance sur la sécurité. La question doit être déterminée dans un contexte factuel parce que, bien sûr, il y a du vrai dans l'affirmation que, sans sécurité, on ne peut pas jouir de la liberté, mais il y a aussi du vrai dans l'affirmation que sans la liberté, la sécurité devient moins désirable.

Pour cette raison, la vraie question est de savoir à quel point nous voulons l'un ou l'autre dans quelle situation. Il faut étudier la question dans un contexte à la fois, pour tenter d'établir le meilleur équilibre possible. Dans toutes les situations de ce genre, ceux qui cherchent à réduire les libertés devraient être tenus de démontrer que c'est nécessaire pour des raisons de sécurité. C'est un exercice d'équilibrage constant et sans fin qui ne peut pas, à mon avis, être abordé convenablement à partir d'une proposition abstraite.

M. Neve : Par ailleurs, je vous recommande d'examiner le système international d'application des droits de la personnepour avoir la réponse. Le sénateur Kinsella a parlé plus tôt de l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est une élément clé du casse-tête.

Le système international d'application des droits de la personne a été rédigé avec pour préoccupation première la sécurité dans le contexte de l'après-guerre, après la Seconde Guerre mondiale. La dévastation, le carnage, l'insécurité, la violence et le génocide étaient dans l'esprit de tous ceux qui ont contribué à la rédaction de ces traités, parallèlement à la reconnaissance que les États doivent pouvoir prendre des mesures pour protéger leurs citoyens. Le système a donc été établi en partant du principe que certains droits doivent constamment, intrinsèquement, être équilibrés par rapport aux notions de sécurité.

Il existe d'autres droits qui sont sujets au pouvoir de dérogation extraordinaire dont le sénateur Kinsella a parlé tout à l'heure, qui permettent à l'État, s'il peut démontrer qu'il existe un véritable danger public exceptionnel, de restreindre temporairement la jouissance de ces droits. Il y a une troisième catégorie de droits que l'État ne peut jamais violer, quelles que soient les circonstances. Ce sont notamment le droit à la vie, à la liberté de religion et à la protection contre la torture.

Je souligne que le système tient compte de la tension que vous avez décrite. L'idée souvent colportée que, d'une façon ou d'une autre, il faut examiner la question hors du contexte du système d'application des droits de la personne pour déterminer comment traiter les questions de sécurité est selon moi la meilleure façon de ne pas avancer.

Le sénateur Joyal : Vous avez soulevé la question des obligations internationales du Canada relativement à la torture. Dans certains milieux, on a créé la perception que le Canada n'a pas fait preuve d'assez de leadership à l'échelle internationale pour promouvoir le respect des droits de la personne dans le contexte de « la menace ». Durant un certain temps, la population était souvent conditionnée à l'idée qu'il fallait s'attendre à une attaque. La menace d'une attaque imminente a créé chez les gens l'impression qu'il faudrait temporairement laisser les forces policières faire leur travail afin qu'on puisse contrer la menace terroriste.

Comment pourriez-vous définir les obligations internationales du Canada dans ce contexte? Croyez-vous que, au cours des dernières années, le Canada a joué un rôle suffisamment fort pour maintenir le respect des droits de la personne, et l'idée qu'il faut les respecter, dans le contexte de la guerre psychologique contre le terrorisme?

M. Borovoy : L'une des caractéristiques les plus importantes du leadership dont on peut faire preuve, ou tenter de faire preuve, à l'échelle internationale, est l'exemple qu'on donne chez soi. Quand on a des pouvoirs pour traiter la menace à la sécurité qui n'ont pas été démontrés comme étant nécessaires, on n'est plus en position de faire preuve de leadership dans ce domaine critique, et on ne peut plus y aspirer.

Dans cette veine, j'aimerais vous donner un exemple intéressant que je n'ai pas eu l'occasion de mentionner plus tôt. Nous avons créé, avec le projet de loi C 36, un pouvoir additionnel qui permet à la police de faire de l'écoute électronique. Comme vous le savez, sénateur Joyal, c'est là une grave intrusion dans la vie privée. Nous avons accru ce pouvoir pour qu'il s'applique à toutes ces nouvelles infractions qui étaient créées. Pourtant, sans ce pouvoir additionnel, le SCRS avait le pouvoir, moyennant certaines mesures de sauvegarde, d'utiliser l'écoute électronique pour surveiller ce qui s'appelle, selon la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, des activités qui visent à favoriser l'usage de la violence grave dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger.

Quel acte visant à préparer un acte de terrorisme pourrait ne pas être inclus dans cette définition? La terminologie est tellement vague qu'elle pourrait permettre au SCRS de mettre sous écoute des gens qui luttent contre le terrorisme.

Donc, qu'est-ce que cette loi permet de faire? La police a des pouvoirs additionnels, et cela signifie que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, qui constitue notre principale mesure de sauvegarde relativement au SCRS, n'a plus de fonction de surveillance quand la police est en cause. Je ne sais pas si c'était délibéré, je dis simplement que c'est là le résultat. Quoi qu'il en soit, cela a permis au SCRS de contourner l'exigence de mesure de sauvegarde qui avait été imposée pour la cueillette de renseignement par des moyens aussi intrusifs.

Ce n'est qu'un exemple parmi de nombreux autres — nos documents en soulignent d'autres — où nous n'avons pas joué le rôle exemplaire et déterminant que nous devrions jouer si nous aspirons à un titre quelconque de chef de file dans le monde.

M. Neve : Je suis d'accord avec M. Borovoy. Nous devons d'abord être extrêmement attentifs à notre bilan intérieur. En premier lieu, nous devons protéger les droits fondamentaux des personnes touchées par les opérations de sécurité canadiennes. En deuxième lieu, nous avons une responsabilité particulière sur la scène mondiale. Lorsque le Canada ne prend pas fermement position contre la torture dans la lutte au terrorisme, lorsque l'approche canadienne pour définir les activités terroristes autorise le profilage racial et lorsque les pratiques canadiennes en matière de certificats de sécurité ou en vertu de la Loi sur la preuve au Canada favorisent le secret et peuvent mener à des procès inéquitables, sans parler du reste, il s'agit là de questions graves qui sont préoccupantes au plan interne.

Au plan international, nous devons être conscients que certains pays, au moment de formuler leurs propres lois et politiques, se tournent vers le Canada et se disent : « Le Canada est prêt à emprunter telle voie, alors nous avons sans doute aussi le droit de faire de même. » Évidemment, il s'agit de pays dont le bilan en matière de droits de la personne est beaucoup moins reluisant que celui du Canada. Dans ces pays, les conséquences pour les droits de la personne seront beaucoup plus dévastatrices. Par la suite, la capacité du Canada d'adopter une position différente et de s'opposer à de telles pratiques, voire de les critiquer en disposant d'une crédibilité et d'une autorité morale évidentes, est nettement compromise.

Le sénateur Jaffer : Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Monsieur Borovoy, j'ai été intéressé par vos propos au sujet de la disposition permettant d'établir une liste sur laquelle ne figure aucun citoyen canadien ni aucun résident permanent. Le problème, sauf erreur, c'est que l'ONU nous oblige à établir une telle liste. Un problème additionnel qui se pose pour nous, à titre d'exemple, c'est que les étudiants venus d'ailleurs qui séjournent dans notre pays peuvent faire l'objet d'un examen plus poussé et peuvent être considérés davantage comme des étrangers, au point d'être recrutés. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

Monsieur Neve, je vous souhaite également la bienvenue au comité et j'apprécie le travail que vous avez effectué auprès de M. Arar de même que le soutien dont vous avez bénéficié tout au long des démarches qui le concernent. Je tiens à vous remercier de tous vos efforts.

En ce qui concerne vos propos sur les droits de la personne et sur le bilan canadien, j'éprouve une certaine culpabilité. Le Canada a un bilan extraordinaire sauf en cas de situation d'urgence, comme cela a été le cas pour les Japonais ou les Italiens au cours de la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes pas fiers de ce qui leur est arrivé. Aujourd'hui, c'est au tour des Musulmans et des Arabes de faire l'objet de notre attention. Je suis intéressé par vos propos au sujet du protocole relatif aux droits de la personne. J'aimerais savoir s'il y a un autre pays qui se penche sur cette question, afin que nous puissions étudier ses travaux.

Mon autre question concerne le profilage racial. Je sais que vous travaillez en étroite collaboration avec ce milieu. À de nombreuses reprises, le comité s'est penché sur des questions de discrimination raciale dans le contexte de la lutte au terrorisme et, en particulier, sur le fait que les autorités décident de soumettre à un examen plus approfondi certaines personnes choisies en fonction de caractéristiques religieuses ou ethniques.

Pourriez-vous préciser l'expérience de votre organisation en matière de profilage racial et nous dire si vous possédez des preuves que cela se produit? Que vous dit-on à ce sujet?

M. Borovoy : Au sujet de l'obligation que fait l'ONU d'établir une liste, vous vous rappellerez que, dans mes observations, je n'ai pas parlé de l'obligation d'établir une liste comme telle. J'ai simplement dit que les citoyens et les résidents permanents ne devaient pas y figurer à titre de personnes. Le cas des organisations est une autre affaire. Dans cette mesure, nous n'aurions sans doute aucun souci à nous faire relativement à une obligation de cette nature.

Quant aux mesures de protection additionnelles proposées — à savoir qu'un défenseur du bien public assiste aux séances à huis clos au cours desquelles on délibère et on prend des décisions, et qu'une telle liste doive faire l'objet d'un examen attentif de la part d'un tribunal avant d'entrer en vigueur —, je ne vois pas pourquoi ces mesures ne pourraient pas être adoptées par un comité international.

M. Neve : Pour ce qui est d'un exemple de protocole relatif aux droits de la personne qui aurait été adopté par un autre gouvernement et que vous pourriez étudier, Amnistie internationale n'en connaît pas. Nous prions le gouvernement canadien de faire preuve encore une fois de leadership dans le domaine des droits de la personne. Il ferait alors une contribution extrêmement valable aux efforts internationaux réalisés au sein de l'ONU et des organisations non gouvernementales. De nombreux États ont également exprimé la nécessité de disposer d'un meilleur cadre et de mesures législatives plus fermes afin que les droits de la personne ne soient pas négligés dans les activités de lutte contre le terrorisme.

Pour ce qui est du profilage racial, j'aurais aimé qu'Amnistie internationale possède les ressources ou la capacité de procéder à une recherche poussée au cours des deux ou trois dernières années. On entend parler souvent de cette question. Pour l'instant, je peux seulement vous faire part de certaines anecdotes.

Il se fait du bon travail dans notre milieu. J'ai prisconnaissance de la version préliminaire d'un rapport rédigépar le conseil canadien de relations américano-islamiques et intitulé « Presumption of Guilt » (présomption de culpabilité). J'ignore si le conseil doit témoigner ou non devant votre comité. Le conseil espère le faire. Ce rapport, des plus intéressants, résulte d'une étude poussée de notre milieu ainsi que de la collecte, de la documentation et de l'analyse de renseignements.

Si vous n'avez pas prévu d'entendre le conseil, je vous recommande de le faire parce qu'il s'est livré à une réflexion valable et parce qu'il a soigneusement recueilli des données, qu'il les a analysées et qu'il en a en tiré certaines conclusions.

Le sénateur Andreychuk : Je remercie le témoin de s'être présenté aujourd'hui et d'avoir soulevé un point sur lequel le comité doit se pencher.

J'aimerais que M. Borovoy nous en dise davantage. Vous avez dit que l'obligation d'informer était préoccupante. Plutôt que de contrevenir à des articles particuliers, quelqu'un peut se trouver à aider, à assister ou à soutenir l'auteur d'une infraction, sans qu'il le sache, simplement par association avec celui-ci.

Comment s'accomoder de ces articles, mis à part celui que vous avez mentionné et qui porte sur une liste d'organisations? Êtes-vous préoccupé par certaines autres associations?

Autrement dit, je peux vivre dans le voisinage de quelqu'un et être témoin de certaines activités étranges, sans jamais penser qu'il puisse s'agir d'activités terroristes. Aujourd'hui, je dois songer à cette possibilité. Je dois me faire à cette idée, sans être aucunement un expert en la matière.

Suis-je obligé de toujours rester sur la réserve et de ne pas parler à mes voisins ni aux gens? S'agit-il d'instaurer un climat de méfiance? Avez-vous en tête autre chose que l'obligation d'informer?

M. Borovoy : Loin de moi l'idée de vous donner un conseil juridique, je vais donc m'en abstenir.

Je vais tenter de m'expliquer au sujet de ce genre d'obligation. Si une telle disposition était mise en œuvre de façon plus constante et plus vigoureuse, je craindrais, entre autres, que les gens communiquent davantage de renseignements afin de se protéger eux-mêmes, particulièrement s'ils devaient décider d'eux-mêmes ce qu'est un groupe terroriste et qu'ils ne pouvaient tenir compte d'aucun autre fait, si ce n'est qu'il se compose de personnes.

On parle beaucoup de profilage racial, et c'est normal. Si cette disposition était mise en œuvre avec plus de vigueur, j'imagine facilement une situation dans laquelle de nombreux citoyens et membres d'une collectivité se livreraient à du profilage racial pour se disculper eux-mêmes de toute accusation.

L'obligation d'informer, entre autres conséquences, peut émousser les relations harmonieuses entre les gens. Vous parlez de climat de méfiance? Oui, bien sûr, c'est la préoccupation. C'est pourquoi je les mets au défi de montrer qu'ils ont besoin aussi d'une telle obligation lorsqu'ils possèdent déjà tant d'autres dispositions — quiconque participe, contribue aux activités d'un groupe terroriste ou les facilite —. Je mets ça en doute. Je m'inquiète de l'esprit dont s'inspire une telle obligation.

J'ai un ami qui l'exprime d'une jolie façon : « Pour ces gens — il parle du gouvernement —, il ne suffit pas de porter une ceinture et des bretelles, il faut également marcher en relevant son pantalon. » Voilà ce qui me préoccupe.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons adopté la Loi sur la sécurité publique, par laquelle nous avons accordé de nombreux pouvoirs aux ministres susceptibles d'avoir à faire face à des actes de terrorisme, mais également à d'autres urgences. Cela s'est produit après l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère. Cette loi porte sur le terrorisme, mais également sur beaucoup d'autres situations d'urgence.

Le monde a tellement changé. Nous n'avons absolument aucune idée de ce qui nous attend. Nous devons nous préparer et nous armer, autrement nous serons pris de court.

Vous nous dites que nous n'avons pas la bonne approche parce que nous ne tenons pas compte des droits de la personne. Je suis d'accord avec vous. Mais il a été absolument impossible de convaincre les ministres. Ils avaient absolument besoin de ces pouvoirs, à leurs yeux.

Comment convaincre une bureaucratie qui a l'impression d'être constamment menacée et des ministres qui ont l'impression de ne pas pouvoir s'expliquer? Ils ont ressenti le climat de méfiance né à la suite des événements du 11 septembre. Comment échapper à cela? Nous ne pouvons pas convaincre le gouvernement. Les ministres affirment avoir besoin de ces pouvoirs.

Si vous leur dites : « Vous vous armez de pouvoirs dans une mesure que l'on peut comprendre aujourd'hui, mais vous nous reviendrez demain en disant : « J'ai imaginé un autre scénario et j'ai besoin de pouvoirs additionnels »; il n'y a pas de fin à ce processus.

M. Borovoy : Il peut être commode de penser que nous n'avons pas à choisir entre tout et rien. Il se peut bien que, à l'époque du terrorisme, il soit justifié qu'on ait besoin de davantage de pouvoirs ou d'informations. Ce n'est pas parce que quelque chose peut être justifié que tout ce qu'ils demandent est justifié. C'est la seule façon pour moi de considérer cette question.

Lorsqu'ils se présentent devant vous, posez-leur des questions précises. Pourquoi avez-vous besoin de tels pouvoirs? Pourquoi voulez-vous obtenir telle mesure? Pourquoi avez-vous besoin de tel genre de renseignement sur une personne qui monte à bord d'un avion? Pourquoi avez-vous besoin de connaître son régime alimentaire ou ses problèmes de santé? S'ils peuvent vous donner une réponse satisfaisante, très bien; dans le cas contraire, vous devriez leur demander d'établir qu'ils en ont besoin, d'après moi. C'est la raison pour laquelle je dis que nous ne devons pas avoir à choisir entre tout et rien. Il doit être possible d'adopter une approche sensée. J'aime toujours dire que nous pouvons avoir l'esprit ouvert sans perdre la raison. Écoutez leur argument et demandez-leur d'établir qu'ils ont besoin de ce qu'ils demandent.

M. Neve : L'élément crucial, c'est d'exiger de ceux qui estiment indispensables des pouvoirs permettant d'empiéter sur les droits fondamentaux ou de violer ceux-ci qu'ils prouvent qu'ils sont nécessaires et qu'ils vont accroître notre sécurité. Il leur revient d'en faire la preuve. C'est sur ce point que je reviens lorsqu'il est question d'expulser des personnes soupçonnées de terrorisme vers des pays où, notamment, on torture. À de nombreuses reprises, j'ai exhorté un ministre, un sous-ministre ou un fonctionnaire à répondre à la proposition suivante, que je trouve valable : je ne vois pas comment la sécurité du Canada ou du monde est améliorée si l'on envoie une personne soupçonnée de terrorisme à la torture, première hypothèse, ou si on lui permet de se rendre en toute liberté dans un pays quelconque où se trouvent d'autres personnes soupçonnées de terrorisme, deuxième hypothèse. En quoi ces deux hypothèses seraient-elles préférables une troisième : veiller à ce que cette personne subisse un procès juste, au Canada ou ailleurs? Voilà la façon de faire. Elle nous fournit un nouvel exemple d'une proposition autre que tout ou rien. Il existe un juste milieu qui respecte les droits fondamentaux de la personne, qui est l'objectif essentiel par définition et, à mon avis, la meilleure façon d'assurer notre sécurité en bout de ligne.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit qu'on ne devait pas inscrire de Canadiens sur la liste. Laissez-vous entendre que nous devrions y inscrire des étrangers? Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il devrait s'agir d'organisations. Selon M. Neve, nous avons affaire à une situation mondiale et nous devrions faire preuve d'un certain leadership. Pourquoi devrions-nous y inscrire des personnes étrangères? Ai-je mal compris?

M. Borovoy : Vous m'avez bien compris. À l'automne 2001, je me suis entretenu avec un mandarin d'Ottawa et je lui ai soulevé toute la question des personnes. Il m'a dit : « Hésiteriez-vous à inscrire Oussama ben Laden sur la liste? » J'ai dû admettre que cela ne me poserait pas grand problème.

À mon tour, je lui ai demandé : « Très bien, mais queferiez-vous dans le cas de citoyens canadiens ou de résidents permanents? » J'ai eu cette discussion au moment de la création du SCRS parce que, selon moi, les contraintes pour procéder à de la surveillance envahissante devaient être plus élevées dans le cas de citoyens canadiens et de résidents permanents que de visiteurs étrangers. On m'a posé la même question au sujet d'employés de l'ambassade soviétique, à titre d'exemple. C'est sans grand intérêt que j'ai fourni la réponse suivante : « Ce n'est pas qu'il ne devrait y avoir aucunes mesures de protection pour un visiteur étranger, mais il n'est pas nécessaire qu'elles soient identiques à celles qui s'appliquent aux citoyens canadiens et aux résidents permanents. »

Je me souviens d'avoir eu cette discussion et d'avoir été accusé par quelqu'un de prôner l'inégalité. C'est là une accusation terrible à lancer à un défenseur des libertés civiles. Je me rappelle avoir répondu : « Vous souhaitez l'égalité, alors vous allez abaisser les normes pour tout le monde. » Voilà la conséquence d'une telle approche, m'est-il toujours apparu. Nous nous sommes alors concentrés sur l'addition de mesures de protection pour les citoyens et les résidents permanents.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez témoigné à l'occasion du projet de loi C-35, et ce qui s'y est produit...

M. Borovoy : Je suis impressionné par votre mémoire.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons élargi la définition d'un diplomate de telle sorte que celui-ci ne puisse pas faire l'objet d'un examen approfondi, précisément dans le sens où vous l'entendez. Est-ce exact et votre argument n'a-t-il pas moins de portée?

M. Borovoy : Non, parce que les diplomates ont toujours bénéficié d'une mesure de protection différente de celle d'autres personnes. Je suis dans la vie publique depuis trop longtemps; je me rappelle néanmoins certaines discussions avec des représentants de la GRC lors de la création du SCRS. Je prônais des normes plus sévères à l'endroit des citoyens et des résidents permanents. On me donnait l'exemple d'une personne qui avait traversé la frontière, qui vivait dans une chambre d'hôtel et qu'on soupçonnait de préparer quelque chose; mais on ne disposait pas de preuves suffisantes pour franchir le seuil minimal dont j'ai parlé au sujet des citoyens et des résidents permanents. J'ai dit alors : « Je peux comprendre qu'on abaisse le seuil dans le cas d'une personne au sujet de laquelle on n'a pas eu la possibilité de recueillir les preuves nécessaires, mais je maintiendrais une norme élevée dans le cas de celle au sujet de laquelle vous avez eu cette possibilité. » C'est la meilleure réponse que j'ai pu trouver à l'époque pour harmoniser les mesures de protection les plus strictes possible avec les intérêts des responsables de la sécurité.

Le sénateur Andreychuk : Le projet de loi C-35 prévoyait une exception en faveur des visiteurs qui venaient participer à des conférences internationales et qui pouvaient être considérés comme diplomates, même s'ils n'appartenaient pas au corps diplomatique. Il aurait très bien pu s'agir de citoyens étrangers qui recouraient à une couverture; mais nous n'avions rien à dire sur la composition de la liste de leur délégation; nous leur avons donc accordé une échappatoire.

M. Borovoy : Au cours de mon témoignage au sujet du projet de loi C-35, j'ai abordé uniquement le pouvoir de la GRC d'éloigner les gens de lieux où ils souhaitaient manifester.

Le sénateur Andreychuk : Nous vous demanderons de revenir sur cette question.

Le sénateur Day : Avons-nous raison de rechercher une définition du terrorisme qui s'applique à toutes les situations? Certains font valoir que cette définition devrait être large tandis que, dans vos propos d'aujourd'hui, monsieur Borovoy, vous réclamez qu'elle soit très restrictive. Les Nations Unies se sont entendues récemment sur une définition du terrorisme, mais elles ont semblé y parvenir uniquement parce la définition comportait un contexte. Il était alors question d'armes nucléaires et la définition y faisait allusion. Devrions-nous rechercher un grand nombre de définitions, ou notre comité devrait-il recommander une seule définition?

M. Borovoy : La question que vous avez soulevée est essentielle. Il n'est pas possible de formuler une définition qui recouvre toutes les facettes du terrorisme sans englober beaucoup d'autres choses. Voilà pourquoi j'ai recouru plus tôt à des exemples comme les manifestations en Ukraine, un hypothétique soulèvement dans certains des pays totalitaires que vous connaissez bien, voire de la désobéissance civile au Canada. De toute manière, peu importe comment les terroristes s'y prennent pour provoquer des dommages, leurs activités sont illégales. À notre avis, vous n'avez pas besoin d'un régime juridique propre au terrorisme pour régir de telles activités. Si vous avez besoin d'un tel régime, c'est pour les activités les plus meurtrières. C'est la raison pour laquelle nous avons parlé du ciblage délibéré denon- combattants en matière de violence grave. J'ai beaucoup de difficultés à imaginer pourquoi nous devrions aller au-delà de ça.

M. Neve : Je suis entièrement d'accord avec vous et je soulignerais que dans les quelques cas où on s'est entendu, aux Nations Unies, sur une définition du terrorisme, c'est dans ce domaine.

J'ai déjà lu la définition retenue par les Nations Unies dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, qui dit : « Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil [...], lorsque [...] cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement [...]. »

Cette définition ne va pas plus loin dans le domaine élargi, infâme et grandement problématique de la perturbation des services. Cette définition donne lieu à toutes sortes de préoccupations au sujet de manifestations légitimes aussi bien que de manifestations d'opposition, parfois turbulentes, voire marquées d'une légère violence, qui relèveraient du terrorisme et dont certaines activités seraient criminelles. Que de telles activités puissent être marquées du sceau réprobateur du terrorisme est douteux dans le meilleur des cas et, à coup sûr, problématique au point de vue des droits de la personne.

Le sénateur Day : Je partage votre commentaire sur l'aspect « motivation » de notre définition d'une « activité terroriste ». Il paraîtrait étrange de supprimer comme motivation des « fins politiques, religieuses ou idéologiques ». Si cet aspect était supprimé, la définition ne s'en trouverait-elle pas élargie? Cet aspect ne vient-il pas en limiter la portée?

M. Neve : Il vous faudrait associer cet aspect à la notion dont nous avons parlé, celle de limiter les types de dommage aux préoccupations les plus sérieuses en matière de violence faite à des civils ou à des non-combattants. Associer ces deux choses aurait pour effet de restreindre la définition de manière à mieux sauvegarder les droits de la personne. J'ai déjà mentionné notre préoccupation pour ce qui est d'inclure la mention « fins politiques, religieuses ou idéologiques », car elle ouvre des possibilités de discrimination et de profilage. Même si vous retenez la définition restreinte pour ce qui est des types de dommage couverts, la mention « fins politiques, religieuses ou idéologiques » figurera encore.

Le sénateur Day : Un autre domaine sur lequel j'aimerais avoir votre opinion découle du commentaire de M. Borovoy suivant lequel il existe une lacune dans la surveillance des activités policières au plan international, qui échappent à la compétence du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Vous êtes-vous demandé si un comité parlementaire chargé de la sécurité nationale pouvait combler cette lacune? Le gouvernement compte un certain nombre d'organismes de surveillance dans divers domaines, entre autres le comité que je viens de mentionner et la Commission des plaintes du public contre la GRC. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile recommande formellement la mise sur pied d'un comité parlementaire chargé de la sécurité nationale. Cependant, lorsque nous avons interrogé certains de nos témoins à ce sujet, ceux-ci n'étaient pas convaincus que des parlementaires, même bénéficiant de l'autorisation de sécurité nécessaire pour demander aux autorités pourquoi ils avaient besoin de tel pouvoir et comment elles l'employaient couramment, pourraient combler certaines des lacunes que vous percevez actuellement. Avez-vous un commentaire à formuler pour ou contre ce genre de surveillance parlementaire?

M. Borovoy : Je ne crois pas qu'il faut choisir entre l'une ou l'autre proposition. Une surveillance élargie de la part des parlementaires pourrait être justifiée, mais elle ne devrait pas s'appliquer à toutes les activités de sécurité nationales du gouvernement suivant un modèle semblable à celui du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

Il est raisonnable qu'une agence de ce genre ne défende pas un intérêt politique particulier, même si les défenseurs d'intérêts politiques donnés ont un rôle à jouer. D'après moi, un rôle important peut être joué par une telle agence si elle a accès en tout temps aux dossiers, aux installations et au personnel nécessaires pour évaluer les problèmes et proposer des solutions à leur sujet, même moyennant une surveillance accrue de la part de parlementaires.

Il y a un autre rôle que je n'ai pas mentionné dans mes propos, celui du ministre. À mes yeux, le Canada a une convention très étrange. Dans des domaines comme celui-là, on interdit à un ministre de prendre part à des activités policières à des fins de sécurité nationale. En bonne partie, c'est parce qu'on est réticent à toute intervention politique qui menacerait l'intégrité des enquêtes. Le problème est le suivant : un ministre peut difficilement être tenu responsable d'atteintes aux libertés civiles de la part de la police en matière de sécurité nationale s'il ne peut y prendre part d'aucune façon. Nous suggérons que le ministre soit autorisé à y prendre part, mais qu'il donne ses directives par écrit afin qu'elles puissent faire l'objet d'une vérification permanente. De cette façon, nous disposerions d'un meilleur régime de responsabilisation : des directives ministérielles sur papier et une révision après le fait de la part d'un organisme indépendant et de parlementaires. Et tant pis si l'on instaure, ce faisant, l'équivalent de la ceinture et des bretelles en matière de libertés civiles.

M. Neve : Il n'y a pas à choisir entre l'une et l'autre solution puisqu'il a été établi qu'on avait besoin des deux. La plupart du temps, nous sommes tout à fait disposés à accroître la surveillance, la responsabilité et l'examen confiés à des parlementaires pour toute question ayant une incidence ou des conséquences dans le domaine des droits de la personne. En effet, il semble souhaitable que des parlementaires jouent un rôle dans ce domaine. Il existe une lacune au niveau plus opérationnel de la surveillance et des plaintes, comme en font foi des cas comme celui de Maher Arar et d'autres. Ces cas témoignent de la complexité des relations entre diverses agences dont certaines peuvent être tirées au clair et d'autres, non. L'idée que de nombreuses plaintes individuelles doivent être adressées à sept directions différentes dans l'espoir d'établir leurs responsabilités respectives, puis d'essayer de comprendre comment elles s'intègrent entre elles, serait propre à décourager la personne touchée par des opérations de maintien de l'ordre ou de sécurité.

Au niveau plus opérationnel, il faut une agence semblable au CSARS, mais dotée d'un mandat large, qui engloberait toute la gamme des organismes de sécurité. La démonstration en a été clairement faite.

Le sénateur Day : La surveillance exercée par des parlementaires en matière de sécurité ne porterait pas sur les plaintes individuelles, mais sur les lois en vigueur, les parlementaires ayant accès aux renseignements confidentiels grâce à leur autorisation de sécurité. Cette surveillance s'exercerait de façon semblable à celle que vous avez décrite relativement aux attestations de sécurité et aux avocats bénéficiant d'une autorisation de sécurité qui agiraient comme défenseurs durant les audiences à huis clos. Contrairement à ce groupe, les parlementaires étudieraient périodiquement les lois, mais sur une base permanente. Est-ce l'idée que vous vous faites d'un comité parlementaire chargé de la sécurité?

M. Neve : Un tel comité serait des plus appréciés.

Le sénateur Stratton : J'aimerais évoquer l'humeur de notre époque. Lors d'un incident survenu la semaine dernière auxÉtats-Unis, un monomoteur a survolé la capitale de ce pays, et nous avons vu le résultat.

Notre voisin immédiat est très nerveux. Étant donné la proximité, nous sommes amenés à nous rappeler ce qui s'y est produit et nous veillons à ne pas aller trop loin. Un nombre suffisant d'événements ont déjà permis aux États-Unis de mettre en cause nos mesures de sécurité, et à bon droit, dans certains cas.

Vous pouvez toujours réagir en disant : il n'y a pas eud'autres incidents, peut-être précisément en raison de l'approche qui a été adoptée. Après tout, nous nous livrons tous à de l'intimidation, eux à notre égard et nous à leur égard. Peut-être avons-nous exagéré en matière d'intimidation, mais peut-être empêchons-nous, de ce fait, tout nouvel incident de se produire. Je l'envisage dans cette perspective et j'aimerais que vous fassiez de même, du moins pour un instant.

J'abonde dans le sens que le Parlement devrait procéder à un examen tous les cinq ans environ. Il devrait y avoir une surveillance parlementaire du genre de celle qui a été évoquée par le sénateur Day. Selon moi, le processus ne devrait pas être public, si l'organisme de surveillance est indépendant, parce que l'étude de nombreux cas de sécurité peut être particulièrement sensible. Je ne suis pas d'accord avec vous qu'elle devrait être publique.

Vous avez ensuite affirmé que les agences gouvernementales portaient une ceinture et des bretelles, qu'elles marchaient les mains dans les poches et qu'elles étaient allées trop loin. Vous avez modifié votre description de ce processus à la suite de la question du sénateur Day, ce dont je me suis réjoui parce que, à mon avis, vous devriez vous éloigner lentement de la position radicale prise en ce moment, tout simplement parce qu'elle ne se fonde sur aucuns nouveaux incidents.

À un autre moment, vous avez dit que nous ne devrions pas identifier des personnes, mais des groupes. Je ne souscris pas à cette affirmation étant donné qu'une ou que deux personnes peuvent bien projeter des actes terroristes sans être reliées à une organisation. Je pense aux deux individus responsables de la bombe de Kansas City; il s'agissait d'un groupe aux liens pas très étroits. Pourquoi ne serait-on pas autorisé à faire enquête à leur sujet, et pourquoi ces individus ne seraient-ils pas inquiétés, de la manière dont nous pouvons le faire à l'heure actuelle? Pourquoi devraient- ils faire partie d'une organisation? Je ne souscris pas à cette idée.

Et voici ma seconde question : craignez-vous que les lois antiterroristes servent à faire enquête sur des activitéscriminelles? Des exemples d'un tel fait ont-ils été portés à votre connaissance et, dans l'affirmative, pouvez- vous nous faire part de quelques-uns?

M. Borovoy : Je vais commencer par les plus récents, dans la mesure où je peux me les rappeler. Je ne laisse entendre d'aucune manière que votre question n'est pas pertinente; mais ma mémoire n'est pas parfaite.

Le sénateur Stratton : Je ne suis pas de votre avis, j'ai tendance à radoter.

M. Borovoy : Ce n'est pas ce que je voulais dire.

Je n'ai fondé aucun de mes arguments sur le fait qu'il n'y a pas eu de tels exemples ou d'autres incidents terroristes graves sur le continent nord-américain. En réalité, au cours de mon échange avec le sénateur Kinsella, j'ai mentionné plutôt que je ne veux pas recourir à ce type d'argument. Je veux mettre les fonctionnaires au défi d'établir qu'ils ont besoin de tels pouvoirs. Je ne tire pas beaucoup de conclusions du fait qu'il n'y a pas eu de tels exemples. J'estime que nous vivons à une époque dangereuse et je reconnais l'existence de ces dangers. Je n'ai pas tenté de les minimiser d'aucune manière dans les réponses que j'ai données.

Non, sénateur, je ne retire pas mes propos au sujet de la ceinture et des bretelles. J'étais disposé à recourir à cet argument, que j'ai critiqué uniquement lorsqu'il était employé en matière de libertés civiles. Cependant, de mon point de vue, plus de pouvoirs ont été accordés qu'il n'aurait fallu.

Mais toutes ces mesures doivent être mises à l'essai. Je connais bien les limites des essais, et une expérience concrète est l'idéal; lorsqu'on agit de façon préventive, je sais bien qu'il est très difficile de faire la démonstration d'une mesure. Cependant, il faut inviter les gens à envisager ce qui vous préoccupe, et les amener à exprimer leurs objections afin de pouvoir en débattre et les remettre en question. C'est le mieux qu'on peut faire et c'est ce qu'on doit faire. C'est l'une des raisons pour lesquelles, lorsque j'ai abordé toute la question du pouvoir d'établir une liste, j'ai prévu d'énumérer certaines des protections dont jouit déjà notre société, et j'ai demandé pourquoi vous aviez besoin d'en ajouter. Une différence essentielle entre des personnes et des organisations, c'est que les organisations ont des rôles limités à jouer, tandis que les personnes ont leur vie ordinaire à mener et que, lorsqu'une personne est inscrite sur une liste, c'est une expérience beaucoup plus dévastatrice pour elle que ce ne pourra jamais l'être pour une organisation.

Vous avez demandé des exemples. Nous connaissons l'exemple d'un homme d'Ottawa d'origine somalienne qui a été inscrit sur cette liste et l'expérience désastreuse que cela a été pour lui. Je ne possède aucun autre détail à part ceux que j'ai lus dans les journaux. Nous souhaitons empêcher de tels faits. Mais, oui, nous nous préoccupons également d'empêcher le terrorisme. Il faut mener les deux entreprises de front, mais quelqu'un doit expliquer pourquoi vous avez besoin de tel pouvoir, puis d'un autre et d'un autre encore, et vous devez mettre à l'épreuve ceux qui demandent de tels pouvoirs.

Je ne suis pas convaincu que ma réponse vous sera d'un grand secours si vous ne me soumettez pas de cas plus précis.

Le sénateur Stratton : Au sujet d'activités criminelles, connaissez-vous des exemples d'activités criminelles qui ont fait l'objet de poursuite en vertu de la Loi antiterroriste?

M. Borovoy : À l'heure actuelle, je n'en connais, mais je sais que de tels cas se sauraient rapidement, particulièrement si certains de ces pouvoirs étaient utilisés à des fins préventives. Si on cherche à faire de la prévention, un très grand nombre de choses ne se sauront pas. Il se pourrait que certains pouvoirs soient employés de façon plus large qu'ils ne le devraient.

Un problème qui a été porté à notre connaissance c'est qu'une question a été soulevée au sujet de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Nous savons que le juge en chef a affirmé, en substance, qu'un tribunal ne peut même pas reconnaître qu'il est saisi de certains cas. J'ignore de quoi il s'agissait, mais nous savons que certaines choses peuvent être maintenues secrètes totalement à notre insu. C'est une énigme difficile à résoudre et je ne suis pas prêt à tirer trop de conclusions du fait que nous ne puissions pas signaler d'actes terroristes connus. Je n'en tirerais pas beaucoup non plus de notre incapacité à citer des cas d'abus des pouvoirs que nous avons institués. Nous devons faire preuve de prudence à ce sujet également.

M. Neve : Sur ce dernier point, Amnistie internationale ne possède pas d'information particulière sur des cas pour lesquels la loi aurait pu être invoquée dans le contexte d'enquêtes criminelles. Une recommandation de notre mémoire porte sur la nécessité de mieux rendre compte de la façon dont la loi est appliquée. Les rapports, présentement produits sur une base annuelle, le sont de routine et n'indiquent pas du tout le contexte dans lequel les pouvoirs sont employés. Ils portent simplement des nombres indiquant, par exemple, que telle disposition a été invoquée une seule fois ou que telle autre ne l'a jamais été, et les nombres sont habituellement zéro-zéro.

Nous ne proposons pas que les rapports fournissent tous les détails; mais un rapport qui donnerait une meilleure idée du contexte, sans nécessairement fournir de données d'identification, nous aiderait à trouver réponse à cette question.

Nous avons également suggéré qu'il fallait améliorer la compilation fédérale-provinciale des rapports produits. À l'heure actuelle, du moins pour le grand public, il est difficile de réunir tous les renseignements voulus. Les rapports sont répartis en divers lieux, et sont produits selon des cycles différents — certains n'ont pas encore été produits et d'autres souffrent d'un retard. Ce serait une façon de s'assurer qu'il existe quelque part un compte rendu contenant les réponses à ces questions.

M. Borovoy : J'ai oublié de mentionner les comptes rendus des cas individuels. Je ne m'attends pas à ce qu'un examen de la part du CSARS traite de cet aspect. Ce comité se pencherait sur les politiques et les pratiques générales.

Le sénateur Fraser : Je vous prie d'excuser mon retard, ce matin. J'étais parfaitement dans les temps depuis Montréal, mais je me suis retrouvée sur le Queensway entourée d'un grand nombre de tracteurs lents.

J'ai deux questions à poser, la première à M. Neve et la seconde, à vous. Au sujet des certificats de sécurité, je m'intéresse aux recommandations suivant lesquelles l'ensemble de la preuve devrait être communiquée à un détenu.

Outre la question des certificats de sécurité, l'idée que la personne concernée ne soit pas autorisée à obtenir suffisamment d'informations a été soulevée au sujet d'autres dispositions de ce projet de loi. Nous devons parvenir à un juste milieu; tout le monde le répète, le comité a pour rôle de rechercher un équilibre. Bien que nous soyons déterminés à protéger les droits des innocents, nous devons garder à l'esprit que certaines des personnes concernées peuvent être des criminels et que certains éléments de la preuve peuvent toucher directement à de véritables questions de sécurité nationale.

J'ai été interloquée par une recommandation formulée par l'Association du Barreau canadien et peut-être par une ou deux autres associations. Dans de tels cas, elles recommandent qu'un intervenant désintéressé ou qu'un défenseur semblable, bénéficiant d'une autorisation de sécurité, ait accès à l'ensemble des informations et plaide en faveur de la personne concernée. Cela répondrait-il à vos attentes?

M. Neve : À nos yeux, ce serait une amélioration considérable par rapport au régime actuel. Ce modèle a connu un succès limité au Royaume-Uni. Les membres du comité savent peut-être que certaines de ces personnes dans le régime du Royaume-Uni, que l'on appelle procureurs spéciaux mais qui jouent essentiellement le rôle que vous avez décrit, ont formulé des critiques au sujet de ce processus. Ils ont eu le sentiment que leur rôle, qui doit servir l'objectif que vous avez mentionné, a été sapé et a été inefficace.

À notre avis, ce modèle devrait être associé, à tout le moins, à des révisions afin qu'il soit clair que des éléments comme les relations internationales ne puissent justifier que l'on cache de la preuve au public, et encore moins à la personne concernée. Le modèle devrait également prévoir clairement que la preuve non divulguée doit toujours se rapporter uniquement à des questions précises et sérieuses de sécurité nationale. Ce serait conforme aux obligations internationales en matière de droits de la personne.

Le modèle devrait également comporter un rôle plus marqué de la part du pouvoir judiciaire, de sorte que la Cour fédérale du Canada n'ait pas simplement à se poser la question minimale : « Est-ce raisonnable? » La Cour fédérale doit être convaincue, d'après la prépondérance des probabilités, que la non-divulgation est bien fondée. Il faut accroître la surveillance judiciaire.Peut-être la combinaison de ces trois types de réforme nous procurerait les résultats recherchés.

Le sénateur Fraser : Ma seconde question porte sur les listes d'entités. Je comprends le point que vous faites valoir, à savoir d'accorder à la personne ou à l'entité concernée le temps de se faire entendre avant que la liste ne soit publiée. Cependant, cette question m'a posé constamment une difficulté d'une autre nature. Au moment où la liste est établie pour la première fois, un processus d'appel est prévu; la personne concernée peut faire appel auprès du tribunal si son nom a été inscrit à tort sur la liste, selon elle. Cependant, cette liste est établie sur l'avis du solliciteur général du Canada. Si la personne n'a pas gain de cause auprès du tribunal, elle perd. Son nom demeure sur la liste.

Deux ans plus tard, la liste fait l'objet d'une révision; mais, à ce moment-là, elle est maintenue telle quelle ou modifiée uniquement sur recommandation du solliciteur général au Cabinet. Je me suis demandé s'il était nécessaire de prévoir alors au moins une consultation ou une autre intervention, afin que le ministère du Solliciteur général — qui, le premier, a inscrit la personne sur la liste — ne soit pas l'organisme qui décide de l'y maintenir. Est-ce que cette idée mérite d'être explorée, d'après vous?

M. Neve : Certainement. Nous craignons sérieusement que le processus, y compris l'élément dont vous venez d'évoquer — bien que nous n'en ayons pas parlé dans notre mémoire —, ne comporte des lacunes et n'exige de meilleures mesures de protection afin qu'une personne ou qu'une organisation ne subisse pas de conséquences aussi dévastatrices après avoir été inscrite sans raison sur la liste. Selon moi, une mesure en ce sens serait utile.

M. Borovoy : En effet, une révision judiciaire devrait être possible en tout temps; mais une chose importante, à mes yeux, c'est qu'un tribunal devrait autoriser, avant le fait, l'inscription d'une personne sur la liste. C'est essentiel, selon moi, avant qu'une personne ou une organisation quelconque ne soit portée sur la liste.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la question du programme dit d'« extradition extraordinaire », qui permet à un pays de renvoyer une personne dans son pays d'origine parce que le Canada, à l'occurrence, considère qu'elle présente un risque pour sa sécurité. J'ai l'impression que nous nous dégageons ainsi d'une responsabilité que nous devrions assumer ou que la communauté internationale devrait assumer.

Si le Canada parvient à la conclusion qu'une personne souhaitant être admise sur son territoire présente un risque pour sa sécurité, j'estime que la communauté internationale est solidairement responsable de veiller à ce que cette personne puisse être déférée au tribunal compétent. Si nous renvoyons cette personne dans son pays d'origine, sans garantie formelle qu'elle n'y sera pas soumise de nouveau à la torture ou à une détention de durée indéterminée, ne renonçons-nous pas à assumer notre responsabilité au chapitre des droits de la personne?

La personne qui présente un risque pour la sécurité devrait être jugée en conséquence. Il devrait y avoir une instance internationale pour la juger, en particulier si le pays où cette personne est renvoyée n'offre pas un régime juridique ou une garantie constitutionnelle au chapitre des droits de la personne susceptible de convaincre le Canada qu'elle y sera traitée, puis jugée équitablement. La communauté internationale ne comporte-t-elle pas une grave lacune en ce qui concerne le traitement de ces personnes? Que devrait faire le Canada afin que la communauté internationale soit dotée d'une véritable solution à ce problème?

M. Neve : Vous avez parfaitement raison. Il y a là une lacune de longue date et elle ne concerne pas seulement les terroristes, mais, d'une façon générale, tous ceux qui violent les droits de la personne. Depuis des siècles, nous vivons dans un monde où les habitants de notre planète qui commettent les crimes les plus horribles sont les plus susceptibles d'échapper à la justice. Il est plus probable qu'on aboutisse devant un tribunal si l'on s'en prend à une personne au cours d'une querelle d'ivrognes, que si l'on orchestre et si on supervise la torture systématique de 100 000 personnes. Cette situation évolue quelque peu. Au plan mondial, la Cour pénale internationale a été instituée. Les pays commencent enfin à transcrire dans leur droit le concept que les auteurs de crimes sur la scène mondiale — actes terroristes, crimes contre l'humanité, génocides et crimes de guerre — doivent en répondre, sans égard à l'endroit où ils ont commis leurs crimes ni à leur nationalité ou à celle de leurs victimes. Le monde entier se solidarise afin que de tels crimes ne restent plus impunis.

Sauf exceptions, la troublante réalité en matière de terrorisme est que de nombreux pays ont réagi en expulsant un étranger à qui on impute des actes terroristes et qui demande à entrer sur leur territoire ou qui y séjourne déjà. Cette pratique court-circuite un processus d'extradition ou tout autre processus pertinent, sur la foi que ce renvoi du Canada fera en sorte que la personne concernée sera déférée ailleurs devant la justice. C'est le but de l'extradition. Or, la plupart des personnes dans ce cas ne connaissent pas ce sort. Nous recourons à la déportation sans aucune garantie que la personne sera traitée avec justice à sa descente d'avion à son retour dans son pays ou à son arrivée dans le pays destinataire.

De plus, ce processus ne garantit d'aucune manière que les droits de cette personne ne continueront pas d'être violés. Torturer le tortionnaire ou le terroriste ne mène à rien. Cela nous enferme dans un cycle de violence, d'impunité, de terrorisme, de violation des droits de la personne et d'insécurité, qui est au cœur du désordre mondial dont nous sommes témoins.

Le Canada doit briser ce cycle d'impunité chez lui et continuer de faire preuve de leadership au plan international.

M. Borovoy : D'une certaine manière, la partie facile de la solution consiste à régler ces questions sur le plan des principes, puisque la communauté mondiale ne réagit pas adéquatement, comme vous l'expliquez. La partie difficile a trait à ce que le Canada peut faire dans des contextes particuliers. Je ne connais pas beaucoup les faits entourant certaines des personnes soupçonnées de terrorisme international. Si je connaissais les faits, vous me trouveriez suspect. J'ignore ces faits, mais j'imagine que, dans certains cas, il nous est impossible de constituer une preuve. Nous pouvons avoir affaire à une personne qui surgit dans notre pays. Nous ne l'avons pas invitée chez nous, mais elle est venue sur notre territoire et s'est renseignée. Nous possédons certains éléments de preuve, trop peu pour poursuivre cette personne, mais peut-être assez pour justifier son expulsion. Alors que faisons-nous? Ce sont là des questions difficiles. Nous tentons de concilier la protection de nos citoyens contre le terrorisme avec une certaine équité.

Le défi permanent consiste à faire preuve de la plus grande ingéniosité possible pour ajouter des protections à cette combinaison tout en reconnaissant qu'aucune solution ne nous satisfera, mais que chaque nouvelle solution sera préférable à la précédente. Cette façon de voir est notamment à l'origine de la présence d'un défenseur de l'intérêt public, possédant l'autorisation de sécurité nécessaire, durant des audiences à huis clos. J'ajouterais, à l'intention des personnes actuellement détenues en attente de leur expulsion, qu'elles ne seront peut-être jamais expulsées puisque nous ne souhaitons pas les renvoyer dans le pays qui est prêt à les accueillir.

À titre d'exemple, le tribunal n'ayant qu'un pouvoir de révision limité — son rôle consiste à établir le caractère raisonnable du certificat —, le CSARS peut être amené à examiner les circonstances en cause et à dire publiquement s'il juge fondée l'expulsion. Le comité n'a pas le pouvoir d'annuler l'expulsion, mais il pourrait faire pression sur le gouvernement dans des situations où celui-ci a fait preuve d'un jugement douteux et où le pouvoir de révision limité des tribunaux ne permettrait pas à ceux-ci de faire grand-chose à ce sujet.

J'émets cette hypothèse comme solution à la difficulté concrète de résoudre ces situations terriblement conflictuelles.

Le sénateur Joyal : Monsieur Neve, quel genre de garantie le Canada devrait-il obtenir des pays vers lesquels il expulse des personnes? Autrement dit, compte tenu de votre expérience, de quels éléments le Canada devrait-il tenir compte avant d'expulser des gens vers leur(s) pays d'origine? Les gens ont parfois plus d'un pays d'origine. Ils sont nés dans un pays, mais ils ont vécu toute leur vie dans un autre. De telles situations sont très complexes. Quelle garantie le Canada devrait-il obtenir pour respecter son engagement en matière de droits de la personne, particulièrement au chapitre de la torture ou de la détention de durée indéterminée?

M. Neve : Il faut envisager un processus à deux étapes. Premièrement, il faut procéder à une évaluation du cas afin d'établir s'il existe réellement un risque fondé et grave que la personne soit torturée ou subisse des violations graves de ses droits. Ce processus comporte de multiples facettes, notamment la collecte d'informations, par exemple auprès d'Amnistie internationale aussi bien que d'autres organisations internationales telles que les Nations Unies ou auprès du corps diplomatique canadien. La mission canadienne auprès d'un pays donné peut être une source importante de renseignements. Par ailleurs, il existe toute une gamme de documents, accessibles pour la plupart à ceux qui prennent des décisions dans notre processus de traitement des cas de réfugiés.

Une fois établi qu'il existe un risque sérieux, notamment de torture ou d'une violation semblable, il est inutile de rechercher une garantie, selon nous. On ne demande pas à un tortionnaire de promettre de ne pas torturer; on ne peut tout simplement pas s'y fier. Les garanties en matière de droits de la personne sont valables uniquement dans certaines circonstances. Ainsi les lois canadiennes exigent — ce qu'endosse très volontiers Amnistie internationale — que, avant d'expulser ou d'extrader une personne vers les États-Unis, où la peine de mort peut être imposée, nous demandions préalablement aux autorités américaines la garantie qu'elles ne chercheront pas à imposer cette peine. Nous sommes favorables à cette démarche parce que, selon nous, on peut avoir confiance que le système judiciaire américain respectera une telle garantie.

La plupart des pays tortionnaires interdisent la torture dans leurs lois et bannissent cette pratique dans leur constitution. On obtient une garantie sans valeur si l'on demande à un pays de promettre de ne pas faire quelque chose que, déjà, il est censé ne pas faire. Si nous estimons qu'un pays se livre réellement à de la torture, nous devons explorer d'autres avenues pour faire comparaître une personne devant un tribunal, y compris dans notre propre système judiciaire.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais obtenir votre opinion au sujet des droits en matière de protection des renseignements personnels. Vous avez mentionné que les pouvoirs du SCRS et de la GRC ont été accrus et, de l'avis de la commissaire à la protection de la vie privée, ce processus devrait comporter une certaine surveillance judicaire. Une campagne internationale au sujet de la surveillance des foules a été lancée à la suite des avertissements d'un commissaire à la protection de la vie privée antérieur, d'après lesquels les intrusions dans la vie privée sont devenues systémiques. À l'opposé, les responsables de la sécurité disent que nous devons adopter une mentalité de prévention. Nous devons être en mesure de réagir rapidement sans avoir à nous adresser constamment à un juge. J'aimerais que vous me donniez tous les deux votre opinion à ce sujet.

J'aimerais également entendre ce que vous avez à dire au sujet de l'impartition. À titre d'exemple, si les cartes Visa canadiennes sont traitées aux États-Unis, cela soulève de nombreuses questions au sujet de la protection des renseignements personnels.

M. Borovoy : Il existe une surveillance judiciaire, mais la portée de celle-ci est en voie d'être réduite à certains égards, tout comme d'autres types de surveillance, dans la mesure où le pouvoir judiciaire a porté de 60 jours à une année la durée d'un mandat d'écoute clandestine dans le cas des nouveaux crimes terroristes, comme c'est déjà le cas pour de nombreuses autres infractions prévues dans le Code criminel. Nous posons la question suivante : cette surveillance est- elle vraiment nécessaire? On peut compter sur les doigts de la main le nombre de fois où des tribunaux n'ont pas répondu favorablement à des demandes d'écoute électronique; alors est-il vraiment nécessaire de prolonger ce mandat jusqu'à un an? À mes yeux, cette mesure a pour unique résultat de réduire la surveillance judiciaire. Nous n'y voyons aucune justification plausible.

En ce qui concerne les forces policières et l'autorisation d'écoute électronique pour l'ensemble de ces nouvelles infractions, il n'existe pas de CSARS pour surveiller ces activités. Pour cette raison, nous demandons soit d'abroger ce pouvoir, soit de demander au CSARS d'exercer une surveillance, ou les deux mesures. En ce qui nous concerne, ce serait la bonne chose à faire.

Le sénateur Jaffer : Et qu'en est-il de l'impartition de services aux États-Unis?

M. Neve : Les conséquences éventuelles d'une telle pratique sont loin d'être rassurantes. De prime abord, Amnistie internationale s'opposerait rarement à une telle pratique; mais il est absolument crucial qu'elle s'accompagne de mesures claires et efficaces de protection des droits de la personne, afin que la divulgation de renseignements ne facilite d'aucune manière la violation des droits de la personne.

Le sénateur Jaffer : Est-ce que l'un de vous connaît la pratique de l'hawala, le système informel de transfert de fonds à l'étranger en faveur de citoyens dont le pays ne possède pas un système bancaire adéquat?

M. Neve : Je n'ai pas d'expérience pertinente à ce sujet; je souligne cependant que, dans le contexte somalien, on donne à ce système un autre nom que « hawala », c'est du moins ce qu'on a appris dans le cas évoqué par M. Borovoy, celui de Liban Ali Booh, le Somalien qui vivait à Ottawa et qui s'est retrouvé inscrit sur la liste. Je ne parviens pas à me rappeler le nom du mécanisme financier, mais c'est exactement ce dont il s'agissait. Il est évident qu'il y a eu certaines évaluations et décisions très contestables dans son cas et cela montre bien que de tels cas peuvent être très problématiques.

M. Borovoy : Je regrette, je ne m'y connais pas suffisamment dans les questions d'argent. Au sujet de la surveillance judiciaire, ma collègue, Alexi Wood, m'a rappelé quelque chose. L'une des raisons pour lesquelles cette surveillance n'a pas la portée souhaitée relève du pouvoir judiciaire lui-même : il a tellement restreint les règles déterminant la qualité pour agir que, dans nombre de cas, il n'est pas possible de contester la constitutionnalité d'une partie de la collecte de renseignements qui s'effectue de façon subreptice.

La présidente : J'exprime mes vifs remerciements à mes collègues et aux experts invités aujourd'hui. Votre témoignage a été très apprécié. Cette question est très difficile, et il est bon que le comité ait profité, cet avant-midi, non seulement de votre expertise, mais également de votre détermination à défendre les droits de la personne et à offrir de justes possibilités à celle-ci.

M. Borovoy : Si je peux me permettre une observation avant la levée de la séance : j'ai regardé la diffusion de certaines séances sur CPAC et nous avons pris connaissance d'un certain nombre de transcriptions de ces séances. Nous tenons à souligner que nous sommes grandement impressionnés par le fait que le Sénat du Canada se livre à des travaux aussi consciencieux et nous lui en savons gré.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Sur ces félicitations mutuelles, nous allons mettre fin à cette partie de la séance.

La séance est levée.


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