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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 16 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 17 octobre 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 h 32 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, il s'agit de la 35e séance avec des témoins du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste. Pour les téléspectateurs qui nous regardent, je vais expliquer l'objectif du comité.

En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes commises à la ville de New York, à Washington, D.C. et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. En raison de l'urgence de la situation, on a demandé au Parlement d'étudier au plus vite la loi et nous y avons souscrit. L'adoption de ce projet de loi devait se faire au plus tard mi-décembre 2001.

Cependant, des préoccupations ont été exprimées sur la difficulté d'étudier, de manière approfondie et en si peu de temps, l'impact potentiel du projet de loi et il a donc été convenu qu'il serait demandé, trois ans plus tard, au Parlement d'étudier, avec le recul et une situation moins chargée d'émotivité chez le public, les dispositions de la loi et son effet sur les Canadiens. Les travaux de ce comité représentent les efforts du Sénat à remplir cette obligation.

Quand nous aurons terminé l'étude, nous en ferons rapport au Sénat en soulignant toute question qui, à notre sens, devrait être étudiée. Nous permettrons que les résultats de notre travail soient communiqués au gouvernement et aux Canadiens. La Chambre des communes entreprend un processus similaire au même moment.

À ce jour, le comité a rencontré des ministres et des fonctionnaires du gouvernement, des experts canadiens et étrangers en matière de menaces, des experts juridiques, des personnes chargées de l'application de la loi, des membres de services de renseignements et des représentants de groupes communautaires. Nous sommes allés à Washington pour assister à des réunions et nous nous rendrons très prochainement à Londres. Nous avons eu des vidéoconférences avec d'autres personnes dans d'autres pays.

Cet après-midi, nous revenons à la question des libertés civiles. Nous retrouvons un vieil ami, l'honorable Warren Allmand, membre du comité directeur de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et Roch Tassé, le coordonnateur national. Est également présent M. Murray Mollard, le directeur exécutif de la British Columbia Civil Liberties Association et finalement le professeur François Crépeau, de la Faculté de droit de l'Université de Montréal.

J'encourage les sénateurs à poser des questions brèves et précises et je demande que les demandes soient également courtes, ainsi nous pourrons avoir un fructueux débat ces deux prochaines heures.

L'honorable Warren Allmand, C.P., membre du comité directeur, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Madame la présidente et honorables sénateurs, je suis ici au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles qui rassemble 30 ONG, syndicats, groupes confessionnels, organismes à vocation environnementale, associations oeuvrant auprès des réfugiés, et cetera. Ces organisations se sont rassemblées dans la foulée du 11 septembre 2001 pour surveiller les répercussions des lois sur les libertés civiles et, au besoin, prendre les mesures qui s'imposent.

Nous avons préparé et envoyé au greffier un mémoire complet de tous les aspects du projet de loi C-36, et j'espère que tous les membres du comité en ont une copie.

Je fais aussi cet exposé en me fondant sur mes expériences de quatre ans au poste de solliciteur général, de plus de 31 ans en tant que député et de cinq ans en tant que président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Sachant que vous avez déjà entendu énormément de témoignages sur cette question, je ne reviendrai pas sur tous les points indiqués dans notre mémoire, mais je mentionnerai quelques paragraphes choisis et soulignerai quelques-uns des principaux points.

Pour commencer, je voudrais citer Sofia Macher, membre de la Commission vérité et réconciliation Pérou. Elle a déclaré :

Nous ne pouvons pas défendre nos démocraties en mettant de côté le respect des principes de justice fondamentale dans l'application de la loi et des droits fondamentaux. Quand l'ordre public prévaut sur les libertés civiles des citoyens, c'est que la démocratie a épousé les tactiques et les principes ou l'absence de principes de ses ennemis, et qu'elle est déjà à demi-vaincue.

Nous appuyons les efforts légitimes et pertinents visant à éliminer le terrorisme sous toutes ses formes. C'est d'ailleurs pour cela que nos organismes travaillent d'arrache-pied en vue d'éradiquer les causes profondes des actes terroristes : misère économique, répression politique, intégrisme et intolérance ou exclusion sociale.

Les points que je veux soulevés aujourd'hui sont les suivants : d'abord, il faut rétablir la primauté du droit, tant au pays qu'à l'étranger. Le terrorisme est odieux, comme le sont toutes les formes de crimes de violence contre des civils. Mais le phénomène n'est pas nouveau : le droit pénal et les accords internationaux antérieurs à la Loi antiterroriste offre un cadre juridique suffisant pour traiter du problème, pourvu qu'on l'utilise de manière adéquate.

La lutte contre le terrorisme ne doit pas nous entraîner à sacrifier les valeurs et libertés démocratiques qu'elle est censée protéger. De fait, des mesures draconiennes ne peuvent que saper les fondements d'une société libre démocratique, tout en négligeant les causes profondes du terrorisme.

C'est aussi l'avis de Louise Arbour, haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme et ancienne juge de la Cour suprême du Canada. Elle met les États en garde contre la tentation de sabrer dans les libertés individuelles au nom de la lutte contre le terrorisme, de peur que cela exerce l'effet contraire en aidant les groupes terroristes à recruter de nouveaux membres.

L'application progressive du programme antiterroriste du Canada est intimement liée à cette tendance mondiale. Plutôt que de s'engager sans rémission dans cette voie, il faut traiter les actes de terrorisme pour ce qu'ils sont : des actes criminels.

Même s'il est essentiel de protéger les Canadiens contre le terrorisme, il faut abroger la Loi antiterroriste parce qu'elle sape la démocratie et les droits de la personne. Mal conçue dès le départ, cette loi répond à une nouvelle évaluation des risques et au climat de peur fomenté dans la population. Elle est de toute évidence inutile, puisque les lois existantes se sont montrées amplement suffisantes pour traiter des menaces terroristes présumées.

Je voudrais souligner que votre examen devrait porter sur toutes les mesures antiterroristes. Les mesures permises par la Loi antiterroriste, d'autres lois telles que la Loi sur la sécurité publique, ainsi que les mesures connexes comme le Plan d'action pour une frontière intelligente, forment un ensemble complexe d'intrusions d'une grande portée dans les droits civils et les droits de la personne. Considérées dans leur ensemble, elles risquent de saper certains principes fondamentaux du droit, altérant de manière radicale et permanente le rapport entre l'État et ses citoyens.

Tout examen sérieux de la législation antiterroriste du Canada doit tenir compte des droits consentis par la Charte, dont le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, ainsi que le droit à l'égalité de traitement. Il doit tenir compte des droits des non-citoyens et des minorités ethniques et religieuses, du droit à une audition impartielle de sa cause, du droit d'être protégé contre la détention arbitraire, et du droit reconnu sur le plan international de ne pas être envoyé ou renvoyé dans un pays où il existe un risque de violation sérieuse des droits fondamentaux de la personne.

L'examen de la Loi antiterroriste doit à tout le moins adopter une vue d'ensemble et reconnaître que l'impact éventuel du projet de loi C-36 doit être évalué à la lumière des autres mesures comprises dans la stratégie antiterroriste du Canada.

Nous maintenons que les dispositions incluses dans les divers éléments de la législation dite antiterroriste et d'autres mesures connexes accroissent et élargissent les pouvoirs de surveillance et de contrôle de la police et du gouvernement sur les citoyens canadiens, bien plus qu'il ne le faut pour réagir à la menace terroriste.

Le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau et les États avaient l'habitude de réagir à ce problème par l'application de lois nationales ou internationales. « Terrorisme » n'est pas le nom d'un ennemi. Il qualifie toute violence criminelle commise contre les civils dans le but de semer la terreur et de dominer par la peur. Le terrorisme peut être le fait de groupes civils, d'insurgés ou de terroristes, mais il peut aussi être pratiqué par l'État, ses forces de police ou de sécurité et son armée. De tels actes de violence sont déjà couverts par des lois et des conventions à l'échelle nationale et internationale.

Aucune loi canadienne définit le terrorisme, sauf celle qui fait l'objet de cet examen, bien que la Cour suprême en ait proposé une définition dans la cause Suresh en rapport avec la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Même la Conférence internationale sur la sécurité tenue en Arabie saoudite — à laquelle participait le Canada en février 2005 — n'a pas permis de dégager une définition universellement acceptée du terrorisme. La Loi antiterrorisme du Canada offre cependant une définition vague, imprécise et trop large du terrorisme et de l'activité terroriste. On peut l'interpréter de façon arbitraire pour englober des formes de dissidence ou de comportements violents et ont très peu à voir avec le terrorisme, ce qui menace les libertés civiles et le droit à la dissidence politique légitime.

L'autre problème d'une définition si large du terrorisme, c'est qu'elle n'établit aucune distinction entre les groupes terroristes criminels et les combattants de la liberté ou des mouvements de libération, dont le caractère légitime varie selon les intérêts politiques en place à une période donnée.

Avec la définition actuelle, les nobélisés Nelson Mandela et Rigoberta Menchú seraient considérés comme terroristes. Les membres de la Résistance française sous l'occupation nazie auraient été logés à la même enseigne.

Plusieurs dispositions de la Loi antiterroriste permettent la délivrance de certificats de sécurité ministérielle ou d'arrêtés ministériels. Elles prévoient aussi des contrôles judiciaires secrets équivalant à des procès secrets dans le but de dresser la liste des entités terroristes, retirer le statut d'organisme de bienfaisance et détenir des personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme. Ces dispositions permettent de détenir quelqu'un pendant une période indéterminée jusqu'à ce qu'un juge décide — à huis clos et ex parte — du caractère raisonnable de l'attestation ministérielle alléguant que l'individu constitue une menace à la sécurité, et de sa déportation.

La Loi antiterroriste, la Loi sur la sécurité publique, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et les autres mesures adoptées par le Canada ne mettent pas seulement en péril les droits de la personne, les libertés civiles et l'application régulière de la loi. Elles contribuent également à l'érosion du pouvoir et de l'autorité de nos institutions démocratiques, y compris le Parlement. Considérées dans leur ensemble, ces mesures délèguent à une poignée de ministres et de fonctionnaires des pouvoirs judiciaires et législatifs sans précédent. Une telle délégation de l'autorité favorise l'application arbitraire et potentiellement abusive de pouvoirs occultes, par l'entremise d'arrêtés en conseil, de règlements et de certificats de sécurité adoptés sans supervision adéquate, ni approbation parlementaire.

Le listage des entités terroristes par arrêté ministériel est injuste parce qu'il ne prévoit pas d'avis préalable suffisant ni de procédure équitable, pas plus que de mécanisme d'appel public et transparent pour obtenir réparation. De plus, la liste est fondée sur une définition de l'activité terroriste qui n'est pas universellement admise et fait abstraction du contexte social et politique.

On revient au problème de définition déjà soulevé dans ce mémoire. Cette préoccupation vaut aussi pour la disposition relative au retrait du statut d'organismes de bienfaisance, qui donne froid dans le dos aux ONG de développement international et organismes humanitaires.

La Loi antiterroriste élargit les pouvoirs d'enquête et de surveillance de la police, notamment en réduisant de beaucoup les exigences requises pour obtenir un mandat en vue de l'écoute électronique, la surveillance, les perquisitions et les saisies. Avec une définition de l'activité terroriste fondée sur le motif et l'ajout de nouvelles infractions terroristes au Code criminel, la Loi antiterroriste réintègre dans les faits la GRC dans les activités liées aux renseignements et à la sécurité nationale, de concert avec le SCRS et le CSC, et cela, sans la moindre supervision civile ou politique. La Loi antiterroriste met donc de côté le travail des commissions Mackenzie et McDonald qui ont conclu toutes les deux, respectivement au milieu des années 60 et 80, que la GRC ne disposait pas de la formation, de la sophistication et des capacités d'analyse nécessaires à de telles activités.

L'adoption progressive de ces mesures par le Canada est profondément troublante à l'heure où les États-Unis tentent d'imposer au reste du monde une infrastructure draconienne visant à immatriculer et surveiller la masse des gens à l'échelle mondiale. Dans le cadre de ces menées dignes d'Orwell, les renseignements personnels sur les Canadiens seront bientôt recueillis, entreposés, recoupés, explorés, contrôlés et partagés avec d'autres pays comme jamais auparavant. L'enjeu dépasse le respect de la vie privée. On parle ici d'annuler le principe fondamental de la présomption d'innocence, de transformer tout le monde en suspect et de dresser le profil de chacun.

Depuis le 11 septembre, il y a eu plusieurs cas hautement médiatisés de Canadiens d'origine arabe et musulmane taxés de terrorisme sans preuve publique, au mépris des principes de justice fondamentale dans l'application de la loi. Les cas de Maher Arar, celui de 23 personnes, en majorité d'origine pakistanaise, arrêtés à Toronto dans le cadre de l'opération Thread, sans parler d'une demi-douzaine d'autres Canadiens d'origine arabe ou musulmane — tout cela démontre le caractère divisif et discriminatoire du programme de sécurité.

L'un des éléments fondamentaux concernant toutes ces affaires et la fiabilité ou l'absence de fiabilité des renseignements fournis par la police et le SCRS, des renseignements sur lesquels se fondent toutes ces mesures antiterroristes. La façon dont ces renseignements sont recueillis peut être non fiable et imprécise, et fondée sur des spéculations et des ouï-dire, de culpabilité par association ou le résultat du profilage racial. Nous avons non seulement l'affaire récente de Maher Arar, mais aussi celle de Bhupinder Liddar et l'incident du 5 octobre où un enfant musulman était inscrit dans une liste de personnes jugées inadmissibles à prendre l'avion.

Je pourrais aussi citer des affaires datant de l'époque où j'étais solliciteur général. J'ai vu plusieurs affaires où des erreurs ont été commises par les services de sécurité et ces affaires ont été documentées avant la commission McDonald des années 80. Je tiens à souligner toutefois que cela ne se passait pas tous les jours, mais se produisait suffisamment pour s'en inquiéter et suffisamment pour changer le système.

Quand j'étais président de Droits et démocratie au Centre international des droits de la personne et du développement économique, en août 2000, les services de sécurité ont publié une liste d'évaluation des menaces qui incluait notre organisation, Amnistie Internationale, Greenpeace et plusieurs syndicats. J'ai envoyé une lettre au solliciteur général MacAulay lui demandant une explication et je n'ai pas reçu de réponse adéquate.

Suite à ces méthodes et procédures, des personnes innocentes sont en prison pendant des années sans connaître le motif de leur détention et sans avoir eu de procès. Même après avoir été libérés, leurs vies sont souvent ruinées. Bien sûr, tout cela est facilité par des lois comme le projet de loi C-36 qui élimine beaucoup de mesures de protection et une grande partie du mécanisme de surveillance.

En ce qui concerne la commission Arar, il faut noter que le juge O'Connor a entendu des témoignages et fait des recherches à ce sujet pendant presque deux ans. Il me semble que le rapport du juge O'Connor pourrait se révéler utile au Parlement avant que le comité ne termine son examen et qu'il ne fasse ses recommandations en vertu du renvoi que vous avez devant vous.

Je veux aussi mentionner certaines dispositions des lois internationales. Dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Canada en 1976, l'article 4 indique qu'il peut y avoir dérogation aux provisions du pacte :

Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par acte officiel, les États parties au présent pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

Il est mentionné, plus loin, qu'il ne peut y avoir dérogation à certains articles du pacte, puis que l'État qui commet une telle dérogation doit aviser le secrétaire général des Nations Unies et d'autres États parties non seulement de la dérogation, mais aussi quand est-ce qu'il prévoit cesser cette dérogation : en d'autres mots, ils devraient annoncer une sorte de disposition de réexamen.

Nous avons aussi, bien sûr, les dispositions de la Convention contre la torture. L'été dernier, notre pays a été condamné par l'organisme créé en vertu de la convention, dont le Canada est signataire, pour certains de ses agissements. La résolution 2004/87 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies :

Que les mesures de lutte contre le terrorisme soient conformes aux obligations qui incombent aux États en vertu du droit international, en particulier des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, du droit humanitaire et du droit des réfugiés.

Le Comité des droits de l'homme du Pacte international relatif aux droits civils et politiques examine le bilan du Canada cette semaine même. Plusieurs ONG sont à Genève pour présenter au comité des mémoires officieux sur les violations des droits de l'homme par le Canada dans le cadre de la Loi antiterroriste.

L'été dernier, le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a, dans une déclaration faite le 18 juin 2005, condamné le Canada pour certaines des mesures de cette loi.

En conclusion, les événements qui ont suivi le 11 septembre 2001 ont fait croire à certains que l'affaiblissement des mesures de protection légale et l'atteinte aux droits de la personne nous donneront un sentiment plus fort de sécurité. En fait, nous nous sentons plus en sécurité avec des lois et des processus qui garantissent le respect des droits de la personne.

Bien que nous vous prions instamment d'abroger le projet de loi C-36 et le projet de loi C-7, nous faisons valoir qu'ils ne sont pas nécessaires pour lutter contre des actes terroristes tels que le meurtre, la prise d'otage, les attentats à la bombe et l'utilisation d'explosifs qui sont tous prévus dans le Code criminel et qui peuvent être réglés par des opérations efficaces de la police et des services de renseignements. Dans les cas d'urgence, je vous suggère de revoir la Loi sur les mesures d'urgence de 1988 qui contient une disposition stipulant que la loi est assujettie à la Charte.

Madame la présidente, on n'améliore pas la sécurité en rendant superflue l'application régulière de la loi, en négligeant la primauté du droit et en suspendant les droits de la personne contrairement aux engagements internationaux. Quel message ces mesures envoient-elles aux nouvelles démocraties et aux États en voie de le devenir; les États d'Europe de l'Est, de l'Asie, de l'Afrique et d'Amérique latine?

Nous faisons valoir que les dispositions du projet de loi C-36 et l'utilisation des certificats de sécurité portent atteinte à la sécurité car vous établissez un précédent de non-respect de la primauté du droit. Si nous pouvons suspendre la primauté du droit et l'application régulière de la loi pour des raisons que nous jugeons bonnes, alors nous ne pouvons pas nous plaindre de ceux qui font de même pour des raisons qu'ils jugent bonnes.

Nous demandons que vous abrogiez le projet de loi C-36 et de combattre le terrorisme en respectant l'application régulière de la loi, la primauté du droit et les instruments de défense des droits de la personne en utilisant plus efficacement le droit criminel et un maintien de l'ordre proactif.

La présidente : Merci beaucoup monsieur Allmand. Nous passons maintenant à M. François Crépeau.

[Français]

François Crépeau, professeur, Faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel : Honorables sénateurs, je ne suis pas spécialiste en droit criminel ni en droit à la vie privée. Vous avez entendu des présentations très savantes sur ces sujets. Ma modeste expertise porte sur le droit international des migrations et particulièrement sur les droits et libertés des étrangers dans nos sociétés.

Vous avez sans doute dans vos dossiers, sinon je vais en laisser une copie, le texte de ma présentation intitulée Breakfast on the Hill, texte qui fut présenté au printemps dernier et qui portait sur le sujet qui nous amène ici. J'ai ici copie également d'un récent article, qui sera publié bientôt dans la série Immigration de l'Institut de recherche des politiques publiques à Montréal. On ne m'a pas donné le droit de vous le donner, mais je le prends et vous en laisserai une copie. Il est dans sa forme à peu près finale, sauf peut-être quelques corrections.

L'atmosphère de crainte qui a suivi les attentats du 11 septembre est délétère pour les droits de tous et particulièrement pour les droits des étrangers dans nos sociétés. L'exemple le plus emblématique reste le traitement des étrangers à Guantanamo Bay, qui marque la césure dans le droit américain entre les droits des citoyens américains et les droits des autres. J'aimerais vous proposer quelques réflexions sur l'impact particulier de nos multiples réponses au terrorisme sur les droits des étrangers.

[Traduction]

La lutte contre le terrorisme international est importante. Nous devons le combattre par tous les moyens légitimes et nos lois prévoient de tels moyens. Ils peuvent, bien sûr, être améliorés, mais nous disposons des outils.

La lutte contre le terrorisme international est aussi importante que la lutte contre le trafic de drogue international, le trafic d'armes international, la traite des personnes internationale, toute activité qui fait des victimes dans le monde et aussi au Canada.

Cette lutte contre le terrorisme international, ainsi que les autres luttes, ne peut pas être menée légitimement hors du cadre que nous avons établi pour toutes les activités du gouvernement; c'est-à-dire la protection et la promotion des droits de la personne et des libertés pour tous. Pourtant, nous constatons ces dernières années une tendance à établir, et ce de plusieurs façons, une distinction entre l'étranger et le ressortissant canadien.

Pour ne vous donner qu'un exemple, qui n'est pas tout à fait lié à cette question, dans la lutte contre ceux qui commettent des crimes contre l'humanité, au début des années 90, nous n'avons pas réussi à poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité.

Notre gouvernement a décidé d'aborder la question au moyen des formalités d'immigration comme en témoigne l'affaire Mugesera qui se poursuit. Bien que des dispositions relatives à la criminalité existent dans ce domaine, nous avons décidé d'utiliser des procédures d'immigration car les exigences en matière de preuve et de procédure sont moins strictes.

Cela veut dire qu'en fin de compte, nous n'obtenons pas le degré de certitude résultant des procédures criminelles et nous risquons de libérer des personnes qui ont pu commettre des crimes graves. Bien sûr, nous les avons expulsées du Canada, mais elles sont encore en liberté.

Cette mesure aurait été bonne si elle entrait dans le cadre d'une procédure d'extradition conforme à un traité d'extradition, car cette coopération au niveau judiciaire entraînerait des procédures judiciaires à l'encontre de la personne, des procédures qui, selon nous, équivaudraient aux nôtres. Cependant, il n'est pas juste que la vie de la personne soit détruite parce que les droits et libertés de cette personne ont été menacés sans être protégés par des garanties procédurales.

Notre Charte protège les droits de toutes les personnes, pas seulement des ressortissants canadiens. Dans notre Charte, seulement quatre droits se limitent expressément aux citoyens canadiens : le droit de vote, le droit de se faire élire, le droit à l'instruction dans la langue de la minorité et le droit d'entrer et de rester au Canada. Tous les autres droits sont garantis à toutes les personnes, y compris les étrangers.

L'absence d'un droit d'entrer ou de rester au Canada ne donne pas aux autorités canadiennes le droit de traiter l'étranger comme elles l'entendent. Le droit à la justice fondamentale existe, pour n'en citer qu'un seul, quand la liberté, la sécurité ou la vie sont en jeu. Il y a aussi un droit à l'égalité. Ces deux droits signifient que dans les procédures où la liberté, la sécurité ou la vie entrent en jeu, les étrangers et les ressortissants canadiens devraient être traités de la même façon et jouir des mêmes garanties. Cela va dans le sens de l'interprétation effet-base qui a été promue par la Cour suprême du Canada; dans des circonstances similaires, les gens devraient être traités pareillement.

Cela signifie que nous ne pouvons pas renvoyer quelqu'un dans son pays d'origine sans faire de procédures justes, pouvant varier selon la situation, mais ces procédures ne peuvent être arbitraires. Nous ne pouvons pas le renvoyer pour être torturé ou subir une punition ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. En ce sens, l'affaire Suresh établit un précédent — à des normes un peu insuffisantes à mon avis, mais quand même un précédent. Nous devons pouvoir nous justifier, en tout cas, nous devons le faire.

[Français]

Pourtant, nous voyons en droit et en pratique des traitements très différents entre les étrangers et les citoyens. Prenons un seul exemple — et je sors de la Loi antiterroriste pour aller vers des mesures similaires. Dans la loi sur la preuve, les attestations de sécurité qui protègent les informations confidentielles prévoient à l'article 38,14 que le juge a l'obligation de faire respecter le droit de l'accusé à un procès équitable au moyen, entre autres, d'un arrêt des procédures.

Dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette disposition n'existe pas. Le certificat de sécurité sera appliqué, et le décideur devra le mettre en œuvre même si, par ailleurs, il peut avoir l'impression que la justice ne serait pas servie.

On peut opposer l'argument à savoir que l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit à un procès juste et équitable, s'applique au droit criminel et non au droit administratif. Il ne s'appliquerait donc pas à ces procédures sous la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Mais la justice fondamentale exige une procédure équitable. C'est ce qu'on a entendu dans l'affaire Singh. Dans la doctrine des droits fondamentaux, cette distinction devient tranquillement désuète. Dans la récente Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui deviendra peut-être un jour la charte constitutionnelle de l'Europe, il est écrit à l'article 39 que toute personne dont les droits sont affectés, a droit à une procédure juste et équitable devant un décideur indépendant et impartial, cela s'appliquant en droit administratif, criminel ou autre.

[Traduction]

Avec la Loi antiterroriste, nous avons supposé, jusqu'à présent, consciemment ou non, que cette loi visait les étrangers. Cela est vrai pour les procédures entrant dans le cadre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, c'est également vrai pour le Code criminel et la Loi sur la preuve. Nous estimons que toutes ces mesures radicales et qui empiètent sur la vie privée sont valides, car nous n'imaginons pas qu'elles puissent s'appliquer à « nous ».

Nous avons fini par admettre que les chefs de la mafia doivent être protégés par des règles de procédure et de la preuve car nous les jugeons essentiels pour notre protection. Nous pourrions être à leur place et c'est la raison pour laquelle nous voulons qu'ils soient protégés. Nous voudrions être protégés si nous étions à leur place. Nous n'avons pas encore entamé ce processus psychologique pour le terrorisme. Nous considérons encore que le terroriste est une personne de l'extérieur, un étranger.

L'affaire Maher Arar est un bon exemple. Notre collaboration apparente au niveau des renseignements avec les autorités américaines, notre hésitation au niveau politique durant les premiers mois de cette affaire ont montré à quel point nous le considérions comme un étranger. Seulement plusieurs mois après, nous avons reconnu qu'il était des nôtres, ce n'est qu'après l'acharnement de sa femme à obtenir sa libération que nous avons reconnu qu'il était des nôtres, qu'il était en fait un ressortissant canadien.

Mais, nous pourrions aussi citer d'autres exemples. Un fonctionnaire canadien a récemment déclaré que les preuves obtenues sous la torture dans un pays étranger pourraient être admissibles au Canada, car elles pourraient nous donner de bons renseignements. Nous n'accepterions pas ce genre de torture au Canada. Pourquoi alors accepter qu'elle soit faite ailleurs à d'autres personnes?

Nous entendons des points de vue et quelquefois ces points de vue sont très documentés — Jeffrey Simpson du Globe and Mail a plusieurs fois écrit que la Charte ne devrait pas s'appliquer à plusieurs types d'étrangers, y compris les étrangers en situation irrégulière au Canada. Ce genre de réflexion aide à façonner l'opinion publique.

[Français]

La protection des sources de certaines informations de sécurité est essentielle, mais il faut que des juges puissent le décider, c'est ce que nous avons décidé pour nous- même. Il faut aussi que les juges puissent faire prévaloir la justice, même pour l'étranger. C'est essentiel pour la validité morale et juridique de nos dispositions antiterroristes que les citoyens et les étrangers ne soient pas traités différemment lorsque leurs mêmes droits sont en jeu. D'une part, nos principes constitutionnels devraient l'interdire. D'autre part, il y a le glissement toujours possible d'une catégorie de population vulnérable à une autre. On pourrait voir demain ce type de mesure antiterroriste applicable à des actions autochtones ou étudiantes. Nous ne pouvons pas faire confiance à nos autorités malgré toute l'envie que nous en ayons. Nous ne pouvons pas signer un chèque en blanc à nos autorités. La confiance se construit par des garanties mutuellement acceptables. L'étranger personnifie la vulnérabilité, entre autres, parce qu'il ne porte jamais plainte. En effet, l'étranger porte rarement plainte contre les autorités. Il a trop peur de voir son statut mis en cause. C'est une des raisons pour lesquelles il faut lui accorder une protection particulière.

Je ne verrais aucun problème à renvoyer, par exemple, un Italien en Italie pour subir un procès en terrorisme, avec des mécanismes d'extradition même simplifiés, comme cela se fait en Europe. C'est une collaboration judiciaire souhaitable qui offre les garanties procédurales nécessaires. Par contre, le renvoi d'un étranger vers un pays où il risque la détention arbitraire, la torture ou la mort en l'absence de la protection de son pays d'origine est différent. Cela implique une obligation spéciale pour le Canada de le protéger.

[Traduction]

Des procédures telles que les certificats de sécurité sont troublantes quand on les appliquent aux étrangers, mais les renseignements recueillis sont plus dommageables à nos libertés collectives si les services de renseignement ne sont pas surveillés adéquatement par des autorités démocratiques et judiciaires pertinentes. L'absence de mécanismes de surveillance appropriés peut aussi être liée, du moins en partie, à la notion que ces mesures seront principalement appliquées aux étrangers, pas à nous.

Nous devons veiller à ne pas relâcher notre vigilance et ne pas penser que ces mesures ne s'appliquent qu'aux étrangers, car un jour elles pourraient tout aussi bien s'appliquer à nous. Il y a un siècle, les travailleurs industriels étaient les « autres ». Il y a 50 ans, le statut de la femme était « différent ». Il y a encore peu de temps le statut des Autochtones était « différent ». Nous considérons qu'ils sont comme nous et ne devraient pas être victimes de discrimination.

J'estime qu'en ce qui concerne la plupart des droits et libertés, les étrangers sont aussi comme « nous », et devraient donc être protégés. Je crois que le Canada devrait montrer l'exemple.

La présidente : Merci beaucoup. Nous terminons les exposés avec M. Mollard.

[Français]

Murray Mollard, directeur exécutif, British Columbia Civil Liberties Association : Madame la présidente, membres du comité, merci de nous avoir invités à parler de la loi contre le terrorisme.

[Traduction]

Notre association étudie ce genre de question depuis 1963. L'éventail des libertés civiles est très large et quand nous, et d'autres groupes, abordons des questions aussi délicates que la sécurité nationale, nous mettons toujours au premier plan la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté de religion et les intérêts de nature privée.

Nous convenons que les autorités de notre gouvernement disposent des moyens de nous protéger au plan de la sécurité nationale et contre le terrorisme avant et après le 11 septembre 2001.

Je veux commencer par le chapitre consacré aux certificats de la sécurité dans notre mémoire, moins parler des réformes procédurales que nous avons suggérées et commencer par quelque chose qui est essentiel. C'est vraiment ce qui nous réunit aujourd'hui. Les avocats, les législateurs et les analystes des politiques aiment parler des détails de la loi, mais ce qui compte au fond, c'est l'aspect humain, un élément très humain.

Cet élément humain est revenu à ma mémoire lors de mon exposé sur l'affaire Arar devant un syndicat de travailleurs de la santé à Vancouver. Nous avons été impliqués à titre d'intervenants dans l'affaire depuis bien plus d'un an et j'en connais assez bien les détails, j'ai pris le temps d'étudier de manière approfondie la chronologie de l'affaire et en consultant le site Web de Maher Arar. Quand on lit ses propres mots, l'expérience qu'il a endurée en tant qu'être humain, on commence à comprendre pourquoi cela est si important, pourquoi nous devons bien faire les choses et pourquoi nous ne pouvons pas nous engager dans certaines activités qui frisent la torture. Je suggère la même chose pour les quatre personnes encore susceptibles d'être détenues à cause des certificats de sécurité.

Voilà un régime qui se caractérise par des conditions inhumaines, une détention à durée indéterminée, des preuves secrètes et des procès secrets. Et pour finir, le risque d'être déporté dans un pays qui pratique la torture en est le grand prix.

Je ne pense pas qu'il soit exagéré de dire — et ce n'est pas entré dans l'hyperbole de le dire — que c'est équivalent au camp de concentration au Canada et que c'est notre version de la Baie de Guantanamo. Nous n'avons pas de photos d'Abu Ghraib ou entendu des plaintes de violence physique, mais nous avons des renseignements et des preuves sur la privation psychologique et la privation de conditions matérielles et cela nous entraîne dans une voie que vous voulons éviter.

Avant de parler des conditions inhumaines, notre but est de vous prier instamment de faire tout ce qui est en votre pouvoir soit de demander la libération des quatre prisonniers restants à cause des certificats de sécurité soit de demander qu'ils soient accusés publiquement, qu'on leur présente la preuve contre eux et qu'on leur donne le droit de répondre à ces accusations.

Par « conditions inhumaines », nous voulons dire l'isolement cellulaire, l'alimentation mal équilibrée, peu ou aucune possibilité de faire des exercices, le manque de vêtements adaptés aux températures basses des cellules, le manque de chaussures et pas de visites de la famille. Toutes ces conditions rappellent celles d'un camp de concentration. Même les pires meurtriers ne sont pas traités de cette façon.

Qu'en est-il de la durée indéterminée des détentions? Permettez-moi d'apporter une touche personnelle en citant quelques noms. Hassan Almrei, arrêté en octobre 2001; Mohammed Harkat, arrêté en décembre 2002; Mohammed Mahjoub, arrêté en juin 2000; Mohammad Jaballah, en août 2001 et M. Charkaoui libéré sous caution. Mes collègues confirmeront la réputation de la Syrie, de l'Algérie et de l'Égypte dans le chapitre des droits de l'homme ou de leur absence. Ces hommes risquent d'être déportés dans ces pays.

En ce qui concerne la preuve secrète et des procès secrets. Le gouvernement déclare que la confidentialité est nécessaire quand il s'agit de la sécurité nationale et tout le monde souscrit à cette proposition générale. Cependant, en ce qui concerne les certificats de sécurité, les détenus n'ont pas accès à la preuve retenue contre eux. Ils ne peuvent pas préparer leur défense ou contester efficacement ce genre de preuve. Il est important de souligner ici la distinction entre « renseignements » et « preuves ». En fait, je suggère qu'il n'y a pas de preuve dans ces cas. Le critère juridique à respecter est celui du « caractère raisonnable ». C'est le critère le plus élevé, même s'il n'est pas très élevé.

Ian MacDonald, agent spécial d'Angleterre, a démissionné prétendant qu'il ne pouvait plus travailler pour ce qu'il jugeait être un système fondamentalement injuste. Il a souligné qu'en ce qui concerne un certificat de sécurité, tout ce dont les autorités ont besoin, c'est de fournir suffisamment de « renseignements » qui convaincraient un tribunal que sa décision de déporter une personne est raisonnable. Le tribunal n'a pas de mécanisme de contrôle rigoureux, il a beaucoup de respect envers le gouvernement. Voilà le problème pour ce qui est de l'essai.

Il faut se rappeler qu'ici les renseignements peuvent se limiter à des demi-vérités. Il se peut que ce ne soit pas toute la vérité. Ce n'est pas la même chose que de remettre ces renseignements aux responsables de l'application de la loi criminelle, qui mènent alors des enquêtes visant à transformer ces renseignements en preuves réelles qui permettent d'intenter des poursuites pour des infractions particulières. Il y a là une grande différence. En bout de ligne, des personnes peuvent être déportées dans des pays reconnus pour pratiquer la torture et enfreindre autrement les droits de la personne.

Nous vous prions, en tant que de sénateurs, de faire votre possible pour rectifier cette situation, tant au niveau de la procédure qu'au niveau humain.

Dans notre mémoire sur la Loi antiterroriste, nous sommes d'accord avec le groupe de M. Allmand pour dire que tous les pouvoirs et toutes les autorisations nécessaires existaient avant même l'adoption de la loi. La réalité politique, c'est que la loi est là, alors nous avons fait une série de recommandations sur ce que nous aimerions voir comme réforme. Cette loi est si vaste, elle comporte de si nombreux pouvoirs et elle a des répercussions si importantes sur de très nombreux textes législatifs qu'il est difficile de tout démêler. Nous nous concentrons sur l'article 38 et sur les dispositions relatives au secret dans la Loi de la preuve au Canada et nous allons parler de la reddition de comptes au niveau politique et autre.

La loi définit l'« activité terroriste ». Nous aurons quelque chose à dire à ce sujet, mais nous vous prions de regarder au-delà de la loi sur la justice, de la Loi sur la protection de l'information et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Il y a d'autres textes législatifs qui définissent la sécurité nationale et qui, à mon avis, sont également importants parce qu'ils confèrent aux organismes de renseignement et d'application de la loi l'autorité nécessaire pour faire leur travail, de façon générale.

Nous prions le comité de recommander de resserrer la définition pour six raisons de politique. Premièrement, la Loi antiterroriste était justifiée après le 11 septembre 2001, à cause de la nature catastrophique et moralement répréhensible et sans parallèle du geste; et pour d'autres crimes, par exemple, les événements de New York, de Bali, d'Istanbul, de Madrid, de Londres et de Bali encore une fois. C'est le crime qui se situe deux ou trois coches au-dessus des autres crimes et elle est justifiée dans ces conditions. Nous disons que la définition d'« activité terroriste » qui est le point central de ce genre de texte législatif, doit être centrée sur les crimes moralement répréhensibles qui font l'objet d'une condamnation universelle et non seulement sur les questions criminelles qui pourraient avoir un mobile politique.

Deuxièmement, les questions de sécurité nationale sont voilées de secret et ne respectent pas la norme habituelle pour ce qui est de la transparence, de l'ouverture et de la reddition de comptes. Il n'y a pas d'audiences publiques et nous vous prions de changer ce système. Il y aura des moments où le public n'aura pas accès à l'information sur certaines questions de confidentialité ou d'autres questions. Nous vous invitons à faire en sorte que la définition soit aussi étroite que possible dans ce contexte.

Troisièmement, par leur nature, les organismes de sécurité nationale appliqueront l'autorité et le pouvoir discrétionnaire de la manière la plus étendue possible. Si vous donnez une définition étendue à des expressions comme « sécurité nationale » et « terrorisme », ils vont essayer de repousser les limites. Je ne veux pas insinuer que c'est mal ou que c'est inapproprié, parce que c'est ce que l'on attend d'eux. Leur mandat est de protéger la sécurité publique et ils iront aussi loin qu'il le faut, en respectant la primauté du droit, nous l'espérons, pour y arriver. Toutefois, ils vont repousser ces limites si vous leur donnez une définition étendue, comme c'est le cas dans la Loi antiterroriste.

Quatrièmement, le mot « terrorisme » s'est révélé très difficile à définir depuis des décennies et fait l'objet de toutes sortes d'interprétations politiques, telles que votre terroriste devient mon combattant de la liberté et vice versa.

Cinquièmement, l'histoire nous enseigne que lorsque les sociétés craignent que des ennemis inconnus leur fassent du mal, les libertés fondamentales en souffrent et les activistes politiques et religieux sont ciblés.

Sixièmement, vous définissez les termes d'une manière étroite parce que vous voulez que le public ait confiance dans le travail de nos organismes de sécurité nationale. Nous ne voulons pas de commissions MacDonald ni d'enquêtes Arar et les autorités en matière de renseignement et d'application de la loi n'en veulent pas non plus. Définissez les termes de manière étroite et restreignez le pouvoir discrétionnaire, l'autorité et les pouvoirs.

Nous proposons une définition révisée d'« activité terroriste » qui se lit comme suit :

Toute action qui est destinée ou dont on peut raisonnablement prévoir qu'elle est destinée à causer la mort ou des lésions corporelle graves à des personnes qui ne sont pas activement ou directement mêlées à des conflits dans le but d'intimider une population ou de forcer un gouvernement ou un organisme international à entreprendre ou à s'abstenir d'entreprendre une action.

Cette définition reprend divers éléments de la définition actuelle et la restreint, bien qu'il y ait encore de l'incertitude concernant cette définition.

Dans la partie 3 de notre mémoire, nous avons traité des équipes intégrées de la sécurité nationale de la GRC. Il s'agit de nouvelles unités d'élite de lutte antiterroriste créées après le 11 septembre. Nous avons tenté de suivre les cas rapportés publiquement, dont la plupart sont survenus en Colombie-Britannique. Nous n'avons pas trouvé de cas aussi nombreux dans les nouvelles en provenance d'autres parties du pays.

Nous avons essayé de suivre ces cas et de les décrire et nous le faisons en détail dans le mémoire. Ces cas font intervenir des activistes environnementaux, des activistes dans le domaine du bien-être des animaux, des activistes autochtones et un chef religieux musulman. Je ne dirais pas que la police n'avait pas un rôle à jouer dans certaines de ces activités; toutefois, pensez-vous que ce type d'activités qui intéresse les organismes d'application de la loi et de renseignement correspond vraiment au genre de menace liée au terrorisme et à la sécurité nationale que nous avions en tête lorsque nous avons élaboré la Loi antiterroriste? Je répondrai aux sénateurs que ces activités n'arrivent pas à ce niveau. Je ne peux blâmer la GRC d'agir ainsi parce que le Parlement lui a donné l'autorité d'agir d'une manière aussi large et inappropriée à notre point de vue, parce que la définition de la loi lui donne beaucoup trop d'autorité et de pouvoir discrétionnaire.

Dans la partie 4, nous parlons de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, qui permet le secret absolu. Même si la Cour suprême du Canada examine les faits et juge que ces derniers devraient être divulgués parce que l'intérêt public lié à la divulgation l'emporte sur l'intérêt public lié à la non-divulgation, à cause du danger potentiel pour la sécurité nationale, le gouvernement conserverait un pouvoir discrétionnaire absolu pour garder cette information secrète. Nous proposons diverses réformes pour supprimer ce pouvoir discrétionnaire absolu et donner plus de pouvoirs à l'organe judiciaire pour qu'il puisse examiner la conduite de l'organe exécutif. Nous préconisons un système « d'agents spéciaux » dont les détails sont donnés dans notre mémoire.

Dans la partie 5 de notre mémoire, nous décrivons le but des certificats de sécurité. Nous avons fait diverses suggestions relatives à la procédure, y compris l'inclusion des dispositions pour la libération sous caution de ces personnes. Cela n'a pas été permis jusqu'à présent, sauf dans l'affaire Charkaoui, parce que la loi est muette à cet égard.

En ce qui concerne les certificats de sécurité, nous avons évoqué une procédure d'appel accélérée auprès de la Cour suprême du Canada. Il s'agit d'une mesure inhabituelle, mais étant donné le petit nombre de cas, l'importance de cette question et les problèmes qui surviennent avec les détentions indéfinies, nous croyons qu'il s'agirait d'un rôle approprié pour la Cour suprême.

Dans la partie 6, nous parlons des mécanismes de reddition de comptes applicables aux organismes de sécurité nationale. Depuis le 11 septembre, il y a eu un investissement massif dans la revitalisation de notre appareil de sécurité nationale, par le biais de la législation, de la création de nouvelles agences, de la restructuration des agences existantes, de l'investissement d'argent neuf, de l'ajout de nouvelles personnes et, effectivement, d'une volonté politique de faire quelque chose pour prévenir le terrorisme. Cependant, nous n'avons pas vu l'élaboration de nouvelles formes de reddition de comptes qui serviront de freins et contrepoids à l'autorité, aux pouvoirs et aux ressources qui ont été attribués à cet appareil de sécurité nationale. Nous sommes d'avis qu'il s'agit d'une recette pour un désastre. Le temps est arrivé de changer cela et les sénateurs ont un rôle important à jouer pour faire de telles recommandations. Nous pensons que l'organe judiciaire a besoin de plus d'autorité et de pouvoirs en vertu de la loi pour examiner en profondeur les actions de l'organe exécutif.

Il devrait y avoir un comité d'examen parlementaire. J'ai lu l'information, le document de discussion et le rapport provisoire du comité. Je ne suis pas certain si certains des sénateurs présents ici aujourd'hui siégeaient au sein du comité parlementaire provisoire, mais il a fait des recommandations au ministre. La réponse du ministre a été de proposer un comité qui n'a aucun mandat pour traiter des droits de la personne. Le comité s'occuperait plutôt de l'efficacité de l'appareil de sécurité nationale. Je pense que ce genre de comité parlementaire n'a rien à ajouter en termes de freins et contrepoids au système.

Nous proposons qu'il y ait une plus grande possibilité d'examen indépendant par le public. Nous aurons une rencontre avec le juge O'Connor en novembre pour discuter de ce que nous entrevoyons comme mécanismes publics de surveillance indépendants appropriés dans le cas de la GRC.

On compte de nombreuses nouvelles agences sur la scène de la lutte antiterroriste. Nous proposons qu'il y ait un comité d'examen de la sécurité nationale pour examiner le travail de tous les organismes de sécurité nationale ainsi qu'un bureau de l'ombudsman des libertés civiles. Dans ce domaine, le mot d'ordre c'est « faites-nous confiance ». Le gouvernement dit simplement que nous devons lui faire confiance dans ces questions. Même le comité sur le renseignement de sécurité le dit. Il serait utile d'avoir quelqu'un à l'intérieur qui n'est rien d'autre qu'un ombudsman pour les libertés civiles et les droits de la personne.

Notre dernière recommandation concerne un examen par les médias et des organismes non gouvernementaux, comme le nôtre, qui se ferait par le biais d'audiences publiques.

Le sénateur Stratton : Messieurs, merci de vos exposés très intéressants cet après-midi. Dans le cas d'une loi aussi draconienne que la Loi antiterroriste qui confère tant de pouvoir, je pense que si nous n'arrivons pas à y faire inclure une disposition de temporarisation et à en limiter ainsi la durée, elle traînera sur les tablettes pour être utilisée lorsque l'occasion se présentera. Je sais que M. Allmand est d'accord avec cette position.

À part une disposition de temporarisation, dans laquelle je crois, pensez-vous qu'un examen tous les trois à cinq ans suffirait?

Comme je l'ai dit plus tôt, si vous faites un examen tous les trois à cinq ans, il n'est pas certain que l'examen portera sur les problèmes qui vous intéressent. Il n'y aurait rien pour forcer le gouvernement à respecter cette norme. Je ne pense pas du tout que nous faisons du bon travail sur la question des droits individuels.

Seriez-vous d'accord avec l'inclusion d'une disposition de temporarisation dans ce projet de loi?

Chacun d'entre vous a exprimé assez clairement sa position en matière de droits individuels. Je crois dans une disposition de temporarisation.

Quel recours avons-nous si le gouvernement décide de ne pas mettre en oeuvre nos recommandations?

M. Mollard : Notre position, c'est que nous n'avons absolument pas besoin de cette loi. Si nous ne la supprimons pas entièrement, alors ajoutons-lui une disposition de temporarisation et forçons le gouvernement à la défendre, ce qu'il n'a pas vraiment eu à faire au moment de la panique morale de l'automne de 2001.

Vous avez raison; vous ferez des recommandations et le gouvernement pourrait ou non leur accorder une oreille attentive. Cependant, le gouvernement n'aura pas à défendre sa cause de la même manière qu'il devrait le faire s'il devait reconduire la loi ou en faire une nouvelle à partir de zéro.

Pour ce qui est de l'examen tous les trois à cinq ans, je peux comprendre qu'il peut être frustrant de faire constamment les mêmes recommandations.

Il est important de créer des mécanismes permanents de reddition de comptes en matière de sécurité nationale à différents niveaux. De cette façon, chaque niveau peut traiter avec son propre microcosme de détails. Il y a une quantité incroyable d'information à digérer. Cependant, nous ne pouvons pas négliger l'élément humain et les faits concernant les personnes.

Il n'y a pas de mécanisme systématique de surveillance et d'examen et ce, non pas seulement pour la GRC ou le SCRS. En fait, depuis les déclarations récentes de Shirley Heafey, présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, nous savons qu'un tel mécanisme n'existe pas. Nous avons besoin de ces mécanismes de surveillance de sorte qu'on puisse faire rapport au Parlement et faire des recommandations publiques. Le ministre a la responsabilité de répondre. Il y a la surveillance par les médias. Ce n'est pas un exemple parfait. Évidemment, il y a la jurisprudence et les tribunaux. Il y aura toujours cette possibilité.

Nous savons que la Cour suprême du Canada se penchera sur la question des certificats de sécurité dans l'affaire Charkaoui. Nous allons tous suivre cette cause avec intérêt. Nous avons besoin de ce mécanisme de reddition de comptes permanent tous les jours et non pas une seule fois tous les trois à cinq ans.

M. Crépeau : L'important, c'est de garder ces questions dans le débat public et il y a de nombreuses façons de le faire. L'examen régulier est nécessaire de sorte qu'après trois ou cinq ans, nous pouvons revenir sur les questions et les débattre de nouveau au Parlement.

L'examen judiciaire de la nature constitutionnelle d'un grand nombre de ces dispositions est déterminant. La Cour suprême va examiner prochainement la question des certificats de sécurité. D'autres questions seront soulevées devant les tribunaux. La cour fédérale du Canada a déjà rendu un petit nombre de décisions qui font partie du débat public. Les mécanismes de surveillance font également ce genre de travail.

Dès que l'état de panique moral sera passé, dès que cette question se retrouvera au centre d'une question politique importante, une parmi tant d'autres, le voile du secret commencera à se dissiper. C'est là peut-être que des erreurs, des cas comme l'affaire Arar, feront surface et feront comprendre au public qu'il faut faire quelque chose au sujet des mécanismes de surveillance. L'important, c'est de garder cette question dans le débat public. Notre pire ennemi est le silence et le secret.

M. Allmand : Premièrement, sénateur, vous avez demandé : quel est le recours? Évidemment, un grand nombre d'entre nous ont été heureux d'apprendre que la Cour suprême acceptait d'entendre la cause d'Adil Charkaoui. Un bon nombre d'entre nous pensent qu'il gagnera sa cause et que le tribunal jugera qu'un bon nombre des dispositions relatives aux certificats de sécurité sont illégales.

Le fait que la Cour suprême du Canada a accepté d'entendre cette cause et le fait qu'un grand nombre de ces questions seront contestées devant les tribunaux rendent optimistes un bon nombre d'entre nous. Je dis cela surtout à la lumière de la décision, à huit contre un, de la Chambre des lords l'an dernier. La Chambre des lords a jugé, en vertu de la Charte européenne des droits de la personne, que la législation britannique, qui est semblable à la nôtre, était illégale.

En ce qui concerne la surveillance, l'enquête du juge O'Connor avait deux mandats. Le premier mandat était une enquête factuelle visant à déterminer ce qui est vraiment arrivé à M. Arar et qui est responsable de ces actes. Le second mandat était un examen de la politique pour ensuite faire des recommandations sur cette dernière.

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles a présenté un mémoire concernant l'examen de la politique recommandant un organisme de surveillance unique et fort pour toutes les activités de sécurité et de renseignement. À l'heure actuelle, nous avons quatre commissions de surveillance et chacune d'elles a des pouvoirs différents et des fonctions différentes. Pour ce qui est de la commission présidée par Shirley Heafey, elle a dit qu'elle est très inefficace.

Le juge O'Connor étudie ces questions et fait de la recherche depuis plus d'un an. Votre comité en fait autant. Je serais peiné de voir des recommandations présentées par le comité de la Chambre ou par le présent comité d'une manière isolée par rapport aux recommandations du juge O'Connor, parce que ce dernier a fait beaucoup de travail dans ce domaine également.

En ce qui concerne la disposition de temporarisation, notre première recommandation est d'abroger la loi, de retourner à la planche à dessin et de renforcer la capacité des organismes de police et de sécurité. De cette façon, nous n'aurions pas des cas comme celui de M. Arar ou des nourrissons figurant sur la liste des personnes à qui l'on interdit de prendre l'avion. J'ai d'autres exemples choquants. Le filet est beaucoup trop grand et de nombreux innocents en sont victimes.

La disposition de temporarisation serait notre deuxième choix. Si nous ne pouvons pas abroger la loi, cette disposition serait certainement utile.

Notre troisième choix serait d'avoir un examen tous les deux ou trois ans. Sénateur, vous avez vous-même signalé les lacunes de ce processus. Toutefois, c'est encore mieux que de ne pas avoir d'examen du tout. C'est parce qu'il y a de nombreux textes législatifs qui continueraient simplement de s'appliquer autrement.

Le sénateur Stratton : C'est une de mes préoccupations et je pense que nous devrions tous avoir cette préoccupation.

M. Allmand : En Grande-Bretagne, cette législation a été en vigueur pendant 30 ans et plus en raison des événements en Irlande du Nord. De nombreuses personnes innocentes ont été emprisonnées en vertu de cette loi. Les autorités ont réussi à mettre la main au collet de certains criminels, mais elles ont aussi attrapé certains innocents.

Le sénateur Joyal : Monsieur Allmand, j'aimerais examiner deux questions avec vous. La première, qui est importante à mes yeux, est liée au quatrième paragraphe de la page sept. On peut y lire ce qui suit :

Reid Morden déclare que « dans sa hâte de rejoindre le peloton de tête, le gouvernement allait au-delà des lois britanniques et américaines et englobait dans sa définition des activités terroristes les protestations licites de nature politique, religieuse ou idéologique qui perturbent intentionnellement des services essentiels [...] Le tout a pour effet d'étendre le vaste champ du droit pénal d'une façon complexe, nébuleuse et illimitée. »

Pour le bénéfice des gens présents dans la salle, veuillez nous dire qui est Reid Morden.

M. Allmand : Reid Morden est l'ancien chef du SCRS. J'oublie à quel moment exact il a occupé ce poste, mais il a comparu et a témoigné devant la commission O'Connor. Il a dirigé le SCRS pendant une certaine période de temps. Je pense que son mandat s'est terminé il y a un an ou quelque chose comme cela.

Le sénateur Joyal : À mon avis, il s'agit d'une déclaration importante. Elle vient de quelqu'un qui a eu la responsabilité de gérer les activités et les opérations du SCRS. Il connaît parfaitement bien le système. Il s'agit de l'un des plus hauts fonctionnaires de l'administration canadienne. Si une personne qui a eu un tel niveau de responsabilité porte un jugement aussi accablant sur la Loi antiterroriste, cette loi mérite certainement de faire l'objet d'audiences devant la cour, pour utiliser une expression juridique que vous connaissez très bien. Son témoignage sur les répercussions de la Loi antiterroriste, au moins concernant les activités quotidiennes du SCRS, est d'une importance primordiale. J'ai lu cette déclaration importante dans le journal lorsqu'elle a été rapportée et j'espérais que des témoins la portent à l'attention du comité, parce que je pense que nous ne pouvons pas l'ignorer.

M. Allmand : Le point qu'il fait valoir concerne l'inclusion des contestations de nature politique, religieuse ou idéologique dans la définition d'activités terroristes. Certains de nos amis musulmans et arabes ont signalé qu'en vertu de cette définition le simple fait de pratiquer leur religion de manière appropriée peut éveiller des soupçons et les faire cataloguer comme des terroristes.

Cela me rappelle un peu les problèmes que nous avons eus dans les années 70 lorsque les gens qui croyaient dans la souveraineté du Québec ont été considérés comme des terroristes. Certains des agents des services de renseignement ont tout confondu et accusé des gens d'être des terroristes simplement parce qu'ils appuyaient une certaine option politique. Je ne partageais pas leur opinion, mais ils n'étaient pas violents et il était mal de mettre leurs noms sur des listes de terroristes suspects.

La même chose arrive avec cette définition et des personnes non violentes sont jugées pour leur opinion politique, religieuse et idéologique. Elles sont jugées qu'elles fassent ou non la promotion de la violence.

Nous avons bien compris vos propos. Je ne savais pas si M. Morden avait été appelé à témoigner devant le présent comité ou s'il constituait un témoin approprié. Il a effectivement comparu devant la commission Arar.

M. Tassé : M. Morden a dit il y a deux ans, dans un rapport très important, que les organismes de sécurité au Canada n'avaient pas besoin de la Loi antiterroriste pour faire leur travail. L'ex-directeur du SCRS a dit cela peu de temps après l'adoption de la loi. En fait, c'était peut-être au même moment que les audiences publiques sur l'adoption du projet de loi C-36. Il a dit publiquement que le SCRS n'avait pas besoin de cette loi pour faire son travail dans la lutte au terrorisme. Si jamais vous convoquez M. Morden, il serait peut-être utile de lui poser ces questions.

Le sénateur Joyal : Monsieur Allmand, j'ai écouté attentivement vos arguments et la substance de votre critique de la Loi antiterroriste, mais je ne peux m'empêcher de vous poser une question politique plus large. Vous avez déjà fait partie du gouvernement. Comme vous l'avez dit dans votre déclaration préliminaire, vous étiez solliciteur général du Canada. Ces responsabilités relèvent maintenant du ministre de la Sécurité publique.

J'ai l'impression que le gouvernement est plus ou moins prisonnier du dicton « Mieux prévenir que guérir ». En d'autres mots, il est préférable d'agir, même si nous ratissons large, parce qu'au moins, les gens ont l'impression que nous faisons quelque chose. Une fois que cette impression existe, si quelque chose arrive, nous serons sans reproche. Et il s'agit certainement là d'un des contextes généraux dans le cadre desquels le gouvernement légifère toujours.

Comme vous le savez, ayant lu les journaux comme je l'ai fait, il y a maintenant un projet de loi en préparation qui porte sur les entreprises de câblodistribution, Vidéotron et les autres services de câblodistribution, pour avoir accès à tous vos comptes, téléphone cellulaire, et ainsi de suite.

Ce qui est arrivé à Londres l'été dernier a déclenché une série de mesures que le gouvernement britannique veut maintenant adopter pour expulser ceux qui font des discours ou des interventions dans le débat public qui semblent appuyer le terrorisme. Il ne fait aucun doute qu'il y a toujours des pressions dans l'univers politique qui viennent alimenter cette perception politique, comme je l'ai dit, du « Mieux vaut prévenir que guérir ».

Vous avez été député pendant 31 ans. Comment pouvons-nous faire face à la réalité fondée sur votre première recommandation selon laquelle demain, nous pouvons annoncer que nous mettons de côté tout ce qui est dans le projet de loi C-36? Ne pensez-vous pas que nous devons traiter de cette réalité en tant que Parlement?

M. Allmand : Évidemment, vous devez y faire face, mais j'ai également dit que nous avons besoin d'un travail policier plus efficace et d'un travail de sécurité plus efficace. Il est certain que les sénateurs et les députés devraient être préoccupés par certains des cas que nous avons vus. J'ai donné l'exemple de Bhupindar Liddar. Comment cela est-il arrivé? Ils avaient un rapport de sécurité disant que cet homme ne devait pas être nommé consul général en Inde et ils ont plus tard découvert que ce rapport n'était pas fondé. Nous avons eu toute la question de M. Arar. Comment les États-Unis ont-ils su que M. Arar avait été torturé et emprisonné pendant un an?

Bien que vous puissiez abroger le projet de loi C-36 et retourner à la planche à dessin, vous pourriez améliorer immédiatement la façon dont les forces policières et les services de sécurité fonctionnent de sorte que, plutôt que de lancer un filet très large, ces derniers soient plus efficaces pour arrêter ceux qui constituent vraiment une menace. Je n'ai aucune objection qu'ils attrapent ceux qui nous menacent.

Vous avez raison de dire que c'est très difficile. Cette attitude du « Mieux vaut prévenir que guérir » revient dans l'arène politique une fois de temps à autre dans notre histoire. Il y a une autre période où cette attitude ne joue pas un rôle prédominant. C'est difficile pour le solliciteur général ou le ministre qui occupe cette fonction, parce qu'on vous présente des listes de noms pour qu'on approuve la surveillance ou la surveillance électronique, et ainsi de suite, pour des raisons de sécurité. Vous ne connaissez pas ces gens. Vous recevez des rapports et vous pouvez demander pourquoi cette personne fait l'objet d'une surveillance. Vous n'avez pas un organisme pour vérifier ce que font les forces policières, bien qu'antérieurement, le CSARS avait la responsabilité de regarder les certificats de sécurité.

Ce qui arrive, évidemment, c'est que vous avez peur de rejeter une demande particulière parce que si la personne fait sauter un immeuble, alors c'est votre responsabilité. Durant mon mandat comme solliciteur général, il s'est avéré tout simplement que je connaissais certaines des personnes figurant sur la liste. Lorsque j'ai vu certains des noms, j'étais dans un état de choc absolu. Il y avait un ami d'enfance qui était professeur à l'Université Laval et je leur ai dit que cet homme particulier était ce qu'il y a de plus loin d'un terroriste que je pouvais imaginer. Je leur ai dit de faire une nouvelle vérification. Ils ont fait la vérification et m'ont dit que j'avais raison à son sujet.

Je peux vous donner d'autres exemples où il s'est avéré que nous connaissions les noms, et ils sont venus me voir en tant que solliciteur général et m'ont dit qu'une certaine personne n'avait pas obtenu la cote de sécurité. Lorsque nous avons vérifié la méthodologie, nous avons trouvé des gens sur des listes parce que des voisins dans les immeubles à logement faisaient des dénonciations pour très peu de choses. De bons citoyens se sont retrouvés sur des listes par ouï- dire, ce que j'appellerais du travail d'enquête bâclé.

Il s'est adonné que nous connaissions ces personnes, mais cela met le ministre dans une position très difficile si ce dernier ou cette dernière ne connaît pas personnellement les personnes en cause.

Nous avons besoin d'organismes de surveillance plus efficaces et d'un CSARS renforcés qui examinent tous les organismes de sécurité au Canada, qu'il s'agisse du Centre de la sécurité des télécommunications, de la police militaire ou de la GRC.

Les EISN, les équipes intégrées de la sécurité nationale, qui font du travail de renseignement comprennent des gens provenant des forces de police provinciales, des forces de police municipales, de la GRC, du SCRS et ainsi de suite. Tous ces organismes partagent de l'information et nous courons le risque que l'information qu'ils transmettent au gouvernement soit inexacte et ait la capacité de faire du tort à des innocents. Nous avons besoin d'un organisme de surveillance fort.

J'étais ministre durant la période qui précédait les Jeux Olympiques de Montréal en 1976, qui suivaient les Jeux Olympiques de Munich où des terroristes avaient assassiné 11 athlètes israéliens. Nous nous attendions au pire pour Montréal, pourtant nous avons bien planifié et si vous vous en souvenez, nous avons fini avec un système qui n'était pas visible et nous avons eu des Jeux Olympiques sans incident. Nous n'avons pas suspendu les libertés civiles, mais des procédures très efficaces ont assuré notre succès. Il est possible que les temps aient changé, mais nous avons fait du bon travail sans nuire au public tout en respectant leur droit de participer aux Jeux et ainsi de suite. Rien n'est arrivé à Montréal à la suite des terribles événements de Munich. Nous avons travaillé à la planification pendant quatre ans pour nous assurer que la ville était sûre.

Le sénateur Joyal : Ce que je veux dire, c'est que le Parlement peut assurer une surveillance quotidienne jusqu'à un certain point. En tant que ministre, il s'est avéré que vous connaissiez certains des noms. Une autre personne qui aurait occupé votre poste à ce moment-là aurait pu ne pas connaître le nom et le système ce serait retourné contre cette personne.

L'approche appropriée, évidemment, c'est que le Parlement est une tribune publique et il est important de définir les paramètres ou les principes qui régissent le système. Vous avez parlé de l'affaire Liddar et le public est bien au courant de tous les détails concernant cet homme et sa famille, mais combien d'autres cas passent inaperçus?

Nous devrions nous préoccuper des gens inconnus, parce que les personnes bien connues, comme M. Liddar, à cause de leur réputation, peuvent rencontrer les médias et défendre leur propre cause.

Nous avons entendu le cas de Mme Russow, ce matin, et en tant qu'ex-présidente du Parti vert, et en tant que figure publique, elle a cherché à obtenir réparation. Combien d'autres ne peuvent pas chercher à obtenir réparation en demandant à l'opinion publique d'intervenir en leur faveur?

Nous devons nous préoccuper, en tant que membres du Parlement, des personnes inconnues pour les aider à obtenir réparation ou à obtenir un procès équitable devant les tribunaux.

M. Allmand : M. Mollard a parlé des gens qui sont frappés d'un certificat de sécurité et qui croupissent là depuis des années et qui sont plus maltraités que les pires des meurtriers au Canada. Peut-être que M. Crépeau en a fait autant. Ce sont des cas où les gens aimeraient bien faire l'objet d'accusations devant les tribunaux pour pouvoir se défendre, mais peut-être pourrait-il nous en parler.

M. Mollard : Vous devez habiliter des organismes publics indépendants comme le CSARS, mais d'une manière beaucoup plus étendue, pour couvrir tout le travail des organismes de sécurité nationaux et les examens proactifs.

Vous avez raison, la sécurité nationale se cache derrière le voile du secret. Les gens qui sont ciblés ne le savent pas et en l'absence d'un système de recours, ils ne peuvent obtenir réparation. La GRC n'a pas de système de recours.

Vous devez donner à cet organisme les pouvoirs et les ressources pour examiner les vérifications, pour être proactif, de sorte que les organismes de sécurité nationale sachent que quelqu'un examine les fins détails de leur travail pour s'assurer qu'ils respectent la loi. Le système de surveillance a besoin qu'on lui apporte des améliorations considérables.

En même temps, vous devez resserrer la définition, limiter cette autorité et ce pouvoir discrétionnaire, de sorte que cela n'inclut pas des cas en périphérie dont nous serions tous d'accord pour dire qu'il ne s'agit pas de questions de terrorisme ou de sécurité nationale. Encore une fois, je vous invite à jeter un coup d'œil à notre mémoire, parce que nous parlons du travail des EISN. Peut-être que l'enquête criminelle est légitime, mais cela n'a tout simplement rien à voir avec ce dont nous parlons aujourd'hui.

M. Crépeau : L'objectif ultime est d'informer l'opinion publique, de donner aux gens le pouvoir de se présenter et de porter plainte. Tous ces organismes civils qui devraient faire du travail de surveillance doivent rendre des comptes, et le Parlement doit rendre des comptes après que des comités comme celui-ci et les tribunaux auront fait leur travail. En bout de ligne, c'est le public qui paiera le prix de cette législation, à tort ou à raison, et c'est le public qui peut se plaindre. Voilà le point important à retenir.

La panique va s'estomper et les personnes commenceront à poser des questions, elles voudront savoir ce qui se passe, car des affaires comme l'affaire Arar vont se reproduire et les personnes ne commenceront à s'inquiéter.

Il faut éduquer l'opinion publique afin que la population commence à exercer des pressions sur le gouvernement et sur les agences de sécurité. La population va commencer à vouloir des réponses.

Le sénateur Joyal : Monsieur Crépeau, dans votre exposé du 12 mai, et probablement dans l'article que vous nous avez remis aujourd'hui, vous avez donné sept exemples où le statut d'une personne qui n'est pas un citoyen canadien est différent de celle d'un Canadien. Vous citez le droit des immigrants et divers éléments de la Loi antiterroriste.

Ce qui m'inquiète, c'est que le Canada prétend que les pays ont le droit d'intervenir lorsqu'un gouvernement viole les droits humains de ses citoyens. M. Lloyd Axworthy a mis cette proposition de l'avant, alors qu'il était ministre des Affaires extérieures. Cette question est ressortie à la dernière rencontre des Nations Unies, le mois dernier.

À l'échelle internationale, le Canada soutient que nous considérons les droits humains comme étant un élément fondamental de notre société. Nous prétendons que nous devons avoir la capacité, par le truchement des Nations Unies, des consultants internationaux, et cetera, d'intervenir dans d'autres pays, car nous croyons que nous traitons toutes les personnes de la même manière.

Vous nous avez dit que plusieurs exemples dans la Loi sur l'immigration et la Loi antiterroriste — vous en avez donné sept, au moins — montrent de quelle manière, dans la lutte contre le terrorisme, nous considérons les étrangers comme un groupe très utile, car ils ne sont pas comme nous; et ne sont pas Canadiens. Vous avez écrit qu'ils appartiennent à d'autres religions et viennent de groupes facilement identifiables, ce qui fait clairement référence au profilage racial. En fait, le statut de la loi au Canada est en complète contradiction avec ce que nous clamons sur la scène internationale.

Est-ce légitime que les droits des non-citoyens ne sont pas sur le même pied d'égalité que les droits des citoyens canadiens, que leur liberté soit brimée en raison de la primauté du droit canadien?

[Français]

M. Crépeau : Vous avez parfaitement raison. Le problème que nous avons est le suivant. Historiquement, depuis la fin de la guerre, la progression des droits fondamentaux nous a menés à resserrer l'écart entre les citoyens et les étrangers. Jusqu'à tout récemment, cet écart se réduisait. La Charte canadienne des droits et libertés l'a prouvé en ne réservant que quatre droits aux citoyens. Tous les autres droits sont communs à tous parce que ce sont des droits inhérents à toute personne humaine, en tout lieu, et pour lesquels tout pays est responsable.

De ce point de vue, la tendance qu'on observe de distinguer les étrangers des citoyens est très préoccupante. On l'a vu en matière de sécurité tout au cours des années 1990, bien avant le 11 septembre. On l'a constaté en matière de sécurité migratoire, terme que l'on commence à utiliser. Par exemple, Guantanamo est connu aujourd'hui pour les prisonniers Afghans étrangers, de la guerre en Afghanistan, et en Iraq. Toutefois, on se souviendra que, dans les années 1990, Guantanamo était connu pour les Haïtiens, débarqués par dizaines de milliers, récupérés en mer par la garde côtière américaine, les plaçant hors du système juridique américain pour pouvoir les renvoyer en Haïti plus facilement. C'était déjà un contexte dans lequel on distinguait systématiquement les étrangers des citoyens.

Cette tendance existe donc et elle convient à la fenêtre d'opportunités qui s'est ouverte le 11 septembre. On est parti de cette distinction, qui était déjà présente sans être forte, et on a donné à l'opinion publique bonne conscience d'accepter toutes ces mesures, en donnant l'impression de faire beaucoup en matière de lutte antiterroriste.

[Traduction]

Il semble que nous accomplissions beaucoup de choses dans la lutte contre le terrorisme.

[Français]

C'est le terme que vous avez utilisé tout à l'heure. Toutefois cet exercice se fait au détriment des droits et libertés des autres.

Il y a donc une certaine facilité. Cet argument rhétorique facilite très nettement l'acceptation par l'opinion publique, qui ne se voit pas encore menacé — et cela viendra. D'autres cas suivront celui de Maher Arar. D'autres gens se verront menacés, non seulement des étrangers, mais des Canadiens également. Ces cas verront le jour graduellement. Il faudra un certain temps avant que ce type d'éducation se fasse. À ce titre, les leçons morales d'aujourd'hui sont réelles.

Notre niveau de protection, en vertu des droits et libertés, est plutôt remarquable par rapport à d'autres pays. Tout de même, cette éducation ressemble un peu à celle offerte aux États-Unis dans les années 1950, au moment de la chasse aux sorcières maccartiste. À cette époque, on avait à la fois une protection réelle des droits et libertés au sein de la société américaine, et un abcès de fixation sur le communisme, qui menait à traiter une catégorie de la population, étrangère ou citoyenne, en étranger, en communiste ou en traître.

D'une certaine façon, on reproduit un peu ce schéma. Il faudra probablement une décennie avant qu'un nombre suffisant de dossiers émergent dans l'opinion publique, pour qu'on exige de nos autorités une plus grande rigueur dans la prise en charge de ces dossiers. De ce point de vue, il ne s'agit pas d'une histoire nouvelle.

Le sénateur Day : Professeur Crépeau, ma question ira dans la même sens que celle de mon collègue le sénateur Joyal. Pensez-vous qu'un étranger au Canada a les mêmes droits et doit avoir les mêmes droits que les autres? Pour n'importe quelle raison, illégalement ou autre, est-ce qu'il a les mêmes droits?

M. Crépeau : La réponse est très claire, parce qu'elle se trouve dans la charte canadienne. Tous les droits, sauf le droit de vote, le droit d'être élu, le droit à l'éducation dans la langue de la minorité et le droit d'entrer ou de rester au Canada, sont identiques pour les étrangers et les citoyens sur le territoire canadien. De ce point de vue, ils ont les mêmes droits.

Ces droits sont évidemment modulés. Il demeure que le droit d'entrer et de rester au Canada n'appartient qu'aux citoyens. Bien entendu, on n'a pas le droit de torturer qui que ce soit au Canada, ni un étranger ni un Canadien.

On a le droit de renvoyer un étranger dans son pays, mais on ne peut renvoyer un Canadien. On peut extrader un Canadien, mais on ne peut le renvoyer vers un pays d'une nationalité autre, car le Canadien est chez lui au Canada et il a le droit d'y demeurer.

La façon dont on renvoie un étranger ne peut pas être arbitraire. L'étranger a droit à la protection en vertu des principes de justice fondamentale, de son droit à la vie, à la sécurité et à la liberté. Il a ce droit, car ce droit est pour tout le monde. Il n'a peut-être pas le droit de rester au Canada, mais il a le droit d'être protégé en vertu des principes de justice fondamentale.

S'il s'agit d'une personne qui est arrivée hier, en touriste, d'Allemagne, par exemple, le renvoi vers l'Allemagne n'est, a priori, pas problématique. Le pays est démocratique, protecteur des droits et libertés. La personne n'est pas implantée depuis longtemps au Canada et il existe peu de risque de torture en Allemagne. Toutefois, on retrouve bien d'autres cas de gens qui sont demeurés très longtemps au Canada, qui y ont établi une famille et des liens durables, et par conséquent acquis un certain nombre de droits, notamment un droit à un traitement juste et équitable par rapport à la vie qu'ils ont vécue ici au Canada. D'autres gens viennent de pays qui posent un risque pour leur vie. Ces gens, non seulement en vertu de l'article 7, en particulier, mais également d'autres articles, ont des droits. En ce sens, la réponse est modulée.

Pour tous les droits sauf quatre, ce sont les mêmes droits que pour les Canadiens. Pour ce qui est du droit d'entrer et de rester, ce n'est pas le même droit que pour les Canadiens; c'est un droit pour lequel certaines protections s'appliquent en vertu des autres droits.

[Traduction]

Le sénateur Day : Monsieur Mollard, je crois que vous avez parlé des quatre personnes qui font l'objet actuellement d'un certificat de sécurité. Ais-je raison de dire que ces personnes ne sont pas des citoyens canadiens?

M. Mollard : C'est exact.

Le sénateur Day : Est-il vrai qu'elles sont libres de quitter le Canada en tout temps si elles le désirent, mais qu'elles ne veulent pas le faire, peu importe la raison?

M. Mollard : C'est exact. J'ai suggéré que vous examiniez les faits quant à la manière dont ces hommes ont été traités. La façon dont ils ont été traités s'apparente à un système de torture. Les Canadiens seraient choqués d'apprendre ces faits.

Le sénateur Day : Est-il vrai que ces personnes sont détenues car elles sont importantes pour notre personnel de la sécurité?

M. Mollard : Elles sont réputées être une menace pour la sécurité du Canada. Elles sont considérées comme présentant des risques pour la sécurité nationale, alors il y a une raison pour leur demander de quitter le Canada.

Le sénateur Day : Elles peuvent revenir en arrière, au moment où elles ont été emprisonnées. Est-ce vrai que nous pensons qu'elles constituent un risque à la sécurité et que si elles sont libérées au Canada, nous pourrions avoir de la difficulté à les retracer?

M. Mollard : Je voudrais vous dire que si ces personnes sont libérées, j'imagine que le SCRS et que la GRC les surveilleraient adéquatement, surtout avec les pouvoirs que la Loi antiterroriste leur confère. Je suppose que le SCRS et que la GRC seraient en mesure de prévenir toute menace particulière que ces personnes pourraient poser aux citoyens de ce pays. Tous les détenus seraient très intéressés de connaître les renseignements, sinon les preuves, qui existent quant aux raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé de les expulser.

Le sénateur Day : Nous avons entendu lors de témoignages précédents qu'il y a des milliers, voire des dizaines de milliers ou plus, de non-Canadiens illégaux dans ce pays. Nous savons que les autorités ne sont pas en mesure de retracer ces personnes. Certaines ne sont peut-être plus ici; elles sont peut-être aux États-Unis, là où elles voulaient initialement se rendre. Elles viennent au Canada puis elles disparaissent.

Avez-vous réfléchi à la manière dont nous pourrions, tout en respectant la question des libertés civiles, utiliser les technologies modernes afin de retracer les personnes jusqu'à ce qu'elles se présentent au procès sans qu'il y ait une invasion excessive de leur vie privée, afin de protéger la sécurité des Canadiens?

M. Mollard : C'est une bonne question. Nous avons tendance à réagir plutôt qu'à proposer des mesures de sécurité pour le gouvernement. Le gouvernement veut savoir si des personnes viennent au pays et se présentent comme étant des réfugiées. Le gouvernement permet aux réfugiés de demeurer temporairement au pays, jusqu'à ce que leur cause soit entendue. Pendant ce temps, les réfugiés sont soumis à l'autorité du gouvernement. Ce sont les petits détails qui comptent. Je crois qu'il y a des « cartes intelligentes » par rapport à ces personnes.

Nous savons que les normes américaines sont plus élevées en ce qui a trait aux photos, aux empreintes, aux vérifications d'identité, et cetera. Cependant, il y a des limites à ne pas franchir.

Je ne peux pas dire que notre organisme a entrepris une étude particulière pour le compte des autorités de l'immigration afin de leur dire ce qui est acceptable, à notre avis. Nous avons tendance à réagir.

M. Allmand : Pour répondre à votre question, il faudrait se demander ce que nous faisons avec les Canadiens qui pourraient être considérés comme posant un risque grave à la sécurité.

Des rapports récents ont accusé des activistes des droits des animaux d'avoir utilisé de la violence et perpétrer des activités terroristes. Certains rapports ont prétendu que des activistes autochtones ont fait la même chose. Dans les années 60, il y a eu certains mouvements noirs qui ont été accusés.

La police garderait un œil sur ces groupes s'il était question d'une conspiration pour faire quelque chose d'interdit, et elle porterait des accusations.

C'est la même chose pour les pires éléments du crime organisé, contre lesquels nous ne pouvons utiliser de certificat de sécurité; il faut plutôt recueillir des preuves puis porter des accusations.

En ce qui a trait à notre Charte, pourquoi avons-nous des dispositions pour les non-Canadiens, dont certains sont ici depuis un certain temps, ont des enfants, certains sont mariés à des Canadiens; pourquoi sont-ils moins bien traités que les pires meurtriers?

D'autres témoins aujourd'hui ont dit qu'ils n'avaient pas le droit de porter des souliers, des vêtements adéquats, qu'ils n'avaient pas droit à un chauffage adéquat ou à des médicaments. Tout cela n'existe pas pour les pires Canadiens, qui représentent peut-être des risques à la sécurité, et pourtant nos services policiers et nos organismes de sécurité doivent s'occuper de ces personnes, et dans certains cas, ils le font assez bien.

M. Crépeau : Nous devrions traiter ces personnes de la même manière que nous voudrions être traitées nous-mêmes dans les mêmes circonstances. Nous devrions les traiter de la même manière que nous traiterions les Canadiens. S'il y avait des Canadiens dans la même situation, mais dans d'autres pays, nos autorités consulaires protesteraient contre ce type de traitements.

Le sénateur Day : Nous voudrions les ramener au Canada; dites-leur de revenir ici. Cela réglerait le problème.

M. Crépeau : Si ces personnes étaient traitées comme cela à l'étranger, les autorités de ces pays ne voudraient peut- être pas les libérer. Ces personnes ne veulent pas retourner chez elles, car elles risquent quelque chose.

Le sénateur Day : Alors, ce n'est pas que nous ne voulons pas les libérer; elles ne veulent pas quitter le Canada.

M. Crépeau : Elles ne veulent pas quitter le Canada pour de bonnes raisons, peut-être. Nous ne connaissons pas ces raisons. Elles ne veulent pas retourner chez elles, car elles prétendent qu'elles risquent quelque chose.

Les Canadiens ne voudraient pas revenir au Canada si cela comportait des risques. Cependant, si des Canadiens étaient traités à l'étranger de la manière dont nous traitons ces personnes au Canada, nous protesterions contre ces traitements inacceptables. Nous avons une norme et nous devrions l'utiliser dans notre propre mécanisme. Je n'ai cependant pas de suggestion à faire. Cependant, si une telle situation était inacceptable pour nos Canadiens à l'étranger, alors cela devrait l'être aussi pour les étrangers qui sont ici.

M. Tassé : M. Crépeau a parlé du recours à la norme relative aux éléments probants, au lieu de la Loi antiterrorisme, pour émettre un certificat de sécurité contre ces personnes. Dans le cas de la Commission Arar, nous avons appris que les hauts fonctionnaires de la GRC et du MAECI ont dit que même si M. Arar avait reçu un entraînement en Afghanistan avant 1993, cela n'aurait pas eu de conséquence pour la sécurité nationale du Canada. Encore une fois, il s'agit de l'allégation utilisée contre certaines des personnes qui font l'objet d'un certificat de sécurité.

Ce qui est sans conséquence pour la sécurité nationale dans un contexte, aux yeux de la GRC et du MAECI, devient un argument pour garder ces personnes en prison dans le contexte de la sécurité nationale.

Le sénateur Day : Je m'intéresse au rapport de la British Columbia Civil Liberties Association. Je vous remercie de nous avoir remis cela, monsieur Mollard. Je vais le lire plus en détail. Ce rapport contient un bon nombre de recommandations intéressantes et pertinentes. Les autres rapports aussi sont utiles.

J'aimerais attirer votre attention sur la section de votre mémoire qui porte sur l'examen parlementaire, car je suis déçu de votre conclusion. Selon moi, le rapport parlementaire conjoint intérimaire a proposé à la ministre de créer un groupe de supervision parlementaire sur la sécurité nationale qui devait pouvoir obtenir de l'information sur la sécurité. Ce comité devait être en mesure d'étudier les activités opérationnelles de tous les groupes qui ont un lien avec la sécurité, et je crois que c'était important. C'était l'une des recommandations.

Ce comité aurait eu une mémoire institutionnelle à long terme. Les sénateurs du comité pourraient exercer la fonction importante du maintien de l'équilibre entre la sécurité collective et l'application régulière de la loi, la primauté du droit et les droits humains.

Ce comité aurait pu faire cela mieux que l'organisme que vous avez proposé de créer, soit un comité d'examen de la sécurité nationale constitué de non-parlementaires, qui viennent de l'extérieur du système.

M. Mollard : J'ai quelques commentaires à faire. Tout d'abord, vos recommandations pour les divers mécanismes de surveillance et de supervision ne sont pas mutuellement exclusives.

Si un comité parlementaire était constitué de la bonne manière, et je ferai des commentaires à ce sujet tout à l'heure, cela ne devrait pas empêcher la formation d'un comité constitué de civils indépendants dont le mandat est d'examiner l'information. En fait, dans le rapport du comité provisoire, on ne dit pas que les deux sont mutuellement exclusifs. Nous voulons qu'il y ait un comité d'examen de la sécurité nationale constitué de civils indépendants chargé de la supervision en même temps qu'un comité de parlementaires.

Je vais faire un commentaire au sujet du comité parlementaire. J'ai lu les rapports attentivement : le document de discussion du ministre publié au printemps de 2004, le rapport du comité d'octobre 2004 et la réponse à la ministre publiée en avril 2005. Je crois que la réponse de la ministre de 2005 ne concorde pas avec les propositions du comité provisoire.

Je crois que la ministre s'est un peu écartée dans son document de discussion en autorisant l'accès à certaines informations opérationnelles. Il est sûr que les membres de son comité auront accès à de l'information classifiée. Dans le document de discussion, il n'est pas clairement établi que cela aurait été le cas, mais je crois qu'elle s'est écartée un peu. Elle a dit très clairement que son comité sera un comité de haut niveau qui examinera la politique, l'administration et les budgets, mais qui ne sera pas impliqué dans les opérations ni dans l'examen des opérations.

Deuxièmement, le comité sera chargé uniquement d'examiner l'efficacité des organismes de sécurité nationale. Elle désire mettre sur pied un comité qui ne tiendra pas compte de la primauté du droit, des droits humains, des libertés civiles, d'après ce que j'ai lu.

Le sénateur Day : Je suis d'accord à dire qu'elle n'est pas allée aussi loin que les recommandations du comité provisoire, ce que je préfère. J'essaie de vous amener à parler de la recommandation, plutôt que d'un comité indépendant.

M. Mollard : Vous voulez que je commente sur la recommandation de mettre sur pied un comité provisoire? Je crois toujours qu'il y a une tension ici, et je ne suis pas certain s'il est possible d'être efficace et d'être impliqué dans les affaires opérationnelles. Autrement dit, il ne s'agirait pas d'un examen de l'information après le fait, mais d'un examen des activités des organismes de sécurité, à l'avance, comme cela se produit aux États-Unis. Vous vous impliquez exactement dans ce que les organismes de sécurité nationale font, et vous compromettez votre capacité à les examiner après le fait. S'il y a des actes répréhensibles, vous êtes impliqué, dans un sens. Il est très difficile d'avoir ce mélange de mandats.

Est-ce que j'aimerais qu'il y ait un comité provisoire? Je crois que ce serait un progrès important. Je ne voudrais pas qu'il soit mis sur pied exclusivement par un organisme d'examen formé de civils indépendants qui ont fait l'examen après le fait.

Je ne sais pas l'importance de cela, mais une des choses que nous essayons d'avoir, c'est un bureau indépendant qui défendra les libertés civiles de l'intérieur et qui sera sujet à la confidentialité, et cetera, mais qui pourrait venir à la table présenter les arguments que nous aimons mettre de l'avant; nous n'avons jamais l'information ni les détails pour le faire. Nous sommes toujours à l'extérieur.

Le sénateur Day : Croyez-vous qu'il est possible d'arriver à cela avec un parlementaire qui a un intérêt marqué envers les libertés civiles et la primauté du droit?

M. Mollard : C'est possible. Je ne dis pas que c'est impossible. Je m'inquiète un peu de la partisanerie, à tous les niveaux.

Le sénateur Day : Vous devriez être invité au Sénat plus souvent.

M. Mollard : Oui. Il s'agit d'un exercice théorique, de délibération, mais je m'inquiète un peu de cela, et au sujet des deux mandats. Je n'en mettrai pas un sur pied sans qu'il y ait un examen indépendant. Il est important d'avoir un examen indépendant de la partie civile, et je demande à votre comité de faire des recommandations à cet effet.

M. Allmand : Nous avons recommandé la mise sur pied des deux groupes dans notre mémoire sur la commission Arar. Je crois qu'il y a une place pour les deux comités, le comité provisoire et l'organisme d'examen indépendant.

L'organisme d'examen indépendant serait formé de personnes qui effectueraient des examens à temps plein. Au Sénat, vous avez un point de vue à long terme et vous êtes ici pour une période plus longue que les députés de la Chambre des communes, qui ne savent pas combien de temps ils seront ici, surtout dans le cas d'un gouvernement minoritaire, et vous avez d'autres responsabilités. Les sénateurs que j'ai connus siégeaient à plus de comités et avaient d'autres responsabilités politiques.

Il est important que nous ayons un tel comité, et qu'il puisse faire certaines choses qu'un organisme d'examen indépendant ne peut pas faire. Un organisme d'examen indépendant pourra s'occuper des cas individuels en profondeur, de manière plus régulière. Je crois que les deux groupes pourraient jouer un rôle important.

M. Mollard : Un comité parlementaire permettrait d'avoir une voix plus importante au Parlement que celle qui existe actuellement. Ce serait une grande amélioration.

Le sénateur Day : Monsieur Allmand, votre recommandation d'un comité d'examen parlementaire allait dans le sens de la recommandation du comité conjoint intérimaire, et non dans le sens de la recommandation de la ministre.

M. Allmand : Absolument.

Le sénateur Christensen : J'ai écouté la discussion, et cela fait ressortir les difficultés du projet de loi C-36. Comme nous l'avons dit, le terrorisme en tant qu'organisation, qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande organisation, ne fonctionne pas. Nous mélangeons les pommes et les oranges dans le contexte d'une société libre et ouverte, ce que nous sommes au Canada et ce que d'autres pays sont. Pour réussir, les terroristes dépendent de notre société libre et ouverte afin de pouvoir s'infiltrer et obtenir les informations nécessaires.

Actuellement, nous sommes une société très globale. Nous parlons de nous, mais « nous », ce ne sont pas uniquement les Canadiens, les Américains et d'autres pays du monde.

Nous mettons au point une loi, mais nous devons savoir ce que d'autres sociétés similaires à la nôtre font afin de pouvoir exercer un libre-échange, et cetera, afin que les personnes puissent se déplacer librement d'un pays à l'autre.

C'est très difficile. Nous ne pouvons nous isoler, créer notre propre loi et oublier ce que les autres font dans le but de continuer à mettre l'accent sur notre liberté, le transport, et cetera. Il faut parfois être plus vigoureux que ce que nous aimerions.

Nous l'avons dit, et c'est très clair : le terrorisme n'est pas nouveau. Nous ne sommes pas soudainement aux prises avec le terrorisme comme une nouvelle menace. C'est quelque chose qui est présent depuis le début des temps. Cependant, maintenant, cette menace est présente à notre échelle. Avec nos nouvelles technologies, le terrorisme s'est mondialisé; il est étendu partout. Comme nous l'avons vu dans les pays qui ont été touchés, il a un impact très rapide sur les personnes.

Il faut très bien connaître notre souveraineté et la protéger, mais il faut également élaborer des lois qui sont compatibles avec celles de nos pays amis.

Je suis d'accord avec la suggestion d'insérer des dispositions de réexamen. De jour en jour, de mois en mois, d'année en année, les choses changent constamment, et nous devons pouvoir nous adapter et faire des changements. C'est probablement quelque chose sur laquelle le comité devra se pencher; si nous ne faisons pas cela, il devrait au moins y avoir des examens obligatoires.

Je ne suis pas membre de ce comité et je n'ai pas entendu d'autres témoins. J'ai aujourd'hui écouté la question très complexe que nous essayons de traiter. Vous pouvez certainement constater les problèmes de ce côté, essayer de trouver des réponses. Il est plus difficile de trouver des réponses que de constater des problèmes.

M. Allmand : Vous avez dit que nous devrions savoir ce qui se passe dans d'autres pays. Malheureusement, bon nombre d'autres pays qui ont reçu le conseil de mettre au point rapidement des lois antiterroristes étaient des pays qui n'avaient pas un bon dossier en matière de droits humains et de liberté. En les pressant de mettre au point des règles plus musclées, on leur a donné des ailes. Je me souviens très bien que lorsque Musharraf a pris le pouvoir lors d'un coup d'État au Pakistan, les Nations Unies et les pays du Commonwealth lui ont dit de mettre en place un régime démocratique sous la menace d'une modification de leur financement. Le Pakistan n'est qu'un exemple. Après le 11 septembre, Musharraf a pu introduire des mesures plus musclées contre les dissidents, et cetera, ce qui a bien fait son affaire.

Quelqu'un a mentionné l'Afghanistan. À un certain moment, ce pays s'en tirait assez bien dans sa lutte contre l'occupation russe, et il utilisait presque des moyens terroristes. Même maintenant, au Venezuela, vous êtes presque une bonne personne si vous vous opposez à M. Chavez, selon certaines personnes dans le monde, mais dans d'autres pays, vous êtes un terroriste si vous faites la même chose.

C'est un sujet complexe. Nous devons faire attention à cette menace mondiale contre les libertés civiles. Dans l'exemple que je vous ai donnée, j'ai dit que nous donnons certains messages aux nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est et d'Amérique latine, mais qu'advient-il de ces messages si nous n'appliquons pas les règles que nous essayons de promouvoir?

Je m'occupais de développement démocratique au centre international et c'est devenu très difficile. Ils ont dit « Vous êtes un Canadien ». Ce n'est pas facile.

Le sénateur Christensen : Ça ne l'est certainement pas.

M. Mollard : Ce qui est important pour nous, c'est de protéger la sécurité nationale, car nous voulons vivre dans une société ouverte et libre; nous voulons une démocratie en santé. Nous devons prendre garde de dépasser la limite, de mettre sur pied des mesures et des règles qui iraient à l'encontre de ces valeurs et qui créeraient des conditions qui seraient matière à contestation.

Dans nos mémoires, nous avons fait des suggestions concrètes, nous avons donné des réponses; nous n'avons pas uniquement posé des questions. Nous attendons avec impatience votre rapport.

Le président : Merci beaucoup. Cela a été un après-midi fascinant. Il est clair que le comité a été heureux de vous recevoir, car vous apportez un œil nouveau, et peut-être différent, sur cette question difficile. Nous voulons entendre toutes les opinions.

Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui, et chers collègues, merci également.

Nous allons rencontrer le sénateur Stratton à 19 heures ce soir.

La séance est levée.


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