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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 11 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 16 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 h 5 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de cette loi (L.C.2001, ch.41).

Le sénateur Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte.

Il s'agit de la vingt-quatrième séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste accueille des témoins. Pour le bénéfice de nos téléspectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes menées contre les villes de New York et de Washington et l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Compte rendu de l'urgence de la situation à l'époque, le gouvernement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Et nous avons accepté. La date limite pour son adoption avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Cependant, certains se sont dits inquiets de voir qu'il était très difficile d'évaluer en détail les répercussions éventuelles de cette mesure législative en un si court laps de temps. Pour cette raison, il a été convenu que trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner rétrospectivement les dispositions de la loi et leur impact sur les Canadiens, dans le cadre d'un forum public beaucoup moins émotif.

Le travail de notre comité spécial se veut le résultat des efforts que déploie le Sénat pour respecter cette obligation. Une fois notre étude terminée, nous en ferons rapport au Sénat et nous y soulèverons toute question qui, à notre avis, mérite d'être abordée, après quoi nous remettrons le fruit de notre travail au gouvernement et à la population canadienne.

La Chambre des communes est actuellement engagée dans un processus semblable.

Jusqu'à maintenant, le comité a accueilli des ministres et des fonctionnaires, des spécialistes internationaux et nationaux en matière de sécurité, ainsi que des experts juridiques, de même que des responsables de l'application de la loi et de la collecte de renseignements de sécurité.

Cet après-midi, nous allons poursuivre notre examen de la question des libertés civiles. Nous accueillons doncJean- Louis Roy, président de Droits et Démocratie, qui est accompagné de son principal adjoint, Lloyd Lipsett. Nous entendrons également Philippe Robert de Massy, qui représente la Ligue des droits et libertés, ainsi que l'avocat de son association, Denis Barrette.

Comme toujours, chers collègues, votre collaboration pour faire en sorte que les questions et les réponses soient les plus succinctes possible sera très appréciée. Nous avons jusqu'à 15 h 30 et nous allons commencer sans plus tarder.

Messieurs, je crois savoir que vous allez faire de brefs exposés, puis nous passerons directement à la période de questions.

Je tiens à rassurer nos spectateurs que je n'ai pas l'habitude d'avoir le bras dans le plâtre. J'ai eu un accident inévitable en fin de semaine, mais ça ne m'empêche pas du tout de faire mon travail.

À vous, messieurs.

[Français]

M. Philippe Robert de Massy, avocat, Ligues des droits et libertés : C'est un grand honneur de pouvoir nous présenter devant vous aujourd'hui afin d'échanger sur ce que nous considérons être une loi extrêmement importante, adoptée il y a trois ans, et qui comporte l'obligation d'être revue trois ans après, ce que vous êtes en train de faire. La ligue est membre de la coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.

C'est une coalition d'organismes qui s'est formée il y a déjà plus de trois ans et qui milite pour le respect des droits de la personne dans le contexte de cette lutte contre le terrorisme où la Loi antiterroriste a été adoptée. En font partie notamment l'Association du Barreau canadien et un grand nombre d'associations qui regroupent des personnes qui sont engagées dans la promotion des droits de la personne.

Nous croyons qu'il aurait été très profitable pour le Sénat d'entendre la coalition s'exprimer au nom de l'ensemble de ces organismes. La Ligue vient aujourd'hui s'exprimer pourelle-même. Vous avez déjà entendu l'Association du Barreau canadien, par exemple, mais il serait extrêmement intéressant à l'intérieur de vos travaux, que la coalition elle- même soit invitée. Elle a fait énormément de travaux et elle est en lien, sur le plan international, avec un grand nombre d'autres organismes. À mon avis ainsi qu'à celui de la Ligue que je représente aujourd'hui, ce serait très important que vous puissiez les entendre.

Suite aux déclarations faites par certains ministres au début des travaux de révision de cette loi, on pourrait s'interroger et se demander si les jeux ne sont pas faits devant le caractère catégorique des affirmations qui semblaient plaider pour le maintien de cette loi et peut-être même pour son développement. On pourrait croire que c'est inutile d'en discuter.

Nous venons ici, aujourd'hui, convaincus que nous nous adressons à un comité qui a l'esprit ouvert, qui veut vraiment — comme la présidente vient de le dire — se faire une idée sur ce qui en est de cette loi, trois ans après. Faudra-t-il la maintenir en vigueur? La modifier? J'espère évidemment que nos remarques et nos travaux vous seront profitables dans ce contexte.

Je voudrais d'abord souligner qu'en filigrane, dans notre mémoire, c'est notre conviction qui est exprimée. La Loi antiterroriste est une immense menace pour les droits et libertés de tous les Canadiens, pas seulement pour les Canadiens qui appartiennent à certains groupes ethnoculturels qui, jusqu'ici, ont été particulièrement visés. J'ajouterais à cette affirmation que la Loi antiterroriste est peut-être une plus grande menace à nos droits et libertés si l'on n'y fait rien que le terrorisme lui-même.

En survolant avec vous la matière de notre mémoire, je voudrais tenter de vous convaincre du fait que cette loi — et ce sera notre conclusion — doit non seulement être remise en question, mais doit carrément être retirée.

Dans un premier temps, j'évoquerai la tradition du Canada sur le plan de la promotion et du respect des droits de la personne. La première partie du mémoire s'intitule « Une loi trompeuse ». Elle évoque le fait que le terrorisme n'est pas la seule menace actuelle aux droits de la personne de par le monde et qu'il faut faire très attention de ne pas, à cause de cette loi, se bercer d'un faux sentiment de sécurité. Actuellement, il y a, à travers le monde, des conditions qui sont faites à de très grandes populations humaines qui sont totalement inacceptables et sont peut-être justement des conditions qui nourrissent le terrorisme.

La deuxième partie du mémoire s'intitule « Une loi inutile ». Elle rappelle que les lois existantes il y a trois ans, donc en 2001, prévoyaient déjà une foule de moyens d'agir contre des personnes qui portaient atteinte aux droits d'autrui, qui violaient les lois ou commettaient des crimes et qu'on avait en main tout l'arsenal qu'il fallait déjà pour agir contre le terrorisme.

Le troisième élément est que c'est une loi dangereuse. De façon un peu lapidaire, je vais proposer un certain nombre de dangers très concrets que cette loi pose aux droits et libertés que nous avons évoqués au tout début qui sont partie de la tradition canadienne que nous voulons voir maintenue.

Je crois que je n'ai pas besoin de développer de façon tatillonne la tradition en matière de droit de la personne. On connaît bien la Charte canadienne des droits et libertés qui énumère dans ses articles 7 à 13, un certain nombre de droits et de libertés qu'elle protège. Particulièrement aux articles 8, 9, 10 et 11, il y a toute une série de protections contre la détention, l'emprisonnement arbitraire, le droit d'être informé de son arrestation et de sa détention, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, et cetera. Je n'en évoque que quelques-uns.

Nous rappelons également la tradition canadienne d'adhésion aux grands instruments internationaux. Le Canada a été parmi l'un des premiers États au moment où les pactes ont été ouverts à la signature des États à souscrire aux grands pactes. Le pacte qui nous préoccupe le plus ici est le pacte international relatif aux droits civils et politiques dans lequel sont énoncés la plupart des droits que nous retrouvons dans ces articles que je viens d'évoquer de la Charte canadienne des droits et libertés.

Là où il est important pour vous de situer cette loi antiterroriste dans le contexte international, c'est que lePacte international relatif aux droits civils et politiques contient des obligations très strictes. En particulier, j'évoquel'article 4, sous-paragraphe 3 :

Les États parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent, par l'entremise du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, signaler aussitôt aux autres États parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation.

Nous verrons tout à l'heure qu'il y a un très grand nombre de dérogations dans la Loi antiterroriste qui doivent absolument vous inquiéter. À ce que je sache, le Canada n'a jamais dénoncé au secrétaire général des Nations Unies les dérogations contenues dans la Loi antiterroriste pour que le secrétaire général puisse en faire état aux autres membres des Nations Unies.

Un autre élément important, c'est que nous évoquons le fait que la plupart d'entre nous avons une expérience de notre vivant de mesures exceptionnelles — parce que la Loi antiterroriste propose des mesures exceptionnelles. Il s'agit, en octobre 1970, de l'imposition de la Loi sur les mesures de guerre. Nous connaissons tous les résultats que cela a provoqués : les centaines d'arrestation absolument inutiles et injustifiées qui ont été faites et qui ont obligé à des indemnisations. C'est une occasion pour la Ligue des droits et libertés de vous inviter à revoir la Loi sur les mesures d'urgence par laquelle on a remplacé la Loi sur les mesures de guerre en 1982 parce qu'on était inquiet que se répète une situation comme celle d'octobre 1970. Un certain nombre d'entre vous était probablement là au moment où la Loi sur les mesures d'urgence a été votée, vous la connaissez probablement mieux que moi.

Cette loi est intéressante à cause des précautions prises, allant jusqu'à mentionner dans le préambule de la loi, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que je viens d'évoquer et que tout ce qui sera fait en mesures d'urgence au Canada, sera fait en fonction du respect des pactes internationaux.

Ce qui frappe au moment où l'on se place dans ce contexte, c'est de voir à quel point ce Parlement a déjà pris d'infinies précautions au moment où il s'agissait de définir la situation au niveau des mesures d'urgence, mais ne l'a pas fait à l'automne 2001, après les événements du 11 septembre, dans la panique. Nous nous sommes tous sentis interpellés par ces spectaculaires événements. Trois ans après, nous pouvons et nous devons prendre le temps et nous devons nous assurer de la plus grande participation possible de l'ensemble des citoyens à ce questionnement sur ce que les Canadiens veulent sur le plan des droits de la personne. Veut-on maintenir en vigueur une loi qui, éventuellement, pourrait permettre tant d'atteintes à ces droits?

Enfin, nous évoquons le fait qu'il y a eu beaucoup d'analyses aux Nations Unies. Lors de nos échanges, nous pourrons entrer plus en détails. Il y a un lien évident entre le terrorisme et le non respect des droits de la personne. Le terrorisme est bien sûr une atteinte aux droits de la personne, mais le terrorisme naît dans un contexte de non respect des droits de la personne. Une rapporteure spéciale des Nations Unies, Kalliopi K. Koufa, disait qu'une analyse du terrorisme contemporain fait apparaître, grosso modo, que les États les plus respectueux des droits de l'homme sont aussi les moins susceptibles d'être confrontés au terrorisme interne. C'est une loi inutile, disions-nous, parce que le Code criminel, les lois sur la preuve, contenaient déjà à l'automne 2001, toutes les dispositions nécessaires, plus quelques ajouts à propos de la lutte contre le crime organisé. Dans le contexte que nous verrons dans un instant, on vient complètement modifier les motifs justifiant un agent des forces de l'ordre d'agir. C'est-à-dire que dans le droit traditionnel — et cela a toujours été — il faut avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu'un crime a été commis avant d'agir. Ici, on est dans un contexte où de simples soupçons permettent d'agir.

Ce qui nous amène à la troisième partie ; une loi dangereuse qui va à l'encontre des fondements même de la démocratie. Nous énumérons un certain nombre d'éléments de la loi : introduction de procédures et de procès qui sont marqués par le secret; une définition de l'activité terroriste qui prête à des applications abusives; de larges pouvoir d'enquêtes et d'arrestation; un contrôle arbitraire de l'information et du secret; une absence de reddition de comptes rigoureuse et une intégration dangereuse de la loi au Code criminel. C'était une loi omnibus qui amendait une plusieurs autres lois.

En fait, la Loi antiterroriste, si on regarde dans les lois révisées du Parlement, nous n'en trouvons pas le texte. Vous trouvez une loi de quelques pages seulement, qui sont une énumération d'articles qui renvoient à des articles d'autres lois. Le simple citoyen ne peut s'y retrouver et ne peut pas connaître le contenu dans la Loi antiterroriste.

Notre première recommandation est à l'effet que la loi soit retirée parce qu'elle est inutile et comporte des dangers beaucoup trop grands pour les droits et libertés qui ne sont pas justifiés par l'efficacité ou le bienfait que l'on pourrait en retirer. La deuxième recommandation est d'encadrer rigoureusement l'exercice des pouvoirs de surveillance, d'intervention et d'enquête qui seront confiées au service du renseignement et de police et même ceux des ministres, que le déclencheur des interventions ne soit plus un simple soupçon d'activité terroriste, mais comme cela a été dans la tradition millénaire, des motifs raisonnables et probables de croire que quelque chose s'est produit; que des rapports d'activité des services de renseignement et de police soient préparés par des commissaires indépendants, que des sanctions soient prévues pour les abus et que les victimes d'abus aient des recours en dommage. Aux termes de la Loi sur les mesures d'urgence, une quinzaine d'articles sont consacrés à l'indemnisation des victimes éventuelles de cette loi.

M. Jean-Louis Roy, président, Droits et démocratie : Je suis accompagné de Mme Iris Almeida, que plusieurs des membres du comité doivent connaître.

Nous sommes heureux du travail du comité, un des rares lieux de réflexion d'ensemble sur les questions de sécurité et de protection des droits humains dans notre pays en ce moment. Nous nous présentons devant vous avec une perspective à long terme en nous demandant ce que nous cherchons à créer dans ce pays. Est-ce une culture des libertés? Est-ce une culture des droits humains ou est-ce plutôt une culture en réponse à la haine, à une intervention importante, massive à certaines dates de l'histoire qui expriment plutôt la haine? Nous sommes très profondément attachés à la Charte canadienne des droits et libertés. Notamment, à tous ses articles, mais surtout à l'article 15 sur l'égalité des citoyens. Voilà pourquoi, un peu plus tard, nous vous parlerons du profilage racial dans ce pays. Nous avions cru et nous croyons toujours que le Canada se devait — non pas par souci d'exemplarité un peu absolue ou de missions dans le monde, mais par rapport à la nature même de ce qu'est ce pays, de sa composition, de sa complexité actuelle et de sa complexité à venir par rapport aux communautés diverses qui font le Canada, de respecter le droit international des droits humains auquel, comme vous le savez, il a adhéré.

Je souhaite aborder beaucoup de questions. Nous sommes ici pour des questions extrêmement importantes. On ne peut pas tout résumer et tout dire en quelques formules.

[Traduction]

Premièrement, je soulignerai que l'examen de la loi et des politiques antiterroristes canadiennes comporte une importante dimension internationale. En outre, puisque nos préoccupations et nos obligations à l'égard des droits humains ont une portée internationale, il est essentiel que ce que l'on appelle notre approche équilibrée dépasse nos frontières.

Deuxièmement, je me demanderai si nous possédons les mécanismes appropriés pour analyser les menaces de façon permanente. Nous ne pourrons pas mesurer adéquatement la pertinence et l'efficacité de nos lois et de nos politiques antiterroristes, ni de nos énormes investissements, si nous ne possédons pas de l'information, des renseignements et une analyse fiable du contexte de la menace au Canada, en Amérique et sur la planète.

[Français]

La première question est la plus centrale que nous nous soyons posés, que nos partenaires et que les Canadiens se posent et je crois que ce comité et le gouvernement du Canada également doivent se poser. Quelle est aujourd'hui la nature de la menace qui apparemment, nous oblige à réagir? Est-ce la même menace qu'au 11 septembre 2001? Quels sont les éléments de cette menace qui ont évolué? Avons-nous réussi, en matière de contrôle, notamment, des réseaux de financement disait-on des groupes terroristes? Que signifie aujourd'hui, après quatre ans, le démembrement de certains réseaux dits « terroristes » et la liquidation de personnes qui, apparemment, étaient liées à ces réseaux?

Comment répondre à ces questions? Je suis fasciné de voir que la semaine dernière, un grand journal de Toronto ait obtenu un rapport que personne ne pouvait obtenir, en utilisant la Loi de l'accès à l'information. Ce texte qui normalement aurait dû être rendu public ne l'a été qu'après une sérieuse bataille. Le seul commentaire que nous ayons entendu sur ce texte nous est venu d'un policier américain stationné à Montréal.

Quelle est la nature de la menace? Qui peut nous informer correctement sur cette question?

[Traduction]

Troisièmement, je mettrai en doute la suffisance de nos mécanismes actuels de surveillance démocratique ainsi que les freins et contrepoids internes de nos nouveaux organismes, procédures et mécanismes liés à la sécurité.

[Français]

Je crois que nous devons absolument garder à l'esprit, dans les travaux que nous poursuivons tous et que nous sommes heureux de poursuivre avec vous aujourd'hui, qu'il y a eu dans le monde, sur ce continent et dans notre pays un accroissement considérable des pouvoirs et de l'autorité de l'État, dans un système où les contrepoids pour protéger les libertés sont restés à peu près les mêmes. Je suis fasciné par le fait que partout où on a réexaminé les législations antiterroristes cette question fut posée. Un investissement massif politique, législatif, institutionnel, financier à tout égard s'est effectué vers l'appareil de sécurité, alors que les contrepoids sont restés extrêmement fragiles.

Je vous donne en référence, par exemple, le rapport de la Commission 9/11 produit aux États-Unis. Ce rapport demande que soit créé, au sein du gouvernement et de l'administration américaine, un conseil.

[Traduction]

Il devrait y avoir un conseil qui examinerait toutes les lignes directrices que nous recommandons pour défendre nos libertés civiles.

[Français]

On retrouve ce genre d'initiative ici, aux États-Unis, en Angleterre et un peu partout dans le monde.

J'aimerais revenir à ces questions de surveillance qui sont au cœur même de notre mémoire.

[Traduction]

J'aimerais aborder la question du profilage racial.

[Français]

Au cours des derniers mois, nous avons été, à droit et démocratie, en lien avec toutes les commissions des droits de la personne au Canada, et ce à travers les provinces et territoires y compris le Nunavut. Cette question du profilage racial n'est pas une question secondaire, compte tenu de la diversité de notre pays. Le ministre de la Justice, Irwin Cotler, parle, avec raison, d'une démocratie multiculturelle. Une démocratie multiculturelle implique des choses très précises. Nous devons exercer de prudence face à tout ce qui touche, d'une façon ou d'une autre, l'article 15 et ce qui est profilage racial. Avant d'entrer dans de plus amples détails, j'aimerais faire le commentaire suivant.

[Traduction]

Je voudrais présenter un point très important en ce qui concerne les droits humains.

Il est fréquent, pendant des discussions sur les droits humains et la sécurité ou la lutte contre le terrorisme, de situer l'enjeu comme s'il s'agissait d'une question d'équilibre. Bien que je sois heureux que la question des droits humains soit soulevée, je crois que cette conceptualisation est faible et pose des problèmes pour un certain nombre de raisons que j'ai mentionnées au cours d'une présentation en mai 2004, incluse à l'onglet 2 de vos classeurs.

Au lieu de parler d'équilibre entre les droits humains et la sécurité comme s'il s'agissait de deux enjeux distincts, j'estime qu'il est plus efficace de parler d'intégration entre les droits humains et la sécurité.

M. Cotler n'est pas très loin de cette position lorsqu'il n'est pas lié entièrement par...

[Français]

Cependant, le ministre Cotler n'est pas tout à fait lié aux obligations du Cabinet. Il n'utilise pas l'expression « bridging » mais plutôt l'expression suivante.

[Traduction]

Il s'agit d'adopter une approche intégrée et englobante pour mesurer les incidences en matière de libertés civiles, et cetera. Au lieu de parler d'un équilibre, je pense qu'il est plus efficace de parler d'intégration.

[Français]

Au lieu de parler d'équilibre, nous pensons qu'il est préférable de parler d'intégration.

[Traduction]

Si nous approfondissons la métaphore de l'équilibre, je crains que nos efforts visant les droits humains depuis le 11 septembre 2001 soient déséquilibrés par rapport à nos efforts en matière de sécurité. Tel est le cas en ce qui concerne, premièrement, nos investissements financiers, deuxièmement, nos efforts de coordination, troisièmement, nos nouvelles structures politiques et administratives et, quatrièmement, nos activités multilatérales. Nous avons peut-être un discours équilibré à propos des droits humains et de la sécurité, mais, selon moi, l'équilibre fonctionnel et politique est faible.

Surtout, une démarche intégrée à l'égard des droits humains et de la sécurité ou de l'antiterrorisme recèle les meilleures chances de prévenir les violations des droits humains qui détruisent tant les individus, notre tissu social et les fondations de notre démocratie.

Dans la foulée du 11 septembre, presque tous les gouvernements ont rapidement réagi aux événements ayant eu lieu à New York, à Washington et en Pennsylvanie en mettant en place de nouvelles lois et politiques antiterroristes.

[Français]

La vérificatrice générale du Canada écrit en toutes lettres dans son rapport pour l'année 2004 que nous avons lancé cette machine en posant la question suivante à tous les groupes, départements et institutions susceptibles de jouer un rôle au titre de la sécurité : de quoi avez-vous besoin? à quoi rêvez-vous? Ces gens, dit-elle, ont répondu qu'il n'y avait aucun plan d'ensemble établi à l'origine.

La Commission 9/11, pour sa part, a indiqué à trois reprises dans l'introduction de son rapport que l'heure est à la réflexion et à la révision.

[Traduction]

Pour nous aider à traiter des enjeux de la lutte contre le terrorisme, nous bénéficions maintenant d'importantes décisions de la Cour suprême et de la Cour fédérale du Canada, de la Chambre des lords britanniques ainsi que de la Cour suprême américaine. Nous possédons l'analyse de la Commission 9/11. Les lois antiterroristes d'autres pays, y compris le Patriot Act des États-Unis, prévoient également un examen obligatoire et des dispositions de temporarisation; nous pouvons donc nous attendre à ce que des examens semblables à celui qui nous réunis aujourd'hui aient lieu.

Il y a un mouvement intéressant au sein des Nations Unies. Le Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité tient de plus en plus compte des préoccupations relatives aux droits humains dans ses résolutions. Et il tente d'établir des liens fonctionnels avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.

Je souligne le travail en cours dans d'autres importantes démocraties et organisations multilatérales pour trois raisons. D'abord, j'aimerais présenter l'une de nos principales recommandations au comité sénatorial spécial, selon laquelle il est essentiel qu'un mécanisme d'examen permanent des lois et des politiques antiterroristes canadiennes soit en place. Il est simplement prématuré d'affirmer que nous avons atteint un équilibre parfait pour l'avenir.

Il est à prévoir que nous pourrons tirer d'importantes leçons relatives aux procédures et à la gestion, notamment au sujet des arrestations préventives, des attestations de sécurité et du bon usage des renseignements personnels. Nous pouvons nous attendre à ce que des recherches soient menées sur le profilage racial et sur les types de formation visant à en prévenir les effets nuisibles. Nous prévoyons le rendu de décisions des tribunaux qui affirmeront nos valeurs fondamentales démocratiques ainsi que notre engagement en matière des droits humains. Il est impératif que le Canada se dote de mécanismes d'examen continu afin de bénéficier des leçons et des pratiques exemplaires internationales plutôt que de s'isoler dans sa propre bulle législative et administrative.

En outre, si je renvoie à la dimension internationale de l'étude actuelle, c'est parce que depuis le 11 septembre, nous avons vu apparaître un ensemble de nouvelles lois antiterroristes à l'échelle nationale qui comportent de nombreuses lacunes. Vous avez entendu, lors de précédents témoignages, des avocats du gouvernement expliquer une telle distinction relativement aux attestations de sécurité canadiennes, et ainsi justifier ce processus particulier, car les individus ciblés sont des immigrants qui désirent rester au Canada. Je discuterai des attestations de sécurité en détail plus tard, mais, dans l'immédiat, j'affirme qu'il est impératif que le Canada respecte les lois internationales relatives aux droits humains, aux motifs humanitaires et aux réfugiés, qui constituent les normes visant à combler les lacunes des lois antiterroristes nationales et à limiter la création de diverses catégories d'êtres humains.

[Français]

Les garanties juridiques à l'article 7 de la Charte canadienne, sont d'une matière quasi sacrée.

[Traduction]

J'aborde maintenant le troisième point que je désire souligner en ce qui concerne la dimension internationale. D'importants témoins ont fait référence au projet de loi C-36 comme la continuité du travail du Canada aux Nations Unies relativement à la douzaine de conventions antiterroristes que nous avons signées, mais non ratifiées, avant le 11 septembre, ainsi que le respect de nos obligations envers le Conseil de sécurité, par la suite. Pour nous, c'est très important.

Bon nombre de témoins ont mentionné la Convention internationale de lutte contre le terrorisme que nous avons signée. Je n'ai pas remarqué que l'on ait mentionné nos obligations internationales liées aux traités en matière de droits humains que le Canada a signés et ratifiés avant le 11 septembre, qui comprennent d'importants principes visant notre prétendue approche équilibrée. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, pour citer deux exemples, sont particulièrement pertinents.

[Français]

Je crois que nous devons nous entendre. Je crois que les Canadiens nous suivront. Il faudra qu'il y ait de vastes coalitions qui se forment après la révision de la loi, si le gouvernement ne nous entend pas. Il est inacceptable, et il ne sera jamais acceptable dans un pays comme le nôtre que nous trafiquions, que nous faisions des compromis sur ce qui est le cœur des droits de la personne, dans lesquels il y a la notion de torture.

Madame la présidente, nous comprenons que les mesures de sécurité exceptionnelles sont destinées à être temporaires. Nous aimerions que le gouvernement le dise plus clairement dans l'esprit de la Charte canadienne. Mon ami Philippe Robert de Massy vient de réclamer que la loi soi rayée de nos statuts. Nous demandons qu'il y ait quelque part, et rapidement, et d'une façon qui respecte l'esprit du plus grand texte auquel les Canadiens se réfèrent, s'agissant des droits et libertés, qui traduit leur compréhension et leur approfondissement de la question des droits et libertés, que s'il doit y avoir cette loi, sur des mesures de sécurité exceptionnelles, elles devront être temporaires et nous devons savoir quelle est la durée de ce temps.

Madame la présidente, j'aborderai une autre grande question : en vertu de quels critères évaluons-nous le contexte des menaces? Les mécanismes visant à fournir une évaluation et une analyse crédibles de la menace terroriste sont-ils en place? Le Centre intégré d'évaluation des menaces constitue une mesure importante et récente. À partir des renseignements existants, ce centre aidera véritablement l'analyse. Je voudrais demander au comité de s'assurer, premièrement, que nous connaissions la durée d'application des mesures de sécurité exceptionnelles. Deuxièmement, que nous nous assurions aussi que les mesures de sécurité normales soient appliquées. Il faut lire et relire, mémoriser si possible le rapport de la vérificatrice générale du Canada, avant les mesures exceptionnelles, il y a les mesures ordinaires qui doivent protéger les Canadiens et, manifestement, les mesures ordinaires, aujourd'hui, ne sont pas ce qu'elles devraient être. Vous savez ce qu'a écrit le New York Times, le 19 avril 2004, — Les attentats du 11 septembre ont semblé venir soudainement de nulle part. Maintenant, il apparaît clairement que les plus hauts échelons du gouvernement avaient été directement prévenus d'une possible attaque de Al-Quaïda et qu'ils n'ont pas assuré le suivi. Il y a les mesures ordinaires avant les mesures extraordinaires...

[Traduction]

« [...] que les évaluations des menaces fassent l'objet d'analyses critiques et d'examens par des administrations publiques externes aux institutions de sécurité et policières. »

[Français]

Il est impérieux qu'il y ait des lieux d'analyse et d'appréciation de nos politiques qui soient hors de l'établissement normal des appareils de police et des appareils de sécurité.

Nous estimons que ces évaluations doivent être faites régulièrement. Nous estimons qu'elles doivent être déposées au parlement et qu'elles doivent être communiquées au public.

Je prends deux minutes pour vous expliquer le cœur de notre rapport.

[Traduction]

Dans l'examen de la question sur la façon d'intégrer la sécurité et les droits humains, il est essentiel que nous évaluions les outils à notre disposition. Comme je l'ai mentionné précédemment, malgré le discours rassurant sur l'équilibre entre la sécurité et les droits humains, jusqu'à maintenant, nos investissements dans les nouvelles mesures de sécurité améliorées et efficaces, afin de répondre aux menaces à la sécurité actuelle, l'emportent largement sur nos investissements dans les nouveaux mécanismes améliorés et efficaces de droits humains. Lorsque l'on constate une telle asymétrie des investissements, nous devons nous demander si les droits humains sont véritablement valorisés.

[Français]

À la suite du 11 septembre, le Canada a engagé près de dix milliards de dollars afin d'améliorer notre sécurité. Ces politiques mettaient principalement l'accent sur l'accomplissement de la coordination entre les nombreux organismes et ministères concernés, un nouveau ministère de la sécurité public et de la protection civile, un comité du cabinet sur la sécurité, la santé publique et la protection civile, un conseil consultatif sur la sécurité nationale qui sera composé d'experts, un centre intégré d'évaluation des menaces, la politique de sécurité nationale comporte des affirmations rassurantes en permanence. Vous en avez entendu ici.

[Traduction]

Concrètement, la notion de surveillance démocratique sera mise en œuvre à l'aide de mécanismes tels que la Table ronde consultative transculturelle sur la sécurité, le Comité parlementaire sur la sécurité nationale et l'engagement du gouvernement à conduire le présent examen législatif. Maisest-ce que ces mécanismes de surveillance seront efficaces ou suffisants?

[Français]

Nous notons que tous ces mécanismes ont été plutôt annoncés que créés. Et lorsqu'ils ont été créés, ils ont été créés lentement et très récemment.

[Traduction]

La première réunion de la Table ronde consultative transculturelle a eu lieu en mars 2005. Le Comité parlementaire sur la sécurité nationale n'a pas encore été créé.

[Français]

Vous voyez, on fait des analyses extrêmement utiles. Vous avez sûrement lu le rapport du ministère de la Sécurité national, qui explique comment tout cela est complexe. On peut croire qu'il y aura beaucoup de temps avant que ce comité soit créé.

[Traduction]

Cette situation soulève un point important sur la façon d'imposer des mécanismes de surveillance démocratique qui soient fondés sur des politiques plutôt que sur des lois. Nous devons également étudier jusqu'à quel point ces examens et mécanismes de surveillance sont près des centres très secrets des nouvelles structures de sécurité. Auront-ils un accès complet à l'information?

Nous devons être conscients également de notre faible mécanisme de surveillance des déportations pouvant résulter du système d'attestation de sécurité. Nous avons entendu des témoignages de représentants du gouvernement affirmer qu'il incombait à Affaires étrangères Canada d'obtenir une certaine forme d'assurance diplomatique que les personnes déportées ne feraient pas l'objet de tortures ni d'autres violations des droits humains.

[Français]

En résumé, c'est inacceptable. Il est impensable qu'un pays comme le nôtre croit que la Syrie, l'Égypte et d'autres pays vont tenir leur parole alors qu'ils ont des traditions, des lieux de torture et la guerre au terrorisme, puisque cette expression est sans doute utilisée, on ne peut pas se fier.

Vous connaissez le rapport de Human Rights Watch qui a un chapitre très important sur le Canada, soit une analyse fine des assurances que le Canada a reçues d'un certain nombre de pays et qu'est-ce que réellement tout cela a signifié. Nous n'en faisons pas une recommandation formelle à la fin de notre rapport. Je voudrais en faire une recommandation plus significative, si possible. Il n'est pas question que le Canada, peu importe les circonstances — et il y a d'autres moyens que notre pays peut utiliser — extrade vers des pays qui utilisent la torture, des hommes ou des femmes qui se trouvent sur notre territoire.

Madame la présidente, je crois que nous devrions ensemble examiner la possibilité, dans cette optique de lier la sécurité et les droits humains.

[Traduction]

Il faut examiner la possibilité de créer des postes de haut niveau pour les spécialistes des droits humains dans tous les nouveaux organismes liés à la sécurité, dont le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, et aux côtés du conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale.

[Français]

Je veux absolument dire un mot au sujet du profilage racial.

[Traduction]

L'égalité et la non-discrimination constituent des principes fondamentaux des droits humains. Jusqu'à présent, nos efforts visant à assurer que le racisme ne s'infiltre pas dans nos pratiques antiterroristes semblent principalement rhétoriques. Le travail de la Table ronde consultative transculturelle ne fait que commencer. Comme je l'ai déjà mentionné, des rapports alarmants sur l'intimidation et la discrimination ont été rédigés.

J'ai trouvé très intéressant le document de consultation publié par la commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Permettez-moi de vous citer ce document :

Un certain nombre d'intervenants dans l'Enquête sur les faits ont soulevé des questions au sujet du profilage racial et ethnique au sein des communautés arabes et musulmanes dans le sillage du 11 septembre, soutenant qu'un tel profilage mine les droits à la liberté, la vie privée et l'égalité de beaucoup de Canadiens innocents. Dans le présent contexte, il y a au moins un risque supplémentaire que les membres des communautés arabes et musulmanes, y compris les immigrants récents et les non-citoyens, puissent se sentir peu enclins à porter plainte à propos de la conduite des autorités policières.

[Français]

C'est le coeur de la Charte et c'est le cœur du Canada. C'est l'article 15.

Madame la présidente, les conclusions et recommandations sont incluses dans notre rapport. Elles résument ce que je vous ai dit.

Le sénateur Kinsella : Je ne sais pas toujours par où commencer. Mais je vais commencer par M. Roy. Il y aux pages 21 et 22 sept recommandations dans votre mémoire. Plusieurs de ces recommandations sont restées sur l'hypothèse que le gouvernement va accepter un amendement à cette loi.

La section 145.1 prévoit que dans les trois années suivant la sanction de la présente loi, un examen approfondi des dispositions de l'application de la présente loi doit être fait par les comités du Sénat ou de la Chambre des communes. Mais après notre examen, c'est terminé. Le Parlement devrait faire des amendements à cette loi, si on prend en considération les mots exacts de cette section.

J'aimerais commencer parce que vous avez mentionné la théorie de notre collègue, le ministre de la Justice, M. Irwin Cotler. Je pense que la théorie de M. Cotler était basée sur une parodie fautive. Je suis de l'école qui dit qu'il y a une unité en ce qui concerne les droits de la personne. Le modèle de M. Cotler est dangereux, parce que le droit à la sécurité a une certaine priorité sur les autres droits.

Monsieur de Massy a mentionné l'article 4 qui fait allusion aux situations de la sécurité du pays. Dans ces circonstances, il y a une restriction très forte où il est fait mention que dans les situations où la vie même d'un État est en danger, l'État doit maintenir l'obligation de protéger, respecter et de promouvoir les droits. L'article 7 touche la droiture et jamais on ne pourra abroger cette loi.

On parlait aussi du profilage racial. Les pactes mentionnent qu'il n'y a aucune abrogation d'être libre ou de discrimination raciale ou linguistique. Prenons en considération les faits que le gouvernement du Canada a ratifié ces pactes avec l'appui écrit de chaque gouvernement du Canada et que toutes les provinces ont écrit une lettre voulant que le Canada doive ratifier les pactes. Il ne s'agit pas seulement du gouvernement fédéral.

Il y a une obligation très profonde du point de vue domestique. C'est la norme que nous devons suivre. À mon avis, ce projet de loi a été adopté dans des circonstances tragiques. Maintenant, quatre ans après, les circonstances ont bien changé. Peu importe si cela a changé ou non, on doit suivre la norme et cela, c'est la norme. Monsieur Roy, vous avez posé la question de savoir ce qu'est la nature de la menace terroriste actuelle. J'aimerais donc vous demander quelle est votre réponse à cette question de la nature de la menace actuelle pour le Canada et aussi pour nos voisins. Également, si nous devons faire des amendements, jusqu'à quel point sommes-nous obligés d'utiliser la norme, les principes et les droits bien acceptés dans le droit international, dans cette révision de la loi?

M. Roy : Vous me posez beaucoup de questions en même temps. Je vais essayer de vous répondre. Sur le premier point, je fais confiance à votre comité. Vos recommandations sauront être suffisamment fortes pour convaincre le gouvernement d'amender la loi. Et si, à votre tour, vous avez besoin de nous, nous serons à vos côtés. La loi doit être amendée et on doit y inclure des mécanismes de révision permanente. Cela n'aurait pas de sens que nous disions, entre nous, que pour les cinq, pour les huit ou pour les dix prochaines années, dans l'infini du calendrier, cette loi est immuable. Vous l'avez dit, M. Philippe Robert de Massy l'a dit aussi, la réalité du monde change profondément.

Tout à l'heure, j'ai cité M. Cotler, non pas nécessairement pour me rallier à ses théories, mais comme amicus curiae pour notre propre thèse. Je crois que cette idée de dire que c'est d'abord la sécurité et avant tout la sécurité est une idée pernicieuse. Il faudrait dire : d'abord et avant tous les droits humains qui comprennent la sécurité. La sécurité est un droit humain. La vie, l'intégrité physique, la sécurité, c'est ce que disent tous les grands textes internationaux. Dire que c'est la sécurité qui domine désormais? Malheureusement, c'est ce que je pense.

On a fait un effort sécuritaire énorme. Il y avait les pressions continentales, il y avait les émotions du moment, il y avait les risques dits internationaux, et cetera. Je me demande si nous ne sommes pas en train de donner une sacrée victoire aux terroristes. Nous sommes sur leur terrain et ils ne sont pas sur les nôtres. Je trouve cela particulièrement inquiétant.

Sénateur Kinsella, à propos de ce que vous avez dit sur l'article 4 du protocole, on ne va pas débattre sur cela parce qu'on a un accord profond entre nous, et je le savais, sur l'idée qu'il n'y a pas de degré sur ce que contient cet article.

Quelle est la nature de la menace? Je voudrais pouvoir vous répondre. J'ai été frappé lorsque vos collègues du Sénat, les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense ont fait leurs travaux et ont indiqué, dans leur rapport, comment ils n'ont pas eu la collaboration des gens qui détiennent cette information chez nous. Ils ont dit comment ils ont été incapables d'avoir accès, sinon aux personnes, en tout cas aux documents et à l'information véritable.

Ce n'est pas moi qui vais ici vous dire quelle est la nature de la menace, mais je vous dirai cependant une chose. Une partie de la nature de la menace, je crois, est expliquée dans le rapport du PNUD sur l'état du monde arabe. Je crois qu'on doit lire et relire ce rapport. Il nous dit que 1,8 p. 100 des gens de cette grande région du monde ont accès à Internet. Le produit national brut de tous les États arabes est inférieur à celui de l'Espagne, qui compte pour 14 p. 100 de l'ensemble des pays arabes. Il y a régression dans la fréquentation scolaire à tous les niveaux, sauf dans les écoles religieuses.

Il se trouve que c'est dans le mandat de notre organisation, Droits et démocratie, d'avoir des activités de plus en plus dans ces régions du monde; au Proche-Orient, au Moyen-Orient et au Maghreb.

Je pense qu'une partie de la menace est aussi là; lorsqu'il y a 55 p. 100 des diplômés universitaires, que ce soient des jeunes hommes ou des jeunes femmes au Maroc, qui n'ont pas d'emploi et pour lesquels on ne voit pas comment ils en auront un lié à leur formation, et ce aussi loin qu'on puisse voir dans le temps. Je n'ai pas de réponse, honorables sénateurs, à savoir quelle est la nature de la menace, mais votre question me fait penser à ce rapport.

M. de Massy : Je voudrais d'abord que mon collègue vous présente ses expériences récentes, qui vont intéresseront.

M. Denis Barrette, avocat, Ligue des droits et libertés : Je vais me permettre de répondre en partie à votre question et à votre préoccupation de ce que j'appelle le « no pasaran » des droits fondamentaux du cœur — ce que mon collègue appelait « the core human rights ».

J'étais à Genève la semaine dernière au comité contre la torture qui examinait le quatrième et le cinquième rapport du Canada, pour entendre de mes deux oreilles le représentant du Canada dire qu'on reconnaît que la position du Canada, quant au caractère exceptionnel de l'arrêt Suresh, du renvoi d'une personne vers la torture, est complètement incompatible avec la Convention sur la torture. Par la suite, le représentant du Canada ajoute que, toutefois, il faut comprendre que, dans certains cas, on doit faire une pondération entre les droits de l'État, la sécurité nationale et les droits de l'individu. Il n'a pas terminé sa phrase, mais il devait s'agir des droits de l'individu à ne pas être torturé.

Pourtant, en droit international, on le sait très bien, c'est un « no pasaran », la protection contre la torture. Qu'il s'agisse de guerre, d'épidémie, de crise nationale, s'il y a une chose qu'on ne peut pas faire, c'est la torture. Je crois que, au-delà du débat et du rapport que le comité va présenter vendredi prochain, le comité va probablement faire un blâme au Canada concernant le critère de l'arrêt Suresh de la Cour suprême.

Je crois que cette histoire nous apprend deux choses. La première, d'après moi, cela démontre que nous avons tous une énorme responsabilité de ne pas plier à la mentalité du « tout sécuritaire » pour en arriver à des raisonnements semblables, qui font que l'on pondère les droits de l'individu à ne pas être torturé avec les droits de la sécurité nationale.

Deuxième leçon — il y en a d'autres mais je fais court — nous avons tous une énorme responsabilité, que ce soit les organisations de défense du droit ou les parlementaires, surtout à cette époque, de mettre de l'avant les droits et libertés de la personne, car il ne faut pas attendre que la Cour suprême nous dise, article par article, sur un texte — vous l'avez sûrement vu, sénateur Kinsella — de 170 pages, alinéa, par alinéa — et cela va prendre 20, 30, 40 ou 50 ans, et on ne sait combien de victimes, de Maher Arar, qui en pâtiront jusqu'alors — que tel article est conforme à la Charte des droits et libertés et tel autre ne l'est pas, et ce malgré un jugement de la Cour suprême, car la Cour suprême a le droit de se tromper. Malgré cela on va se retrouver avec des condamnations des organisations internationales. Nous avons tous une énorme responsabilité, particulièrement vous en ce moment car vous révisez la Loi antiterroriste, et on ne doit pas attendre les jugements des tribunaux pour nous dire que les droits et libertés doivent primer.

Le sénateur Kinsella : L'examen du rapport du Canada est ouvert, n'est-ce pas?

M. Barrette : C'était ouvert.

Le sénateur Kinsella : Il a été publié dans la documentation des Nations Unies. En d'autres mots, il sera accessible au comité?

M. Barrette : Oui.

Le sénateur Kinsella : Il y aurait peut-être lieu, madame la présidente, pour notre recherchiste d'obtenir copie de tous les documents concernant ce témoignage très important, à mon avis, sur la torture.

M. Barrette : Le rapport va être déposé vendredi prochain. Toutefois, aucun greffier n'a enregistré les témoignages, mais les gens sur place ont entendu ce que je vous relate. Le rapport quant à la torture risque de ne pas faire plaisir au gouvernement canadien, malheureusement.

Le sénateur Kinsella : Merci.

[Traduction]

La présidente : Nous allons essayer de l'obtenir.

[Français]

M. de Massy : J'aimerais ajouter une remarque. Je veux enchaîner sur ce que vient de dire mon collègue, à savoir qu'il ne faut pas attendre après les jugements des tribunaux. Il est très important de dire qu'il y a eu une tendance, dans les dernières décennies, de la part du législateur de s'en remettre aux tribunaux sur des questions délicates, que ce soit des questions d'avortement ou autres, de se dire que de toute façon, les tribunaux nous diront si ce qu'on fait est correct ou non. Il faudra qu'un jour les parlementaires adoptent une attitude beaucoup plus proactive à l'égard des principes fondamentaux et fondateurs de notre société.

Comme je suis tout à fait d'accord avec les propos du sénateur Kinsella, je n'aurais pas pu le dire aussi bien que lui. Il s'agit de l'essentiel et on ne peut pas sacrifier l'essentiel, sans compter à quel point c'est coûteux pour le citoyen de contester et de faire valoir son droit. Par exemple, sur la Chambre des lords, en décembre dernier, les juges se sont montrés extrêmement prudents lorsqu'il s'est agit de contredire le Parlement sur l'évaluation qu'il avait fait de l'état d'urgence.

Si le Parlement décide qu'on est en état d'urgence permanent, les chances sont très fortes que les tribunaux diront que c'est un jugement, qu'ils ne sont pas aussi bien placés que les parlementaires pour en juger. Par exemple, le jugement de la Cour suprême de l'année dernière sur Air India est la seule interprétation d'une disposition de la Loi antiterroriste que nous ayons jusqu'à maintenant de l'affaire du Vancouver Sun. Les juges ont été extrêmement prudents et n'ont pas du tout remis en question l'urgence.

Pour terminer, je vous rappellerais simplement deux choses : premièrement, les propos du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, à Madrid, il y a quelques semaines, où se tenait un Sommet sur le terrorisme. Si ces propos ne font pas encore partie du corpus des recherches du comité, je vous suggère de les intégrer à vos considérations ainsi que le rapport — extrêmement riche et important — du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement.

Ce texte a été rendu facilement accessible sur le site du Secrétaire-général des Nations Unies, à la demande de Kofi Annan. Nous y faisons allusion dans notre mémoire. Ce site représente un des endroits parmi lesquels nous avons trouvé une réflexion très riche sur les menaces qui planent actuellement sur la tête d'une grande partie de l'humanité et qui sont bien différentes de celles du terrorisme, sans vouloir minimiser d'aucune façon le risque que le terrorisme représente.

Le Secrétaire-général des Nations Unies a dit, à Madrid, que les spécialistes des droits de l'homme, y compris ceux du système des Nations Unies, considéraient tous sans exception que nombre des mesures qu'adoptaient actuellement les États pour lutter contre le terrorisme constituaient une atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Il a également dit que le respect des droits de l'homme non seulement était compatible avec les stratégies de lutte contre le terrorisme mais qu'il en était un élément essentiel.

Pour comprendre ce qu'il veut dire, il faut penser à l'ensemble des droits de l'homme, y compris tout ce à quoi M. Jean-Louis Roy vient de faire allusion : non seulement le droit à l'égalité, le droit de ne pas être victime de discrimination, mais tous les droits économiques et sociaux sur l'ensemble de la planète.

Le sénateur Joyal : Je vais d'abord m'adresser àMM. de Massy et Barrette. J'avais la conviction, en écoutant votre présentation d'ouverture, que fondamentalement vous aviez adopté une conclusion tellement large en demandant que la loi soit retirée — c'était votre première conclusion — que je me demandais, et je m'excuse d'être très direct, si elle était réaliste dans le contexte actuel. Je suis de ceux qui sont très critiques sur certaines dispositions de la loi telle qu'elle est formulée, mais il y a quand même dans le préambule de la loi une référence très immédiate à la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 5 du préambule dit :

Le Parlement du Canada reconnaissant que le terrorisme est une question d'intérêt national, tout en continuant à promouvoir et respecter les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et les valeurs qui la sous-tendent.

Je vous accorde en bon juriste que le Pacte international des droits de la personne n'est pas mentionné. Mais il y a au moins une référence très directe et très claire sur la Charte et les valeurs qu'elle sous-tend et que ces valeurs sont aussi reflétées dans le Pacte international et dans les grands instruments internationaux auxquels le Canada est lié.

La vigueur des droits dans une société n'est-elle pas finalement fonction de son niveau de conscience démocratique et de sa vigueur démocratique? Par la suite, dans votre réponse au sénateur Kinsella, vous avez nuancé votre approche en disant que notre culture de droit s'est peut-être transformée en une culture juridique, c'est-à-dire que dès qu'on a un problème avec la Charte, on cherche recours auprès des tribunaux, alors qu'à mon avis, une culture de droits est d'abord enracinée dans une culture démocratique. C'est d'abord dans la vie démocratique d'un pays, d'une nation, que les droits sont respectés et reconnus, qu'il y a une sorte de sensibilité de la population, des citoyens au respect spontané des valeurs qui sont exprimées dans la Charte. Au Canada, parce qu'on vit avec une Charte des droits et libertés depuis peu, 20 ans environ, on a beaucoup insisté sur l'approche juridique. Il y a au-delà de 500 causes, jugements et décisions de la Cour suprême reliés à la Charte, et la profession juridique et les institutions canadiennes ont souvent référé à la cour parce que très souvent le politique ne voulait pas prendre la décision d'interpréter, comme le dit la Cour suprême, de manière à corriger des anomalies et à définir une orientation.

C'était dans la fameuse cause de Southam, en 1984, que le juge Dickson, si je me souviens bien, avait dit :

[Traduction]

«La Charte a un objectif réparateur et téléologique.»

[Français]

Cela signifie que la Charte est là pour corriger des situations antérieures et en prévenir d'autres dans l'avenir. La Cour suprême a reconnu deux objectifs dans la Charte. Si c'est le cas, on ne peut pas — comme vous l'avez mentionné dans votre réponse au sénateur Kinsella — s'attendre à ce que les tribunaux soient la dernière réponse à tous les défauts de nos lois. La démocratie, — c'est-à-dire le Parlement lui-même, la Chambre des communes, le Sénat —, de manière quotidienne et constante, doit s'assurer que les dispositions de la Charte et les valeurs de la Charte et des instruments internationaux sont garantis. Je suis non pas étonné — à mon âge, on n'est plus étonné — mais plutôt perplexe devant le fait que les conclusions de votre présentation écrite n'ont pas suffisamment mis l'accent sur le fait que l'on ne peut pas tout changer dans la loi parce certaines choses ne seront pas changées. Une partie de la loi met en application des instruments internationaux promus par les Nations Unies et nous sommes d'accord sur cette partie. Les dispositions de la loi traitant plus particulièrement du Code criminel, qui nous semble outrancière après un certain nombre d'années d'application, n'est-ce pas en renforçant les mécanismes de révision de la loi, l'appareil pour prévenir des abus? L'exercice que nous faisons est typique de la vie démocratique.

Vous êtes là, vous dites ce que vous pensez. Les caméras sont là et les parlementaires s'interrogent et se souviennent de vos propos d'il y a trois ans. Vous revenez. On essaie d'assurer une étude très introspective des implications. N'est-ce pas là le plus grand service à rendre aux droits et à la démocratie que de renforcer les capacités du Parlement et, par le fait même, la conscientisation de l'opinion publique sur les droits que simplement retirer la loi parce qu'il y a des trous dedans? On ne peut pas, demain matin, faire abstraction du continent, comme le mentionnait le sénateur Stratton ce matin. On vit en Amérique du Nord. Les Américains ne sont pas loin et ils sont en guerre. Il y a une réalité incontournable que je n'aime pas, mais je suis obligé de composer avec cette réalité. N'est-ce pas ce qu'on devrait viser dans un premier temps?

M. de Massy : C'est une loi omnibus qui a amendé une foule de lois.

À la page 28 de notre mémoire, on disait qu'elle était incorporée à l'ensemble des lois et elle a modifié de nombreux articles fondamentaux du Code criminel et aussi de lois importantes à d'autres lois comme la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi de l'accès à l'information. C'est un immense corps étranger avec d'infinies ramifications. Nous tenons beaucoup à l'expression utiliser. Nous n'avons pas le choix, cette loi agira comme un cancer dans toutes nos lois si elle n'est pas retirée telle qu'elle est.

Faut-il songer à formuler une loi anti-terroriste qui soit autonome? Je n'ai pas de réponse à vous donner par rapport à l'autonomie. Aux États-Unis, c'est une loi autonome et en Angleterre aussi. Ici, c'est une loi qui s'est infiltrée dans toutes les lois et qui a apporté des modifications au Code criminel, qui sont extrêmement délétères. Elles viennent atteindre des principes qu'on pensait absolument sacrés par rapport à certains droits de personne interpellée, emprisonnée. J'aimerais vous donner la possibilité d'entendre Me Denis Barrette à ce sujet.

M. Barrette : Évidemment, la Ligues des droits et libertés a souvent eu dans le passé une position radicale. On demande effectivement le retrait de la Loi antiterroriste. Cette loi s'infiltre dans toutes nos lois, en grande partie dans le Code criminel, la Loi sur la preuve dont elle modifie tout le déroulement des procès et même de l'enquête publique Maher Arar qui a été suspendue, la Loi sur l'information, et cetera et d'après nous, elle n'est pas nécessaire. On ne nie pas qu'il puisse y avoir des problèmes reliés au terrorisme. On ne nie pas qu'il faille faire la lutte au terrorisme. Le questionnement est à savoir si on a utilisé les moyens déjà existant pour lutter contre le terrorisme. Pourquoi ne pas les utiliser? Après trois ans, quel est le résultat de la Loi antiterroriste? À quoi a-t-elle vraiment servi? Sauf à conforter des mentalités du tout sécuritaire. J'en viens à votre autre aspect, les mécanismes de surveillance. C'est une préoccupation que la Ligue des droits et libertés ainsi que tous les organismes de défense des droits humains partout au monde ont; la nécessité d'un mécanisme de surveillance des mesures antiterroristes. Si je prends le Canada, il n'y a pas seulement la Loi antiterroriste, il y a tout le partage d'information, la multiplication des bases de données qui a entre autres comme résultat des histoires comme celle de Maher Arar qui suite au partage d'information entre le Canada, la Syrie et les États-Unis, un Canadien s'est retrouvé à vivre ce qu'il a vécu. Qu'est-ce qui fait, qu'aujourd'hui, on ne puisse pas corriger les informations données, peut-être fausses, par les agences canadiennes au FBI? Moi, Denis Barrette, je n'ai aucun ou très peu de moyens de corriger ces informations au Canada si cela touche la sécurité nationale, j'en ai encore moins si les informations sont entre les mains du FBI.

Je suis parfaitement d'accord avec le sénateur Joyal lorsqu'il dit que la Charte canadienne des droits et libertés appartient àtous. Je vais vous lire une citation de la Cour suprêmede 2003, Nouvelle-Écosse c. Martin.

La Charte n'est pas un texte sacré que seuls les initiés des cours supérieures peuvent aborder. C'est un document qui appartient aux citoyens et les lois ayant des effets sur les citoyens ainsi que les législateurs qui les adoptent doivent s'y conformer.

La Cour suprême nous dit qu'il faut se préoccuper de la Charte des droits et libertés en amont avant de promulguer et de reconduire des lois. Il est de notre responsabilité à tous, les citoyens et les politiciens, de mettre la Charte des droits et libertés en avant.

Quant à la possibilité de mécanismes de révision des lois antiterroristes; on est d'accord, mais on croit que le mécanisme précis est peut-être à trouver. Il y a très peu de publicité aux comités sénatoriaux. On comprend que c'est public, les comités sont télévisés mais on croit qu'il devrait y avoir un débat très large auprès des citoyens d'éducation sur les droits et un véritable débat sur la menace.

Quant aux préoccupations de gouvernements occidentaux, suite aux événements du 11 septembre 2001, suite aux lois antiterroristes, les gouvernements ont déposé 207 rapports un an après la résolution 1373 du Conseil de sécurité.

Dans la même année, on a pu compter plus de 1 400 rapports sur les droits de la personne qui n'avaient pas encore été remis par les États.

On peut donc se demander quelle est la préoccupation réelle pour les droits de la personne depuis 2001.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Je vous remercie pour tous ces mémoires et ces livres. Je voudrais également reconnaître le rôle de Iris Almeida, qui s'occupait déjà de cette question bien des années avant que le terrorisme devienne un problème aussi grave.

J'ai deux questions dont l'une concerne la conciliation des divers droits, dont nous parlions tout à l'heure. Je croyais à ce concept de l'équilibre des droits, car la sécurité est un droit, la liberté d'expression est un droit, la protection contre la torture est un droit. Dans notre société, lorsqu'il y a plusieurs droits en jeu, nous devons toujours essayer de trouver un équilibre. Le problème c'est la manière dont le gouvernement a énoncé le problème après le 11 septembre, en disant que pour protéger notre sécurité, nous devons renoncer à certains droits. Plutôt que de comprendre que la sécurité est un droit, qu'elle est un des droits que nous devons constamment mettre en équilibre, il a convaincu les Canadiens qu'ils devaient renoncer à certains droits humains afin de protéger leur droit à la sécurité. Ai-je raison?

[Français]

M. Roy : Je crois que vous avez répondu à la question. Je fais le parallèle entre votre question et celle posée par le sénateur Joyal à M. de Massy au sujet de la citoyenneté.

La forte impression qui règne aujourd'hui dans notre pays est qu'une partie de nos droits a été retranchée pour des raisons de sécurité. Je ne sais pas comment on peut changer cette impression à partir de la loi, telle qu'elle est, et des montages institutionnels et budgets consentis tels qu'ils sont.

[Traduction]

Sur la foi de ce que je viens de dire, les gens ont l'impression qu'on a dépensé beaucoup d'argent. Nous avons préparé une nouvelle loi et nous avons créé de nouvelles institutions. Le résultat final n'est pas un équilibre entre les droits et la sécurité. Nous avons, d'une part, toutes nos ressources, ou beaucoup de ressources à long terme, et une nouvelle coopération internationale. D'autre part, pouvez-vous me citer un seul exemple de mécanisme de surveillance obligatoire, un vrai, que nous ayons créé au cours des trois dernières années — un mécanisme qui soit indépendant, qui puisse fonctionner de manière impartiale, qui ait les ressources nécessaires, qui est efficace, assujetti à des délais, redevable au gouvernement, représentatif des Canadiens et qui a accès à toute l'information?

Le sénateur Joyal : Nous avons la vérificatrice générale.

M. Roy : Nous n'avons pas créé le bureau du vérificateur général au cours des trois dernières années.

[Français]

Ce peut être une question de perception. Je respecte votre position, sénateur Andreychuk, sur la notion d'équilibre. Toutefois, si nous gardons cette philosophie et cette optique, nous allons finalement accréditer la thèse d'équilibre plutôt que celle du lien entre les droits et la sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : C'est exactement ce que j'essayais de dire. D'une manière ou d'une autre nous avons commencé à considérer la sécurité comme une question à part alors que dans le passé la sécurité était traitée comme un des droits de la personne. Nous risquons d'en arriver à considérer la sécurité comme étant autre chose qu'un droit. Le problème, c'est l'obligation de rendre des comptes, et pas seulement dans cette loi. Les projets de loi que nous avons adoptés récemment ont eu un effet cumulatif. Nous étudions la Loi antiterroriste, mais notre comité a dit qu'il fallait revoir toutes les autres lois qui ont été adoptées. Votre question demandant si ces autres lois contiennent des mécanismes de surveillance s'applique également à cette loi-ci.

Est-ce que nous souffrons également du fait que nous n'avons pas intégré dans notre loi les lois internationales en matière des droits de la personne? Pendant longtemps, nous nous sommes félicités parce que nous avions signé et ratifié des traités, mais nous n'avons pas franchi l'étape suivante qui consiste à inscrire ces traités sur les droits de la personne dans nos propres lois de manière systématique. Par conséquent, ce que nous faisons ici au Canada n'est pas conforme à nos obligations internationales. Cela semble plus évident par rapport au terrorisme. Est-ce un des problèmes que nous devons corriger? Ce serait un mécanisme de surveillance différent. Ce serait une façon de rendre nos obligations internationales contraignantes et cela permettrait aux citoyens de mieux comprendre nos obligations et, par conséquent, nos droits internationaux.

[Français]

M. Roy : Il m'arrive très souvent, sur cette question, d'être presque virulent. À mon avis, une grande démocratie et un État fédéral comme le nôtre ne peuvent se permettre de demeurer inactif. Les autres États fédéraux ont travaillé cette question politique compliquée. Certes, le travail ne sera peut-être jamais complété. Toutefois, nous ne feront pas avancer la situation de notre pays si nous ne trouvons pas, entre l'État fédéral, les États provinciaux et les territoires, un corridor sur les questions de droits humains permettant d'aller aussi loin que vous l'avez souhaité, c'est-à-dire l'inclusion dans les législations nationales et les obligations que nous avons signées, par ailleurs.

Depuis deux ans et demi, depuis que je suis à Droits et Démocratie, j'ai assisté à toutes sortes de conférences et il m'a été permis d'observer les pires raisonnements faits par des Canadiens afin de justifier cette situation. Par exemple, il existe un certain nombre de conventions du Bureau international du travail que nous n'avons pas signées. J'ai entendu récemment certains commentaires voulant que les provinces se posent la question suivante : Pourquoi signerait-t-on? Nous sommes plus avancés que la plupart des pays du monde.

Si nous refusons de signer toute convention où, à notre avis, nous avons fait des progrès supérieurs aux autres, aucune convention internationale ne tiendra, car chaque pays aura l'impression d'avoir été en avance sur un point ou un autre.

À partir du moment où un grand régime fédéral comme le nôtre cesse de bâtir, on prend le risque qu'il se fissure et qu'alors se pose un véritable problème. On doit faire en sorte que les politiques prennent leurs responsabilités. Il ne faut pas hésiter à poser cette question difficile et complexe. On ne trouvera sans doute pas la réponse demain matin, mais nous ne pouvons ignorer la question.

J'aimerais ajouter un commentaire en réponse à la question du sénateur Joyal sur la citoyenneté. Je partage votre affirmation de base que les droits s'exercent d'abord par une citoyenneté forte et vigilante. Nous sommes dans un pays de débat et de formation. Mais il faut voir l'état de pauvreté extrême — sauf peut-être pour l'Ontario — dans lequel se trouvent les commissions des droits dans ce pays. Je les ai toutes visitées. C'est scandaleux, il faut le dire. Quels sont les programmes coupés? Ce sont les programmes d'éducation, de formation, de sensibilisation, et ce dans un pays où, dans la plus grande ville, 50 p. 100 des citoyens ne sont pas d'origine canadienne. Ces citoyens ont besoin, pour connaître la loi, qu'on s'adresse à eux dans leur langue et dans des forums qui leur sont réservé.

Nous ne le faisons pas. Cette citoyenneté éclairée à laquelle le sénateur Joyal fait référence, elle se construit aussi, et j'ai bien peur qu'en ce moment, notamment par rapport aux nouveaux Canadiens, ils sont de plus en plus nombreux et tant mieux, et par rapport aux plus jeunes générations, nous nous éloignons de cette citoyenneté éclairée.

M. de Massy : Si le temps le permet, j'aimerais ajouter quelque chose.

[Traduction]

Votre façon de poser la question est intéressante, sénateur Andreychuk. L'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés contredit légèrement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans ce cas particulier, il serait peut-être important que le législateur se rappelle qu'il y a un pari, si j'ose dire.

Lorsque la Loi antiterroriste a été adoptée, on a considéré qu'il s'agissait d'une mesure légitime dans une société démocratique en vertu de l'article 1 du Pacte international. Il y a de bonnes chances pour que les tribunaux l'interprètent ainsi et l'acceptent, quoiqu'elle porte atteinte de manière importante au Pacte international. Mon collègue a mentionné le fait que le Comité contre la torture, y compris le représentant canadien, n'était pas du tout certain de la qualité de l'interprétation des droits de la personne telle qu'énoncée par la Cour suprême dans une affaire d'extradition.

Eh bien, en réponse à votre question, depuis 1948, nous avons constaté à quel point il est difficile de concilier les droits de la personne et l'organisation des sociétés humaines de manière à ce que tous les droits puissent être exercés, tout en maintenant le droit de se protéger contre le terrorisme, le droit à la sécurité, à l'eau, à la nourriture, à une existence convenable et à la liberté d'expression. Je n'ai pas apporté le document, mais il en est question à l'article 6 de la déclaration finale d'un sommet des Nations Unies tenu à Viennes en 1983, dont vous avez entendu parler.

[Français]

L'indissociabilité, l'interdépendance de tous les droits de la personne, c'est le grand défi. Il faut trouver des solutions, y compris, lors de la lutte contre le terrorisme. Le secrétaire général, Kofi Annan, disait que l'ONU doit lutter contre le terrorisme, doit continuer d'insister pour que dans la lutte contre le terrorisme nous ne compromettions pas les valeurs essentielles. Il faut, en particulier, toujours respecter les droits de l'homme et la primauté du droit. Il me semble que le terrorisme est en soit une atteinte directe aux droits de l'homme et à l'État de droit. Si nous sacrifions les droits de l'homme et la primauté du droit dans les mesures que nous prenons, « nous faisons précisément le jeu des terroristes ». Je trouve que cette phrase est vraiment très songée. Elle devrait être pour nous tous un enseignement.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Je tâcherai d'être bref. Monsieur Roy, je vous renvoie à votre troisième recommandation dans la version anglaise, car le mot en anglais a un sens différent. Vous dites que le Parlement devrait effectuer des rapports publics sur le contexte changeant des menaces et sur son évaluation du travail dans nos appareils de sécurité.

[Français]

Le mot « threat » n'est pas un mot neutre. C'est un mot qui fait référence à toute la psychologie des politiques de défense après la Seconde Guerre mondiale. Nous avons résolu un conflit pour rentrer dans un autre, tout aussi important, et avec des implications pour la liberté toutes aussi importantes. Nous n'avons qu'à penser aux États-Unis, comment la menace soviétique a été récupérée par l'aspect politique pour finalement donner prise à toute sorte d'initiatives et « de mesures de protection de la liberté », qui ont mené à des initiatives que nous déplorons, aujourd'hui, sur une base de jugement historique.

Est-ce que, finalement, le débat public sur la menace n'est pas la meilleure garantie que nous pouvons apporter à la protection des droits et libertés?

[Traduction]

Si j'ai bien compris, vous pensez qu'il faudrait qu'il y ait un centre d'évaluation des menaces. J'espère que vous ne nous proposez pas de créer un organisme international indépendant du Parlement qui serait chargé de mesurer le niveau de menace et de présenter régulièrement des rapports au Parlement si la menace s'aggrave dans un aspect ou un autre de la réalité internationale.

[Français]

Je crois que ce débat public sur les implications de ce langage est beaucoup plus nocif, beaucoup plus une menace aux droits et libertés que toute autre chose.

Je ne suis pas antiaméricain, pas du tout, cependant, en regardant évoluer la situation américaine depuis le 11 septembre 2001, nous ne pouvons pas nous empêcher de voir qu'à tous les deux ou trois mois, on montait le commutateur de la menace au rouge, au jaune ou encore au blanc. Quand on avait l'impression que l'opinion publique semblait devenir critique à l'égard de l'appui aux mesures proposées, on remontait le commutateur. Et depuis la dernière élection, le commutateur est disparu du radar. Il ne semble plus que la menace est si importante depuis qu'il y a une nouvelle administration.

Je dois vous avouer que je suis un peu perplexe devant une situation comme celle-là. Il ne fait aucun doute qu'au Canada, la menace est moins immédiate dans la vie des Canadiens, parce que le gouvernement canadien, depuis les cinq dernières années, n'a pas joué avec le commutateur de la menace. Il semble que nous avons pris des responsabilités, le gouvernement a pris des mesures. Nous pouvons critiquer des mesures, dire que la loi n'est pas bonne, mais cela n'a pas été fait dans un contexte de propagande psychologique des citoyens, de leur dire de mettre du ruban masque sur leurs fenêtres parce que la menace était devenue telle que nous aurions une guerre bactériologique pour demain matin. Je ne sous-estime pas la possibilité que cela arrive au Canada, au contraire, parce que le Canada est une société tellement libre et perméable. Par ailleurs, il faut reconnaître que nous avons exploité la menace surtout aux États-Unis, plus que nulle part ailleurs. Vous vous souvenez de ces déclarations selon lesquelles tous les terroristes du 11 septembre sont venus du Canada et ont tous traversé la frontière pour se rendre à New York ou à Boston, enfin à Washington ou ailleurs. Nous nous rendions bien compte que tout cela était une présentation qui visait un but politique. Nous ne pouvons pas faire abstraction du débat politique, quand nous devons évaluer les implications des mesures que nous prenons au niveau des droits et libertés des personnes.

Si le Parlement doit faire une évaluation, comme vous le suggérez, et qu'il doive effectuer des rapports publics sur le contexte changeant des menaces, ou de la menace des forces du bien contre celles du mal, est-ce qu'on ne manque pas fondamentalement à notre devoir de responsabilité publique lorsqu'on nourrit ce système que tout le monde utilise à son avantage et que l'on se serve de cela pour forcer le politique à céder plus de pouvoirs pour protéger son intégrité d'état qu'en pratique il devrait en avoir, compte tenu de l'étendue réelle de cette menace qui nous pèse sur la tête?

M. Roy : Il nous faudrait beaucoup plus de temps pour répondre à cette question passionnante à savoir quelle est la nature de la conversation que nous avons au pays entre citoyens, comparativement à la conversation que les Américains ont entre eux et quels sont les intrants publics et les intrants politiques, notamment des gouvernements.

Je ne suis pas sûr de bien vous suivre sur tous les points que vous soulevez. Je vous suis largement sur ce que vous avez dit par rapport à la pression que le gouvernement américain a mis sous forme, par exemple, de commutateur.

Janice Stein a effectué, il y a deux ans, des travaux sur la question à savoir de quoi parlent les Canadiens. Il me semble que plusieurs Canadiens parlent en ce moment de questions de sécurité. Dans les communautés culturelles ou ethniques, plus particulièrement celle des arabophones ou de foi musulmane, cette question est débattue. La menace est ressentie par plusieurs de nos compatriotes et concitoyens, et ce dans un pays où on compte dans les plus grandes villes entre 30 et 50 p. 100 des citoyens d'origines autres que canadienne.

Je souhaite que cette question soit clarifiée dans les débats et conversations que nous aurons entre nous, et que les Canadiens ont entre eux.

Droits et Démocratie a créé des délégations dans 40 universités à travers le pays. Ces questions intéressent et préoccupent les jeunes de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique. D'ailleurs, la diversité de notre pays est telle que nous avons de la difficulté à intégrer cette question de façon unilatérale.

Heureusement, le Canada n'a pas joué sur les commandes. Je ne crois pas qu'il est de la nature de notre pays de jouer à cette propagande psychologique. J'ai été toutefois surpris de voir l'attitude très arrêtée de Mme McLellan sur la loi. La conversation que nous avons en ce moment ne va pas dans ce même sens arrêté.

La question est fort compliquée. Le ministère de Mme McLellan vient justement de publier un rapport sur les implications qu'aurait la création d'un comité parlementaire sur la sécurité. En effet, plusieurs questions complexes découlent de ce problème.

Lorsque le Comité permanent des affaires extérieures de la Chambre des communes, présidé par Bernard Patry, a décidé de tenir une série d'audiences sur l'Islam, nous avons été étroitement associés à cette démarche. Monsieur Patry nous avait demandé de l'aider à bâtir un schéma de travail sur cette question. L'intérêt que cette commission a suscité au Canada a été considérable. Je n'aurais pas cru que cette question aurait suscité un tel intérêt, mais les gens ont voulu venir en parler, ont demandé à obtenir le document et s'y sont référés.

La fonction du Parlement est aussi de fournir à la conversation que nous avons entre Canadiens des éléments inédits, des éléments que le pouvoir public crée ou maîtrise, auquel il a accès de façon privilégiée et que les médias évidemment ont pour fonction de répercuter. C'est pourquoi l'idée d'avoir des mécanismes de surveillance inclus dans la loi est intéressante. La loi a prévu qu'on allait se revoir trois ans plus tard. Cela ne veut pas dire que ce comité du Parlement, en vertu de la recommandation 3, va réinventer la roue. Toutefois, sa fonction sera sans doute, d'abord, d'établir un certain nombre de faits.

On posait la question plus tôt, en réponse au sénateur Kinsella, à savoir quelle est la nature de la menace. On a besoin de parler de la question publiquement et comprendre s'il existe toujours une menace. On arrivera un jour, je l'espère, à se dire qu'il existe un risque ou des tendances, des mouvements. Cependant, nous parlons ici d'une menace à la sécurité nationale à savoir si ce pays est menacé par des forces qui peuvent le toucher au cœur même. Ce sont là où interviennent les lois sur la sécurité. Il ne s'agit pas d'une menace purement quelconque mais d'une menace réelle. Vous avez raison, à cet égard, de dire qu'il faut faire attention aux termes que l'on utilise. Votre question était peut-être aussi une question sur le sens des mots. La situation est quand même assez exceptionnelle.

Les Canadiens s'interrogent également sur l'allocation des ressources publiques. Peu importe qui était au pouvoir après le 11 septembre, la question n'a rien à voir avec le gouvernement en poste à ce moment, mais plutôt avec la notion de gouvernement. Il existe peu de projets dans lesquels on annonce, tout à coup, un investissement de 10 milliards de dollars — peut-être pouvez-vous m'en identifier quelques-uns.

Sans être démagogue, je reviens à ce que l'on disait plus tôt, on devrait examiner l'extrême pauvreté en matière de droits de la personne. On a coupé dans ce secteur au cours des dernières années à maintes reprises. Une province a même décidé d'abolir sa Commission des droits de la personne, ce qui est extraordinaire dans un pays comme le nôtre. D'autres se posent la question à savoir si dans d'autres provinces des Commissions des droits de la personne seront abolies.

Le sénateur Fraser : Mes deux questions seront brèves et leurs réponses pourront l'être également.

Ma première question s'adresse à M. de Massy. Lorsque vous avez parlé des conventions internationales auxquelles nous sommes liés, vous nous avez rappelé que des dérogations doivent être signalées aux Nations Unies. Vous avez parlé des dérogations qui sont dans le projet de loi C-36, mais qui n'ont pas été signalées.

Est-ce qu'il existe une liste de ces dérogations? Est-ce que quelqu'un a dressé une liste ou un document qui pourrait nous indiquer, point par point d'abord dans ce contexte, les obligations, selon les diverses conventions; puis, plus grave encore, quelles sont les dérogations et les exemples de notre silence; ou, si on a signalé certains faits, à qui les a-t-on signalés et quand? Est-ce que nous sommes le seul pays à ne pas signaler nos dérogations, ou est-ce plutôt devenu une règle générale?

M. de Massy : Vous posez une question à laquelle il m'est difficile de répondre de façon exhaustive.

Le sénateur Fraser : Je ne vous demande pas de le faire maintenant, mais est-ce que la liste existe?

M. de Massy : La liste de dérogations existe. En fait, les dérogations par les États en général sont faites au moment de la signature du pacte. Il sera donc facile de trouver sur Internet, à l'endroit où est affiché l'ensemble de l'instrumentation, la liste des dérogations commises au moment de la signature du pacte.

Je ne me souviens pas qu'il y ait eu des dérogations sur les deux grands pactes de la part du Canada. L'argumentation que je proposais tout à l'heure était qu'à l'intérieur de cette loi antiterroriste, on se retrouve devant des dérogations expresses au pacte international relatives aux droits civils et politiques qui, si on veut les maintenir, devraient faire l'objet de dépôts auprès du Secrétariat général des Nations Unies et je doute qu'il y en ait eu. Tout ce qu'on a dit de ces dérogations était qu'elles respectent la Charte canadienne des droits et libertés. La seule préoccupation qu'on a eue était si cela pouvait passer sous l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Mais je ne pense pas qu'on ait pensé à nos obligations internationales.

Le sénateur Fraser : Y a-t-il d'autres pays dans la même position? Sommes-nous les seuls?

M. de Massy : Je ne peux pas vous répondre par rapport à leur loi antiterroriste. C'est une bonne question et je vais faire la recherche de mon côté.

Le sénateur Fraser : Monsieur Roy, je n'ai devant moi que la version anglaise de votre mémoire, mais je vous cite des passages à la page 18 de la version anglaise :

[Traduction]

Dans votre mémoire, vous parlez d'investir dans la prévention en concevant des mécanismes de surveillance significatifs et intégrés maintenant que nous avons l'occasion de renforcer ces mécanismes et de les enchâsser dans une loi.

Par exemple, nous croyons qu'il serait utile de créer des postes de haut niveau pour les spécialiste des droits humains dans tous les nouveaux organismes liés à la sécurité, dont le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, et aux côtés du conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale.

[Français]

J'aimerais avoir quelques précisions sur les mécanismes que vous proposez. Les positions de haut niveau dont vous parlez serait établies dans les législations. Quel serait le mandat de ces gens? Envisagez-vous un mandat de consultation, de conseiller, de surveillance de rapports après coup, de contrôle?

M. Roy : J'imagine que cela dépend du lieu. Si on parle du National Security advisor to the Prime Minister, dans cette équipe, la personne n'a pas à faire de rapport. Elle doit s'assurer que les avis donnés au premier ministre au titre de la sécurité nationale incluent les obligations internationales du Canada en matière de droits humains, les obligations du Canada dans ces domaines, rappellent aussi les obligations nationales qui peuvent être en cause. Lorsque je vois l'ampleur des travaux conduits chez la vice première ministre, la ministre de la Sécurité nationale et je ne mets pas en cause les travaux qui sont faits — c'est le mandat qu'elle a reçu du Parlement ou du gouvernement— on se demande quand même si quelqu'un, quelque part, dans cet environnement est fiduciaire de la tradition du pays. Comme le rappelait le sénateur Joyal, et il a raison, c'est une tradition plutôt jeune. J'ai été frappé par le discours très rude du ministre de la Justice, M. Cotler, sur ce que nous étions avant la Charte des droits et libertés comme société par rapport aux droits sur la fragilité et dans laquelle beaucoup de nos concitoyens individuellement ou collectivement se trouvaient.

Madame le sénateur Fraser, j'essaie de me rappeler que nous avons déjà écrit pour les mêmes pages éditoriales, dans deux langues différentes, dans la même ville et vous arriviez toujours de façon plus courte que moi à dire les choses essentielles. Il faut contempler l'ampleur du montage qu'on a fait dans ce pays sur la sécurité depuis trois ou quatre ans. C'est considérable, c'est énorme au plan institutionnel et au plan financier.

De l'autre côté, on se demande comment assurer le lien puisqu'on ne parle pas de l'expression « d'équilibre » par une présence qui va soutenir l'autre logique ou rappeler les autres éléments de la logique d'ensemble, et cetera. Pourquoi le comité de la Chambre des communes a cru utile à un moment donné de créer un sous-comité sur les droits humains? Je crois que cela répond à votre question. Finalement, la question des droits humains, on ne trouvait pas de temps pour cela. On a décidé de créer un lieu pour débattre de cette affaire. Cela se fait et plutôt bien. On a créé ce lieu qui fait rapport au comité et dont les préoccupations sont, je crois maintenant, dans le comité permanent plus solide.

Le sénateur Fraser : Juste pour rappeler qu'ici au Sénat, on a créé non pas un sous-comité, mais un Comité des droits humains présidé par le sénateur Andreychuk.

Si je comprends bien, le mécanisme envisagé en est un de conseiller de très haut niveau plutôt que de surveillance dans le sens habituel du mot? Les deux peuvent être utiles.

M. Roy : Là où on a créé des fonctions d'aviseur, là où on crée pour la sécurité des lieux de définition, de proposition, d'exercice des pouvoirs qui sont conférés à certaines institutions — il y en a plein au titre de la sécurité — qu'à l'occasion de cet exercice de la première dimension, celle de la protection des droits soit aussi présente et réaffirmée.

Certains textes récents parlent de tout ce qui nous réuni aujourd'hui et les mots « droits humains » ne sont pas mentionnés une seule fois. On parle de l'effort sécuritaire. Si cela devait durer et s'il devait y avoir une autre attaque, le déséquilibre deviendrait très dangereux.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : J'ai un certain nombre de questions, mais au sujet de l'indicateur de menace, il y a eu une alerte rouge la semaine dernière lorsqu'un avion a survolé la Maison-Blanche, ce qui prouve que les menaces existent toujours.

Monsieur Roy, vous parliez de la table ronde culturelle créée au mois de mars. À mon avis, on a pris beaucoup de temps à la créer. Elle devait être en place en juin dernier. Pour votre gouverne, le comité parlementaire a reçu d'importantes sommes d'argent. M. Kenny et M. Lee ont voyagé et ils ont recommandé la prochaine étape. Alors, comme vous voyez, ils se sont occupés de la question, mais peut-être que ça vous avait échappé.

J'ai un certain nombre de questions sur la création d'un poste de haut niveau pour un spécialiste des droits humains. Je dois vous féliciter; en vous écoutant aujourd'hui j'ai été frappé par les sommes considérables que nous dépensons pour la sécurité. Grâce à vous, il est maintenant très clair que nos organismes des droits de la personne sont très pauvres.

Lorsque vous parlez de créer des postes liés à la sécurité nationale au sein des ministères, est-ce que vous songez à un ombudsman ou simplement un poste de conseiller auprès des ministres sur nos obligations en matière de droits de la personne? Lorsque je vous écoutais parler, je me demandais à quoi vous songez exactement. Est-ce que le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères ont déjà des personnes chargées de déterminer si nous respectons nos obligations internationales? Est-ce qu'ils n'ont pas cette responsabilité?

M. Roy : Sénateur Jaffer, vous mentionnez Affaires étrangères Canada. Au cours des 18 à 24 derniers mois, nous avons travaillé avec lui sur de nombreux dossiers, notamment sur l'affaire Zahra Kazemi. J'ai été frappé par tout le temps que le ministre et le sous-ministre ont passé en petits comités pour essayer de déterminer la position du Canada dans des situations difficiles où la question des droits de la personne était au cœur de divers drames à l'étranger.

Je ne suis pas venu ici simplement pour dire que le premier ministre et les différents comités que nous avons créés doivent se souvenir que nous avons des obligations en matière de droits de la personne au Canada et dans le reste du monde et que nous en avons accepté la responsabilité. J'espère me tromper, mais je crois que tout ce que nous avons créé au Canada et tout ce que nous allons créer au cours des prochaines années, si la situation d'urgence persiste et si les choses ne se calment pas de l'autre côté de la frontière, donnera lieu à une culture de la peur et de la différence, une culture où le profilage racial deviendra extraordinairement important. Comme M. de Massy l'a dit, nous devons pleinement accepter le fait qu'il puisse y avoir de sérieuses questions liées à la sécurité. Personne ne dit qu'il n'y a pas de problème de sécurité, mais nous devons tâcher de faire nos choix et prendre nos décisions dans le contexte d'une culture qui vise à préserver et à renforcer les droits de la personne et la démocratie. C'est notre position.

Alors, que convient-il de faire? Nous croyons que ce vaste système que nous avons créé, qui nous coûtera 10 milliards de dollars et peut-être même davantage au cours des cinq prochaines années, n'est pas du tout équilibré. Les gens disent qu'ils ne voient aucun équilibre entre les droits de la personne et la sécurité.

Nous devons trouver les moyens d'assurer cet équilibre et nous croyons que cette préoccupation doit être fondamentale pour toutes les équipes qui travaillent au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et pour tous les conseillers en matière de sécurité.

Ce que nous souhaitons réellement? Nous souhaitons que la démocratie, la primauté du droit et les droits de la personne l'emportent dans cette lutte, car il s'agit bien d'une lutte d'une certaine manière.

[Français]

C'est un grand débat d'idées dans le monde. Si notre discours, notre engagement et notre financement sont du côté de la sécurité, on joue sur le terrain de l'autre. Dans ce débat d'idées, il faut montrer que nous sommes assez sûrs de nous-mêmes. J'aimerais que le Canada, dans un contexte international, se mette au premier rang par rapport à ceux qui disent que la démocratie est assez forte pour ne pas s'affaiblir d'elle-même lorsqu'elle est attaquée.

M. Barrette : En ce qui concerne les mécanismes de surveillance, je dois vous dire que je ne sais pas quelle est la position de la Ligue des droits et libertés quant à un organisme pancanadien de surveillance des droits de la personne. Mais la Ligue des droits et libertés participe à la phase II de l'enquête Maher Arar qui touche la politique de surveillance de la GRC. On a proposé qu'il y ait un mécanisme international qui examine toute action des policiers et des corps intégrés de policiers et d'agences de renseignements qui touche la sécurité nationale.

Pourquoi un organisme national? Parce que les corps de police et les agences de renseignements travaillent maintenant en équipe intégrée de renseignement. Cela inclut la GRC, le FBI, le SCRS, parfois la CIA, la police de Montréal, la police de Gatineau. Tous ces gens travaillent ensemble maintenant. Cela va sortir dans l'enquête Maher Arar de plus en plus. Ils échangent des renseignements et font des stratégies communes. Si on parle de mécanisme de surveillance, on doit parler d'un mécanisme de surveillance national en matière de sécurité nationale. Lorsque les provinces acceptent de travailler avec le fédéral, elles devront se restreindre à être soumises à un organisme de surveillance pancanadien.

En ce qui a trait à l'échelle internationale, je suis d'accord avec le sénateur Joyal. Je n'aimerais pas me faire dire que ce n'est qu'une menace par un organisme extérieur, disons un pays du Sud — on sait lequel. Toutefois, en ce qui concerne les mécanismes de surveillance, on devrait mettre en vigueurune recommandation de la commission Macdonald des années 1980. Nous avons beaucoup de leçons à tirer de la commission Macdonald qui a fait d'excellents travaux.

Une des recommandations, je crois que c'est la recommandation numéro 56, où on mentionne que tout partage de renseignements ou toute activité de renseignements fait avec des corps de polices ou des corps de renseignements étrangers, doit être soumis à des accords de surveillance canadien. Il doit y avoir un organisme de surveillance capable de dire que le FBI travaille avec le SCRS à certaines conditions, y compris celle d'être soumis à une surveillance.

Je voulais répondre au sénateur Joyal au sujet de l'évaluation des menaces. On trouve cela dans les documents de consultation, soit dans le Canadian Threat Assessment Center qui travaille de plus en plus de façon intégrée avec le U.S. Threat Assessment Center. On se retrouve dans une situation où l'évaluation de la menace, indirectement, provient d'informations de l'extérieur, soit de notre voisin du Sud. On connaît son poids, d'où l'importance de prendre avec beaucoup de précautions les informations de menace qui viennent des États-Unis.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Lors de votre dernière comparution, vous avez dit être grandement préoccupés par l'écoute électronique. Plus particulièrement, la ligue a exprimé sa préoccupation face à l'élargissement des dispositions sur l'écoute électronique pour des infractions de terrorisme, dispositions qui pourraient porter atteinte aux droits à la vie privée des Canadiens.

Vos craintes se sont-elles accrues au cours des trois dernières années ou sont-elles les mêmes? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

[Français]

M. Barrette : Ce sont les bases de données qui se sont démultipliées depuis le 11 septembre. Qu'elles aient eu ou non un lien direct avec la Loi antiterroriste, il y a un lien avec les mesures antiterroristes. Il y avait aussi la Convention européenne sur la cybercriminalité signée par le Canada et aussi par la grande majorité des pays après le 11 septembre. On retrouve dans cette convention des dispositions qui permettront la surveillance électronique. C'est très technique. Il y avait un projet qui s'appelait « Accès légal » et qui, maintenant, s'appelle « Accès licite » qui permettra la surveillance électronique des Canadiens. Ce qui nous inquiète beaucoup évidemment, c'est la démultiplication des moyens de surveillance.

Lorsqu'on monte des banques de données à partir de listes de données de voyageurs, on fait nécessairement du profilage. On se retrouve avec des centaines de données sur des centaines de milliers de voyageurs. Comment pointer quelqu'un sinon en faisant du profilage et en développant des techniques de profilage. Et le lien entre le profilage en général et le profilage ethnique est malheureusement étroit.

J'entendais ce matin, à la radio, un ancien agent de la SCRS dire que le profil du terrorisme au Canada avait changé. La cible était jadis la personne non citoyenne. Aujourd'hui, on parle du jeune mâle canadien, instruit, ayant des enfants. Ce qui distingue cette personne type de la majorité des jeunes Canadiens fréquentant l'école c'est la question ethnique, religieuse. Cette perspective est dangereuse. À notre avis, le profilage ethnique résulte d'un travail qui se fonde sur les banques de données électroniques.

M. de Massy : La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles regroupe, entre autres, la Ligues des droits et libertés, l'American Civil Liberties Union et d'autres organismes. Elle a déposé un communiqué récemment. Si vous le désirez, nous pourrons vous transmettre ce communiqué ainsi que d'autres documents concernant cette campagne internationale contre la surveillance globale. Deux autres textes un peu plus élaborés illustrent la position prise par rapport aux mesures de surveillance qui sont, à l'instar de ces législations antiterroristes, en train de foisonner aux niveaux national et international.

Le site Internet de l'American Civil Liberties Union est une source de renseignements absolument fantastique. Vous y trouverez une documentation extraordinaire sur nombre de questions dont nous avons discuté aujourd'hui.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : C'est la Campagne internationale contre la surveillance globale. Je pense qu'on a vu cela.

[Français]

M. Roy : J'aurais un commentaire à faire sur la question des banques de données.

[Traduction]

J'aimerais remercier le sénateur Jaffer d'avoir soulevé cette question. C'est une chose utile à examiner pour déterminer ce que nous voulons vraiment faire. Il faut une révision.

[Français]

Le mécanisme de révision permettra un certain nombre de choses. Il permettra entre autres d'examiner si on aura toujours besoin demain, dans cinq ans ou dans dix ans de cette dissémination de l'information que nous faisons maintenant. Que l'on soit identifié comme une menace ou non, on se retrouve dans les banques de données qui circulent un peu partout. Cette information est-elle conservée pour toujours? Cette optique de révision n'est sans doute pas idéale. Il faudra peut-être revenir à des catégories particulières sur lesquelles on a besoin d'assurer une surveillance.

Deuxièmement, j'aimerais citer un exemple des contrôles que nous avons soulevés plus tôt. Ceux qui ont lu le rapport de la vérificatrice générale ont pu constater qu'il fait référence à sept listes, soit deux listes des Nations Unies, une liste d'Interpol, quatre listes canadiennes et les listes américaines. Cette information circule partout et les données s'entrecroisent. Est-ce que ces données ne pourraient pas faire l'objet d'une certaine surveillance?

La longévité de ces listes pose une certaine préoccupation. Combien de temps garde-t-on l'information qu'elles contiennent? Les données sont-elles conservées sur une période de quelques semaines, quelques mois ou quelques années? Peut-on nous garantir que ces renseignements ne sont pas utilisés à d'autres fins? Plusieurs questions demeurent sans réponse.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Monsieur Roy, je dois vous dire que je ne pensais pas que vous vous occupiez de la démocratie au Canada, car j'ai constaté le travail formidable que vous faites à l'étranger. J'aimerais que vous nous parliez de ce qui est arrivé à la réputation du Canada dans les autres pays qui sont au courant de nos procès secrets, de nos procédures d'enquête, de nos extraditions et, ce qui est plus important pour les personnes comme moi, qui savent que nous n'avons pas encore réglé l'affaire de Air India, après 20 ans. C'est très gênant pour moi, en tant que sénateur canadien, lorsque le gouvernement irlandais organise une cérémonie commémorative pour ces victimes alors que notre propre gouvernement n'a même pas reconnu la douleur. Qu'est-ce que cela fait à notre réputation?

[Français]

M. Roy : Malgré les circonstances difficiles des dernières années, le Canada conserve dans le monde une très forte crédibilité. Cependant, nos partenaires, à travers le monde, commencent à s'interroger sérieusement sur ce que nous faisons dans ce pays. L'idée des tribunaux islamiques en Ontario, par exemple, a fait le tour du monde. Cette question revient quotidiennement dans plusieurs régions du monde. L'un des premiers commentaires que l'on adresse à un Canadien est le suivant : Vous êtes en train de faire ce dont on veut se défaire. Le Canada doit prendre garde.

Cette question nécessiterait plus de temps que ce dont nous disposons. Les gens attendent encore beaucoup du Canada. Ils s'inquiètent et s'interrogent sur ce que vous avez mentionné. Ils souhaiteraient que le Canada fasse preuve de plus de vigueur intellectuelle et politique dans la façon dont il porte un regard sur le monde.

Soit dit en passant, ce ne sont pas les Américains ni les Européens qui vont se pencher de façon réelle sur le gâchis des politiques multilatérales en matière de coopération internationale. Un pays comme le nôtre devrait être en mesure de poser cette question. L'argent ne va plus aux pays mais à la Banque mondiale et aux comités internationaux. Pour savoir où est l'argent du NEPAD, il faut aller à l'OCDE; pour savoir où sont les fonds destinés à Haïti, il faut aller à la Banque mondiale. Le Canada ne peut mesurer exactement l'ampleur de sa contribution en termes d'analyse indépendante. Son potentiel est attendu, mais n'est pas là.

Droits et Démocratie a organisé une série d'ateliers àAmman, en Jordanie, auxquels ont pris part des citoyens de neuf pays arabes ou musulmans, dont l'Iran et la Syrie. Ces ateliers, auxquels j'ai assisté, ont duré plusieurs jours. Aucun autre pays n'a le potentiel multiculturel qui nous est propre et certainement pas les États-Unis. D'ailleurs le rapport de la Commission 9/11 reconnaît pleinement cette lacune. Les Européens ont fait preuve d'une grande difficulté et de réserve à cet égard, ce qui me laisse douter des résultats qu'ils auraient obtenus.

Nous pouvons, aujourd'hui, réunir Palestiniens, Syriens, Irakiens, Iraniens, Libanais, Yéménites et Marocains sans problème sur les questions de diversité, d'égalité et de pluralité. Les gens n'en attendent pas moins de nous et nous sommes toujours à la hauteur dans ce domaine.

Je ne suis pas tout à fait familier avec la catastrophe d'Air India, car j'étais à l'extérieur du pays quand l'événement s'est produit.

Lorsqu'il y autant de victimes et de gens qui ont souffert pendant longtemps de ces événements, de fait, on peut penser qu'on pourrait le commémorer d'une façon forte. Nous allons voir ce que l'ancien premier ministre de l'Ontario va proposer d'ailleurs au gouvernement, à savoir si nous devons procéder à d'autres étapes ou non.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Votre organisation a fermement appuyé les femmes nigérianes et j'espère que sur cette question vous appuierez les femmes canadiennes avec la même vigueur.

M. Roy : Nous avons eu une extraordinaire réunion de trois jours à Montréal avec des représentants et des organisations de 15 pays. Tous les grands médias en ont rendu compte dans leurs éditions de la fin de semaine, The Globe and Mail, La Presse, Radio Canada international, tous les médias. Cette coalition internationale, c'est nous qui l'avons créée et nous nous sommes réunis à Montréal exprès pour nous assurer que notre pays ne s'engagera pas sur cette voie.

[Français]

M. Barrette : J'aimerais tout simplement vous faire part d'une note que j'ai prise lorsque j'étais à Genève la semaine dernière, qui exprime un peu la responsabilité que nous avons tous. Je vous en ai déjà mis beaucoup sur les épaules et je vais en mettre un peu plus; l'expert disait que si un pays comme le Canada ne respecte pas la convention contre la torture, c'est un très mauvais message lancé à la communauté internationale.

[Traduction]

Le sénateur Kinsella : À la page 18 du mémoire de Droits et démocratie, il est question de formation. L'idée d'un protocole en matière des droits de la personne pour tous ceux qui exercent des pouvoirs en vertu de cette loi est une question que notre comité voudrait peut-être examiner. Je tiens à remercier Droits et Démocratie d'avoir souligné l'importance de la formation. La meilleure surveillance c'est la prévention. Et l'un des mécanismes de prévention est de former les gens afin qu'ils exercent ces pouvoirs dans le respect des droits de la personne.

La présidente : Cette passionnante conversation cet après-midi montre clairement à quel point cette question est difficile et à quel point elle suscite la passion de tous les membres du comité et de tous ceux qui comme vous font un excellent travail dans ce domaine, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Canada. Comme vous le voyez, ce n'est jamais un débat facile. Il n'y a jamais assez de temps. Je vous remercie infiniment d'être venus aujourd'hui partager votre information et votre courage avec nous.

La séance est levée.


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