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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 19 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 14 novembre 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 h 34 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Il s'agit de la quarante et unième séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste entend des témoins.

Pour les gens qui nous regardent, je vais expliquer le mandat de notre comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes perpétrées à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Vu l'urgence de la situation à l'époque, on a demandé au Parlement d'accélérer son étude de cette mesure législative, et nous avons accepté. La date butoir pour l'adoption de cette loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Cependant, on craignait qu'il soit difficile d'évaluer en profondeur les conséquences potentielles de cette mesure législative en un si court laps de temps. Ainsi, il a été convenu que trois ans plus tard, on demanderait au Parlement d'examiner les dispositions de la loi et ses conséquences sur les Canadiens « a posteriori », dans un climat moins chargé d'émotivité au sein de la population canadienne. Les travaux de notre comité spécial représentent la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat.

Lorsque ces travaux seront terminés, nous ferons part au Sénat de toute question que nous estimerons devoir aborder. Nous mettrons les résultats de nos travaux à la disposition du gouvernement et de la population canadienne. La Chambre des communes fera de même.

Jusqu'à présent, le comité a rencontré des ministres — comme nous le faisons aujourd'hui — et des fonctionnaires : des experts nationaux et internationaux en matière de menaces terroristes, des experts juristes, des personnes chargées de l'application de la loi et de la recherche de renseignements de sécurité et des représentants de groupes communautaires. Nous avons par ailleurs entendu des témoins de l'étranger par vidéoconférence et le comité s'est rendu à Washington en septembre. Nous revenons d'une visite la semaine dernière au cours de laquelle nous avons tenu des audiences à Londres, en Angleterre.

Ce matin, nous avons le plaisir de recevoir l'honorable Joe Volpe, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il est accompagné d'Anne Arnott, de Claudette Deschênes et de Daniel Therrien. M. Therrien a déjà comparu devant notre comité, dans le cadre de cette étude, et nous le remercions d'être revenu aujourd'hui.

Sénateurs, quelques observations avant de donner la parole au ministre : tout d'abord pour dire que nous sommes très heureux que vous soyez ici, monsieur Volpe. Nous avons tenté d'inviter le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration devant notre comité dans le cadre de l'examen du projet de loi initial. Nous n'avons pas réussi cependant.

Honorables sénateurs, nous savons que l'immigration n'est pas une question qui est abordée précisément dans le projet de loi C-36. Cependant, notre comité, au cours de ses audiences, a souvent entendu parler des certificats de sécurité. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est le deuxième à poser sa signature sur un certificat de sécurité et un certain nombre de sénateurs aimeraient savoir ce que vous avez à dire au sujet de votre rôle à cet égard.

Le rôle du ministre en ce qui a trait aux certificats de sécurité consiste à jeter ce qu'on appelle un deuxième regard. La politique des certificats relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile; nous avons déjà entendu le témoignage de ce ministère et la ministre McLellan comparaîtra à nouveau devant notre comité cet après- midi.

Monsieur Volpe, vous avez la parole.

L'honorable Joe Volpe, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration : Je vous remercie d'avoir apporté ces précisions. Une chose cependant : vous n'avez pas dit que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration que vous avez invité à comparaître devant votre comité sans succès auparavant n'était pas moi à l'époque.

La présidente : J'aurais dû le dire, et c'est pour cette raison que nous sommes si heureux que vous soyez ici aujourd'hui d'aussi bonne humeur.

M. Volpe : Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. J'aimerais d'abord souligner le travail de ce comité ainsi que les contributions très importantes que vous ferez bientôt comme vous l'avez dit, sous la forme d'un rapport final. Je sais, comme ceux qui suivent les travaux de votre comité, que l'examen que vous avez effectué a porté sur de nombreuses questions, mais probablement qu'aucune ne revêt une plus grande importance que celle concernant la garantie que le gouvernement du Canada continuera à perpétuer sa tradition en matière de respect des droits individuels, tout en protégeant la sécurité des Canadiens et des Canadiennes partout au pays. Nous pouvons tous être fiers du travail que vous avez effectué jusqu'à présent et nous sommes impatients de prendre connaissance de vos nombreuses recommandations quant à la façon dont nous pouvons et devons aller de l'avant au cours des mois et des années à venir.

[Français]

Vous m'avez demandé de vous parler aujourd'hui des certificats de sécurité et plus particulièrement du rôle de Citoyenneté et Immigration Canada. Évidemment, les certificats de sécurité ont suscité un certain intérêt au cours des dernières années en plus de soulever beaucoup d'incompréhension. J'aimerais profiter de l'occasion qui m'est offerte ce matin pour expliquer, du moins en partie, comment et pourquoi on délivre de tels certificats.

Je veux également vous parler brièvement de mon rôle en tant que ministre et vous expliquer comment Citoyenneté et Immigration Canada collabore avec l'Agence des services frontaliers du Canada. C'est pour cette raison que Mme Deschênes nous accompagne ce matin.

Je serai ensuite ravi de répondre à vos questions. Si toutefois certaines de mes réponses requièrent de plus amples précisions, Mme Deschênes se fera un plaisir d'intervenir.

[Traduction]

Laissez-moi d'abord commencer en précisant que le processus de délivrance d'un certificat de sécurité a été élaboré avant l'adoption de la Loi antiterroriste, et est une composante de la législation canadienne sur l'immigration depuis 1991. Il ne découle donc pas directement des événements tragiques survenus le 11 septembre ni de la nouvelle loi. En fait, nous avons recours aux certificats de sécurité depuis 1977 et aujourd'hui, ils permettent au gouvernement du Canada d'atteindre les objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR.

Ces objectifs comprennent notamment la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, ainsi que la promotion de la justice et de la sécurité à l'échelle internationale par le respect des droits de la personne et l'interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou qui constituent un danger pour la sécurité. Le Parlement a fait de ces objectifs une composante clé de la législation canadienne sur l'immigration, et ce, à deux reprises. Il a également confirmé à deux occasions le processus de délivrance des certificats de sécurité comme moyen légitime lui permettant d'atteindre ces objectifs.

Les certificats de sécurité servent donc à préserver l'intégrité du Programme d'immigration du Canada en nous permettant de respecter nos obligations internationales et de nous assurer que certaines personnes, qui représentent une menace pour la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, sont renvoyées du Canada de manière juste et équilibrée.

[Français]

Dans sa décision de 2002, entourant l'affaire Suresh, la Cour suprême du Canada a décrété que le gouvernement du Canada avait le droit et l'obligation de délivrer des certificats de sécurité s'il considérait qu'une telle mesure était nécessaire. Le processus de délivrance des certificats de sécurité a lui-même été validé par les tribunaux au fil des ans et a résisté à un certain nombre de contestations fondées sur la Charte. Les tribunaux ont décrété à maintes reprises que le processus actuel établit un juste équilibre entre la protection des droits de la personne et la nécessité de protéger la sécurité nationale.

[Traduction]

Une décision rendue en 1996 par la Cour européenne des droits de l'homme a cité le modèle des certificats de sécurité canadiens à titre d'exemple de processus qui tient compte des préoccupations légitimes en matière de sécurité, tout en permettant aux personnes de bénéficier d'un degré considérable de justice en matière de procédures. Je voudrais toutefois souligner que la délivrance d'un certificat de sécurité est une mesure exceptionnelle à laquelle nous avons recours dans des circonstances exceptionnelles seulement. Depuis 1991, seulement 27 certificats de sécurité ont été délivrés. De ce nombre, la Cour fédérale a jugé que 20 étaient raisonnables et seulement trois n'étaient pas fondés. Les autres font présentement l'objet d'un examen.

Bien sûr, une grande partie de la responsabilité entourant la délivrance des certificats de sécurité incombe aujourd'hui à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à la suite du transfert, à la fin de 2003, des fonctions liées à l'exécution de la loi, aux renseignements et à l'interception qui, jusque-là, relevaient de Citoyenneté et Immigration Canada. Encore une fois, étant donné que cela relève de la compétence d'un autre ministre, Mme Deschênes pourra peut-être répondre à certaines des questions.

Citoyenneté et Immigration Canada continuera à délivrer des visas et à élaborer des politiques en matière d'admissibilité des immigrants, des réfugiés et des résidents temporaires. Pour sa part, l'ASFC se concentrera sur les fonctions liées à la gestion de la frontière. Cela consiste en partie à aider à empêcher les personnes qui pourraient abuser de l'hospitalité du Canada de se rendre à nos frontières, à intercepter les personnes dont la présence au Canada contrevient à la LIPR, et à faire en sorte que ces personnes soient renvoyées en temps opportun.

[Français]

Avant de répartir les responsabilités, le gouvernement du Canada a écouté attentivement les points de vue des Canadiens et des Canadiennes ainsi que ceux des intervenants des organisations non gouvernementales. Après la création de l'ASFC, certains ont indiqué qu'il serait préférable que le programme d'examen des risques avant renvoi reste sous la responsabilité de Citoyenneté et Immigration Canada.

[Traduction]

C'est maintenant le cas. D'autres ont fait part de leur désir de voir des changements être apportés au processus de délivrance des certificats de sécurité. Dorénavant, deux ministres doivent signer les certificats de sécurité, et non plus un seul. Comme la présidente l'a mentionné précédemment, ma signature est la seconde.

Je vais maintenant parler du rôle du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration dans ce processus. Comme je l'ai mentionné, je suis l'un des deux signataires de chaque certificat délivré et mon rôle consiste à examiner attentivement les renseignements sur lesquels les certificats se fondent. Comme madame la présidente l'a dit dans son introduction, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration jette un second regard. Mon rôle consiste donc à donner un deuxième avis pour assurer que les renseignements sont exacts et que les conclusions menant à la délivrance d'un certificat sont raisonnables et fondées sur les preuves fournies.

[Français]

Aucun certificat de sécurité n'est délivré sans la signature du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et celle du ministre de Citoyenneté et Immigration Canada.

[Traduction]

La décision des deux ministres de signer le certificat s'appuie sur des renseignements en matière de sécurité et de criminalité, ainsi que sur d'autres renseignements obtenus sous le sceau du secret. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) joue un rôle clé dans la préparation des résumés classifiés des renseignements utilisés pour appuyer les raisons justifiant la délivrance des certificats. Les documents à l'appui doivent contenir assez d'informations pour convaincre les deux ministres que l'intéressé est interdit de territoire au Canada en vertu de la LIPR pour des raisons de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux, pour grande criminalité ou pour criminalité organisée. Naturellement, l'intéressé est informé dès le début du processus d'examen du certificat de sécurité qu'il peut présenter une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR), qui sera examiné par un délégué du ministre de CIC spécialement formé. Ce dernier, décide s'il existe un risque de torture ou de traitement cruel et inusité si l'intéressé est retourné dans son pays d'origine. Par la suite, un juge de la Cour fédérale examine le certificat pour déterminer s'il est fondé. L'ERAR permet au Canada de respecter une norme élevée en matière de protection internationale de même que la Charte des droits et liberté.

[Français]

Si la Cour fédérale approuve le certificat, une mesure de renvoi est prise immédiatement. Mais avant de procéder au renvoi d'une personne, on doit déterminer que la nature et la gravité des actes commis par cette dernière ou le degré de danger qu'elle représente pour la sécurité du Canada sont tels qu'il ne faut pas permettre à cette personne de rester au Canada.

[Traduction]

Je voudrais signaler que le Canada n'a jamais renvoyé une personne faisant l'objet de ce processus vers un pays où elle risquait d'être torturée — jamais. Mais la Cour suprême du Canada a déclaré que nous pouvions le faire si des circonstances très exceptionnelles le justifient, notamment lorsque le danger pour la sécurité nationale du Canada, découlant du fait qu'une personne pourrait rester au Canada, surpasse les risques qu'elle encourrait si elle retournait dans son pays d'origine.

[Français]

Dans les cas où l'erreur est rejetée, la Cour fédérale évalue la décision en même temps que le caractère raisonnable du certificat. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Monsieur le ministre, merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Nous savions certainement que nous recevions aujourd'hui le nouveau ministre, non pas le ministre précédent.

M. Volpe : J'ai pensé qu'il serait bien de le souligner étant donné que j'ai l'habitude d'assumer la responsabilité pour les erreurs de tout le monde, y compris les miennes.

Le sénateur Andreychuk : C'est ce qui arrive lorsqu'on se joint à un parti politique, n'est-ce pas?

Vous avez dit que seulement 27 certificats de sécurité ont été délivrés depuis la mise en place du processus et que de ce nombre, la Cour a jugé que 20 étaient raisonnables et que trois n'étaient pas fondés et vous avez dit que les autres font présentement l'objet d'un examen.

En ce qui concerne ces 27 certificats de sécurité, pourriez-vous nous dire pendant combien de temps les gens ont été détenus en vertu de ces certificats — pourrions-nous avoir une liste des 27 certificats et de la période de détention ou de la période moyenne de détention des personnes visées par ces certificats?

M. Volpe : Comme c'est une question d'ordre technique, je vais demander à nos collègues de l'ASFC de vous donner une réponse précise.

Claudette Deschênes, vice-présidente, Direction générale de l'exécution de la loi, Agence des services frontaliers du Canada, Citoyenneté et Immigration Canada : Honorables sénateurs, je ne suis pas certaine de pouvoir vous donner une réponse précise, mais nous pouvons vous obtenir ces renseignements. La période varie selon le cas. Certains ont été détenus pendant seulement six mois, tandis que d'autres l'ont été pendant deux à trois ans ou davantage. Lorsque les demandeurs choisissent de retourner dans leur pays, le processus est plus rapide.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que vous n'avez jamais renvoyé quelqu'un dans un pays où il y avait une possibilité de torture. Pourrions-nous obtenir une liste des pays où ces 20 personnes ont été renvoyées, ou les autres?

Mme Deschênes : Oui, je vous fournirai cette liste en même temps.

Le sénateur Andreychuk : Il serait intéressant de savoir de quels pays il s'agit. Sur quoi le Canada se fonde-t-il pour déterminer qu'un pays n'a pas utilisé la torture ou ne va pas le faire?

Anne Arnott, directrice générale, Règlement des cas, Citoyenneté et Immigration Canada : Cela se fait lors de l'examen des risques avant renvoi ou lors du processus relatif à l'avis de danger pour ceux qui sont au Canada en tant que réfugiés au sens de la Convention. La décision est prise par des cadres supérieurs formés à Citoyenneté et Immigration Canada. Nous utilisons des renseignements qui sont du domaine public, notamment les renseignements du département d'État des États-Unis, d'Amnistie internationale et de diverses autres sources.

Nous examinons par ailleurs tous les arguments présentés par les clients. Au cours de ce processus, le client peut présenter des arguments à deux différentes occasions : au début, lorsqu'il est avisé que le processus va commencer; et encore une fois, lorsqu'il reçoit la documentation que le ministère remet aux décideurs. À ce moment-là, le client a une autre occasion de présenter des arguments concernant le risque ou le danger auquel il pourrait faire face.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas ma question. Le Canada dit que vous n'envoyez pas dans un autre pays des gens qui pourraient risquer la torture. J'aimerais savoir comment vous évaluez cette situation.

M. Volpe : Je pense que la réponse que vous a déjà donnée Mme Arnott donne une idée du processus que nous suivons pour déterminer si une personne est à risque ou non. Avant tout renvoi, nous avons également un système minutieux qui nous permet de nous assurer que le pays d'origine de la personne en question signe une entente avec nous disant que cette personne ne sera pas torturée et ne fera pas l'objet d'un traitement cruel ou inusité.

Le sénateur Andreychuk : Est-ce que vous dites que vous négociez avec les pays dans lesquels ces gens pourraient être renvoyés?

M. Volpe : Je ne pense pas que le terme « négocier » soit approprié. Nous voulions vous montrer que le ministère des Affaires étrangères et d'autres ministères communiquent constamment avec d'autres pays, avec les agences des Nations Unies également, afin de s'assurer qu'une personne ne peut être renvoyée dans un environnement où il y aurait un risque pour sa vie ou pour son bien-être.

M. Therrien pourrait peut-être vous donner quelques éclaircissements à ce sujet.

Daniel Therrien, sous-procureur général adjoint intérimaire, Services juridiques, Citoyenneté et Immigration Canada : Jusqu'à présent, nous avons jugé qu'il était nécessaire — dans certains cas, pas systématiquement, mais dans certains cas — d'obtenir des assurances diplomatiques des pays dans lesquels certaines personnes pourraient être renvoyées. Ces assurances, une fois obtenues, sont examinées par le délégué dont Mme Arnott a parlé. Dans certaines circonstances, cet examen a donné lieu à un renvoi en se fondant sur ces assurances. Cependant, ces assurances ne sont pas utilisées de façon systématique. Par exemple, lorsqu'il est possible de déterminer, à partir d'autres renseignements, que le risque de torture n'est pas considérable pour cette personne, le Canada ne demandera pas nécessairement d'assurance du troisième pays.

Le sénateur Andreychuk : Vous ne pourrez peut-être pas répondre à cette question, mais demanderiez-vous des assurances d'un pays comme la Syrie, l'Algérie ou la Corée du Nord?

M. Therrien : Avant de demander des assurances, on déterminerait si ces assurances peuvent être fiables et crédibles. Je ne vais pas répondre spécifiquement en ce qui a trait aux pays, mais lorsqu'on demande des assurances, même avant de le faire, il faut évaluer si le document reçu sera fiable.

Le sénateur Andreychuk : Qui prend la décision de demander des assurances et de renvoyer quelqu'un dans un autre pays, est-ce le cabinet, le ministre ou le ministère qui prend cette décision?

M. Therrien : La décision de demander des assurances est prise tout d'abord par un comité qui réunit des représentants d'un certain nombre de ministères, notamment Affaires étrangères Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada et Citoyenneté et Immigration Canada. Lorsque les assurances ont été obtenues, elles sont évaluées par le délégué du ministre de l'Immigration.

Le sénateur Andreychuk : La Loi sur l'immigration, la dernière loi qui a été adoptée, parle de protéger les Canadiens contre les risques pour la sécurité et les activités terroristes. Est-ce qu'on définit ce qui constitue une activité terroriste quelque part dans la loi à l'heure actuelle? Est-ce que la Loi sur l'immigration définit la sécurité dans le contexte des activités terroristes?

M. Therrien : Il n'y a aucune définition du terrorisme ou d'une activité terroriste dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Andreychuk : Y a-t-il une définition dans le Règlement?

M. Therrien : Il n'y en a pas dans le Règlement non plus.

Le sénateur Andreychuk : Y a-t-il un pouvoir de le faire — de définir comment le renvoi se fait et comment cela est défini?

M. Volpe : On m'a posé deux questions différentes : tout d'abord, la définition de « renvoyer » et ensuite, le motif du renvoi. Dans mon allocution liminaire je vous ai expliqué le processus dans les deux cas. C'est le SCRS qui intervient en premier, en présence de préoccupations publiques ou confidentielles. Ensuite, interviennent l'ASFC et mon ministère. Enfin, la Cour fédérale est saisie du cas pour évaluer si notre propre évaluation est raisonnable.

Le sénateur Andreychuk : Selon la loi, avez-vous essayé de définir ce qu'était une activité terroriste pour vous guider dans l'évaluation du risque pour la sécurité et, par conséquent, avez-vous déjà pris des mesures contre quelqu'un qui demandait le statut de réfugié ou à immigrer au Canada?

M. Volpe : Sénateur, au risque de vous donner une réponse incomplète, je vais répéter ce que j'ai dit tout à l'heure, à savoir que c'est probablement une bonne question à poser à la ministre responsable de la sécurité publique quand elle comparaîtra devant le comité cet après-midi. Je pense que le ministre de la Justice l'accompagnera si bien que vous pourrez poser cette question aux deux ministres responsables au premier chef.

Le sénateur Andreychuk : Je voudrais savoir comment vous définissez la sécurité de nos jours et je n'ai pas d'intentions cachées en l'occurrence. Nous n'avons pas eu recours à la Loi antiterroriste selon le modèle envisagé il y a trois ans. En fait, les certificats de sécurité ont été utilisés de plus en plus dans le contexte du terrorisme. Par conséquent, je vous demande comment vous mesurez les risques pour la sécurité dans le cas des immigrants et comment vous justifiez de prendre les mesures que vous prenez?

M. Volpe : Je comprends que vous souhaitez obtenir une réponse précise. Vous savez très bien que cela est prévu aux alinéas 34(1)a), b), c), d), e) et f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Même si je vous les lisais, vous risqueriez de ne pas être satisfaite des décisions. Il est important de rappeler que la Cour suprême s'est penchée là- dessus. Étant donné ce que la Cour suprême a décrété être les attributions des ministères responsables, il est justifié d'en déduire une définition de terrorisme. De façon générale, quiconque pose un acte potentiellement violent, quiconque peut être considéré comme un danger pour la sécurité du Canada ou quiconque est membre d'une organisation considérée comme l'étant, pourrait faire l'objet d'un certificat de sécurité. Le terrorisme est défini indirectement en tenant compte de tous ces éléments, mais il y a à la Cour suprême des juristes beaucoup plus compétents que moi qui ont déjà tranché.

Le sénateur Andreychuk : Je vous pose la question sur le plan de l'orientation publique et non pas sur le plan du droit. Est-il juste qu'un pays comme le Canada se serve de sa Loi sur l'immigration comme outil de lutte contre le terrorisme? Est-il juste que la Loi sur l'immigration soit appliquée à ceux qui viennent chez nous comme immigrants ou comme réfugiés, et que d'autres dispositions législatives s'appliquent aux citoyens canadiens?

M. Volpe : Sur le plan de la politique d'intérêt public, nous ne cesserons de nous conformer aux dispositions de la Charte et aux décisions de la Cour suprême, qui sont les ultimes références quant à la validité et la légitimité de nos orientations. Je pense que nous pouvons être rassurés à cet égard. Deuxièmement, nous avons à l'égard de tous les Canadiens l'obligation de veiller à ce que ceux qui viennent chez nous ne présentent pas de risque pour la sécurité, la criminalité, sur notre territoire. C'est une raison, ce n'est pas la principale, pour laquelle nous procédons à des vérifications de sécurité avant de délivrer des visas de résidence temporaire ou permanente au Canada. Une fois la Loi antiterroriste adoptée, seuls deux cas sur l'ensemble se sont présentés dans les circonstances que vous décrivez.

Le sénateur Andreychuk : De nombreux témoins nous ont dit ici en comité que le certificat de sécurité permettait de détenir des gens très longtemps, dans certains cas pendant une durée injustifiée. On nous a également dit qu'il n'existe pas de processus permettant aux Canadiens ou aux gens qui sont détenus de compter sur un règlement de ces affaires dans les plus brefs délais. Les membres de notre comité se sont rendus à Londres tout récemment où nous avons assisté à un grand débat politique concernant la durée appropriée de détention avant qu'on lise un chef d'accusation ou qu'on prenne des mesures. Le premier ministre a choisi une durée de 90 jours mais le Parlement, lui, 28 jours.

M. Volpe : Vous parlez de la Grande-Bretagne?

Le sénateur Andreychuk : Oui, de la Grande-Bretagne. Je m'interroge sur le genre de processus auquel nous aurons recours dans ce que le gouvernement a qualifié d'initiative mondiale de lutte contre le terrorisme. Le terrorisme n'est pas un problème propre au Canada, propre à une sphère en particulier. C'est un problème mondial. J'essaie de découvrir des règles et des théories cohérentes dans les mesures prises par le gouvernement. Il semble que nous ayons eu recours au processus de l'immigration, d'une part, et ensuite il y a la Loi antiterroriste. Le gouvernement a-t-il envisagé de changer la façon d'aborder la lutte contre le terrorisme au Canada?

M. Volpe : Le fait que le comité consulte la population canadienne prouve bien que le gouvernement du Canada prend au sérieux l'examen « a posteriori » des mesures législatives. Je pense que le modèle britannique vise les citoyens et les non-citoyens. Au Canada, nous faisons une différence entre les citoyens et les non-citoyens. Si un citoyen s'adonne à des activités qu'on peut définir comme terroristes — je ne veux pas ici faire de distinction entre question de droit et question d'orientation car les deux doivent se recouper —, il est assujetti aux dispositions du Code criminel. Les Canadiens ont donc un recours s'il y a des inquiétudes en matière de sécurité, recours qui est inexistant si les personnes concernées ne sont pas citoyens canadiens. Il convient de débattre de la durée de détention, longue ou courte, en effet. Au risque de paraître objectif, je signale que rien n'empêche ces individus de quitter le pays.

Le sénateur Andreychuk : Je trouve cela renversant mais je devrai attendre des réponses plus précises de la part des autres ministres. Le ministre peut-il me dire maintenant quels critères on applique pour évaluer le degré de danger pour la sécurité au moment où on envisage le recours à un certificat de sécurité? Vous dites dans votre allocution que vous évaluez le degré de danger pour la sécurité du Canada. Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie et comment vous procédez?

M. Volpe : Les deux fonctionnaires qui m'accompagnent vont vous expliquer le processus.

Le sénateur Andreychuk : Je voudrais juste connaître les critères.

M. Volpe : Les critères sont nombreux car la sécurité n'est pas évaluée à la va-vite. Vous me posez des questions sur 27 cas depuis 1991 alors que le ministère renvoie de 10 à 11 000 personnes par année. Je vais demander à Mme Deschênes de décrire le processus pour la gouverne du sénateur.

Le sénateur Andreychuk : Je vous serais reconnaissante de m'envoyer cela par écrit mais je voudrais savoir ce que le ministre, qui prend les décisions et délivre les certificats, estime être des critères applicables, parce que c'est un pouvoir qu'il exerce.

M. Volpe : On ne peut pas distinguer le processus de la décision finale. Au Canada, nous nous targuons de justice procédurale. Cette justice procède d'abord d'une compréhension du processus. Il convient donc que je demande aux personnes à qui cette responsabilité est déléguée de vous décrire les faits. Il est vrai qu'en dernier ressort la responsabilité incombe aux parlementaires, mais la politique retenue est mise en œuvre par des gens dont l'expérience inspire confiance pour garantir que les étapes procédurales sont respectées car cela nous garantit l'équité.

Le sénateur Andreychuk : Je suis tout acquise au processus, mais je suis également tout acquise aux critères quand je prends une décision. Je voudrais savoir comment on aboutit à une conclusion quand on évalue le degré de danger pour la sécurité du Canada. Je veux bien croire que vous avez recours à un processus et je n'en conteste pas la légitimité ou l'équité. Je voudrais tout simplement savoir quels sont les critères utilisés.

M. Volpe : C'est une question tout à fait justifiée et je voudrais y répondre. Tous les décideurs réunis autour de cette table pourraient y répondre. Vous en accueillerez encore quelques-uns cet après-midi, particulièrement ceux qui amorcent le processus et établissent le cadre en vertu duquel les décisions sont prises. Vous pourrez donc ainsi remonter à la source.

La présidente : Si vous avez des documents décrivant le processus, nous vous serions reconnaissants de nous les envoyer.

Le sénateur Smith : Je voudrais des précisions sur certaines statistiques. Vous avez dit que depuis 1991, 27 certificats avaient été délivrés. Sur ce total, trois ont été déclarés injustifiés, et quatre sont encore à l'étude. Combien parmi les 20 restants ont été contestés?

M. Therrien : Le processus exige que tous les certificats soient revus par la Cour fédérale. Tous ont été entérinés par la Cour fédérale.

Le sénateur Smith : Ils ont tous été revus de sorte qu'il n'y a pas eu de contestation, n'est-ce pas? Vous parlez ici de la revue d'office, n'est-ce pas?

M. Therrien : C'est cela.

Le sénateur Smith : Y a-t-il une caractéristique commune aux trois cas qui ont été jugés injustifiés? Y a-t-il des leçons que l'on puisse tirer?

M. Therrien : Nous pouvons essayer de vous donner plus de renseignements, mais la décision a été prise à partir de faits.

Le sénateur Smith : De quels pays s'agissait-il, vous rappelez-vous?

M. Therrien : Non.

Il y a actuellement un certificat sur lequel on n'a pas tranché. Le certificat de M. Jaballah est actuellement à l'étude à la Cour fédérale. Un premier avait été délivré. La Cour fédérale l'a rejeté et un nouveau a été délivré.

Le sénateur Smith : Dans la mesure où ces questions sont du domaine public, tous les détails seraient intéressants. Je sais que l'enquête Arar n'est pas directement pertinente parce qu'en l'occurrence il n'y a pas eu de certificat, mais la torture faisait partie de l'affaire comme dans le cas de l'Arabie saoudite.

A-t-on tiré des leçons des témoignages entendus à la Commission Arar qui pourraient vous amener à relâcher un peu les choses afin d'aboutir au résultat que tout le monde souhaite, à savoir que le processus n'est amorcé que lorsqu'il y a des preuves claires et solides? Avez-vous tiré des conclusions ou attendez-vous le résultat de l'enquête?

M. Volpe : Quand une enquête est en cours, si l'on veut qu'elle produise quelque chose d'utile, il est souhaitable d'attendre le rapport définitif.

Le sénateur Smith : Je comprends.

M. Volpe : Nous vivons dans un climat tout à fait différent d'il y a une génération. D'aucuns vous diront que le monde a progressé, que la mobilité des gens fait partie intégrante des droits de la personne et que nous souhaitons que tous les êtres humains puissent jouir de cette valeur. Récemment, bien des pays ont reconnu la double citoyenneté, et cela occasionne des difficultés quand des ressortissants s'installent dans un troisième pays car ce dernier pays doit décider quelle citoyenneté prévaudra.

Dans ces conditions, nous devons attendre les résultats de l'enquête pour qu'ils nous éclairent sur la façon de traiter ces cas-là. Je ne prétends pas avoir la réponse. Je n'ai qu'une citoyenneté et cela exclu qu'on me considère comme porteur d'un autre passeport.

L'équilibre est délicat. Pour ma part, je suis tenant d'une plus grande liberté de mobilité quel que soit le nombre de passeports ou de citoyennetés obtenus. L'Union européenne délivre désormais un passeport européen que l'on peut obtenir dans la mesure où on est ressortissant d'un des pays membres. C'est intéressant. J'adorerais avoir un passeport européen mais je ne suis pas sûr que cela contribue à donner des réponses satisfaisantes à vos questions.

Le sénateur Smith : Les sénateurs sont particulièrement sensibilisés à la double citoyenneté pour des raisons que nous n'explorerons pas en détail aujourd'hui et qui sont propres à la Chambre haute.

Le sénateur Andreychuk a mentionné plusieurs pays. Au haut de la liste, on placerait sans doute la Corée du Nord. Y a-t-il des pays qui sont automatiquement soupçonnés ou attendez-vous qu'un cas se présente pour faire vos examens.

M. Volpe : Je serais étonné qu'on porte un jugement général. S'agissant d'enjeux aussi graves, nous les prenons au cas par cas. Il ne serait pas souhaitable que nous condamnions un pays à cause des relations qu'il entretient avec un autre. Quand on tient les valeurs canadiennes en si haute estime, peu importe le pays d'origine d'une personne, la situation qui prévaut dans ce pays ne doit pas influer sur notre jugement dans un cas particulier.

Le sénateur Smith : Les médias ont parlé d'un cas nord-coréen.

Est-ce qu'il fait partie des quatre en question? Non? Je vous remercie.

Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, je vous ai écouté attentivement et j'ai lu votre texte. Est-ce qu'on vous a indiqué ce qui s'est passé dans notre comité au cours des huit derniers mois?

Madame la présidente, avons-nous entendu une soixantaine de témoins?

La présidente : Ils ont été plus nombreux que cela.

Le sénateur Joyal : J'ai l'impression ce matin d'écouter un exposé 101 sur la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Des questions sérieuses ont été soulevées ici. Malheureusement, je considère que vous n'avez pas été informés par les fonctionnaires de votre ministère qui ont assisté à nos réunions. Ces réunions ont été télévisées. Nos réunions ont fait l'objet de comptes rendus; aucune séance ne s'est déroulée à huis clos.

Nous nous débattons avec deux grandes questions concernant la Loi sur l'immigration. La première question est la durée de détention, qui a été une question sérieuse examinée par d'autres tribunaux, notamment des tribunaux de Grande-Bretagne. Autrement dit, il s'agit du nombre de jours pendant lesquels une personne peut être détenue avant que son cas soit porté devant les tribunaux. C'est une grave question de droits de la personne. Combien de temps une personne peut-elle être emprisonnée sans contact avec l'extérieur avant d'être entendue par les tribunaux? C'est la première question.

Il y a une autre question. Une fois qu'une personne a été désignée comme présentant un risque pour la sécurité, combien de temps cette personne sera-t-elle détenue avant d'être ramenée devant les tribunaux? C'est une question dont est maintenant saisie la Cour suprême du Canada. Je suis étonné de constater que votre texte à la page 8 ne mentionne pas le fait que l'un de vos cas fait l'objet d'un appel devant la Cour suprême. Après huit mois, nous nous attendons à plus de précision de la part de votre ministère sur cette question.

Une autre question a été soulevée dans l'Ottawa Citizen de ce matin, à la une, qui concerne essentiellement la façon dont la preuve recueillie par le SCRS et d'autres services du renseignement peut être présentée devant le juge d'une façon qui permet de concilier l'établissement de la preuve et le droit de la personne jugée d'être informée. L'article de ce matin à la une indique que le gouvernement fédéral envisage qu'un gardien du droit assiste aux audiences à huis clos des tribunaux devant lesquels comparaissent des personnes soupçonnées de terrorisme et qui sont détenues indéfiniment sans procès. L'article mentionne particulièrement la procédure d'immigration.

Nous avons déjà soulevé cette question ici en ce qui concerne l'« amicus curiae ». Les témoins et les sénateurs des deux côtés de la table l'ont mentionné à maintes reprises. Il s'agit d'une question grave. Comme c'est la dernière journée de nos audiences, je m'étais dit, peut-être un peu naïvement que vous nous présenteriez une analyse précise des points qui ont été soulevés devant nous et que nous obtiendrions la position du ministère à cet égard. Or, ce que nous obtenons, c'est une explication générale de la façon dont fonctionne le système. C'est très bien, mais cela ne fournit pas au comité les renseignements dont il a besoin pour formuler des recommandations au cours des semaines à venir.

Pourriez-vous traiter de ces questions? Comment réagissez-vous à l'idée selon laquelle on ne peut dissocier le processus de l'objectif d'équité? Il y a deux éléments en jeu dans l'équité du processus. Le premier, c'est la durée de temps pendant laquelle une personne est détenue sans procès ou ramenée devant les tribunaux après une période de temps. Il faudrait désigner une personne qui permettrait de présenter une information mieux équilibrée de façon à ce que le deuxième avis, comme vous le dites dans votre allocution, ne se fonde pas essentiellement sur la même information. Il faut prévoir un mécanisme qui concilie les intérêts du SCRS et ceux de la personne, afin de protéger l'intégrité du dossier. Nous convenons tous qu'il faut protéger l'intégrité du dossier, mais cela ne devrait pas être un prétexte pour éviter un juste équilibre au sein du système.

Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles ont été soulevées à de nombreuses reprises au cours des 10 derniers mois. Ce matin, nous revenons à la case zéro, au moment où nous devons présenter nos conclusions et formuler des recommandations au Parlement.

M. Volpe : Je comprends la position que vous adoptez, sénateur Joyal. Si vous avez eu l'impression de recevoir à nouveau un cours d'immigration 101, c'est en partie parce que vous demandez au ministère de l'Immigration des réponses dont s'occupent maintenant deux autres ministères. Je n'ai pas l'intention d'amoindrir l'importance des questions que vous soulevez et qui vous préoccupent beaucoup. Je suis heureux de constater que mes collègues responsables de ces deux questions comparaîtront devant vous cet après-midi. Je n'ai pas l'intention de préjuger des réponses qu'ils vous donneront, que ce soit au niveau des modalités ou des politiques, et qui vous fourniront l'information voulue, mais ces questions concernent le ministre de la Sécurité publique, l'ASFC et Justice Canada. Ce n'est pas un hasard si je suis accompagné ici des deux cadres supérieurs de l'ASFC et de Justice Canada pour aborder ces questions, si vous voulez les aborder, mais mes collègues qui ont accepté de comparaître devant vous pour traiter de ces deux aspects seront sans doute mieux en mesure de répondre à vos questions.

Pour ce qui est de l'équité du processus, comme je l'ai indiqué, la Cour suprême a examiné le processus et a fait des observations sur son équité. On peut accepter de ne pas être d'accord, mais la Cour suprême s'est prononcée sur cette question. En ce qui concerne le poste d'« amicus curiae », en 2003 la Cour fédérale a indiqué qu'il ne serait pas souhaitable d'adopter un mécanisme d'« amicus curiae ». Il ne m'appartient pas de défendre encore une fois cette position en leur nom. Vous êtes libre de diverger d'opinion et de faire valoir vos arguments. Comme je l'ai dit, auparavant nous étions le seul ministère à nous occuper de cette question. Nous ne le sommes plus. Nous ne sommes même pas le ministère responsable. Cela ne signifie pas que notre participation est inexistante, mais il serait raisonnable de s'attendre à ce que nous répondions aux questions qui concernent les fonctions que nous exerçons et non celles qui relèvent de la compétence d'une autre instance, entre autres pour la simple raison que nous pourrions ne pas répondre de façon satisfaisante à vos questions.

Le sénateur Joyal : Tenons-nous-en à votre ministère. Quelles mesures avez-vous prises pour vous assurer que vos fonctionnaires aux frontières ont la formation nécessaire pour empêcher ce que nous appelons le profilage racial et dont nous avons discuté à maintes reprises?

M. Volpe : Aux postes frontaliers, ce sont les représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada qui s'en occupent. Cela ne relève plus de nous. Suite à une décision gouvernementale prise il y a un an, nous n'assumons plus cette responsabilité. Comme un grand nombre des représentants de l'Agence faisaient partie de notre ministère à une époque, je ne peux que supposer qu'ils souscrivent au même code d'éthique et à la même culture dont nous faisons la promotion aujourd'hui. Le profilage racial n'existe pas. Je ne veux pas répondre à des questions concernant un pays. J'ai dit que nous traitions de ces questions au cas par cas ce qui est effectivement ce qui se fait. Tous nos responsables traitent des questions au cas par cas. La discrimination fondée sur la race n'existe pas chez nous.

Le sénateur Joyal : Avez-vous modifié certaines de vos procédures depuis l'adoption de la Loi antiterroriste, afin d'informer vos fonctionnaires, vos agents d'immigration ou d'autres membres de l'Agence des services frontaliers du Canada qui relèvent de la responsabilité de Mme Deschênes afin de s'assurer que ces personnes ont reçu la formation voulue pour respecter les objectifs que nous avons tâché d'exprimer autour de cette table au cours des huit derniers mois?

Mme Deschênes : L'Agence des services frontaliers du Canada prend cette question au sérieux. Nous éprouvons à l'heure actuelle certaines difficultés pour ce qui est d'établir notre programme de formation. Nous tenons principalement à nous assurer d'offrir une formation plus axée sur la diversité culturelle et la sensibilisation aux réalités culturelles. Nous avons mis sur pied une initiative en matière d'équité pour offrir un meilleur contexte aux clients quant à ce que nous attendons d'eux et ce qu'ils peuvent attendre de nous. Nous avons l'intention de consulter les principaux intéressés à ce sujet afin de compléter le travail que nous avons déjà effectué pour nous assurer que nos agents aux postes frontaliers comprennent qu'ils sont responsables de traiter chaque personne en tant que personne de manière à éviter le profilage racial.

L'Agence des services frontaliers du Canada ne tolère pas le profilage racial et est en train de prendre des mesures à cet égard.

Avons-nous fait tout ce que nous voulons? Je pense que nous avons jeté les bases qui nous permettent de poursuivre nos activités en ce sens.

Le sénateur Joyal : Quel est le principal problème auquel vous faites face à cet égard?

Mme Deschênes : En ce qui concerne la formation?

Le sénateur Joyal : Oui.

Mme Deschênes : Un aspect important a été d'incorporer une nouvelle formation dans une perspective douanière, une perspective d'immigration de l'inspection des aliments. C'est une grande priorité. Une autre priorité est de nous assurer que dans tout le matériel de formation, nous insistons sur la nécessité de traiter chaque cas individuellement et de tenir compte du fait que certaines personnes peuvent répondre aux questions différemment à cause de leurs antécédents culturels, et cetera.

Le sénateur Joyal : En ce qui concerne les manuels, avez-vous revu vos manuels de formation lorsque cette question a été soulevée après les événements du 11 septembre comme l'une des grandes questions qui nuirait à l'efficacité de l'objectif en matière de sécurité?

Mme Deschênes : Nous mettons à jour et revoyons continuellement les manuels afin de nous assurer que nos agents disposent des outils nécessaires et qu'ils favorisent également une sensibilisation aux réalités culturelles. En raison des changements organisationnels dont ont fait l'objet Citoyenneté et Immigration Canada et l'ASFC, nous avons dû parcourir le manuel pour déterminer qui était responsable de quoi. Au fur et à mesure de la mise à jour des manuels, nous continuerons de les étoffer.

De façon générale, le profilage racial n'a jamais été un processus accepté ni par Citoyenneté et Immigration Canada et certainement pas par l'Agence des services frontaliers du Canada.

Le sénateur Joyal : Le problème, ce n'est pas que cela a été une politique. Le problème, c'est que le gens ont la perception que c'est ce qui se produit. J'ignore si on vous a renseigné à propos des témoignages que nous avons entendus ici au cours des huit derniers mois, mais les gens ont l'impression bien ancrée qu'ils sont traités différemment à la frontière par un agent d'immigration ou un agent de la sécurité en fonction du pays d'où ils proviennent ou du pays où ils sont nés, particulièrement s'ils sont arabes ou musulmans. Ils font l'objet d'une investigation beaucoup plus détaillée.

C'est une impression qui est généralisée et qui ne se limite pas uniquement à une ville ou une partie de la frontière au Canada, mais qui semble exister partout. Est-on alors en droit de demander, si cette impression existe bel et bien, comment nous pouvons la combattre? Si nous la combattons, dans quelle mesure doit-on améliorer notre efficacité? Que devons-nous changer dans nos procédures ou notre capacité d'établir des relations avec la collectivité pour nous assurer un monde où les gens sont non seulement traités équitablement mais ont l'impression d'être traités équitablement?

Mme Deschênes : Je suis sûre que le ministre voudra aborder cette question plus en détail cet après-midi. Il sera fondamental, dans le cadre de l'initiative en matière d'équité qui sera lancée de tâcher de donner suite à certaines de ces impressions. Cela permettra aux clients qui estiment n'avoir pas reçu le respect auquel ils ont droit une tribune où ils pourront nous en parler et s'en plaindre. C'est une autre mesure que nous sommes en train de prendre à l'Agence des services frontaliers du Canada.

La présidente : Chers collègues, nous nous sommes entendus avec le ministre pour qu'il reste jusqu'à 11 h 30, et je crois qu'il est attendu ailleurs. J'ignore si ses collaborateurs ont la possibilité de rester avec nous encore un certain temps, mais en ce qui concerne le ministre, nous tenons à le remercier d'être venu et lui souhaitons du succès dans un portefeuille difficile.

M. Volpe : Je vous remercie, madame la présidente, ainsi que tous vos collègues ici présents.

Ma collaboratrice est disposée à rester. Je pense que ses collègues des autres ministères aussi sans doute. Je n'ai pas l'intention de leur dicter ce qu'ils doivent faire. Il s'agit plutôt d'une forte suggestion.

Le sénateur Joyal : En ce qui concerne la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, qui relève du ministère, comment gérez-vous la question de la sécurité lorsqu'elle est soulevée à la Commission?

Mme Arnott : Sénateur, je ne suis malheureusement pas en mesure de vous donner une réponse satisfaisante. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié relève directement du ministre et non du ministère. Par conséquent, je ne peux pas répondre à cette question. Je sais que les responsables de la commission reçoivent une formation appropriée. On consacre énormément d'efforts à leur formation. Ils disposent de ressources importantes. Au-delà de cela, je ne peux pas vous répondre. Le ministre pourrait demander aux représentants de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de l'accompagner si vous souhaitez approfondir cette question avec eux.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous n'êtes pas en mesure de commenter la démarche suivie à la commission?

Mme Arnott : Malheureusement non.

Le sénateur Joyal : Je voulais aussi soulever la question de la torture dont a parlé le sénateur Andreychuk. Dans son exposé ce matin, le ministre a indiqué que vous vous fondez sur l'arrêt Suresh de la Cour suprême en ce qui concerne la torture.

Cependant, vous n'êtes pas sans savoir que même l'ancienne juge Louise Arbour, qui est maintenant Haut commissaire pour les droits de l'homme aux Nations Unies, a indiqué clairement dans la décision qu'elle a rendue à titre de Haut commissaire aux Nations Unies qu'en fait la torture devait être systématiquement interdite. Ce commentaire a-t-il suscité une certaine réflexion de la part de votre ministère à propos de la définition et de l'importance d'interdire la torture?

Mme Arnott : Cela a-t-il suscité une réflexion de la part du ministère? Pour revenir à ce que le ministre vous a indiqué, chaque cas est examiné individuellement. Lorsque l'on prend une décision dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi, nous examinons le risque que court le client et le risque que court le pays et nous tâchons d'établir un équilibre entre les deux. Nous comptons sur la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Suresh pour décider de la façon de procéder. Nous sommes conscients que deux des cas de personnes visées par un certificat de sécurité ont été autorisées à être portées devant la Cour suprême et dans un troisième cas, on a demandé l'autorisation d'interjeter appel.

Nous savions depuis un certain temps que la Cour suprême était susceptible d'examiner à nouveau cette question. La possibilité restreinte que nous offre l'arrêt Suresh ne nous donne que de faibles indications et ne renferme pas de définition et nous y avons énormément réfléchi. Monsieur Therrien, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Therrien : De toute évidence, l'arrêt Suresh traite de circonstances exceptionnelles. Ce sont les commentaires faits par Mme Arbour, mais quoi qu'il en soit on examine les circonstances exceptionnelles de ces cas. Le critère de la sécurité nationale dans les décisions qui seront fondées sur des circonstances exceptionnelles est élevé.

Il ne fait aucun doute que les décisions qui sont prises à l'heure actuelle par les délégués du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada seront examinées à nouveau par les tribunaux sous l'angle de la définition de circonstances exceptionnelles. Nous nous en réjouissons.

Le sénateur Andreychuk : Le ministère a-t-il tâché de déterminer ce qu'il considère être une définition ou un critère raisonnable?

M. Therrien : Comme le ministre l'a déclaré il y a quelques instants, il est difficile de donner une définition dans ce genre de cas, ce qu'a d'ailleurs déclaré la Cour suprême dans l'arrêt Suresh. La raison pour laquelle la Cour suprême a indiqué que des circonstances exceptionnelles pourraient être invoquées dans lesquelles, malgré la règle existante, il pourrait être possible d'éliminer l'interdiction concernant la torture, c'est qu'il est difficile de prévoir et d'évaluer ces cas « a priori », il faut peser l'importance du risque pour la société et pour la personne en question.

L'arrêt Suresh fait une certaine mention du niveau de risque que l'on examine lorsque les décideurs doivent peser le risque et prendre une décision en conséquence mais aucune règle stricte n'a été définie et la Cour suprême laisse entendre qu'il pourrait être pratiquement impossible d'établir des règles strictes à cet égard.

Le sénateur Andreychuk : Comme je l'ai déjà dit, il ne s'agit pas des règles. Le ministère s'est-il débattu avec ce problème et a-t-il dit, « que considérons-nous être des circonstances exceptionnelles », pour aider le ministre, pour aider le gouvernement puis pour en faire l'interprétation à l'intention de la population canadienne? Il ne s'agit pas d'une règle stricte, bien au contraire. Il est impossible d'établir une règle stricte. Est-ce qu'on est en train d'examiner des scénarios de cas qui pourraient y correspondre? Ce que je trouve exaspérant, c'est d'essayer de comprendre comment nous arrivons à ces décisions. Est-ce que cela se fait simplement au cas par cas?

Le sénateur Joyal : Ou bien nous acceptons le principe d'interdire absolument la torture, et nous l'exprimons clairement, ou alors nous acceptons que dans certains cas... Je voudrais savoir dans quels cas ce serait acceptable. Je suis sûr que dans son examen de l'affaire Suresh et des observations faites par la juge Arbour et d'autres experts dans ce domaine — et je ne prétends pas en être un — le ministère doit sans doute essayer de définir ces cas, parce que cela pourrait bien se produire un jour. Les services juridiques du ministère sont entre autres chargés d'examiner les précédents et les affaires antérieures en droit international, les décisions prises en matière de torture au sud de notre frontière, et cetera. Je pose cette question parce qu'il me semble que c'est un principe important. Nous ne sommes pas préoccupés par les mécanismes du système, mais plutôt par le principe que ce système vise à mettre en œuvre quotidiennement, ainsi que par le juste milieu qu'on doit y trouver. C'est de cette façon que nous abordons ces questions.

Mme Arnott : Comme ma collègue l'a mentionné, ces décisions sont examinées de façon exceptionnelle, selon les instructions que la Cour suprême nous a données. Chaque affaire est examinée selon ses propres circonstances : nous examinons les risques auxquels serait assujettie la personne renvoyée dans le pays dont elle est citoyenne, tous les documents qui ont été présentés pour en attester, ainsi que tous les renseignements que nous pouvons trouver par nous- mêmes au sujet de ce risque.

Nous essayons ensuite de voir quels dangers cette personne pose pour la société, ce qui est particulier à cette personne et le danger qu'elle pose pour nous, pour le Canada et pour nos voisins. Nous pesons ensuite le pour et le contre pour décider ce qui est le plus critique, le plus prévalent et le plus important en l'espèce.

La décision de la Cour suprême nous a montré qu'on ne peut renvoyer une personne dans un lieu où elle risque d'être torturée que dans les circonstances les plus exceptionnelles. Nous estimons donc que ces cas sont extrêmement rares et difficiles, dans l'optique de ce que la Cour suprême a dit quant aux exceptions, et nous essayons de voir dans quelle catégorie il faut classer l'affaire.

Le sénateur Joyal : Permettez-moi de vous poser une autre question sur le même sujet. Quand vous renvoyez une personne dans son pays d'origine après en avoir conclu que cette personne pose un risque pour la sécurité du Canada, n'êtes-vous pas frappée de ce que, dans les faits, cette personne demeure libre de poser un danger pour le reste du monde? Le risque existe toujours pour le Canada, car nous devons créer les conditions mondiales qui garantissent la réduction du terrorisme plutôt que sa recrudescence. Nous devons lutter contre les dangers sur notre territoire, mais dans les faits, nous transférons ce risque à nos voisins pour qu'ils s'en occupent.

Ne croyez-vous pas qu'il manque une maille dans le réseau mondial de la sécurité si nous ne soulevons pas la question dans une tribune internationale où la sécurité est supposée être la priorité absolue? Ne croyez-vous pas qu'il s'agit d'une demi-mesure pour améliorer la sécurité dans le monde?

Mme Arnott : Vous devriez peut-être en parler avec Mme McLellan. Je vais demander à sa déléguée si elle a des observations à ce sujet.

Mme Deschênes : Nous estimons que la délivrance de certificats et le renvoi ne sont qu'un des outils dont dispose le gouvernement canadien pour régler ces cas. La ministre serait mieux en mesure que moi de répondre à la question de la sécurité dans le monde. Nous savons tous que le terrorisme est un problème international.

Du point de vue de l'ASFC, le renvoi des personnes à qui des certificats ont été délivrés est un des outils dont le gouvernement canadien dispose, et nous devrions continuer de l'utiliser.

Le sénateur Joyal : Je ne dis pas qu'il faudrait abolir les certificats de sécurité eux-mêmes. Ce que je dis, et d'autres témoins l'ont dit durant nos audiences également, c'est qu'il faut améliorer la procédure de façon à ce que les tribunaux puissent juger de l'à-propos de délivrer un certificat et qu'il y ait une procédure équitable. Le simple renvoi d'une personne ne résout pas le problème de la sécurité internationale.

Si notre pays, par l'entremise de ses tribunaux, juge qu'une personne pose un risque grave pour la sécurité, qu'elle doit être renvoyée et interdite de séjour au Canada, cela n'élimine pas le risque pour la sécurité chez nos voisins, qui se préoccupent également de sécurité, ou pour tout autre partenaire du Canada ailleurs dans le monde. Cette personne pose toujours un risque pour la sécurité. La différence, c'est qu'au lieu d'être à l'intérieur de nos frontières, elle est libre à l'étranger.

Existe-t-il une initiative quelconque que notre pays pourrait prendre à l'échelle internationale pour résoudre un tel problème? C'est un problème que connaissent peut-être également les États-Unis et certains pays d'Europe. Lorsque nous réfléchissons à la façon d'améliorer la sécurité mondiale, nous devons tenir compte des conséquences de la persistance de ce risque à l'avenir.

Mme Deschênes : Je ne vais pas vous donner mon opinion personnelle à ce sujet, mais je crois que la ministre aura sans doute des observations à faire.

La présidente : Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer ce matin.

Nous allons entendre le ministre des Transports à midi.

Les travaux sont interrompus.

La séance reprend.

La présidente : Je souhaite la bienvenue à l'honorable Jean Lapierre, ministre des Transports. Il est accompagné de Jacques Pigeon, avocat général ministériel des Services juridiques, ainsi que de John Forster, sous-ministre adjoint associé, Sécurité et sûreté.

[Français]

L'honorable Jean Lapierre, ministre des Transports : Honorables sénateurs, même si Transports Canada n'est pas directement impliqué en ce qui concerne la Loi antiterroriste, j'apprécie l'invitation qui m'est offerte de vous adresser la parole aujourd'hui.

J'aimerais profiter de l'occasion pour vous entretenir de l'une de mes plus importantes priorités en tant que ministre des Transports : la sûreté de notre réseau de transport. Parce que si nous n'avons pas un réseau de transport sécuritaire, les gens vont être inquiets, cela aura des effets sur la qualité de vie, mais cela aura aussi des effets sur l'économie.

Je veux aussi placer les choses dans leur contexte. Le réseau de transport du Canada, c'est-à-dire nos routes, chemins de fer, systèmes de transport en commun, ports et aéroports, est essentiel à nos activités et à nos besoins quotidiens.

En tant que pays exportateur, notre économie dépend d'un réseau de transport efficace. Les Canadiens ont besoin d'un réseau de transport sûr et sécuritaire pour se rendre au travail ou à l'école, ou pour subvenir à leurs besoins.

Ces dernières années, plus que jamais, la sûreté de notre réseau de transport est devenue l'un des enjeux les plus importants. Il ne s'agit pas seulement de renforcer la sûreté, mais bien d'avoir les bons mécanismes en place. Il s'agit de protéger les Canadiens, tout en permettant le mouvement efficace des personnes et des biens et en respectant les droits et la vie privée des Canadiens.

Malheureusement, comme nous l'avons vu, les systèmes de transport sont parmi les cibles les plus attrayantes pour les organisations terroristes qui veulent faire beaucoup de tort, beaucoup de dommages.

Le Canada est bien conscient de cette réalité. On n'a qu'à penser à l'attentat perpétré contre le vol d'Air India en 1985. Ce fut notre première alerte. D'autres événements plus récents nous rappellent les conséquences désastreuses que peuvent avoir les attaques dirigées contre les systèmes de transport. J'en veux pour preuve les attentats du 11 septembre à New York, les attentats à la bombe contre le réseau ferroviaire en Espagne et les récents attentats perpétrés contre le système de transport en commun à Londres.

Voilà autant de raisons pour lesquelles j'ai fait de la sûreté l'une de mes priorités absolues en tant que ministre des Transports. C'est aussi pourquoi le gouvernement du Canada a élaboré sa toute première politique canadienne de sécurité nationale en 2004. C'est aussi pourquoi nous avons consacré plus de 3 milliards de dollars à l'amélioration de la sûreté des transports depuis les attentats du 11 septembre.

Et c'est la raison pour laquelle j'ai annoncé, plus tôt cette année, l'élaboration d'une stratégie nationale de sûreté des transports. Cette stratégie, qui s'ajoutera aux autres initiatives prises jusqu'à ce jour, permettra d'évaluer les risques qui pèsent sur le réseau de transport et de préciser clairement des priorités pour l'avenir. Nos partenaires de l'industrie, des syndicats et des différents niveaux de gouvernement participent à l'élaboration de cette stratégie qui sera terminée l'an prochain. Nous travaillons aussi à l'élaboration d'un plan directeur pour l'avenir. Bref, on ne se croise pas les bras.

J'aimerais prendre quelques instants pour vous expliquer ce que nous faisons pour renforcer la sûreté dans les secteurs de transport terrestre, maritime et aérien.

[Traduction]

Les attentats perpétrés à Londres cet été, et à Madrid l'an dernier, nous rappellent à quel point les réseaux de transport en commun sont vulnérables. C'est clairement un secteur où nous pouvons faire davantage. Nos systèmes sont accessibles, divers et complexes, et ils regroupent des exploitants publics et privés de trains de voyageurs et d'autocars interurbains, de trains de banlieue, de trains légers sur rail, de métros et de services municipaux d'autobus. Par conséquent, la sûreté du transport ferroviaire et du transport en commun exige un partenariat efficace entre le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités, les exploitants de services de transport en commun, les organismes d'application de la loi et le public.

Après les attentats de Madrid, nous avons mis en place un réseau d'échange de renseignements avec les principales sociétés ferroviaires et les exploitants de services de transport en commun sur rail partout au Canada. Ce réseau nous permet non seulement d'échanger des renseignements, mais aussi de partager des pratiques exemplaires. Ce réseau d'échange de renseignements nous a été très précieux à la suite des attentats à la bombe perpétrés à Londres. Le 7 juillet, à 5 h 30, le réseau a été mis en service pour alerter les exploitants de services ferroviaires et de transport en commun au pays et les inciter à une plus grande vigilance et à prendre des mesures de sûreté additionnelles. Puis, le 21 juillet, ce même réseau nous a permis de communiquer rapidement avec les exploitants et de partager avec eux des pratiques exemplaires.

Nous avons aussi entrepris un examen de la sûreté dans le secteur du transport ferroviaire et du transport en commun. Au cours de la dernière année, nous avons travaillé avec les sociétés ferroviaires et les sociétés de transport en commun à la réalisation d'une analyse détaillée de la menace et des risques en vue d'améliorer davantage la sûreté. Ces travaux seront terminés l'an prochain.

Entre-temps, nous avons accéléré nos efforts. Pour ce faire, nous avons créé, à Transports Canada, un groupe de travail sur la sûreté du transport ferroviaire et du transport en commun chargé d'étudier les mesures immédiates qui pourraient être prises pour accroître rapidement la sécurité dans ces secteurs.

J'ai rencontré des exploitants partout au Canada et discuté de cette question avec mes homologues provinciaux en septembre. Nous avons tenu d'importantes consultations sur les mesures à prendre dans l'immédiat ainsi que sur l'aide la plus judicieuse que le gouvernement fédéral pourrait apporter.

[Français]

J'aimerais maintenant vous parler de la sûreté maritime. Depuis 2001, le gouvernement a consacré plus de 930 millions de dollars à l'adoption de mesures destinées à protéger l'industrie maritime, y compris les navires, les passagers et leurs marchandises ainsi que l'infrastructure contre les menaces potentielles.

Transports Canada a travaillé avec ses partenaires internationaux et l'Organisation maritime internationale à l'introduction d'un nouveau code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires qui a été ratifié par tous les pays engagés dans le commerce maritime international.

Pour mettre en œuvre ce nouveau régime international de sûreté au Canada, nous avons introduit un nouveau règlement sur la sûreté du transport maritime qui est entré en vigueur le 1er juillet 2004. Nous avons certifié plus de 400 installations maritimes au Canada pour nous assurer qu'elles étaient conformes aux nouvelles normes, ce qui comprenait, entre autres, l'approbation de plans de sûreté. Finalement, nous avons créé, en mai 2004, le programme de contribution pour la sûreté maritime, un programme de 115 millions de dollars sur trois ans, pour aider les ports canadiens à moderniser et à renforcer leurs systèmes de sûreté afin qu'ils puissent satisfaire aux nouvelles exigences dans ce domaine.

De plus, nous procédons toujours à l'amélioration de la surveillance aérienne pour mieux repérer les navires qui entrent et naviguent en eaux canadiennes, à l'amélioration du contrôle des passagers et des conteneurs ainsi que des moyens dont dispose la GRC pour la création, en vertu de la politique canadienne de sécurité nationale, de trois centres d'opération de la sûreté maritime — à Halifax, à Victoria et sur le réseau des Grands Lacs, la voie maritime du Saint-Laurent — pour réunir en un même lieu les principaux organismes fédéraux de sûreté maritime.

Finalement, nous travaillons à l'amélioration de la présence en mer des Forces canadiennes, de la Gendarmerie royale du Canada et de la Garde côtière canadienne.

Nos efforts pour accroître la sûreté maritime se poursuivent. Transports Canada, la GRC et l'Association des administrations portuaires canadiennes ont entrepris une étude détaillée sur des questions complexes rattachées à l'amélioration de la sûreté le long des côtes.

Entre-temps, nous tenons des consultations importantes avec les syndicats et l'industrie relativement à un nouveau programme d'habilitation de sécurité et de vérification des antécédents des travailleurs qui ont accès à des zones critiques dans nos ports. D'ailleurs, il y a eu énormément de consultations avec les syndicats à ce sujet.

[Traduction]

J'aimerais maintenant traiter du transport aérien. Le Canada a apporté d'importants changements au chapitre de la sûreté de l'aviation civile en ce qui concerne la protection des aéroports, des aéronefs et des passagers, à la suite des attentats contre un vol d'Air India en 1985. Le Canada a été le premier pays à procéder à la vérification des antécédents des employés des aéroports et à l'appariement des bagages et des passagers sur tous les vols. Puis au lendemain des attentats du 11 septembre, le gouvernement du Canada s'est empressé d'introduire plusieurs mesures pour accroître considérablement la sécurité de l'aviation. Par exemple, le gouvernement a exigé que les portes des postes de pilotage soient renforcées et verrouillées à bord des vols passagers commerciaux. Le gouvernement a prévu jusqu'à 35 millions de dollars pour aider les transporteurs aériens à couvrir le coût des modifications à apporter aux fins de sûreté, dont le renforcement des portes des postes de pilotage des aéronefs passagers existants. Nous avons créé l'administration canadienne de la sûreté du transport aérien, l'ACSTA, chargée d'assurer le contrôle des passagers et de leurs bagages Nous avons prévu plus d'un milliard de dollars pour l'achat et le déploiement de systèmes de détection des explosifs pour le contrôle des bagages enregistrés aux aéroports canadiens. Nous avons étendu le contrôle aux non-passagers, comme le personnel des transporteurs aériens, les employés des aéroports et le personnel au sol. Nous avons prévu la présence d'agents de la GRC spécialement formés à bord de vols nationaux et internationaux donnés.

Nos efforts au chapitre de l'aviation ne s'arrêtent pas là. En vertu de la Loi sur l'aéronautique, je suis responsable, en tant que ministre des Transports, de la sécurité et de la sûreté du système canadien d'aviation. Et nous avons pris plusieurs autres mesures pour renforcer la sécurité de l'aviation au Canada, dont la mise à l'essai et l'introduction d'appareils de contrôle biométrique des employés d'aéroport qui ont accès aux zones réglementées, l'introduction de nouveaux règlements de sûreté touchant les bâtiments aéroportuaires, outre les aérogares, et une collaboration avec les expéditeurs et les transporteurs aériens relativement à un programme global destiné à accroître la sûreté du fret aérien.

[Français]

J'aimerais enfin vous parler des travaux qui sont en cours relativement au programme d'évaluation des passagers que la vice-première ministre et moi-même avons annoncé en août dernier et qui vise à accroître la sûreté de l'aviation et du public. Ce programme connu sous le nom de Protection des passagers vise à empêcher les personnes qui présentent une menace pour la sûreté de l'aviation de prendre l'avion au Canada.

La loi de 2002 sur la sécurité publique, qui a reçu la sanction royale le 6 mai 2004, a modifié la Loi sur l'aéronautique. Ces modifications donnent au ministre des Transports le pouvoir d'accroître la sûreté de l'aviation dans plusieurs secteurs. Plus particulièrement, la loi autorise le ministre des Transports à prendre des mesures pour éviter que les personnes qui présentent une menace immédiate pour la sûreté de l'aviation ne montent à bord de l'avion. Voilà l'objectif et la raison d'être de notre programme.

Ce programme ne porte pas sur des considérations générales, pas plus que sur les personnes qui possèdent un casier judiciaire. Il s'adresse uniquement aux personnes qui présentent une menace immédiate et j'insiste, une menace immédiate pour la sûreté de l'aviation.

Nous procédons de deux façons : La première consiste à court terme à fournir aux transporteurs aériens une liste des personnes qui présentent une menace pour la sûreté de l'aviation. Les transporteurs aériens vérifieront l'identité de leurs passagers à l'aide de cette liste.

La deuxième, à plus long terme, autorisée en vertu de l'article 4.82 de la Loi sur la sécurité publique, permet de fournir au SCRC et à la GRC des renseignements sur les passagers aux fins de la sûreté de l'aviation et de la sécurité nationale. Dans ce cas-ci, le gouvernement conserverait cette liste et les transporteurs aériens lui soumettraient la liste de leurs passagers aux fins de vérification.

Sécurité publique et Protection civile Canada est le ministère fédéral responsable de cette initiative. Il a entrepris une étude de faisabilité en vue de déterminer les options pour l'élaboration possible de ce programme. Étant donné qu'il y a beaucoup d'informatique dans cela, on ne voudrait pas se ramasser avec un nouveau programme d'enregistrement des armes à feu.

En août dernier, la vice-première ministre et moi avons annoncé que le gouvernement entreprendrait des consultations sur les détails du Programme de protection des passagers.

Nous tenons d'importantes consultations auprès des transporteurs aériens, des aéroports, du public, des groupes de défense des libertés civiles, de la communauté islamique, et d'autres communautés culturelles. On a parlé aussi aux personnes de la table ronde transculturelle sur la sécurité du gouvernement ainsi que, bien sûr, la Commissaire à la protection de la vie privée.

Nos discussions se poursuivent cet automne et à partir de ces consultations, nous élaborerons les détails touchant le fonctionnement du programme. Nous rédigerons ensuite la réglementation relative au programme qui fera aussi l'objet de consultation publique.

Nous procédons de façon responsable et aussi transparente que possible pour mettre au point un programme purement canadien. Certains aspects clés de notre approche comprennent entre autres une liste bien ciblée et bien définie des personnes qui présentent une menace pour la sécurité de l'aviation. On ne voudrait pas avoir l'air aussi fou que les Américains dans certains cas où des gens comme le sénateur Kennedy et d'autres se sont ramassés sur la liste. D'ailleurs notre ministre de la Défense nationale ou un de ses homonymes est sur la liste américaine.

L'étude au cas par cas des personnes dont le nom pourrait être inscrit sur cette liste, la présence de renseignements suffisants sur les personnes pour réduire au minimum la confusion possible avec celle qui porterait le même nom ou un nom semblable, un accès rapide à un mécanisme permettant aux personnes de réclamer que l'inscription de leurs noms sur cette liste soit réexaminée s'il y avait erreur.

[Traduction]

Comme vous pouvez le voir, nous avons abattu beaucoup de travail en ce qui concerne la sûreté des transports. Cependant, nos systèmes de transport demeurent des cibles attrayantes pour les terroristes. Mais il reste encore beaucoup à faire. Mon objectif est d'en arriver à une approche équilibrée pour protéger les Canadiens, permettre aux personnes et aux biens de circuler librement et respecter les droits à la vie privée des Canadiens.

Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Austin : Pour commencer, monsieur le ministre, cela peut sembler inusité, mais il arrive que, dans des comités du Sénat, un ministre puisse poser des questions à un autre ministre. Je sais que cela ne se fait pas à la Chambre des communes.

Merci de votre exposé. C'est un sujet très important. J'ai des questions à vous poser sur deux sujets.

Premièrement, en ce qui a trait à la sécurité maritime, je crois savoir qu'un nombre croissant de conteneurs transportés sur des navires océaniques sont dotés de dispositifs électroniques de sécurité. Si quelqu'un essaie de briser ces dispositifs, il est possible de le détecter. C'est terriblement important, si l'on veut éviter que des terroristes ou d'autres personnes qui veulent nuire au Canada, introduisent des armes biologiques ou atomiques, par exemple, dans ces conteneurs. Pourriez-vous nous expliquer comment ces conteneurs sont chargés et verrouillés, et comment on en fait la manutention à leur arrivée?

M. Lapierre : Je ne suis pas le ministre chargé des conteneurs. Cette question relève de l'Agence des services frontaliers du Canada. Cette agence dispose d'un service chargé d'identifier les conteneurs avant leur arrivée au pays. J'ai cependant vu ces petits dispositifs. Je me suis rendu à Hong Kong récemment, et on m'a parlé de dispositifs qui peuvent être retracés par satellite. De cette façon, on sait en tout temps où se trouvent ces conteneurs. La technologie existe, mais je ne saurais dire si elle est largement utilisée. John Foster pourrait peut-être vous aider.

John Foster, sous-ministre adjoint associé, Sécurité et sûreté, Transports Canada : Je ne connais pas les détails de cette question, et je ne sais pas non plus si ces appareils sont très utilisés, mais on envisage d'utiliser des champs électroniques qui pourront être détectés par satellite et reliés à des systèmes de GPS.

Le sénateur Austin : Je serais curieux de savoir si cette pratique est très répandue. Je suis moi aussi allé à Hong Kong, et j'ai vu comment ces conteneurs sont chargés et scellés avec des dispositifs qui permettent de voir s'ils ont été pénétrés, entre autres au moyen de certains types de peinture électroniques. C'est une façon importante de garantir la sécurité.

Je sais que vous vous occupez des navires plutôt que des cargaisons. En ce qui a trait au retracement des navires, avons-nous un tableau complet des navires qui s'approchent de notre pays? Savons-nous de quels navires il s'agit et comment nous pouvons les intercepter lorsqu'ils s'approchent de nos côtes, s'ils n'ont pas fait l'objet d'un précontrôle?

M. Foster : Sous le régime des nouvelles règles internationales, les navires doivent donner un préavis aux pays. Ils doivent s'enregistrer auprès du pays de destination 96 heures avant d'y arriver. De cette façon, nous avons l'information nécessaire et nous pouvons les retracer. En cas de préoccupation ou de danger, nous pouvons consulter la Garde côtière canadienne et le ministère de la Défense nationale pour voir s'il faut leur interdire l'accès à notre territoire.

Le sénateur Austin : Est-ce que ces navires sont interceptés, s'il n'y a pas eu de précontrôle?

M. Foster : Il n'y a pas de précontrôle dans un port ou un aéroport, mais nous savons d'où le navire vient et dans quel port il est allé. On nous fournit toute une liste de renseignements afin de résoudre ce genre de préoccupations.

Le sénateur Austin : J'aimerais savoir quelle méthode est utilisée pour traiter les personnes qui abordent nos côtes sans autorisation. Cela s'est déjà produit, et certaines des personnes qui pourraient arriver au Canada de nos jours pourraient poser des risques pour la sécurité plus graves que d'autres.

M. Lapierre : C'est la sécurité à la frontière qui s'en occupe. Nous avons eu des problèmes de ce genre à Trois- Rivières, au Québec. Ces personnes ont été retracées grâce aux efforts des services policiers, des douaniers et d'autres services, mais pas de Transports Canada.

Le sénateur Austin : L'autre sujet que j'aimerais aborder est celui de la circulation des personnes entre le Canada et les États-Unis. Vous avez mentionné des laissez-passer biométriques. Nous savons que des lois américaines entreront en vigueur le 1er janvier 2007 en ce qui a trait à l'exigence de présenter un passeport qui contient des bandes électroniques. De même, nous savons que cette exigence de présenter un passeport pourrait avoir des conséquences graves pour les économies de nos deux pays. A-t-on réalisé des progrès dans des domaines autres que celui des passeports afin de faciliter le transport des personnes et la sécurité des deux pays?

M. Lapierre : Nous faisons encore des démarches, car nous aimerions être exemptés des dispositions de cette nouvelle loi. Nous savons qu'elle aura des effets pour bon nombre de villes frontalières. Même si plus de Canadiens possèdent des passeports, une loi pareille pourrait empêcher des Américains de venir passer un jour ou deux au Canada. Nous faisons donc encore des démarches dans ce dossier. Si je n'avais pas accepté de venir vous rencontrer aujourd'hui, je me serais rendu vendredi dernier à Washington pour faire personnellement des démarches. J'enverrai une note au lieu.

M. Forster : Affaires étrangères Canada et l'ambassade du Canada à Washington font activement des démarches auprès du gouvernement américain à ce sujet. Du côté du transport, nous essayons de négocier la reconnaissance mutuelle d'un système de lettres de créance. Par exemple, les États-Unis exigeront des vérifications d'antécédents à l'égard des conducteurs de véhicules transportant des matières dangereuses. Nous essayons de mettre au point un système qui permettrait au Canada de faire ces vérifications au moyen de cartes permettant un traitement accéléré aux douanes. De cette façon, le conducteur ne serait pas tenu d'avoir des cartes distinctes pour le Canada et les États-Unis. Nous collaborons avec les États-Unis afin de garantir que chaque pays reconnaît les autorisations de l'autre.

Le sénateur Austin : Pourrait-on pour cela élargir le système NEXUS?

M. Forster : Il s'agit davantage d'une mesure semblable au programme d'expéditions rapides et sécuritaires, le programme EXPRES, qui s'applique au transport de marchandises.

Le sénateur Andreychuk : Je vais continuer dans la même veine, sur les services de transport au Canada. Nous revenons de Londres, en Angleterre, où il y a eu des attentats à la bombe dans le métro. Nous avons appris que ce qui est le plus important, c'est comment un tel incident est traité sur le terrain. Peu importe le nombre de règles et de méthodes, il vaut mieux avoir des services locaux compétents et coordonnés. Évidemment, au Canada, nous avons des systèmes provinciaux et municipaux. Dans quelle mesure avez-vous revu vos façons de procéder après les incidents de Londres et de Madrid?

M. Lapierre : J'ai de bonnes nouvelles à vous signaler à ce sujet. Nous avons tenu une conférence fédérale- provinciale des ministres des Transports à laquelle étaient conviés les ministres de la Sécurité publique. La ministre McLellan y a assisté. S'il est un domaine où il n'existe aucun problème dans les relations fédérales-provinciales- municipales, c'est bien celui de la sécurité dans les réseaux de transport en commun. Les provinces et les municipalités veulent toutes que nous dirigions les efforts dans ce domaine, et c'est pourquoi j'ai présenté au Cabinet des propositions qui pourraient être utiles à cet égard. Toutes les autorités, de Halifax à Vancouver en passant par Montréal et Toronto, disent qu'il faut former le personnel à tous les niveaux. Elles veulent également qu'il y ait des exercices afin que les gens soient mieux préparés. Toutefois, les exercices sont coûteux car beaucoup de gens y participent. Nous devrons les aider à les payer. Les provinces et les municipalités ont grandement besoin d'équipement, et c'est pourquoi nous sommes en train de faire approuver un programme de contributions semblable à celui qui existe dans le secteur maritime. Un tel programme pourrait être utilisé dans le secteur du transport en commun, car il existe un besoin, et toutes les autorités du transport en commun n'ont plus un sou. Si notre gouvernement ne fait rien, rien ne sera fait. Je suis allé à Montréal. Pour vous donner un exemple, les ordinateurs qui servent à contrôler le réseau sont plus gros que les tables sur lesquelles ils se trouvent, car ils ont été achetés en 1966. Ces ordinateurs ont moins de capacité que mon Blackberry et un grand nombre de systèmes devront être mis à niveau. Nous avons tenu des consultations étendues et nous espérons annoncer la création d'un programme aussi rapidement que possible. Toutes les autorités nous demandent de diriger ce dossier, et c'est donc notre responsabilité.

Le sénateur Andreychuk : Je me réjouis que vous accordiez de l'attention à cette question parce qu'à Londres on a eu une période assez brève pour procéder à des exercices. Après les incidents survenus dans le métro, les autorités londoniennes ont déclaré que si on n'avait pas offert la formation et procédé aux exercices avant les attentats, elles n'auraient pas été mesure de réagir aussi vite et de trouver les responsables des attentats. Les autorités savaient qu'il y avait eu des incidents à plus d'un endroit. Elles ont pu les contenir rapidement et comprendre très vite ce qui s'était passé, et je doute que nous soyons capables d'en faire autant.

M. Lapierre : Leur système de caméras s'est révélé extrêmement utile.

Le sénateur Andreychuk : Oui, il y a 5 000 caméras installées à Londres. Est-ce qu'on peut envisager cela au Canada? Avez-vous exploré cette méthode qui peut porter atteinte à la vie privée? Nous ne l'avons pas examinée ni amorcé un dialogue avec le public à ce sujet. Pour que de telles mesures donnent de bons résultats, il faut qu'il y ait un certain équilibre.

M. Lapierre : Voilà justement le problème et j'ai exploré cette idée. D'après les sondages de l'opinion publique, 72 p. 100 des Canadiens veulent que l'on installe des caméras parce qu'ils se sentiraient plus en sécurité. Ils se sentiraient mieux protégés non seulement contre les attentats terroristes mais contre d'autres types de dangers. C'est ce qu'on m'a dit sur la foi de statistiques dont je ne pourrais confirmer l'exactitude. Après l'installation de caméras à Londres, le taux de criminalité a diminué de 58 p. 100, et les gens craignent moins d'utiliser le transport en commun. Dans chaque ville du Canada que j'ai visitée, qui est dotée d'un système de transport en commun, les gens disent qu'ils se sentiraient plus en sécurité la nuit s'il y avait des caméras. Nous devons cependant concilier ce besoin avec la nécessité de respecter la vie privée. La plupart des provinces ont un bon système de protection de la vie privée. Si nous instaurons un programme de contributions, il comportera des lignes de conduite relatives au respect de la vie privée. Par ailleurs, qu'adviendrait-il des enregistrements faits par ces appareils? Qu'en fera-t-on et qui y aurait accès? Nous sommes bien conscients qu'il faut tout d'abord répondre à toutes ces questions.

Le sénateur Andreychuk : Quand les caméras seront installées, ceux qui ne veulent pas être repérés trouveront le moyen de ne pas être filmés. Ils trouveront des moyens ingénieux de déjouer les caméras. Par ailleurs, les caméras créeront une impression de sécurité qui portera certains à ne pas éviter les dangers. Il faut trouver un équilibre et ne pas perdre de vue l'importance de respecter la vie privée.

La Loi sur la sécurité publique nous autorise à communiquer des renseignements au sujet des voyageurs aériens. Je comprends qu'on veut pouvoir identifier les auteurs d'attentats, mais il ne suffit pas d'avoir la liste des passagers pour pouvoir le faire. Il faut plutôt avoir un système qui permet de recueillir efficacement les renseignements pertinents au sujet de ces individus avant qu'ils ne montent à bord d'un avion. J'aimerais réitérer que si nous nous fions simplement à ces listes, nous courons de gros risques. C'est toujours grâce à de bons services du renseignement que l'on réussit à neutraliser ces individus avant qu'ils puissent passer à l'acte.

Nous aurons ces listes et, en vertu de la Loi sur la sécurité publique, nous pourrons les transmettre aux États-Unis, même s'il s'agit de passagers à bord de vols à l'intérieur du Canada. Où en sommes-nous en ce moment? Sommes-nous vulnérables du fait que nos renseignements seront transmis aux autorités américaines et savons-nous au juste ce qu'ils en feront?

Vous allez obtenir de l'information qui porte atteinte à la vie privée, et pas seulement à des fins de sécurité. Ces renseignements pourront être utilisés à d'autres fins si vous communiquez l'information que les compagnies aériennes pourraient recueillir en vertu de la Loi sur la sécurité publique.

M. Lapierre : Permettez-moi de vous rappeler tout d'abord que nous devons respecter le droit à la vie privée. Voilà pourquoi la liste doit être restreinte. Cependant, la sécurité comporte plusieurs niveaux. Je conviens avec vous qu'Oussama ben Laden ne se présentera pas au comptoir d'Air Canada pour demander de l'aide à l'embarquement. Évidemment, il faut recourir à des systèmes de renseignement.

La liste n'est pas une panacée, mais simplement un niveau de protection supplémentaire. En ce qui concerne la collecte ou la communication de renseignements, je vais céder la parole à M. Forster.

M. Forster : J'ajouterais à ce que le ministre vient de dire que nous n'avons pas encore de liste. Nous consultons un grand nombre de groupes ainsi que la commissaire à la protection de la vie privée en vue de mettre sur pied un programme. Nous voulons tirer parti de l'expérience américaine.

Les Américains ne nous ont pas demandé de leur communiquer la liste des voyageurs, si jamais nous en dressons une. Nous pourrions créer un programme conçu au Canada et fondé sur l'approche canadienne. Si les Américains nous demandent d'inscrire certaines personnes sur notre liste, nous pourrions envisager cette possibilité. Toutefois, il n'existe pas à l'heure actuelle de liste transmise aux autorités américaines.

Le sénateur Andreychuk : Le Parlement a adopté une loi conférant au ministre le pouvoir de communiquer de telles listes. Affirmez-vous que le gouvernement ne communiquera pas cette liste à d'autres pays ou simplement que vous n'en êtes pas encore rendus à cette étape?

M. Lapierre : Nous en sommes encore bien loin. Nous n'avons même pas de liste. Évidemment, nous n'inscrirons sur cette liste que le nom des personnes qui représentent une menace immédiate à l'aviation civile. Nous ne demanderons pas au gouvernement le droit de dresser une liste pour ensuite y inscrire 38 000 noms recueillis dans d'autres pays. D'après nos experts, la liste que nous envisageons actuellement ne comprendrait probablement pas plus de 1 000 noms. Néanmoins, nous devons suivre le processus pour éviter de répéter les mêmes erreurs.

Nous apprenons de l'expérience américaine en ce moment. Nous sommes loin d'être rendus à cette étape. Nous n'avons même pas défini les paramètres de cette liste. Nous procédons actuellement à des consultations. Par rapport à d'autres pays, nous avons la particularité d'avoir une Charte et nous devons en être conscients. Nous devons respecter les exigences de la commissaire à la protection de la vie privée et nous voulons faire en sorte qu'elle donne son aval à notre processus.

[Français]

Le sénateur Joyal : Vos conclusions portaient sur deux aspects de la sécurité dans les transports. Je voudrais revenir sur le premier, celui de la coopération des différents paliers de gouvernement. La recommandation la plus importante que le Sénat américain a faite, suite à son enquête sur les événements du 11 septembre, était le fait que les agences américaines impliquées dans la sécurité aérienne fonctionnaient de façon séparée et autonome. Ils ont utilisé mot « silo », et c'est devenu une sorte d'expression populaire depuis.

Vous nous dites ce matin que les consultations que vous avez eues sur le plan des relations fédérales-provinciales, même avec le Québec, ont démontré une certaine forme de coordination de l'approche. Est-ce que vous avez signé une entente avec les provinces? Ou encore avez-vous convenu d'un protocole particulier pour mettre en place des mesures d'urgence si la sécurité serait menacée dans le domaine aérien ou des transports maritimes, ou dans une partie du pays, là où le Canada a la responsabilité des installations portuaires, ou encore au niveau du transport ferroviaire qui couvre la totalité du pays?

Avez-vous actuellement des protocoles formels avec les provinces qui sont responsables des municipalités — la Cour suprême nous l'a dit déjà — pour s'assurer que dans le contexte où il y aurait un événement qui demanderait au gouvernement du Canada d'intervenir, il n'y ait pas de délai dans la mise en application des mesures d'urgence?

M. Lapierre : Effectivement, il y a des ententes gérées par la ministre responsable de la sécurité publique. Dans tous les cas de mesures d'urgence, les exemples que nous avons eus dans le passé ont démontré une bonne collaboration. Quand je faisais référence à la collaboration fédérale-provinciale, c'était, par exemple, dans la mise en place. Sur le plan aéroportuaire et portuaire, à cause de la juridiction fédérale, c'est plus facile.

Sur le plan des transports en commun, c'est vraiment compliqué parce que, par exemple, le métro de Montréal dépend de la compétence municipale de la Ville de Montréal, et les trains de banlieue du ministère des Transports. On retrouve tous les paliers de compétence.

En ce sens, des ministres nous ont dit de prendre le leadership et de les tenir au courant. Par exemple, dans les programmes de contribution, on n'irait pas offrir une subvention pour le métro de Montréal sans aviser la Province du Québec. On a demandé aux provinces quel était leur niveau de confort. Nous n'avons pas voulu nous embarquer dans un programme de contributions mixtes. Je pense avoir une responsabilité personnelle depuis les attentats de Londres. On ne peut pas prétendre qu'on va se perdre dans les négociations fédérales-provinciales-municipales. Ils nous ont dit que, en matière de responsabilité nationale, c'était notre responsabilité. C'est sous le vocable de la sécurité nationale qu'on a décidé de travailler ensemble.

Tous les autres ont senti l'urgence d'agir. Il n'y a donc pas eu ce conflit. Les silos aux États-Unis étaient aussi à l'intérieur de l'administration fédérale, cela nous a aidés à travailler avec le comité du cabinet sur la sécurité. À la réunion fédérale-provinciale des ministres des transports, ma collègue et moi avons fait exprès d'inviter les ministres de la sécurité publique pour montrer que tout le monde travaillait ensemble. Contrairement aux États-Unis, nous n'avons pas de guerre de chapelles.

Le fait d'avoir nommé une ministre responsable de la sécurité publique à Ottawa a pour conséquence que je ne prends aucune initiative en matière de sécurité sans qu'elle ne soit au courant et que les agences qui dépendent d'elle le soient. Cela nous a forcés à tous travailler ensemble. Je n'ai senti aucune résistance de la part des provinces. Au contraire, on a eu un appui unanime. Je dois vous dire que je les avais tous consultés individuellement auparavant. L'autre élément, c'est qu'en bout de ligne c'est une question d'argent. Si on paye, c'est correct. Dans ce sens-là, même les autorités municipales nous ont dit : vous allez être obligés de nous aider parce que dans les sociétés de transports en commun, si on a le choix entre acheter cinq nouveaux autobus ou des caméras, l'achat des autobus va passer en premier. C'est pour cela que je sens que nous avons une responsabilité si nous voulons être au niveau des autres pays. Mais en ce qui concerne l'application des mesures d'urgence, s'il y a une crise, il existe déjà une entente avec toutes les provinces.

Le sénateur Joyal : C'est donc à l'intérieur de l'entente qui existe déjà dans le cas des mesures d'urgence ou de désastres que le gouvernement canadien interviendrait, soit à travers la Gendarmerie royale du Canada ou, à la limite, les Forces armées canadiennes.

M. Lapierre : C'est de cette façon aussi qu'on avise la police. Si quelque chose se passe à Montréal, c'est la police de Montréal qui prendra le leadership, et qui pourra demander de l'aide de la Sûreté du Québec. Il y a un protocole de partage d'informations. La culture sur le partage de l'information est en train de changer. Dans le passé, tout le monde gardait ses informations de sécurité; la GRC gardait ses informations, la Défense nationale gardait cela caché aussi et Transport Canada faisait de même.

Et dans ce sens, c'est un changement de culture. Mais on sent de plus en plus que les différentes agences partagent ces informations, ce qui contribue à une meilleure sécurité pour les Canadiens.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a publié un rapport il y a deux ou trois ans.

Les auteurs du rapport ont formulé certaines critiques, en particulier au sujet des activités portuaires ou aéroportuaires, signalant certaines failles dans le système.

[Français]

Est-ce que votre ministère a revu les principales conclusions de ce rapport depuis? Et quelles étaient les priorités sur lesquelles vous êtes intervenus?

M. Lapierre : On a effectivement pris acte et agi suivant ce rapport. On s'est beaucoup impliqué dans la sécurité des infrastructures portuaires. À travers le pays, tous les ports ont dû faire un plan de sûreté. À l'intérieur de ces plans, ils ont pu demander des fonds au gouvernement du Canada pour des clôtures, des systèmes de contrôle, et cetera, parce que l'accès était trop facile. On a encore du travail à faire.

Actuellement, notre priorité pour la sécurité portuaire c'est la vérification des antécédents des travailleurs. J'aimerais qu'on le fasse de concert avec les Américains. Étant donné la nature internationale des syndicats et des associations de travailleurs, je veux qu'on le fasse conjointement avec les Américains afin d'éviter une situation où nous deviendrions les boy-scouts de la planète, et à ce moment-là nos ports seraient menacés par toutes sortes de mesures. C'est pour cette raison qu'on est constamment en contact avec les Américains à ce sujet.

Actuellement, nous développons un programme d'identification avec des zones de sécurité, selon les besoins de sécurité de chacun. Cela crée beaucoup d'appréhension chez les travailleurs portuaires. Il y a eu de la résistance et l'on a fait plusieurs consultations. On a maintenant l'impression qu'ils ont compris ce qu'on voulait. Nous avons fait l'enquête de sécurité chez les travailleurs dans les aéroports, et cela fut bien accueilli. Dans les ports, il existe une culture différente. On est en train de les aider à diminuer leurs appréhensions et, à leur demande, de leur expliquer une procédure d'appel. Ils trouvaient que les questions sur les histoires de famille un peu trop pointues. Mais on doit pousser ce programme, et il faut le faire conjointement avec les Américains, parce que même si le port de Halifax est tout à fait sécuritaire, si n'importe qui peut faire ce qu'il veut dans celui de Boston, cela ne donne pas grand-chose. Il reste encore du travail à faire.

En ce qui concerne les infrastructures physiques, les programmes de sécurité et d'aide de contributions sont en place. Mais on doit continuer, et, bien sur, d'autres services doivent s'impliquer, en passant par les douaniers et les gens de la sécurité. De notre côté, c'est surtout la protection physique qui nous préoccupe. On travaille présentement sur le programme d'identification.

M. Forster : Pour ajouter à la réponse sur la collaboration, le secteur maritime est un excellent exemple de la collaboration entre les différentes agences. Par exemple, un groupe de 17 agences fédérales travaille dans le domaine de la sécurité maritime, tel un groupe de collaboration dans le transport, la garde côtière et le ministère de la Défense nationale. Ce groupe contribue à la politique fédérale. C'est un bon exemple de collaboration dans le domaine de la sécurité.

Le sénateur Joyal : Sur la question de la garantie de sécurité des personnes, on a eu des témoignages, en particulier des syndicats représentant les employés de la fonction publique au Canada. Dans le cas où un employé se voit refuser une promotion ou se voit déclassé parce qu'il occupait un poste qu'il ne peut plus remplir suite aux conclusions de l'enquête, nous avons exprimé, autour de la table, notre préoccupation sur la capacité de cet employé à avoir une procédure juste et raisonnable afin de pouvoir faire appel et être entendu et que les principes de justice naturelle soient respectés.

Je vois que vous êtes accompagné de M. Pigeon. Où en êtes-vous dans l'élaboration de la procédure d'appel et de révision des décisions et de la capacité du travailleur de faire valoir ses droits?

Jacques Pigeon, avocat général ministériel, Services juridiques, Transports Canada : Je pense que c'est l'une des préoccupations du ministère. Quand le ministre a mis en place les mesures dont il a été question, la reconsidération a été l'un des aspects majeurs des décisions qui ont été prises. Nous travaillons à l'élaboration d'un processus qui donnera à ceux qui prétendraient être injustement traités, l'opportunité d'être entendus, de façon à ce que si une erreur a été commise, qu'elle puisse être redressée rapidement.

Cette procédure est une procédure qui va s'appliquer au moment où les mesures réglementaires prendront effet. Et comme le ministre l'a mentionné, il y a quelques minutes, je pense que cela prendra un peu de temps avant que cette mesure réglementaire puisse prendre effet.

C'est l'une des choses sur lesquelles nous travaillons de sorte que lorsque le règlement entrera en vigueur, il y aura une procédure qui permettra à ceux qui prétendent avoir été injustement traités, de faire entendre leurs griefs et de redresser la situation s'il y a lieu.

M. Lapierre : D'ailleurs, sénateurs, je suis content que votre comité ait la même préoccupation, parce qu'on m'a dit que le travailleur pouvait aller à la Cour fédérale, mais avant d'être entendu par la Cour fédérale, il aura le temps de perdre sa maison, sa voiture et sa femme. Et dans ce sens, ce n'était pas réaliste.

Donc, on essaie de trouver une procédure expéditive de façon à ce qu'un travailleur ne perde pas son gagne-pain parce qu'il y a eu erreur sur la personne. En dehors de la procédure formelle de la Cour fédérale, il faudrait que la personne puisse être entendue. J'avais suggéré la possibilité d'embaucher, par exemple, un juge à la retraite qui pourrait regarder ce dossier d'une manière objective et qui pourrait prendre une décision immédiate. Je suis certain que 95 p. 100 des cas pourraient être réglés de cette façon. Il faut trouver une manière flexible et rapide et surtout peu coûteuse.

Le sénateur Fraser : Monsieur le ministre, pour ce qui est de la liste qu'on va établir, est-ce que vous envisagez un mécanisme pour enlever le nom des personnes qui figurent une fois sur la liste, mais qui ne seront peut-être plus une menace plus tard? Un des éléments qui nous préoccupent, c'est que dès qu'un nom est entré dans les dossiers du système de sécurité, on a un mal fou à l'enlever. Quelqu'un qui a 20 ans poserait sûrement moins de menaces, dix ans plus tard, s'il est marié, a des enfants, une hypothèque. Ce n'est plus une personne qui pose un danger. Est-ce que ce serait un élément central dans votre système?

M. Lapierre : Oui, mais plus que cela. Il y a bien sûr la possibilité d'enlever des noms, parce que la personne va s'apercevoir rapidement qu'elle est encore sur la liste du fait qu'elle ne pourra jamais monter à bord d'un avion.

Cependant, où je suis encore plus inquiet, et c'est pour cela que je veux là aussi une procédure expéditive, c'est en cas d'erreur sur la personne ou de noms courants qui se ressemblent, comme Joe Smith. C'est encore plus important d'avoir une procédure rapide où cette personne n'est pas désavantagée ou pénalisée. Le problème que l'on retrouve actuellement avec les gens qui sont sur la liste américaine, c'est la quasi-impossibilité de se faire enlever de la liste. Cela prend une procédure qui ne finit plus. Et je me dis que si on doit avoir une liste, il faut que les personnes qui se sentent pénalisées puissent immédiatement nous aviser et faire appel, et que ce soit un processus rapide. C'est central à notre liste pour, justement, apprendre de nos voisins.

Le sénateur Fraser : Ma seconde question concerne les caméras. Moi aussi, j'étais à Londres, et nous avons été très impressionnés par le système de sécurité qu'ils ont instauré.

Mais il me semblait que les caméras ne sont utiles qu'après coup. Ils ont trouvé, après les explosions du mois de juillet, les films, les vidéos des gens qui se sont fait exploser.

Je n'ai pas saisi quelque chose. Les caméras seraient-elles souhaitables mais pas une priorité ou seraient-elles une priorité moyenne ou une grande priorité?

M. Lapierre : On va se fier au plan de sécurité de chacune des autorités de transport en commun. Nous n'avons pas l'intention d'arriver avec une panoplie de mesures directement d'Ottawa.

On dit que, par exemple, la Société des transports de Montréal fera son plan de sécurité et qu'à l'intérieur de celui-ci, il y a toutes sortes de choses qui peuvent être nécessaires. Il y a des instruments de communication entre les différents intervenants et dans certains cas ils vont choisir les caméras. On voit cela comme un des éléments parmi tant d'autres, mais on sait que partout à travers le monde où il y a des caméras, c'est beaucoup plus utile après le fait. Ce n'est pas préventif, cela peut l'être pour les petits criminels, mais pas pour le terrorisme. C'est un des éléments de technologie qui pourrait être acheté.

Cependant, il n'y a pas de technologie plus perfectionnée que l'œil humain. C'est vrai pour la protection dans nos aéroports. Je suis allé en Israël, pour voir leur système. On sait qu'ils sont des spécialistes. Ils n'ont pas fait l'erreur de se fier uniquement à la technologie. L'élément humain fait toute la différence. Dans ce sens, il ne faudrait pas non plus penser que la technologie va nous protéger. Il faut garder à l'esprit que la surveillance par les humains est pas mal plus efficace.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey : J'ai deux questions. La première concerne la nécessité de décompartimenter et de fondre ensemble les activités des différentes administrations. J'ai été heureux d'entendre que les administrations veulent collaborer. Vous avez mentionné certains domaines dans lesquels, à votre avis, vous devriez jouer un rôle dirigeant. Il s'agissait entre autres de l'infrastructure et aussi de services ferroviaires. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet? A-t-on réfléchi à cette idée? Est-elle bien accueillie par les différentes administrations? Agiriez-vous dans ce sens et, dans l'affirmative, de quelle façon? Et surtout, où le feriez-vous?

M. Lapierre : Tout d'abord, il faut savoir que les gens nous supplient de leur offrir de la formation et des exercices. En voyageant au Canada, j'ai appris que la GRC a un excellent programme. Elle forme des gens partout au pays. J'aimerais réaliser de la formation. À l'heure actuelle, nous essayons de fournir les ressources nécessaires pour offrir de la formation, car cela coûte cher.

Les autorités du transport en commun m'ont dit qu'un plan de sécurité, c'est bien beau, mais que nous avons besoin d'experts-conseils compétents. Chaque policier retraité devient un expert en matière de sécurité. On nous supplie de fournir le savoir-faire et les ressources. La GRC est une de ces ressources, mais il y en a bien d'autres. Israël nous a offert son aide. Il y a beaucoup de coopération internationale dans ce domaine. Cependant, nous n'avons pas à l'heure actuelle de cours officiel, sauf pour les membres de la GRC. On m'a beaucoup vanté le cours offert à la GRC.

M. Forster : À Londres, on nous a souligné l'importance d'exercices et de simulations auxquels prennent part tous les premiers intervenants et tous les ordres de gouvernement. Le gouvernement organise de tels exercices et veut le faire aussi dans le domaine du transport en commun; il pourrait s'agir soit de simulations sur maquette, soit d'exercices réels comportant la simulation d'événements auxquels il faudrait réagir et qu'il faudrait gérer. Certains exercices de ce genre ont déjà été réalisés.

Le sénateur Rompkey : La formation se ferait dans différentes provinces et différents territoires partout au pays plutôt que dans un seul endroit?

M. Lapierre : Oui, c'est cela.

Le sénateur Rompkey : Est-ce qu'on y a pensé?

M. Lapierre : C'est une proposition intéressante.

Le sénateur Rompkey : Je pourrais la développer encore plus, si vous voulez.

M. Lapierre : Nous travaillons sur ces programmes en ce moment. J'ai eu des échos très positifs en ce qui concerne le programme de la GRC, mais je suis certain qu'il y a d'autres façons de procéder. Nous partons pratiquement de zéro, donc toute proposition est la bienvenue. Les provinces sont très ouvertes également.

Le sénateur Rompkey : J'aimerais aborder la question de la sécurité côtière. Nos côtes sont très longues, très irrégulières, de nombreuses collectivités sont dispersées le long de ces côtes, ce qui rend l'accès facile.

Pourriez-vous décrire les mesures qui sont prises afin d'empêcher les navires qui n'y ont pas droit d'accoster? Nous avons parlé de la façon dont on contrôle les navires, par exemple, le signalement.

Comment détecter les bâtiments en mer? Il existe un système de surveillance par satellite et un système de surveillance par avion, et les ministères fédéraux travaillent de façon coordonnée. Si je comprends bien, les Forces canadiennes sont les principaux responsables, mais d'autres entités participent également, notamment la Garde côtière canadienne. Il y a également la surveillance terre-mer. Est-ce que ça été mis à niveau? Existe-t-il aujourd'hui un système de surveillance adéquat qui permet de déterminer qui se trouve en mer et qui pourrait pénétrer nos côtes?

M. Forster : Nous avons de très longues côtes, et de ce fait nous devons avoir recours à de nombreux outils. La marine joue un rôle essentiel pour la surveillance côtière grâce à la Garde côtière canadienne. Dans les centres des opérations de la sûreté maritime de la côte est, de la côte ouest, et des Grands Lacs, tous les organismes participant à la sécurité maritime seront intégrés : la marine, la Garde côtière canadienne, Pêches et Océans Canada et Transports Canada. Ils prendront des décisions de concert et agiront ensemble. Ces plans sont en cours d'élaboration et de mise en œuvre. De nombreuses améliorations ont été apportées, et d'autres encore viendront s'ajouter.

[Français]

Le sénateur Joyal : Vous avez fait référence à la liste des passagers où un passager représente une menace immédiate.

[Traduction]

Ce sont les termes que l'on retrouve dans la Loi sur l'aéronautique. En français, les mots utilisés sont « danger immédiat ».

[Français]

Comment définissez-vous un passager qui représente une menace immédiate?

M. Lapierre : Justement, c'est l'analyse qui doit être faite quand on a reçu les informations des différentes sources que ce soit le SCRS ou la GRC. Il y a un jugement qui doit être fait sur chacun des cas. On n'a pas l'intention de rassembler des listes à droite et à gauche. Pour chacune des personnes sur cette liste, il doit y avoir une détermination sur chacun des noms. À la fin, chaque nom doit être mesuré et une décision doit être prise sur chacun des noms individuels.

M. Pigeon : Un peu comme la notion d'intérêt public, la notion de menace immédiate est une question d'opinion. À la fin de la journée, il appartient au ministre des Transports, qui est le ministre responsable devant la Chambre des communes, de faire l'évaluation du risque et de déterminer, compte tenu des informations qu'il a reçues des agences d'intelligence comme le SCRS et la GRC, si le risque présenté par un individu montre ou non des caractéristiques qui le place dans cette catégorie.

Le sénateur Joyal : J'imagine qu'il va y avoir des critères.

M. Pigeon : Oui.

Le sénateur Joyal : Une personne peut représenter un risque dans certaines circonstances et pas dans d'autres. Quels en sont les paramètres? Pouvez-vous être un peu plus précis pour nous donner une idée de ce que devrait être un système pour que les Canadiens sachent, de façon générale, s'ils sont susceptibles de présenter un risque? Il devrait y avoir des conditions. Une personne qui se présente au comptoir et qui sait, par exemple, qu'elle a commis tel acte criminel saurait qu'elle est susceptible d'être refusée. On ne peut pas simplement dire aux gens : « Rendez-vous au comptoir et on vous dira si vous représentez un risque. » Il doit y avoir un peu plus de certitude dans notre système.

M. Forster : Nous sommes en train d'élaborer les critères. En même temps, c'est un jugement, c'est une opinion, ce n'est pas une liste de vérification. C'est également important de souligner que c'est une menace à l'aviation. C'est tout de suite lorsque la personne achète un billet ou embarque sur l'avion. Cela crée une situation immédiate. C'est une liste de personnes qui posent une menace à l'aviation. Quelqu'un qui a un problème criminel avec les drogues n'est pas sur la liste. On peut avoir un dossier criminel et ne pas être sur la liste. C'est juste pour la sécurité de l'aviation.

M. Lapierre : C'est important parce que cela ne sera pas une enquête sur les dossiers criminels. Ce n'est pas parce que quelqu'un a un dossier criminel qu'il ne peut pas prendre l'avion. Il faut s'assurer que c'est quelqu'un qui est soupçonné d'être membre d'un groupe terroriste. On ne parle pas que de Canadiens. Ce sont tous ceux et celles qui sont identifiés comme étant dangereux pour l'aviation à travers le monde, et particulièrement pour l'aviation canadienne. Ce ne seront pas que des Canadiens qui figureront sur cette liste. Il va y avoir des gens de toute nationalité.

Le sénateur Joyal : Vous dites que vous prévoyez un mécanisme d'appel pour une personne qui se ferait refuser l'embarquement afin qu'elle puisse prendre connaissance de la preuve et des éléments d'information sur lesquels vous vous êtes basés.

M. Lapierre : Et aussi d'être entendue parce qu'il y a des gens qui peuvent le contester pour toutes sortes de raisons. On a souvent vu ailleurs des erreurs bêtes et c'est pour cela qu'il est important que ce soit une procédure expéditive. La pénalité est très grave parce que les gens sont empêchés de voyager. Dans ce sens, il faut être sûr que c'est la bonne personne. Il faut avoir une procédure. Dans certains cas de sécurité, j'imagine que toute la preuve ne sera pas nécessairement donnée parce qu'il y a des raisons de sécurité. Au fond, il faut être capable de justifier pourquoi telle personne ne peut pas embarquer à bord d'un avion canadien.

Le sénateur Joyal : Quand comptez-vous publier ces projets de réglementation?

M. Forster : Nous sommes en train de faire des consultations avec les groupes avant de faire les propositions.

M. Lapierre : Notre objectif est que ce soit en place pour 2006.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Monsieur le ministre, comme vous pouvez le constater, nous pourrions vous garder tout l'après-midi, et les questions ne manqueraient pas. Cependant, votre présence s'est prolongée au-delà du temps prévu, et nous vous en remercions. Nous vous sommes reconnaissants, à vous et à vos fonctionnaires, de vous être déplacés aujourd'hui.

Chers collègues, nous devons être de retour à 13 h 45. Nous entendrons alors les témoins de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, puis de 15 h 30 à 17 h 20, nous accueillerons la ministre Anne McLellan et le ministre Irwin Cotler. La journée va être longue. Je vous suggère donc d'aller vous rafraîchir les idées afin d'être en forme à votre retour.

La séance est levée.


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